67690 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LA RÉGION MENA Des Privilèges à la Concurrence Renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord BANQUE MONDIALE -2- Des privilèges à la concurrence : Renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région Moyen-Orient – Afrique du Nord Principaux messages du rapport. Il est estimé qu’environ 40 millions d’emplois devront être créés dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA) au cours de la prochaine décennie. Une population jeune et de mieux en mieux formée est à la recherche d’opportunités d’emplois pour exprimer ses talents et sa créativité. Les Etats de la région ne pourront pas créer tous ces emplois dans les administrations publiques. Les entreprises publiques ne seront pas non plus capables d’en créer suffisamment de manière durable. Ainsi, la prospérité future de la région MENA repose en grande partie dans la capacité de ses gouvernements à mettre en place un environnement propice au développement du secteur privé, pour qu’il puisse répondre à cet enjeu de création d’emplois. Aujourd’hui, les entreprises privées sont devenues la principale source de création de richesse dans la plupart des pays de la région, en dehors des hydrocarbures et des mines. Les réformes économiques des décennies passées, notamment la libéralisation de l’investissement privé et du commerce, ont transformé les pays de la région d’économies dominées par le secteur public, à des économies où plus de 80 pourcent de la valeur ajoutée, hors secteurs des mines et des hydrocarbures, est produite par des entreprises privées. En dépit d’un rôle de plus en plus important, le secteur privé n’a pas encore réussi à transformer les pays de la région en économies diversifiées, dynamiques, et aux taux de croissance durablement élevés. A l’exception de certains pays du Golfe, aucun pays de la région – qu’il soit riche en hydrocarbures ou non – n’a pour l’instant réussi à déclencher une transformation structurelle de son économie, évolution permettant d’accélérer la croissance. Au regard de la diversification des exportations, de leur contenu technologique, du niveau et de la composition sectorielle de l'investissement privé ou encore de la productivité et de l’innovation des entreprises, aucune économie de la région ne semble connaître le dynamisme et le type de transformation économique que des pays comme la Malaisie, la Chine, la République de Corée, la Pologne, la Turquie et d’autres économies émergentes ont connu.  Par exemple, avec un taux d’investissement de 15% du PIB en moyenne, la région MENA se situe loin derrière les régions les plus dynamiques (ce taux se situe à environ 30% en Asie de l’Est). -3-  La diversification des exportations y est aussi insuffisante. Les pays les plus performants de la région exportent environ 1500 types de biens, dont la majorité est à faible contenu technologique, lorsque des pays comme la Pologne, la Malaisie, ou la Turquie en exportent près de 4000.  Aussi, les entreprises des pays MENA sont moins compétitives que dans d’autres pays émergents. Par exemple, le rapport estime que la productivité moyenne d’une entreprise industrielle de la région est à peu près la moitié de celle de la Trquie. Le rapport ne propose pas de recette standard de réformes capables de générer une diversification et une croissance soutenue dans tous les pays de la région ; une telle recette n'existe pas. Les leçons tirées des succès et déceptions nés de l’application de réformes standards imposent une certaine humilité à la recherche de solutions pour une croissance forte et soutenue. Cette quête est d’autant plus difficile aujourd’hui que les perspectives à court terme de l'économie mondiale sont incertaines. Il souligne plutôt trois aspects des politiques économiques qui affectent les anticipations des investisseurs : le cadre réglementaire concernant les entreprises, l’application de ces règles et la crédibilité de l'engagement des pouvoirs publics à mettre en œuvre les réformes. Il procède d’abord à l’état des lieux des réformes dans différents domaines, afin d’évaluer si le problème de la région Moyen-Orient – Afrique du Nord relève d’un manque de réformes. Ceci s’avère être le cas dans certains pays, notamment pétroliers, mais dans l’ensemble, le défaut de textes et de réformes légales ne suffit pas à expliquer le manque de dynamisme économique de la région. Le rapport étudie ensuite la manière dont ces réformes sont effectivement appliquées et respectées, et se demande si le problème ne réside pas dans l’application inégale et discrétionnaire du cadre légal des affaires. Enfin, il tente de mettre en évidence les facteurs qui limitent la crédibilité des réformes dans cette région. A eux deux, ces éléments expliquent en grande partie le déficit de croissance du secteur privé de la région. Si les progrès des réformes varient d’un pays à l’autre, la région dans son ensemble souffre d’une application discrétionnaire et arbitraire des lois et règlements par les administrations. La volonté des pouvoir publics de réformer l’environnement des affaires et de réduire les situations de rente, les pratiques de passe-droits et les inégalités de traitement entre investisseurs, souffre ainsi d’un manque de crédibilité. Pour de nombreux pays, le problème ne relève pas d’un manque de réformes des textes mais plutôt de leur qualité et de la perception largement répandue que le cadre réglementaire relatif aux entreprises tel qu'il figure « sur le papier » ne s’applique pas de façon égale à tous. Il en résulte que la concurrence est moins intense dans cette région qu’ailleurs. Le dynamisme des entreprises, soit la création et la faillite des entreprises les moins productives, y est plus faible qu'en Asie, en Amérique latine ou en Europe de l’Est. Manifestation du manque de dynamisme du tissu industriel et de renouvellement des entrepreneurs, les entreprises et leurs propriétaires sont en moyenne plus âgés qu’ailleurs. Enfin, pour le même type de réformes réalisées dans d’autres régions, la réponse du secteur privé des pays de la région MENA aux changements du cadre réglementaire a été bien plus faible, ce qui montre la confiance limitée accordée par les investisseurs à l’application égale, constante et prévisible des réformes et nouveaux textes. -4-  Par exemple, le rapport estime que des épisodes de réformes similaires se sont traduits, dans le passé, par une augmentation de l’investissement privé de l’ordre de 2 points de PIB en moyenne, contre 5 à 10 points en Asie, en Europe de l’Est et en Amérique latine.  Aussi, des enquêtes de la Banque Mondiale conduites auprès d’un grand nombre d’entreprises représentatives montrent que près de 60% des chefs d’entreprises considèrent que les réglementations sont appliquées de manière incohérente et imprévisible dans leur pays. L’engagement crédible dans un programme de réforme visant la réduction des pouvoirs discrétionnaires suppose un changement de conception et d’application des politiques économiques. Le rapport suggère qu’un tel engagement ne peut être crédible que si les réformes mises en œuvre réduisent les situations de rente, réduisent le pouvoir discrétionnaire dans les administrations et engagent un secteur privé mieux représenté dans la conception et surtout l’évaluation des politiques économiques. Il propose ainsi des mesures selon trois axes, dont le contenu varie selon les pays et leurs priorités respectives : Primo, le rapport recommande que les gouvernements prennent des mesures pour réduire les situations de rente afin de promouvoir la concurrence. Dans de nombreux pays, subsistent des textes réglementaires limitant la concurrence dans certains secteurs. Dans d’autres, plusieurs secteurs sont dominés par des monopoles protégés de jure ou de facto. Enfin, plusieurs pays maintiennent un contrôle excessif sur certains secteurs tels que le foncier ou le secteur bancaire, limitant ainsi la concurrence entre entreprises en rendant sélectif l’accès à ces facteurs aux nouveaux investisseurs. Réduire ces situations de rente et ces entraves à la concurrence devrait constituer une priorité dans la région. Dans la plupart des pays, ce n’est pas actuellement le cas. Deuxio, réformer les institutions. Les politiques de développement du secteur privé devront systématiquement être liées à des réformes des administrations en charge de les appliquer, en vue de réduire l’arbitraire et l'opacité et d’améliorer la qualité et la prévisibilité des services aux entreprises. Cela exige d'accroître la transparence et la responsabilisation des administrations qui régulent les marchés et interagissent avec les entreprises. Cela nécessite aussi que les incitations des administrations soient améliorées afin d’y développer une culture du service aux investisseurs, une culture où l’efficacité et la lutte contre les entraves aux investissements sont valorisées et l’arbitraire sanctionné. Cela suppose aussi que l’efficacité des administrations et la discrétion et l’arbitraire puissent être mesurés et faire l’objet d’une diffusion, afin que ces administrations puissent être tenues pour responsables du traitement auquel ont droit les entrepreneurs. Troisièmement, mobiliser tous les acteurs autour de stratégies crédibles et les impliquer dans leur mise en œuvre et leur évaluation. Une stratégie de croissance et de transformation économique requiert non seulement l’implication de l’Etat, mais aussi celle des chefs d’entreprise ou de leurs représentants. Trop souvent, dans la région, les organisations patronales sont peu représentatives du secteur privé et défendent les privilèges de membres influents. Impliquer davantage des organisations plus représentatives, s’assurer de l’implication d’acteurs aux intérêts divers et institutionnaliser un processus de consultation public-privé suffisamment inclusif doit -5- faire partie de la stratégie de croissance des gouvernements. Aussi, au sein même des gouvernements et pour des raisons relevant souvent du contexte politique de chaque pays, la cohésion et la coordination interministérielle font défaut pour mettre en œuvre des réformes pour le développement du secteur privé, réformes par nature multisectorielles. Renforcer la cohésion et la coordination gouvernementale autour de stratégies à long terme claires et comportant des responsabilités et des objectifs mesurables est primordial. De telles stratégies, de même que les institutions de coordination qui devraient les opérationnaliser, font très souvent défaut dans la région. Enfin, de nouveaux partenariats sont également nécessaires entre les gouvernements et autres parties prenantes, en particulier le secteur privé ; la condition préalable est de permettre à des associations indépendantes de se former et de contribuer librement au débat politique – ce qui n’est pas le cas dans plusieurs pays de la région. Ces partenariats doivent aboutir à la création d’alliances plus fortes en faveur des réformes et à une plus large participation à la conception, la réalisation et l'évaluation des politiques économiques. Au secteur privé incombe également la responsabilité de s'organiser en associations professionnelles efficaces, ne représentant pas exclusivement les intérêts d'une minorité. Sans ce type de changements fondamentaux dans la formulation et la mise en œuvre des politiques économiques, les réponses des investisseurs aux réformes annoncées ou engagées par les gouvernements resteront limitées. La crédibilité des réformes ne s’accroîtra pas sans réduction des situations de rente, de l’arbitraire et du discrétionnaire de l’administration et sans concertation plus large lors de la préparation et de l’évaluation des politiques publiques. Une volonté politique – et du temps – pour un engagement en faveur de réformes sont nécessaires pour affronter les problèmes qui freinent le développement économique de la région et convaincre investisseurs et grand public que les changements sont réels, profonds et appelés à durer. Même si cet effort relève du long terme, les changements fondamentaux qu’il implique devraient également être bénéfiques à court terme, permettant de mieux faire face au ralentissement économique actuel et de saisir les opportunités de la reprise. Les pays de la région Moyen-Orient – Afrique du Nord sont riches en capital humain, possèdent de bonnes infrastructures, d’immenses ressources pour certains, ainsi que de grands gisements de créativité et d’esprit d’entreprise encore inexploités. Les bénéfices sociaux et économiques attendus d’une stratégie de croissance axée sur un développement plus ambitieux du secteur privé seraient ainsi considérables, pour tous.