Mars 2018  |  Premier numéro CAHIERS ECONOMIQUES DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Briser le Cycle des Conflits et de L’instabilité TABLE DES MATIÈRES Résumé Analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . iv 1. Récentes évolutions économiques et politiques . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.1. Des conditions de sécurité tendues ralentissent la croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.2. La politique monétaire de la CEMAC se durcit en réponse à l’épuisement des réserves régionales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1.3. Les efforts de consolidation budgétaire du gouvernement se concentrent sur les revenus dans le contexte d’un environnement des affaires contraint . . . . . . . . . . 7 1.4. La RCA affiche des perspectives encourageantes, mais la situation en matière de sécurité constitue toujours un risque majeur de dégradation . . . . . . . 10 2. Briser le cycle du conflit et de l’instabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2.1. Les facteurs de fragilité et d’instabilité en RCA sont profondément enracinés dans l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 2.2. Mise en place d’une administration publique compétente : des enseignements historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2.3. Briser le cycle du conflit et de l’instabilité : enseignements tirés de l’expérience internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 3. Simulation de l’impact de différentes politiques sur la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté . . . . . . 33 3.1 Scénario 1 : augmentation des exportations minières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 3.2 Scénario 2 : augmentation des exportations de produits forestiers . . . . . . . . . . . . . . . . 36 3.3 Scénario 3 : augmentation de la productivité du secteur des services . . . . . . . . . . . . . . 39 3.4 Scénario 4 : augmentation des investissements dans l’éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Annexe Technique : Conception d’Un Modèle d’Equilibre General Calculable Pour la RCA . . . . . . . 49 i ACRONYMES et ABRÉVIATIONS BEAC Banque des États de l’Afrique Centrale RCA République Centrafricaine CEMAC Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale CES Élasticité de substitution constante (Constant Elasticity of Subsititution) FCFA Franc CFA EGC Équilibre Général Calculable CS-REF Comité de Suivi des Réformes Économiques et Financières DDR Désarmement, Démobilisation et Réintégration FPRC Front Populaire Pour la Renaissance de la Centrafrique FFP Fund For Peace (le Fonds pour la Paix) FSI Index des États fragiles (Fragile States Index) RNB Revenu National Brut GTAP Projet d’analyse du commerce mondial (Global Trade Analysis Project) FMI Fonds Monétaire International ICASEES Institut Centrafricain des Statistiques et des Études Économiques et Sociales LRA Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) MINUSCA Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine RCPCA Stratégie de relèvement et de Consolidation de la Paix en Centrafrique ASS Afrique Sub-Saharienne PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement UPC Unité Pour la Centrafrique WGI Indicateurs de gouvernance mondiaux (Worldwide Governance Indicators) ii REMERCIEMENTS C e document est le premier numéro d’une nou- velle série d’analyses dénommées les Cahiers économiques de la République centrafricaine. Cette systématique de la RCA, dirigé par Hans Hooge- veen (économiste en chef, GPV07) et Emilie Jourdan (responsable des opérations, FCV). La section III – série examinera les évolutions annuelles des ten- Analyse de l’impact potentiel de quelques réformes dances économiques en RCA pour aider le gou- structurelles – a été préparée par Patricia Geli (éco- vernement et ses partenaires de développement à nomiste principale, GNH07) et Calvin Zebaze Djiofack identifier de nouvelles opportunités et à relever des (économiste principal, GMTMD), avec le soutien de défis persistants. Les prochains numéros seront pré- Lacina Balma (consultant). Le rapport a été édité par parés avant les réunions de printemps de la Banque Sean Lothrop (consultant). mondiale, lesquelles se tiennent en avril. Ils présen- L’équipe adresse ses remerciements à ses pairs éva- teront un aperçu de l’évolution du contexte macro­ luateurs Birgit Hansl (chef de programme, EACPF) économique de la RCA, suivi d’une analyse plus et Jens Kromann Kristensen (spécialiste en chef approfondie d’un sujet d’actualité spécifique. Cette du secteur public, GGOEA) ainsi qu’à Sona Varma démarche vise à renforcer le socle analytique de la (économiste en chef, GMTMN) et Chadi Bou (chef politique de développement en RCA et à contribuer de programme, AFCC2) pour leurs commentaires à un débat éclairé sur les options politiques dont dis- constructifs. Elle tient également à remercier Franck pose le pays pour améliorer sa gestion macroécono- Bousquet et Jean-Christophe Carret (directeurs pays, mique et atteindre plus rapidement le double objectif AFCC2), Robert Bou Jaoude (Représentant résident d’éliminer la pauvreté extrême d’une part et de pro- de la RCA), Francisco Galrão Carneiro (directeur sec- mouvoir la prospérité partagée dans le contexte d’un toriel, MTI) et Yisgedullish Amde (coordinateur du État fragile. programme de pays) pour leurs observations, leurs conseils et leurs encouragements. Ce premier numéro a été réalisé par une équipe diri- gée par Souleymane Coulibaly (économiste en chef, L’équipe a, en outre, grandement bénéficié de consul- Afrique centrale et de l’Ouest, GMTA1). La section I – tations avec des décideurs et des analystes clés Récentes évolutions économiques – a été préparée en RCA, notamment des représentants du Comité par Etaki Wa Dzon (économiste, GMTA1) et Moise de suivi des réformes économiques et financières Tshimenga Tshibangu (économiste, GMTA1). Souley- (CS-REF), du ministère de l’Économie, de la Planifica- mane Coulibaly, Michel Maellberg (Spécialiste prin- tion et de la Coopération internationale, du ministère cipal du secteur public, GGOAW), Evariste Niyonkuru des Finances et du Budget et de l’Institut Centrafri- (Consultant, GGOAC) et Serdar Yilmaz (Spécialiste en cain des Statistiques et des Études Économiques et chef de la gestion du secteur public, GGOAC), ont Sociales (ICASEES). Enfin, l’équipe aimerait remer- élaboré la section II – Briser le cycle des conflits et de cier les collaborateurs du Fonds monétaire interna- l’instabilité – en s’inspirant du Diagnostic pays tional pour leur coopération. iii iv ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ RÉSUMÉ ANALYTIQUE L a détérioration des conditions de sécurité et de la situation humanitaire atténue l’espoir d’une reprise économique vigoureuse en Répu- un excédent budgétaire de 0,5 % du PIB. Le gouver- nement a pris l’engagement de mettre en oeuvre son plan d’apurement des arriérés et d’engager un pro- blique centrafricaine. Après avoir culminé à 4,8 % cessus d’assainissement budgétaire à moyen terme, en 2015, le taux de croissance annuel du PIB a ralenti avec un excédent budgétaire qui devrait s’établir, en pour s’établir à 4,5 % en 2016 et à 4,3 % en 2017, moyenne, à 0,7 % sur la période 2018-2020. Alors sous l’effet d’une nouvelle vague d’insécurité qui a que les dépenses totales du gouvernement s’accé- paralysé l’activité économique, interrompu les pro- lèreront à mesure que l’administration se déploiera ductions agricole, forestière et minière, et retardé les au-delà de Bangui, les recettes totales devraient projets d’investissement. L’investissement public – retrouver leur niveau antérieur à la crise, à savoir 9 % estimé à 7,4 % du PIB en 2017 contre 6 % en 2016 – du PIB. Quant au fardeau de la dette, celui-ci devrait a certes progressé, mais la consommation privée être ramené à 40 % du PIB d’ici à 2020, contre 52 % représente toujours la part la plus importante du PIB. en 2017. Malgré une augmentation modeste des exportations de produits forestiers, de diamants et d’or, le déficit Malgré ces évolutions encourageantes et le cli- du compte courant est demeuré très important, à mat d’optimisme prudent qui prévaut depuis 8,5 % du PIB en 2017 après avoir atteint 9,0 % du PIB que s’est déroulée, dans le calme, l’élection en 2016. Le déficit est financé par des subventions présidentielle de 2016, la RCA reste un État fra- publiques et l’investissement direct étranger. En gile. Le conflit de 2013 a conduit à des niveaux de baisse, les réserves couvraient 5,5 mois d’importa- violence sans précédent et provoqué un choc néga- tions en 2016 et 4,4 mois en 2017. L’inflation s’est tif sur un PIB par habitant déjà faible. Le conflit est stabilisée à un niveau modéré, glissant de 4,6 % en loin d’être terminé alors que divers groupes armés 2016 à 4,1 % en 2017 ; les critères de convergence opèrent sur le territoire. Actuellement, le gouverne- de la CEMAC, qui fixent le taux d’inflation à 3 %, ment central ne contrôle plus que 40 % du territoire ; devraient être atteints d’ici à 2020. les 60 % restants sont aux mains de nombreux groupes armés. Assurer une transition vers un état Le gouvernement a poursuivi sa politique d’as- de droit s’appuyant sur une administration compé- sainissement budgétaire et pris des mesures tente et incitée à répondre aux besoins de la popu- correctives pour tenir son objectif de recettes à lation nécessite de trouver un équilibre délicat. Par la fin de l’année 2017. Cela a donné lieu à une amé- exemple, la fourniture de services publics devra être lioration du solde budgétaire primaire national : alors appréhendée de manière pragmatique : en orien- qu’il enregistrait un déficit équivalent à 3,0 % du PIB tant les financements dans la santé en fonction en 2015, il a été ramené à 1,1 % en 2016, générant un des résultats, en mettant en oeuvre des projets de excédent budgétaire global (dons inclus) de 1,6 % du conception simple, en faisant appel à des acteurs PIB. D’après les estimations, le déficit devrait s’éta- non gouvernementaux dans la phase de déploie- blir à 1,9 % du PIB en 2017, ce qui se traduirait par ment et en mettant l’accent à la fois sur les zones iv EXECUTIVE SUMMARY v urbaines et rurales. Il s’agit d’un effort de longue mesures pour stimuler les exportations minières haleine, destiné à bâtir progressivement des ins- commerciales. Selon le deuxième scénario, le gouver- titutions capables d’avoir un impact positif sur nement délivrerait de nouvelles licences forestières, l’ensemble du territoire national. augmentant les exportations de produits forestiers. Dans le troisième scénario, le gouvernement met- Alors qu’elle s’efforce de surmonter son héritage trait en oeuvre des réformes visant à améliorer la de fragilité et de violence, la RCA peut tirer d’im- productivité dans le secteur des services, accélérant portantes leçons de l’expérience d’autres pays l’activité économique et augmentant les niveaux de sortant d’un conflit. Le Burkina Faso, l’Éthiopie, revenu parmi les ménages les plus pauvres. Dans le Ghana, le Liberia et le Rwanda ont été identifiés le quatrième scénario, le gouvernement stimulerait par les représentants du secteur privé et des étu- l’investissement public dans l’éducation pour aug- diants de l’université Bangui consultés pour cette menter le nombre de travailleurs qualifiés. étude, comme des pays post-conflits dont la Répu- blique centrafricaine pourrait s’inspirer de manière S’il est certain que ces quatre projets de réforme à mesurer le chemin et le temps nécessaire pour seraient tous à même d’accélérer la croissance, briser le cycle du conflit et de l’instabilité. Alors que c’est l’augmentation de l’activité forestière qui ces pays ont des histoires uniques et des caracté- aurait, et de loin, le plus fort impact, car elle ristiques idiosyncrasiques, chacun a connu une permettrait un bond de près de 14 % au PIB par période de conflit ou d’instabilité sévère, et cha- rapport à la valeur de référence d’ici à 2030. De cun s’est depuis stabilisé. Prises ensemble, leurs plus, la distribution des bénéfices de la croissance expériences soulignent l’importance de favoriser le serait modérément progressive, avec des retombées développement de la société civile pour consolider particulièrement favorables sur les foyers les plus les acquis démocratiques, renforcer la responsabi- pauvres. En outre, les recettes publiques augmente- lité publique et améliorer la transparence, tout en raient considérablement, dépassant le seuil de réfé- adoptant un ensemble pragmatique d’arrangements rence de près de 80 % d’ici à 2030. Les exportations politiques et institutionnels pour augmenter progres- dépasseraient la valeur de référence de 40 %, ce qui sivement mais constamment la qualité de l’adminis- renflouerait les réserves étrangères. Dans le cas du tration publique. La RCA peut adopter ces leçons et troisième scénario, une activité accrue du secteur les adapter à la spécificité de sa crise actuelle. Les des services aurait le deuxième impact le plus fort autorités doivent également soigneusement adapter sur la croissance, puisqu’elle porterait le PIB 4,6 % leur programme de réformes structurelles pour reflé- au-dessus de la valeur de référence d’ici à 2030. La ter la fragilité du pays. distribution de ces bénéfices serait plus progressive encore. Des foyers de tous niveaux de revenus en Pour guider la conception d’un programme profiteraient, mais les retombées financières dont politique qui équilibre ces objectifs, des simu- bénéficieraient les plus pauvres seraient supérieures lations à partir d’un modèle d’équilibre général à celles des foyers les plus riches. Une croissance calculable sont utilisées pour examiner certains du secteur des services conduirait, elle aussi, à une scénarios de réforme structurelle dans quatre hausse des exportations de plus de 10 % par rapport secteurs importants : l’exploitation minière, la à la valeur de référence d’ici à 2030. Les effets limi- foresterie, les services et l’éducation. Dans le tés du scénario de l’exploitation minière industrielle premier scénario, le gouvernement adopterait des sur les plus pauvres suggèrent qu’il conviendrait de vi EXECUTIVE SUMMARY mettre davantage l’accent sur l’extraction minière internationale, pousser des États fragiles à adopter artisanale. Quant à l’impact limité du scénario rela- trop rapidement des réformes – fussent-elles néces- tif à l’augmentation du nombre de travailleurs quali- saires et souhaitables – pourrait nécessiter des efforts fiés, il laisse à penser qu’il conviendrait de dispenser qui excèdent la capacité limitée du secteur public à une éducation élémentaire solide et des formations les intégrer ; ou qui lui soient même préjudiciables. techniques et professionnelles pour permettre une Ce premier numéro des Cahiers économiques de la nette augmentation de la productivité, et ce à tous RCA propose une approche pragmatique pour com- les niveaux. mencer à rompre le cycle du conflit et de l’instabilité : répondre aux doléances des citoyens en fournissant La fragilité politique et institutionnelle de la des services dans l’éducation et la santé selon une RCA est le reflet de son histoire, marquée par approche pragmatique ; tirer les enseignements de de longues périodes de chaos institutionnel. l’expérience des pays en situation de post-conflit qui Dans ce contexte, la RCA et ses partenaires au déve- ont réussi à surmonter l’héritage des conflits et leur loppement sont aujourd’hui confrontés à un défi fragilité pour dimensionner de manière adéquate redoutable : mettre en oeuvre un programme de les réformes institutionnelles nécessaires ; et, enfin, réformes urgentes et de grande envergure en privilégier les secteurs qui ont le pouvoir de rétablir s’appuyant sur un ensemble d’institutions publiques rapidement la croissance économique et d’offrir des faibles et instables. Comme le montre la littérature emplois à la population dans son ensemble. 1 RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES L a détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire atténue les espoirs d’une reprise économique robuste en RCA. Le taux de croissance du PIB a ralenti – passant de 4,8 % en 2015 à 4,5 % en 2016 et 4,3 % en 2017 – et devrait se stabiliser autour de 5 % à moyen terme. Compte tenu des besoins pressants de la RCA en matière de sécurité et de ses ressources budgétaires limitées, une meilleure gestion des dépenses est essentielle pour assurer la rentabilité des dépenses courantes et des investissements en capi- tal. Parallèlement, le gouvernement s’efforce de rétablir l’efficacité des agences de recouvrement des recettes et d’étendre sa présence à l’échelle nationale. Les exportations se redressent lentement, ce qui accroît les risques pour la sécurité, et l’aide internationale continue de financer un important déficit courant. 1.1 Des conditions de sécurité agricole, exacerbant les goulots d’étranglement des transports et retardant la mise en œuvre des projets tendues ralentissent d’investissement. La hausse de la consommation la croissance privée, alimentée par les importations de produits ali- Alors que la croissance économique de la Répu- mentaires et autres le long du corridor Bangui-Garoua blique centrafricaine (RCA) s’est poursuivie pour Boulai, continue de stimuler la croissance du côté de la quatrième année consécutive, la détérioration la demande, soutenue par un accroissement des inves- des conditions de sécurité a atténué les espoirs tissements publics et une augmentation des exporta- d’une reprise robuste. Le taux de croissance du PIB tions de produits de base. Depuis 2015, la croissance réel a ralenti, passant de 4,8 % en 2015 à 4,5 % en 2016 économique en République centrafricaine a dépassé et 4,3 % en 2017 alors que l’instabilité s’est ampli- les taux moyens des pays membres de l’Afrique sub- fiée dans les zones rurales, perturbant la production saharienne (ASS) et de la Communauté Économique 1 2 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Taux de croissance annuels du PIB réel par secteur, FIGURE 1.1 RCA et moyenne régionale, 2014–2017 6.0 4.8 5.0 4.5 4.3 4.0 1.0 Services 3.0 Secondaire 2.0 Primaire 1.0 RCA ASS 0.0 CEMAC –1.0 –2.0 –3.0 2014 2015 2016 2017 Sources : Données de la Banque mondiale et du FMI Note : Le secteur primaire comprend l’agriculture, la foresterie, l’élevage, la pêche et la chasse. Le secteur secondaire comprend la construction, la fabrica- tion et les industries extractives. Le secteur tertiaire comprend les services et l’administration publique. et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Cepen- le ralentissement de l’expansion de l’agriculture. La dant, à mesure que la situation sécuritaire se dété- production de bois, qui a augmenté de 53,3 % en riore, la croissance de la RCA décélère alors que 2017, représentait environ la moitié des exportations les moyennes régionales augmentent (Figure 1.1). totales. Parallèlement, la détérioration des conditions L’emploi privé montre quelques premiers signes de de sécurité a entravé la reprise de l’activité2 agricole reprise, mais seulement à Bangui (Encadré 1.1). au second semestre 2017. Si la production de coton a augmenté entre 2007 et 2012, elle reste très infé- Au cours des quatre dernières années, le secteur rieure à son niveau de 1970 – à savoir 60 000 tonnes. primaire a stimulé la croissance du PIB du côté À la suite du récent conflit, les exportations de coton de l’offre. Le secteur primaire comptait pour environ ont été modestes, passant de 495,2 tonnes en 2016 à 42,3 % de la croissance du PIB réel en 2017, contre 677,2 tonnes en 2017.3 La population rurale a souffert 49,9 % en 2016. L’agriculture de subsistance en repré- des pires formes de violence. La sécurité alimentaire sentait 16,0 %, la foresterie 11,8 %, l’élevage 9,8 % et les moyens de subsistance des petits exploitants et la chasse et la pêche 4,7 %. Après avoir enregis- ont été lourdement affectés par les déplacements de tré une hausse de 33 % en 2015, la production fores- population. Le conflit n’est pas encore résolu et la tière1 a continué de croître rapidement, compensant 2 La détérioration des conditions de sécurité n’est pas la seule 1 Bien que la foresterie soit en expansion, les recettes fiscales du raison du déclin de l’activité agricole, car une faible productivité sous-secteur forestier ont diminué d’environ 60 %, en glissement limite la production même dans les zones sécurisées. Un soutien annuel. Comme les prix moyens du bois d’œuvre en 2017 étaient plus efficace au secteur agricole, y compris une fourniture plus élevés qu’en 2016, la cause de cette baisse des revenus accrue de semences améliorées, d’engrais et de services de n’est pas claire et le mécanisme d’estimation des prix du bois vulgarisation, sera nécessaire pour stimuler la productivité. devrait être évalué. 3 Banque mondiale, 2016. RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES 3 ENCADRÉ 1.1 Perspectives en matière d’emploi et de réduction de la pauvreté E n RCA, l’emploi formel concerne prioritairement le secteur public tandis que l’agriculture de sub- sistance, l’exploitation minière artisanale et le secteur forestier sont des sources majeures d’emploi informel. En novembre 2014, le secteur public employait 26 853 fonctionnaires et 7 129 contractuels. Il n’existe pas de statistiques officielles sur l’emploi formel dans le secteur privé. Pour autant, les travailleurs contrac- tuels dans le secteur public sont probablement plus nombreux que les travailleurs officiellement employés dans le secteur privé. En 2011, seulement 282 entreprises formelles étaient actives à Bangui et à Berberati (la plus grande et la troisième plus grande ville de la RCA), la plupart employant entre 5 et 19  personnes. Compte tenu de l’impact négatif de la crise sur les économies des deux villes et de la suspension effective de l’activité économique formelle dans le reste du pays, il est peu probable que le nombre total d’employés du sec- teur privé dépasse 4 000. Parallèlement, malgré la baisse de la production agricole à la suite de la crise de 2013, le secteur agricole représente encore 70 % de l’emploi. La reprise de l’exploitation minière artisanale fournit des emplois informels supplémentaires. Selon les témoignages recueillis, le traitement des déchets générés par les entreprises de bois d’œuvre fournit maintenant environ 4 000 emplois directs, ce qui ferait de la foresterie et de la transformation du bois le deuxième employeur formel, après le secteur public. L’instabilité et la violence ont engendré une hausse du taux de pauvreté. La dernière enquête auprès des ménages, représentative à l’échelle nationale, a été réalisée en 2008. Le taux de pauvreté était estimé à 50 % dans les zones urbaines, 69 % dans les zones rurales et 66 % dans tout le pays. Les estimations basées sur les tendances récentes du PIB indiquent que le taux national de pauvreté a dépassé 75 % en 2017. Dans l’Indice de dévelop- pement humain 2016, la République centrafricaine se classait au dernier rang mondial – 188e sur 188 pays. Le rétablissement de la sécurité est une condition préalable à la réduction durable de la pauvreté. Les groupes armés continuent d’occuper plus de 60 % du territoire de la RCA, provoquant des déplacements for- cés à grande échelle. De multiples groupes armés contrôlent des sites clés d’extraction de diamants et d’or, préemptant ainsi une source majeure d’emplois et de revenus de l’économie nationale. Limité à Bangui, l’accès aux services sociaux de base est presque inexistant en dehors de la capitale. Le taux de croissance du PIB à moyen terme devrait s’établir à 4,0 % ; le taux de pauvreté devrait légèrement diminuer, de 77 % en 2013 à 74 % en 2019, le PIB par habitant augmentant pour passer d’environ 10 000 FCFA en 2013 à environ 13 000 FCFA en 2019. Cependant, le rétablissement du contrôle de l’État sur l’ensemble du territoire national reste un défi de développement fondamental. détérioration de la situation sur le plan de la sécurité du bois, en expansion, a permis au secteur de la fabri- a entraîné une forte baisse de la production de coton, cation de représenter près de 5 % du PIB. La contri- de cacao et de café au premier semestre 2017. bution du sous-secteur de la construction au PIB est passée de 4,0 % en 2010 à 5,5 % en 2017. Les pro- En 2017, le secteur secondaire a connu une crois- jets financés par les bailleurs de fonds conjugués à sance robuste de 7,2 %. Le secteur secondaire, qui une augmentation substantielle des investissements comprend principalement la fabrication (y compris publics dans le cadre du programme de reconstruc- la transformation du bois), la construction et l’exploi- tion du gouvernement ont contribué à l’expansion tation minière, représente environ 16 % du PIB. Le de la construction et des services publics, à hauteur sous-secteur de la fabrication s’est développé à un de 5 %. Le sous-secteur minier a connu la croissance taux de 2,0 % depuis 2015, tiré par l’industrie alimen- la plus rapide, en partant toutefois d’un niveau post- taire. En 2017, le sous-secteur de la transformation crise très bas. La contribution de l’industrie minière 4 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Production de diamants et d’or par volume, 2010–2017 FIGURE 1.2 (en milliers de carats et en grammes) 7.0 6.0 5.0 4.0 Diamants (Carats) 3.0 Or (grammes) 2.0 1.0 0.0 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Source : L’Institut Centrafricain des Statistiques et des Études Économiques et Sociales (CASEES) au PIB est estimée à seulement 0,5 %, mais la officielles d’or ont triplé, passant de 32,9 kg en 2016 situation de sécurité défavorable dans les zones à 117,5 kg en 2017 (Figure 1.2). minières engendre probablement un phénomène de sous-déclaration significatif. Avant l’embargo de Les activités liées au commerce ont continué 2013, les diamants représentaient près de la moitié de dominer le secteur tertiaire en 2017. Le com- des exportations totales de la RCA. Le pays a produit merce, les transports, les télécommunications et les environ 10 957 carats de diamants en 20164 et la pro- services non marchands constituent l’essentiel du duction de diamants devrait atteindre 59 985 carats secteur des services, qui représente environ 38 % du en 2017, soit six fois plus. La RCA produit moins PIB de la RCA. Les services ont progressé de 4,2 % de diamants que les leaders régionaux comme le en 2017, soit le même taux que celui enregistré en Botswana (31,4 millions de carats), la République 2016. Les efforts du gouvernement pour obtenir démocratique du Congo (14,7 millions de carats) et le contrôle de Bangui et d’autres villes telles que l’Angola (8,3 millions de carats).5 L’embargo actuel Bambari et Berberati ont facilité les échanges et réduit la production de diamants et les exportations le commerce, mais la faiblesse de l’infrastructure officielles. Les membres du Processus de Kimberly rurale et l’insécurité persistante continuent d’entra- ont décidé de lever partiellement un embargo sur les ver la croissance du secteur des services. De plus, exportations de diamants en provenance de la RCA, la portée limitée des télécommunications et des ser- imposé depuis mai 2013. Les exportations n’ont vices financiers freine la croissance économique. repris que depuis certains sites de la « zone verte », Une reprise anémique prolonge l’impact éco- sous contrôle gouvernemental. Les exportations nomique négatif du conflit. Le taux de croissance du PIB réel s’est élevé, en moyenne, à 3,5 % entre 4 https://www.kimberleyprocess.com/en/central-african- republic#2015 2009 et 2012. En 2013, le PIB a chuté de 36 %. Depuis 5 Ces chiffres du pays de comparaison sont pour 2016. 2014, la croissance moyenne s’est établie à 3,7 %, RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES 5 L’impact du conflit sur le PIB par habitant (en termes de parité FIGURE 1.3 de pouvoir d’achat) 1,800 1,500 1,200 900 600 300 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 PIB PPA par habutant (USD actuels) Tendance (moyenne 2010-12) Niveau 2012 Source : Estimations et projections basées sur les données de la Banque mondiale et du FMI juste au-dessus de son niveau d’avant-crise. Des pro- la réinstallation des personnes déplacées stimulait blèmes de sécurité persistants ont rendu impossible la demande globale, maintenant le taux d’inflation la reconstruction de capitaux détruits, à la fois phy- au-dessus du critère de convergence de 3 % de la siques et sociaux, ou la restauration de la confiance CEMAC. Le taux d’inflation des prix des denrées dans le climat des affaires. Selon les projections alimentaires est passé de 4,5 % en 2016 à 3,9 % en actuelles, le PIB par habitant ne retrouvera pas son 2017, mais la résurgence de la violence continuera niveau de 2012 avant 2025 (Figure 1.3). Pour revenir à exercer une pression à la hausse sur les prix à la à sa trajectoire antérieure à la crise, l’économie de consommation, en particulier les prix des denrées la RCA devrait croître au rythme de plus de 10 % par alimentaires. an au cours des trois prochaines années. La politique monétaire de la CEMAC est gérée au niveau régional par la Banque des États 1.2 La politique monétaire de l’Afrique centrale (BEAC), qui privilégie le de la CEMAC se durcit contrôle de l’inflation et le maintien du rattache- en réponse à l’épuisement ment du franc CFA à l’euro. La BEAC a soutenu les ajustements structurels entre les pays membres des réserves régionales après la chute des prix du pétrole en 2014, laquelle Alors que la croissance économique ralentissait a entraîné une forte augmentation des avances sta- et que la CEMAC durcissait sa politique moné- tutaires et un retrait rapide des réserves de change. taire, le taux d’inflation de la RCA est passé de L’orientation relativement laxiste de la politique 4,6 % en 2016 à 4,1 % en 2017. Cependant, l’insécu- monétaire de la BEAC a affecté négativement le solde rité croissante a perturbé l’offre globale, tandis que extérieur : les réserves régionales sont passées de 6 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ ENCADRÉ 1.2 Le secteur financier L e secteur financier sous-développé de la RCA joue un rôle limité dans le soutien de la croissance économique. Le secteur financier est superficiel et la supervision bancaire est faible. Le système bancaire comprend quatre banques commerciales, onze institutions de microfinance, deux banques postales, deux com- pagnies d’assurance et un fonds de sécurité sociale. Le gouvernement compte davantage sur le marché régio- nal que certains de ses pairs, ce qui renforce l’incertitude. Par exemple, le gouvernement a mobilisé 18 milliards de FCFA au début de l’année 2017, mais il n’a pas réussi à obtenir 4 milliards de FCFA supplémentaires en mai 2017, après le lancement de la deuxième des cinq adjudications prévues. Une infrastructure inadéquate et des lacunes dans les cadres juridique, judiciaire, prudentiel et réglementaire entravent à la fois l’entrée de nouvelles institutions financières et la croissance et la diversification des institutions existantes. Alors que le secteur financier de la RCA s’est modestement développé ces dernières années, les niveaux d’intermédiation financière du pays restent parmi les plus bas du monde. Le crédit à l’économie s’est stabilisé à 18 % du PIB en 2016–17, contre 4 % en 2014. Les indicateurs de solidité financière indiquent que les banques restent résilientes, bien que le niveau élevé des prêts improductifs (NPL) soit une source de préoccu- pation. Toutes les banques respectent la nouvelle norme relative aux réserves régionales adoptée par le comité de politique monétaire de la BEAC en mars 2017. Le ratio moyen de solvabilité semble élevé, passant de 32 % en décembre 2016 à 40 % en juin 2017, mais en raison de données peu fiables, les réserves de capital peuvent être considérablement surestimées. Le risque de crédit ne s’est pas amélioré depuis 2013 et les créances improductives ont toujours dépassé 25 % des prêts bruts. Environ la moitié des créances improductives font partie de l’important stock d’arriérés de paiement du gouvernement. Les prêts bancaires sont largement axés sur les prêts à court terme au secteur public, laissant les banques exposées au risque souverain. Les actifs liquides représentaient 31 % du total des actifs en 2017, sans changement par rapport à 2016, et les dépôts ont augmenté de 13 % depuis juin 2016. Les dépôts sont passés de 75 % des prêts bruts fin 2015 à 105 % fin juin 2017. 5,1 mois d’importations en 2013 à 2,3 mois d’impor- les transferts des ONG et le rapatriement partiel tations en décembre 2016. En République centra- des recettes d’exportation ayant entraîné une forte fricaine, les avances statutaires ont rapidement augmentation des avoirs extérieurs nets. En 2018, dépassé le plafond fixé par la BEAC, car le secteur les efforts de la BEAC pour alléger la pression sur financier exigu du pays n’a pas été en mesure de les soldes extérieurs de la région devraient entraî- soutenir une croissance continue (Encadré 1.2). ner un resserrement monétaire supplémentaire. Les faibles réserves régionales et la perspective d’un res- Contrairement aux autres États membres de la serrement des politiques monétaires de la part de CEMAC, la détérioration de la situation moné- la Banque centrale européenne devraient maintenir taire de la RCA a été provoquée par une reprise les conditions monétaires dans la région. du conflit plutôt que par l’effondrement des prix mondiaux du pétrole. En mars 2017, la BEAC En 2017, le déficit des paiements courants s’est a réagi en augmentant son principal taux directeur aggravé en termes absolus, les importations de 50 points de base à 2,95 %, ce qui a fait baisser ayant grimpé en flèche. Le déficit du compte cou- la masse monétaire au sens large de 5,8 % du PIB rant est passé de 94,7 milliards de FCFA, soit 9,1 % en 2014 à 1,1 % en 2017. Néanmoins, la croissance du PIB, en 2016 à 95,5 milliards de FCFA, soit 8,5 % de la monnaie au sens large a dépassé les attentes, du PIB, en 2017. Bien que le déficit du transfert de RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES 7 La croissance des réserves internationales et de la masse FIGURE 1.4 monétaire mondiale, 2010–17 (milliards de FCFA) République centrafricaine CEMAC 400 20,000 300 15,000 200 10,000 100 5,000 0 –100 0 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Réserves internationales Réserves internationales Argent et quasi-monnaie (M2) Argent et quasi-monnaie (M2) Source : Données de la BEAC revenu soit passé de 3,2 milliards de FCFA en 2016 1.3 Les efforts de consolidation à 1,7 milliard de FCFA en 2017, l’augmentation des importations de pétrole et l’aggravation du déficit budgétaire du gouvernement se du commerce des services ont entraîné une dété- concentrent sur les revenus dans rioration des termes de l’échange. Néanmoins, la le contexte d’un environnement couverture des réserves reste élevée à 4,4 mois des affaires contraint d’importations, supérieure à la moyenne de la CEMAC de 2,7 mois (Figure 1.4). La situation budgétaire de la RCA reste favo- rable en 2017 malgré une pression accrue sur les La mise en œuvre de la Stratégie de Relèvement dépenses. Les investissements prioritaires dans les et de Consolidation de la Paix en Centrafrique infrastructures et les institutions publiques, ainsi (RCPCA) 2017–2021 et les efforts de désarme- que la nécessité de rééquiper les forces de sécurité, ment, de démobilisation et de réintégration ont déplacé le fardeau de l’assainissement budgé- (DDR) en cours ont stimulé la demande d’impor- taire vers les recettes. Entre 2016 et 2017, les efforts tations de services en 2017. Le déficit du revenu visant à renforcer l’administration fiscale et doua- primaire, qui reflète principalement le rapatriement nière ont augmenté les recettes intérieures totales des salaires par les travailleurs internationaux, s’est de 0,9 point de pourcentage du PIB. Parallèlement, progressivement creusé, passant d’environ 0,6 mil- les dépenses primaires sont passées de 9,2 % du liard de FCFA en 2016 à 1,6 milliard de FCFA en 2017, PIB en 2016 à 10,8 % en 2017, reflétant l’augmenta- lorsque le gouvernement a commencé à mettre en tion des investissements publics. Dans ce contexte, œuvre la RCPCA. En 2018–2019, le déficit du com- l’excédent budgétaire a baissé entre 2016 et 2017, merce des services devrait atteindre 2,4 milliards de passant respectivement de 1,3 % à 0,5 % du PIB FCFA et sera financé par une combinaison d’inves- (Figure 1.5). Les emprunts auprès de la BEAC et tissements étrangers directs, de dons et de rentrées des créanciers étrangers ont financé le budget de la dette. d’investissement. 8 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Recettes et Recettes et FIGURE 1.5 FIGURE 1.6 dépenses dépenses intérieures, intérieures, RCA, 2012–2017 CEMAC, États (% du PIB) membres, 2017 (% du PIB) 17.0 14.0 35.0 11.0 30.0 25.0 8.0 20.0 5.0 15.0 2.0 10.0 –1.0 5.0 0.0 –4.0 le e o n n d AC in ng ha bo ou ria –7.0 M ca Tc Co Ga er to CE fri 2012 2013 2014 2015 2016 2017 m ua ra Ca Éq nt ce ée Recettes intérieures Solde global in ue Gu iq Dépenses bl pu Sources : Données de la Banque mondiale et du FMI Ré Recettes intérieures Dépenses publiques Source : Données du FMI Les recettes intérieures ont augmenté pro- gressivement, en ligne avec la lente reprise économique de la RCA. Les recettes intérieures Composition du FIGURE 1.7 ont augmenté, passant de 8,2 % du PIB en 2016 à revenu, 2012–17 9,1 % en 2017 grâce à des contrôles plus stricts des 140 droits d’accise et des douanes ainsi qu’à un suivi 120 plus étroit des exonérations fiscales. Cependant, 100 la RCA a toujours le plus faible niveau de recouvre- 80 ment des recettes intérieures parmi les pays de la 60 CEMAC (Figure 1.6). Les taxes sur les biens et ser- 40 vices nationaux représentent 46 % du revenu total, 20 mais la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) joue un rôle 0 2012 2013 2014 2015 2016 2017 budgétaire de plus en plus important (Figure 1.7). Alors que les efforts des autorités pour renforcer la Revenus non fiscaux collecte des recettes ont donné des résultats posi- Taxes sur le commerce international tifs, les recettes fiscales en 2017 ne représentaient Taxes sur les biens et services nationaux encore que 80 % de leur niveau de 2012, soit une Impôts directs baisse de 2,4 points de PIB. Le revenu intérieur en Source : Données de la Banque mondiale et du FMI RCA reste bien en deçà de la moyenne de 16,4 % du PIB en Afrique subsaharienne en 2016. Le soutien des donateurs finance 30 % à 40 % du budget. RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES 9 L’effort de consolidation des dépenses s’est Composition des FIGURE 1.8 concentré sur le renforcement du contrôle de la dépenses, 2012–17 masse salariale, démontrant ainsi l’engagement 180 du gouvernement en matière de discipline bud- gétaire. Bien que les dépenses primaires courantes 150 soient passées de 9,0 % du PIB en 2016 à 9,8 % en 120 2017, cette trajectoire reste cohérente avec l’enga- 90 gement du gouvernement en faveur de l’assainis- 60 sement budgétaire et reflète un meilleur contrôle des dépenses, en particulier sur la masse salariale 30 (Figure 1.8). À la suite d’un audit de la masse sala- 0 2012 2013 2014 2015 2016 2017 riale de la fonction publique, celle-ci est passée de 5,4 % du PIB en 2016 à 5,2 % en 2017. Les trans- Dépenses d'investissement ferts et les subventions sont passés de 1,7 % du PIB Autres dépenses courantes en 2016 à 2,5 % en 2017. La discipline budgétaire a Salaires et traitements facilité la résolution en cours des arriérés de paie- Source : Données de la Banque mondiale et du FMI ment nationaux, condition préalable à l’accélération de l’activité économique privée et une priorité des de pourcentage de moins que son niveau d’avant la programmes de reformes soutenus par le FMI et la crise. La part du financement externe (y compris les Banque mondiale. Le paiement des arriérés inté- dons) est restée élevée à 78 % du total des dépenses rieurs a atteint 2,5 % du PIB en 2017 et le stock de la en capital, mais les dépenses en capital financées dette publique est passé de 69,2 % du PIB en 2014 à sur ressources intérieures sont passées de 0,3 % du 51,8 % en 2017 (Figure 1.9). PIB en 2016 à 0,9  % en 2017. Le financement des La mise en œuvre de la RCPCA a stimulé les bailleurs de fonds a contribué à hauteur de 44,9 mil- dépenses liées aux investissements en 2017. liards de FCFA aux 55,0 milliards de FCFA dépensés Les dépenses en capital sont passées de 3,1 % du pour les projets de la RCPCA. Il sera nécessaire d’ac- PIB en 2016 à 4,3 % en 2017, soit environ 2 points célérer la mise en œuvre des réformes structurelles Le niveau et la composition du stock de la dette publique, FIGURE 1.9 2011–17 (% du PIB) 70.0 60.0 50.0 Intérieur % du PIB 40.0 Étranger 30.0 Dette totale 20.0 10.0 0.0 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Source : Données de la Banque mondiale et du FMI 10 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ pour rétablir la viabilité budgétaire, renforcer le armés continuent de peser sur le pays. L’instabilité cadre de gestion des investissements publics et et la violence empêchent les services publics et les élargir l’espace budgétaire pour les projets d’inves- organisations humanitaires d’atteindre une part tissement prioritaires. importante des personnes touchées par la crise. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de 688 000 personnes étaient 1.4 La RCA affiche des déplacées à l’intérieur du pays à la fin de 2017 – perspectives encourageantes, soit 60 % de plus qu’en 2016 – tandis que plus de 540 000 personnes avaient fui vers les pays voisins. mais la situation en matière de Les atrocités commises en 2017 rappellent la néces- sécurité constitue toujours un sité d’accélérer le processus de DDR et de revitaliser risque majeur de dégradation la croissance économique. Les activités du secteur primaire dans les régions riches en ressources sont Les perspectives économiques de la RCA les principaux moteurs de la croissance future, mais reposent sur la consolidation de la stabilité, elles sont particulièrement vulnérables à l’insécu- l’augmentation des investissements et l’accé- rité et à la violence. L’instabilité persistante menace lération de la croissance des exportations. également la sécurité alimentaire et la fourniture de Le taux de croissance du PIB devrait se stabiliser services de base. autour de 5,0 % à moyen terme. La consommation publique devrait soutenir cette modeste reprise dont Au-delà du secteur de la sécurité, l’incapacité à la projection donc de la mise en œuvre du plan natio- mettre en œuvre les réformes nécessaires pour nal de relèvement et de consolidation de la paix du rétablir une gestion économique saine constitue gouvernement. Les exportations de diamants et de le principal risque de dégradation. Le recouvre- produits dérivés du bois devraient augmenter et ment des recettes est nettement inférieur à son niveau des hausses de la production et des exportations de d’avant la crise, l’administration publique reste faible coton sont prévues après que le gouvernement aura et la RCA dépend de financements extérieurs pour réglé ses arriérés dans le secteur en 2017. Les impor- couvrir certaines de ses dépenses primaires et la tations de matériel devraient rester élevées, car les plupart de ses dépenses en capital. Dans le contexte investissements publics et privés continuent de se d’un resserrement de la politique monétaire régionale, redresser. Le gouvernement s’est engagé à mettre en la rationalisation des dépenses doit compléter les œuvre son plan d’apurement des arriérés, qui devrait mesures de recettes pour poursuivre l’assainissement contribuer à un excédent budgétaire moyen de 0,7 budgétaire tout en protégeant les ménages pauvres. sur 2018–2020. Les dépenses totales augmenteront À moyen terme, la stabilité budgétaire sera cruciale au fur et à mesure que l’administration publique pour soutenir la croissance et augmenter le recouvre- étendra sa présence au-delà de Bangui, et les recettes ment des recettes. Toute menace pesant sur la conti- totales devraient revenir à leur niveau d’avant la crise nuité du programme de réformes structurelles ou de 9 % du PIB. Le taux d’inflation annuel devrait tom- la discipline budgétaire globale pourrait conduire à ber à 3,6 % en 2018 et atteindre le niveau de conver- l’échec de la reprise, même modeste, obtenue jusqu’à gence de la CEMAC de 3 % d’ici 2020. présent. Bien que la sécurité à Bangui se soit considé- La capacité du gouvernement et des autres rablement améliorée, les tensions intercommu- parties prenantes à promouvoir efficacement nautaires et les affrontements entre groupes la bonne gouvernance dans un environnement RÉCENTES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES 11 post-conflit est une autre source de risque de rapidement affaiblir la position budgétaire du gouver- dégradation. Le rétablissement de la paix et l’adop- nement. Outre les institutions multilatérales, la RCA tion, parallèlement, de réformes administratives dépend largement des partenaires bilatéraux et des visant à améliorer la gouvernance forment des exi- organisations régionales. Le niveau élevé de dépen- gences complexes de nature à peser sur la capacité dance de la RCA à l’égard de nombreux partenaires institutionnelle limitée de la RCA. Les institutions de développement pour fournir un soutien à long publiques doivent assurer la sécurité, promouvoir terme menace la stabilité budgétaire, la croissance la croissance économique et fournir des services économique et la consolidation du processus de paix. sociaux de manière efficace et équitable. La gestion d’une crise humanitaire est souvent un processus Malgré de récentes évolutions positives et le long et difficile. Dans le cas de la RCA, ce proces- climat d’optimisme prudent qui prévaut depuis sus est compliqué par la menace régionale de Boko que s’est déroulée, dans le calme, l’élection Haram, active au Cameroun et au Tchad voisins. Le présidentielle de 2016, la RCA reste un État fra- règlement rapide de la crise humanitaire et le retour gile. La fragilité de la RCA est empreinte d’une forte réussi des réfugiés et des personnes déplacées dimension cyclique, chaque crise non résolue jetant devraient créer une marge budgétaire supplémen- les bases de la crise suivante. Pour sortir de cet équi- taire pour investir dans le renforcement des capaci- libre qui s’autorenforce et parvenir à une réduction tés institutionnelles. de la pauvreté robuste et durable, il faudra remédier à des problèmes structurels profonds, notamment La principale source de risque externe est la les inégalités régionales et la présence limitée de dépendance des finances publiques, et en par- l’administration publique en dehors de Bangui. Pour ticulier de la RCPCA, vis-à-vis de l’aide interna- accomplir cette tâche complexe et difficile, le gou- tionale. En novembre 2017, la nouvelle adminis- vernement devra tirer pleinement parti de son capital tration a convoqué une conférence des donateurs humain et naturel tout en renforçant ses institutions à Bruxelles au cours de laquelle les partenaires au publiques. La section II examine les enseignements développement de la RCA ont engagé 2,3 milliards de pertinents tirés de l’expérience d’autres pays sortant dollars US pour soutenir la RCPCA, lancer le proces- d’un conflit. Un séquençage adéquat des réformes sus DDR et entreprendre la réforme du secteur de la étant particulièrement important dans un contexte de sécurité. Les ressources extérieures sont vitales pour capacité institutionnelle limitée, la section III présente la stabilité et la croissance, et même une perturba- une évaluation quantitative de l’impact à long terme tion modérée du flux de l’aide internationale pourrait de plusieurs solutions qu’envisagent les autorités. 2 BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ L a République centrafricaine (RCA) a connu des cycles suc- cessifs de violence et de conflit. Depuis son indépendance de la France, la RCA n’est parvenue à mener, de façon pacifique, que deux passations de pouvoir – l’une en 1993 et l’autre en 2016. Amorcé au début de l’année  2013, le conflit majeur le plus récent du pays n’est toujours pas résolu, laissant une population appauvrie et trau- matisée, susceptible d’être la proie de groupes armés. Le gouverne- ment central ne contrôle actuellement qu’environ 40 % du territoire national alors que de nombreux groupes armés sont actifs dans le reste du pays. Rétablir l’État de droit, mettre en place une adminis- tration compétente et créer les conditions propices à la réduction de la pauvreté ainsi qu’à une croissance durable exigera des politiques publiques soigneusement réfléchies. En s’appuyant sur les enseigne- ments tirés de l’expérience d’autres pays en situation de post-conflit, les pouvoirs publics pourraient formuler une stratégie efficace pour répondre aux besoins considérables de la RCA en matière de déve- loppement dans un contexte de capacités très limitées et de fortes contraintes budgétaires. La fragilité politique et institutionnelle de la procédures administratives, etc. En réalité, les incita- RCA est le reflet de son histoire, marquée par tions institutionnelles et les capacités de fond néces- une faible effectivité institutionnelle. L’admi- saires à l’exécution de ses fonctions essentielles nistration publique dispose des attributs d’une font défaut. Cette situation, appelée « mimétisme iso- gouvernance efficace en apparence seulement – morphe », reflète les manipulations cyniques de diri- organigrammes, rangs, documents officiels, geants qui ont délibérément privilégié l’apparence 13 14 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ ENCADRÉ 2.1 Évaluation de la fragilité de la RCA La fragilité de la RCA s’explique par un ensemble complexe de causes. En 2015, une évaluation de la fragilité du pays, réalisée par la Banque mondiale avec le soutien de l’ONU et des partenaires bilatéraux de la RCA, a déterminé six facteurs de fragilité : 1.  Un manque de cohésion sociale à tous les niveaux de la société. Une méfiance persistante entre commu- nautés, groupes ethniques et religieux, acteurs étatiques ou non étatiques qui contribue aux cycles de violence et permet à des dirigeants brutaux d’exploiter des griefs persistants. 2.  La concentration du pouvoir politique dans les mains d’une élite restreinte jouissant d’une faible légi- timité populaire. Les institutions politiques de la RCA n’intègrent pas efficacement les préférences démocra- tiques des citoyens dans les politiques publiques et son administration publique n’a pas la capacité de fournir des biens et services publics suffisants. Par conséquent, l’État est largement perçu comme une force lointaine et abstraite contrôlée par une élite isolée. 3.  Des disparités socioéconomiques et politiques entre Bangui et le reste du pays ainsi que celles entre la région de l’Est et du Nord d’une part et les régions du Sud et de l’Ouest d’autre part. Le pouvoir politique est concentré à Bangui, tout comme l’approvisionnement de biens et services publics. L’incapacité de l’État à fournir des services publics en dehors de la capitale ou à assurer la sécurité dans l’ensemble du territoire national a exacerbé les griefs ethniques, régionaux et sociaux et a permis l’émer- gence de groupes armés. 4.  L’accaparement de ressources naturelles rares par l’élite. Les anciens gouvernements et groupes armés ont toujours exploité les réserves d’or et de diamants du pays pour leur propre profit. 5.  L’impunité. L’incapacité à punir les criminels de guerre ou à rendre justice aux victimes de violence a créé un climat d’impunité qui contribue au cercle vicieux de conflit et de vengeance. 6.  L’insécurité persistante. L’incapacité du gouvernement à assurer la sécurité de base contribue à plusieurs formes de criminalité – notamment le trafic d’armes, le banditisme, l’exploitation illégale des mines d’or et de diamant, l’extorsion de fonds et le braconnage. d’une bonne gouvernance aux compétences admi- à adopter trop rapidement des réformes – même nistratives réelles ; elle témoigne aussi, du côté des si elles sont nécessaires et souhaitables – pourrait réformateurs, de l’absence de vision précise des nécessiter des efforts qui excèdent la capacité limi- efforts et du temps nécessaires au développement tée du secteur public à les intégrer ; ou qui lui soient d’un secteur public efficace. En conséquence, la même préjudiciables. Ce chapitre retrace l’histoire RCA et ses partenaires au développement font désor- de la RCA afin de déterminer quelles sont les causes mais face à un défi considérable : mettre en œuvre de sa fragilité (encadré  2.1). Il identifie ensuite, à un programme de réforme urgent et de grande enver- la lumière de l’expérience d’autres pays ayant tra- gure en s’appuyant sur un ensemble d’institutions versé de longues périodes de fragilité similaires, des publiques faibles et instables. Comme le démontre la points d’entrée pour briser le cycle du conflit et de littérature internationale, pousser des États fragiles la fragilité. BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 15 2.1. Les facteurs de fragilité et politique et administratif. Ces efforts se sont néan- moins concrétisés plus tardivement et moins vigou- d’instabilité en RCA sont reusement que dans d’autres colonies françaises. profondément enracinés Au cours de la période coloniale, des centres urbains dans l’histoire6 ont été créés, un réseau routier a été construit et de nouvelles cultures – telles que le coton, le café et Dès le XVe siècle, la région que l’on connaît l’huile de palme – ont été introduites. aujourd’hui comme étant la RCA fut soumise à une violence systématique à grande échelle. La période au lendemain de l’indépendance a Les parties nord et est du territoire ont été soumises été marquée par des régimes qui ont stimulé le à des incursions militaires de sultanats puissants développement économique, mais ils ont aussi situés au Tchad (Waddai) et au Soudan (Darfour). Au renforcé les systèmes clientélistes et la gouver- cours du XIXe siècle, le développement de nouvelles nance autoritaire issus de l’époque coloniale. routes pour la traite des esclaves a entraîné une mul- La RCA est devenue indépendante de la France en tiplication des raids pour les capturer à l’intérieur du 1960. Cependant, le contrat social du nouveau pays pays, affaiblissant la cohésion sociale et forçant les n’était pas fondé sur le postulat que les citoyens populations à se réfugier dans des régions éloignées paieraient des taxes au gouvernement en échange et difficiles d’accès. À la fin de l’ère précoloniale, la de services publics et de la sécurité, mais plutôt RCA n’était que faiblement habitée. Des groupes sur l’idée que l’État continuerait à exploiter violem- ethniques variés, profondément méfiants les uns ment la population au profit d’une élite restreinte, des autres, vivaient dans des villages dispersés sur mais puissante. Après l’indépendance, les premiers l’ensemble du territoire. dirigeants de la RCA, David Dacko et Jean-Bédel Bokassa, ont tenté de renforcer les capacités des La période coloniale a posé les fondations institutions publiques et de promouvoir le dévelop- institutionnelles de l’État dont la formation a pement économique et social, mais tous deux l’ont cependant été sapée par la violence et la discri- fait au service d’un État à parti unique fondé sur le mination. Les puissances coloniales européennes clientélisme et l’exploitation. sont arrivées au milieu des années 1880, et en 1906, le territoire de l’Oubangui-Chari fut déclaré colo- Le régime de Bokassa fut singulièrement marqué nie française. Les Français ont peu investi dans les par la brutalité et la corruption. Pour autant, le infrastructures et les institutions locales ; ils gouver- système administratif et les institutions sociales naient en s’appuyant sur un système de concessions de la RCA continuèrent à se détériorer même à des entreprises privées. Ces sociétés exigeaient de après sa chute, en 1979. Les prétendants au pou- la population locale qu’elle produise du caoutchouc voir exploitèrent alors de plus en plus l’identité et contribue aux recettes fiscales. Elles punissaient ethnique comme levier de soutien politique. Dès sévèrement les communautés qui ne respectaient la fin des années 1990, les responsables nationaux pas ces exigences. Le gouvernement colonial français en opposition commencèrent à exploiter les conflits a certes tenté de jeter les bases d’un véritable État locaux et à enrôler criminels et milices dans leur lutte pour le pouvoir. Les changements d’alliance entre les dirigeants politiques, les mouvements 6 Cette section est extraite du Diagnostic-pays systématique de la RCA. rebelles, les milices et les organisations criminelles 16 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ aboutirent à un schéma complexe de violence entre génocide. Alors que les combats se prolongeaient, factions et de ressentiment intercommunautaire qui les groupes armés se divisaient et proliféraient continue d’affaiblir la cohésion nationale7. (Figure  2.1), compliquant grandement les efforts pour négocier une résolution. À la suite de l’inter- Entre 1996 et 1997, trois mutineries militaires vention armée de la France et de l’Union africaine déclenchèrent un violent conflit politique. Ce en 2014, Djotodia démissionna. Un gouvernement dernier mena à une tentative sanglante de coup intérimaire fut formé et le processus de réconcilia- d’État en 2001 aboutissants, en 2003, à une tion lancé pour aboutir, en mai 2015, au Forum de révolte durant laquelle le président Ange-Félix Bangui. Patassé fut évincé par François Bozizé. En 2004, des groupes rebelles déclenchèrent une guerre civile Le Forum a mis le pays sur la voie des élections dans le nord contre le régime de Bozizé. Des accords et du retour à l’ordre constitutionnel. Une nou- de paix furent négociés en 2007 et 2008, mais les velle constitution fut adoptée par référendum popu- litiges concernant leur mise en œuvre et l’échec du laire en décembre 2015 avec 93 % des voix et une processus de DDR ultérieur8 plongèrent le pays dans participation de 38 % des électeurs. Cette nouvelle un nouveau conflit en 2012. Les groupes rebelles constitution élargit le pouvoir de la législature, mit formèrent la Coalition Séléka, conduite par Michel en place un Sénat pour compléter l’actuelle Assem- Djotodia, et marchèrent sur Bangui. Djotodia finit par blée nationale et fixa une limite de deux mandats renverser Bozizé et devint président en 2013. à la présidence. L’ancien Premier ministre Faustin Archange Touadéra remporta le second tour de Après son accession au pouvoir, Djotodia tenta l’élection présidentielle en février 2016 avec 62 % des de dissoudre la Séléka, mais la plupart des voix. Le nouveau Premier ministre Simplice Sarandji groupes qui la composaient refusèrent de désar- nomma plusieurs des anciens rivaux du Président mer, devenant alors l’ex-Séléka. Même si la Séléka au sein d’un gouvernement de 23 membres formé était composée en grande partie de musulmans et de en avril 2016 – un geste salué comme une étape membres des groupes d’éleveurs, la coalition était importante vers l’intégration politique. Le gouverne- principalement mue par des objectifs politiques. ment fut remanié en septembre 2017 pour intégrer En revanche, l’ex-Séléka s’identifiait fortement aux des représentants issus d’un éventail plus large de intérêts des éleveurs musulmans et s’appuyait sur factions politiques et de groupes armés. les conflits préexistants avec d’autres groupes eth- niques et religieux dans un cycle d’escalade de la Alors que le Forum de Bangui et les élections violence intercommunautaire. Les communautés ont officiellement mis fin à la transition, il serait agricoles, chrétiennes et animistes, réagirent en prématuré de considérer que la RCA est sortie créant ou en renforçant des milices d’autodéfense du conflit. Les conditions de sécurité se sont dété- locales, connues collectivement sous le nom d’anti- riorées depuis la mi-2016 tandis que la fragmentation balaka. Le caractère de plus en plus ethnique et continue des groupes armés a contribué à la montée sectaire du conflit a entraîné des atrocités générali- de la violence. Bien qu’impopulaire parmi certaines sées contre les civils, dans certains cas à la limite du franges de la population, la Mission multidimension- nelle intégrée des Nations unies pour la stabilisa- 7 Chauvin et Seignobos, 2013. tion en République centrafricaine (MINUSCA) reste 8 Fragility Assessment, Banque mondiale, 2016. indispensable en l’absence de forces nationales de BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 17 La prolifération des groupes armés en République FIGURE 2.1 centrafricaine, 2005–2017 2005 2007 2009 2010 2012 2013 2014 2015 2016 2017 GAPLC: Djotodia MLCJ: Sabone UFDR: Djotodia, Sabone, Damane FPRC: Djotodia, Nourredine, Hissène COALITION FDC: Hassan RPRC: Damane Coalition Séléka CPJP: Hissène CPJP: Massi CPJP Fond.: MPC: al-Khatim Nourredine CPSK: MPC Siriri: Ambosoro Dhaffane Séléka Rénovée: Dhaffane FPR: Laddé, Darassa MLCJ: Toumou Deya UPC: Darassa Anti-Balaka: Ngaïssona Anti-Balaka Anti-Balaka: Mokom Community self-defense groups Local groups MRDP FDPC: Miskine Autres groupes FDPC: Miskine RJ: Sayo RJ: Belanga APRD: Demafouth FCCPD: Tshibangu 3R: Sidiki LRA: Kony LRA: Kony Source : Nathalie Dukhan, 2017. Splintered Warfare. Alliances, affiliations and agendas of armed factions and politico military groups in the Central African Republic. The Enough Project. défense et de sécurité efficaces. Pour faire avancer des gains financiers  ; d’autres sont des groupes leurs intérêts, de nombreuses factions continuent d’autodéfense qui luttent au nom de certains d’envisager la violence comme un moyen plus groupes ethniques ou régions territoriales. Ces deux rationnel que l’engagement dans le nouveau proces- types de groupes tendent à exploiter les ressenti- sus politique. Tant que le gouvernement n’aura pas ments locaux pour gagner en légitimité. Cependant, intégré ces groupes dans l’échiquier politique natio- leurs objectifs politiques ou idéologiques se révèlent nal ou ne les aura pacifiés via un appareil de sécurité très limités, quand ils en ont. Les anti-balaka sont en nationale efficace agissant de façon légitime, la pré- général basés dans des régions ou villages particu- sence continue de la MINUSCA restera nécessaire. liers, tandis que les groupes de l’ex-Séléka comme l’Union pour la Paix en RCA (UPC) tentent d’asseoir Plusieurs groupes armés ont des objectifs com- leur contrôle sur les couloirs de transhumance plexes ou ambigus, souvent articulés autour de utilisés par les éleveurs. Bien qu’ils se présentent l’autodéfense, de la représentation de leur com- comme des groupes défensifs, l’anti-balaka comme munauté et du contrôle des ressources. Certains l’UPC ont commis, de façon répétée, de violentes groupes armés sont essentiellement des réseaux du agressions. Le Front Populaire pour la Renaissance crime organisé, mus par l’unique objectif d’amasser de RCA (FPRC), qui entretient des liens étroits 18 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ avec le Tchad, a pour objectif déclaré d’assurer non maîtrisée peut également générer de l’instabilité l’indépendance des régions au nord du pays. Bien en sapant la confiance du public dans le gouverne- que l’UPC et le FPRC soient des factions de l’ex- ment, tout en encourageant les groupes d’intérêt à Séléka à majorité musulmane, elles représentent rivaliser pour le contrôle des ressources publiques. différents groupes ethniques et sont engagées dans Pour réaffirmer la primauté du droit, le gouverne- une lutte violente pour le contrôle de certaines par- ment devra concilier des intérêts puissants tout ties des régions de l’Ouaka et de l’Haute-Kotto. Outre en prévenant la corruption ou l’accaparement des ces groupes et d’autres groupes armés nationaux, ressources par les élites. Les agents publics doivent l’armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resis- être incités à servir le public, plutôt qu’à défendre tance Army, LRA) est active en RCA depuis la fin les intérêts personnels de clients ou les objectifs des années 2000 après qu’une nouvelle offensive de propres de certains groupes ethniques ou politiques. l’armée ougandaise l’a poussée à passer de l’autre Enfin, le gouvernement doit progressivement déve- côté de la frontière pour trouver des ressources et lopper la fourniture de biens et services publics et assurer sa sécurité. lier explicitement ses actions à l’expression démo- cratique des citoyens et à leurs contributions aux Pacifier les groupes armés en RCA nécessi- recettes publiques. tera une réponse pragmatique et multiforme alliant contrainte, sanctions, confinement et Un récent Diagnostic-pays systématique de la cooptation9. Tâche ardue, le rétablissement de la RCA réalisé par la Banque mondiale a identi- sécurité est rendu plus difficile par les attentes des fié trois conditions nécessaires pour briser la factions politiques et des groupes armés qui ont spirale de l’instabilité et du conflit : établir la déjà rejoint le processus politique et la nécessité sécurité, répondre aux griefs de la population d’y répondre dans un contexte de maigres revenus et promouvoir un développement économique publics, de croissance molle, de faible capacité et social équitable et inclusif. L’insécurité persis- institutionnelle et de polarisation politique extrême. tante est sans doute l’obstacle le plus important à la réduction de la pauvreté. Chaque nouvel affron- Rétablir l’État de droit, mettre en place une tement violent entre des groupes armés crée des administration compétente et créer les condi- déplacements supplémentaires, détruit des biens tions propices à la réduction de la pauvreté ainsi privés, érode la capacité à fournir des services et qu’à une croissance durable exigera des poli- complique les efforts des organisations humani- tiques publiques soigneusement réfléchies. La taires. Il est aussi impératif d’apporter une réponse stabilité est une condition sine qua non du dévelop- aux griefs exprimés par la population pour maintenir pement. Dans un environnement où l’État de droit la stabilité à long terme. En effet, la mise en œuvre est faible, le rétablissement de la stabilité impose d’une justice efficace par les institutions publiques à l’État de s’appuyer sur le pouvoir dont jouissent rend illégitime le recours à la violence. La fourni- certains individus auprès de certaines parties de la ture équitable de services, y compris les transferts population. Ce mécanisme favorise inévitablement sociaux, est également essentielle pour réduire la la corruption et la recherche de rentes. La corruption pauvreté, renforcer le capital humain et améliorer la capacité des ménages à s’engager dans des activités 9 Schneckener, Ulrich 2009 : Spoilers or Governance Actors? productives. Enfin, promouvoir une croissance repo- Engaging Armed Non-State Groups in Areas of Limited sant sur une large assise et créatrice d’emplois peut Statehood, SFB-Governance Working Paper Series, No. 21, Research Center (SFB) 700, Berlin, 2009. réduire les incitations à s’engager dans la violence et BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 19 FIGURE 2.2 Les quatre dimensions du processus de développement • ÉCONOMIE • POLITIQUE • Productivité • Agrégation accrue correcte des préférences Système de règles • SOCIÉTÉ • ADMINISTRATION • Égalité des • Organisations droits sociaux, professionnelles opportunités et rationnelles Source : Prittchet et de Weijer, 2010. la criminalité pour obtenir des gains économiques. à bien des tâches complexes, et les droits et les Cependant, assurer la stabilité et répondre aux opportunités se répartissent plus équitablement. Ce griefs sont des conditions préalables à la croissance processus repose sur un système évolutif de règles économique. Alors qu’elle s’efforce de surmonter sociopolitiques – les normes et les attentes compor- l’héritage de la fragilité et de la violence, la RCA tementales qui sous-tendent les relations entre les peut tirer des leçons importantes de l’expérience individus, la société civile, le secteur privé et l’État d’autres pays sortis d’une période de conflit. (Figure 2.2). Au cours des périodes de transition, les individus sont confrontés à différents systèmes de règles contradictoires créant des tensions et des 2.2. Mise en place d’une conflits de nature à dérégler le processus de déve- administration publique loppement. Dans ce contexte, cette section examine compétente : des la capacité administrative du gouvernement de RCA à influer sur le cours des événements dans de nom- enseignements historiques breux domaines, notamment le droit, l’ordre public, Le développement peut être défini comme un les infrastructures, la réglementation économique et processus de transformation qui intervient le respect des contrats. dans quatre domaines  : économique, poli- tique, administratif et social. Quand un pays se Cette analyse utilise trois séries d’indicateurs développe, son économie devient plus productive, pour mesurer les différentes dimensions de la ses politiques publiques reflètent davantage les capacité administrative. Il s’agit des indicateurs préférences de ses citoyens, ses administrations de l’Index des États fragiles (Fragile States Index, publiques sont de plus en plus capables de mener FSI), des données du rapport de cartographie sur 20 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ les violations des droits de l’homme et des indica- économique et pauvreté, (iii)  services publics et teurs de gouvernance mondiaux de la Banque mon- (iv) droits de l’homme et état de droit. Un score plus diale (Worldwide Governance Indicators, WGI).10 Les élevé aux indicateurs du FSI implique un risque accru projections fondées sur des données historiques d’effondrement de l’État. Les pays sont classés selon peuvent apporter un éclairage sur le temps néces- leurs notes globales au FSI. On observe une corréla- saire à un État fragile tel que la RCA pour atteindre, tion entre les positions des pays dans le classement à partir de son niveau actuel de capacité administra- global de cet index et leurs taux de pauvreté – les plus tive, un seuil indicatif compatible avec une stabilité mal classés étant aussi les plus pauvres –, soulignant de base et une gouvernance adéquate. Ces séries ainsi l’importance fondamentale de la sécurité pour d’indicateurs tendent également à démontrer que réduire, de façon durable, la pauvreté. la restauration et la consolidation d’un État capable de remédier aux facteurs de fragilité, de rétablir la L’indicateur « appareil sécuritaire » mesure les sécurité, de faire respecter l’État de droit, d’instaurer menaces qui pèsent sur la sécurité d’un État. et de mettre en œuvre les réformes pour améliorer Il reflète les incidents violents tels que les affron- la gouvernance sont essentielles pour assurer une tements, les morts au combat, les rébellions, les croissance forte, durable et solidaire ainsi que pour mutineries, les coups d’État et le terrorisme. Il porte réduire la pauvreté. également sur le crime organisé, les homicides et la présence de paramilitaires, de milices indépen- dantes, de groupes de mercenaires ou d’autres com- Enseignements tirés de l’Index battants potentiels soutenus par l’État. Alors que le des États fragiles conflit à grande échelle est désormais terminé, la Depuis près de 25 ans, le Fonds pour la paix uti- situation en RCA reste extrêmement précaire sur lise un cadre analytique d’évaluation des conflits le plan de la sécurité. Malgré la présence d’autori- appelé CAST (Conflict Assessment System tés élues au sein des instances dirigeantes du pays, Tool) pour compiler les données du FSI. Le cadre le gouvernement central ne contrôle actuellement du CAST est conçu pour mesurer le risque de fail- qu’environ 40 % du territoire national, tandis qu’une lite des États. Il peut être appliqué avant, pendant ou grande partie du territoire national demeure aux après un conflit. La méthodologie, qui s’appuie sur mains de groupes armés et que les relations entre les des indicateurs qualitatifs et quantitatifs ainsi que communautés restent tendues. En 2017, la RCA se sur des données publiquement disponibles, produit classait 176e sur 178 pays sur l’indicateur d’appareil des résultats quantifiables. Le FSI se compose de sécuritaire. Son score s’est détérioré pour passer de douze indicateurs de risque répartis en quatre caté- 8,9 en 2006 à 9,0. À l’inverse, le Ghana occupe le 106e gories : indicateurs de cohésion, indicateurs écono- rang, avec un score de 2,0, reflétant les progrès spec- miques, indicateurs politiques et indicateurs sociaux. taculaires du pays pour rétablir la sécurité après une Quatre indicateurs du FSI sont particulièrement per- succession de nombreux coups d’État militaires entre tinents pour la RCA : (i) appareil sécuritaire, (ii) déclin 1978 et 1981. Alors que la Sierra Leone enregistrait un score de 7,0 en 2006, son score a baissé pour s’éta- blir à 4,3 en 2017 grâce aux efforts continus des pou- 10 Toutefois, les indicateurs WDI eux-mêmes pourraient être sen- sibles au mimétisme isomorphe. Dans ce cas, ils évalueraient voirs publics pour consolider la situation sécuritaire alors à quel point un pays se conforme aux apparences d’une (Figure 2.3). Les mauvaises performances de la RCA administration publique efficace, plutôt que l’efficacité réelle de son administration publique. sur l’indicateur « appareil sécuritaire » résultent de BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 21 Scores cumulés de l’Index des États fragiles et de l’indicateur FIGURE 2.3 « Appareil sécuritaire », République centrafricaine et Sierra Leone, 2006–2017 Tendance globale Appareil sécuritaire 150.0 15.0 100.0 10.0 50.0 5.0 0.0 0.0 2006 2007 2008 2009 2011 2013 2015 2016 2017 2010 2012 2014 2006 2007 2008 2009 2011 2013 2015 2016 2017 2010 2012 2014 République centrafricaine République centrafricaine Sierra Leone Sierra Leone Source : Base de données FSI. la détérioration des conditions de sécurité sur le et des systèmes hydrologiques robustes –, la RCA terrain où chaque nouvel affrontement violent entre reste un des pays les plus pauvres du monde et un groupes armés crée des déplacements supplémen- des pays les plus inégalitaires de l’Afrique subsaha- taires, détruit des biens privés, érode la capacité de rienne, avec le quatrième plus haut coefficient Gini l’État à fournir des services et complique les efforts de la région11. Le score de la RCA sur l’indicateur de des organisations humanitaires. Comme le souligne « déclin économique et pauvreté » s’est détérioré, légitimement le récent Diagnostic-pays systématique passant de 8,1 en 2006 à 9,1 en 2017 (Figure 2.4). pour la RCA, l’insécurité persistante qui prévaut dans le pays est sans doute l’obstacle le plus important à L’expérience du Libéria apporte plusieurs ensei- la réduction de la pauvreté. gnements importants pour la Centrafrique. En s’attachant à surmonter sa propre histoire de fra- L’indicateur du FSI «  déclin économique et gilité, de conflits et d’anarchie, le Libéria a vu son pauvreté  » reflète la tendance des mauvaises indicateur « déclin économique et pauvreté », s’amé- perspectives économiques et des niveaux liorer progressivement, passant de 8,9 en 2006 à élevés de pauvreté à affaiblir la stabilité de 8,1 en 2017 (Figure 2.4). Cette tendance reflète une l’État. Ses sous-indicateurs comprennent le revenu reprise économique graduelle du pays après la fin par habitant, le produit national brut, le taux de chô- de la deuxième guerre civile en 2003, mais aussi un mage, l’inflation, la productivité, la dette, le taux accroissement des compétences en matière de ges- de pauvreté et l’environnement des affaires. Il rend tion macroéconomique sous le gouvernement de compte, entre autres, des crises dans l’évolution transition et l’administration de l’ancien président des prix des matières premières, des revenus com- Ellen Sirleaf Johnson. Cette tendance suggère merciaux et des investissements étrangers. Malgré également que, si la paix est entièrement restaurée ses abondantes ressources naturelles – notamment l’uranium, le pétrole, l’or, les diamants, le cobalt, le 11 Banque mondiale, Note de politique, Pauvreté, 2016 et Indica- bois, la faune, une grande quantité de terres arables teurs de développement dans le monde 2015. 22 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Cumul des scores de l’Index des États fragiles et de FIGURE 2.4 l’indicateur « Déclin économique et pauvreté », République centrafricaine et Libéria, 2006–2017 Tendance globale Déclin économique et pauvreté 150.0 10.0 100.0 9.0 50.0 8.0 0.0 7.0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 République centrafricaine République centrafricaine Libéria Libéria Source : Base de données FSI. et entretenue, il faudra probablement plus d’une dehors de Bangui à la fin de l’année 2016. L’insécu- décennie de politiques économiques éclairées pour rité a emmené plusieurs fonctionnaires et agents de que les indicateurs économiques et les indicateurs l’Etat dans les provinces du pays à abandonner leurs de pauvreté de la RCA s’approchent des niveaux postes. Des professeurs ont quitté leur emploi faute actuellement enregistrés par le Libéria. de rémunération ; des établissements scolaires ont été pillés ou détruits ; et la formation comme le recru- L’indicateur « services publics » du FSI mesure tement des enseignants ont été interrompus. Dans la capacité des pouvoirs publics à exécuter leurs les faits, le système éducatif formel a cessé de fonc- fonctions essentielles et à répondre aux besoins tionner pendant deux années scolaires complètes et de leurs citoyens. L’indicateur comprend l’accès certaines écoles n’ont pas repris un fonctionnement aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau et l’assainis- normal avant début 2015. La crise a également affai- sement, ainsi qu’aux infrastructures de transport et bli le système de santé de la RCA. Environ 28 % des d’électricité. Il reflète également la capacité de l’État établissements de santé ont été endommagés ou à protéger ses citoyens de la violence via des services détruits, ou ne peuvent pas fonctionner en raison de de police et de sécurité efficaces. L’indicateur repré- l’insécurité ou du manque d’équipement et de four- sente également la répartition équitable des services nitures médicaux. Le système de santé souffre d’un publics entre niveaux de revenu des ménages, entre déficit d’environ 2 000 travailleurs qualifiés et les éta- régions et entre zones rurales et urbaines. blissements de soins de santé provinciaux doivent faire face à une pénurie particulièrement grave de La crise prolongée relative à l’insécurité en RCA a médecins, de sages-femmes, d’infirmiers qualifiés et grevé la capacité déjà faible de l’État à fournir des même d’aides-soignants. À l’échelle nationale, environ services et des biens publics essentiels. En raison 2 millions de personnes souffrent d’insécurité alimen- de l’intensification de l’insécurité et de la dégradation taire, les réserves de nourriture dans les zones rurales du système de paie des fonctionnaires, seuls quelque sont encore inférieures de 40 à 50 % à la moyenne 5  % des fonctionnaires étaient encore en poste en d’avant la crise, et des milliers d’enfants de moins de BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 23 cinq ans souffrent de malnutrition sévère, aiguë ou d’un État à protéger les droits fondamentaux modérée. Mis à part les programmes financés par les ainsi que son respect des libertés personnelles bailleurs de fonds, les systèmes de protection sociale et politiques. L’indicateur tente de mesurer les vio- pour les catégories pauvres et vulnérables sont lations des droits juridiques, politiques et sociaux, presque inexistants. Les infrastructures demeurent y compris les droits des individus, groupes et ins- extrêmement limitées. En 2010, l’ensemble du pays titutions. Il englobe le harcèlement de la presse, la disposait de moins de 25  000  km de routes, et en politisation de la magistrature, l’usage interne de 2015, les réseaux de télécommunications mobiles la force militaire à des fins politiques et la répres- couvraient seulement 59 % de la population. sion des opposants politiques, ainsi que les actes de violence contre des civils ayant des mobiles L’indicateur du FSI pour les services publics s’est politiques. Le score de la RCA sur les droits de dégradé considérablement entre 2006 et 2017, l’homme et l’État de droit s’est considérablement passant de 8,0 à 10,0. L’expérience de la Sierra Leone dégradé, passant de 7,5 en 2006 à 9,7 en 2017, met en évidence le défi que constitue la restaura- après avoir culminé à 10,0 en 2015 (figure 2.6). À tion des services publics dans un pays qui sort d’un titre de comparaison, le score de 2006 de la Sierra conflit. Bien que la guerre civile ait pris fin en 2002, le Leone était semblable à celui de la RCA à 7,0, mais score FSI de la Sierra Leone pour les services publics s’est constamment amélioré pour atteindre 5,3 en s’est détérioré, passant de 8,0 en 2006 à 8,8 en 2017 2017 compte tenu de la situation de paix qui a per- (Figure 2.5). La RCA a subi une détérioration encore duré dans le pays. plus grave sur la même période. Reconstruire la capa- cité des pouvoirs publics à fournir des services et des En plus du FSI, un rapport de cartographie biens publics vitaux sera un processus long et difficile. réalisé en 2017 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a L’indicateur «  droits de l’homme et État de largement documenté les violations des droits droit » du FSI examine la capacité et la volonté de l’homme en RCA depuis 2003. Le rapport Cumul des scores de l’Index des États fragiles et de FIGURE 2.5 l’indicateur « Services publics », République centrafricaine et Sierra Leone, 2006–2017 Tendance globale Services publics 150.0 15.0 100.0 10.0 50.0 5.0 0.0 0.0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 République centrafricaine République centrafricaine Sierra Leone Sierra Leone Source : Base de données FSI. 24 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Cumul des scores de l’Index des États fragiles et de FIGURE 2.6 l’indicateur « Droits de l’homme et état de droit », Centrafrique et Sierra Leone, 2006–2017 Tendance globale Droits de l’homme et état de droit 150.0 15.0 100.0 10.0 50.0 5.0 0.0 0.0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 République centrafricaine République centrafricaine Sierra Leone Sierra Leone Source : Base de données FSI. s’appuie sur les recommandations formulées au incluaient 32 incidents entre le 1er janvier 2003 et cours d’un séminaire international à Bangui en le 8 mai 2005, 69 incidents entre le 9 mai 2005 et le septembre 2015 à la suite du Forum de Bangui en 20 décembre 2008, 158 incidents entre le 21 décembre mai 2015. Il a été conçu pour soutenir l’engagement 2008 et le 23 mars 2013 et 361 incidents entre le du gouvernement et de la communauté internatio- 24 mars 2013 et le 31 décembre 2015. Le rapport a nale à mettre un terme aux violations des droits de révélé combien les récents conflits en RCA ont été l’homme, à rendre justice aux victimes et à éviter marqués non seulement par de graves violations des que les griefs non résolus ne provoquent de futurs droits civils et politiques, mais aussi par des violations conflits. massives des droits économiques et sociaux, y com- pris les droits à la santé, à l’éducation et au logement. Le rapport de cartographie a identifié 620 vio- La principale leçon à retenir est que les violations des lations graves des droits de l’homme et du droits de l’homme ont un impact négatif en RCA et droit international humanitaire12. Ces violations contribuent à maintenir le pays parmi les moins déve- loppés au monde. La RCA est classée dernière sur l’indice de développement humain de l’ONU, un outil 12 L’équipe du projet de cartographie a commencé en procédant à qui mesure les indicateurs de développement dans l’analyse d’informations issues de plus de 1 200 sources publiques et confidentielles, y compris les rapports présentés par les 188 pays du monde. agences de l’ONU, des ONG, les médias et des chercheurs univer- sitaires. L’équipe a également étudié les rapports précédemment non vérifiés, a visité les sites des incidents présumés et mené des entretiens avec environ 120 victimes, témoins, représentants des Enseignements tirés des Indicateurs pouvoirs publics, chefs religieux et communautaires, défenseurs de gouvernance mondiaux des droits de l’homme et auteurs présumés. Un seuil de gravité a été utilisé pour identifier les incidents révélant des « violations de la Banque mondiale graves du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire international », qui incluait les assassinats, la torture, La base de données des Indicateurs de gou- les violences sexuelles et sexistes, et les traitements cruels, vernance mondiaux (WGI) de la Banque inhumains ou dégradants, ainsi que d’autres violations des droits humains fondamentaux, y compris la discrimination systématique. mondiale confirme l’importance des droits BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 25 d’autonomisation — particulièrement la voix et Le Ghana et le Burkina Faso ont progressive- la responsabilité — pour encourager le dévelop- ment amélioré leur score sur l’indicateur « voix pement dans les pays touchés par des conflits. et responsabilité » ; le Libéria a pour sa part réa- Depuis 1996, la base de données WGI enregistre lisé des progrès significatifs depuis l’élection de les indicateurs de six dimensions clés de la gou- 2005. Pendant presque deux décennies, le pouvoir a vernance  : la voix et la responsabilité, la stabilité été transféré de manière pacifique au Ghana entre politique et l’absence de violence, l’efficacité des les dirigeants élus et les partis politiques adverses, pouvoirs publics, la qualité de la réglementation, en grande partie grâce à la vigoureuse société l’État de droit et la maîtrise de la corruption. La WGI civile du pays. Au Burkina Faso, des groupes de la mesure la qualité de la gouvernance dans plus de société civile ont contesté avec succès la tentative 200 pays en s’appuyant sur près de 40 sources de de l’ancien Président Blaise Compoaré de modifier données générées par plus de 30 organisations du la constitution en vue d’éliminer la limitation du monde entier, mises à jour chaque année depuis nombre de mandats présidentiels. Puis, après une 2002. L’indicateur «  voix et responsabilité  » rend période de transition instable, mais brève, la démo- compte du degré de participation démocratique, cratie a été rétablie. En 2017, le Libéria a réalisé sa liberté d’expression, liberté d’association et liberté première passation démocratique du pouvoir, entre de la presse ressenti par la population. Depuis la un Président sortant et un candidat de l’opposition. fin des années 1990, les scores de l’indicateur voix Pour ces pays, les scores les plus élevés de la WGI et responsabilité ont eu tendance à augmenter pour l’indicateur « voix et responsabilité » mettent dans les pays de référence comparables à la RCA, en évidence le rôle essentiel de la société civile qui à l’exception notable de l’Éthiopie, tandis que le consiste à encourager la stabilité politique et faciliter score de la RCA a diminué (Figure 2.7). le développement socioéconomique. Scores des Indicateurs de gouvernance mondiaux pour la FIGURE 2.7 « Voix et responsabilité », en République centrafricaine et dans les pays comparables, 1996–2016 1.0 0.5 BFA 0.0 CAF ETH –0.5 GHA –1.0 LBR RWA –1.5 –2.0 96 98 00 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 Source : Base de données des Indicateurs de gouvernance mondiaux (Banque mondiale). 26 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ 2.3. Briser le cycle du conflit et de avec détermination, la qualité de l’administration publique. l’instabilité : enseignements tirés de l’expérience internationale Enseignements tirés du Burkina Faso Pour réaliser cette manœuvre délicate, la RCA Le Burkina Faso a connu son lot d’instabili- peut s’inspirer des enseignements de certains tés politiques, de coups d’État et de régimes pays qui, d’abord déchirés par des guerres, ont autocratiques.13 Après avoir obtenu l’indépendance fini par sortir de leurs longues périodes de conflit du Burkina Faso vis-à-vis de la France en 1960, le et d’instabilité. Les élections présidentielles qui se président Maurice Yameogo a rapidement instauré sont déroulées dans le calme en 2016, le résultat une dictature à parti unique. Le gouvernement du positif de la conférence de Bruxelles et les progrès président Yameogo a été renversé par le coup d’État des processus en cours de Désarmement, démo- militaire du colonel Sangoule Lamizana en 1969. bilisation et réintégration (DDR) et de réforme du Bien que son régime ait été initialement très auto- secteur de la sécurité donnent lieu à un optimisme cratique, le président Lamizana a fait entrer le pays prudent. Dans ce contexte, l’expérience des pays dans une brève période de libéralisation politique comparables tels que le Burkina Faso, le Ghana, le dans les années 1970. Cependant, après une série Libéria et le Rwanda peut aider les décideurs poli- de coups d’État en 1980, 1982 et 1983, le président tiques à élaborer une stratégie de réforme valorisant Thomas Sankara a pris le pouvoir et a dirigé le pays les atouts sociaux, politiques et économiques limités jusqu’en 1987, date à laquelle il a été tué lors d’un de la RCA afin de consolider la paix et la sécurité. coup d’État final mené par Blaise Compaoré. Au cours des consultations organisées à Bangui Face aux pressions nationales et internatio- dans le cadre de la préparation de ce premier nales exercées en vue de réformer le système numéro des Cahiers économiques de la Répu- politique, le gouvernement de Compaoré ratifie blique centrafricaine, des étudiants ainsi que une nouvelle constitution multipartite en 1991. des représentants du secteur privé ont identifié Compaoré remporte la présidence en novembre le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Ghana, le Libéria 1991, bien que l’élection ait été entachée de fraudes et le Rwanda comme des pays post-conflits dont massives et d’un boycott de l’opposition. Les princi- peut s’inspirer la RCA. Même si les histoires res- paux candidats de l’opposition boycottent de nouveau pectives de ces pays sont uniques et qu’ils ont des l’élection de 1998, évoquant les pratiques d’intimi- caractéristiques propres, chacun d’entre eux s’est dation du gouvernement et les faiblesses du code stabilisé après avoir connu une période de conflit électoral. Toutefois, Compaoré gagne face à deux ou de grave instabilité. L’expérience conjointe de ces candidats de partis minoritaires lors d’une élec- pays souligne l’importance des éléments suivants : tion qui décrite par les observateurs internationaux s’employer activement à promouvoir le développe- comme ayant été organisée de manière plutôt libre ment de la société civile, renforcer la responsabi- et juste. En 1999, le président Compaoré annonce lité des dirigeants à l’égard du public et accroître la mise en place d’un comité consultatif visant à la transparence tout en adoptant un ensemble de dispositions politiques et institutionnelles pragma- Tiré du rapport Polity IV 2010 sur le Burkina Faso (http:// 13 tiques destinées à améliorer progressivement, mais www.systemicpeace.org/polity/BurkinaFaso2010.pdf). BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 27 démocratiser davantage le processus électoral au le Burkina Faso continue de faire face à des défis Burkina Faso. Le comité révise le code électoral, de développement majeurs, les élections librement crée une commission électorale indépendante, élar- contestées constituent une norme sociale et poli- git l’accès aux médias de l’État pour l’opposition et tique de plus en plus établie et la société civile conti- parraine l’amendement constitutionnel limitant la nuera à servir de système de responsabilisation et présidence à deux mandats de cinq ans. En octobre d’auto-correction, assurant une participation effec- 2005, le Conseil constitutionnel statue que cette tive de la population dans le processus politique. limitation du nombre de mandats présidentiels ne s’applique pas à Compaoré, car ayant été promul- guée pendant son second mandat. Face à une oppo- Enseignements tirés du Ghana sition divisée, Compaoré est réélu en novembre Tout comme le Burkina Faso, le Ghana a connu 2005 et en novembre 2010. une série de coups d’État, le premier ayant per- mis d’évincer le président Kwame Nkrumah En 2014, le président Compaoré essaie à nou- moins de dix ans après l’indépendance. Nkru- veau de modifier la constitution dans le but de mah est remplacé par une junte militaire dirigée par s’octroyer un cinquième mandat présidentiel. le général Frederick Akuffo. En 1979, le lieutenant Cette fois, les mouvements puissants de la société d’aviation Jerry Rawlings mène un coup d’État qui civile — soutenus par certains éléments de l’armée — évince Akuffo et crée une administration civile sous mobilisent des manifestations massives obligeant le régime du président Hilla Limann.14 Cependant, M.  Compaoré à respecter la limitation du nombre dans un climat marqué par de nombreuses alléga- de mandats présidentiels établie par la constitution. tions de corruption, le gouvernement de Limann À la suite d’une brève crise politique, il est forcé de tombe rapidement en disgrâce. Rawlings prépare un démissionner de la présidence le 31 octobre 2014. deuxième coup d’État en décembre 1981, renverse Un gouvernement de transition organise des élec- le gouvernement de Limann, et établit un gouverne- tions l’année suivante ; celles-ci se déroulent dans ment militaire. Il interdit tous les partis politiques et le calme et voient l’élection de Roch Marc Christian lance un vaste programme de réforme. Kaboré. Il prête serment le 29 décembre 2015. Une fois la situation politique ghanéenne sta- Le mouvement populaire qui a dissipé la crise bilisée, la population commence a exprimé politique de 2014 du Burkina Faso et a maintenu un souhait croissant d’ouverture politique. En l’ordre constitutionnel est ancré dans la société 1992, le gouvernement de Rawlings répond à cette civile vigoureuse du pays. Pendant des décennies, demande en adoptant une nouvelle constitution et la société civile burkinabè a consolidé son influence en levant l’interdiction des partis politiques au mois politique et sa crédibilité. Les syndicats sont parti- de mai. Cependant, l’opposition boycotte les élections culièrement puissants au Burkina Faso, et les orga- législatives organisées plus tard cette année-là, indi- nisations de jeunesse locale ont su tirer profit des quant que le temps imparti ne lui permet pas de pré- réseaux sociaux afin de soutenir la mobilisation poli- parer sa campagne. Rawlings gagne les élections tique. La force de la société civile a été essentielle présidentielles en 1992 et 1996 avant de se retirer pour permettre de réduire la participation de l’armée à la politique, consolider les droits d’autonomisation 14 Rapport Polity IV 2010 sur le Ghana (http://www.systemicpeace. et encourager la voix et la responsabilité. Même si org/polity/Ghana2010.pdf). 28 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ en 2001, comme l’exigeait la limitation du nombre comme la patrie des esclaves américains affran- de mandats présidentiels établie par la constitution. chis. Malgré l’hostilité des populations indigènes, la Il est remplacé par le candidat de l’opposition John faible minorité de colons américano-libériens s’est Kufuor. Celui-ci arrive au pouvoir en janvier 2001. Éta- rapidement établie comme la classe politique diri- blissant une Commission de la vérité et de la récon- geante du Libéria. Même si les groupes indigènes ciliation15, il s’attache à encourager la réconciliation représentaient 95  % de la population, ils étaient nationale entre Ghanéens. La mission de la Commis- marginalisés sur le plan politique et économique. sion consistait à tenir « un registre chronologique précis et complet » des violations présumées des À la suite des troubles violents qui ont eu lieu à droits de l’homme et des abus tels que le meurtre, la fin des années 1970, le gouvernement du pré- l’enlèvement, la disparition, la détention, la torture, sident William Tolbert est renversé par le coup les mauvais traitements et la saisie de biens durant d’État du sergent-chef Samuel Doe en 1980. Le trois périodes de gouvernement inconstitutionnel régime décennal du président Doe, qui favorisait entre le 6 mars 1957 et le 6 janvier 1993. son groupe ethnique indigène, les Krahns, était très impopulaire et marqué par une hausse de la violence Les querelles partisanes continuent en 2004 et ethnique. La première guerre civile du Libéria éclate 2006, mais elles restent circonscrites aux limites en décembre 1989. Le président Doe est exécuté. de la politique traditionnelle. Même si les intrigues Le Libéria sombre dans le chaos, de nombreux sei- politiques ont eu des répercussions négatives sur le gneurs de la guerre s’affrontant dans leur conquête processus politique, le gouvernement a, au fil du du pouvoir politique et des ressources économiques. temps, nettement réduit la participation de l’armée à La Communauté économique des États de l’Afrique la politique ainsi que la corruption. Depuis l’an 2000, de l’Ouest (CEDEAO) négocie un cessez-le-feu en les passations pacifiques du pouvoir ont permis novembre 1990, mais le gouvernement provisoire au pays d’engranger des dividendes économiques n’exerce qu’un contrôle limité en dehors de la ville impressionnantes. De plus, la réputation de stabilité de Monrovia. En effet, la majeure partie du pays est du Ghana lui a permis d’attirer des investissements contrôlée par Charles Taylor, le chef du Front national significatifs favorables à la création d’une économie patriotique du Libéria, ainsi que par des seigneurs de diversifiée. Tout comme le Burkina Faso, le Ghana guerre rivaux. Un violent conflit d’une durée de sept est confronté à des défis majeurs de développement, ans s’en suit durant lesquels plus de 200 000 Libé- mais la société civile robuste continue de renforcer riens sont tués et la majorité de la population est la stabilité politique et la gouvernance démocratique. dispersée à l’intérieur du pays. La première guerre civile du Libéria prend offi- Enseignements tirés du Libéria ciellement fin en 1996 avec l’accord de paix Le Libéria a connu son lot d’instabilités poli- d’Abuja. Les élections sont tenues en juillet 1997, tiques, de guerres civiles et de violence entre après que la majeure partie des groupes rebelles factions politiques et groupes ethniques aient transformé leurs milices en partis politiques. concurrents. 16 Le Libéria a été établi en 1821 Charles Taylor remporte la présidence avec plus de 75 % des voix, et son parti gagne plus de trois quarts 15 Loi de la Commission de la vérité et de la réconciliation, 2002. des sièges de l’Assemblée législative. Si les partis 16 Ibid. d’opposition émettent des accusations de fraude BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 29 électorale, les observateurs internationaux déclarent environnement post-conflit. En effet, malgré les que les élections ont été organisées de manière antécédents de fragilité et de conflit du Libéria, son libre et juste. Tous les partis politiques concurrents – score du Guide international des risques pays en hormis l’un d’eux – finissent par accepter les résul- matière de maîtrise de la corruption est passé pro- tats de l’élection. gressivement de 0 au début des années 1990 à 1 à la fin des années 1990 pour s’établir à 2 pendant les Pour autant, l’insécurité et les combats entre années 2000 puis à 2,5 après 2010. Cette tendance factions continuent de ronger le Libéria après les semble refléter une demande forte et constante de élections de 1997. De nombreux chefs de faction ne la population de réduire la corruption. Ellen Sirleaf cherchent pas véritablement à régler leurs différends Johnson, élue en 2005, et son successeur, George dans le cadre d’un processus politique ; les troubles Weah, qui a remporté l’élection de 2017, ont d’ail- civils prennent de l’ampleur. En 1999, les forces leurs tous deux fait campagne sur le thème de la rebelles lancent une insurrection au nord du pays. lutte contre la corruption. Le parcours de Johnson Au début de l’année 2001, le président Taylor remobi- Sirleaf, ancienne membre du personnel de la Banque lise 15 000 de ses anciens combattants de la guérilla mondiale et des Nations unies, lui a permis d’être afin de lutter contre l’insurrection. En 2002, la vio- particulièrement crédible dans sa défense de la lence atteint la périphérie de Monrovia et déstabilise bonne gouvernance. Cependant, les compétences gravement le gouvernement central. La détérioration de la fonction publique du Libéria restent très insuf- des conditions de sécurité se poursuit. En mars 2003, fisantes, reflétant des problèmes constants : la faible plus de 100 000 personnes déplacées vivent dans des gouvernance et le cycle des conflits. Le président camps à la périphérie de la capitale, car les forces Weah a demandé aux membres de l’importante rebelles continuent de se diriger vers Monrovia. diaspora libérienne de revenir au pays pour renfor- cer le stock de capital humain dans les secteurs Face à l’intensité des pressions politiques à public et privé. La RCA est confrontée à une situa- l’échelle nationale et internationale, Charles tion semblable. Faire appel à des membres qualifiés Taylor démissionne en août 2003. Un gouverne- de la diaspora pour travailler dans l’administration ment de transition composé de représentants des publique pourrait rapidement améliorer les compé- factions rebelles et de l’ancien régime de Taylor est tences de son administration. formé. Des violences sporadiques continuent de frapper la population rurale. De plus, les groupes de factions résistent activement à la tentative de désar- Enseignements tirés du Rwanda mement soutenue par les Nations unies. Toutefois, à la fin du mois d’octobre 2004, le processus de DDR Alors qu’il vient de sortir d’une situation de est achevé. En novembre 2004, les chefs des trois génocide et de faillite de l’État, le Rwanda est principales factions signent un accord renonçant à devenu l’un des principaux réformateurs éco - toute forme de violence et promettant de dissoudre nomiques mondiaux. Si les importants clivages leurs branches paramilitaires, ce qui leur permet de ethniques du Rwanda datent à son histoire préco- se présenter aux élections de 2005. loniale, de nombreuses puissances coloniales ont exploité ces clivages pour renforcer leur position L’expérience du Libéria souligne l’importance dominante. En 1959, une majorité hutue de plus que revêtent la maîtrise de la corruption et la en plus politisée – avec le soutien de l’armée belge – promotion d’une société civile robuste dans un déclenche une révolte qui renverse la monarchie 30 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ tutsie. En septembre 1961, le Parti du mouvement de dominer le discours politique et la politique gouver- l’émancipation Hutu (Parmehutu) remporte une vic- nementale. Habyarimana est finalement assassiné toire écrasante lors d’un référendum supervisé par en avril 1994, son avion ayant été abattu alors qu’il les Nations unies. Une fois l’indépendance obtenue s’approchait de l’aéroport de Kigali. Le pays sombre vis-à-vis de la Belgique en 1962, le chef Parmehutu dans l’anarchie et les milices hutues commencent à Grégoire Kayibanda devient le premier président massacrer des opposants tutsis et hutus. Une vague du pays. de violence engloutit le pays, et plus de 800 000 Tutsis sont tués. Cependant, les forces rebelles dirigées par Pendant la période postcoloniale, les Hutus les Tutsis capturent Kigali, repoussant les milices maintiennent leur hégémonie à travers la per- hutues dans les pays voisins, et établissent un gou- sécution systématique des Tutsis et la subver- vernement provisoire. sion croissante des institutions démocratiques du nationalisme hutu. Dans un climat de violences Le Pasteur Bizimungu, un Hutu, devient ethniques au début des années 70, Kayibanda est président en 1994. Cependant, c’est le vice- évincé par le général de division Juvenal Habyari- président et ancien leader de l’insurrection mana lors d’un coup d’État sans effusion de sang. Le tutsi Paul Kagame qui détient, dans les faits, le président Habyarimana dissout l’Assemblée natio- pouvoir exécutif. Ce dernier devient président en nale, abolit toutes les activités politiques autonomes mars 2000. Une nouvelle constitution ratifiée en juin et renforce l’idéologie d’État de la suprématie hutu. 2003 met fin au gouvernement provisoire et sert de En 1975, Habyarimana met en place un parti unique base pour de nouvelles élections. Le gouvernement dominé par les Hutus depuis sa base politique située enregistre huit partis politiques, mais interdit le prin- au nord du pays. Ce parti va contrôler la politique cipal parti de l’opposition accusé de promouvoir une rwandaise pendant les quinze années suivantes. En idéologie créant des divisions. En août 2003, le pré- 1991, face à une insurrection des rebelles dirigée par sident Kagame remporte une victoire écrasante face les Tutsis en Ouganda, et face à la pression politique à deux candidats hutus. Les observateurs internatio- croissante des partis nationaux de l’opposition hutu, naux signalent que même si l’élection allait dans la Habyarimana déclare souhaiter rétablir le système bonne direction pour assurer la démocratisation du multipartite. Cependant, peu d’efforts sont déployés pays, elle avait été entachée de nombreuses irrégu- par son gouvernement pour concrétiser la libéralisa- larités et avait fait l’objet d’intimidations politiques. tion politique. Le président Kagame est réélu en 2010 avec plus de 93 % des votes lors d’une élection que les observa- La montée des violences ethniques conduit au teurs internationaux jugent problématique. En 2017, génocide rwandais de 1994. Au début de l’an- à la fin de son second et dernier mandat présidentiel, née 1993, alors que l’offensive militaire dirigée par Paul Kagame modifie la constitution pour pouvoir se les Tutsis s’intensifie, le président Habyarimana maintenir au pouvoir jusqu’en 2034. signe un accord de paix qui consiste notamment à partager le pouvoir avec l’opposition hutu et les Au cours de ces vingt dernières années, le rebelles tutsis. Cependant, Habyarimana ne res- Rwanda est parvenu à une incroyable trans- pecte pas l’accord. En effet, des extrémistes appar- formation en passant du statut d’État en fail- tenant au mouvement « Hutu Power » commence à lite marqué par un génocide à celui de leader BRISER LE CYCLE DU CONFLIT ET DE L’INSTABILITÉ 31 mondial en termes de réforme structurelle. L’expérience de ces quatre pays comparables Cependant, le processus démocratique du Rwanda permet à la RCA de tirer d’importants enseigne- présente encore de nombreuses carences. Le pré- ments. La stabilisation des systèmes politiques du sident Kagame a fait campagne sans opposition Burkina Faso et du Ghana souligne qu’il est primor- lors des élections de 2017. Par ailleurs, une des per- dial de promouvoir une société civile robuste afin sonnalités qui lui est le plus ouvertement opposée, de stabiliser le processus démocratique. L’histoire Diane Rwigara, a été placée en résidence surveillée du Libéria explique en quoi les institutions poli- et il lui a été interdit de se présenter aux élections. tiques stables, crédibles et bénéficiant d’un large Les scores du Rwanda pour les indicateurs de voix soutien populaire sont essentielles pour permettre et responsabilité, respect de l’intégrité physique et à des groupes dont les intérêts divergent de régler droits d’autonomisation sont comparables à ceux de leurs différends sans avoir recours à la violence. Le la RCA. Pourtant, ses scores de qualité de l’admi- retour du pays à un régime démocratique souligne nistration publique et de maîtrise de la corruption également l’importance de la lutte contre la corrup- sont nettement supérieurs. Concentrer les efforts tion et de la garantie de responsabilité et transpa- sur l’amélioration de l’environnement commercial rence dans le secteur public. Enfin, l’expérience du a permis d’accélérer la croissance, tandis qu’un Rwanda au lendemain du génocide met en évidence système de protection sociale robuste continue de les progrès impressionnants qui peuvent être faits renforcer les indicateurs de développement humain. lorsqu’un gouvernement s’engage à procéder à des Néanmoins, le prolongement indéfini du régime réformes structurelles et à renforcer les capacités de Kagame amplifie l’incertitude que suscitent les bureaucratiques. La RCA s’efforce de surmonter futures passations de pouvoir, semant le doute sur un héritage de conflits violents. Dans ce contexte, l’avenir du Rwanda. Les décideurs politiques de la il peut être utile aux décideurs politiques d’en tirer RCA doivent impérativement tirer les bons enseigne- les enseignements pour élaborer un programme ments de l’expérience du Rwanda : même si les ins- visant à consolider la stabilité politique, protéger les titutions démocratiques ou l’application fiable des droits de l’homme essentiels et accroître progressi- droits politiques ne sont pas nécessaires au dévelop- vement la capacité du gouvernement à répondre aux pement, promouvoir une société civile robuste s’est besoins de ses citoyens, au besoin en faisant appel avéré très efficace pour stabiliser la dynamique poli- à sa Diaspora. Cela sera nécessaire pour mettre en tique et sociale des États fragiles. De plus, le respect œuvre les politiques publiques discutées dans la des processus démocratiques dissipe l’instabilité dernière partie de ce premier Cahier économique de inhérente à un régime à parti unique. la République centrafricaine. 3 SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ I l convient d’adapter avec précaution les politiques publiques de la République centrafricaine pour tenir compte de la fragi- lité de ses institutions et de ses capacités administratives limitées. Dans ce contexte, cette section présente un modèle d’équilibre général calcu- lable pour la RCA, utilisé pour évaluer différents scénarios de réforme dans les secteurs de l’extraction minière, de la foresterie, des services et de l’éducation. Dans le cadre du premier de ces scénarios, le gouver- nement adopterait des mesures visant à stimuler les exportations de l’industrie minière. Dans le cadre du deuxième scénario, il délivrerait de nouveaux permis d’exploitation forestière, ce qui accroîtrait les expor- tations de produits forestiers. Dans le cadre du troisième scénario, il mettrait en œuvre des réformes visant à améliorer la productivité du secteur des services, avec pour effet d’accélérer l’activité économique et d’augmenter le niveau de revenus des ménages. Enfin, dans le cadre du quatrième scénario, il stimulerait l’investissement public dans l’édu- cation, avec pour effet d’augmenter le nombre de travailleurs qualifiés. Tandis que chacun de ces quatre scénarios de réforme permettrait d’accélérer la croissance, l’augmentation de l’activité forestière prévue selon le deuxième scénario aurait de loin le plus fort impact sur la crois- sance inclusive, suivie par les réformes visant à stimuler la productivité du secteur des services telles que prévues par le troisième scénario. 33 34 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Le programme de réformes structurelles de la la dette et compte courant). Les modèles d’EGC RCA doit être soigneusement conçu de manière peuvent également saisir l’impact redistributif d’une à tenir compte des capacités institutionnelles politique. Il s’agit d’une caractéristique essentielle, limitées du pays et des différents conflits qu’il car la mise en œuvre de politiques économiques a connus. La littérature économique fournit des et leur pérennité dépendent, en partie, de la capacité leçons importantes pour informer le rythme et le des décideurs à en gérer les effets redistributifs. Le séquençage des réformes. Bazzi et Blattman (2014) présent chapitre utilise un modèle d’EGC pour la RCA concluent que l’augmentation des recettes publiques en vue de simuler les incidences de quatre scénarios tirées du pétrole et des minéraux réduit le risque politiques publiques différents. Une description de de guerre et la durée des conflits, suggérant ainsi la méthodologie de ce modèle est donnée dans que l’augmentation de l’activité minière et/ou forestière l’annexe technique. pourrait soutenir le processus de paix, mais unique- ment si les recettes tirées des ressources sont gérées correctement. Miguel et coll. (2004) concluent quant 3.1 Scénario 1 : augmentation à eux que la croissance inclusive tend à réduire des exportations minières les conflits en Afrique subsaharienne. Enfin, selon Les coûts de transport élevés réduisent la com- Collier et coll. (2003), les politiques conçues pour pro- pétitivité de la RCA. La route entre Bangui mouvoir l’inclusion sociale – l’enseignement public, et le port de Douala au Cameroun est la liaison com- par exemple – contribuent à réduire les risques post- merciale la plus importante du pays. Toutefois, conflit et à promouvoir une croissance plus large- celle-ci n’est pas entièrement revêtue et de mau- ment répartie. En effet, ces politiques témoignent vaises conditions routières entraînent des coûts de l’engagement du gouvernement à construire une considérables – tant en termes de retards que société pacifique et inclusive. Plusieurs études sou- d’endommagement des véhicules. Ces coûts sont lignent également l’importance de la réforme du cli- exacerbés par la prévalence des obstacles admi- mat des affaires, notamment par des mesures visant nistratifs, formels et informels, qui ont proliféré au à clarifier et appliquer les droits de propriété, afin de cours de la crise, et par les longues procédures de relancer l’investissement dans l’économie urbaine dédouanement au port de Douala. Outre l’insuf- qui, en RCA, est dominée par le secteur des services. fisance des infrastructures et le niveau élevé des coûts administratifs, les risques sur le plan de la La modification des politiques publiques peut sécurité dissuadent les entreprises de transport de avoir des incidences complexes et indirectes déployer leurs opérations en RCA. sur l’activité économique des différents secteurs et groupes socio-économiques  ; en estimant Selon le premier scénario prévisionnel, l’on sup- ces incidences, un modèle bien conçu d’équi- pose que la réduction des coûts de transport et libre général calculable (EGC) peut contribuer à des échanges fasse remonter les exportations prendre des décisions judicieuses. Les modèles minières à leur niveau d’avant la guerre civile. d’EGC peuvent prévoir l’incidence des réformes pro- Les coûts de transaction sont modélisés comme posées ou des chocs sur un éventail d’indicateurs un effet d’iceberg traditionnel : le transport est traité macro-économiques, y compris les comptes natio - comme une source de friction exogène qui est fixe naux (croissance, consommation, investissement et proportionnelle à la valeur expédiée. La simu- et équilibre budgétaire) et les comptes externes lation étalonne les coûts de transaction de l’ice- (taux de change, équilibre commercial, encours de berg en se basant sur une augmentation de 70 % SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ 35 des exportations minières en 2017. L’augmentation Les finances FIGURE 3.2 des exportations minières entraînerait l’appréciation publiques selon du taux de change réel, ce qui se traduirait par une le scénario 1 augmentation des volumes importés en réponse aux (% d’écart par recettes d’exportation supplémentaires. L’augmen- rapport à la valeur tation des revenus en conséquence de l’expansion de référence) des échanges commerciaux stimulerait également la 10.0 consommation. Ces effets de demande entraîneraient une augmentation d’environ 1 % du PIB par rapport 8.0 à la valeur de référence de 2017 et de plus de 2 % par 6.0 Solde total rapport à la valeur de référence de 2030 (Figure 3.1) 4.0 Recettes dans la mesure où l’augmentation des salaires sti- publiques mule l’épargne et l’investissement à l’échelle natio- 2.0 Dépenses nale. Selon ce scénario, le déficit budgétaire total se totales 0.0 réduirait nettement entre 2017 et 2025 pour dispa- raître d’ici 2030 (Figure 3.2). –2.0 –4.0 L’augmentation des exportations minières 2017 2025 2030 aurait d’importantes conséquences pour Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. d’autres secteurs. La production déclinerait dans tous les secteurs à l’exception de l’agriculture (Figure 3.3) puisque l’appréciation du taux de change réel provoquée par l’augmentation des exportations minières (Figure 3.4) réduirait la compétitivité des Décomposition FIGURE 3.1 biens échangeables, tels que les produits fores- de la croissance tiers et manufacturés. En outre, l’augmentation du PIB selon de la demande de main-d’œuvre et de capitaux le scénario 1 dans le secteur minier provoquerait une hausse (% d’écart par des coûts de production dans d’autres secteurs. rapport à la valeur Toutefois, cet effet serait limité pour l’agriculture – de référence) en dépit de sa dépendance vis-à-vis du même bassin 25 de main-d’œuvre non qualifiée que celui lié au secteur minier –, car l’augmentation des revenus stimulerait 20 PIB en prix constants la demande de produits agricoles. Cet effet serait éga- Consommation lement limité pour le secteur des services. Même s’il 15 est vrai que les services, tels que l’extraction minière, privée Consommation exigent un volume élevé de capitaux, la substituabilité 10 publique des capitaux entre ces deux secteurs est limitée. Investissement 5 Exportations Tous les groupes de revenus bénéficieraient d’une augmentation des exportations minières, 0 2017 2025 2030 mais les ménages du décile le plus riche en Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. bénéficieraient bien davantage que les ménages 36 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Croissance du de tout autre niveau de revenus. D’ici 2030, les FIGURE 3.3 secteur selon ménages des dix déciles de revenus auraient des le Scénario revenus plus élevés par rapport à la valeur de réfé- 1 (% d’écart par rence (Figure  3.5). Cependant, les avantages pour rapport à la valeur les ménages les plus riches seraient généralement de référence) beaucoup plus élevés que ceux des ménages les plus pauvres, tandis que les ménages du premier 78.68 74.91 80 décile de revenus accumuleraient des gains impor- 68.86 70 tants. Cette répartition régressive des rendements 60 reflète la forte intensité de capital du secteur minier, Agriculture 50 dans lequel les propriétaires privés et l’État captent Foresterie 40 plus de 70 % de la valeur ajoutée. En promouvant Exploitation 30 une exploitation minière artisanale responsable minière 20 aux côtés des grandes exportations minières com- Industrie 10 manufacturière merciales, le gouvernement pourrait accroître les 0 Services bénéfices accumulés par les ménages les plus –10 pauvres. –20 2017 2025 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. 3.2 Scénario 2 : augmentation des exportations de produits Dynamiques du FIGURE 3.4 taux de change forestiers selon le Scénario 1 Avant la crise de 2013, le secteur forestier repré- (% d’écart par sentait plus de 6 % du PIB de la RCA, environ la rapport à la valeur moitié du total des exportations et quelque 10 % de référence) des recettes publiques. Il employait également une main-d’œuvre importante dans les régions reculées, 0 où il était la source d’environ 4 000 emplois directs –1 et 6 000 emplois indirects. Selon le cadre de partage –2 des revenus du pays, les compagnies forestières –3 devaient reverser environ 1 milliard de FCFA par an –4 aux communautés locales. L’on estime que la cou- verture forestière de la RCA s’étend sur 5,4 millions –5 d’hectares : 3,8 millions dans la région du sud-ouest –6 et 1,6 million dans le Sud-Est. Pour l’heure, l’exploi- –7 tation industrielle s’est uniquement implantée dans –8 le Sud-Ouest si bien que le pays conserve un vaste 2017 2018 2023 2029 2030 potentiel forestier non exploité. Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. Remarque : les valeurs négatives indiquent une appréciation du taux de change réel Le deuxième scénario simule une augmen- tation de la production forestière stimulée par SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ 37 Croissance réelle de la consommation par décile FIGURE 3.5 de revenus selon le Scénario 1 (% d’écart par rapport à la valeur de référence) 30 Décile 1 25 Décile 2 Décile 3 20 Décile 4 Décile 5 15 Décile 6 10 Décile 7 Décile 8 5 Décile 9 Décile 10 0 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. la délivrance de nouveaux permis forestiers. Décomposition FIGURE 3.6 Il prévoit une augmentation des exportations de pro- de la croissance duits forestiers, nécessaire pour équilibrer le budget de du PIB selon l’État d’ici 2030. Dans le cadre de ce scénario, la pro- le scénario 2 duction augmenterait de 70 % par rapport à la valeur (% d’écart par de référence 2017 et de plus de 110 % en 2030. Cette rapport à la valeur augmentation des exportations de produits forestiers de référence) se traduirait par une augmentation du PIB réel d’envi- 40 ron 5 points de pourcentage par rapport à la valeur de référence de 2017 et de près de 14 points de pourcen- PIB en prix tage en 2030 (Figure 3.6). Un tel modèle suppose que 30 constants le gouvernement utilise les recettes supplémentaires Consommation générées par l’augmentation des exportations de privée produits forestiers pour réduire le déficit budgétaire 20 Consommation (Figure 3.7). Il en résulterait une amélioration de la publique situation budgétaire du gouvernement, qui permettrait Investissement 10 d’accélérer le remboursement de la dette publique Exportations et de limiter le besoin de contracter de nouveaux emprunts. S’en suivrait alors une importante réduc- 0 tion de l’effet d’éviction de la dette publique, qui sti- 2017 2025 2030 mulerait tant l’investissement privé que la croissance. Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. Les répercussions de l’augmentation des expor- tations de produits forestiers sur les autres 38 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Les finances Dynamiques du FIGURE 3.7 FIGURE 3.8 publiques selon taux de change le scénario 2 selon le Scénario 2 (% d’écart par (% d’écart par rapport à la valeur rapport à la valeur de référence) de référence) 80 –7.8 60 –8.0 40 –8.2 20 0 –8.4 –20 –8.6 –40 –8.8 –60 –80 –9.0 –100 –9.2 2017 2025 2030 Solde total –9.4 Recettes publiques Dépenses totales –9.6 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. –9.8 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 2026 2027 2028 2029 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. secteurs seraient semblables aux répercus- Remarque : les valeurs négatives indiquent une appréciation du taux de change réel sions provoquées par l’augmentation des exportations minières simulées dans le cadre du scénario précédent. L’appréciation du taux de change réel (Figure 3.8) entraînerait un déclin de la référence d’ici 2030 (Figure 3.10). Les ménages les production dans les autres secteurs axés sur l’expor- plus pauvres en bénéficieraient dans la mesure où tation, tels que l’extraction minière et les industries la main-d’œuvre non qualifiée représente environ manufacturières, tandis que la production agricole 45 % de la valeur ajoutée par le secteur forestier. Les demeurerait principalement inchangée (Figure 3.9). ménages les plus riches tireraient également avan- En revanche, au contraire du scénario précédent, tage de ce scénario, le capital représentant aussi 45 % de la valeur ajoutée dans ce secteur.17 Qui plus l’augmentation des exportations de produits fores- est, l’augmentation des recettes publiques prévue tiers induirait une augmentation de la production par ce scénario entraînerait une réduction du défi- dans le secteur des services. cit budgétaire, avec pour effet d’accroître l’investis- sement privé et de stimuler encore davantage les L’augmentation simulée de la production fores- revenus des ménages les plus riches. tière bénéficierait aux ménages de tous les groupes de revenus. Dans le cadre de ce scénario, le niveau de revenu des ménages de tous les groupes 17 La taxe à la production représente environ 50 % de la valeur serait d’au moins 15 % supérieur au scénario de ajoutée par le secteur forestier. SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ 39 Croissance du santé souffre de faibles taux de vaccination, d’une FIGURE 3.9 secteur selon infrastructure délabrée, d’un manque de personnel le Scénario 2 qualifié, d’une couverture géographique limitée et (% d’écart par de capacités de suivi et de surveillance épidémiolo- rapport à la valeur gique insuffisantes. de référence) 120 La mise en œuvre de réformes stimulant la productivité du secteur des services pourrait 100 dynamiser l’activité économique et augmen- 80 ter les revenus des ménages les plus pauvres. Une amélioration de 10 % de la productivité accroî- 60 trait l’ajout de valeur du secteur des services de 40 8 % par rapport à la valeur de référence d’ici 2030 et accélérerait la croissance dans d’autres secteurs – 20 en particulier l’extraction minière, l’industrie manu- 0 facturière et l’exploitation forestière (Figure 3.11).19 De plus, l’amélioration de la productivité du sec- –20 2017 2025 2030 teur des services ajouterait 5 % au PIB d’ici 2030 Agriculture Foresterie (Figure 3.12). Exploitation minière Industrie manufacturière Services Dans le cadre de ce scénario, ce sont les Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. ménages les plus pauvres qui bénéficieraient du plus grand pourcentage d’augmentation de la consommation. En effet, la consommation des ménages des quatre déciles inférieurs de la 3.3 Scénario 3 : augmentation répartition des revenus augmenterait de 4,5 % par de la productivité du secteur rapport à la valeur de référence d’ici 2030, tandis des services que la consommation des ménages des six déciles supérieurs augmenterait de 2,5  % (Figure  3.13). En RCA, la faible productivité du secteur des Cette répartition des rendements favoriserait les services entrave considérablement la croissance. ménages aux plus faibles revenus, car la main- Les services publics de base – tels que l’eau courante, d’œuvre non qualifiée contribuerait à hauteur de l’électricité et les soins de santé – se caractérisent 30 % à l’augmentation totale de la valeur ajoutée par leur portée limitée de même que leur qualité par le secteur des services, alors que la main- et leur disponibilité insuffisantes. Les défaillances d’œuvre qualifiée n’y contribuerait qu’à hauteur des services d’eau et d’assainissement coûteraient de 16 %. à la RCA environ 64 millions USD par an – soit près de 4,5 % du PIB annuel – en coûts de santé supplé- mentaires et perte de productivité.18 Le secteur de la 19 Le coût des investissements requis pour entraîner cette amélioration n’est pas inclus dans cette simulation ; ces résul- tats doivent être interprétés comme la représentation la plus 18 Banque mondiale, 2016. optimiste des impacts possibles. 40 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Croissance réelle de la consommation par décile de FIGURE 3.10 revenus selon le Scénario 2 (% d’écart par rapport à la valeur de référence) 30 Décile 1 25 Décile 2 Décile 3 20 Décile 4 Décile 5 15 Décile 6 Décile 7 10 Décile 8 Décile 9 5 Décile 10 0 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. Croissance du Décomposition FIGURE 3.11 FIGURE 3.12 secteur selon de la croissance le Scénario 3 du PIB selon (% d’écart par le scénario 3 rapport à la valeur (% d’écart par de référence) rapport à la valeur 10.0 de référence) 10.0 8.0 6.0 8.0 Agriculture Foresterie 4.0 6.0 Exploitation minière 2.0 4.0 Industrie manufacturière 0.0 2017 2025 2030 Services PIB en prix constants Consommation privée 2.0 Consommation publique Investissement Exportations 0.0 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. 2017 2025 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ 41 Croissance réelle de la consommation par décile de FIGURE 3.13 revenus selon le Scénario 3 (% d’écart par rapport à la valeur de référence) 6.0 Décile 1 5.0 Décile 2 Décile 3 4.0 Décile 4 Décile 5 3.0 Décile 6 2.0 Décile 7 Décile 8 1.0 Décile 9 Décile 10 0.0 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. 3.4 Scénario 4 : augmentation que le taux d’achèvement du primaire est de 45 % seulement. Ces données témoignent des graves dys- des investissements dans fonctionnements internes du système éducatif. En l’éducation général, la qualité de l’environnement d’apprentis- En RCA, les investissements publics destinés à sage est très faible : la plupart des écoles manquent l’éducation reculent depuis plus de 20 ans. En rai- d’infrastructures, d’équipements et de matériels son des recettes fiscales limitées et de la faible priorité adaptés tandis que les enseignants ne sont pas suffi- budgétaire accordée à l’éducation, seul 1,45 % du PIB samment nombreux pour répondre à la demande. En était consacré à ce secteur en 2005 – soit une propor- outre, ceux-ci sont souvent sous-qualifiés. Parmi ces tion plus faible que celles observées dans tout autre enseignants figurent aussi un nombre croissant de pays africain et nettement inférieure à la moyenne parents recrutés pour endosser ce rôle de manière continentale de 3,7 %. En 2012, les dépenses consa- ponctuelle. crées à l’éducation publique ont décliné davantage pour atteindre 1,2  % du PIB, représentant seule- Dans le cadre du quatrième scénario, l’augmen- ment 7,8  % des dépenses totales. Les dépenses tation des dépenses publiques consacrées à consacrées à l’éducation sont passées de 28 % des l’éducation se traduirait par une hausse de 10 % dépenses publiques (hors service de la dette) en du nombre de travailleurs qualifiés. Compte 1996 à 14 % seulement en 2005. tenu de la faiblesse des indicateurs éducatifs et du sous-développement des secteurs de l’indus- Les résultats enregistrés dans le domaine de trie et des services en RCA, l’augmentation du l’éducation sont extrêmement faibles. Le taux brut nombre de travailleurs qualifiés se traduirait par d’inscription à l’école primaire s’élève à 87 % tandis une hausse de 2 % seulement du PIB par rapport 42 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Décomposition de la croissance du PIB dans le cadre du FIGURE 3.14 scénario 4 (% d’écart par rapport à la valeur de référence) 3.5 3.0 2.5 PIB en prix constants 2.0 Consommation privée Consommation publique 1.5 Investissement 1.0 Exportations 0.5 0.0 2017 2025 2030 Source : Calculs du personnel de la Banque mondiale. à la valeur de référence de 2030.20 Toutefois, les tra- durablement la productivité sous-jacente de la vailleurs qualifiés percevant des revenus plus élevés main-d’œuvre, il sera nécessaire d’investir dans le que les travailleurs non qualifiés, le revenu total des développement de la petite enfance et de l’éduca- ménages augmenterait. De surcroît, cet effet serait tion primaire. Des niveaux d’éducation supérieurs progressif, et le niveau de revenu des ménages seront de plus en plus utiles au fur et à mesure que pauvres augmenterait de 1,2  % par rapport à la l’économie se développera. Cependant, au vu des valeur de référence (Figure  3.14). Enfin, l’augmen- contraintes budgétaires actuelles du pays, l’approche tation de l’offre de travailleurs qualifiés entraînerait la plus efficace consisterait à renforcer l’éducation une baisse d’environ 3,5  % de leur salaire moyen primaire et la formation professionnelle afin de par rapport à la valeur de référence, tandis qu’une transmettre aux travailleurs les compétences de réduction du même ordre de la demande de travail- base ainsi que les compétences spécifiques deman- leurs qualifiés entraînerait une augmentation de leur dées par les secteurs florissants de l’économie, tels salaire moyen d’environ 0,4 % que la foresterie, l’extraction minière et les services. Ces résultats suggèrent que les décideurs Il convient toutefois d’émettre plusieurs réserves devraient s’attacher à renforcer l’éducation importantes quant aux simulations présentées élémentaire et la formation professionnelle. ci-dessus. Premièrement, si ces simulations sont L’économie de la RCA a besoin de travailleurs qui alignées sur le cadre macroéconomique de la RCA, aient un niveau d’éducation de base et des compé- elles sont avant tout indicatives. Qui plus est, les tences professionnelles spécifiques. Afin d’accroître résultats du modèle sont en partie déterminés par les hypothèses et les paramètres d’étalonnage décrits ci-dessus et détaillés dans l’annexe technique. Par 20 Comme cette simulation ne tient pas compte des coûts de exemple, l’hypothèse d’un réinvestissement intégral l’éducation, ces résultats peuvent être interprétés comme la représentation la plus optimiste des impacts possibles. de l’excédent de revenus provenant de la modification SIMULATION DE L’IMPACT DE DIFFÉRENTES POLITIQUES SUR LA CROISSANCE INCLUSIVE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ 43 simulée des politiques publiques influence considé- du secteur des services se traduirait d’ici 2030 par rablement les résultats. En outre, bien que le scé- une augmentation de plus de 10 % des exportations nario de référence reflète aussi exactement que par rapport à la valeur de référence. possible la structure de l’économie de la RCA, la qualité et la disponibilité des données influent sur L’augmentation de l’activité minière prévue dans la précision du modèle. En dépit de ces limitations, le le cadre du premier scénario aurait un impact modèle d’EGC apporte des informations précieuses relativement faible sur la croissance, mais cette permettant d’éclairer le programme du gouverne- conclusion dépend des spécifications du modèle. ment en matière de politiques publiques. Le modèle d’EGC examine l’exploitation minière com- merciale à forte intensité de capital, en opposition à Alors que ces quatre scénarios permettraient l’extraction artisanale à relativement forte intensité d’accélérer la croissance, c’est l’augmentation de main-d’œuvre. Par ailleurs, l’augmentation simu- de l’activité forestière prévue dans le cadre du lée de 70 % des exportations légales de diamants est deuxième scénario qui aurait, de loin, le plus extrêmement prudente si l’on tient compte du niveau fort impact en entraînant une hausse de près de des exportations avant la crise de 2013. Alors que 14 % du PIB par rapport à la valeur de référence l’exploitation minière artisanale pourrait apporter de 2030. Cela reflète certainement la bonne règle- d’importantes améliorations en matière d’emploi mentation et administration de ce secteur en dépit et de revenus, le sous-secteur artisanal est très majo- des défis sécuritaires. De plus, la répartition des ritairement informel et non réglementé. De surcroît, rendements de cette croissance serait modérément l’exploitation minière artisanale est un moteur poten- progressive et aurait un impact particulièrement tiel des conflits et de l’instabilité. positif sur les ménages des deuxième, cinquième et sixième déciles de revenus. Par ailleurs, les recettes Enfin, l’augmentation du nombre de travailleurs publiques augmenteraient considérablement, au qualifiés simulée dans le cadre du quatrième point de dépasser la valeur de référence de près de scénario apporterait des gains économiques très 78 % d’ici 2030, tandis que les exportations augmen- modestes, ce qui met en lumière l’incapacité de teraient de plus de 40 % par rapport à la valeur de l’économie sous-développée de la RCA à utiliser référence, augmentant par là même les réserves efficacement sa main-d’œuvre qualifiée. Parmi de change. tous les scénarios, c’est la simulation de l’augmen- tation du nombre de travailleurs qualifiés qui a le plus L’intensification de l’activité du secteur des ser- faible impact sur les variables macroéconomiques. vices prévue dans le cadre du troisième scénario Bien que le nombre de travailleurs qualifiés soit limité aurait le deuxième plus fort impact sur la crois- en RCA, l’économie du pays ne dispose pas des sec- sance, avec une hausse du PIB de 4,6 % par rapport teurs industriels et des services sophistiqués qui à la valeur de référence d’ici 2030. Les rendements pourraient pleinement exploiter leur valeur. Dans un seraient répartis de manière plus progressive tel contexte, les décideurs doivent donner la priorité encore. Les ménages de tous les niveaux de revenus au renforcement de l’éducation de base et à l’élar- en tireraient avantage, mais les gains des ménages gissement de l’accès à la formation professionnelle. de chacun des cinq déciles de revenus les plus bas seraient supérieurs aux gains de quelconque Bien que ces simulations n’aient pas examiné des cinq premiers déciles. En outre, la croissance spécifiquement le secteur agricole, celui-ci peut 44 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ offrir de grandes opportunités économiques Unies, la moitié de la population (2,5 millions de per- et contribuer à briser le cycle des conflits et de sonnes) a besoin d’assistance humanitaire, bien que l’instabilité. L’on estime que 75 % de la population l’environnement de la RCA soit favorable à l’agricul- dépend de l’agriculture, tandis que 85  % des com- ture, et près de 1,3 million de personnes (28 % de la munes citent l’agriculture comme leur principale acti- population) sont en situation d’insécurité alimentaire. vité économique et 35 % le bétail comme leur activité Par conséquent, les politiques et les réformes visant économique secondaire. Au sein du secteur primaire, à promouvoir un secteur agricole productif peuvent telles sont les principales activités : l’agriculture de offrir de grandes opportunités économiques et contri- subsistance, l’élevage et enfin la chasse et la pêche, buer à briser le cycle des conflits et de l’instabilité. qui ont contribué respectivement à 32 %, 14 % et 8 % Ces aspects seront approfondis dans les prochains du PIB total en 2016. Pourtant, selon le Bureau de la numéros des Cahiers économiques de la République coordination des affaires humanitaires des Nations centrafricaine. 4 CONCLUSION M algré des évolutions encourageantes et le climat d’optimisme prudent qui prévaut depuis que s’est déroulée, dans le calme, l’élec- de cette démarche : consolider les acquis démocra- tiques et réduire progressivement l’influence des militaires sur le politique ; renforcer la responsabilité tion présidentielle de 2016, la RCA reste un État des dirigeants à l’égard des citoyens ; accroître la fragile. Le conflit de 2013 a conduit à des niveaux de transparence ; et, enfin, améliorer progressivement violence sans précédent et provoqué un choc négatif la qualité de l’administration publique en faisant sur un PIB par habitant déjà faible. De plus, le conflit appel à la Diaspora si nécessaire. est loin d’être terminé. Afin de rétablir l’État de droit, mettre en place un appareil administratif efficace Le programme des réformes structurelles de la et créer les conditions d’une croissance durable République centrafricaine doit également être et d’une réduction de la pauvreté, il conviendra soigneusement adapté à la fragilité du pays. de concevoir avec soin un programme politique. Si de nombreux scénarios de réforme sont sus- Adopter des approches innovantes en matière de ceptibles d’accélérer la croissance de la RCA, les fourniture de services publics de la santé et de l’édu- résultats du modèle d’équilibre général calculable cation, et tirer pleinement profit de l’aide fournie par (MEGC) indiquent que l’augmentation de l’activité les partenaires externes, le secteur privé et la société forestière permettrait une hausse du PIB bien supé- civile pourraient permettre au gouvernement de com- rieure à la valeur de référence. L’activité accrue du mencer à répondre à des besoins de développement secteur des services pourrait également accélérer considérables dans un contexte de capacités très la croissance et entraîner une distribution des béné- limitées et de fortes contraintes budgétaires. fices plus progressive. En revanche, une hausse de l’exploitation minière à des fins commerciales La RCA, qui s’efforce de surmonter un héritage n’aurait que peu de répercussions sur le bien-être de fragilité et de violence, peut s’inspirer des des ménages pauvres. Faciliter le développement enseignements d’autres pays ayant traversé du sous-secteur de l’extraction artisanale pourrait des périodes de conflit. Comme le montrent les améliorer la situation de l’emploi et des revenus. enseignements tirés de pays comparables à la RCA, Cependant, l’extraction artisanale reste très problé- il est impératif de s’employer à promouvoir le déve- matique en RCA. Enfin, une augmentation simulée loppement de la société civile. Tels sont les enjeux du nombre de travailleurs qualifiés aurait un effet 45 46 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ moindre sur les indicateurs macroéconomiques en envergure en s’appuyant sur un ensemble d’institu- raison des faibles niveaux d’instruction enregistrés tions publiques faibles et instables. Comme le montre en RCA et de la capacité limitée de son économie qui la littérature internationale, pousser des États fragiles à ne lui permet pas de tirer pleinement profit de la main- adopter trop rapidement des réformes – même si elles d’œuvre qualifiée. Cette constatation suggère que, à sont nécessaires et souhaitables – pourrait nécessiter court terme, concentrer ses efforts sur l’amélioration des efforts qui excèdent la capacité limitée du secteur de la qualité et l’accessibilité de l’éducation de base public à les intégrer ; ou qui lui soient même préju- et la formation professionnelle pourrait avoir une diciables. Dans ce contexte difficile, le gouvernement plus grande incidence sur la productivité de la main- pourrait adopter une approche innovante pour com- d’œuvre et les revenus des ménages. mencer à briser le cycle des conflits et de l’instabi- lité : fournir des services dans l’éducation et la santé ; La fragilité politique et institutionnelle de la RCA tirer les enseignements de l’expérience des pays en est le reflet de son histoire, marquée par de lon- situation de post-conflit pour établir un programme gues périodes de chaos. Dans ce contexte, la RCA politique ; et, enfin, privilégier les secteurs qui ont le et ses partenaires au développement sont aujourd’hui pouvoir de rétablir rapidement la croissance écono- confrontés à un défi redoutable : mettre en œuvre mique et d’offrir des emplois à la population, plus par- un programme de réformes urgentes et de grande ticulièrement aux ménages pauvres et vulnérables. RÉFÉRENCES Armington, Paul S. (1969}, «A Theory of Demand for Products Distinguished by Place of Production», IMF Staff Papers Vol. 16, No. 1 (Mar., 1969), pp. 159–178. Banque mondiale (2016). “Central African Republic: Building a New Foundation for Stability and Growth”, Washington : Rapport No. AUS16528 de la Banque mondiale Banque mondiale (2011). World Development Report 2011: Conflicts, Security and Development. Washington : Banque mondiale. Bazzi, S. et C. Blattman (2014). Economic Shocks and Conflict: Evidence from Commodity Prices. American Economic Journal: Macroeconomics, 6(4), 1–38. 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ANNEXE TECHNIQUE : CONCEPTION D’UN MODÈLE D’EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE POUR LA RCA Le modèle EGC pour la RCA présenté ci-dessous (1982).22 Comme la plupart des hypothèses sous- est une variation du modèle de pays-unique par jacentes du modèle sont courantes dans la docu- rapport au modèle EGC mondial de la Banque mentation sur l’EGC, la présente section ne traite que mondiale.21 Le modèle est calibré sur la base d’une de quatre aspects méthodologiques : (i) la fonction matrice de comptabilité sociale (MCS) comprenant de production, afin de mettre en évidence le méca- 24 activités économiques, 24 secteurs, 6 facteurs nisme par lequel l’investissement visant à accroître productifs et 10 types de ménages. Le modèle EGC la productivité dans le secteur agricole affecte l’éco- pour la RCA est récursif et dynamique : il modé- nomie ; (ii) les hypothèses de bouclage macroécono- lise explicitement la convergence des prix et des mique, afin d’examiner comment les revenus sup- volumes vers leurs nouvelles valeurs. Cette approche plémentaires générés par diverses réformes sont relie une série d’équilibres statiques à un ensemble alloués et d’évaluer leur impact sur la performance d’équations qui mettent à jour, à chaque période, économique ; (iii) la consommation des ménages, les principales variables macroéconomiques. Le afin de souligner l’effet distributif des réformes struc- bloc statique est présenté en premier, suivi du bloc turelles dans différents secteurs ; et (iv) le commerce dynamique. international, afin de souligner le rôle de la fonction d’élasticité de substitution constante d’Armington (ESC) et l’hypothèse du petit pays concernant le trai- Le modèle statique tement des biens échangeables. Le modèle statique est développé à partir de l’approche néoclassique de modélisation 22 Le cadre théorique repose sur des hypothèses néoclassiques, structurelle, mise au point par De Melo et coll. y compris des rendements d’échelle constants et une concur- rence parfaite, où les entreprises maximisent leurs profits pour déterminer l’offre de production et la demande de facteurs. Voir, 21 Van der Mensbrugghe, 2005. par exemple, de Melo et Tarr, 1992. 49 50 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ Le modèle décrit une économie avec 24 sec- mobile d’un secteur à l’autre et le taux de rendement teurs produisant 24 produits de base. Tous les est le même pour tous les secteurs. secteurs sont supposés produire dans des condi- tions de rendements d’échelle constants et de Le modèle comprend 10 catégories de ménages concurrence parfaite, ce qui implique que les prix qui se distinguent par décile de revenu. Les de tous les biens sont égaux au coût marginal de ménages reçoivent à la fois des revenus salariaux et production. Les producteurs maximisent leurs pro- non salariaux, y compris les transferts de fonds et les fits en minimisant les coûts de production sous la gains en capital. Les envois de fonds sont libellés en contrainte d’une fonction de production à plusieurs devises étrangères. Les ménages utilisent le revenu niveaux. Au niveau supérieur, la production totale pour la consommation, les paiements d’impôt sur le est la somme de la valeur ajoutée et des produits revenu, l’épargne et les transferts. La part des paie- intermédiaires produits, suivant une technologie ments de l’impôt sur le revenu et de l’épargne dans de production Leontief. Au deuxième niveau, les le revenu total des ménages est supposée constante. extrants intermédiaires sont estimés en combinant La consommation d’un produit par un ménage est tous les produits dans des proportions fixes, éga- déterminée par une fonction d’utilité du système de lement selon une structure Leontief, et la valeur dépenses linéaires Stone and Geary (LES)23. Cette ajoutée totale est obtenue en agrégeant les contri- fonction décompose la consommation d’un produit butions du capital, de la main-d’œuvre, de la terre et donné en consommation incompressible et consom- des ressources naturelles. mation discrétionnaire. La répartition de la consom- mation des ménages entre les produits dépend des Les marchés de facteurs sont supposés être prix relatifs et des élasticités de revenu, qui sont parfaitement concurrentiels. Le marché du travail propres à chaque secteur dans ce modèle. comprend 6 types de travail qui se distinguent par le niveau d’éducation et la structure de rémunéra- Les règles de bouclage macroéconomique tion : Le terme “non qualifié” désigne les travailleurs déterminent comment les équilibres macroé- qui n’ont pas terminé leurs études secondaires ; le conomiques se rétablissent après un choc. Ces terme “semi-spécialisé” désigne les travailleurs qui règles de bouclage précisent comment le modèle ont terminé leurs études secondaires et qui peuvent parvient à l’équilibre budgétaire (c.-à-d. comptes avoir une éducation tertiaire incomplète ; et le terme publics équilibrés), à l’équilibre du compte de capital “qualifié” désigne les travailleurs qui ont terminé (c.-à-d. comptes d’investissement et d’épargne leurs études supérieures. Les travailleurs de chacun équilibrés) et à l’équilibre externe (c.-à-d. transac- des trois niveaux d’éducation sont classés comme tions équilibrées avec le reste du monde). Le modèle “salariés” ou “non-salariés”. Chaque type de tra- de la RCA comprend des règles de bouclage spéci- vail est supposé être parfaitement mobile entre les fiques pour chaque équilibre. secteurs, ce qui implique un salaire uniforme pour chaque type de travail dans tous les secteurs, qui est Le gouvernement tire ses revenus des taxes déterminé par l’offre et la demande de main-d’œuvre à la production, des taxes à l’exportation, des à l’échelle de l’économie. Le stock de capital est fixe droits de douane à l’importation, des taxes de à l’intérieur de chaque période, et la demande déter- vente et des impôts sur le revenu. Tous les taux mine comment le capital est réparti entre les sec- teurs. En d’autres termes, le capital est entièrement 23 Stone, 1954. ANNEXE TECHNIQUE : CONCEPTION D’UN MODÈLE D’EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE POUR LA RCA 51 d’imposition sont fixés au niveau de l’année de de cette hypothèse de bouclage dans le contexte de base. Les dépenses publiques courantes et en capi- la RCA est qu’une augmentation des exportations de tal sont également fixées en parts du PIB réel. Cela produits de base entraîne une appréciation du taux signifie que l’épargne publique (c’est-à-dire le solde de change réel, ce qui réduit la compétitivité des sec- primaire) est endogène et qu’elle s’ajuste pour effa- teurs autres que les produits de base - un symptôme cer le solde public. Les emprunts étrangers et inté- classique du “syndrome hollandais”. rieurs comblent l’écart entre l’investissement public et l’épargne publique. La composition des emprunts Ce modèle suit l’hypothèse d’Armington d’une publics (c’est-à-dire le rapport entre les emprunts substitution imparfaite entre les importations étrangers et les emprunts intérieurs) est fixée à la en provenance de différents pays.24 La demande valeur de l’année de référence. D’autres hypothèses d’importation est estimée au moyen d’une fonction de fermeture du gouvernement sont incluses dans ESC imbriquée, qui regroupe, au premier niveau, les scénarios simulés de réforme des subventions à les biens nationaux et importés et, au second l’énergie et au transport. niveau, les biens importés de divers partenaires commerciaux. L’offre d’exportation est modélisée Un bouclage axé sur l’épargne est supposé fixer symétriquement comme une fonction d’élasticité les taux d’épargne de tous les ménages et de constante de transformation (ECT). Au niveau le toutes les entreprises. L’investissement global - plus élevé, les producteurs répartissent leur pro - qui, avec un taux d’amortissement exogène, déter- duction sur les marchés intérieurs ou étrangers mine le stock de capital de la période suivante - est en fonction des prix relatifs ; au niveau le plus ajusté pour s’assurer que l’investissement est égal bas, les exportations sont réparties vers différents à l’épargne. Le volume de l’épargne disponible marchés de destination. Les partenaires commer- est déterminé par un niveau exogène d’épargne ciaux identifiés dans la MCS 2015 comprennent les étrangère, d’épargne endogène du gouvernement États membres de la CEMAC et le reste du monde et des ménages qui épargnent une part fixe de (RDM)25. Comme la RCA est un preneur de prix sur leur revenu après impôt. Dans ce contexte, une les marchés internationaux, la demande d’impor- augmentation des recettes publiques due à la sup- tation et l’offre d’exportation n’affectent pas les pression des subventions stimulerait l’épargne, prix mondiaux. En d’autres termes, le commerce stimulerait l’investissement actuel et accélérerait international reflète l’hypothèse du petit pays. En la croissance future. conséquence, les prix à l’importation et à l’exporta- tion sont déterminés de manière exogène. Le bouclage externe est obtenu en ajustant le taux de change réel. On suppose que la RCA est Le modèle dynamique un preneur de prix sur les marchés internationaux. Les prix internationaux sont exogènes, tandis que le Bien qu’il présente certains inconvénients, le solde du compte courant est égal à l’épargne étran- modèle EGC dynamique récursif utilisé dans gère (exogène). Les variations du taux de change réel, et donc des prix intérieurs, entraînent des variations correspondantes du volume des importa- Voir Armington (1969) pour plus de précisions. 24 tions et des exportations nécessaires pour atteindre La version calibrée de ce modèle ne comprend qu’un seul 25 l’objectif de compte courant. La principale implication partenaire commercial, RDM. 52 ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: BRISER LE CYCLE DES CONFLITS ET DE L’INSTABILITÉ cette étude est plus facile à mettre en place et à aux estimations issues d’études empiriques27. La résoudre qu’un modèle basé sur une approche productivité dans les secteurs de la fabrication et des d’optimisation-résolution intertemporelle26. services augmente la main-d’œuvre, et on suppose La trajectoire dynamique suit le cadre de crois- que la croissance de la productivité est constam- sance néoclassique (c’est-à-dire le modèle de ment plus élevée dans l’industrie manufacturière croissance Solow), ce qui implique que le taux de que dans les services. Un scénario de référence est croissance économique à long terme est déterminé construit à partir de ces hypothèses avant l’exécu- par trois facteurs principaux : l’accumulation de tion des simulations. Dans le scénario de référence, capital, la croissance de l’offre de travail et l’aug- le taux de croissance du PIB est exogène. mentation de la productivité. Le stock de capital est endogène et dépend du taux de rendement histo - Sources de données et paramètres rique du capital, tandis que l’offre de main-d’œuvre du modèle et la croissance de la productivité sont exogènes. Le modèle est résolu année par année à partir de l’année de base 2001 jusqu’en 2030. Pour géné- Le capital-actions de chaque période est la rer une solution dynamique, certaines hypothèses somme du capital amorti de la période précé- sont faites concernant l’évolution des variables dente et des nouveaux investissements. Le stock exogènes. La croissance de référence est calibrée de capital est endogène, puisque l’investissement à l’aide des hypothèses à court et moyen terme du est déterminé par l’épargne publique et privée dis- modèle macro-budgétaire de la Banque mondiale ponible au cours de la période précédente et la dis- (MFMod). Les hypothèses concernant l’évolution ponibilité de financement externe. La répartition du des envois de fonds, de l’investissement étranger capital entre les secteurs dépend du rendement du direct et du compte de capital global proviennent capital dans chaque secteur au cours de la période de sources du FMI. Les hypothèses pour les années précédente. Le stock maximum de main-d’œuvre dis- au-delà de la période de projection du MFMod, qui ponible pour chaque période augmente avec le taux se termine en 2020, sont basées sur les tendances de croissance de la population en âge de travailler pour 2017–2020. La quantité maximale de main- (15–64 ans), qui est obtenu à partir des prévisions d’œuvre disponible pour chaque période reflète les démographiques de la Banque mondiale. projections démographiques de la Banque mon- diale pour la cohorte des 15–64 ans, mais la quan- Pour le déterminant final de la croissance, le tité réelle de main-d’œuvre fournie pour chaque modèle LINKAGE (Couplage) suppose un pro- période est déterminée de manière endogène par grès technologique spécifique à chaque secteur le modèle. et facteur de production. Les variations de produc- tivité sont dérivées d’une combinaison de variables, La MCS, qui sert à calibrer le modèle EGC, est mais elles impliquent aussi un certain degré de juge- un cadre de données exhaustif englobant à la ment. Premièrement, on suppose que la productivité fois des indicateurs sociaux et économiques. agricole est neutre et exogène et qu’elle est égale La MCS saisit l’interaction entre la production, le 26 Voir Van der Mensbrugghe (2005). 27 Voir par exemple Martin et Mitra, 1999. ANNEXE TECHNIQUE : CONCEPTION D’UN MODÈLE D’EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE POUR LA RCA 53 revenu, la consommation et l’accumulation de capi- préférences des consommateurs, de la technolo- tal par les institutions nationales et externes dans gie de production et du commerce des produits de une matrice carrée unique. La MCS établit égale- base. Cette analyse utilise les paramètres fournis ment un équilibre initial, dans lequel les dépenses par le modèle GTAP (Projet d’analyse du commerce de chaque agent doivent être égales à ses recettes, mondial).28 sous la forme de sommes égales en colonnes et en lignes. Au-delà de la MCS, plusieurs para- 28 Les élasticités du GTAP semblent correspondre à la documen- mètres externes sont nécessaires pour étalonner tation, car les sous-secteurs agricoles ont des niveaux d’élasti- les fonctions comportementales en fonction des cité inférieurs aux sous-secteurs des services.