103013 BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA ET AFRIQUE DU DU NORD LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE ET DE LA PAIX Numéro 6 Janvier 2016 BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE ET DE LA PAIX © 2015 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 17 16 15 Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les avis de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des États que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données présentées dans cet ouvrage. Les frontières, couleurs et dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Aucune des dispositions précédentes ne constitue une limite ou une renonciation à l’un quelconque des privilèges et immunités de la Banque mondiale, et ne peut être interprétée comme telle. Tous lesdits privilèges et immunités de la Banque mondiale sont expressément réservés. Droits et licences L’utilisation de cet ouvrage est soumise aux conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 IGO (CC BY 3.0 IGO) http://creativecommons.org/licenses/by/3.0/igo. 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BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE ET DE LA PAIX REMERCIEMENTS Le Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA est produit par le bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Il complète la publication semestrielle de la Banque mondiale intitulée « Rapport de suivi de la situation économique dans la région MENA » par un examen en temps réel de pays ou de thèmes sélectionnés, reposant sur des données à haute fréquence. Ce bulletin a été préparé par Lili Mottaghi sous la direction de Shanta Devarajan, avec des contributions d’Elena Ianchovichina, Hideki Matsunaga et Youssouf Kiendrebeogo. Sahar Sajjad Hussain a fourni des données sur les pays. Les auteurs remercient Radwan Shaban, Elena Ianchovichina et Hideki Matsunaga pour leurs observations sur la première version du document. Isabelle Chaal-Dabi a apporté un excellent soutien administratif. TABLE DES MATIÈRES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES RÉCENTES ....................................................................... 1 Économie mondiale ...............................................................................................................1 Économies de la région MENA ...............................................................................................3 LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE .................................................................... 10 DOMMAGES MATERIELS................................................................................................................11 DOMMAGES HUMAINS .................................................................................................................14 CRISES DES DEPLACEMENTS FORCES.................................................................................................16 CONDITIONS DE VIE DES REFUGIES ET DES DEPLACES INTERNES ..............................................................20 LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA PAIX ......................................................................... 21 Le dividende de la démocratie ...............................................................................................23 ANNEXE ....................................................................................................................... 27 RÉFÉRENCES ................................................................................................................. 31 Encadré Encadré 1. Les réformes des dépenses publiques dans les pays de la région MENA ...8 Graphiques Graphique 1. Économie mondiale .....................................................................................1 Graphique 2. Variabilité des prix pétroliers .......................................................................3 Graphique 3. Perspectives économiques de la région MENA ...........................................4 Graphique 4. Arrivées de touristes en Afrique du Nord ....................................................5 Graphique 5. Situation de l’éducation ...............................................................................15 Graphique 6. Nombre estimé de réfugiés et de déplacés internes (milliers) ...................17 Graphique 7. La crise des déplacés internes au Yémen ....................................................19 Graphique 8. Conditions de vie des réfugiés syriens au Liban et en Jordanie ..................20 Graphique 9. Évolution de la démocratie ..........................................................................25 Graphique 10. Effet de transitions permanentes sur la croissance ....................................26 Tableaux Tableau 1. Indicateurs macroéconomiques ..................................................................9 Tableau 2. Estimation de la population touchée en Syrie .............................................16 Tableau 3. Nombre de réfugiés syriens dans les pays voisins (décembre 2015) ..........18 Tableau 4. La crise des réfugiés en Irak .........................................................................19 Tableau 5. Indicateurs sociaux dans différents pays ayant été touchés par un conflit ...........................................................................................................22 Tableau 6. Croissance annuelle moyenne du PIB par habitant dans différents pays (%) ........................................................................................................23 Graphiques annexes Graphique A1. Effet de la démocratie et du profil d’investissement sur la croissance .......29 Graphique A2. Effet de la démocratie et de la liberté économique sur la croissance ........29 Tableau annexe Tableau A1. Estimations 1984-2012 ................................................................................30 SIGLES AIE Agence internationale de l’énergie CCG Conseil de coopération du Golfe CESAO Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale EIA Agence d’information sur l’énergie des États-Unis FICR Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant- Rouge FMI Fonds monétaire international HCR Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ICRG International Country Risk Guide MENA Moyen-Orient et Afrique du Nord OCHA Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies OIT Organisation internationale du travail OMD objectifs du Millénaire pour le développement OMT Organisation mondiale du tourisme ONG organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies PAM Programme alimentaire mondial PIB produit intérieur brut PNB produit national brut PNUD Programme des Nations Unies pour le développement SCPR Centre syrien pour la recherche politique UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’enfance UNRWA Office de secours et de travaux des Nations Unies USD dollar des États-Unis LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE ET DE LA PAIX ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES RÉCENTES Économie mondiale. Comme beaucoup d’autres analystes économiques, la Banque mondiale a révisé à la baisse ses estimations de la croissance mondiale en 2015 pour l’établir à 2,4 %, soit 0,4 point de pourcentage de moins que les prévisions de juin 2015. Cette révision se justifie notamment par le ralentissement des perspectives de croissance dans les pays en développement et en particulier en Chine, la baisse des prix des produits de base, dont le pétrole, et l’escalade des conflits et des attaques terroristes au Moyen -Orient et ailleurs. La croissance économique sur les marchés en développement et émergents s’est essoufflée, passant de 4, 9 % en 2014 à 4,2 % en 2015, en grande partie du fait de perspectives moins favorables pour les principaux exportateurs de produits de base. La Russie et le Brésil sont en récession ; l’Arabie saoudite et certains grands pays exportateurs de pétrole sont durement touchés par les prix bas du pétrole. Aucune amélioration prochaine n’est attendue pour ce groupe de pays dans la mesure où les cours du pétrole ne semblent pas près de remonter (graphique 1). En revanche, la croissance a été plus tonique en 2015 dans les pays à revenu élevé, grâce à une demande intérieure plus soutenue et de meilleures conditions de crédit. Néanmoins, les prévisions 2016 ont été revues à la baisse pour ces pays en raison de l’impact sur le Japon du ralentissement des échanges en Asie, et de l’impact sur les États-Unis de l’appréciation du dollar. Graphique 1. Économie mondiale Croissance mondiale (%) Contribution aux révisions de la croissance mondiale (points de pourcentage) 10 0.0 8 Prévisions -0.1 6 4 -0.2 Chine China 2 Brésil Brazil Russie Russia 0 -0.3 Other Autrescom. exp. exp. PB Monde World Other Autrescom. imp. imp. PB -2 Pays à revenu élevé G3 High-income countries G3 Pays en développement Developing countries -4 -0.4 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 Pays à revenu élevé 2015 2016 2017 Source : Rapport de la Banque mondiale sur les perspectives économiques mondiales, janvier 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 1 Note : les contributions à la croissance mondiale sont mesurées en dollars des États-Unis de 2010. « Autres exp. PB » signifie « autres exportateurs de produits de base » et exclut la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud ; « Autres imp. PB » signifie « autres importateurs de produits de base » et exclut la Chine, l’Inde et le G3 (zone euro, Japon et États-Unis). Selon la Banque mondiale, la croissance mondiale devrait légèrement rebondir pour atteindre 2,9 % en 2016 et 3,1 % en 2017-18. Elle table sur un rééquilibrage rationnel en Chine, la poursuite de la reprise dans les pays à revenu élevé, un resserrement très progressif des conditions de financement, et une stabilisation des prix des produits de base. Les principales menaces qui pèsent sur ce scénario seraient un ralentissement de l’activité dans les grandes économies émergentes et en développement, la perspective que les flux de capitaux dans le monde soient freinés par l’évolution future des taux d’intérêt américains, et une baisse plus forte que prévu des prix des produits de base. L’écart entre l’offre et la demande de pétrole continue de tirer les cours vers le bas. Les prix ont chuté de 35 % en 2015 : le baril de Brent se négociait en dessous de 30 USD à la mi-janvier 2016, soit un quart du pic de juin 2014 et en dessous du prix plancher de 36,20 USD atteint pendant la crise financière (graphique 2). Les grandes responsables de l’effondrement des prix pétroliers sont la demande chinoise en berne et la faible croissance à l’intérieur de la zone euro. Les risques géopolitiques, tels que les heurts récents entre l’Arabie saoudite et l’Iran, n’ont eu aucun effet sur les cours du pétrole en dehors des quelques heures ayant suivi l’escalade des tensions. On pense que le surplus pétrolier s’ajoutant à un dollar fort pourrait continuer de faire baisser les prix cette année, jusque même 20 USD le baril d’après Morgan Stanley.1 L’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’Agence d’information sur l’énergie des États-Unis (EIA) estiment que les cours du pétrole pourraient tourner autour de 40 USD en moyenne en 2016. Il est possible également que d’ici la fin 2016 ou la mi-2017, certains producteurs de pétrole dont les coûts de production sont plus élevés, notamment les producteurs d’huile de schiste, quittent le marché et que les prix pétroliers commencent à se redresser. Les prix du pétrole des prévisions de la Banque mondiale pour en moyenne 37 USD p / b de cette année et d'augmenter de 48 USD p/ b en 2017. 1 Morgan Stanley, Note de travail, 11 janvier 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 2 Graphique 2. Variabilité des prix pétroliers Cours du pétrole (Brent, USD/baril) 160 140 Estimations de 120 Morgan Stanley 100 Estimations de l’AIE et de l’EIA 80 Projections de l 60 a Banque mondiale 40 20 0 2008 2008 2014 2014 2015 2015 2016 2017 July Dec. Juillet Déc. Aug. Août Dec. déc. May Mai Dec. Déc. Source :Banque mondiale. Économies de la région MENA. La Banque mondiale a révisé à 2,6 % son estimation de la croissance économique en 2015 dans la région MENA, un peu moins qu’en 2014 et 0,2 point de pourcentage en dessous des prévisions d’octobre 2015. Les principales raisons de cette révision récente sont les guerres civiles qui perdurent, les attaques terroristes et les prix bas du pétrole. L’accrochage qui s’est produit il y a peu entre l’Arabie saoudite et l’I ran ajoute aux tensions actuelles dans la région. Si cet affrontement devait s’exacerber, les dépenses militaires pourraient augmenter, en particulier dans les pays directement concernés et leurs alliés. Compte tenu des niveaux actuels de dépenses publiques et de la chute des cours du pétrole, cela pourrait affaiblir davantage les économies en question. Il est probable en outre que l’affrontement récent amplifie les risques géopolitiques, avec des répercussions sur l’investissement, le tourisme et le commerce dans une région déjà fragile. Les facteurs responsables du ralentissement de la croissance dans la région MENA ne semblant pas près de s’atténuer, les perspectives à court terme restent « prudemment pessimistes » et le taux de croissance moyen de la région se maintiendra à ce faible niveau. Cependant, avec une résolution politique des conflits au Yémen et Libye, et dans une certaine mesure en Irak et en Syrie, et la levée des sanctions contre l’Iran, la croissance régionale trouvera un nouveau souffle grâce aux activités de reconstruction et à la reprise des investissements et des exportations pétrolières. Dans ce scénario un peu plus optimiste, la Banque mondiale anticipe une croissance moyenne de 4,1 % et 4,4 % en 2016 et 2017 dans la région MENA, soit un point de pourcentage de plus que ces trois dernières années (tableau 1 et graphique 3). Une bonne part de cette croissance supplémentaire est subordonnée au retour de l’Iran sur les marchés mondiaux et à une sécurité suffisante pour que la Libye et l’Irak augmentent leurs exportations de pétrole. Les Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 3 pays du CCG n’enregistreront pas d’amélioration de leur taux de croissance pendant la période étudiée car ils seront pénalisés encore un certain temps par la faiblesse des cours du pétrole. Graphique 3. Perspectives économiques dans la région MENA Taux de croissance du PIB réel (%) Importateurs Developing Oil Exportateurs de pétrole de pétrole Developing Oil MENA Pays du CCG GCC Exporters countriesen développement Importers en développement 7.0 6.0 Increase in growth is due to possible developments in 5.0 Libya, Iraq and Iran 4.0 3.0 2.0 1.0 0.0 -1.0 -2.0 2013 2014 2015e 2016p 2017p Source : Banque mondiale. Les importateurs de pétrole de la région MENA n’ont pas pu profiter pleinement des prix bas du pétrole, minés qu’ils sont par les retombées des conflits et des guerres civiles dans la région, ou par l’insécurité provoquée par les attaques terroristes (ou les deux). La Jordanie et le Liban qui, avec la Turquie2, supportent globalement la charge de l’accueil des réfugiés syriens, sont écrasés par les difficultés budgétaires (voir la section suivante). La Jordanie compte plus de 630 000 réfugiés syriens enregistrés. Au Liban, les réfugiés représentent un quart de la population. Les taux de chômage en Jordanie ont atteint 12,5 % au premier semestre 2015, contre 11,4 % pendant la même période en 20143. La montée de l’insécurité et des incertitudes s’est traduite par un repli des investissements étrangers et nationaux dans les deux pays. D’après les estimations, le niveau des investissements en Jordanie en pourcentage du PIB est redescendu à 27,4 % en 2015 alors qu’il avait atteint 28,1 % en 2013. Au Liban, les principaux secteurs 2 Sur plus de 2,7 millions de réfugiés syriens en Turquie, on en trouve le plus grand nombre à Istanbul (20 % de la population réfugiée totale) et dans les provinces de Gaziantep (14 %), Hatay (12 %) et Sanliurfa (10 %), situées dans le sud du pays. Cinquante pour cent du total des réfugiés sont des enfants de moins de 18 ans. 3 Bien que les réfugiés syriens puissent représenter une lourde charge pour l’économie du pays d’accueil, ils sont aussi associés à des évolutions positives. Les données indiquent que les Syriens arrivés avec des biens en Turquie ont investi dans le pays. Des Syriens ont également monté des microentreprises (la plupart non immatriculées), en particulier des cafés et des restaurants en Turquie (Banque mondiale 2015). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 4 générant de la croissance – le tourisme, l’immobilier et le bâtiment – ont été durement touchés. Ces facteurs devraient maintenir le taux de croissance entre 2,5 et 3,5 % en 2016 et 2017 pour les deux pays, très en dessous de leur potentiel. Les attaques terroristes ont coûté cher aux économies égyptienne et tunisienne. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), l’activité touristique (source importante d’emplois et de revenus d’exportation) a fortement reflué suite aux récentes attaques terroristes dans ces deux pays, ralentissant la croissance et la création d’emplois (graphique 4). Les envois de fonds ont peut-être aussi été touchés dans les pays (Égypte, Liban et Jordanie) qui dépendent fortement des flux en provenance des États du CCG. Globalement, la croissance devrait s’établir autour de 3,8 % en Égypte et 2,5 % en Tunisie en 2016, avant de repartir progressivement à la hausse en 2017. En attendant, les exportateurs de pétrole de la région sont mis à mal par la chute des cours. Presque tous, surtout ceux du CCG, voient leurs recettes budgétaires fondre, les prix du pétrole étant actuellement inférieurs à un tiers du niveau nécessaire pour équilibrer leurs budgets (Devarajan et Mottaghi, 2015a). L’Arabie saoudite a perdu environ la moitié de ses recettes publiques de 2015 suite à l’effondrement du cours du pétrole, passé de 96 USD en 2014 à 53 USD en 2015, soit l’équivalent de 110 milliards d’USD ou environ 15 % du PIB. Compte tenu du niveau élevé des dépenses du budget saoudien, le déficit prévu pour 2015 s’élève à 140 milliards d’USD. La dette publique du pays devrait s’envoler pour atteindre 20 % du PIB en 2017, c’est-à-dire dix fois son niveau de 2013 (2,2 % du PIB). D’après les estimations, les réserves de devises ont plongé de 96 milliards d’USD en 2015 et le mouvement devrait se poursuivre l’an prochain. Graphique 4. Arrivées de touristes en Afrique du Nord 15 10 5 0 -5 -10 -15 Variation en % des arrivées de touristes par rapport à la période précédente -20 14Q1 14Q2 14Q3 14Q4 15Q1 15Q2 15-Aug 2015 YTD Source : Organisation mondiale du tourisme (OMT). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 5 Si les prix se maintiennent autour de 30 à 35 USD le baril cette année, ils creuseront davantage les déficits de ces pays par rapport à 2015. Le manque à gagner supplémentaire pour l’Arabie saoudite sera de 55 milliards d’USD, environ un quart de ses recettes budgétaires en 2016. D’après les estimations, les pertes pour l’Irak devraient totaliser 40 milliards d’USD en 2015 et 2016. Certains de ces pays comptent sur les réformes des subventions aux carburants pour maîtriser leurs dépenses (encadré 1). Les dépenses publiques restent néanmoins élevées car une grande partie de la population travaille dans les administrations publiques et bénéficie de nombreux avantages. En Arabie saoudite par exemple, la masse salariale du secteur public a atteint le niveau record de 18 % du PIB en 2015 suite au versement de primes équivalant à deux mois de salaires supplémentaires ; ce taux devrait redescendre en 2016. Les exportateurs de pétrole les plus riches de la région, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït et les ÉAU disposent d’importantes réserves qui leur permettront de financer leurs déficits sur les 4 à 5 prochaines années, mais pas beaucoup plus longtemps. Selon les estimations de la Banque mondiale, avec les niveaux actuels de dépenses et un baril de pétrole à 40 USD, l’Arabie saoudite épuisera ses réserves d’ici la fin de la décennie. À ce niveau de dépenses et sans aucune modification des politiques publiques, les déficits budgétaires des pays du CCG et des autres exportateurs de pétrole atteignent 9,4 % du PIB en 2015 (tableau 1). En 2016 et 2017, les mesures prises pour diminuer les subventions et réduire les dépenses laissent espérer un léger mieux sur le plan des budgets nationaux (encadré 1). Toutefois, si l’assainissement des finances publiques est susceptible d’aider ces pays à faire face aux prix bas du pétrole, il risque de peser sur la croissance du PIB réel l’année suivante. Parmi les exportateurs de pétrole en développement, quatre sont enlisés dans des guerres civiles ou des conflits majeurs. À moins d’un règlement de paix, aucun sursaut de croissance n’est attendu à court terme dans ces pays – Syrie, Yémen, Libye et Irak (tableau 1). En outre, la chute des prix du pétrole a frappé de plein fouet ces économies qui affichent aujourd’hui des déficits budgétaires de grande ampleur. La Libye se distingue avec un déficit public dépassant 55,2 % du PIB. La guerre civile a ravagé l’économie syrienne. On ne dispose d’aucunes données officielles, mais d’après les estimations du Centre syrien pour la recherche politique (SCPR), le déficit budgétaire serait de 40,5 % en 2014 et la dette publique aurait atteint 147 % du PIB au quatrième trimestre 2014. L’Irak aussi est en proie à de graves difficultés budgétaires. La chute des cours pétroliers et le coût élevé de la lutte contre ISIS ont entraîné un déficit du budget de 14,5 % du PIB en 2015. La croissance devrait rester inférieure à 1 % en 2015. Au vu des conflits et des violences actuelles, les perspectives économiques demeurent moroses pour ces deux pays. La faiblesse des prix du pétrole et la hausse des dépenses humanitaires et de sécurité, conjuguées à la crise des Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 6 déplacements forcés (voir la section suivante), vont maintenir les finances publiques dans un état précaire. En Libye, la situation politique est fragile et l’activité économique atone. Un certain nombre de signes laissent présager la conclusion possible d’un accord de paix entre les deux parlements rivaux en Libye dans les prochains mois. Cela relancerait les exportations pétrolières libyennes dans la mesure où deux terminaux portuaires paralysés qui représentaient près de 50 % des exportations de brut du pays pourraient reprendre leurs opérations. Si elle profitera à l’économie libyenne (voir le tableau 1), l’augmentation des exportations pétrolières aura sans doute pour effet d’abaisser encore les cours mondiaux. La Libye est capable de produire jusqu’à 1,8 million de barils de pétrole par jour mais sa production est descendue à un tiers de ce volume après le conflit. Au Yémen, la situation reste extrêmement fragile. Malgré un cessez-le-feu annoncé début décembre 2015 pour une courte durée, la guerre civile a provoqué l’interruption presque complète de la production pétrolière et gazière dans un pays qui tire la quasi-totalité de ses revenus des exportations pétrolières. L’économie s’est contractée d’un quart et le manque de services de base a encore exacerbé les souffrances de la population. Le solde budgétaire et la position extérieure se sont aggravés et la dette publique est estimée à 74 % du PIB en 2015, soit 20 points de pourcentage de plus que l’an dernier. L’inflation a doublé pour atteindre 21 % en 2015. Les réserves internationales sont descendues à 3 milliards d’USD en 2015 et devraient continuer à fondre pour arriver à 2,2 milliards d’USD en 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 7 Encadré 1. Les réformes des dépenses publiques dans les pays de la région MENA Certains pays de la région ont repensé leurs dépenses publiques. Les réformes portent notamment sur la réduction des dépenses importantes liées aux subventions (jusqu’à 10 % du PIB dans certains cas), la baisse des recrutements dans le secteur public, et la maîtrise des traitements et salaires. Réforme des subventions o L’Iran a remplacé les subventions énergétiques par des transferts monétaires généraux et est en train de passer à des transferts monétaires ciblés. o L’Égypte a diminué en juillet 2014 les subventions sur les carburants, qui devraient passer de 6,3 % du PIB en 2014 à 1,3 % du PIB en 2019. o Le Koweït a supprimé les subventions sur le gazole et le kérosène, et prévoit de supprimer prochainement les subventions sur l’essence. o Bahreïn a réduit les subventions sur le gazole et le kérosène, la viande et d’autres produits alimentaires. o Le Qatar a augmenté les tarifs facturés pour les services collectifs. o Les ÉAU ont déréglementé les prix des carburants et augmenté le prix de l’essence de près de 30 %, qui sont aujourd’hui proches des prix du marché. o Les autorités d’Oman ont relevé les prix des carburants et prévoient de faire payer les services publics et de taxer les entreprises. o L’Arabie saoudite a augmenté les prix de l’essence de 50 % le 1er janvier 2016 (à 0,24 USD le litre) suite à un plan engagé pour réduire progressivement les subventions sur les carburants, l’électricité et l’eau au cours des cinq prochaines années. Les subventions aux carburants représentent 8,3 % du PIB. Une TVA pourrait aussi être instaurée prochainement. o La Jordanie et le Maroc ont déjà réduit leurs subventions sur les carburants. Dépenses publiques o L’Arabie saoudite a allégé ses dépenses d’éducation qui sont passées de 25 % à 22,8 % du total des dépenses entre les années 2000 et le budget 2016. Les pouvoirs publics ont commencé à réduire la masse salariale à moins de 15 % du PIB dans le budget 2016 en diminuant les hausses de salaires dans le secteur public. o Un impôt foncier a été instauré en Égypte en 2015 dans le cadre de la réforme budgétaire. o L’Algérie a gelé les embauches dans le secteur public, qui représente 60 % des emplois. o Oman a diminué les dépenses de défense dans le budget 2016. o L’Irak a réduit son budget 2016 d’environ 900 millions d’USD. Source : Médias et données des pays. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 8 Tableau 1. Indicateurs macroéconomiques Croissance du PIB réel (%) Solde budgétaire (% du PIB) 2013 2014 2015e 2016p 2017p 2013 2014 2015e 2016p 2017p MENA 2,1 2,7 2,6 4,1 4,4 1,8 -2,5 -9,0 -6,1 -4,5 Pays en dév. MENA 0,5 1,0 1,6 5,1 5,5 -5,9 -6,7 -8,6 -6,1 -3,9 Exportateurs de pétrole 2,0 2,7 2,3 4,2 4,4 5,4 -0,7 -9,7 -5,7 -3,8 Pays du CCG 3,4 3,9 3,2 3,2 3,4 10,4 2,3 -9,4 -6,0 -5,1 Bahreïn 5,3 4,8 2,7 2,4 2,4 -4,3 -5,7 -9,9 -6,1 -6,2 Koweït 0,8 0,1 1,2 2,5 2,7 34,2 17,2 7,2 7,6 8,6 Oman 3,9 4,1 3,7 3,2 3,5 3,2 -1,5 -12,9 -11,1 -10,1 Qatar 6,3 6,2 6,6 6,8 5,9 14,3 9,6 1,4 -3,5 -4,1 Arabie saoudite 2,7 3,6 2,8 2,4 2,9 5,1 -3,9 -19,5 -12,6 -11,5 Émirats arabes unis 4,3 4,6 3,0 3,1 3,3 10,4 5,0 -2,9 0,2 1,8 Pays exportateurs de -0,8 0,3 0,4 6,3 6,5 -3,1 -5,9 -10,0 -5,2 -1,6 pétrole en développement Libye -13,6 -24,0 -5,2 35,7 27,6 -4,0 -43,3 -55,2 6,5 16,3 Yémen, Rép. 4,8 -0,2 … … … -6,9 -5,3 … … … Algérie 2,8 4,3 2,8 3,9 4,0 -0,8 -5,9 -11,5 -9,4 -6,4 Iran, Rép. islamique -1,9 3,0 0,7 4,8 5,1 -0,9 -1,2 -2,8 -1,9 -1,2 Irak 6,5 -2,2 0,4 4,3 5,6 -5,9 -5,6 -14,5 -10,9 -3,0 Rép. arabe syrienne -20,6 -18,0 -15,8 … … -18,5 -22,3 -21,8 … … Importateurs de pétrole 2,7 2,3 3,5 3,2 3,9 -9,0 -7,6 -7,3 -6,9 -6,1 Égypte, Rép. arabe 2,1 2,2 4,2 3,8 4,4 -13,0 -12,2 -11,5 -10,6 -9,1 Tunisie 2,3 2,3 0,5 2,5 3,3 -6,8 -4,9 -4,8 -4,8 -3,9 Djibouti 5,0 6,0 6,5 7,0 7,1 -5,9 -12,0 -14,1 -12,5 -3,7 Jordanie 2,8 3,1 2,5 3,5 3,8 -11,4 -9,1 -4,1 -2,8 -2,0 Liban 0,9 2,0 2,0 2,5 2,5 -9,4 -6,6 -7,2 -7,9 -10,1 Maroc 4,4 2,6 4,7 2,7 4,0 -5,6 -4,9 -4,6 -3,7 -3,0 Cisjordanie & Gaza 2,2 -0,4 2,9 3,9 3,7 -12,6 -12,5 -11,9 -13,8 -13,0 Source : Banque mondiale. Note : Les prévisions des taux de croissance pour 2016 et 2017 sont fondées sur l’hypothèse d’un règlement de paix dans les pays en guerre et d’une ouverture de l’Iran. Les données pour l’Égypte correspondant à l’exercice budgétaire. « p » et « e » signifient « prévisions » et « estimations », respectivement. Il manque des données et des prévisions pour le Yémen et la Syrie. Il convient donc d’être prudent en comparant les moyennes régionales dans le temps. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 9 LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA GUERRE Comme indiqué à la section précédente, les résultats médiocres enregistrés dernièrement par plusieurs économies de la région MENA et leurs perspectives maussades sont en partie dus aux guerres civiles qui ont semé la mort et la destruction et freiné considérablement la croissance tant dans les pays en conflit que chez leurs voisins. Dans cette section, nous allons étudier les différentes voies par lesquelles les guerres civiles touchent les économies de la région, y compris les déplacements forcés de population qui ont créé une situation de crise. Dans la section suivante, nous verrons comment les situations économiques se retourneront si la paix revient. Selon une étude de Collier (1999), le taux de croissance des pays est généralement inférieur de 2,2 points de pourcentage pendant une guerre civile par rapport au taux observé en temps de paix. À l’issue d’une guerre civile durant typiquement sept ans, les revenus sont environ 15 % moins élevés que le niveau qu’ils auraient atteint si la guerre n’avait pas éclaté, ce qui implique une hausse de 30 % de l’incidence de la pauvreté absolue. Le manque à gagner total pendant le conflit s’élève à 60 % du PIB d’une année. Hoeffler et Reynal-Querol (2003) montrent qu’une guerre civile de cinq ans réduit le taux de croissance annuel moyen de plus de 2 points de pourcentage et fait progresser le taux de mortalité infantile d’environ 2 % par an. Dans une autre étude, Stewart, Huang et Wang (2001) ont conclu que sur un échantillon de 14 pays ayant connu une période de guerre civile, le taux de croissance moyen du PIB par habitant s’était établi à - 3,3 %. Ils ont constaté en outre que sur 16 pays en conflit, 15 avaient vu leur revenu par habitant baisser, que la production alimentaire avait chuté dans 13 pays sur 17, et que la dette extérieure en pourcentage du PIB avait augmenté dans tous les pays étudiés touchés par un conflit. La structure des échanges commerciaux avait changé dans 12 pays sur 18, et la croissance des exportations avait ralenti. Ces estimations mondiales semblent valables aussi pour la région MENA. Quatre années de guerre civile en Syrie et l’escalade du conflit avec ISIS en Irak après 2014 ont généré un coût élevé du point de vue du manque à produire. En appliquant un modèle d’équilibre général multi-pays, Ianchovichina et Ivanos (2014) ont quantifié les coûts de la guerre en Syrie et de ses retombées sur les cinq pays voisins : la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Irak et l’Égypte. Les résultats montrent que ces coûts ont approché les 35 milliards d’USD de manque à produire, mesurés en prix 2007, soit l’équivalent du PIB de la Syrie en 2007.4 Les pays les plus touchés par la guerre, à savoir la Syrie et l’Irak, ont supporté la plus grande part des coûts économiques directs. Par ailleurs, ils n’ont pas pu bénéficier des avantages procurés par une intégration économique plus formalisée 4 Ce chiffre ne prend même pas en compte les coûts budgétaires de la fourniture de services de base aux réfugiés dans les pays d’accueil, ni la mise en place des infrastructures afférentes. Ces coûts pourraient être élevés pour le Liban, la Jordanie et la Turquie, les trois pays qui ont accueilli le plus de réfugiés (voir la section suivante). Il est probable aussi que les coûts futurs découlant du grand nombre de morts et de la reconstitution du capital physique et humain disparu seront très élevés, surtout en Syrie. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 10 avec leurs voisins. D’après les simulations de Ianchovichina et Ivanos, la Syrie et l’Irak ont vu leur revenu par habitant diminuer en termes constants de 23 % et de 28 % par rapport aux niveaux qui auraient pu être atteints si la guerre n’avait pas éclaté. Les coûts directement imputables à la guerre sont une réduction de 14 et 16 % du PIB par habitant pour la Syrie et l’Irak, respectivement. L’embargo commercial sur la Syrie a été un important facteur ayant contribué aux coûts directs, suivi de la baisse de la population active et de son niveau de qualification du fait des pertes de vies humaines et de l’exode des réfugiés, de la destruction des infrastructures et de l’augmentation du coût des opérations économiques dans les zones de conflits. La guerre en Syrie a eu des répercussions sur le niveau de vie des pays voisins, avec des revenus moyens par habitant estimés à 1,1 % de moins au Liban et à 1,5 % de moins en Turquie, en Égypte et en Jordanie par rapport aux niveaux qui auraient pu être obtenus si la guerre avait été évitée. Pour l'Égypte, la Jordanie et la Turquie, les coûts d’opportunité de l’intégration commerciale non réalisée sont plus élevés que les coûts directs. Au Liban, on estime que la croissance du PIB réel a baissé de 2,9 points de pourcentage chaque année entre 2012 et 2014. Cette dégradation a fait basculer plus de 170 000 Libanais dans la pauvreté et multiplié par deux le taux de chômage qui a dépassé les 20 %, la plupart des chômeurs étant des jeunes non qualifiés (Banque mondiale, 2013). En Syrie, presque tous les secteurs économiques ont été touchés mais l’immobilier l’a été davantage que les autres : en effet, la demande foncière a chuté suite au départ d’innombrables réfugiés ayant quitté le territoire. Au Liban et en Turquie, en revanche, les propriétaires fonciers et les chefs d’entreprise y ont peut-être gagné, mais les travailleurs y ont perdu car l’arrivée des réfugiés syriens a gonflé la demande locale de biens et de services, d’où une hausse des prix, et augmenté le réservoir de main-d’œuvre, provoquant une baisse des salaires. DOMMAGES MATÉRIELS Outre le manque à produire dû à l’interruption des échanges et au déplacement des facteurs de production, les guerres civiles provoquent des dégâts directs au stock de capital physique d’un pays. Les dommages causés aux infrastructures dans les pays en guerre comme la Syrie, l’Irak, la Libye et le Yémen sont toutefois difficiles à évaluer car on a peu accès aux données, aux informations et aux sites endommagés en période de conflit, et la situation évolue fréquemment. La difficulté réside aussi dans le fait que l’on peut obtenir des résultats divergents selon les hypothèses et les méthodes d’estimation appliquées. Deux méthodes couramment employées sont : i) un calcul basé sur différents modèles économiques pour estimer l’effet des dommages au stock de capital ; ii) la somme des données et informations sur les dommages effectivement causés aux infrastructures ou aux structures architecturales sur le terrain. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 11 Il existe différentes estimations des dégâts provoqués par la guerre en Syrie, au Yémen, en Irak et en Libye, appliquant des modèles économiques et utilisant les statistiques disponibles. Le Centre syrien pour la recherche politique a estimé les dommages matériels à 72 milliards d’USD en Syrie entre 2011 et fin 2014. Selon une étude, les besoins d’infrastructures de la Libye sont estimés à 200 milliards d’USD sur les dix prochaines années. À plusieurs endroits en Syrie, au Yémen et en Irak, la Banque mondiale a tenté d’évaluer les dégâts causés aux infrastructures en faisant le total des données et informations relatives aux dommages réels, en utilisant différents types de sources de données comme l’imagerie par satellite, les médias sociaux, les informations publiques existantes et les données des organismes humanitaires partenaires. En ce qui concerne la Syrie, l’évaluation provisoire réalisée dans six villes – Alep, Dar’a, Hama, Homs, Idlib et Lattaquié – et sept secteurs – logement, santé, éducation, énergie, eau et assainissement, transports et agriculture – a porté sur les dégâts provoqués jusqu’à la fin 2014. Le total des dommages pour les six villes est estimé entre 3,6 et 4,5 milliards d’USD. Alep est la ville la plus touchée avec environ 40 % des dommages estimés, tandis que Lattaquié est la moins touchée, même si les infrastructures et les services de cette dernière sont soumis à une pression croissante du fait de l’augmentation du nombre de déplacés internes dans la ville. Cette évaluation révèle que les dégâts causés aux logements sont de loin les plus importants puisqu’ils représentent plus de 65 % du total. Pour ce qui est du Yémen, la Banque mondiale a entrepris une évaluation du même type avec la collaboration d’agences des Nations Unies, l'Union européenne, la Banque islamique de développement, et les autorités du pays. La conflit a commencé à se propager dans une grande partie du pays après mars 2015. Les estimations préliminaires, basées sur les données au 31 octobre 2015, montrent les dommages causés dans quatre villes – Sanaa, Aden, Taïz et Zinjibar – et six secteurs – éducation, énergie, santé, logement, transports, et eau et assainissement – s’établiraient entre 4,0 et 5,0 milliards d’USD. Le secteur le plus touché est le logement, et d’importants dégâts ont été infligés aux installations de santé. En Irak, la Banque mondiale a réalisé une évaluation rapide des dommages pour quatre villes libérées d’ISIS dans les quatre secteurs clés de l’eau et l’assainissement, des transports, des bâtiments publics et des services municipaux, et du logement. Le total des dommages pour ces secteurs est estimé entre 362,5 et 443 millions d’USD. Ces évaluations donnent une idée de la situation difficile des populations qui restent ou qui sont piégées dans les zones de conflit. Concernant la Syrie, l’évaluation de la Banque mondiale pointe la situation désastreuse du secteur de la santé en raison des infrastructures endommagées, de la pénurie de fournitures et du manque de professionnels de santé. Depuis les hôpitaux jusqu’aux Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 12 pharmacies, environ un tiers des 780 structures de santé basées à Alep, Dar’a, Hama, Homs, Idlib et Lattaquié ont été endommagées. Sur les six villes, Alep a le plus souffert : elle représente 48,4 % du total des dommages évalués pour les installations médicales. Le coût total des dommages aux infrastructures de santé pour les six villes est estimé entre 203 et 248 millions d’USD à fin 2014. Pendant l’année 2015, un plus grand nombre d’attaques ayant touché des installations médicales ont été signalées. Selon les informations les plus récentes de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), plus de 50 % des hôpitaux sont soit complètement détruits, soit fonctionnent partiellement à cause des destructions. Non seulement les infrastructures ont été gravement endommagées, mais le volant de personnel s’est considérablement réduit car les professionnels de santé ont fui les conflits, entraînant une pénurie alors que les besoins médicaux sont en hausse – conséquence directe de ces mêmes conflits. Concernant le secteur de l’éducation en Syrie, l’évaluation de la Banque mondiale révèle qu’il existait 1 417 établissements allant de l’école maternelle à l’université dans six villes et que 14,8 % d’entre eux, principalement des établissements primaires et secondaires, ont subi des dégâts. Le coût total de la composante infrastructures du secteur éducatif, pour l’ensemble des six villes, est estimé entre 101 et 123 millions d’USD à fin 2014. Dans la mesure où la Syrie comptait au total plus de 16 000 établissements primaires et secondaires, les dommages sur l’ensemble du territoire seraient très élevés. Une autre étude réalisée par les Nations Unies montre qu’en plus du problème d’avoir plus de 20 % des établissements modérément à totalement endommagés, 18 % des établissements scolaires étaient occupés par des déplacés internes et n’avaient plus d’activités d’enseignement. L’estimation de la CESAO présente une image légèrement différente de la composition sectorielle des dommages puisqu’elle a analysé également tous les secteurs concernés. Le bâtiment et la construction ont subi le plus de dégâts, à savoir 32 %, suivis du secteur manufacturier (18 %) et des secteurs des services (9 %). Pour la Syrie, la plupart des évaluations des dommages, y compris celles de la Banque mondiale, ont été réalisées jusqu’à fin 2014 et aucune évaluation systématique n’a été effectuée durant l’année 2015, alors que davantage de dommages ont été signalés en 2015 par rapport aux années précédentes. Les dégâts causés aux infrastructures ont augmenté en 2015 et les services publics se sont encore détériorés. Selon un rapport d’une agence des Nations Unies, sur les seuls mois de juin, juillet et août 2015, les structures de santé ont été attaquées plus de 70 fois, empêchant beaucoup de patients d’accéder à ces centres. La situation s’est encore dégradée à cause des pénuries actuelles de carburant et d’électricité. Environ les deux tiers de la population s’approvisionnait en eau auprès de sources présentant un risque sanitaire moyen à élevé. À Alep, Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 13 une usine d’épuration des eaux a été gravement endommagée par des raids aériens le 26 novembre 2015, privant d’eau 1,4 million de personnes demeurant dans les environs d’Alep. DOMMAGES HUMAINS Les besoins humanitaires dans les pays en conflit sont évalués par des agences des Nations Unies qui sollicitent la communauté internationale face aux crises en mettant en évidence les besoins dans différents secteurs tels que la protection, l’eau et l’assainissement, la santé, l’alimentation, l’éducation, le logement, etc. D’après l’évaluation des Nations Unies, la Syrie compte environ 13,5 millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire, dont 8,7 millions sont en situation d’urgence et environ 4,5 millions se trouvent dans les zones difficiles à atteindre (tableau 2). Les agences des Nations Unies estiment qu’il faudrait autour de 3,18 milliards d’USD pour répondre aux besoins humanitaires. Pour le Yémen, le nombre estimé de personnes ayant besoin d’assistance dans divers secteurs atteindrait 21,1 millions, soit 86 % de la population, et le coût estimé de l’aide humanitaire s’élèverait à 1,6 milliard d’USD pour 2015. Pour la Libye, le nombre total de personnes ayant besoin d’assistance humanitaire est de 2,44 millions, et le dernier montant demandé s’élève à 166 millions d’USD. Quant à l’Irak, les Nations Unies estiment que 8,2 millions de personnes ont besoin d’assistance et que l’aide humanitaire coûterait 704 millions d’USD. Les conflits et les violences qui perdurent ont fait reculer de plusieurs années le niveau d’études en Syrie, au Yémen, en Irak et en Libye. Les estimations des Nations Unies montrent que plus de 13 millions d’enfants ne sont pas scolarisés dans ces pays (graphique 5). Rien qu’en Syrie, le secteur éducatif est en train de se désintégrer et voit disparaître les progrès réalisés en direction des objectifs du Millénium pour le développement (OMD). La guerre civile a empêché plus de la moitié (50,8 %) des enfants d’âge scolaire d’aller à l’école en 2014-2015, et près de la moitié de tous les enfants ont déjà perdu trois ans d’études. D’après les estimations de l’UNICEF, plus de la moitié de la population en Syrie (environ 13,5 millions de personnes) ont besoin de protection et d’aide humanitaire, dont 6 millions d’enfants, tandis que 8,7 millions de personnes ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins alimentaires élémentaires (tableau 2). Environ les deux tiers de la population syrienne actuelle n’a pas accès à de l’eau potable. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 14 Graphique 5. Situation de l’éducation Enfants non scolarisés (millions) 3.5 3 2.5 2 1.5 1 0.5 0 Syria Syrie Enfants Syriansyriens refugee Iraq Irak Libya Libye Yemen Yémen réfugiés en Turquie, children in lebanon, Turkey, Irak, Jordanie, et Iraq jordan, Égypte and au Liban Egypt Source : HCR. Le Yémen est confronté à de graves pénuries de produits élémentaires comme l’eau, l’électricité, les médicaments et les carburants. Les estimations montrent que plus de 21,1 millions de personnes ont besoin d’aide en matière de nourriture, de logement, de soins de santé et d’eau. La moitié sont des enfants et plus de 10 % sont des personnes déplacées dans leur propre pays (« déplacés internes ») (graphique 7). En outre, la forte hausse des prix des produits alimentaires conjuguée à la perte d’emplois et au manque de possibilités de travail a fait progresser la pauvreté et la malnutrition dans les groupes les plus vulnérables. Plus de 3,4 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, soit l’équivalent de 47 % du total des enfants d’âge scolaire au Yémen, car la majorité des établissements sont fermés ou occupés par des déplacés internes ; il est donc difficile de maintenir les cours. Dans les gouvernorats où les établissements scolaires fonctionnent, les taux d’inscription et de fréquentation sont faibles (entre 30 et 70 %) à cause des problèmes de sécurité. Par exemple, dans le gouvernorat de Raima et dans certains districts de celui de Hajjah, un certain nombre d’établissements (plus de 10) restent fermés à cause du manque d’enseignants. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 15 Tableau 2. Estimation de la population touchée en Syrie Total des personnes en difficulté * 13 500 000 Enfants en difficulté (moins de 18 ans) 6 000 000 Population déplacée totale* 6 500 000 Enfants déplacés 2 800 000 Personnes se trouvant dans des zones difficiles à 4 490 000 atteindre Enfants se trouvant dans des zones difficiles à Jusqu’à 2 millions d’enfants atteindre Personnes se trouvant dans des zones assiégées 360 000 (*) chiffres révisés en novembre 2015. Les chiffres sur les enfants sont basés sur l’estimation d’une population composée à 44,9 % d’enfants de moins de 18 ans. Source : UNICEF 2015. En dehors de la Syrie et du Yémen, les effets sur le capital humain sont les plus graves en Irak, en Libye et dans d’autres pays accueillant des réfugiés. En Irak, près de 2 millions d’enfants ne sont pas scolarisés et 1,2 million supplémentaire d’enfants de 5 à 14 ans sont exposés à un risque de déscolarisation. Il s’agit d’enfants des communautés d’accueil, déplacés, ou réfugiés de Syrie. D’après les estimations de l’UNICEF, un million d’enfants sont déplacés, dont 70 % ont déjà perdu une année entière d’études. Sur l’ensemble du territoire national, plus de 5 300 établissements, soit près d’un sur cinq, ont été détruits, endommagés ou convertis en hébergements pour des familles déplacées. Dans le nord de l’Irak, près de 14 000 enseignants ont été contraints de fuir les violences. En Libye, les violences ont déplacé quelque 300 000 enfants et un cinquième des déplacés internes d’âge scolaire n’ont pas accès à l’éducation. En Jordanie, au Liban et en Turquie, plus de 700 000 enfants réfugiés syriens ne peuvent pas poursuivre leurs études parce que les infrastructures éducatives actuelles sont incapables d’absorber la charge supplémentaire ou, dans le cas de la Turquie, à cause de la barrière de la langue. CRISE DES DÉPLACEMENTS FORCÉS Non seulement les guerres civiles ont provoqué d’innombrables dommages matériels et humains, mais elles ont généré la pire crise de déplacements forcés depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 12 millions de Syriens – la moitié de la population en 2010 – ont été déplacés sur le territoire national et à l’extérieur (graphique 6). Deux tiers d’entre eux sont des déplacés internes. Ils sont confrontés à différentes difficultés, parmi lesquelles des incidents de sécurité Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 16 mettant leur vie en péril, une détérioration des moyens de subsistance et un manque d’accès à des produits et services de base. Les 4,3 millions d’autres déplacés ont fui vers les pays voisins et l’Europe. Ils comprennent 2,1 millions de réfugiés enregistrés en Égypte, en Irak, en Jordanie et au Liban – dont 80 % accueillis au Liban et en Jordanie – et le reste en Turquie (tableau 3). Le Liban compte le plus grand nombre de réfugiés par rapport à sa population (232 pour mille). D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 813 599 Syriens ont demandé l’asile en Europe, principalement en Allemagne, en Suède, en Hongrie et en Autriche. Graphique 6. Nombre estimé de réfugiés et de déplacés internes (milliers) 16,000 Thousands 14,000 12,000 10,000 8,000 6,000 4,000 [Grab your reader’s attention with a 2,000 great quote from the document or use this space to emphasize a key - point. To place this text box Total des réfugiés Total refugeeset and personnes people à internes in Déplacés assimilées refugee- IDPsprotégés/aidés par le HCR, protected/ assisted y compris by UNHCR, anywhere des réfugiés on the page, like situations just drag personnesit.] assimilées à des déplacés internes incl. people in IDP-like situations Rép. arabe Syrian Arab Rep. Irak Iraq Yémen Yemen Libya Libye syrienne Source : HCR, Organisation internationale pour les migrations, autorités nationales et ONG, 27 mars jusqu’à aujourd’hui. L’Irak compte environ 4 millions de déplacés internes et le nombre d’Irakiens cherchant refuge dans d’autres pays est en hausse. L’escalade des conflits dans les gouvernorats du centre de l’Irak et la dégradation des conditions de sécurité ont entraîné de nouveaux déplacements et des mouvements secondaires de déplacés dans le centre de l’Irak et dans le Kurdistan irakien (tableau 4). Le HCR estime que le nombre d’Irakiens dans une situation préoccupante dépasse probablement les 3 millions de personnes. Les pays frontaliers des zones de conflit, dont beaucoup se trouvent déjà dans des situations précaires, sont soumis à une pression budgétaire considérable. D’après des estimations gouvernementales, chaque réfugié accueilli coûte à l’État jordanien 3 750 USD (2 500 dinars) par an.5 L’arrivée de plus de 630 000 réfugiés syriens coûterait donc à la Jordanie plus de 2,5 milliards 5 Ministère jordanien de l’Intérieur. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 17 d’USD par an. Ce montant représente 6 % du PIB et un quart des recettes publiques annuelles – un poids colossal pour le budget. De ce fait, la dette publique s’accumule rapidement : elle est estimée à 90 % du PIB en 2015. Tableau 3. Nombre de réfugiés syriens dans les pays voisins (décembre 2015) Pays d’accueil Nombre total de Réfugiés % du total des Syriens estimé enregistrés réfugiés enregistrés Liban 1 500 000 1 070 189 24,5 Jordanie 1 400 000 632 762 14,5 Turquie 2 750 000 2 291 900 52,5 Irak 250 000 244 527 5,6 Égypte 260 000 127 681 2,9 Nombre total de personnes 6 610 000 4 393 831 100 Source : HCR. Note : Le nombre total de Syriens estimé correspond aux estimations du Gouvernement et comprend les réfugiés syriens enregistrés et non enregistrés ainsi que les Syriens résidant dans les pays d’accueil dans le cadre d’autres dispositifs juridiques. Au Yémen, le nombre de déplacés internes a été multiplié par cinq depuis que le conflit a éclaté en mars 2015, pour dépasser les 2,5 millions de personnes, soit 10 % de la population, en décembre 2015 (graphique 7). La plupart des déplacés internes viennent d’Aden, d’Al Dhale et de Saada. Dans certaines zones, plus de 30 % des foyers déplacés ont une femme pour chef de famille, une augmentation de 9 % par rapport à avant la crise. Le nombre de réfugiés est aussi en hausse depuis la crise. Les estimations montrent que plus des trois quarts des réfugiés yéménites ont fui vers Oman, l’Arabie saoudite et Djibouti. Dans le même temps, le pays accueille des réfugiés venant principalement de Somalie et d’Éthiopie. Des conflits intérieurs, notamment des affrontements tribaux, continuent de générer de nouveaux déplacements. La crise en Libye a conduit beaucoup de Libyens à fuir en Tunisie, bien que leur nombre exact soit mal connu car les Libyens traversaient la frontière depuis longtemps pour le commerce ou pour d’autres motifs. Selon les autorités locales et les organisations non gouvernementales (ONG), la Libye compte aussi 435 000 déplacés internes. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 18 Tableau 4. La crise des réfugiés en Irak Origine Janvier 2015 Décembre 2015 Total dans le pays Total dans le pays Refugiés Palestiniens 12 000 12 400 Rép. arabe syrienne 310 000 400 000 Turquie 16 000 16 600 Divers 8 300 8 550 Personnes assimilées à des réfugiés Divers 2 000 1 500 Demandeurs d’asile Rép. islamique d’Iran 6 000 5 500 Rép. arabe syrienne 1 200 1 200 Turquie 1 400 1 500 Divers 800 800 Retours d’anciens réfugiés durant Irak 40 000 35 000 l’année Déplacés internes Irak 1 500 000 1 400 000 Retours d’anciens déplacés internes Irak 100 000 90 000 durant l’année Apatrides Apatrides 50 000 46 000 Total 2 047 700 2 019 050 Source : HCR Graphique 7. La crise des déplacés internes au Yémen 3,000,000 2,509,062 2,500,000 2,000,000 1,500,000 1,000,000 Juin 2015 500,000 296,793 546,000 - Jan-10 Nov-10 Sep-11 Jul-12 May-13 Mar-14 Jan-15 Nov-15 Source : Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 19 CONDITIONS DE VIE DES RÉFUGIÉS ET DES DÉPLACÉS INTERNES Les données du HCR montrent que la moitié des réfugiés syriens sont en âge de travailler (18- 64 ans, dont la moitié de femmes), et étaient économiquement actifs en Syrie avant la crise. Les enfants de moins de 17 ans représentent environ 47 % des réfugiés. Les taux de chômage sont élevés, surtout chez les femmes où il est de 68 %. Quant aux autres, compte tenu des difficultés à obtenir des permis de travail dans les pays d’accueil, beaucoup travaillent dans le secteur informel sans aucune protection. Selon une enquête récente de l’Organisation internationale du travail (OIT), environ 92 % des réfugiés syriens au Liban n’ont pas de contrat de travail et plus de la moitié d’entre eux sont embauchés de manière saisonnière, à la semaine ou à la journée, pour des salaires minimes. Les réfugiés syriens sont extrêmement vulnérables. Une étude réalisée récemment par le HCR, l’UNICEF et le PAM basée sur une évaluation de plus de 4 000 ménages réfugiés au Liban montre que près de la moitié des réfugiés sont endettés et 39 % des personnes interrogées ne pouvaient se payer des soins médicaux. Seulement 12 % des ménages interrogés avaient accès à des soins de santé primaires gratuits. Les estimations du HCR indiquent que 7 réfugiés syriens enregistrés sur 10 vivant en Jordanie ou au Liban sont considérés comme pauvres. Ce pourcentage passe à 9 réfugiés sur 10 si l’on utilise les seuils de pauvreté respectifs des pays d’accueil (Verme et al., 2015). Le taux de pauvreté des réfugiés syriens est plus élevé en Jordanie qu’au Liban. En Jordanie, les données montrent aussi que la pauvreté chez les réfugiés a progressé de plusieurs points de pourcentage entre 2013 et 2015 (graphique 8). Graphique 8. Conditions de vie des réfugiés syriens au Liban et en Jordanie 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Live below Vivent poverty en dessous Shelters Live in dans Vivent Share accomodation Partagent un Pas deNo heating chauffage School age Enfants children d’âge line du seuil de des abris logement withdrawn scolaire non pauvreté scolarisés Ménages Syrian syriens refugee réfugiés households en Jordanie in Jordan refugeesyriens Ménages Syrian réfugiés households au Liban in Lebanon Source : HCR. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 20 Le Yémen est confronté à une crise de pauvreté croissante. Avant la guerre, plus de la moitié de la population était en situation d’extrême pauvreté (en dessous de 1,90 USD par jour) et plus de la moitié des jeunes étaient sans emploi. Ces chiffres ont augmenté depuis la guerre et plus de 20 millions d’habitants sont aujourd’hui considérés comme pauvres, soit 80 % de la population yéménite, dont plus de 15 millions n’ont pas accès à des structures de santé et des soins médicaux. En l’absence de camps organisés pouvant accueillir les milliers d’habitants qui partent de chez eux, les déplacés sont hébergés dans 260 établissements scolaires, privant ainsi d’enseignement 13 000 enfants. Selon l’OCHA, 1,8 million d’enfants supplémentaires n’ont plus la possibilité de recevoir une instruction car plus de 3 500 établissements scolaires sont fermés sur l’ensemble du territoire national. S’y ajoutent les 1,6 million estimés d’enfants qui n’avaient pas accès à des établissements scolaires avant mars. Depuis l’escalade des violences, plus de 537 000 enfants (un huitième des enfants de moins de cinq ans) seraient exposés au risque d’une malnutrition sévère. Ces problèmes sont exacerbés par la hausse des prix qui a déjà réduit l’accès à la nourriture et à l’eau potable, aux services publics de base et à des moyens de subsistance (voir la section sur les dommages humains). LES EFFETS ÉCONOMIQUES DE LA PAIX Les dommages économiques provoqués par les guerres civiles peuvent-ils réparés ? Si les conflits dans la région MENA prennent fin, les indicateurs macroéconomiques s’amélioreront du fait de la restauration de la paix, de la hausse des investissements et du démarrage des activités de reconstruction. Les indicateurs sociaux progresseront également avec la croissance et grâce aussi à la réorientation vers l’éducation et la santé de ressources publiques affectées à des dépenses militaires (tableau 5). Mais le rythme et l’évolution du relèvement économique à court terme sont en général chaotiques car les pays sortant de conflit héritent d’une économie affaiblie, d’un capital physique, humain et social endommagé, d’une pauvreté omniprésente et d’un chômage élevé, en particulier chez les jeunes. L’expérience semble montrer que si le redressement économique et le dividende de la croissance ont été là immédiatement dans certains pays sortant de conflit, cela a pris plus de temps dans d’autres cas (tableau 6). Ainsi, dix ans après la fin du conflit, le revenu par habitant de l’Ouganda n’avait pas retrouvé son niveau du début des années 70. Collier (1999) constate l’existence d’un effet de « rémanence » de la guerre et que certains pays continuent d’afficher une croissance faible après la guerre. Ce phénomène s’explique par le fait que le capital physique et humain a subi de lourdes pertes et que certaines compétences deviennent rares car les personnes en âge de travailler fuient la guerre et les violences ou sont déplacées dans le pays. De plus, le passage de la guerre à la paix ne tient parfois qu’à un fil pouvant être brisé. Les estimations montrent qu’il y a 39 % de probabilités qu’un règlement de Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 21 paix échoue dans les cinq premières années, et 32 % de probabilités qu’il échoue dans les cinq années suivantes (Collier et Hoeffler, 2004). L’Angola, le Burundi, la République démocratique du Congo, l’Indonésie, le Libéria, le Rwanda, la Sierra Leone et Sri Lanka, entre autres, ont tous connu un regain de violences après la signature d’accords de paix par les parties en conflit. Le rythme du redressement économique à moyen terme dépend dans une certaine mesure de la richesse du pays en ressources naturelles. Sab (2014) analyse la rapidité avec laquelle trois pays de la région MENA se sont relevés de conflits : le Liban en 1975, le Koweït en 1990 et l’Irak en 2003. Les résultats montrent que la structure du PIB (pays pétrolier ou non pétrolier), la durée de la guerre et l’aide de la communauté internationale contribuent pour beaucoup à déterminer la vitesse du redressement après la guerre. Tableau 5. Indicateurs sociaux dans différents pays ayant été touchés par un conflit Avant Pendant Après le conflit le conflit le conflit (taux de variation annuels moyens) Espérance de vie à la naissance, total (ans) 0,4 -0,5 0,4 Taux de mortalité infantile (pour 1000 naissances vivantes)* 3,8 0,6 0,0 Taux brut de scolarisation dans le primaire ... -2,6 3,2 Taux brut de scolarisation dans le secondaire ... -1,1 2,1 Taux brut de scolarisation dans le supérieur ... -1,5 2,1 Dépenses d’éducation (croissance réelle par habitant, médiane) ... -4,3 5,4 Dépenses de santé (croissance réelle par habitant, médiane) ... -8,6 5,1 Sources : FMI (2002). * Le taux de variation annuel moyen indique le taux d’amélioration de la mortalit é infantile. Note : L’analyse se fonde sur un ensemble de données disponibles pour 45 pays, dont environ les deux tiers non touchés par des conflits et le terrorisme, et utilise des moyennes sur cinq ans de données annuelles entre 1980 et 1999. L’échantillon comprend tous les pays touchés par des conflits armés et à revenu faible ou intermédiaire (tranches inférieure et supérieure). Les catégories de revenu sont basées sur les critères de la Banque mondiale (niveau du PIB par habitant de 1998). Pour les pays à faible revenu, 760 USD ou moins ; pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, entre 761 et 3 030 USD ; et pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, entre 3 031 et 9 360 USD. L’étude indique que la croissance du PIB réel a repris lentement dans les pays importateurs de pétrole par rapport aux exportateurs de pétrole. Au Liban, il a fallu attendre 20 ans après la fin de la guerre pour que le PIB réel soit restauré, tandis que le PIB réel par habitant est demeuré très en dessous de son niveau d’avant la guerre. La croissance du PIB réel a mis sept ans au Koweït, et seulement un an en Irak, pour retrouver ses niveaux d’avant les conflits. La principale raison des différentes vitesses de relèvement est que dans les pays riches en pétrole, la production pétrolière repart rapidement car, par rapport à d’autre secteurs d’activité, les gisements pétroliers peuvent être activés dans des délais assez brefs après la guerre. Un Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 22 règlement de paix en Syrie, en Irak, en Libye et au Yémen pourrait donc entraîner un rapide rebond de la production et des exportations pétrolières, permettant à ces pays de disposer d’un plus grand volant budgétaire, d’améliorer la balance des paiements courants, d’accroître les réserves de devises, et de stimuler la croissance économique à moyen terme. Le dividende de la démocratie. Les guerres civiles, ainsi que de nombreux conflits de la région MENA, sont partis de soulèvements populaires qui visaient, entre autres, à amener plus de démocratie dans ces pays. Bien que les guerres qui en ont résulté aient sapé la croissance, il faut se demander si, une fois les conflits calmés, une transition pacifique vers la démocratie dopera la croissance économique. La réponse à cette question n’est pas évidente car la relation entre la démocratie et la croissance économique est à double sens. Tableau 6. Croissance annuelle moyenne du PIB par habitant dans différents pays (%) Date de début et de Avant le Durée du Pendant Nbre années Après le fin de conflit conflit (%) conflit le conflit depuis la fin conflit (années) (%) du conflit (%) Afghanistan 1978-2001 2,6 24 -6,5 6 10,4 Angola 1975-2002 3,4 28 -1,3 5 11,8 Azerbaïdjan 1991-1994 -2,2 4 -17,8 13 9,4 Bosnie-Herzégovine 1992-1995 -11,9 4 3,6 12 10,5 Cambodge 1970-1991 … 22 -4,0 16 4,8 Tchad 1965-1990 … 26 -0,3 17 2,3 Congo – Rép. dém. 1996-2001 -4,0 6 -5,2 6 2,6 Croatie 1991-1993 … 3 -12,9 13 4,5 Éthiopie 1974-1991 1,1 18 -0,9 16 2,3 Géorgie 1991-1993 2,4 4 -26,4 13 7,7 Liban 1975-1990 0,0 16 -5,0 17 3,7 Libéria 1989-2003 -2,0 15 -9,3 4 2,8 Mozambique 1976-1992 1,6 17 -1,4 15 5,3 Rwanda 1990-1994 0,7 5 -8,4 13 4,0 Îles Salomon 1998-2003 0,3 6 -5,7 4 3,2 Sierra Leone 1991-2001 -0,1 11 -7,3 6 8,0 Tadjikistan 1992-1997 -2,3 6 -15,2 10 7,1 Ouganda 1979-1991 -1,0 13 -2,0 16 2,9 Burundi 1991-2002 1,8 12 -2,9 5 0,4 Congo, Rép. du 1993-1999 2,1 7 -1,4 8 1,8 Côte d’Ivoire 2002-2003 -0,6 2 -3,2 4 -0,1 El Salvador 1979-1991 2,0 13 -2,5 16 1,9 Érythrée 1974-1991 1,1 18 -0,9 16 1,2 Guatemala 1965-1995 … 30 0,9 12 0,6 Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 23 Guinée-Bissau 1998-1999 0,4 2 -13,2 8 -3,2 Haïti 1991-1995 -0,3 5 -4,9 12 -0,1 Namibie 1973-1989 -2,8 17 -1,0 18 1,6 Nicaragua 1978-1990 1,7 13 -6,8 17 0,8 Papouasie-N.-Guinée 1989-1996 0,7 8 1,7 11 -1,2 Source : PNUD 2008. Toutefois, certaines données récentes et fiables attestent que, sur le long terme, la croissance économique s’améliore sensiblement après le passage d’une non-démocratie à une démocratie. En utilisant un échantillon mondial, Acemoglu et al. (2015) concluent que les démocratisations augmentent le PIB par habitant en encourageant l’investissement, la scolarisation, les réformes économiques, la fourniture de biens publics et en réduisant les troubles sociaux. Leurs résultats suggèrent qu’en passant d’une non-démocratie à une démocratie, le pays moyen atteint un niveau de PIB par habitant environ 20 % supérieur sur le long terme, à savoir environ 30 ans. D’après l’indice Polity, la région MENA est la région la moins démocratique du monde (graphique 9).6 Cela amène naturellement à se demander comment la trajectoire de croissance évoluerait dans cette région en cas de transition permanente vers la démocratie. Outre la démocratie électorale, les manifestants du Printemps arabe réclamaient davantage de liberté économique. La sécurité des droits de propriété – permettant aux entreprises et aux entrepreneurs d’investir dans des activités économiques et de créer des emplois sans craindre de perdre leurs investissements – est un indicateur de liberté économique couramment employé. Nous analysons donc l’évolution prévisible de la croissance avec une augmentation de la liberté économique dans la région MENA, que nous définissons ici comme le fait pour les droits de propriété de passer au-dessus de la médiane mondiale en partant d’un niveau inférieur à cette médiane. En fait, nous utilisons deux mesures de la liberté économique – le profil d’investissement de l’ICRG et l’indice de liberté économique de Fraser – bien qu’ils produisent pratiquement les mêmes résultats. 6 L’indice composite Polity va de -10 pour les régimes les moins démocratiques à +10 pour les régimes les plus démocratiques. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 24 Graphique 9. Évolution de la démocratie 10 5 indice Polity moyen 0 -5 -10 60 65 70 75 80 85 90 95 00 05 10 15 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 année year MENA High income countries Pays à revenu élevé Other developing Autres pays countries en développement Source : indice Polity moyen (1960-2015) À partir des travaux d’Acemoglu et al. (2015), Kraay et Kiendrebeogo (2015) montrent qu’une transition permanente d’une non-démocratie vers la démocratie rehausse sensiblement la trajectoire de croissance de la région MENA (graphique 10). En prenant pour hypothèse que cette amélioration se soit produite en 2015, l’analyse indique que, cinq ans plus tard, le taux de croissance du PIB par habitant atteindrait 7,78 %, contre 3,33 % en l’absence de passage à la démocratie (annexe 1). L’effet d’une amélioration des droits de propriété (passage au-dessus de la médiane) est du même ordre de grandeur : un taux de croissance de 7,98 % en cinq ans. Il est évident que passer à la démocratie et à un degré de droits de propriété supérieur à la moyenne sera un processus difficile et parfois douloureux (comme nous l’avons vu). Mais les faits montrent que les gains pourraient être importants à long terme sur le plan de l’accélération de la croissance économique. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 25 Graphique 10. Effet de transitions permanentes sur la croissance 9 8 7 6 Pré 5 visi 4 ons 3 de 2 croi 1 ssa 0 nce -1 -2 -3 -4 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Year Année Counterfactual growth Trajectoire de croissance path contrefactuelle Growth path Trajectoire with aavec de croissance permanent transition une transition permanenteto democracy vers la démocratie Growth path Trajectoire with aavec de croissance permanent transition une amélioration to an permanente improved du profil investment profile d’investissement 9 8 7 6 5 Prévi 4 sions 3 de 2 crois 1 sanc 0 e -1 -2 -3 -4 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Year Année Counterfactual growth path Trajectoire de croissance contrefactuelle Growth path with a permanent transition to democracy Trajectoire de croissance avec une transition permanente vers la démocratie Growth Trajectoirepath with a permanent de croissance transition avec une amélioration to an improved permanente economic rights des droits économiques Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 26 ANNEXE Démocratie, droits de propriété et croissance dans la région MENA La présente note estime les effets d’une transition vers la démocratie et d’une amélioration des droits de propriété sur la croissance économique dans la région MENA. La démocratie est mesurée au moyen d’une variable muette définie par Acemoglu et al. (2015). Les droits de propriété sont mesurés par deux indices différents : l’indice de profil d’investissement de l’ICRG et l’indice de liberté économique de Fraser. La méthode empirique consiste à « augmenter » la spécification de référence figurant dans Acemoglu et al. (2015) avec un indicateur de droits de propriété. Acemoglu et al. (2015) ont réalisé une régression du PIB par habitant (log) par rapport à une variable muette de démocratie, en neutralisant les effets du PIB retardé par habitant, et d’ensembles complets d’effets fixes par pays et année. Les estimations sont basées ici sur des échantillons de 130 et 142 pays, respectivement, dans le cas où l’on utilise le profil d’investissement de l’ICRG et l’indice de liberté économique de Fraser. La période couverte est comprise entre 1984 et 2012. Les résultats sont présentés au tableau A1. Comme on pouvait s’y attendre, le PIB par habitant se maintient dans le temps, avec des coefficients de 0,932 (erreur type = 0,013) et 0,931 (erreur type = 0,021) pour le premier retard du log du PIB par habitant. Les coefficients positifs et significatifs de 0,880 (erreur type = 0,460) et 0,780 (erreur type = 0,470) pour la variable muette relative à la démocratie suggèrent que les pays ayant des régimes démocratiques ont généralement des PIB par habitant plus élevés, à niveau égal de droits de propriété. Ces coefficients impliquent qu’une transition permanente d’une non-démocratie à une démocratie est corrélée à des hausses du PIB par habitant de 1,69 % (erreur type = 0,89) et 1,50 % (erreur type = 0,90), après un an. À long terme, une telle transition permanente se traduit par des hausses du PIB par habitant de 12,96 % (erreur type = 7,06) et 11,38 % (erreur type = 8,26). Dans leur spécification de référence, Acemoglu et al. (2015) ont constaté un effet à long terme de la démocratie sur la croissance de 35,59 %, ce qui semble indiquer que leur variable muette de démocratie pourrait augmenter l’effet des droits de propriété sur la croissance. Une autre raison probable pouvant expliquer ces différences dans l’effet de la démocratie sur la croissance est le fait qu’Acemoglu et al. (2015) ont pu exploiter des variations plus importantes de la démocratie dans les pays pendant la période 1960-2010. Les droits de propriété sont aussi corrélés positivement au PIB par habitant, quelle que soit la nature du régime en place (démocratie ou non). Une amélioration permanente des droits de propriété (passage au-dessus de la médiane mondiale en partant d’un niveau inférieur à la médiane) est corrélée à des hausses du PIB par habitant de 1,76 % (erreur type = 0,46) pour le profil d’investissement de l’ICRG et de 1,60 % (erreur type = 0,70) pour l’indice de liberté économique de Fraser, un an après. L’effet de telles améliorations des droits de propriété sur la croissance à long terme s’élève à 13,52 % (erreur type = 3,72) et 12,13 % (erreur type= 5,42), Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 27 respectivement pour le profil d’investissement de l’ICRG et l’indice de liberté économique de Fraser. Les graphiques A1 et A2 tracent la courbe des effets cumulatifs de la démocratie et des droits de propriété sur la croissance ainsi que les effets correspondants sur la croissance à long terme durant les 15 premières années suivant les transitions initiales. Comme on peut le voir, les effets positifs de la démocratie et des droits de propriété sur la croissance se maintiennent dans le temps, même si leur ampleur va en décroissant. Dans les régressions, tous les pays de la région MENA, à l’exception d’Israël et de Malte, sont considérés être non démocratiques et en dessous de la médiane mondiale des indicateurs de profil d’investissement et de droits économiques. La question implicite est donc quelle serait la trajectoire de croissance de la région MENA dans le cas des transitions permanentes suivantes : i) passage d’une non-démocratie à une démocratie, et ii) passage au-dessus de la médiane mondiale des droits de propriété en partant d’un niveau inférieur à la médiane. Les taux de croissance dans la région MENA sont calculés en deux étapes en utilisant les données sur le PIB réel par habitant de la base de données des Perspectives de l’économie mondiale 2015 du FMI, où des données sont disponibles pour la période comprise entre 1980 et 2020.7 Dans un premier temps, les taux de croissance annuels sont calculés pour chaque pays, puis les taux de croissance annuels moyens pour la région MENA sont calculés en faisant la moyenne pondérée des taux de croissance nationaux, la valeur de pondération étant le PIB réel par habitant. En supposant que les transitions permanentes i) ou ii) se produisent dans la région MENA en 2015, les trajectoires de croissance correspondantes sont tracées sur le graphique 10. Le graphique du haut montre les résultats obtenus quand on utilise l’indice de profil d’investissement comme indicateu r indirect des droits de propriété, et celui du bas ceux obtenus avec l’indice des droits économiques. On observe une hausse sensible dans le cas d’une transition permanente au-dessus de la médiane mondiale de l’indice de profil d’investissement en part ant d’un niveau inférieur à la médiane. Une telle amélioration génère des points de pourcentage de croissance supplémentaires, conduisant à un taux de croissance de 7,98 % en 2020 au lieu des 3,33 % actuels. Ces résultats tendent à montrer qu’une amélioration permanente des droits de propriété a un effet plus prononcé sur la croissance qu’une transition permanente vers la démocratie, même si les deux effets sont positifs et économiquement substantiels. Les résultats sont très similaires lorsque l’indice de liberté économique est utilisé comme indicateur indirect des droits de propriété. 7 http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2015/02/weodata/index.aspx. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 28 Graphique A1. Effet de la démocratie et du profil d’investissement sur la croissance 15 14 13 Effet du profil Long-run effectd’investissement of investment long terme àprofile 15 14 12 13 Effet de la démocratie Long-run à long terme effect of democracy 11 12 Effet 10 Effet Growth effect (%) 11 sur 9 sur 10 la 8 la 9 crois 7 crois 8 7 sanc sanc 6 6 e (%) e (%) 5 5 4 4 3 3 2 2 1 1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Number of years after transition Number of years after transition Nombre d’années après la transition Nombre d’années après la transition democracy100 Démocratie 100 95% IC 95 %CI investment100 Investissement 100 IC 95 %CI 95% Graphique A2. Effet de la démocratie et de la liberté économique sur la croissance 15 14 15 13 14 12 Effet de la liberté Long-run effectéconomique à long of economic terme freedom 13 12 11 11 Effet de la démocratie Long-run à long terme effect of democracy 10 Effet Effet Growth effect (%) 10 9 sur 9 sur la 8 8 la crois 7 7 crois sanc 6 6 5 sanc e (%) e (%) 5 4 3 4 2 3 1 2 1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Number of years after transition Number of years after transition Nombre d’années après la transition Nombre d’années après la transition Démocratie Democracy 95% IC 95 %CI Liberté économique Economic freedom 95 % CI 95% IC Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 29 Tableau A1 : Estimations 1984-2012 Modèle Modèle 1 2 Log du PIB réel par habitant (1er retard) 0,932*** 0,931*** (0,013) (0,021) Variable muette de démocratie 0,880* 0,780* (0,460) (0,470) Profil d’investissement de l’ICRG (variable muette) 0,920*** (0,250) Indice de liberté économique de Fraser (variable muette) 0,830** (0,370) Constante 0,539*** 0,561*** (0,105) (0,159) Effets fixes par pays Oui Oui Effets fixes par année Oui Oui Effet de la démocratie sur la croissance à long terme (%) 12,965 11,385 (7,068) (8,266) Effet de la démocratie sur le PIB par habitant après 15 ans (%) 8,739 7,716 (4,604) (2,030) Effet du profil d’investissement sur la croissance à long terme (%) 13,524 (3,722) Effet du profil d’investissement sur le PIB par habitant après 15 ans 9,117 (%) (2,303) Effet de la liberté économique sur la croissance à long terme (%) 12,137 (5,420) Effet de la liberté économique sur le PIB par habitant après 15 ans 8,225 (%) (2,164) Observations 3500 2262 Nombre de pays 130 142 R2 0,949 0,953 Notes : Les erreurs types heteroscedasticity-consistent sont indiquées entre parenthèses. Les astérisques correspondent aux seuils de signification suivants : ***p<0,01, **p<0,05, *p<0,1. Les coefficients de toutes les variables sont multipliés par 100, sauf pour le log du PIB réel par habitant (1er retard). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 6 Janvier 2016 30 RÉFÉRENCES Acemoglu, D., Naidu, S., Restrepo, P. et Robinson, J.A. (2015) « Democracy Does Cause Growth », NBER Working Paper No. 20004 (http://economics.mit.edu/files/10554) (version actualisée). Banque mondiale (2013) « Lebanon Economic and Social Impact Assessment of the Syrian Conflict », Washington, DC: Banque mondiale, septembre. Banque mondiale (2015) « Turkey’s Responses to the Syrian refugee crisis », Washington, DC: Banque mondiale, décembre. Banque mondiale (2016) « Global Economic Prospects: Spillovers amid Weak growth », Washington, DC: Banque mondiale, janvier. Blomberg, B., et Hess, G., et Orphanides, A. 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