Rapport no 62572-CI Côte d’Ivoire Un Agenda pour la Croissance Basée sur les Exportations et les Ressources Naturelles 20 mars 2012 PREM 4 Région Afrique Document de la Banque Mondiale ANNÉE FISCALE 1 janvier – 31 décembre ÉQUIVALENTS MONÉTAIRES Unité monétaire: Franc CFA (FCFA) 1 $ EU = 450 FCFA (mai 2011) POIDS ET MESURES Système métrique SIGLES ET ABBREVIATIONS AIPH Association Interprofessional de la Filière Palmier à l’Huile AFFICOT-CI Association des Faîtières de la Filière Coton de Côte d’Ivoire ANARE Autorité Nationale de Régulation du Secteur de l’Électricité ANADER Agence Nationale pour l’Appui au Développement rural APROMAC Association des Professionnels et Manufacturiers du Caoutchouc naturel de Côte d’Ivoire ARECA Autorité de Régulation pour le Coton et l’Anarcade BAD Banque Africaine de Développement BCEAO Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BRVM Bourse régionale des valeurs Mobilières BSC Bordereau de Suivi de Cargaison CAF Coût, Assurance et Fret CEDEAO Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest CEPICI Centre de Promotion de l’Investissement en Côte d’Ivoire CIE Compagnie Ivoirienne d’Electricité CIT Côte d’Ivoire Telecom CNRA Centre National de la Recherche Agricole DAI Déclaration anticipée d’importation EECI Energie Electrique de la Côte d’Ivoire FAB Franco à bord FCFA Franc de la Communauté Financière Africaine FER Fonds d’Entretien Routier FIMR Fonds d'Investissement en Milieu Rural FIRCA Fonds Interprofessional pour la Recherche et le Conseil Agricole FLEGT Forest Law Enforcement, Governance and Trade (Applications des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux) FRI Fiche de Renseignement à l’Importation GAO Gazeduc de l’Afrique de l’Ouest ITIE Initiative de Transparence pour les Industries Extractives MME Ministère des Mines et de l’Énergie OIC Office Ivoirien des Chargeurs ONG Organisation Non-Gouvernementale PETROCI Société Nationale d’Opérations Pétrolières de la Côte d’Ivoire PIB Produit Intérieur Brut i SICOSA Société Ivoirienne de Coton SIR Société Ivoirienne de Raffinage SODEFOR Société de Développement des Forêts SOGEPE Société de Gestion du Patrimoine du Secteur de l’Électricité SOPIE Société d’Opération Ivoirienne d’Électricité SCS Suivi, Contrôle et Surveillance SYDAM Système de Dédouanement Automatisé des Marchandises TIC Technologies de l’Information et de la Communication TRIE Transport Routier Inter-Etats TVA Taxe sur la Valeur Ajoutée UE Union Européenne UEMOA Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest URECOS-CI Union Regionale des Entreprises Cooperatives de la Zone des Savanes de Côte d’Ivoire VITIB-CI Village des Technologies de l'Information et de la Biotechnologie de la Côte d’Ivoire Vice Président: Obiageli K. Ezekwesili (AFRVP) Directeur des opérations: Madani M. Tall (AFCF2) Directeur sectoriel: Marcelo Giugale (AFTPM) Chef sectoriel: Miria Pigato (AFTP4) Chef d’équipe: Philip English (AFTP4) ii Approche sous-sectorielle axée sur les ressources naturelles ................................................... 4 Quels sont les domaines et questions non abordés ?................................................................. 6 L’Agenda futur: Quelques considérations pratiques................................................................. 7 Cultures vivrières de base et élevage ...................................................................................... 11 Sous-secteurs en déclin: Ananas et café ................................................................................. 12 Sous-secteurs stagnants ayant un potentiel: Banane, sucre et cacao ...................................... 13 Valeur ajoutée ......................................................................................................................... 17 Cacao et cajou ......................................................................................................................... 20 Autres sous-secteurs................................................................................................................ 22 Potentiel et problèmes identifiés ............................................................................................. 25 Perspectives futures ................................................................................................................ 26 Le port d’Abidjan et les douanes ............................................................................................ 32 Obstacles au commerce de transit ........................................................................................... 33 Entretien routier ...................................................................................................................... 34 Services de camionnage .......................................................................................................... 35 Service ferroviaire ................................................................................................................... 36 Défis et contraintes ................................................................................................................. 60 Les pêches nationales .............................................................................................................. 71 L’industrie du thon .................................................................................................................. 71 Gouvernance ........................................................................................................................... 73 iii Liste des Figures: Figure 1.1: PIB par habitant: 1960 - 2009 ................................................................................................ 1 Figure 1.2: Investissement en% du PIB: 2000-2007 ................................................................................ 3 Figure 1.3: Principales contraintes selon le rapport de l’enquête sur le climat de l’investissement ......... 6 Figure 2.1: Évolution de l’utilisation des terres agricoles ...................................................................... 15 Figure 3.1. Évolution de la structure des exportations: 1995 - 2008 ...................................................... 16 Figure 3.2: Estimation de la valeur ajoutée ............................................................................................ 18 Figure 4.1: Commerce en pétrole brut et raffiné (million de dollars EU) .............................................. 24 Figure 6.1: Part de marché des opérateurs de téléphonie mobile ........... Error! Bookmark not defined. Figure 6.2: Souscriptions sans fil............................................................................................................ 39 Figure 6.3: Prix pour ligne fixe............................................................................................................... 40 Figure 7.1: Transformation et exportation des noix de cajou brutes (RCN) (milliers de tonnes) .......... 44 Figure 10.1: Cours mondial réel et projeté du coton selon l’indice Cotlook A (US cents/livre) .............. 64 Liste des Tableaux: Tableau 1.1: Exportations - valeur, part et croissance ............................................................................. 2 Tableau 1.2: Classement Doing Business suivant les principaux indicateurs ......................................... 7 Tableau 2.1: Taux potentiel de croissance du secteur agricole: 2011-2020 .......................................... 11 Tableau 3.1: Évolution des exportations transformées et manufacturées .............................................. 17 Tableau 8.1: Rentabilité comparative du cacao, du palmier à l’huile et de l’hévéa en 2008 ................. 50 Tableau 9.1: Comparaison des coûts entre la Côte d’Ivoire et la Malaisie ............................................ 56 Tableau 11.1: Ratios du coût en ressources intérieures ........................................................................... 67 Tableau 11.2: Plan indicatif d’une extension économiquement viable de la riziculture ......................... 69 iv Le présent rapport a été élaboré en réponse à une demande du Gouvernement ivoirien, lequel sollicitait une analyse des sources de croissance qui pourraient aider le pays à sortir de sa longue période de stagnation économique et de crise politique. Il vise à donner des conseils opportuns à un nouveau gouvernement prêt à établir une stratégie de croissance à moyen terme, en ce qui concerne notamment l’ajustement et la mise en œuvre de la stratégie existante de réduction de la pauvreté. Le rapport jette les bases de l’analyse requise pour faciliter la hiérarchisation des nombreux besoins et options, et il émet des recommandations précises sur les interventions et les réformes génératrices de croissance. Il formule en outre des suggestions pour les nouvelles opérations d’appui budgétaire et d’investissement proposées par la Banque mondiale. Le rapport se focalise sur les exportations basées sur des ressources naturelles, qui ont toujours été le socle de l’économie et demeurent le principal facteur susceptible d’assurer une croissance solidaire est favorable aux pauvres. Il se veut un complément à d’autres travaux déjà disponibles ou en cours sur des questions transversales comme le climat de l’investissement et les infrastructures. L’accent y est en conséquence mis sur les sous-secteurs clés et les obstacles précis — et souvent uniques — qui entravent leur croissance. Néanmoins, les secteurs des transports et des télécommunications sont inclus dans l’analyse, comme sources en elles-même d’exportation de services et comme thèmes transvérsaux, l’accent étant toutefois mis sur les infrastructures immatérielles qui ne sont pas couvertes dans les autres travaux. Le sous-secteur du riz est ajouté comme l’un des rares domaines où il est possible d’enregistrer une considérable croissance grâce à la substitution des importations. Un chapitre distinct examine la question de l’ajout de valeur aux produits de base, en s’appuyant sur des exemples de sous-secteurs. La note conceptuelle a été examinée au sein de la Banque mondiale et avec les autorités en 2009. Une mission préliminaire a été organisée en février 2010 avec un premier groupe de consultants, suivie d’autres missions de consultants particuliers au cours des mois subséquents. Les résultats initiaux de la mission sur les pêches ont été examinés en mai 2010, et ceux des missions sur l’agro -industrie, les produits du bois et les transports en juillet 2010. Le rapport a été validé lors d’un atelier du 9-10 novembre 2011 et l’étude a été modifiée pour tenir compte des commentaires et recommandations reçus. L’étude a été dirigée par Philip English (Banque mondiale), qui était chargé du rapport de synthèse. Les documents de base ont été rédigés par les consultants ci-après: Alain Ballereau et Kalou Douabi (transport et facilitation du commerce), Mourad Belguedj (énergie), Jean-Paul Chausse (l’anarcade, le coton, le palmier à huile, l’hévéa et l’agriculture en géneral), Elke Kreuzwieser et Guillaume Gnamien (agro-industrie), Roland Finifter (produits du bois), Dunstan Spencer et Cyrille Berah Amani (riz), et Gert van Santen et Amadou Tall (pêche). Mombert Hoppe et Boubker Abisourour ont contribué à l’analyse des données commerciales. Les membres de l’équipe de l’étude tiennent à exprimer leur gratitude au Gouvernement ivoirien et tout particulièrement au Ministre Charles Koffi Diby, Emmanuel Ahoutou et Madeleine Yao du Ministère de l’Économie et des Finances pour leur appui, ainsi qu’à APEX-CI pour l’organisation de l’atelier de juillet 2010, et aux collègues au bureau de la Banque mondiale à Abidjan pour leurs conseils et assistance. Nous voudrions adresser des remerciements spéciaux à Judite Fernandes et Josette Percival de Washington pour leur appui administratif. Enfin, nous aimerions témoigner notre reconnaissance, pour leur généreux concours financier, au fonds fiduciaire multidonateurs pour le commerce administré par la Banque mondiale et à ses nombreux donateurs. v 1. La Côte d’Ivoire a été un exemple de succès économique au cours des 20 premières années de son indépendance, mais un brusque revirement s ’est amorcé en 1980 et dès 1993, le revenu par habitant du pays était retombé à son niveau de 1960. La dévaluation du franc CFA a déclenché une reprise de l’économie, mais celle-ci a été rapidement fragilisée par la crise politique à partir de 1999. Au moment même où l’économie commençait à se redresser, une nouvelle crise a éclaté au début de 2011, avec des pertes considérables en vies humaines et en biens. La croissance du PIB sera nettement négative en 2011, après 30 ans de déclin quasi ininterrompu du revenu par habitant et une accentuation de la pauvreté, dont le taux est passé de 10% en 1985 à 43% en 2008. Le pays a besoin, de toute urgence, d’une croissance rapide et inclusive pour faire reculer la pauvreté, créer des emplois, donner l’espoir d’un meilleur avenir et contribuer à panser les plaies du tissu social. 2. L’amélioration du climat de l’investissement est une nécessité impérieuse si le secteur privé va être en mesure de créer l’emploi si attendu. La Côte d’Ivoire se classe au 169e rang sur 183 pays, loin derrière le Ghana voisin qui occupe la 67e place. Si l’instabilité politique est le plus important obstacle, la plupart des principales variables connaissent des problèmes. Des réformes transversales de l’environnement des affaires seront importantes pour stimuler l’investissement et la croissance dans les industries manufacturière et tertiaire, et elles sont moins sujettes aux abus que les interventions ciblées. Elles sont toutefois moins susceptibles d’assouplir les contraintes des sous-secteurs reposant sur l’exploitation des ressources naturelles, lesquels tendent à être plus singuliers. D’autres rapports couvrent adéquatement le programme plus général d’amélioration du climat de l’investissement, notamment les enquêtes Doing Business, le Rapport de l’enquête sur le climat de l’investissement, l’Étude diagnostique par pays des infrastructures en Afrique et le Programme d’évaluation du système financier. Aussi le présent rapport s’intéresse-t-il principalement aux sous-secteurs reposant sur l’exploitation des ressources naturelles. 3. Le rapport accorde une certaine attention à deux thèmes transversaux clés, à savoir ceux du secteur des transports et des télécommunications. Le secteur du transport facilite les exportations de marchandises et l’accès aux importations essentielles, mais il constitue aussi en lui-même une exportation de services (pour les pays voisins enclavés). L’accent est mis ici sur l’aspect « immatériel » des transports, c’est-à-dire les procédures, la réglementation et les services qui sont souvent négligés au profit des investissements dans les infrastructures matérielles. L’amélioration de l’aspect immatériel des transports est généralement plus efficace au plan du coût, ne serait-ce que parce que les frais y afférents sont négligeables ou nuls. Une étude distincte sur le secteur des transports, en cours de préparation, traitera tout particulièrement des infrastructures matérielles. 4. La simplification des procédures, le renforcement de la compétition et la résistance aux intérêts particuliers pourraient beaucoup contribuer à réduire les coûts de transport . La lourdeur des formalités douanières, le nombre excessif de pièces requises et l’absence de compétition entre les transitaires amoindrissent les atouts d’un terminal à conteneurs relativement bien géré. Le trafic routier intérieur et de transit est entravé par les tristement célèbres barrages routiers, mais aussi par des services d’escorte inefficaces mais obligatoires, des vi règles de transit régional non fonctionnelles, les contingents nationaux et le système de tour de rôle. Le Conseil des chargeurs, les bureaux de fret et le syndicat des camionneurs réclament diverses commissions non justifiées par des services rendus. L’entretien routier est sous-financé et miné par la surcharge. La pratique de la surcharge se poursuivra cependant jusqu ’à la libéralisation du transport routier. L’entretien des chemins de fer a lui aussi été négligé, la société de patrimoine n’ayant pas utilisé les recettes disponibles à cette fin. 5. Après un démarrage prometteur, les télécommunications n’ont pas suivi les développements globaux dans ce secteur. Bien qu’une certaine concurrence a été introduite, avec cinq opérateurs de téléphone mobile et deux en ligne fixe, la qualité de la libéralisation a souffert de la vieille réglementation ou l’absence de législation. Ceux-ci ont empêché le développement d’un secteur de la technologie de l’information et de la communication (TIC) moderne ouvert à la combinaison de différents services et la transformation à la prochaine génération de réseau. Une législation qui permettra les transactions en ligne pour les téléservices et le e-gouvernement et qui protège les consommateurs n’existe pas à l’heure actuelle. Le pays a eu quelques succès: la création des sites web pour le gouvernement; des firmes dynamiques reconnues au niveau de la sous-région; et un secteur de télécommunications en croissance. La Côte d’Ivoire a donc la base pour émerger en tant que leader régional dans les TIC. Cependant, elle aura besoin d’adopter rapidement de nouvelles lois, d’éliminer les barrières à l’introduction des services convergents qui combinent la télécommunication et l’information, d’allouer des licences pour des réseaux sans fil à haut débit, d’améliorer l’accès aux ordinateurs, et d’augmenter la formation et l’éducation dans les domaines concernés. 6. Les exportations de ressources naturelles ont été le moteur de la croissance du pays et elles le resteront à moyen terme. Les exportations sont susceptibles de croître rapidement, car elles ne sont pas sujettes aux contraintes des limites du modeste marché national. L’impact de la production des ressources naturelles se fait sentir dans beaucoup d’autres secteurs, grâce aux interactions en amont et en aval — intrants, transformation, transport, services financiers, taxes et consommation finale. En général, seule une poignée de sous-secteurs clés constituent la locomotive des économies se trouvant au premier stade de développement. En Côte d ’Ivoire, ces filières ont été celles du cacao et du café pendant des années, bien que diverses autres activités se soient également développées. Dans les années 2000, le rôle de locomotive a échu aux hydrocarbures. Quelques-uns des sous-secteurs traditionnels sont actuellement en proie à des difficultés, tandis que d’autres se renforcent. Chaque sous-secteur ayant ses particularités, il importe de les examiner séparément en vue de déterminer leur potentiel, leurs contraintes et le degré requis d’intervention étatique. 7. La transformation à valeur ajoutée a longtemps été un élément central de la politique gouvernementale en Côte d’Ivoire, mais il convient d’examiner sa pertinence en se fondant sur l’analyse de cas particuliers. Un degré de transformation est inévitable dans certains cas (coton, sucre, huile de palme, caoutchouc), tandis que dans d’autres, un produit peut valoir moins après sa transformation (ananas, thon). En règle générale, le produit de base fait partie d’une chaîne de valeur mondiale et le pays producteur n’est compétitif que dans certains segments. Le développement national requiert une transformation structurelle, mais avant d’encourager de nouvelles activités, un gouvernement doit s’assurer que les avantages procurés à l’économie nationale justifient toute mesure incitative. Le coût de la création d’un emploi dans la production du beurre de cacao est de 400 fois supérieur à celui d’un emploi dans la vii transformation du cajou, et la perte de recettes fiscales est importante. Alors, si la création de l’emploi et la réduction de la pauvreté sont des priorités, la transformation du cajou semblera mériter plus d’attention. Par contre, si les autorités croient que le pays devrait entrer dans la fabrication du chocolat, il devra éventuellement aborder les étapes plutôt intensives en capital de la transformation du cacao. La politique ivoirienne officielle consistant à ajouter de la valeur de façon indistincte mérite d’être nuancée avec l’aide d’une analyse coût-bénéfice de chaque sous- secteur. 8. La filière du cacao ne figure pas parmi les principaux thèmes du présent rapport , bien que le cacao demeure la plus importante denrée d ’exportation. La raison en est que le cacao n’est pas considéré comme une importante source de croissance et qu’un débat est en cours sur la définition d’une nouvelle stratégie reposant sur une analyse et un examen approfondis. Le défi consistera à éviter un recul de ce sous-secteur et à forger un consensus autour du nouveau cadre institutionnel. Le présent rapport se borne à traiter de la question de la valeur ajoutée et à situer le cacao dans le contexte plus général de la diversification sous forme d ’exploitation de cultures plus rentables. 9. Les sous-secteurs jadis importants du café et de l’ananas semblent en situation de déclin. Les petits exploitants abandonnent ces deux cultures en faveur de solutions de rechange plus prometteuses. Des marchés spécialisés peuvent exister, en particulier dans la sous-région, et les autorités doivent faire leur possible pour faciliter les activités des grands exportateurs d’ananas, mais sans recourir aux subventions. Toutefois, ces filières ne sont plus des sources de croissance. 10. La banane et le sucre éprouvent eux aussi des difficultés, mais ils sont plus prometteurs. Les niveaux d’exportation de la banane ont été maintenus, grâce au rôle dominant des grands exploitants qui ont probablement besoin de peu d’appui en dehors d’une amélioration du climat de l’investissement. Les prix du sucre se sont récemment améliorés et l’industrie sucrière devrait rester compétitive sur le marché national en expansion. Les deux denrées ont par ailleurs d’importantes possibilités de débouchés dans la sous-région. 11. Parmi les cultures de première nécessité, le maïs présente le meilleur potentiel de croissance, basé sur le marché régional. Le marché de l’UEMOA accuse un important déficit de maïs et la demande est susceptible de croître plus rapidement que la population, car l’augmentation de la consommation de viande suscite une demande d’aliments pour animaux. Il existe de bonnes possibilités d’accroître les faibles rendements actuels. La rotation du maïs et du coton signifie qu’une résurgence de la filière coton favoriserait également la production du maïs. 12. Les filières agricoles les plus prometteuses sont celles du caoutchouc, d e l’anarcade, du coton, du riz et de l’huile de palme. Elles sont susceptibles de croître de 10% par an ou plus. Le caoutchouc et l’anarcade (ou cajou) croissent rapidement depuis un certain temps, et les récentes plantations d’hévéas garantissent une expansion supplémentaire. Le coton se redresse sous l’effet notamment de l’augmentation des prix mondiaux et il peut enregistrer une croissance considérable tout simplement en retrouvant les niveaux antérieurs de production. La production d’huile de palme avait stagné, mais on assiste à un regain d’intérêt de la part du secteur privé, maintenant que les cours mondiaux se sont raffermis. De ces cinq filières, celle du riz est peut- être la moins prévisible. Le marché intérieur offre un grand potentiel de croissance et viii l’augmentation des prix mondiaux a rendu à nouveau compétitives quelques formes de production nationales. Cette filière est toutefois lourdement tributaire d’un concours efficace et coordonné de l’État, condition indispensable à son décollage. 13. Il est temps de passer de l’exportation de la noix de cajou brute à sa transformation sur place. La Côte d’Ivoire est maintenant le plus grand exportateur mondial de noix de cajou brutes. Le climat de l’investissement n’a guère été favorable au renforcement de la capacité de transformation, mais la situation devrait s’améliorer. Plus de 100 000 emplois pourraient être créés, surtout dans le nord pauvre, si toute la récolte était décortiquée, avec en outre des possibilités de produire de l’électricité en utilisant les coques comme biocombustibles. Pour ce faire, il faudrait toutefois certaines incitations bien gérées pour éviter de pénaliser les agriculteurs ou de protéger les entreprises inefficaces. En cas de recours à une taxe à l’exportation, ses fonds doivent être orientés vers un programme visant à accroître les rendements de la culture, lesquels sont nettement inférieurs à ceux des pays concurrents. Les travaux de recherche publics et les services de vulgarisation font cruellement défaut, l’organe interprofessionnel est faible et un plus solide cadre de réglementation est nécessaire pour améliorer la coordination sans entraver le dynamisme du secteur privé. 14. La filière caoutchouc est en plein essor et requiert peu d ’intervention publique. Les cours mondiaux devraient rester élevés, car ils sont liés au prix du pétrole (principale composante du caoutchouc synthétique). L’organe interprofessionnel fonctionne déjà convenablement et doit être davantage habilité à réglementer les activités, en ce qui concerne notamment l’entrée de nouveaux acheteurs et le respect des engagements contractuels. Le principal défi consiste à donner aux agriculteurs pauvres la possibilité de participer à cette expansion, compte tenu des coûts de l’investissement initial et de la longue période qui s’écoule avant la mise en saignée des nouveaux hévéas. Le caoutchouc offre une grande possibilité de diversification, au niveau tant du planteur que du pays. Une certaine imposition de niveau modeste peut se justifier, surtout si elle sert à réduire la pression subie par les cacaoculteurs surtaxés et à appuyer le développement rural par le biais de mécanismes comme le Fonds d’investissement en milieu rural. 15. L’huile de palme connaît une renaissance et elle appuie un éventail d ’opérations à valeur ajoutée. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’aller au-delà de la sous-région pour trouver un marché important et en croissance, même s’il y aura lieu de déployer des efforts pour s’assurer que les autres pays de l’UEMOA et de la CEDEAO respectent leurs accords de libre-échange. Une action concertée sera nécessaire pour réduire les coûts en vue de soutenir la concurrence des fournisseurs asiatiques, mais le secteur privé (notamment des investisseurs asiatiques) est bien placé pour prendre l’initiative à cet égard. Dans cette filière aussi, l’organe interprofessionnel jouera un rôle central, à condition que son pouvoir soit renforcé par la nouvelle loi proposée. Il convient d’adopter un code destiné à s’attaquer aux problèmes environnementaux et sociaux, conformément aux principes définis par la Table ronde internationale sur la production durable d’huile de palme. 16. Le coton peut contribuer à augmenter les revenus dans quelques-unes des régions les plus pauvres du pays. Cette filière a toutefois gravement pâti de 10 années de crise, et elle requiert un programme prospectif pour rétablir la confiance et créer un consensus parmi les parties prenantes. Les producteurs tiennent absolument à dépendre moins des égreneurs pour les ix intrants et les conseils, mais pour que cet objectif soit atteint, il sera nécessaire de rationaliser leurs organisations et de renforcer considérablement les capacités de celles-ci. Le financement, la recherche, la production de semences, la vulgarisation et le contrôle de la qualité méritent tous l’attention, et les problèmes ne peuvent être résolus à court terme sans un certain appui public. 17. Les perspectives d’amélioration du prix mondial sont de bon augure pour la production rizicole nationale. L’autosuffisance est peu probable, mais il existe un bon potentiel de substitution efficace des importations. On dénombre 11 systèmes différents de production de riz, qui ne sont pas tous compétitifs face aux importations. La riziculture pluviale intensive avec utilisation de variétés améliorées et d’engrais présente le plus grand potentiel. La mise en valeur des bas-fonds, au moyen notamment des techniques à faible coût de diversion continue de cours d’eau, offre des possibilités supplémentaires de développement. Le pays demeurera cependant tributaire des importations pour la moitié de la consommation totale dans un avenir prévisible, aussi importera-t-il d’éviter des droits de douane élevés, des coûts d’importation superflus ou un pouvoir de monopole, qui contribuent tous à accroître les prix payés par les consommateurs pauvres. 18. La filière pêche se trouve dans une situation très inquiétante et mérite peut-être d’être repensée de fond en comble. La Côte d’Ivoire court le risque de perdre sa position de grand exportateur africain de thon dans la région Atlantique, en raison de l’arrivée d’acteurs mondiaux sur le marché ghanéen. Il peut se révéler nécessaire de s’associer à des partenaires similaires pour renforcer l’industrie ivoirienne du thon. Des améliorations au port d’Abidjan, afin de préserver son rôle en tant que hub pour la pêche au thon dans la sous-région, pourraient être essentielles pour la viabilité de l’industrie. Par ailleurs, il convient de prêter davantage attention à la pêche artisanale vu la dépendance aux importations. La filière souffre de grands problèmes de gouvernance, notamment liés à la gestion et à la surveillance des ressources halieutiques, ainsi qu’au contrôle des flottes industrielles qui mettent à mal la pêche artisanale. 19. L’industrie du bois se trouve elle aussi à un tournant de son évolution. Cette industrie était jadis un des piliers de l’économie rurale, mais les approvisionnements annuels de grumes et le nombre de scieries ont baissé régulièrement. L’industrie a souffert de problèmes de gouvernance et une réforme de la société paraétatique SODEFOR s’impose de toute urgence. Il convient d’accorder une attention immédiate à la gestion des forêts naturelles et des plantations, pour veiller au maintien d’un niveau durable de production. Les plantations privées doivent être encouragées. L’importation de grumes naturelles, fort probablement du Libéria, constitue toutefois le moyen le plus prometteur d’augmenter les approvisionnements de matières premières; des efforts concertés de la part des autorités, notamment les services douaniers, seront nécessaires pour faciliter cette nouvelle approche. La mise en vigueur de la prohibition proposée sur les exportations des grumes en teck devrait tenir compte de la capacité de l’industrie à se rééquiper afin d’exploiter de manière efficace ses grumes plus petites. 20. Enfin, le secteur extrêmement important de l’énergie est confronté à d’énormes problèmes à court terme, mais il est fort prometteur si ces difficultés peuvent être surmontées. Le secteur énergétique est une source d’exportations — pétrole brut, produits pétroliers et électricité — ainsi qu’un fournisseur d’intrants essentiels pour le reste de l’économie. Après avoir insufflé une nouvelle vie à l’économie ces 10 dernières années, ce secteur souffre aujourd’hui d’un manque d’investissement. Il convient de procéder de toute x urgence à l’exploration en mer en vue de confirmer la probabilité des nouvelles réserves requises pour compenser la baisse de la production des puits existants et d’assurer la disponibilité du gaz naturel qui est très important pour les producteurs d’électricité et le secteur industriel. Entre- temps, la connexion au gazoduc ouest-africain doit être réalisée, pour assurer l’accès au gaz ghanéen ou nigérian. Le secteur de l’électricité se trouve dans une situation critique. Les solutions sont bien connues: importants investissements dans l’entretien, nouvelle participation du secteur privé, renégociation des contrats gaziers, ajustements réguliers des prix et réduction des pertes commerciales, entre autres. Le manque de volonté politique d’entreprendre des réformes a été le principal obstacle. 21. Le taux de change n’est pas analysé ici, mais l’on ne saurait en faire abstraction. Il s’agit du plus important facteur qui influe sur la compétitivité d’un pays. Il revêt une importance accrue dans le cas de la Côte d’Ivoire, compte tenu de la parité fixe entre sa monnaie et l’euro, devise qui s’avère relativement forte. Ce n’est pas par hasard que la seule période de croissance importante qu’a connue le pays au cours des 30 dernières années est celle qui a suivi immédiatement la dévaluation de 1994. Les autorités ivoiriennes devront éviter les pressions inflationnistes qui accroissent le coût des intrants et des facteurs de production nationaux, et poursuivre l’amélioration des sources microéconomiques de compétitivité pour compenser l’absence de l’instrument macroéconomique d’ajustement du taux de change. Une analyse approfondie s’impose. 22. Une stratégie de croissance exige le consensus, la coopération et l’esprit d’initiative au sein du gouvernement, et la collaboration avec le secteur privé. Des mécanismes institutionnels appropriés sont nécessaires pour hiérarchiser, coordonner et promouvoir les réformes de la politique, et y affecter des ressources. Quelques éventuels éléments de base sont en place, comme la plateforme public-privé, les organismes de promotion des exportations et des investissements, et la stratégie de réduction de la pauvreté. Cela étant, il existe de nombreux programmes et initiatives concurrents. Dans d’autres pays, le succès a souvent été assuré par un petit groupe de techniciens de classe mondiale bénéficiant d’un appui politique au plus haut niveau, qui définissent une stratégie et sont capables de faire adopter des décisions et de veiller à leur mise en œuvre. Les Ivoiriens devront réfléchir non seulement sur le contenu d’une stratégie de croissance, mais aussi sur le cadre institutionnel indispensable pour la soutenir. xi Matrice des recommandations Agriculture et agro-industrie Recommandations générales:  Envisager une approche différenciée de l’ajout de valeur aux produits de base en effectuant une évaluation approfondie de la compétitivité actuelle et future ainsi que des analyses coûts-avantages de l’appui étatique.  Adopter une nouvelle loi sur les organes interprofessionnels du secteur agricole, pour renforcer l’autoréglementation.  Restructurer les coopératives et autres entités économiques, renforcer leurs capacités, et réformer le cadre réglementaire en conformité avec les initiatives régionales (OHADA, CEDEAO).  Adopter des textes réglementaires sur la qualité du matériel végétal et le métier de pépiniériste.  Faciliter les procédures d’accès à la propriété foncière rurale.  Proposer un mécanisme de financement de l’entretien des pistes rurales par une synergie d’actions des différentes filières agricoles.  Élaborer de nouveaux mécanismes de financement avec l’institution d’un fonds de garantie de crédit et d’une base de données centrale sur toutes les transactions financières dans les sous -secteurs pertinents, en vue d’atténuer les risques.  Mettre en place des systèmes d’information sur les marchés pour le commerce régional des denrées alimentaires de base, afin d’aider les commerçants à cibler les zones en déficit. Recommandations particulières concernant les chaînes de valeur secondaires:  Ananas: promouvoir i) les programmes d’aide aux petits planteurs, en favorisant la formation d’un partenariat technique et commercial entre les industries existantes et les planteurs; et ii) le renouvellement du matériel végétal en vue de l’adaptation au marché.  Café: encourager une production différenciée et de grande qualité par des planteurs compétitifs, tout en appuyant le retrait des planteurs non compétitifs et leur réorientation vers des activités plus rentables.  Banane: améliorer la qualité, les normes et la commercialisation, pour aider les petits exploitants à pénétrer les marchés à créneaux (produits biologiques, commerce équitable).  Sucre: réduire les coûts et accroître les ventes sur le marché régional, pour atteindre un niveau maximum d’utilisation des capacités.  Cacao: i) aider les cacaoculteurs moins productifs à se retirer du marché et à chercher des activités plus rentables; ii) encourager la replantation de variétés à haut rendement ainsi que l’amélioration de la sélection et du séchage en ce qui concerne les planteurs plus productifs; iii) adopter une nouvelle stratégie et un nouveau cadre institutionnel du cacao. Principales chaînes de valeur Anarcade  Adopter une stratégie sectorielle globale et attirer l’expertise technique privée pour sa mise en œuvre, en partenariat avec les organisations non gouvernementales et les planteurs.  Mettre en œuvre un programme d’amélioration de la productivité ciblant i) l’utilisation de variétés améliorées, ii) la formation en meilleures techniques agricoles, iii) la mise en œuvre d’un programme de traitement phytosanitaire, iv) la fourniture de services de vulgarisation en vue de donner des conseils sur les techniques post-récolte, v) la formation de partenariats avec d’autres organisations de producteurs, des organisations non gouvernementales et le secteur privé ; et vi) création d’un centre de formation.  Renforcer la gouvernance des organisations de producteurs en mettant en place une structure légitime destinée à appuyer l’amélioration des pratiques et à parler au nom des planteurs, en commençant par un recensement et l’élection de nouveaux dirigeants.  Instituer au niveau des villages ou des districts des systèmes de collecte, de stockage et de commercialisation, afin d’accroître le pouvoir de négociation des planteurs tout en maintenant des liens compétitifs avec les agents intermédiaires/de collecte.  Améliorer la qualité et la traçabilité, grâce à un programme de sensibilisation portant sur i) l’élaboration de guides de bonnes pratiques, ii) la mise en place de systèmes d’analyse en laboratoire et de certification, et xii iii) la modernisation des installations existantes de transformation.  Envisager l’octroi d’une aide ciblée et temporaire pour donner un coup de fouet à une industrie de transformation, avec un fonds de garantie des crédits bancaires, et effectuer une analyse du programme incitatif approprié, avant de mettre en œuvre un tel appui. Caoutchouc  Identifier des moyens et des outils de financement permettant d’aider les paysans pauvres à entrer dans le secteur du caoutchouc ; accroître le rôle du Fonds de développement d e l’hévéa, pour lui permettre d’octroyer des subventions partielles ciblant de préférence les agriculteurs pauvres, et le doter d’un statut lui permettant de recevoir des fonds publics additionnels.  Renforcer l’accès des petits exploitants au matériel végétal de grande qualité, en multipliant les centres de production de plants, et accroître le niveau de financement destiné au conseil agricole et aux services de saignage des arbres. .  Veiller à l’application des dispositions réglementaires en matière d’importation de produits issus d’autres pays producteurs.  Renforcer les missions de l’APROMAC, avec les textes réglementaires iodines, pour permettre une meilleure régulation de la filière hévéa.  Réexaminer la formule de fixation des prix, pour mieux tenir compte des conditions du marché.  Appliquer le code de conduite environnementale et sociale à toutes les entreprises; élaborer des directives à l’intention des petits exploitants.  Elaborer un dispositif de formation-insertion des jeunes pour profiter des opportunités d’emplois dans la filière. Palmier à huile  Établir un réseau de pépinières liées aux stations de recherche, certifié par l’organe interprofessionnel.  Encourager l’organe interprofessionnel à élaborer un système de certification des planteurs au niveau des villages suivant des normes adoptées, et mettre en place un centre de formation et un système de crédit pour stimuler le développement des plantations villageoises.  Encourager l’organe interprofessionnel à adopter un code environnemental et social et à l’applique r.  Renforcer les capacités de l’interprofession pour autoriser et réguler l’installation des huileries.  Veiller au respect et à l’application des règles de libre-échange de l’UEMOA/CEDEAO régissant le commerce de l’huile végétale en provenance de la sous -région. Coton  Pousuivre la mise en œuvre du plan d’action stratégique pour la relance de la filière.  Renforcer à nouveau les capacités et la cohésion des organisations de producteurs et rétablir la confiance entre les différents acteurs de la filière, en i) clarifiant le rôle de l’Association professionnelle de la filière coton (Intercoton) et de l’Autorité de régulation du coton et de l’anacarde ; ii) définissant les termes des contrats entre producteurs et égreneurs; iii) élaborant un mécanisme de distribution des intrants; iv) mettant en place de nouveaux dispositifs de financement; et v) établissant les règles du jeu entre les égreneurs.  Renforcer les capacités de l’Autorité de régulation du coton et de l’anacarde et habiliter entièrement celle-ci à imposer ses décisions à tous les acteurs.  Concevoir un programme de recherche bénéficiant de financements adéquats, avec réhabilitation du centre de recherche; pour les activités de conseil agricole, envisager un modèle faisant intervenir le FIRCA, les organisations de producteurs, l’ANADER, les organisations non gouvernementales et les prestataires de services du secteur privé certifiés ; relancer le projet pour la culture attelée.  Améliorer l’efficacité de l’utilisation des engrais et évoluer vers l’adoption du coton génétiquement modifié. Riz  Modifier la stratégie rizicole, en envisageant: i) L’octroi d’un appui à 400 000 hectares de riziculture pluviale améliorée à moyen terme. ii) L’élimination progressive de la riziculture pluviale mécanisée en zone de savane. iii) La conversion de 25 000 hectares de bas-fonds cultivés de façon classique en de nouveaux périmètres irrigués, basés sur la diversion continue de cours d’eau sur cinq ans. iv) La réduction des coûts d’importation qui entraînent trop de charges administr atives et une emprise excessive sur le marché. xiii Pêche  Relire le Plan Directeur pour le Développement de la Pêche et de l’Aquaculture.  Soutenir la stratégie pour la pêche artisanale, en ciblant des produits et des marchés de plus grande valeur ; promouvoir la participation des Ivoirians ; intégrer tous les pêcheurs dans les systèmes de gouvernance locaux.  Promouvoir la coopération régionale dans la recherche et la surveillance, notamment en se joignant au Programme Régional de la Pêche pour l’Afrique de l’Ouest (PRAO) financé par la Banque mondiale.  Élargir l’accès au thon congelé en a) collaborant avec la Commission internationale pour la conservation du thon de l’Atlantique pour assurer une gestion plus efficace des ressources clés, un meilleur contrôle du volume et de la capacité des bateaux de pêche dans la région et réduire les prises de thon juvénile, et renforcer la capacité de suivi, de contrôle et de surveillance afin de réduire la pêche illicite; b) améliorant la gestion de la flotte en vue de réduire le prix du thon débarqué; et c) améliorer les services du port pour assurer qu’il reste toujours la base pour la flotte thonière .  Poursuivre des partenariats stratégiques afin d’élargir la base de production et assurer l’accès au marchés.  Encourager les investissements privés nationaux dans les flottes thonières étrangères, réduisant la dépendance envers des bateaux particuliers pour l’approvisionnement, dans le cadre des accords de pêche de l’Union européenne.  Déterminer si les pertes fiscales associées à l’exonération d’impôt et au régime franc sont justifiées par l’emploi national, la valeur ajoutée et les recettes en devises de l’industrie.  Effectuer une analyse: i) du rendement et de la viabilité futurs de la pêche nationale, des importations de poisson, des opérations de réexportation et de transformation, et de l’aptitude des acteurs à payer des frais de licence plus élevés, ii) du niveau des futures subventions et taxes directes et indirectes à imposer au secteur, iii) des coûts réels d’une gouvernance efficace du secteur, et iv) de la division du travail entre les secteurs public et privé dans la gestion des programmes de gouvernance, comme le contrôle de la qualité, la recherche et même certaines activités de suivi, de contrôle et de surveillance.  Renforcer la capacité de l’administration en matière de collecte, de traitement et de diffusion des statistiques  Créer à moyen terme une taxe affectée à la gestion des ressources, qui pourrait appuyer la recherche, le suivi, le contrôle et la surveillance, ainsi que d’autres activités de gestion à long terme.  Accroître la transparence: i) en soumettant chaque année au parlement la liste des licences de pêche industrielle, de transformation, d’importation et d’exportation émises à des parties nationales et étrangères, et d’autres frais versés; ii) en créant un bureau temporaire de transparence chargé de gérer et de contrôler l’encaissement et l’utilisation des frais de licence, et des paiements de compensation des accords de pêche ; iii) en établissant une Commission officielle où siègent des représentants des secteurs privé et public, pour faciliter l’analyse stratégique et la prise de décision requises dans la filière du thon. Produits du bois  Faciliter l’importation de grumes et de bois débité du Libéria, y compris par des textes légales.  Effectuer un audit des ressources disponibles et de la capacité de transformation, pour guider la restructuration de la filière.  Élaborer un processus nouveau et plus rigoureux d’allocation des droits d’exploitation forestière, en s’inspirant du modèle ghanéen.  Promouvoir les plantations privées, grâce à la résolution des questions liées au régime foncier, et au retrait progressif de la Société de développement des forêts (SODEFOR).  Effectuer un audit de la SODEFOR, suivi immédiatement de réformes qui s’attaquent au problème de la gouvernance et recentrer la mission de la société sur la réglementation du secteur privé.  Négocier un accord FLEGT avec l’Union européenne, pour protéger l’accès à ce marché r entable.  Mise à jour du cadre réglementaire pour refléter la réalité (Code Forestier, Lois sur le Foncier, Politique forestière).  Déclarer la préservation de la forêt une priorité nationale et arrêter la dégradation des aires protégés.  Redynamiser la recherche forestière.  Evaluer les possibilités de créer un fonds de soutien à la forêt financé par tous les acteurs du secteur. Énergie: pétrole, gaz et électricité xiv  Renforcer le cadre réglementaire, institutionnel et opérationnel du secteur énergétique, et clarifier les rôles et les responsabilités. En particulier: i) Réexaminer le cadre institutionnel et réglementaire du secteur de l’électricité, en vue de promouvoir l’efficacité et le partage de risques, et de rendre opérationnelle l’ANARE. ii) Adopter un nouveau mécanisme de tarification de l’électricité, qui sera mis en œuvre par l’ANARE. iii) Adopter une loi révisée sur les hydrocarbures, et préparer un modèle de contrat de partage de la production et un contrat de performance pour la PETROCI. iv) Consolider les pouvoirs de réglementation du Ministère des Mines et de l’Énergie (MME). v) Renforcer les capacités tant de la PETROCI que du MMÉ de mieux comprendre les coûts de production du pétrole, et de contrôler les opérations pétrolières étrangères (notamment la prévision des perspectives et des résultats financiers des hydrocarbures). Encourager les compagnies pétrolières étrangères à renforcer les capacités des ressources humaines de la PETROCI. vi) Pour la SIR: a) mettre en œuvre les résultats de l’audit et la stratégie visant à optimiser sa capacité de production, à contribuer à satisfaire les normes environnementales, à réduire la consommation d’énergie et à améliorer la productivité; b) apurer les arriérés dus par le gouvernement à la SIR; et c) envisager une augmentation temporaire de la taxe sur les produits pétroliers, pour faciliter la modernisation de la société, tout en veillant au respect du mécanisme de fixation des prix, de telle sorte qu’une augmentation des coûts puisse être harmonieusement répercutée sur les consommateurs et entreprises.  Solliciter les conseils des experts pour s’assurer que les nouveaux contrats pétroliers et gaziers sont convenablement structurés pour un partage équitable des risques et des bénéfices entre les parties.  Accroître la transparence de la gestion des recettes en veillant à ce que: i) les mesures initiales adoptées pour adhérer à l’ITIE soient poursuivies, afin que toutes les parties prenantes puissent être assurées que les taxes et impôts, les dividendes et d’autres paiements versés par le secteur privé sont comptabilisés de façon appropriée dans le budget national; et ii) l’exécution budgétaire soit renforcée grâce à l’élaboration de rapports trimestriels d’exécution, la réalisation en temps utile et la publication des audits par la Chambre de commerce, et un efficace contrôle parlementaire.  Encourager de nouvelles explorations pétrolières, avec un accent particulier sur les grandes compagnies pétrolières qui sont les mieux placées pour mettre en valeur les réserves situées en eaux profondes.  Chercher des alternatives d’approvisionnement en gaz, grâce en particulier à l’accès au Gazoduc ouest - africain.  Développer plus de capacité hydroélectrique et promouvoir les autres sources d’énergies renouvelables à long terme comme l’énergie solaire et éolienne, et la biomasse (ex. à partir des coqs des noix de cajou), pour contribuer à l’électrification rurale.  Promouvoir l’efficience énergetique dans les batiments publics, les ménages et l’industrie privée.  Renforcer et étendre les réseaux de transport et de distribution de l’électricité. Transport et facilitation du commerce Amélioration des routes:  Doubler au minimum la taxe routière sur l’essence.  Accroître l’utilisation des péages.  Augmenter le nombre de stations de pesage, pour réduire la surcharge et générer des recettes à partir des amendes.  Transférer ces ressources directement au fonds d’entretien routier (FER).  Mobiliser des ressources du budget national et auprès des bailleurs de fonds, de l’ordre de 200 milliards de FCFA, pour un programme triennal de réhabilitation des routes. Services de camionnage:  Simplifier et réorganiser le cadre réglementaire.  Réduire les redevances imposées aux camionneurs par les syndicats, l’OIC et les services de fret.  Libéraliser le transport routier en établissant une bourse de fret.  Faire appliquer la limite de la charge à l’essieu de 11,5 tonnes, pour prolonger la durée de vie des camions et des routes. Transport ferroviaire: xv  Éponger les pertes financières de SITARAIL imputables à la crise.  Améliorer la gestion des wagons pour accroître le temps de rotation.  Élaborer une stratégie de facilitation du commerce.  Déposer l’essentiel des paiements au titre de la concession dans un compte spécial que doit gérer SITARAIL, pour la réhabilitation des rails.  Lancer un programme de nouveaux investissements dans les rails et le matériel roulant.  Développer le transport multimodal (bateau-train-camion) grâce à une utilisation accrue des conteneurs. Facilitation du commerce:  Établir un véritable guichet unique pour tous les services intervenant au port.  Supprimer les barrages routiers en faveur d’un système de suivi par le système mondial de positionnement , avec un contrôle au point de départ et un au poste frontalier.  Interconnecter les systèmes informatiques des services douaniers de l’UEMOA et, plus tard, ceux de la CEDEAO.  Exploiter pleinement le système SYDAM et créer un processus électronique de prédéclaration.  Reconnaître la validité juridique de la déclaration électronique.  Améliorer les critères de sélectivité des contrôles et les intégrer dans SYDAM.  Réaffecter les agents de façon à ce qu’ils se concentrent sur le contrôle ex post du dédouanement, et renforcer la coopération avec l’administration de l’impôt.  Remplacer le processus du Transport routier inter-État par un formulaire unique de déclaration en douane.  Supprimer les formulaires « fiche de renseignement à l’importation » et « bordereau de suivi de cargaison ».  Éliminer les frais imposés par l’OIC et n’organiser des services d’escorte qu’à la demande des expéditeurs.  Accélérer la création de postes frontaliers juxtaposées.  Autoriser l’importation de biens provenant de l’extérieur de la CEDEAO par les frontières terrestres.  Restituer à la douane les tâches confiées à l’OIC.  Supprimer les systèmes de tour de rôle et de quota.  Réactiver la commission compétitivité des ports ivoiriens. Télécommunications  Introduire de la législation pour legaliser les transactions électroniques pour le e-commerce et le e- gouvernement et pour protéger les consommateurs.  Réviser les réglementations et adapter la politique sur la concurrence pour encourager les services convergeants, pour terminer les restrictions artificielles entre les télécommunications, la radio/télévision et la technologie de l’information.  Octoryer des licences pour les réseaux sans fil à haut débit.  Croître l’accès aux ordinateurs, et fournir plus de formation et de l’éducation dans les domaines con cernés.  Mettre en place un fonds de garantie pour accompagner les PME dans le TIC. xvi 1.1. La Côte d’Ivoire a été un exemple de succès économique dans les années 60 et 70, certains observateurs la considérant même comme un « miracle » économique. Le succès du pays n’avait toutefois rien de miraculeux, à moins peut-être que ce ne soit par rapport à ses voisins. Le pays dispose d’immenses étendues de terre, la pluviosité y est abondante et le Gouvernement a tiré pleinement parti de ces ressources en encourageant l’agriculture et l’industrie du bois, grâce à un recours massif au secteur privé combiné avec une politique d’ouverture à la fois à la main-d’œuvre et aux investisseurs étrangers. Le Gouvernement a investi dans les infrastructures énergétiques et de transport, et il a créé un climat d’investissement propice au développement d’assez importants secteurs manufacturier et tertiaire desservant les marchés national et régional. Dès 1980, la Côte d’Ivoire était le plus riche pays d’Afrique de l’Ouest et le pôle de croissance de la sous-région. 1.2. Cependant, le déclin économique s’est amorcé autour de 1980, avec l’intervention grandissante de l’État, la baisse des prix des produits de base et le maintien de l’investissement public — effectué souvent dans des projets non rentables — grâce à un endettement extérieur croissant. La surévaluation du taux de change constituait un aspect important du problème à la fin des années 80 et au début des années 90, le Gouvernement n’ayant pas pu mettre en œuvre l’ajustement interne requis pour préserver la compétitivité extérieure. Ce problème a été résolu — au moins temporairement — en 1994 avec la dévaluation nominale du franc CFA. L’économie s’est redressée, le PIB par habitant s’accroissant à un taux moyen de 6,3% entre 1995 et 1998. 1.3. La détérioration de la situation politique à la fin des années 90 a conduit à un bref conflit armé et à la division du pays en deux parties distinctes en 2002: le centre-nord-ouest et le sud-sud-est. Cette crise sociopolitique, ajoutée à l’incurie économique, à la corruption et au retrait de l’appui des donateurs, a eu d’importantes conséquences néfastes Figure 1.1: PIB par habitant: 1960 - 2009 sur l’économie, les infrastructures et les institutions. Depuis 2000, la croissance de la Côte d’Ivoire a été parmi les plus faibles d’Afrique subsaharienne: le taux moyen annuel de croissance du PIB s’élevait à -1,0% entre 1999 et 2003, se redressant légèrement pour s’établir à 1,6% seulement au cours de la période 2004-2008. En 2009, la croissance économique a enfin dépassé le taux de croissance démographique (3,8% contre 3,0%) pour la première fois depuis de nombreuses années. Malheureusement, une recrudescence de la crise postélectorale en fin 2010-début 2011 a encore une fois porté un coup dur à l’économie. Le déclin de la Côte d’Ivoire aura donc été presque aussi spectaculaire que son essor (Figure 1.1). Le revenu moyen par habitant est retombé au niveau atteint à 1 l’indépendance en 1960. Le taux de pauvreté, qui ne s’élevait qu’à 10% en 1985, a augmenté pour s’établir à environ 43% en 2008, et il est probablement encore pire en 2011.1 1.4. La Côte d’Ivoire de 2011 ne peut être comparée à celle de l’indépendance. Ses infrastructures sont de loin plus importantes et elles ont survécu aux récents troubles, même si elles ont été peu entretenues et ont bénéficié d’encore moins d’investissements ces 15 dernières années. Ses ressources humaines sont beaucoup plus riches, grâce à d’importants investissements dans l’éducation et la formation sur le tas dans les secteurs tant public que privé, bien qu’à ce niveau également, on ait assisté à une baisse récente liée à la détérioration de la qualité de l’éducation et à une certaine émigration. Son stock de ressources naturelles s’est accru à un important égard, le pétrole et le gaz étant exploités en mer. La production de pétrole brut a augmenté, passant de 2,6 millions de barils en 2000 à 16,5 millions en 2008. 1.5. Les exportations se sont remarquablement accrues en valeur, même depuis 2000, tiré par le pétrole. La valeur des exportations totales a augmenté en moyenne d’environ 15% par an (Tableau 1.1). Les exportations de pétrole brut ont crû à un taux annuel de 46%, sous l’effet d’une augmentation combinée du volume et des prix. Le caoutchouc et les noix de cajou ont eux aussi enregistré des taux de croissance supérieurs à 20%, ce qui reflète à la fois la croissance réelle et l’amélioration des prix. Les produits pétroliers (17,8%) et le cacao (13,6%) ont connu une rapide croissance, même si celle-ci tient essentiellement à l’augmentation des prix. Les produits manufacturés ont pu croître à un taux similaire à celui des exportations totales, conservant ainsi leur part. Trois sources traditionnelles de croissance ont toutefois connu une baisse (café, coton) ou la stagnation (produits du bois). Tableau 1.1: Exportations - valeur, part et croissance Type d’exportation Valeur moyenne des Part du total Taux de croissance exportations de 2008-09 (%) par an (USD millions) 2000/01- 2008/09 Produits agricoles 4 737 47,4 11,4 - Cacao et produits dérivés 3 265 32,7 13,6 - Caoutchouc 424 4,2 24,1 - Cajou 220 2,2 22,8 - Huile de palme 138 1,4 16,8 - Café 134 1,3 -3,3 - Coton* 93 0,9 -7,7 - Autres produits agricoles 463 4,6 5,0 Poisson et produits de la pêche 183 1,8 5,7 Produits ligneux 364 3,6 0,3 Produits pétroliers et minéraux 3 414 34,1 32,5 - Pétrole brut 1 333 13,3 46,0 - Produits pétroliers 1 723 17,2 17,8 - Autres 358 3,6 23 Produits manufacturés 1 314 13,1 14,0 Total 10 014 100,0 14,9 *Selon les données « miroirs » des pays importateurs, qui semblent plus fiables que les données d’exportation. Source: Base de données COMTRADE des Nations Unies 1 Banque mondiale, Évaluation de la pauvreté, 2011. Le seuil national de pauvreté utilisé s ’élève à environ 1,50 dollar par jour, selon le taux de change. 2 1.6. Par ailleurs, le pays est confronté à de nouveaux défis. Son stock de ressources naturelles n’est plus aussi abondant qu’autrefois. Les ressources forestières ont été considérablement épuisées et la terre se raréfie dans certaines régions. L’image du pays comme havre de sécurité pour les investissements a volé en éclats. Les populations se sont ruées en masse vers Abidjan, où beaucoup de jeunes chôment ou sont sous-employés et constituent une force sociale volatile. Il est en outre apparu, au sein des populations, des clivages qui continueront à alimenter les tensions pendant des années. 1.7. Le pays a également connu un Figure 1.2: Investissement en% du PIB: 2000-2007 effondrement des investissements publics et privés, situation à laquelle il faut mettre fin immédiatement. La formation du capital brut a baissé, s’établissant à seulement 10% du PIB au cours des années 2000, alors qu’elle doit atteindre au moins 20 à 25% (Figure 1.2). Comme le conclut la commission sur la croissance parrainée par la Banque mondiale, « grâce à une abondante main- d’œuvre et à une forte demande mondiale, la vitesse de la croissance aux premiers stades du développement est limitée principalement par le rythme des investissements (tant publics que privés)2 ». Le présent rapport a pour objet principal d’identifier les secteurs de croissance qui peuvent s’appuyer sur les marchés financiers et la main-d’œuvre disponible pour attirer d’importants investissements du secteur privé. Le rapport vise par ailleurs à définir le type d’appui requis du secteur public pour rendre ces secteurs attrayants, ce concours pouvant consister en un investissement, bien qu’il s’agisse de montants généralement modestes. Un investissement public beaucoup plus important est nécessaire, mais l’essentiel s’effectuera probablement dans les infrastructures, lesquelles sont traitées dans d’autres rapports. 1.8. Le nouveau Gouvernement doit adopter de toute urgence une stratégie de croissance qui permettra de créer des emplois et de faire reculer la pauvreté, envoyant ainsi un message clair que le pire est passé et que l’avenir est prometteur. La stratégie de réduction de la pauvreté prévoit que la croissance économique annuelle s’établira en moyenne à 6,0% entre 2010 et 2013, atteignant 7,0% en 2014-2015. Pour que le pays neutralise les effets de la baisse des niveaux de vie enregistrée durant les années de troubles civils et atteigne les Objectifs de Développement du Millénaire, il sera indispensable que la croissance soit encore plus élevée. Les autorités accordent un degré élevé de priorité au problème de la croissance et ont sollicité auprès de la Banque mondiale des conseils sur la façon d’assurer un redressement solide et durable de l’économie nationale. Le présent rapport se veut une réponse partielle à cette demande. 2 Banque mondiale, The Growth Report: Strategies for Sustainable Growth and Inclusive Development, 2008, p. 3. 3 1.9. Le présent rapport s’intéresse principalement aux exportations basées sur les ressources naturelles. Ces exportations ont toujours été le socle de l’économie ivoirienne et il y a tout lieu de croire qu’il est encore fort possible de créer des emplois en milieu rural et urbain grâce à ce canal, aussi bien directement que par les effets indirects en amont et en aval qui se produiront dans le secteur manufacturier et des services. Les exportations impulsent en général une économie, surtout dans un petit pays pauvre, parce qu’elles font l’objet d’une demande pour ainsi dire illimitée sur le marché mondial, contrairement à la production destinée au petit marché national3. Cela dit, une certaine attention est également accordée à la possibilité d’une substitution efficace des importations dans quelques sous-secteurs où il semble exister un important potentiel — en particulier ceux du riz, mais aussi du poisson et de la viande. L’accent mis sur la croissance axée sur le milieu rural est par ailleurs susceptible d’avoir le plus grand impact sur la pauvreté, compte tenu du fait que 70% des pauvres vivent dans les zones rurales.4 1.10. Le rapport adopte une approche essentiellement sous-sectorielle pour deux raisons. Premièrement, dans les petits pays en développement, la croissance est en général soutenue par une poignée de sous-secteurs clés qui enregistrent des taux exceptionnels de croissance et génèrent des recettes ainsi que des impôts et taxes qui stimulent ensuite la demande dans d’autres secteurs.5 En Côte d’Ivoire, la filière du cacao et du café a clairement joué ce rôle dans le passé, appuyée accessoirement par quelques autres filières comme celles du bois et du palmier à huile. Deuxièmement, les obstacles auxquels sont confrontées ces filières sont souvent particulièrement propres à eux et ils peuvent ne pas être pris en compte dans une approche globale des réformes du climat de l’investissement entreprises à l’échelle de l’économie. Cela est en particulier vrai des industries exploitant les ressources naturelles. Les contraintes majeures de la filière coton sont très différentes de celles de la filière du caoutchouc, qui diffèrent à leur tour de celles de l’industrie du bois. 1.11. L’attention accordée à l’industrie exploitant les ressources naturelles se justifie par ailleurs par la prévalence de la défaillance du marché qui est sans doute plus courante que dans l’industrie manufacturière ou tertiaire. Cela est en particulier vrai lorsque les petits exploitants dominent un sous-secteur, comme c’est généralement le cas en Côte d’Ivoire dans l’agriculture, ou lorsque les ressources collectives sont en jeu comme dans la foresterie, la pêche ou les hydrocarbures. Les insuffisances de la coordination sont particulièrement courantes, car les agriculteurs sont à la recherche de services de recherche et de vulgarisation, les compagnies forestières sont en concurrence les unes avec les autres et avec les agriculteurs, et les sociétés de transformation s’attaquent au problème de la défaillance du marché en matière de financement en octroyant des crédits à l’achat d’intrants, tout simplement pour voir leurs efforts réduits à néant par les ventes détournées aux concurrents. 1.12. Cette attention accordée aux sous-secteurs reposant sur l’exploitation des ressources naturelles permet de rendre compte, au moins en partie, d ’un important élément du secteur manufacturier. Il s’agit de l’égrenage du coton, de la transformation de l’huile de 3 Le cacao ivoirien constitue une rare exception, étant donné son importante part du marché mondial, même si les projections actuelles tendent à indiquer que l’offre mondiale se maintiendra difficilement au même niveau que la demande. 4 Banque mondiale, Évaluation de la pauvreté, 2010. 5 Harold Innis a été le premier à conceptualiser cette approche sur la base de son analyse de l ’histoire de l’économie canadienne. 4 palme, du caoutchouc et des produits du bois, de la mise en conserve du thon, ainsi que des possibilités futures de décorticage et de torréfaction des noix de cajou. En outre, l’analyse du secteur énergétique couvre l’examen de la production des hydrocarbures, ainsi que la très importante production et exportation de produits pétroliers. Le présent rapport traite par ailleurs de quelques-unes des entraves à un approvisionnement adéquat en électricité des marchés national et régional. 1.13. Le secteur manufacturier est également abordé du point de vue de l ’ajout de valeur par le biais de l’agro-industrie. Tous les gouvernements ivoiriens ont adopté une politique d’ajout de valeur aux exportations de matières premières et cela reste le principal thème de la Stratégie de réduction de la pauvreté. Dans une certaine mesure toutefois, la justification économique de l’ajout de valeur fait l’objet d’une interprétation erronée — dans les cercles décisionnels de la Côte d’Ivoire et au-delà. Aussi importe-t-il d’examiner quelque peu en profondeur cette question afin de déterminer dans quelles conditions l’ajout de valeur peut se faire dans l’intérêt économique d’un pays, quand est-ce qu’il est raisonnable pour un Gouvernement de l’encourager, et comment peut s’effectuer cette appréciation. 1.14. Le rapport accorde une certaine attention à deux thèmes transversaux clés, à savoir ceux du secteur des transports et des télécommunications. Cette attention s’explique par le rôle que joue le secteur du transport en facilitant l’exportation des marchandises et en élargissant l’accès aux intrants importés, mais aussi par le fait que le transport constitue en lui-même une exportation de services (aux pays voisins enclavés). L’accent est mis ici sur l’aspect « immatériel » des transports — les procédures, la réglementation et les services qui sont souvent négligés au profit des investissements dans les infrastructures matérielles. L’amélioration de l’aspect immatériel des transports est généralement plus efficace au plan du coût, ne serait-ce que parce que les frais y afférents sont négligeables ou nuls. Quant aux télécommunications, ce secteur a été une source majeure de croissance économique à travers l’Afrique. Il a connu une croissance en Côte d’Ivoire aussi, mais le pays a été dépassé par d’autres dans la sous-région en termes de cadre réglementaire, d’éducation et d’accès à la technologie. 1.15. La présente approche est cohérente avec le cadre d’identification et de facilitation de la croissance proposée par Justin Lin, l’économiste en chef de la Banque mondiale, et Célestin Monga.6 Elle reconnaît i) qu’il convient d’identifier des biens et services échangeables précis, qui présentent un potentiel élevé de croissance et sont en harmonie avec l’avantage comparatif d’un pays; ii) qu’il importe d’accorder la priorité aux industries dans lesquelles les entreprises sont déjà entrées spontanément; iii) qu’il existe des contraintes qui sont propres à chaque industrie et risquent de ne pas être touchées par l’amélioration générale du climat de l’investissement; iv) que l’État doit contribuer de façon importante à remédier aux insuffisances du marché; et v) qu’il existe des risques liés à une politique industrielle dynamique qui ne tient pas compte de l’avantage comparatif. Notre approche constitue une simplification dans la mesure où — à une petite exception près, soit celle de la transformation du cajou — elle n’essaie pas d’identifier de nouvelles industries sur la base de ce qui a marché dans des pays similaires, mais plus développés. Étant donné les capacités limitées du Gouvernement et le nombre de filières existantes qui méritent une attention, il semblerait que l’État a suffisamment de quoi s’occuper dans l’immédiat. En outre, compte tenu de ces capacités limitées, nous mettons l’accent sur le J. Y. Lin et C. Monga. Growth Identification and Facilitation: The Role of the State in the Dynamics of Structural Change. Document de travail no 5313 consacré à la recherche sur les politiques, Banque mondiale. Mai 2010.6 5 rôle du secteur privé et sur le besoin, pour l’État, de s’appuyer sur ce dernier dans toute la mesure du possible. 1.16. Le sous-secteur clé du cacao n’a pas été examiné en détail. Le cacao n’a reçu qu’une attention limitée pour deux raisons: i) il n’est pas considéré comme une source majeure de croissance; et ii) il fait l’objet d’une analyse approfondie et d’intenses débats dans le contexte de la préparation d’une nouvelle stratégie de la filière cacao. Le défi consistera à éviter un recul de ce sous-secteur et à forger un consensus autour du nouveau cadre institutionnel. La Banque participe activement à ce dialogue. L’analyse du cacao dans le présent rapport se concentre sur sa relative importance parmi les diverses chaînes de valeur agricoles concurrentes et sur la mesure dans laquelle doit être encouragée une transformation plus poussée. 1.17. Les questions plus générales ayant trait à la promotion des industries manufacturières et tertiaires ne sont pas abordées dans le présent rapport. Au-delà des questions précises examinées dans le contexte des sous-secteurs reposant sur l’exploitation des ressources, il est possible de s’attaquer à la plupart des problèmes auxquels sont confrontés les secteurs secondaires et tertiaires en améliorant le climat général de l’investissement. Ce programme d’action a déjà été examiné dans d’autres rapports et il est relativement bien compris. Le rapport de l’enquête sur le climat de l’investissement de la Banque mondiale fournit d’importants renseignements basés sur une enquête auprès de 526 entreprises, dont 189 appartenaient à l’industrie manufacturière. Comme il fallait s’y attendre, l’enquête a Figure 1.3: Principales contraintes selon le rapport constaté que l’instabilité politique était le de l’enquête sur le climat de l’investissement problème le plus souvent considéré comme une contrainte majeure ou grave par les % des entreprises enquêtées dirigeants (89%). D’autres obstacles identifiés par plus de 50% de dirigeants sont indiquées Electricity en Figure 1.3. L’accès au financement et le Crime marché du travail sont examiné quelque peu Taxes en profondeur dans le rapport de l’enquête sur Corruption le climat de l’investissement et dans le Access to finance programme d’évaluation du secteur financier. Political instability 1.18. L’enquête annuelle Doing Business 0 20 40 60 80 100 peut permettre de mieux comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les investisseurs. Cette enquête s’est concentrée sur les formalités relatives aux affaires — le nombre de pièces à fournir, le temps requis et les coûts encourus. Ses résultats présentent l’avantage d’une assez bonne comparabilité d’un pays à l’autre. La Côte d’Ivoire s’est classée au 169e rang sur 183 pays, soit une place similaire à celle du Cameroun, mais inférieure à celle du Sénégal et nettement pire que celle du Ghana (Tableau 1.2). Son classement laissait systématiquement à désirer au niveau de tous les différents indicateurs, ce qui montre bien le caractère généralisé du problème. Le nouveau gouvernement s’est engagé à améliorer sa classification et le Groupe de la Banque mondiale soutiennent son programme de réforme. 6 Tableau 1.2: Classement Doing Business suivant les principaux indicateurs Facilité de Octroi de Commerce Paiement Création Obtention faire des permis de trans- des taxes d’entreprises de prêts affaires construire frontalier et impôts Côte d’Ivoire 169 172 160 155 153 152 Cameroun 168 131 118 155 169 138 Mali 153 117 87 154 159 152 Sénégal 152 101 117 67 170 152 Nigéria 137 110 167 146 134 89 Kenya 98 125 35 144 162 6 Ghana 67 99 151 89 78 46 Source: Banque mondiale, Doing Business 2011. 1.19. Le rôle des infrastructures ne fait l’objet d’aucun examen en détail. L’Étude diagnostique des infrastructures par pays en Afrique pour la Côte d’Ivoire7 donne une bonne vue d’ensemble de la situation des divers secteurs. La Banque mondiale finance actuellement une Stratégie du secteur des transports. Le sous-secteur de l’électricité est partiellement abordé dans l’analyse du secteur énergétique, mais l’on n’a pas essayé d’en traiter de façon exhaustive. Il ne fait aucun doute que le manque d’accès à l’électricité est une entrave majeure à la croissance. Au cours de la première moitié de 2010, les pannes d’électricité ont été largement à l’origine d’une baisse du taux de croissance du PIB de 0,8% par rapport aux prévisions initiales. Les infrastructures étaient jadis l’un des atouts de l’économie ivoirienne, mais elles ont pâti des années de négligence. 1.20. Enfin, le taux de change n’est pas analysé ici, mais l’on ne saurait en faire abstraction. Il s’agit du plus important facteur qui influe sur la compétitivité d’un pays.8 Il revêt une importance accrue dans le cas de la Côte d’Ivoire et d’autres membres de la zone du franc FCA, compte tenu du lien étroit existant entre cette monnaie et l’euro. Il importe de se rappeler que le groupe des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a connu une reprise immédiate de la croissance économique après la dévaluation du franc CFA en 1994. Cet effet a été particulièrement spectaculaire dans le cas de la Côte d’Ivoire où 13 années de contraction ont pris fin et le pays a enregistré quatre années de croissance rapide. À l ’heure actuelle, on ne peut dire exactement si le taux d’intérêt souffre d’un mauvais alignement quelconque. Toutefois, l’appréciation passablement régulière de l’euro par rapport au dollar des États-Unis au cours des 10 dernières années doit être une source de préoccupation. Les autorités ivoiriennes devront éviter les pressions inflationnistes qui accroissent le coût des intrants et des facteurs de production nationaux, et poursuivre l’amélioration des sources microéconomiques de compétitivité pour compenser l’absence de l’instrument macroéconomique d’ajustement du taux de change. L’expérience de la période 1980-1993 a montré à quel point la solution de rechange à l’ajustement interne peut se révéler difficile une fois perdue la compétitivité. 1.21. Les autorités ivoiriennes sont confrontées à un problème d’établissement de priorités sur deux fronts généraux. Après plus de 10 ans de crise politique et de contraction de 7 Cette étude, préparée récemment par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, est disponible sur le site Web de cette dernière. 8 Hausmann, Pritchett et Rodrik (2005) ont constaté que la dépréciation du taux de change est un important facteur d’accélération de la croissance, et selon Freund et Pierola (2007), les fortes augmentations durables des produits d’exportation manufacturés sont en général précédées d’une importante dépréciation réelle. 7 l’économie, le besoin de réforme est profond. Le choix des priorités est peut-être facilité par l’identification des sous-secteurs clés, mais même alors, un grand nombre d’entre eux ont un potentiel de croissance. Il importera d’opérer certains choix stratégiques. Des efforts ont été déployés pour estimer le potentiel de croissance de diverses chaînes de valeur agricoles, et celles qui ont le plus grand potentiel méritent clairement l’attention. Mais il se révélera par ailleurs nécessaire d’identifier où est-ce que le secteur privé peut jouer un rôle moteur, et où l’intervention de l’État est essentielle pour le succès. Fort heureusement, il existe des filières comme celles du caoutchouc et du palmier à huile où le secteur privé est relativement bien organisé et où l’État peut limiter son engagement au cadre réglementaire et à quelques interventions soigneusement ciblées qui permettent de tirer parti de la vigueur du secteur privé et de promouvoir les intérêts des petits exploitants agricoles. En revanche, des filières comme celles du riz et du coton peuvent requérir davantage d’appui de l’État à court et à moyen terme. 1.22. Les autorités voudront peut-être aussi réfléchir sur les mécanismes institutionnels de mise en œuvre et de poursuite de l’agenda favorisant une croissance durable. Dans un premier temps et en collaboration avec les parties prenantes pertinentes, il conviendra d’examiner, de réviser et de valider le présent rapport, en s’appuyant sur les rapports de base qui sont plus détaillés. Il y aura lieu d’organiser des ateliers sectoriels pour permettre un examen plus détaillé auquel participera un éventail d’acteurs des secteurs public et privé. Idéalement, un plan d’action sera élaboré. Ensuite, on devra planifier des consultations régulières, peut-être sur une base semestrielle ou annuelle, pour faire le point sur l’avancement des travaux et définir les étapes suivantes, tout en maintenant des rapports objectifs et indépendants avec le secteur privé. Des travaux d’analyse supplémentaires peuvent se révéler nécessaires pour examiner les préoccupations des entreprises dans le contexte plus général de l’intérêt national. L’essentiel de ce qui précède est certes normal, mais des consultations régulières cesse souvent rapidement d’être poursuivies. Pourtant, pour qu’une stratégie de croissance demeure bien informée, il est essentiel de maintenir des contacts réguliers avec le secteur privé. 1.23. Pour une approche plus complète, les autorités jugeront peut-être bon d’aller plus loin. L’expérience des pays en développement ayant obtenu des résultats satisfaisants a mis en évidence l’utilité d’un petit groupe de techniciens qui peuvent être le moteur du programme de réformes.9 Maurice, le Botswana, le Cap-Vert, Taïwan et la Malaisie ont tous adopté des variantes de ce modèle à un moment donné dans le passé. En général, la formule a consisté à mettre à contribution des économistes hautement qualifiés et d’autres techniciens spécialisés ayant un accès direct aux plus hautes instances de l’État et exerçant une certaine influence sur le financement intérieur et étranger. Cette combinaison a mis les acteurs en mesure d’obtenir la coopération des ministères et d’assurer une bonne coordination. Le fait de tenir des consultations avec le secteur privé sans tomber sous l’ influence de celui-ci a été un autre élément clé. Au cours des 20 premières années d’indépendance de la Côte d’Ivoire, la direction des grands travaux rattachée à la présidence a joué un rôle similaire, avec un succès considérable. Il est peut-être temps de constituer une nouvelle équipe susceptible de remplir une fonction similaire, bien qu’avec probablement une forme institutionnelle différente. 9 Alberto Criscuolo et Vincent Palmade, « Reform Teams: How the Most Successful Reformers Organized Themselves », Banque mondiale, note du département Finances et développement du secteur privé no 318, 2008. 8 2.1. La Côte d’Ivoire a bâti son développement économique sur l’agriculture et cette stratégie s’est révélée très efficace jusqu’en 1980. De fait, les progrès se poursuivent jusqu’à présent dans certains sous-secteurs. La performance de la filière du cacao dont le pays est le plus grand exportateur mondial est bien connue. Moins apprécié est le nombre d’autres cultures dans lesquelles le pays a excellé. La Côte d’Ivoire est devenue le plus grand exportateur de noix de cajou brutes du monde et elle demeure le premier exportateur africain de caoutchouc, d’huile de palme, de bananes,10 d’ananas et de copra. À un certain moment dans le passé, elle était le plus grand exportateur d’Afrique subsaharienne de café et de coton également, et ces deux cultures restent importantes, tout comme le sucre. Le pays est autosuffisant en ce qui a trait à une variété d’aliments de base, à savoir le maïs, le sorgho, le mil, l’igname, le manioc et la banane plantain, dont un volume modeste est exporté vers la sous-région. La Côte d’Ivoire jouissait autrefois d’une autosuffisance en riz, bien qu’elle importe maintenant les deux tiers de ses besoins. En effet, le pays est le troisième exportateur de produits non pétroliers d’Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud et le Nigéria. 2.2. Le secteur agricole contribue à raison de 22% au PIB et de plus de 75% aux exportations non pétrolières, et il constitue la source de revenu des deux tiers de tous les ménages. En outre, les secteurs manufacturier et des transports dépendent aussi pour l’essentiel de l’agriculture. Les usines d’égrenage ainsi que celles de caoutchouc, d’huile de palme et de sucre constituent la base de l’industrie rurale, tandis qu’un important segment de l’industrie urbaine se compose d’usines de transformation du cacao, d’entreprises textiles et d’huile de coton, d’une usine de café instantané, d’usines d’emballages et d’usines de transformation secondaire de l’huile de palme en savon, en produits cosmétiques, etc. Le secteur du commerce intérieur et des transports (par camion et par voies ferroviaire et portuaire) dépend lui aussi de ce secteur pour une grande partie de ses activités — 1,3 million de tonnes de cacao, 350 000 tonnes de noix de cajou, 1,8 million de tonnes de régimes de noix de palme, en plus des engrais, des intrants de pesticides, etc. 2.3. Ce succès est dû à des conditions agroclimatiques favorables et à une politique éclairée. Environ 75% de la terre du pays est arable et la pluviosité généralement abondante, tandis que les conditions varient assez entre le nord et le sud pour permettre de produire une grande diversité de cultures tropicales. Les sols sont adéquats, même s’ils ont traditionnellement eu besoin de longues périodes de jachère pour se régénérer. L’agriculture a bénéficié d’une attention prioritaire durant le long règne du président Houphouet-Boigny, lequel avait par ailleurs reconnu le besoin de main-d’œuvre et ouvert en conséquence les portes du pays à l’immigration à partir des pays voisins. Le secteur privé national et étranger a en outre été encouragé à investir dans l’agriculture. Si les sociétés paraétatiques ont dominé certains sous- secteurs dans les années 70 et 80, elles jouaient souvent un rôle constructif, notamment celui de promotion de la participation des petits exploitants. Quand il est devenu évident qu’il y avait lieu d’améliorer la gestion et d’effectuer des investissements supplémentaires, l’État s’est désengagé, avec plus ou moins de succès selon le cas. 10 Les exportations de bananes du Cameroun sont comparables à celles de la Côte d ’Ivoire. 9 2.4. Le secteur agricole n’a toutefois guère cru au cours des 20 dernières années. La production végétale s’est accrue d’une moyenne annuelle de 1,6% entre 1996 et 2003, avant de baisser de 0,7% par an de 2004 à 2008. Le secteur de l’élevage a été stagnant. Cela signifie que la production agricole s’accroissait nettement moins que la population globale, voire moins que la population rurale. La baisse des prix mondiaux a contribué à cet état de choses, en ce qui concerne notamment le café, le cacao, le coton et l’huile de palme. La crise politique qui s’est déclenchée en 2000 et la division subséquente du pays sont en partie à l’origine de cette situation, eu égard surtout à la contraction de la filière coton, même si elle a eu remarquablement peu d’effet sur la filière cajou en plein essor dans la partie savanne du pays. Bien que la crise a eu peu d’impact à court terme sur la production du cacao, il n ’y aucune doute qu’elle a eu un effet négatif sur l’agriculture dans la partie sud du pays, à cause de l’insécurité foncière généralisée et la prolifération du raquet sur les routes qui a augmenté considérablement le coût du transport. Cette crise a en outre compromis la mise en œuvre des politiques de libéralisation adoptées vers la fin des années 90 (cacao, café, coton), et affaibli la gouvernance à divers niveaux. Les coopératives et d’autres organisations de producteurs ont succombé à des intérêts personnels et la corruption est devenue monnaie courante dans la filière cacao en particulier. 2.5. Ce ralentissement de la croissance agricole s’explique également par la difficulté liée au passage d’un modèle de production extensive à un autre plus intensif . Alors que par le passé la croissance dépendait principalement de l’absorption d’une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse grâce à l’exploitation de nouvelles terres, mais laissant en friche pendant beaucoup d’années des terres précédemment cultivées, il y a lieu de s’attacher davantage à augmenter la productivité des terres déjà mises en culture et ce, avec un taux négligeable ou nul d’augmentation des facteurs du travail. Bien que les terres demeurent abondantes au niveau national, elles se raréfient dans quelques-unes des régions à potentiel élevé, d’où la nécessité de raccourcir les périodes de jachère, voire d’éliminer cette pratique. Entre-temps, la population active rurale est vieillissante et il devient de plus en plus difficile de maintenir la prochaine génération dans l’agriculture. En conséquence, il convient de mettre au point un nouveau modèle de production basé sur de meilleures pratiques agricoles, l’utilisation généralisée des variétés à haut rendement, un plus grand recours aux engrais et une mécanisation appropriée. Un déplacement des ressources des sous-secteurs en déclin vers ceux en expansion semble par ailleurs inévitable. Tout cela a d’importantes implications pour la recherche, les services de vulgarisation, le financement et les chaînes d’approvisionnement en intrants. 2.6. Néanmoins, le secteur agricole peut à nouveau servir comme l’un des moteurs de la croissance. À l’heure actuelle, 40% seulement des terres arables sont exploitées et la taille moyenne des exploitations est assez raisonnable à 10 hectares. Les prix des produits de base sont montés en flèche au cours des dernières années et selon les prévisions, ils resteront supérieurs à leur niveau précédent. Cela est particulièrement lourd de conséquences pour le sous-secteur vital du cacao, mais aussi pour les sous-secteurs du coton et du riz qui sont en perte de vitesse. Certains sous-secteurs ont connu une forte expansion en dépit de la crise politique — notamment ceux du caoutchouc et des noix de cajou. Les principaux investisseurs privés étrangers sont déjà engagés et disposés à investir davantage, par exemple dans le palmier à huile et le caoutchouc. Les secteurs alimentaire et de l’élevage sont eux aussi susceptibles de connaître une expansion, compte tenu de la rapide urbanisation en cours à l’échelle de la région et de la perspective d’une augmentation de la consommation de viande à mesure de l’accroissement du revenu. Le Tableau 2.1 résume les taux potentiels de croissance des différentes composantes du PIB agricole au cours de la prochaine décennie et montre comment un taux global de croissance de 4,8% pourrait 10 être réalisé dans ce secteur. Un tel accomplissement jetterait les bases solides d’une forte croissance de l’économie nationale et aurait un important impact sur la lutte contre la pauvreté en milieu rural. Tableau 2.1: Taux potentiel de croissance du secteur agricole: 2011-2020 Sous-secteur Part du PIB Taux potentiel Contribution à la agricole de croissance croissance globale de (%) l’agriculture (%) Cultures vivrières, dont 0,62 4 2,5 - Riz 10 Élevage 0,08 6 0,5 Culture d’exportation, dont: 0,30 6 1,8 - Cajou 15 - Coton 15 - Caoutchouc 10 - Palmier à huile 10 - Sucre 4-5 - Cacao 2 Total 1,00 4,8 Source: Calculs effectués par les auteurs. 2.7. Le taux de croissance de la demande des cultures vivrières de base devrait être légèrement supérieur à celui de la population (3,0% par an). Cette situation est due aux effets de l’augmentation du revenu, de l’urbanisation et de la demande de maïs, de sorgho et de manioc destinés à l’alimentation pour le bétail. Elle offre une grande possibilité de substitution des importations dans le cas du riz, d’où notre hypothèse d’une croissance de 20% pour cette culture (voir la section consacrée au riz). Toutes les autres cultures vivrières devront augmenter leurs ventes sur le marché sous-régional, condition indispensable pour réaliser des taux de croissance nettement plus élevés. On assiste déjà à des exportations limitées, mais celles-ci tendent à s’effectuer par le biais du secteur informel. Pour obtenir les installations d’entreposage, les services de commercialisation et les financements requis pour le commerce à grande échelle, une intervention des entreprises modernes peut se révéler nécessaire. L’État pourrait faciliter les échanges régionaux en appuyant les systèmes d’information commerciale qui aident les commerçants à cibler les secteurs déficitaires. 2.8. Le maïs semble présenter le meilleur potentiel pour les exportations régionales. La région de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) accuse un important déficit de maïs, mais affiche un excédent de millet et de sorgho. Le maïs est la culture céréalière la plus courante en Côte d’Ivoire. Les rendements moyens (900 kg/hectare) sont bien en deçà de la moyenne régionale (1 500 kg/hectare), aussi est-il fort possible d’en accroître la productivité. En outre, le maïs se cultivant en rotation avec le coton, sa reprise favoriserait la croissance de ce dernier. Il conviendra d’améliorer les semences, l’approvisionnement en intrants et la mécanisation. Le manioc peut être exporté, en particulier pour l’alimentation de bétail ainsi que pour la consommation humaine sous les formes faciles à préparer de gari et d’attiéké. La banane plantain trouve elle aussi des débouchés régionaux, grâce à des innovations au niveau de la transformation (chips, aloko, foutou). D’importants accroissements des rendements sont possibles (15 tonnes/hectare contre 2 à 3 tonnes/hectare). 2.9. L’avenir de l’industrie de l’élevage est moins clair. La production nationale couvre 45% de la consommation actuelle de viande et seulement 15% de la consommation courante de 11 produits laitiers. Il existe donc en principe une grande possibilité de substituer des importations ainsi que de satisfaire la demande rapidement croissante des produits animaux qui accompagne l’augmentation du revenu. En revanche, la Côte d’Ivoire n’est pas un pays traditionnel d’élevage et il a tablé sur les pays sahéliens pour l’essentiel de sa viande rouge, et sur des importations bon marché d’outremer pour le poulet. Toutefois, la production de viande s’accroissait à un taux de 6% par an jusqu’à la crise de 2002 qui a occasionné la disparition des services vétérinaires dans le nord, aussi pourrait-on s’attendre à un redressement de ce sous-secteur avec la normalisation de la situation politique. La production de volailles a souffert de la concurrence des morceaux de poulets congelés en provenance d’Europe et du Brésil, phénomène courant sur l’ensemble de la côte ouest-africaine. La Côte d’Ivoire a réagi en imposant en 2005 une taxe spéciale à l’importation qui a suscité la reprise de l’industrie nationale de la volaille (8% par an). Il est toutefois difficile de dire si cette taxe est cohérente avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce ou de l’UEMOA, ou si elle sert les intérêts des pauvres.11 2.10. Le secteur des cultures d’exportation est diversifié et comprend des sous-secteurs avec des potentiels divergents, mais globalement il devrait être une source de croissance importante. Les sous-secteurs les plus prometteurs sont traités séparément dans ce rapport, tandis que les perspectives pour ceux en difficulté sont résumées dans les paragraphes suivants. 2.11. Tous les sous-secteurs d’exportation traditionnels n’ont pas un avenir prometteur et il y a lieu d’encourager les agriculteurs à changer d’activités au besoin. L’industrie de l’ananas en offre l’exemple le plus manifeste. Les exportations des petits exploitants ont dégringolé, passant de 150 000 tonnes en 1999 à seulement 10 000 tonnes en 2009. Elles ont été évincées du marché européen par une campagne agressive des pays d’Amérique latine, lesquels ont lancé une nouvelle variété qui a rapidement gagné en popularité tout en réduisant les coûts de production.12 De plus rigoureuses normes de produits et les exigences de traçabilité en Europe ont par ailleurs posé un grand défi aux petits exploitants. En conséquence, les agriculteurs se réorientent vers d’autres produits plus rentables, notamment le caoutchouc. Les grandes plantations industrielles continuent d’exporter quelque 50 000 tonnes et elles sont sans aucun doute mieux placées pour opérer les changements nécessaires. Elles investissent pour améliorer leur compétitivité et pourraient même augmenter leurs exportations au marché européen qui est en pleine croissance. Les petits planteurs auront du mal à les suivre. Toutes les coopératives restantes éprouvent des difficultés financières et sont mal préparées à l’adaptation. Les plans officiels pour une reprise de ce sous-secteur semblent peu réalistes, bien que la promotion de l’agriculture contractuelle pourrait être possible (avec un soutien technique et commercial des plantations industrielles qui restent). 2.12. Le cas du café est plus compliqué. Cette culture constitue l’un des deux piliers traditionnels de l’économie ivoirienne et à ce titre, il sera difficile d’accepter qu’elle n’est plus viable. Les exportations s’élèvent encore en moyenne à quelque 100 000 tonnes par an, mais ce volume est en baisse par rapport à un sommet de 370 000 tonnes en 1998. Les prix mondiaux du café robusta, dont la Côte d’Ivoire est un producteur, sont faibles depuis de nombreuses années 11 Contrairement aux idées reçues, ces morceaux de poulet ne sont pas vendus dans le cadre d ’un « dumping » tel que défini par l’Organisation mondiale du commerce, mais constituent plutôt un sous-produit peu coûteux des marchés étrangers qui exigent la viande blanche, mais n ’ont que faire de la viande rouge connexe. Il importerait d’évaluer l’incidence de ces taxes à l’importation sur les consommateurs pauvres. 12 La nouvelle variété, MD2, permet d’obtenir une double récolte de la même plante. 12 et bien que les cours mondiaux se sont raffermis au cours de la dernière année, cette tendance ne devrait pas durer. Il est peu probable que soient adoptées les stratégies de valorisation de marque et de commercialisation qui se sont révélées efficaces pour certains producteurs d’arabica, comme le Rwanda. Une partie modeste de la production est transformée localement en café instantiné (25 000 tonnes) mais il sera difficile d’augmenter cette activité de manière substantielle. Les rendements sont faibles, les caféiers sont vieux et ont besoin d’être remplacés, et la culture du café est relativement exigeante en main-d’œuvre. Les planteurs abandonnent le café au profit du cacao et, plus récemment, du caoutchouc. Le Gouvernement devrait probablement axer ses efforts sur les planteurs qui peuvent évoluer vers un produit différencié et de grande qualité tout en étendant la superficie de leurs exploitations, surtout dans les régions qui n’ont pas d’alternatives, et organiser une réorientation harmonieuse des autres planteurs non compétitifs vers des activités plus rentables à l’intérieur ou à l’extérieur du secteur agricole. 2.13. L’industrie de la banane souffre de problèmes similaires à ceux du sous-secteur de l’ananas. Les normes de produits et les exigences en matière de traçabilité en Europe rendent encore une fois la conformité difficile pour les petits exploitants. La concurrence de l’Amérique latine s’accentue, l’Union européenne ayant été obligée de réduire les préférences accordées traditionnellement à ses anciennes colonies d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et ces préférences diminueront davantage durant la prochaine décennie. Les exportations de la Côte d’Ivoire ont stagné depuis 2000 (à environ 230 000 tonnes) en dépit de la croissance rapide du marché européen, et sa part de ce marché a passé de 65% en 1999 à seulement 15% aujourd’hui. Les petits exploitants ont pour ainsi dire disparu de la culture de la banane. Cependant, les plantations industrielles ont fait un grand effort pour améliorer leur compétivitité et ils pourraient probablement maintenir leur niveau de production, à condition que le climat de l’investissement s’améliore, en particulier du point de vue de la facilitation du commerce. Les marchés national et sous-régional offriront quelques possibilités de croissance modeste. Ces marchés et la demande croissante dans les marchés à créneaux (produits organiques, commerce équitable) peuvent également offrir une possibilité aux petits exploitants, s’ils bénéficient d’un appui en matière de qualité, de normes et de commercialisation. 2.14. L’industrie du sucre perd elle aussi ses préférences sur le marché européen, mais elle jouit d’un vaste marché national protégé. La Côte d’Ivoire compte deux sociétés qui exploitent quatre complexes sucriers d’une capacité totale de 250 000 tonnes. La production totale en 2009 s’est chiffrée à 180 000 tonnes, dont 80% a été consommé dans le pays, le reste étant exporté dans la sous-région et en Europe. Cette production suffisait pour satisfaire la demande nationale, laquelle a généralement été protégée contre la concurrence des importations.13 La privatisation mise en œuvre en 1997 a conduit à l’arrivée de deux groupes crédibles qui ont effectué d’importants investissements. L’industrie a gravement souffert de la crise politique, en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, du vol et des taxes informelles, et elle requiert maintenant d’autres investisseurs. Les prix mondiaux se sont toutefois améliorés récemment et avec l’appui prévu de l’Union européenne, l’industrie pourrait demeurer compétitive, au moins sur les marchés national et régional. 13 Comme le permet l’UEMOA, la Côte d’Ivoire a utilisé une taxe de péréquation pour maintenir un prix national donné, peu importe l’ampleur du recul du prix mondial. Cette politique n ’a pas été appliquée entre 2003 et 2006, ce qui a entraîné un volume considérable d’importations, mais elle est rétablie depuis 2007. 13 2.15. Il est possible d’accroître les exportations vers les autres pays de l’Afrique de l’Ouest, à condition que les prix mondiaux restent plus élevés que par le passé et que l’industrie soit en mesure de rabaisser les coûts. La production actuelle du groupe des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne suffit que pour satisfaire 20% de la demande et les normes de produits sont moins rigoureuses. En principe, le sucre ivoirien doit bénéficier des accords régionaux de libre-échange de l’UEMOA et de la CEDEAO. En pratique, cependant, beaucoup de pays protègent leurs propres industries, notamment en leur permettant de subventionner leurs activités grâce à un monopole sur des importations de sucre d’outre-mer, tout en s’abstenant d’accorder une exemption de droits au sucre ivoirien. En revanche, l’industrie continuera de jouir d’une forte demande nationale, qui devrait s’accroître à un taux estimé à 4% par an. En conséquence, même si la Côte d’Ivoire perd ses marchés d’outre-mer, elle doit être en mesure de maintenir les niveaux actuels de production et d’atteindre à terme un niveau d’utilisation totale de la capacité des quatre complexes sucriers. Une croissance annuelle de 4 à 5% semble possible. 2.16. Le sous-secteur du cacao demeure le pilier central de l’économie et il mérite une attention immédiate. La production a fluctué autour de 1,3 million de tonnes depuis le milieu des années 2000 en fonction principalement de l’adéquation et de la régularité des pluies. Certains observateurs craignent que le sous-secteur ne puisse éviter un déclin; d’autres — notamment des acteurs de l’industrie internationale du chocolat qui redoutent une pénurie mondiale — espèrent que son expansion se poursuivra. Tous s’accordent à reconnaître qu’il existe un grand nombre de graves problèmes qui méritent une attention. Les rendements sont faibles, les maladies se propagent, les cacaoyers sont vieux et ont besoin d’être remplacés. La gouvernance du sous-secteur est en proie à des bouleversements majeurs à tous les niveaux, de l’échelon national à celui du village. Les organisations de producteurs ont été discréditées. La majorité des planteurs de cacao sont tombés en dessous du seuil de pauvreté. Une nouvelle stratégie et un nouveau cadre institutionnel sont nécessaires, mais les plus récentes propositions ont créé de l’anxiété chez les opérateurs privés internationaux dont dépend le sous-secteur. Comme il fallait s’y attendre, les planteurs commencent à abandonner le cacao au profit des cultures plus rentables, soumises à moins d’impôt et dont la filière est mieux organisée. 2.17. Les solutions à la crise du cacao sont bien connues et beaucoup d’acteurs sont prêts à y contribuer, mais cela ne signifie pas que tout sera facile. D’énormes intérêts financiers sont en jeu et il existe une longue tradition d’exploitation du secteur à des fins personnelles et aux dépens des planteurs, lesquels reçoivent généralement moins de 50% du prix mondial. Le débat sur le rôle approprié des entreprises étrangères se poursuit. D’importants investissements seront requis pour remplacer les plantations existantes et seuls des financements limités seront disponibles à court terme. Chose peut-être plus essentielle, la culture du cacao est en concurrence directe avec celle du caoutchouc dans beaucoup de régions. Le caoutchouc rapporte jusqu’à cinq fois plus par jour travaillé, ces recettes étant étalées de façon égale sur l’année entière, avec un niveau minimal d’imposition et une organisation interprofessionnelle bien gérée. Bien que certains observateurs déplorent l’abandon de la cacaoculture par les paysans, il y a lieu plutôt de se féliciter de l’existence d’alternatives comme le caoutchouc et le palmier à huile (Figure 2.1). 2.18. Une consolidation du sous-secteur du cacao s’impose probablement, moins d’agriculteurs enregistrant une plus grande productivité. Les superficies de beaucoup de planteurs sont de taille trop modeste pour leur permettre de bien gagner leur vie, et elles doivent être remplacées. Environ 60% de cacaoculteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté et de fait, ils constituent quelque 28% de l’ensemble des pauvres de la Côte d’Ivoire. Il convient 14 probablement d’encourager nombre de ces planteurs à rechercher d’autres moyens de subsistance. Les sociétés de caoutchouc et de palmier à huile sont tout à fait disposées à soutenir les paysans à travers l’agriculture contractuelle. L’État et ses partenaires pourraient se concentrer sur un sous-ensemble de cacaoculteurs qui sont plus productifs ou sont susceptibles de le devenir. Ces paysans pourraient être organisés dans des associations de producteurs efficientes et capables d’entrer en partenariat avec les commerçants et exportateurs privés afin d’avoir un meilleur accès aux intrants et aux marchés. Il serait possible de tripler le rendement par hectare en replantant des variétés à haut rendement, en assurant une meilleure gestion et en améliorant le séchage. Le même rendement national pourrait être réalisé par un nombre réduit de planteurs et à terme, la production global pourrait augmenter. Le cacao pourrait encore une fois contribuer à résoudre les problèmes de réduction de la pauvreté. En outre, l’économie deviendrait plus diversifiée et moins vulnérable aux vicissitudes du marché mondial du cacao. Figure 2.1: Évolution de l’utilisation des terres agricoles 2.19. Une nouvelle stratégie et un nouveau cadre institutionnel s’imposent de toute urgence. Un projet de stratégie se trouvait à un stade avancé de préparation vers la fin de 2010, même s’il n’y avait pas de consensus sur quelques éléments clés. Le nouveau Gouvernement était en train de le réexaminer en mi-2011. Des consultations supplémentaires seront requises avec toutes les parties prenantes, car l’approche non participative adoptée lors de l’élaboration de la proposition a semblé être un de ces principaux points faibles. La Banque mondiale a déjà formulé de nombreuses observations sur les versions antérieures de la stratégie et elle se tient prête à appuyer l’achèvement de ce processus.14 Le cacao est toutefois peu susceptible d’être une importante source de croissance. Il sera diffile pour la production d’augmenter dans le court et moyen terme, à cause de l’âge avancé des plantations et la menace des maladies, tandis que les prix mondiaux vont probablement baisser de leur niveau actuel qui représente un pic pour les trente dernières années. Le présent rapport dans sa deuxième partie s’intéressera donc davantage aux sous-secteurs qui connaissent déjà une croissance rapide — caoutchouc et cajou — ou qui promettent de croître rapidement — coton, palmier à huile et riz. 14 ’L’achèvement de cette stratégie et sa mise en œuvre pendant six mois constituent l’un des deux déclencheurs de l’atteinte du point d’achèvement au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. 15 3.1. Tous les pays pour ainsi dire cherchent à développer leur secteur industriel et la Côte d’Ivoire ne fait pas exception à cette règle. Le développement de ce secteur est considéré comme un moyen de valoriser davantage les ressources naturelles, de créer des emplois en milieu urbain, d’acquérir de nouvelles compétences, de tirer parti d’une croissance plus rapide de la demande associée aux produits manufacturés, de diversifier l’économie et de réduire la vulnérabilité à la fluctuation des prix des produits de base. Les pays interviennent en général de diverses façons pour encourager ce processus, mais un vif débat se poursuit sur l’efficacité de ces politiques et les conditions dans lesquelles elles peuvent se justifier. Les pays d’Asie de l’Est ont remporté un certain succès à cet égard, tandis que ceux d’Afrique subsaharienne sont plus connus pour leurs échecs. La Côte d’Ivoire a depuis longtemps adopté une politique visant à encourager la transformation de ses divers produits de base. Un accent est mis encore une fois sur cette politique dans l’actuelle Stratégie de réduction de la pauvreté, où le Gouvernement a fixé une cible de transformation de 50% des matières premières produites dans le pays.15 Figure 3.1. Évolution de la structure des exportations: 1995 - 2008 1995 2008 Prod Autres manu 2% Autres 13% 1% transf Prod transf 21% manu 17% 14% MP Agr + MP Agr + non prod alim non prod alim transf 48% transf 75% 54% 31% Prod pétro Prod 10% pétro 37% 3.2. La Côte d’Ivoire a un secteur industriel remarquable, qui n’est dépassé en Afrique de l’Ouest que par celui du Nigéria. La contribution de ce secteur au PIB s’élève à environ 19%, contre 11% au Sénégal et 8% seulement au Ghana.16 Contrairement au Nigéria, ce secteur s’est révélé assez compétitif en Côte d’Ivoire, exportant des volumes considérables de marchandises surtout — mais pas exclusivement — vers la sous-région. La part des exportations industrielles en pourcentage du total des exportations a certes baissé, mais cette situation tient au fait que les exportations de pétrole brut ont augmenté de façon importante (Figure 3.1). En effet, autant les exportations manufacturées que les exportations agricoles transformées ont plus que doublé en 15 Hormis vraisemblablement le pétrole. 16 Banque mondiale, Indicateurs sur le développement dans le monde, 2007. Cette définition couvre les produits pétroliers raffinés. 16 valeur depuis 2002 (Tableau 3.1), et leur part dans les exportations de produits non pétroliers s’est accrue, passant de 39% en 1995 à 48% en 2008. La part des matières premières agricoles dans les produits non pétroliers a baissé régulièrement durant cette période, soit de 60% à 50%. La part des produits transformés dans le total des exportations agricoles et agroindustrielles a augmenté, de 28 à 36% (Figure 3.1).17 Ces progrès sont surprenants, compte tenu du difficile climat de l’investissement qui a prévalu en Côte d’Ivoire ces 10 dernières années. Ils peuvent s’expliquer par la réorientation des activités commerciales du marché national vers le marché international. Dans l’ensemble, le secteur industriel (hormis le raffinage du pétrole) n’a pas fait montre de beaucoup de dynamisme, sa contribution au PIB national ayant diminué, passant de 17,5% en 2002 à 13,6% en 2009. Tableau 3.1: Évolution des exportations transformées et manufacturées US$ milliards % des exportations non pétrolières 1995 2000 2008 1995 2000 2008 Matières premières agricoles 2,02 1,57 3,08 60 54 50 Produits agricoles transformés 0,78 0,74 1,70 23 26 28 Produits manufacturés 0,53 0,52 1,24 16 18 20 Autres 0,05 0,06 0,16 1 2 2 Total partiel 3,38 2,89 6,18 100 100 100 Pétrole brut et produits pétroliers 0,37 0,74 3,63 Total 3,74 3,63 9,78 Source: COMTRADE. 3.3. La transformation des produits de base semble être la prochaine étape logique et dans certains cas elle est essentielle. Le coton doit être séparé de sa graine et transformé en fibre avant d’être exporté; le latex provenant de l’hévéa doit être transformé en caoutchouc. L’huile de palme doit subir une première étape de transformation pour ne pas devenir rance. La canne à sucre est nettement trop incommode à transporter sur une longue distance et elle perd rapidement le sucre qu’elle contient, aussi est-elle toujours transformée à proximité des plantations. Il se pose alors la question de savoir jusqu’où peut aller la transformation. 3.4. La transformation d’un produit de base n’est pas toujours synonyme de valeur ajoutée. Dans certains cas, un produit non transformé se vend effectivement à un meilleur prix, comme dans l’exemple de l’ananas ou du thon frais par rapport au même produit mis en conserve. La valeur ajoutée dans ces cas réside dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement, laquelle consiste à veiller à mettre en place des infrastructures adéquates de stockage et de transport pour livrer un produit périssable qui soit conforme à de rigoureuses normes phytosanitaires, y compris souvent des exigences en matière de traçabilité. Dans ce contexte, la mise en conserve devient un choix inférieur, et dans un cas comme celui de la banane, l’exportation du produit frais peut être la seule option possible. 17 Cette distinction n’est pas simple à établir; la méthodologie est décrite dans le document de base. 17 Figure 3.2: Estimation de la valeur ajoutée Consommation intermédiaire Valeur ajoutée  Salaires Biens Services Nationaux Étrangers Consomm ation nationale  Verse- Importa- Non- ments au Produits nationaux Résidents capital Transferts tions Résidents  Amortis- Négo- sement ciables Non négociables Résidents  Intérêt  Profits Non- Résidents Contenu Contenu Contenu Contenu  Taxes et importé national importé national impôts 3.5. Le problème réside dans le terme « valeur ajoutée ». Le fait qu’un produit transformé se vende à un prix plus élevé que la matière première ne signifie pas qu ’il y a eu valeur ajoutée, du moins pour le pays. Une certaine valeur doit être ajoutée pour les entreprises concernées, ou alors elles ne pourraient pas fonctionner. Mais cela ne veut pas dire que le pays en tirera parti. Il faut répondre à deux autres questions: i) quelle est l’importance des incitations accordées, s’il y a lieu, par le gouvernement; et ii) quelle est la proportion de la valeur ajoutée qui revient réellement aux nationaux, sous forme de salaires, de dividendes, de rentes, d’impôts ou de taxes? Souvent, les pouvoirs publics accordent des incitations sous forme de réduction ou d’exonération d’impôt, ou encore de subvention de capital ou des services publics. Il n’est pas simple non plus d’estimer la proportion de la valeur ajoutée qui reste dans le pays, comme le démontre le Figure 3.2. 3.6. Il est possible d’avoir une valeur ajoutée négative. Cette situation peut se produire de deux façons. Si le processus de transformation est très inefficace, la perte de matière première peut être telle qu’il aurait mieux valu exporter le produit sous forme brute. À titre illustratif, si la transformation des grumes en produits du bois occasionne d’importantes pertes sous forme de sous-produits du bois qui ne peuvent être d’aucune autre utilité, après avoir pris en compte le coût de la transformation, il peut se révéler plus rentable d’exporter des grumes. Ou alors, il peut arriver que la transformation soit efficace, mais que la modeste valeur ajoutée soit plus que réduite à néant par les pertes subies par l’État en raison des subventions et d’autres traitements spéciaux. À titre d’exemple, les gouvernements taxent en général les produits du bois beaucoup moins que les exportations de grumes, mais les recettes fiscales perdues peuvent être plus importantes que les avantages retirés par les travailleurs et les parties prenantes nationaux. 18 3.7. Les implications distributives de la promotion de la valeur ajoutée doivent en outre être prises en compte. La promotion d’une opération de transformation à haute intensité de capital peut profiter à un nombre relativement petit d’employés urbains mieux rémunérés, aux dépens des agriculteurs plus pauvres. À titre illustratif, le décorticage mécanisé des noix de cajou est souvent encouragé en imposant une taxe à l’exportation du cajou brut. Cette mesure peut permettre de créer plusieurs milliers d’emplois dans les usines de transformation, mais elle est également susceptible de se traduire par un plus faible prix à la production pour les agriculteurs qui se comptent en centaines de milliers. Si les plus importants avantages sont tirés par les propriétaires d’entreprises et si quelques-uns ou l’ensemble de ceux-ci sont des étrangers, il est peu probable que les résultats soient favorables aux pauvres. 3.8. La valeur ajoutée doit s’évaluer dans le contexte des chaînes de valeur mondiales. La baisse remarquable du coût du transport a nettement rapproché les diverses régions du monde et éliminé l’essentiel de l’avantage procuré par la proximité aux sources d’approvisionnement en matières premières ou aux consommateurs finaux. Dans bien des secteurs, les chaînes de valeur intégrées nationales ne sont plus qu’un souvenir. Dans le cas de l’habillement, il est désormais plus judicieux sur le plan économique pour le Burkina Faso d’exporter son coton vers la Chine où il est transformé en textiles mélangés coton/polyester, puis vendu aux fabricants de vêtements du Bangladesh qui exportent leur produit final vers les États-Unis. Du reste, cela demeure valable même si les États-Unis sont eux aussi un important exportateur de coton. L’avantage lié à la possession du coton au Burkina Faso disparaît rapidement face aux coûts élevés du capital et de l’électricité, au besoin d’importer des intrants non cotonniers, et à l’inefficacité des séries de production à petite échelle. 3.9. Néanmoins, les prix du marché qui déterminent les décisions du secteur privé peuvent sous-estimer les avantages d’une activité pour la société dans son ensemble. Des impôts et taxes élevés peuvent rendre l’activité économique non rentable pour l’opérateur privé, pendant que le Gouvernement en tire de substantiels avantages. Chose moins évidente, les charges liées à l’emploi des travailleurs peuvent être plus élevées que ce qu’il en coûte à l’économie dans son ensemble. Le salaire minimum, les avantages sociaux et/ou d’autres lois de travail peuvent accroître le coût de la main-d’œuvre non qualifiée et le porter à un prix que l’opérateur privé ne peut se permettre de payer, alors qu’il peut y avoir beaucoup de chômeurs qui seraient prêts à travailler pour moins — mais dont le coût de l’emploi serait négligeable ou nul pour l’économie, étant donné qu’ils ne produisent rien. Si pour une raison ou pour une autre il est impossible d’éliminer ces « distorsions du marché », les autorités peuvent choisir de les compenser au moyen d’autres incitations. 3.10. L’avantage comparatif peut en outre changer au fil du temps et il est possible que l’appui de l’État accélère ce processus. Une analyse minutieuse peut déterminer que les entreprises pourraient être compétitives dans la transformation d’une matière première une fois supprimées certaines entraves. Celles-ci peuvent avoir trait par exemple au prix de l’électricité qui est temporairement élevé, aux coûts de production qui baisseront à mesure de l’augmentation de la production, ou à la productivité de la main-d’œuvre qui s’améliorera grâce à l’apprentissage sur le tas. S’il y a lieu de croire que le désavantage sur le plan du coût est négligeable et que les améliorations prévues peuvent être opérées dans un bref délai, des incitations temporaires peuvent se justifier. Malheureusement, les antécédents internationaux et africains eu égard à ces programmes n’ont pas été très heureux. Cette situation s’explique souvent par le fait que les désavantages inhérents auxquels est confrontée une activité sont sous- 19 estimés, les entraves sous-jacentes ne sont pas supprimées et l’appui devient permanent. Les États ne disposant pas de la capacité requise pour évaluer les coûts et les avantages de ces programmes, ou ceux n’ayant pas la volonté politique de mettre fin aux incitations lorsque leur inefficacité est manifeste, feraient mieux de résister à la tentation de les lancer. 3.11. L’approche la plus prudente consiste à identifier les principales contraintes d’une transformation rentable et de déterminer quelle mesure l ’État peut adopter, s’il y a lieu, pour les desserrer directement. À titre illustratif, dans le cas de l’industrie du bois, la baisse de l’approvisionnement en matières premières constitue désormais un problème crucial. Étant donné que les forêts sont une ressource collective, l’État doit clairement jouer un important rôle dans leur gestion. Malheureusement, cela ne s’est pas fait de façon très efficace dans le passé et il y a lieu d’opérer une importante amélioration. En outre, l’industrie devra commencer à utiliser des grumes importées — fort probablement du Libéria — pour éviter la poursuite du déclin. L’État peut jouer un rôle utile dans la facilitation de l’importation des grumes, notamment en veillant à ce que les douaniers respectent les règles de la CEDEAO relatives au libre-échange qui permettent d’importer en franchise des droits de douanes les produits de base des pays membres. L’État peut par ailleurs contribuer à résoudre le problème en engageant des discussions bilatérales avec le Gouvernement libérien sur l’établissement de services de cabotage maritimes. 3.12. Ces deux produits offrent un intéressant contraste qui illustre les problèmes liés à la valeur ajoutée. Il a été estimé que le prix f.o.b. du cacao (taxes comprises) ne constitue que 11% de la valeur finale du chocolat. Il y a donc beaucoup de valeur ajoutée qui échappe à la Côte d’Ivoire et de fait, le Gouvernement a déployé des efforts considérables pour progresser dans la chaîne de valeur. Grâce à la réduction des taxes à l’exportation et d’autres incitations, le Gouvernement a persuadé les opérateurs privés de transformer environ 40% de la récolte annuelle de fèves de cacao en beurre, liqueur, gâteau et poudre de cacao, et en une sorte de chocolat liquide (« couverture »). Le beurre et la liqueur de cacao n’ajoutent cependant que 4,6% à la valeur finale, contre 11,1% (dont 3% de sucre) pour le chocolat liquide. La fabrication finale et la commercialisation des tablettes de chocolat représentent les 74% restants de la valeur. 3.13. La transformation du cacao est un processus à forte intensité de capital et d ’énergie et elle ajoute des coûts supplémentaires de stockage et de transport. La plupart des opérations sont entièrement automatisées et requièrent des étapes à la fois de chauffage et de refroidissement qui sont particulièrement coûteuses dans un climat tropical. Un transformateur basé dans un pays producteur de cacao doit refroidir le beurre et l’emballer (en utilisant souvent du matériau importé), le transporter sous température dirigée, et puis l’importateur doit le fondre dans des installations spéciales avant qu’il ne puisse être transformé en chocolat. En revanche, les fèves de cacao peuvent être transportées à même dans des conteneurs et ne requièrent pas de traitement spécial. Les transformateurs en Hollande ont l’avantage d’un climat plus froid et d’une énergie bon marché produite à partir du gaz naturel. Ils peuvent par ailleurs conserver leur beurre sous forme liquide et le livrer « juste à temps » dans des citernes à des clients non éloignés (Belgique et Suisse par exemple). Pour ces raisons et d’autres encore, « il est peu 20 surprenant que la quasi-totalité des opérations de transformation du cacao dans les pays d’origine dépendent de subventions sous une forme ou une autre ».18 3.14. La transformation du cajou présente une situation très différente. La chaîne de valeur est beaucoup plus simple — décorticage, torréfaction et salage, et mise en marché. Pour le décorticage, il existe des techniques à forte intensité de main-d’œuvre qui sont effectivement plus avantageuses que les solutions alternatives, parce que moins de noix sont cassées. Ces techniques peuvent en outre être des producteurs nets d’énergie, grâce à l’utilisation des coques comme biomasse. Les noix de cajou brutes constituent 34% de la valeur finale du produit, tandis que le décorticage y ajoute un supplément de 8%, contre 16% pour la torréfaction et le salage. Le contraste au niveau du coût par emploi créé est saisissant. Un emploi dans la transformation du cacao coûte environ 420 000 dollars, contre 1 290 dollars dans celle du cajou. En d’autres termes, il en coûte 333 fois plus pour créer un emploi.19 Le reste de la valeur ajoutée représente principalement les profits, dont l’essentiel revient à des non-nationaux. Tableau 3.2: La transformation du cacao et des noix de cajou: implications fiscales et pour l’investissement Cacao Cajou Pour une usine de transformation Coûts d’investissement par usine (USD 84 000 644 milliers) Capacité (tonnes) 100 000 1 500 Emplois 200 (250)+ 500 Coût d’investissement par emploi (USD) 420 000 920 Transformation de la moitié de la production annuelle Moitié du total de la production annuelle 600 000 150 000 (tonnes) Valeur par tonne (USD) 3 000 650 Perte fiscale par tonne due à la transformation 7,65* 10** (%) Total de la perte fiscale (USD milliers) 137 000 10 000 Total des emplois créés 1 500 50 000 Perte fiscale par emploi (USD) 91 000 200 + Dans l’hypothèse de la création de 50 emplois supplémentaires pour la production du couverture * Dans l’hypothèse de la transformation de tout le cacao en couverture. ** L’écart fiscal actuel entre la noix de cajou brute et décortiquée ne s’établit qu’à 4,5%, mais nous tenons pour acquis qu’il devra s’accroître et atteindre 10% pour fournir l’incitation nécessaire. 3.15. Outre les coûts d’investissement, il convient de tenir compte de la perte de recettes fiscales. Si la taxe à l’exportation versée sur le beurre et la liqueur de cacao n’est guère inférieure à celle applicable aux fèves de cacao, elle n’est supérieure que de moitié dans le cas du chocolat 18 ITC, Cocoa: A guide to trade practices, p. 98. Parmi les autres problèmes auxquels sont confrontés les pays producteurs de cacao figurent le stockage des fèves pour une production sur l ’année, l’accès en temps utile à des pièces détachées importées, et la recherche de débouchés pour le sous-produit du gâteau. Une étude de BNEDT effectuée en 2001 a conclu que la Côte d’Ivoire n’était pas compétitive dans le traitement du cacao. 19 Les emplois liés à la transformation du cacao seraient mieux rémunérés, mais parce qu ’ils font appel à une main- d’œuvre plus qualifiée, leur coût d’opportunité sera beaucoup plus élevé. Si la même main-d’œuvre était recrutée ailleurs, les avantages sociaux nets pourraient être nuls. 21 liquide (la couverture). La récente politique a consisté à promouvoir la transformation de la moitié de la récolte de cacao. Si cette politique était appliquée jusqu ’au niveau du chocolat liquide, l’État perdrait 137 millions de dollars par an aux prix en vigueur au début de 2011, ou un montant supplémentaire de 91 000 dollars par emploi. Si la transformation se limitait au beurre et à la liqueur, la perte fiscale par emploi serait beaucoup plus faible — de l’ordre de 11 000 dollars — ce montant demeurant toutefois comparable, sinon supérieur au salaire moyen versé aux employés. En revanche, la perte de taxes à l’exportation liée à la promotion de la transformation du cajou s’élèverait à peu près à 10 millions de dollars, soit 200 dollars par emploi. Le Tableau 3.2 résume ces estimations préliminaires. Il faudra faire plus pour affiner l ’analyse — notamment en tenant compte des autres incitations fiscales ou subventions en jeu — mais le contraste est si grand que la conclusion générale ne changera pas. Si le principal objectif est la création d’emplois, il convient d’accorder la priorité à la transformation des noix de cajou (voir la deuxième partie du rapport pour plus de détails). De fait, la transformation du cacao a bénéficié de toute l’attention et celle du cajou a été négligée. 3.16. Le potentiel d’ajout de valeur dans la filière du café est limité, pour différentes raisons. Le café robusta ivoirien doit être mélangé au café arabica pour plaire au consommateur final, mais le café arabica n’est pas disponible dans des proportions importantes en Afrique de l’Ouest. Cela empêche effectivement une commercialisation directe du café de marque ivoirienne. La Côte d’Ivoire a attiré une usine Nestlé produisant du café instantané, ce qui est un atout important compte tenu de la position dominante de Nestlé sur le marché mondial. Toutefois, cela signifie aussi que cette installation est assujettie à la stratégie mondiale de Nestlé et par conséquent, les ventes sont peu susceptibles d’être étendues au-delà du marché régional que cible Nestlé à partir de son usine d’Abidjan.20 3.17. Le sous-secteur des produits du bois dispose d’une importante capacité de transformation depuis un certain temps, mais il est en proie à des difficultés à l’heure actuelle. L’industrie exercera des pressions pour obtenir un appui en vue d’éviter d’autres fermetures d’usines, tout comme elle fera des propositions pour empêcher l’exportation des grumes de teck. Cependant, cette industrie regroupe un large éventail d’acteurs et il est difficile de dire si tous sont susceptibles d’être compétitifs. L’État a tout intérêt à s’attaquer au problème commun des approvisionnements en matières premières, puis à laisser la concurrence déterminer, dans le secteur privé, les entreprises qui doivent survivre. Il devra par ailleurs prendre soin de ne pas accorder d’incitations à la transformation du teck, à moins qu’il ne soit clair que les entreprises privées sont disposées à investir dans les nouvelles technologies requises pour cette grume de petit diamètre. 3.18. La conservation du thon pose des défis encore plus grands . En 2005, l’État a accordé un statut spécial aux conserveries de thon, notamment des exonérations fiscales et le remboursement de 50% des coûts d’électricité, des produits pétroliers, de l’eau et des télécommunications. Ces avantages n’ont certes pas encore été versés, mais de fortes pressions sont actuellement exercées pour que cette promesse soit honorée. Il est cependant difficile de dire si une analyse coûts-avantages a été effectuée pour justifier cette politique ou si une telle analyse serait favorable dans le contexte actuel. Le thon ivoirien en conserve est concurrentiel 20 De même, il est peu probable que la production de poudre de lait de chocolat se développe en Côte d’Ivoire, Nestlé ayant installé cette activité au Ghana. 22 parce qu’il jouit, sur le marché européen, d’importantes préférences tarifaires qui sont susceptibles de diminuer au fil du temps. En outre, l’un des principaux acteurs asiatiques a récemment acheté des installations de conservation au Ghana et la concurrence pour les approvisionnements en thon va s’accentuer considérablement. Il convient d’évaluer de toute urgence la viabilité à long terme de cette activité avant l’octroi de l’appui de l’État. 3.19. L’ajout de valeur a en outre été justifié par le besoin de réduire la vulnérabilité aux fluctuations des prix mondiaux. Les données sur lesquelles repose cet argument ne sont toutefois pas convaincantes, du moins dans le cas de la Côte d’Ivoire. La corrélation est presque parfaite entre le prix des fèves de cacao et le coût de la liqueur de cacao, et elle est également élevée entre ce prix et le coût du beurre de cacao. Il en va de même pour le café vert et le café instantané, ou pour les huiles végétales non transformées ou semi-transformées. En revanche, la transformation des noix de cajou peut se justifier en partie par la nécessité de réduire la dépendance envers un acheteur, à savoir l’Inde, qui occupe une position dominante dans le monde en ce qui concerne la transformation des noix de cajou brutes, et jouit d’un quasi- monopsone en Côte d’Ivoire. L’Inde a par ailleurs une politique explicite de réalisation d’une autosuffisance en matière de production de cajou brut au fil du temps. 3.20. En conclusion, une politique non différenciée d’ajout de valeur à tous les produits de base constitue une approche très risquée. Il est plus judicieux d’aborder cette question au cas par cas et d’effectuer une analyse minutieuse de la compétition actuelle et future probable, assortie d’une analyse coûts-avantages, avant d’offrir tout appui public. 23 4.1. Le secteur de l’énergie a été une des plus importantes sources de croissance durant les dix dernières années. La production de pétrole a quadruplé entre 2002 et 2009, avec la mise en production du champ en eaux profondes de Baobab, pour atteindre 70 000 barils par jour. Avec le quadruplement du prix moyen du pétrole également pendant cette période, il en est résulté une augmentation substantielle des revenus d’exportation, avec une augmentation plus faible mais tout de même importante des revenus de l’État. Les exportations de brut sont passées de 91 millions de dollars en 2002 à 1 100 millions de dollars en 2009, avec une pointe de 1 500 millions en 2008 (Figure 4.1). Les impôts et taxes, dividendes et autres revenus ont représenté 14% des recettes de l’État, mais sont retombés à 5% l’année suivante. 4.2. La Côte d’Ivoire est un producteur et un exportateur important de produits pétroliers. Sa raffinerie (de la Société Ivoirienne de Raffinage SIR) est l’entreprise industrielle la plus importante du pays mais également de toute l’UEMOA. Ses ventes ont totalisé près de 2,8 milliards de dollars en 2010 et elle est considérée comme l’une des plus performantes de l’Afrique subsaharienne. Elle exporte plus de la moitié de sa production vers les pays voisins y compris le Nigéria, ainsi que vers les États-Unis. La valeur des exportations des produits raffinés a beaucoup augmenté entre 2000 et 2009, suivant les prix mondiaux, et la production a quelque peu accru grâce à des gains de productivité. La raffinerie avait été construite avant que le pétrole ne soit découvert en Côte d’Ivoire, et elle a été conçue pour traiter les bruts légers disponibles au Nigéria. La valeur ajoutée des produits raffinés est limitée au rendement des opérations de raffinage, et de ce fait, le coût du brut importé doit être déduit de la valeur des produits exportés, pour avoir une idée précise des revenus nets d’exportation. En tenant compte de la valeur du brut et des produits raffinés, les exportations ont généré un revenu net de 900 millions de dollars en 2010. Figure 4.1: Commerce en pétrole brut et raffiné (million de dollars EU) 4.3. La Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains à utiliser abondamment son gaz naturel. Le pays produit du gaz associé à la production pétrolière et à partir de gisement proprement gaziers. La production gazière a quelque peu augmenté lors de la mise en opération du champ de Baobab, et bien que le gaz ne soit pas exporté, il joue un rôle majeur dans la 24 production d’électricité et sert à alimenter le secteur industriel. Toutes les centrales thermiques utilisent maintenant le gaz naturel et la plupart des entreprises industrielles ont été converties du fuel et du diesel au gaz naturel. Ceci devrait constituer un avantage certain pour l’économie Ivoirienne car l’énergie issue du gaz est plus efficace que celle du pétrole dans ces secteurs, sa production est moins coûteuse, modulable et plus facile à accroître, tout en étant moins nocive pour l’environnement. Cela dépend cependant de la garantie de disponibilité et de proximité du gaz, car il est très coûteux à importer, autrement que par gazoduc. 4.4. L’électricité est l’autre composant majeur du secteur de l’énergie ivoirien. Traditionnellement, le pays a été un exportateur important d’électricité vers le Ghana, le Burkina Faso, le Togo et le Bénin. À l’origine, il s’agissait surtout de l’excédent de la capacité hydraulique mais depuis les années 90, la capacité thermique a commencé à jouer un rôle de plus en plus important et représente maintenant, plus de la moitié de la capacité installée et les deux tiers de l’énergie produite. Les revenus d’exportations d’électricité se situaient autour de 100 millions de dollars en 2002, mais sont tombés à 32 millions en 2009, en raison de l’augmentation de la demande intérieure mais aussi à cause du manque d ’investissements dans l’entretien ou dans de nouvelles unités de production. En fait, en début 2010, le pays a connu ses premiers grands délestages tournants, obligeant le gouvernement à louer à grands frais, des groupes électrogènes industriels alimentés au diesel. Ceci a directement contribué à la chute estimée du PIB interne à 3% en 2010, alors qu’il était à 3,8% l’année précédente. 4.5. Tous les composants du secteur de l’énergie ont un potentiel de croissance qui pourrait devenir un moteur important de l’économie nationale dans les années à venir. Les secteurs du pétrole et du gaz naturel son particulièrement prometteurs, à la lumière des récentes découvertes d’hydrocarbures et à l’exploitation, dans les eaux territoriales du Ghana adjacentes à la Côte d’Ivoire, des gisements qui sont plus importants que n’importe quel champ Ivoirien existant. Il y a également eu des découvertes en Sierra Leone et des indices très prometteurs ont été identifiés au Libéria voisin. Étant donné le peu d’exploration récente dans les eaux territoriales ivoiriennes surtout en eaux profondes au-delà du plateau continental, il est fort probable d’y découvrir également des hydrocarbures. Par ailleurs, la présence de compagnies d’exploration dans la sous-région devrait permettre de les attirer en Côte d’Ivoire, puisque cela réduirait les coûts éminemment élevés de mobilisation de leurs navires et de leur personnel. Avec une plus grande disponibilité de gaz, la capacité de production d’électricité thermique pourrait s’accroître relativement vite. Si on y ajoutait les options hydroélectriques non encore réalisées, la Côte d’Ivoire devrait pouvoir recouvrer son rôle d’exportateur majeur d’électricité. Le Ministère des Mines et de l’Énergie prévoit en effet d’augmenter la valeur de ces exportations à 150 millions de dollars d’ici 2015. Le potentiel de croissance de la capacité de raffinage est peut être plus modeste mais n’est pas hors de portée, étant donné la bonne qualité de la capacité de raffinage installée de la SIR et de ses unités annexes, ainsi que l ’augmentation très probable de la demande régionale en produits raffinés. 4.6. Les secteurs du pétrole et du gaz sont cependant confrontés à de sérieux défis auxquels il faut s’attaquer rapidement. L’exploration a été quelque peu négligée récemment et les réserves existantes sont en voie d’épuisement. Au rythme actuel de production, les réserves en place ne dureront que cinq ans pour le gaz et six ans pour le pétrole. L’exploration en eaux très profondes qui offre le plus d’espoir de découvertes, peut prendre entre cinq et dix ans pour devenir commercialement exploitable, surtout pour ce qui est du gaz non associé, qui nécessite 25 des investissements spécifiques pour son traitement et son transport vers les marchés de consommation. Par ailleurs, l’alternative d’importer du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) étant très coûteuse, elle se traduirait par des coûts supplémentaires pour tous les utilisateurs, avec ce que cela implique pour leur compétitivité, affectant d’autant et entre autres, les exportations d’électricité. 4.7. La SIR reste viable mais fragile. La situation financière de la raffinerie reste précaire, en raison de l’hésitation du gouvernement à répercuter régulièrement les augmentations du coût des intrants sur les prix à la consommation, ainsi que de finir d’honorer le reliquat de sa dette vis-à vis de l’entreprise. C’est aussi l’une des premières entreprises à s’être convertie au gaz naturel et elle en est donc devenue dépendante, en contrepartie d’une production accrue de Gaz de Pétrole Liquéfié (Butane) pour le marché local. Son souci le plus urgent cependant reste sa compétitivité dans la sous-région. Les plus grandes raffineries d’outre-mer ont généralement un surplus de capacité disponible et réduisent leur prix, pour conquérir agressivement de nouvelles parts de marché de produits raffiné en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, il est fort probable que les raffineries du Ghana et du Nigéria soient modernisées et elles y gagneront en sus, l’avantage de l’accès à un moindre coût à leurs bruts locaux. 4.8. Les plus grands défis restent cependant ceux du secteur de l’électricité. Ce secteur a beaucoup souffert des plusieurs année de négligence, auxquelles sont venus s’ajouter une situation politique qui a découragé les nouveaux investisseurs, alors que les opérateurs en place et le gouvernement n’ont pas pu mobiliser les ressources nécessaires, pour entretenir l’infrastructure existante. Cet état de choses est dû à une combinaison de plusieurs facteurs incluant notamment le prix élevé du gaz, résultant de contrat léonin en faveur d’un opérateur privé, les faibles tarifs électriques appliqués aux consommateurs du secteur résidentiel et commercial, l’obligation d’assurer la continuité du service, y compris dans le Nord du pays où la facturation et le recouvrement ne suivaient pas, alors que les raccordements illégaux se multipliaient partout, y compris à Abidjan. Les pertes techniques et commerciales ont atteint les 24% des revenus, alors que la norme tolérable dans l’industrie ne dépasse pas 5%. Le secteur est de ce fait confronté à des déficits croissants qui deviennent un poids énorme pour le budget de l’État. En 2010, les subventions de l’État au secteur auraient dépassé les 200 millions de dollars. Faute d’une attention immédiate des autorités, les exportations vont se tarir et l’industrie locale souffrira de plus en plus de pénuries, qui la forceront à vouloir produire sa propre énergie, à des prix bien plus élevés. 4.9. La Côte d’Ivoire devrait être une destination de choix pour les investisseurs étrangers dans les hydrocarbures, vu son parcours remarquable en terme de production, l’impressionnant périmètre de territoire non exploré adjacent aux sites productifs, un marché du gaz maintenant établi, un partenaire local crédible PETROCI, la compagnie nationale des hydrocarbures et une raffinerie performante, la SIR capable de faire aussi du «processing» à la demande. La crise de 2011 terminée, les autorités devront activement s’engager dans la promotion du bassin sédimentaire, avec pour cibles les grandes compagnies pétrolières internationales, qui sont en général les plus à même de développer les réserves situées en eaux profondes.21 Les autorités devront également renforcer le cadre institutionnel afin d’en clarifier les contours, les rôles et les responsabilités de chacun des acteurs pour prioriser et promouvoir la 21 La compagnie française Total a signé un contrat d’exploration en octobre 2010, à la veille de la crise. 26 croissance et s’assurer que l’Etat va pourvoir récupérer une partie substantielle de la rente pétrolière et gazière, améliorer la gouvernance et la transparence et enfin protéger l’environnement. 4.10. Les premières décisions dans ce sens, seront l’approbation du nouveau code des hydrocarbures, la préparation d’un nouveau modèle de contrat de partage de production et un contrat-plan pour la PETROCI. Ce travail était bien avancé en 2010, mais il est resté en suspens du fait de la crise. L’un des objectifs recherchés serait de pousser PETROCI à être plus proactive dans sa démarche, rendant ses objectifs beaucoup plus clairs et en créant un système incitatif, liant directement ses résultats à sa performance. Par là-même, le Ministère des Mines et de l’Énergie recouvrirait un pouvoir de régulation plus affirmé. Pour ce faire et améliorer leur efficacité et leur performance, les deux institutions auront besoin d’un effort de formation pointu, notamment pour ce qui est de la supervision opérationnelle des compagnies pétrolières internationales. Il serait important que PETROCI par exemple, comprenne mieux la structure des coûts de production du brut et du gaz, pour mieux protéger ses intérêts et ceux de l’État. A l’heure actuelle, sa part du brut exporté ainsi que celle de l’État, sont le reliquat des revenus, une fois que tous les coûts de production ont été déduits par les opérateurs, souvent sans audit. De façon similaire, le Ministère doit pouvoir disposer d’instruments appropriés, pour prévoir et évaluer, aussi bien le potentiel de production à venir ainsi que les résultats financiers y afférant. Les compagnies pétrolières internationales devraient contribuer à la reconstitution des capacités humaines à PETROCI, comme elles le font pour la Compagnie Pétrolière du Ghana ou au Libéria par exemple. Cet effort n’a pas été requis d’elles jusqu’à présent en Côte d’Ivoire. 4.11. Une attention particulière doit être accordée à la formule de partage des revenus qui sera adoptée. Comme l’industrie pétrolière et gazière ne génère pas beaucoup d’emplois directs, sa contribution principale à l’économie locale se concrétise par la génération de flux financiers au budget de l’État. Cependant les risques pour le secteur privé ne sont pas négligeables et le pays a besoin de leurs investissements et leur expertise technique. Les compagnies pétrolières apportent aussi une information actualisée et un savoir faire utile. Le gouvernement a retenu les leçons de contrats de gaz qui ont été mal conçus, et par lesquels il s’engageait à acheter le gaz à un prix indexé sur celui du prix international pétrole, sans protection aucune. En même temps, il s’engageait à fournir le gaz aux opérateurs privés des centrales thermiques pour promouvoir leurs investissements. Avec l’augmentation rapide des prix du pétrole, l’État s’est retrouvé face au choix d’avoir à augmenter soit les tarifs d’électricité, soit d’en subventionner la production. C’est ainsi qu’une ressource naturelle nationale qui devait générer une rente minière a au contraire nécessité d’être subventionnée. Le Gouvernement devra s’adjoindre les services d’un conseil de haut niveau en la matière, pour s’assurer que les futurs contrat de pétrole ou de gaz soient structurés de façon telle, qu’ils assurent une répartition équitable des risques et des bénéfices entre les parties, durant toute leur durée de vie. 4.12. Un niveau élevé de recettes publiques doit correspondre à un niveau similaire de transparence, si la société dans son ensemble doit en bénéficier. Les exemples de mauvaise utilisation des ressources publiques rentière abondent malheureusement, et ont abouti au concept de la soi-disant «malédiction des ressources». Bien des pays développés ont tiré des revenus considérables de leurs ressources minières (Canada, Norvège), tout comme certains pays en développement ou émergeants (notamment le Chili et le Botswana). Là où les institutions et la gouvernance sont faibles, les résultats sont souvent négatifs. Paul Collier a conclu dans une étude sur le sujet, que « La malédiction des ressources frappait surtout les pays à faible 27 gouvernance ».22 A la lumière des résultats des dix dernières années, on pourrait légitimement se demander quelle sera la probabilité d’une bonne utilisation de la rente dérivée des ressources naturelles. Il est de ce fait essentiel que les premières mesures prises pour l’adhésion à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) soient poursuivies pour que tous les concernés soient rassurés que les taxes, dividendes, et autres redevances déboursées par le secteur privé, figurent effectivement au budget de l’Etat. Il faudra en outre que la véracité dans l’exécution de ce budget, soit renforcée par la poursuite des mesures telles que la publication en temps réel des rapports trimestriels d’exécution et d’audits par la Cour des Comptes, sous une supervision Parlementaire effective. 4.13. Le pays aura aussi besoin de rechercher des sources alternatives d’approvisionnement en gaz. Etant donné la forte dépendance du secteur électrique et industriel sur le gaz naturel, le pays doit se préparer à l’éventualité que de nouvelles ressources gazières ne soient pas disponibles à temps pour remplacer les réserves actuelles, lorsqu’elles arriveront à épuisement. Le Ghana fort heureusement est devenu producteur de gaz, et il est maintenant possible d’envisager la prolongation du Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (GAO) jusqu’en Côte d’Ivoire. Comme le Ghana a déjà des engagements à long terme d’achat de gaz du Nigéria, il se retrouve de ce fait avec un excédent de gaz-associés à la production pétrolière et qu’il doit vendre. L’accès au GAO ouvrirait la possibilité d’acheter du gaz au Nigéria ou au Ghana, ce qui donnerait à la Côte d’Ivoire une position de négociation plus renforcée vis-à-vis de ces deux exportateurs, tout en asseyant d’autant, sa position de négociation vis-à-vis de ses propres producteurs de gaz privés. 4.14. Un audit et la stratégie qui en découle définissent les prochaines étapes pour la SIR. La société devra optimiser sa capacité de production pour l’aligner sur la demande locale et régionale, se mettre à niveau des standards environnementaux de plus en plus contraignants, poursuivre ses économies d’énergie et continuer d’améliorer sa productivité. Elle devra augmenter sa capacité d’hydrocracking afin de maximiser ses rendements en essence, gasoil et kérosène qui sont et deviendront de plus en plus demandés, au détriment des fuels lourds. Elle devra également se mettre à niveau pour ce qui est des équipements de désulfurisation, si elle espère atteindre et se conformer aux normes admises en la matière sur le plan international. Ceci lui permettra de conserver son marché Nord Américain mais aussi d’être au niveau normatif du marché de la sous-région. D’autres investissements seront nécessaires à sa filiale SMB, pour augmenter sa production de bitumes industriels et produire les soutes maritimes à basse teneur en soufre, pour les besoins du marché de transport maritime de la sous-région. 4.15. Les investissements nécessaires ont été estimés à un milliard de dollars sur dix ans . Certains pourront être mobilisés sur fonds propres, avec des gains de productivité supplémentaires, y compris la réduction de sa masse salariale par le biais des départs à la retraite, conséquents à la poursuite de l’automatisation de ses équipements. Le paiement de ses arriérés par l’Etat améliorera les résultats de cet effort commun, qui nécessitera probablement une augmentation de la taxation sur les produits pétroliers. La formule des prix appliquée aux produits pétroliers prévoyait toujours un coefficient k, destiné à générer des revenus supplémentaires pour financer les investissements lourds de la raffinerie, coefficient qui a progressivement été réduit à zéro au fil des 15 dernières années. Il serait temps de le réinstaurer temporairement, pour permettre à la SIR de financer les investissements de modernisation 22 Paul Collier. The Plundered Planet (La planète pillée). P. 46. 28 nécessaires à sa pérennité. L’état devra néanmoins s’assurer que le mécanisme d’ajustement des prix est aussi respecté, pour permettre de répercuter lentement mais sûrement, les coûts plus élevés sur les consommateurs, qu’il faudra aussi informer régulièrement de ces ajustements. Ceci nécessitera une campagne continue d’éducation et de communication avec le grand public pour surmonter les réticences qui peuvent autrement, être socialement et politiquement déstabilisatrices. 4.16. Un audit a défini en 2009, les voies et moyens de sauvegarder le secteur de l’électricité. Il est évident que le gouvernement et le secteur privé devront faire d’urgence, les investissements nécessaires pour permettre la remise à niveau de ce secteur et augmenter sa capacité de production. Certaines mesures à court terme son disponibles, telle que l’utilisation du cycle combiné par la récupération de chaleur dans les unités existantes et produire plus d’électricité sans consommation supplémentaire de gaz naturel. Des institutions comme la Société Financière Internationale (IFC), étaient prêtes en 2010 à investir dans le secteur, mais ont hésité à s’engager en raison de sa situation financière, aggravée par l’incertitude politique du moment. La récente rationalisation des institutions est aussi un pas en avant. L’ancienne compagnie de distribution d’électricité, EECI a finalement été dissoute et son patrimoine a été transféré à la Société de Gestion du Patrimoine du secteur de l’électricité, SOGEPE. Ceci devrait lui permettre mobiliser les capitaux nécessaires, mais elle devra le faire de façon plus volontariste pour espérer aboutir à des résultats probants. Cependant, la situation financière du secteur reste préoccupante. 4.17. Le cadre institutionnel et règlementaire nécessite plus de réformes pour un meilleur partage des risques et promouvoir l’efficience. Le cadre actuel a été conçu pour attirer les investisseurs en minimisant leurs risques et il y a réussi. L’état garantit un approvisionnement en gaz aux producteurs indépendants d’électricité, en achetant tout le gaz aux opérateurs à des prix attractifs. Il achète ensuite toute l’électricité produite pour sa revente par la Compagnie ivoirienne d’Électricité (CIE). L’état à dû de ce fait assumer la majorité des risques, ce qui ôté toute propension au secteur privé, d’avoir à réduire ses coûts et à améliorer sa productivité. La crise de 2011 à malheureusement crée un nouveau genre de risque pour le secteur privé, qui rendra plus difficile toute tentative par l’État, de renégocier le cadre règlementaire dans l’immédiat, mais cela peut déjà se faire, pour figurer dans les futurs contrats. 4.18. La transparence et le manque de compétition font également défaut dans le secteur privé. Il n’y a qu’un nombre très limité d’opérateurs privés et tous sont intégrés verticalement dans au moins deux étapes de la chaîne de valorisation: (production de gaz, génération d’électricité et distribution) y compris dans la gestion des flux financiers. Cet état de choses a découragé toute velléité de compétition, tout en ne permettant pas à l’État d’avoir une idée claire de la structure des coûts. Bien qu’il soit difficile d’apporter des changements à court terme dans la structure du secteur privé, un effort devrait être fait pour y attirer d’autres partenaires intéressés par des investissements dans les nouveaux champs gaziers et dans les centrales thermiques. De plus, l’Autorité nationale de Régulation du Secteur de l’Électricité, ANARE qui existe sur papier depuis 1994, devrait finalement passer à la phase opérationnelle, rester indépendante et s’impliquer à fond dans sa mission, ce qui va demander un effort de formation soutenu, mais elle devra aussi assumer pleinement son rôle de régulateur national. 4.19. Une fois la crise politique réglée, le gouvernement devra juguler définitivement l’hémorragie financière du secteur. Cet effort sera déterminant pour l’équilibre budgétaire de l’État, mais également pour attirer le secteur privé, car le secteur aura toujours besoin 29 d’incitations et d’investissements. Les autorités devront cependant renégocier le prix auquel elles achètent le gaz à certains opérateurs privés, pour le découpler du prix du pétrole ou en tout cas le protéger de trop grands écarts, à la hausse comme à la baisse. L’état devra éventuellement se faire à l’idée d’une augmentation graduelle et inévitable des tarifs de l’électricité pour la survie du secteur. Il revient à l’ANARE de préparer un nouveau système de tarification à long terme et surtout, de veiller à son application. Là aussi, une campagne multimédia visant toutes les catégories de consommateurs, sera utile pour leur expliquer et les convaincre de la nécessité d’augmentations tarifaires à court terme, pendant que les investissements nécessaires pour éviter les délestages du passé récent, soient mis en place pour les éliminer à moyen et long terme. 4.20. Les énergies renouvelables doivent être développées sur le moyen et long terme. Il y a encore un potentiel considérable de sites non exploités dans le secteur hydroélectrique, et pas moins d’une dizaine sont en attente de développement, totalisant une capacité de 1300 MW, supérieure à la totalité du parc hydraulique et thermique actuel du pays de 1210 MW. La grande priorité est de réaliser le site de Soubré avec ses 290 MW. L’énergie solaire devrait aussi être développée au-delà des quelques projets-pilotes engagés à ce jour, surtout dans les zones rurales et en appoint dans les zones urbaines. L’utilisation de la biomasse et des coques des noix de cajou comme fuel dans les zones de plantations devrait être généralisée et mieux contribuer sa part à l’électrification rurale. Plusieurs sites de développement d’énergie éolienne sont déjà identifiés et en attente de mise en œuvre via de projets pilotes. Tout cet ensemble doit être développé avec une vision réaliste à moyen et long-terme, dans le cadre d’un plan directeur de développement du secteur de l’énergie. 4.21. Le secteur ivoirien du pétrole, du gaz et de l’énergie offre un potentiel à réaliser qui reste énorme, que ce soit pour le développement des ressources, de la gestion par la maîtrise de la demande ou du développement local et régional. Un « Plan directeur de l’Énergie » post-crise, bien conçu et bien structuré, aidera la Côte d’Ivoire à se remettre rapidement sur pieds et aller de l’avant, avec une vision claire et réaliste de son avenir économique, et un attrait particulier pour les investisseurs privés. 30 5.1. La Côte d’Ivoire a mis en place sans doute le meilleur système global de transport d’Afrique de l’Ouest, même si ce système a été négligé au cours des 10 dernières années. Le port d’Abidjan est le plus important après celui de Lagos, avec un terminal à conteneurs géré par des intérêts privés et qui est considéré comme l’un des plus efficaces de toute l’Afrique subsaharienne. Le port secondaire de San Pedro joue lui aussi un rôle important, notamment dans le commerce du cacao et des produits du bois. Le chemin de fer vers Ouagadougou fournit l’alternative au plus faible coût pour le transit en direction du Burkina Faso, avec une option multimodale pour la desserte du Mali. Il a été l’un des premiers chemins de fer d’Afrique à être gérés dans le cadre d’un accord de concession, et à l’exception de quelques mois, il a continué de fonctionner pendant toute la période de la crise politique de 2000-2010. Cette voie ferrée reste la plus productive et celle qui a le plus fort trafic d’Afrique de l’Ouest. La gestion de l’aéroport d’Abidjan a également été confiée à une entreprise privée, laquelle a investi dans d’importantes rénovations. Cela aurait dû contribuer à préserver son rôle traditionnel de plaque tournante du trafic aérien en Afrique occidentale, n’eût été l’instabilité politique. Enfin, il avait été construit un remarquable réseau routier qui fournissait l’accès par voie bitumée à toutes les régions du pays, appuyé par des routes secondaires et rurales qui facilitaient l’évacuation des produits agricoles et la fourniture de services sociaux. Ce réseau routier représentait pratiquement la moitié de toutes les routes des pays de l’UEMOA. 5.2. La crise politique prolongée a fait payer un lourd tribut à ce système. Le commerce de transit a chuté, passant de 1,4 million de tonnes en 2002 à quelque 200 000 tonnes en 2003, et il n’a retrouvé son niveau précédent qu’en 2009. Les recettes du rail, du port et des entreprises de camionnage ont été fortement affectées, ce qui a compromis les nouveaux investissements privés. L’entretien du réseau routier a été négligé et l’investissement public inexistant. La gouvernance s’est gravement détériorée, cette situation conduisant à la multiplication des barrages routiers et des tristement célèbres « rackets ». Les pays enclavés ont accru leur recours à des voies de transit alternatives et les pays côtiers concurrents ont progressivement amélioré leurs infrastructures et services pour consolider les gains réalisés aux dépens de la Côte d’Ivoire. 5.3. Les réformes de la facilitation du commerce peuvent permettre de réaliser des gains à faible coût et à court terme, tout en identifiant des financements pour les investissements à long terme. Les infrastructures matérielles figurent en bonne place parmi les priorités d’investissement du Gouvernement, mais les ressources publiques sont très limitées et les demandes concurrentes sont nombreuses. Les règles, les procédures et les services de transport — le côté immatériel des infrastructures — sont souvent négligés par les gouvernements et les donateurs, alors qu’ils permettent en général d’intervenir de la façon la plus efficace sur le plan du coût pour améliorer la compétitivité. Il existe de nombreuses opportunités de ce genre en Côte d’Ivoire. Le fait de prêter une attention immédiate à ces questions peut être la meilleure façon pour la Côte d’Ivoire de récupérer une partie du commerce de transit perdu. En outre, cela améliorera la compétitivité des exportations, accroîtra les prix à la production versés aux agriculteurs et réduira les coûts des importations pour les consommateurs. 5.4. Le coût du transport est très élevé. L’envoi d’un conteneur de 20 pieds de Singapore à Abidjan coûte entre 700 et 1 000 euros, tandis que le coût de déchargement et de livraison de ce conteneur, toujours dans la ville d’Abidjan, coûte 500 à 800 euros en sus. Le commerce de transit vers Ouagadougou peut coûter au moins 1 500 euros en sus. Même si le déchargement des 31 conteneurs est plus efficace qu’à Lomé (ou tout autre port d’Afrique de l’Ouest), le total des frais portuaires à Abidjan pour le commerce de transit est de 38% supérieur à celui de Lomé. Le port d’Abidjan peut décharger en moyenne 23 conteneurs par heure, mais il n’en faut pas moins de six à 12 jours pour remplir les formalités de dédouanement, contre un à trois jours seulement à Dakar. Selon les estimations, le coût total du commerce de transit d’Abidjan au Burkina Faso est de 16% plus élevé qu’à partir de Lomé et de 40% supérieur en ce qui concerne les marchandises importées par Tema (Ghana). 5.5. La productivité s’est sensiblement améliorée, mais ses retombées ne se sont pas concrétisées. La gestion privée du terminal à conteneurs et la manutention des marchandises en vrac ont conduit à d’importants investissements et à la bonne performance. Les retards et les coûts demeurent cependant élevés. Le temps moyen passé au port par les conteneurs importés (10 jours) n’a pas changé entre 2004 et 2009, tandis qu’il s’est en fait accru pour les conteneurs destinés à l’exportation ou au transbordement. Cela est particulièrement coûteux parce que le port impose des surestaries après le cinquième jour. 5.6. Le manque de compétition entre les transitaires semble expliquer le coût élevé de sortie des marchandises du port. On dénombre 11 principaux transitaires, appelés « les multinationaux », qui sont membres de la très fermée Fédération maritime de Côte d’Ivoire (FEDERMAR). Cette organisation établit des prix élevés et fixes qui sont officiellement sanctionnés par décret. Il existe de nombreux transitaires de plus petite taille, mais ceux-ci éprouvent beaucoup de difficultés à obtenir des marchés. Il y a lieu d’encourager une plus grande concurrence, notamment en facilitant l’agrément des petites entreprises, en assurant un traitement égal et en libéralisant les prix.23 5.7. De plus grands obstacles existent au niveau de la douane. Les douaniers sont omniprésents dans les entrepôts, lors du scannage, voire sur les bateaux, ralentissant le processus de dédouanement en vue d’obtenir du temps supplémentaire et d’autres versements officieux. La part des déclarations d’importation acceptées dans le circuit vert a baissé régulièrement, passant de 60% en 2004 à 30% en 2009, d’où l’accroissement du nombre d’inspections matérielles. Quant au reste, la vérification ne commence qu’après livraison d’un exemplaire imprimé des formulaires de déclaration et des documents d’accompagnement. Le système de dédouanement automatisé des marchandises, SYDAM World, a été adopté, mais il est sous-utilisé et des systèmes manuels parallèles persistent. Des frais de scannage sont versés pour tous les conteneurs importés, même si 17% seulement des conteneurs sont effectivement scannés. 5.8. Le nombre de documents requis est par ailleurs excessif . La « déclaration anticipée d’importation » fait double emploi avec la « fiche de renseignement à l’importation ». Le « bordereau de suivi de cargaison », créé par l’Office ivoirien des Chargeurs (OIC), semble tout particulièrement inutile. Il se justifie par le besoin de recueillir des statistiques, de préparer le processus de dédouanement avant l’arrivée et de prévenir la fraude. Toutefois, les statistiques publiées par l’OIC ne sont pas à jour et elles peuvent déjà être obtenues à partir du formulaire « déclaration anticipée d’importation » qui sert lui aussi à préparer le processus de dédouanement. La lutte contre la fraude incombe aux services douaniers. 23 L’une des plus grandes sociétés jouit d’un crédit sur les droits de douane payables de 14 milliards de FCFA, alors que les petites entreprises sont en général limitées à 25 millions de FCFA. 32 5.9. Cette analyse amène aux recommandations ci-après:  supprimer les formulaires « fiche de renseignement à l’importation » et « bordereau de suivi de cargaison »;  exploiter pleinement le système SYDAM et créer un processus électronique de prédéclaration;  reconnaître la validité juridique de la déclaration électronique;  améliorer les critères de sélectivité des contrôles et les intégrer dans SYDAM;  réaffecter les agents de façon à ce qu’ils se concentrent sur le contrôle ex post du dédouanement, et renforcer la coopération avec l’administration de l’impôt;  établir un véritable guichet unique pour tous les services intervenant au port ; et  réactiver la commission compétitivité des ports ivoiriens. 5.10. Les barrages routiers et les pots-de-vin ont dégénéré. Entre Abidjan et la frontière avec le Burkina Faso et le Mali, on a dénombré 38 postes de contrôle en 2008, soit un à tous les 18 km24. Une étude estime que les frais totaux se chiffrent entre 150 000 et 200 000 FCFA, mais pour d’autres, ils atteignent 1 million de FCFA. Par comparaison, on ne trouve que huit postes de contrôle au Togo, avec un coût de 40 000 FCFA. Outre les ex-rebelles, de nombreux organismes interviennent à ces postes (police, gendarmerie, sécurité, douanes, services des eaux et forêts, santé, et municipalités locales). Le coût de ce « racket » est estimé à 10% de l’ensemble des frais de transport par un rapport, ou à un total de 150 à 300 milliards de FCFA par la Chambre de commerce. Par ailleurs, ces contrôles n’empêchent en général ni la surcharge ni la circulation des camions dangereux. 5.11. Des frais supplémentaires sont facturés au titre des services d’escorte pour empêcher le déchargement des marchandises en transit. Depuis 2001, il incombe à l’Office ivoirien des Chargeurs (OIC) d’organiser des convois de camions pour le transit vers le Burkina Faso ou le Mali, à des frais de 250 000 FCFA par camion, plus 150 000 FCFA par convoi. Ce service d’escorte n’est pas systématique et les camions partent souvent seuls. Ce système a été étendu au trafic national à un coût total de 120 000 à 200 000 FCFA selon les produits, et même si le camion est vide. Ces frais sont exigés soi-disant pour fournir une sécurité contre le racket, mais en fait, ils sont simplement devenus une autre taxe. 5.12. D’autres obstacles attendent au poste frontalier. La réglementation régissant le Transport Routier Inter-État (TRIE), longtemps promue par l’UEMOA/la CEDEAO, n’est pas appliquée. La garantie émise par la Chambre de Commerce n’est pas reconnue et au contraire, les expéditeurs doivent fournir une garantie correspondant à la valeur totale de l’expédition. Cette mesure a effectivement découragé tout le monde, à l’exception des plus grandes entreprises de camionnage. Il appartient à l’OIC de certifier que les marchandises ont effectivement quitté le pays. Et à quelques exceptions près, les marchandises importées de l’extérieur de la CEDEAO ne sont pas dédouanées aux postes frontaliers terrestres, pour éviter la concurrence avec le port d’Abidjan. 5.13. Les camionneurs ivoiriens ont pratiquement abandonné le commerce de transit en raison en partie de la sévère réglementation. Outre les problèmes ci-dessus, le commerce de 24 M. Touré et E. Diarra, « L’étude du racket sur les routes en Côte d’Ivoire », Banque mondiale. 2008. 33 transit est divisé, les deux tiers étant réservés aux camions du pays importateur et un tiers au pays de transit (Côte d’Ivoire), et un système de tour de rôle est utilisé pour allouer les chargements sur la base du premier venu premier servi. Ce système protège beaucoup de vieux camions inefficaces et réduit le nombre de rotations à un ou deux par mois, ce qui amoindrit la rentabilité. Il existe en outre relativement peu de chargement de retour du Burkina Faso ou du Mali et les marchandises disponibles sont transportées par les entreprises nationales de ces pays. 5.14. L’analyse du commerce de transit amène à formuler une deuxième série de recommandations:  supprimer tous les barrages routiers en faveur d’un système de suivi par le système mondial de positionnement, avec un contrôle au départ et un au poste frontalier;  remplacer le processus du TRIE par un formulaire unique de déclaration en douane;  éliminer les frais imposés par l’Office ivoirien des Chargeurs et n’organiser des services d’escorte qu’à la demande des expéditeurs;  interconnecter les systèmes informatiques des services douaniers de l’UEMOA et, plus tard, ceux de la CEDEAO;  accélérer la création de postes frontaliers conjoints;  autoriser l’importation de biens provenant de l’extérieur de la CEDEAO par les frontières terrestres;  restituer à la douane les tâches confiées à l’OIC; et  supprimer les systèmes de tour de rôle et d’allocation des chargements. 5.15. Le réseau routier a gravement souffert des années de négligence et de l’incidence de la surcharge des camions. Les principales routes ont été construites pour une durée de vie de 15 ans qui est dépassée depuis longtemps. De 2000 à 2006, il n’y a pas eu d’entretien, à l’exception de quelques réparations d’urgence. Entre 2007 et 2009, les dépenses d’entretien routier se sont chiffrées en moyenne à seulement 13 milliards de FCFA. Par comparaison, le Ghana a consacré près de quatre fois ce montant à un réseau routier qui est d’un tiers plus petit. En conséquence, un grand programme de réhabilitation des routes est nécessaire, ainsi qu’un programme régulier et vigoureux d’entretien routier. 5.16. Le Fonds d’Entretien routier (FER) a besoin de plus de ressources sur une base plus fiable. Le problème réside en partie dans le faible niveau de la taxe d’utilisation de la route sur l’essence (16 FCFA/litre), qui correspond à moins de la moitié du taux pratiqué au Togo, pays beaucoup plus pauvre. En outre, les routes à péage n’ont pas généré de ressources, contrairement au Togo. Par ailleurs, les ressources perçues au titre de la taxe sur l’essence passent par le budget au lieu d’être versées directement au Fonds d’entretien routier, avec pour effet que les ressources mises à la disposition de ce dernier sont considérablement en deçà des prévisions et que les fonds transférés sont reçus avec du retard. 5.17. Un programme urgent d’amélioration des routes requerrait:  au moins un doublement de la taxe routière sur l’essence;  un accroissement de l’utilisation des péages;  l’ajout de stations de pesage pour réduire la surcharge et générer des recettes à partir des amendes; 34  le transfert de ces ressources directement au budget du Fonds d’entretien routier; et  la mobilisation de ressources à même le budget national et auprès des donateurs, à raison de 200 milliards de FCFA, pour un programme triennal de réhabilitation des routes. 5.18. Le parc des camions de Côte d’Ivoire est vieux et son exploitation coûteuse. Selon les estimations, 85% des camions sont vieux de plus de 10 ans. L’investissement dans de nouveaux camions a été découragé par la faible rentabilité et le parc n’est pas adapté au marché des conteneurs en expansion. La distance moyenne parcourue n’est que de 60 000 km, contre 180 000 km en Europe. Cette situation tient aux nombreux obstacles et retards évoqués dans le contexte du commerce de transit, qui s’appliquent également au transport national. 5.19. La politique des transports est libérale, mais il y a lieu de simplifier le cadre réglementaire. Le nombre de documents requis et d’acteurs de contrôle est excessif. Des progrès ont été accomplis en matière de création d’un guichet unique pour les automobiles, mais le nombre d’étapes pourrait être réduit de six à trois (immatriculation, douanes et inspection de sécurité), et ce système doit devenir un vrai guichet unique où tous les services sont exécutés sur place. Les formalités administratives à remplir par les transporteurs et les chauffeurs sont également excessives. L’OIC, les bureaux de fret et beaucoup de syndicats de camionneurs interviennent tous et réclament leurs commissions. Les taxes représentent au total entre 45 et 55% du chiffre d’affaires des entreprises modernes du secteur, et elles consistent notamment en des droits à l’importation, des frais de propriété, des frais d’utilisation et des taxes sur l’essence. S’il convient probablement d’accroître les taxes sur l’essence pour contribuer à défrayer les coûts d’entretien routier, les effets de cette augmentation devraient être neutralisés en réduisant quelques-uns des autres frais. 5.20. La réglementation régissant la surcharge mérite d’être resserrée. En effet, les États membres de l’UEMOA et le Ghana ont convenu de limiter la charge par essieu à 11,5 tonnes et de mettre en place des contrôles rigoureux grâce à l’installation de ponts à bascule et à l’imposition d’amendes. Le délai de mise en œuvre était fixé au 30 juin 2010. Il est grand temps d’entreprendre cette réforme, car elle réduira la détérioration de la route et générera certaines recettes supplémentaires pour l’entretien. Elle rendra cependant plus difficile la couverture des coûts des camionneurs. 5.21. L’heure est venue d’adopter une nouvelle approche moderne des services de camionnage. Jusqu’ici, les vieux camions se sont mis en file pour attendre leur tour, ce qui limite le nombre de voyages, mais permet d’éviter la nécessité de faire face à la concurrence. Les chauffeurs ont été sous-payés ou n’ont pas du tout été rémunérés, et il leur a échu de générer leurs propres recettes d’une façon ou d’une autre. Autant le propriétaire que le chauffeur du camion avaient intérêt à faire de la surcharge pour joindre les deux bouts, vidant deux ou même trois conteneurs et en entassant leur contenu dans un camion. Cette pratique a à son tour déplacé les coûts vers la société, sous forme de détérioration des routes et d’accidents. Mais les nouvelles restrictions applicables à la charge à l’essieu peuvent enfin mettre un terme à ce modèle. 5.22. Au contraire, il y a lieu d’adopter un nouveau modèle concurrentiel qui permet aux expéditeurs de choisir leurs camionneurs, les plus compétitifs de ceux-ci étant en mesure de générer de meilleures recettes grâce à l’accroissement du chiffre d’affaires et peut-être même à l’augmentation des frais en raison de l’amélioration du service. À son tour, cette situation 35 permettra d’investir dans de nouveaux camions et se traduira par une plus grande conteneurisation. Et la conteneurisation devrait faciliter le passage au port, éliminer le besoin de services d’escorte et réduire la justification des barrages routiers, grâce à l’utilisation de la mise sous douane et du suivi au moyen du système mondial de positionnement. Pour appuyer cette nouvelle approche, on pourrait établir une bourse de fret où les expéditeurs soumettraient leurs demandes et les transporteurs se feraient concurrence sur la base du coût et du service, et sans verser de commissions au bureau de fret. 5.23. Cette analyse des services de camionnage amène à émettre une autre série de recommandations:  réduire les barrages et contrôles routiers;  simplifier et réorganiser le cadre réglementaire;  réduire les redevances imposées aux camionneurs par les syndicats, l’OIC et les bureaux de fret;  libéraliser le transport routier en établissant une bourse de fret; et  faire appliquer la limite de la charge par essieu de 11,5 tonnes, pour prolonger la durée de vie des camions et des routes. 5.24. L’accord de concession conclu avec SITARAIL a permis de créer et de maintenir le trafic, mais l’infrastructure s’est détériorée. Le trafic s’est accru, passant de 485 000 tonnes en 1996 à plus de 1 million de tonnes en 2001, mais il a baissé considérablement en 2003 lorsque le chemin de fer a été obligé de suspendre ses opérations pendant une grande partie de l’année. Il s’est redressé pour s’établir en moyenne à 870 000 tonnes en 2007-2009. Le chemin de fer transporte par ailleurs quelque 500 000 passagers par an. Cela est remarquable, compte tenu de la division de fait du pays. Ces résultats ont été obtenus en améliorant le service, en pratiquant des taux compétitifs et en effectuant d’importants investissements dans le matériel roulant. Toutefois, peu d’investissement a été effectué dans les rails et le train est obligé de ralentir au niveau de 77 passages sur une longueur totale de 98 km. Le coût de la réhabilitation a été estimé à 64 milliards de FCFA (128 millions de dollars). Un montant encore plus important est requis pour le renouvellement du matériel roulant; l’âge moyen des locomotives est de 35 ans. 5.25. Le problème réside en partie au niveau des sociétés de portefeuille d ’actifs publics créées à la fois par la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Il incombe à ces entreprises de réhabiliter et de moderniser les rails, et chacune d’elles perçoit 2% des recettes brutes de la concession pour assurer le service de la dette associée à leurs obligations. Ce système n’a pas été efficace, car le montant de 11 milliards de FCFA (22 millions de dollars) qui leur a été versé de 1995 à 2005 a été détourné pour régler des coûts de personnel injustifiés dans ces entreprises et diverses dépenses aux ministères des transports des deux pays. Les futurs versements au titre de la concession doivent être plafonnés à 100 millions de FCFA (200 000 dollars) par an, le solde étant déposé dans un compte sécurisé géré par SITARAIL, pour financer la réhabilitation des rails. Cette modification doit être adoptée lors du renouvellement de l’accord de concession en 2011. 5.26. SITARAIL est pratiquement en faillite. Les recettes perdues en raison de la crise politique de 2002-2009 ont été estimées à 15,8 milliards de FCFA (31,6 millions de dollars), tandis que l’État n’a pas versé la compensation due à SITARAIL pour le trafic passagers (19 36 milliards de FCFA ou 38 millions de dollars). En conséquence, l’entreprise n’est en mesure ni de rembourser ses dettes vis-à-vis des deux États, ni de financer de nouveaux investissements. Il est impérieux de s’acquitter de la dette due à SITARAIL, pour lui permettre de rétablir une solide base financière, et de lancer sans tarder le plan d’investissement convenu, avec des contributions des deux États et de la compagnie ferroviaire.25 5.27. Le plan d’investissement doit prévoir par ailleurs des réformes visant à faciliter le commerce. Un des problèmes majeurs a trait au faible temps de rotation des wagons — 15 jours ou plus — qui conduit à des pénuries de capacité. Les ralentissements dus au mauvais état des rails ne constituent qu’une petite partie du problème. Les délais de chargement et de déchargement sont trop longs, et le service ferroviaire est ralenti par des retards à la frontière et entre le nord et le sud de la Côte d’Ivoire. Le chemin de fer n’échappe pas à l’exigence de versement de frais aux forces armées aussi bien au nord qu’au sud. En conséquence, les wagons passent plus de temps immobilisés qu’en marche, et ils sont souvent utilisés comme installations d’entreposage. Les plans existants d’investissement n’abordent pas le problème de la facilitation du commerce. 5.28. Les principales recommandations concernant le service ferroviaire sont les suivantes:  éponger les pertes financières de SITARAIL imputables à la crise;  améliorer la gestion des wagons pour accroître le temps de rotation;  élaborer une stratégie de facilitation du commerce;  déposer l’essentiel des paiements au titre de la concession dans un compte spécial que doit gérer SITARAIL, pour la réhabilitation des rails;  lancer un programme de nouveaux investissements dans les rails et le matériel roulant; et  développer le transport multimodal (bateau-train-camion) grâce à une utilisation accrue des conteneurs. 25 Le port s’intéresse en outre à promouvoir le chemin de fer et a lancé une émission obligataire en 2010 pour contribuer au financement du nouveau matériel roulant. 37 6.1. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) a été un des secteurs phares de l’économie ivoirienne. Les recettes du secteur des télécommunications ont considérablement augmenté, passant de 3,5% du PIB en 2000 à 6,3% en 2009. Ce taux est inférieur à celui du Sénégal (9,4%), mais supérieur à celui du Nigéria (5,1%) ou du Ghana (4,8%). Les sociétés des télécommunications figurent parmi les plus grandes entreprises de l’économie: du point de vue du chiffre d’affaires,26 Orange Côte d’Ivoire, MTN Côte d’Ivoire et CI-Télécom occupent respectivement les cinquième, huitième et douzième rangs. Malgré la crise politique, l’investissement dans le secteur des télécommunications a augmenté. D’après les derniers chiffres, les dépenses d’investissement du secteur s’élèvent à plus de 350 millions de dollars.27 Les données du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) pour 2009 indiquent que le secteur des télécommunications a bénéficié de la plus grande part des investissements directs étrangers, avec 43%.28 Le CEPICI rapporte des investissements directs étrangers de plus de 160 millions de dollars dans le secteur des télécommunications, reflétant l’impact du déploiement des réseaux des nouveaux opérateurs de téléphonie mobile. Toutefois, le secteur est encore loin d’avoir atteint son plein potentiel comme facteur de croissance économique et d’amélioration de la compétitivité de la Côte d’Ivoire. D’importantes réformes s’imposent pour soutenir la croissance à long terme. 6.2. En dépit de la concurrence dans le secteur, avec cinq fournisseurs de téléphonie mobile, deux fournisseurs de téléphonie fixe et plusieurs fournisseurs d’accès Internet, la Côte d’Ivoire a accusé du retard par rapport aux autres pays de la région. Les différents segments du marché tendent à être dominés par les filiales des deux principaux groupes qui opèrent dans le pays. La concurrence ne fonctionne pas efficacement, car les prix sont relativement élevés, tandis que la qualité, en particulier celle des services Internet, laisse à désirer. Figure 6.1: Part de marché des 6.3. Le pays a accompli des progrès remarquables avec opérateurs de téléphonie mobile l’extension de l’accès à la voix grâce aux technologies GreenN mobiles, avec un niveau relativement élevé de 3% couverture et un nombre croissant d’abonnements. La Koz téléphonie mobile est le segment le plus compétitif du 10% Orange marché des TIC, avec cinq opérateurs à la fin de 2010. Moov 35% Néanmoins, les deux opérateurs historiques détiennent 18% quelque 70% de ce marché (Figure 6.1) et en dépit de l’arrivée de nouveaux opérateurs au cours des dernières MTN années, la concentration du marché a effectivement 35% augmenté. Les conditions d’octroi de licences ne prévoient pas d’obligations en matière de couverture. Les deux plus grands opérateurs couvrent une grande partie de la population, tandis que les trois autres se concentrent principalement en milieu urbain. Malgré la présence de cinq opérateurs de téléphonie mobile, les prix demeurent élevés et le taux d’utilisation est inférieur à celui des autres pays de la sous-région. 26 « Top 500 Companies in Africa ». The Africa Report, février 2011. 27 Agence de Télécommunications de Côte d’Ivoire, 2007. 28 Département d’État américain. 2010. 2010 Investment Climate Statement - Côte d’Ivoire. 38 6.4. Côte d’Ivoire Télécom (CIT) est l’opérateur historique. Elle a été privatisée en partie en 1997, lorsque France Télécom a acquis 51% de ses actions. 29 France Télécom (Orange), avec son partenaire CIT, est le principal acteur du secteur ivoirien des télécommunications, et elle est active dans tous les segments du marché des TIC par le biais des opérations de ligne fixe, des communications mobiles et de la fourniture d’accès Internet. L’entreprise sud-africaine MTN a également commencé à s’imposer sur divers segments du marché, grâce à son acquisition de l’opérateur de téléphonie mobile Loteny en 2005 et des opérateurs de téléphonie fixe Arobase et ISP Afnet en 2008. Figure 6.2: Souscriptions sans fil à haut débit (sur 100 personnes) Wireless broadband subscriptions (per 100 people) Nigeria 0.61 0.13 Ghana 0.68 Mobile Senegal 0.06 - Fixed Cô te d'Ivoire 0.03 - 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 6.5. La Côte d’Ivoire n’a pas encore mis en place des réseaux de téléphonie mobile à haut débit. Les réseaux de téléphonie mobile à haute vitesse peuvent susciter une compétition supplémentaire sur le marché des communications à haut débit, à condition que les licences soient également accordées aux nouveaux entrants disponsant de ressources permettant une rapide mise en place d’un réseau à échelle nationale. La qualité et le coût des services de communication à haut débit méritent d’être améliorés, et la Côte d’Ivoire doit veiller à ne pas rester à la traîne dans le domaine de la connectivité par fibre optique sous-marine et à ce que les opérateurs tant internationaux que nationaux et les fournisseurs de services Internet jouissent d’un libre accès, basé sur les coûts, aux réseaux de fibres optiques. Le taux d’utilisation des services de communication à haut débit est des plus faibles, avec seulement 0,2 abonnement pour 100 personnes. Néanmoins, par rapport aux pays de référence, la Côte d’Ivoire se classe au deuxième rang derrière le Sénégal. À peu près 15% des lignes principales sont utilisées pour l’accès numérique en Côte d’Ivoire, soit un ratio inférieur à celui du Sénégal – ce qui porte à croire qu’il est possible d’accroître là souscription aux services de communication à haut débit fixe, même si des facteurs comme la distance par rapport au central et l’investissement dans la technologie des lignes d’accès numérique auront une incidence sur cette capacité. 6.6. La disponibilité des bandes passantes internationales influe sur la performance des communications à haut débit. Pour assurer la qualité des communications, il est essentiel de disposer de suffisamment de capacité Internet internationale. Tous les pays de référence de la sous-région sont branchés au câble sous-marin de fibre optique SAT-3 mis en service en 2002 et 29 La participation à CIT a depuis été réduite à 45,9%, tandis que France Télécom détient 85% de sa filiale Orange mobile en Côte d’Ivoire. 39 contrôlé par les opérateurs historiques dans chaque pays. En outre, le Sénégal dispose d’une capacité sur le câble Atlantis reliant le Brésil au Portugal. De nouveaux câbles ont été déployés ou sont en cours de l’être. Les câbles Main One et Glo-1 ont été mis en service au Ghana et au Nigéria (la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont par ailleurs prévus être des points d’atterrissement pour la deuxième phase du câble Main One). Il s’ensuit que la Côte d’Ivoire n’est branchée que sur SAT-3, alors que le Sénégal est connecté sur deux câbles, contre trois pour le Ghana et le Nigéria. Deux autres câbles seront mis en service avec des sites d’atterrissement en Côte d’Ivoire, à savoir Africa Coast to Europe et West Africa Cable System. Les signataires des accords relatifs à ces projets sont Orange et MTN. En conséquence, même si l’accès au câble augmentait les bandes passantes internationales de la Côte d’Ivoire, la connectivité serait contrôlée par les deux entreprises dominantes, avec d’éventuelles répercussions négatives sur les tarifs, en l’absence d’une judicieuse réglementation de la vente en gros. La Côte d’Ivoire propose des offres compétitives pour les nouveaux utilisateurs du haut débit, mais ils ne présentent généralement pas un bon rapport qualité-prix. En dépit de la concurrence, les prix des services de téléphonie mobile sont élevés, ce qui en limite l’utilisation. Une législation restrictive empêche l’introduction d’offre de services groupés. Figure 6.3: Prix pour ligne fixe Fixed broadband prices, May 2010, US$ 890 $ 247 $ 106 $ 36 $ 32 $ 20 $ 124 $ 111 $ 70 $ 77 $ 62 $ 11 $ Senegal (512 Ghana (256 Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire Ghana (4 Senegal (10 kbit/s) kbit/s) (256 kbit/s) (8 Mbit/s) Mbit/s) Mbit/s) Monthly price Price per Mbit/s Source: Adaptation de données provenant des opérateurs. 6.7. Le niveau d’utilisation individuel des TIC par la population est bas, entravé par un faible taux de possession d’ordinateurs personnels, un manque d’accès aux services de téléphonie mobile à haut débit et la disponibilité limitée d’ordinateurs et d’Internet dans les établissements scolaires et publics. La disponibilité des sites web et l’utilisation du courrier électronique dans les entreprises ivoiriennes sont inférieures à la moyenne de la région, ce qui a une incidence négative sur leur utilisation par les entreprises. Cette insuffisance est soulignée par le Forum économique mondial qui rapporte que l’utilisation de l’Internet par les entreprises est faible en Côte d’Ivoire, classant au 125e rang sur 138 économies en 2010-2011. 6.8. Le principal goulot d’étranglement auquel est confronté le secteur des TIC a trait au besoin de moderniser le cadre légal. Une question connexe concerne la nécessité de promulguer une loi sur les transactions électroniques et d’élaborer une réglementation en matière de protection de la vie privée et de sécurité. La loi sur les télécommunications date de 1995 et 40 elle est désuète. L’élaboration d’une nouvelle loi est certes en cours, ainsi que celle ayant trait aux transactions électroniques — qui seront harmonisées avec les directives de la CEDEAO — mais le processus est lent. De même, il y a lieu d’élaborer un nouveau plan sectoriel, car le précédent plan remonte à 2000. La qualité de la compétition peut être améliorée par l’adoption de nouvelles lois sur les télécommunications autorisant le libre accès au marché et l’octroi de licences unifiées. Cela réduirait les charges des opérateurs aussi bien existants et qu’entrants, grâce aux économies d’échelle et à la rationalisation des autorisations administratives. Il convient en outre d’adapter les lois et les règlements pour refléter les besoins de la convergence, en mettant fin aux restrictions artificielles auxquelles sont soumises les télécommunications, la diffusion et les technologies de l’information. Ce qui permettrait de lancer de nouveaux services et d’accélérer la mise en place progressive de la prochaine génération de réseaux. Une politique et une stratégie des TIC intégreraient les objectifs nationaux du secteur et susciteraient une plus grande confiance. 6.9. Les petites entreprises n’arrivent pas encore à adopter les nouvelles TIC de façon significative. D’après l’Enquête auprès des entreprises de la Banque mondiale, à peine 10% des entreprises ont utilisé leur propre site web en 2009. La répartition de ce taux de possession de sites web est fortement inégale, la part du lion revenant aux grandes entreprises à vocation exportatrice: plus de la moitié des grandes sociétés et les deux tiers des entreprises d’exportation disposent de leur propre site web. L’utilisation de l’Internet par les micro, petites et moyennes entreprises est limitée et la moyenne nationale se situe au dessous du niveau régional. Si le pays parvient à réformer avec succès le secteur des télécommunications, tout en accentuant la compétition et en abaissant les prix, cela entraînerait une augmentation des souscriptions des micro, petites et moyennes entreprises. La baisse des prix à elle seule ne suffirait pas à accroître la demande chez les micro, petites et moyennes entreprises, aussi le gouvernement devrait probablement consacrer des ressources à la sensibilisation et à la formation. Parallèlement, le gouvernement peut stimuler la demande des TIC en se basant sur son succès initial dans le domaine de l’administration électronique, en adoptant des systèmes axés sur les transactions et en encourageant les entreprises à communiquer électroniquement avec les pouvoirs publics. Pour ce faire, il convient d’adopter des lois sur les transactions électroniques et les questions connexes de sécurité et de protection de la vie privée en ligne. 6.10. La croissance des téléphones mobiles et la possibilité de les utiliser pour les transactions financières offrent une solution de rechange viable à ceux qui n’ont pas de comptes bancaires. L’accès aux financements est cité comme étant la plus entrave aux activités des entreprises en Côte d’Ivoire. Ce manque d’accès aux crédits se ressent principalement chez les pauvres et les PME. Seulement 10% de la population possède une compte en banque conventionnel. Les institutions de microfinance essaient de combler en partie cette vide, mais le nombre de personnes ayant des comptes au sein de ces institutions ne dépassent pas un million. Orange et MTN ont lancé des systèmes de paiement mobile, avec plus d’un demi-million d’abonnés depuis juin 2010. 6.11. Les petits agriculteurs n’ont pas accès à la technologie moderne. Environ 90% des agriculteurs utilisent encore la radio comme principal moyen de communication . Les TIC pourraient leur fournir de meilleures informations sur les marchés et les prix, les techniques agricoles et de diversification de nouvelles cultures. Contrairement à nombre de pays en développement où la diffusion par SMS d’informations sur le marché à l’intention des paysans est largement répandue, cette pratique prend du temps à se développer en Côte d’Ivoire. La 41 couverture de la téléphonie mobile a été inadéquate dans les zones rurales, en raison de la situation politique. Elle s’est toutefois améliorée ces dernières années avec l’arrivée de nouveaux opérateurs de téléphonie mobile. Orange a indiqué qu’elle couvre 82% du pays, incluant 50% des villages,30 au moyen d’un signal GSM/GPRS. La disponibilité plus générale des téléphones mobiles en milieu rural offre une plate-forme pour des applications comme la diffusion par SMS d’informations sur les marchés et l’argent mobile. 6.12. Plus d’attention devrait être accordée au développement d’une industrie locale des TIC et au renforcement des compétences en TIC. Le pays dispose d’entreprises specialisées dans les s technologies de l’information ayant acquis une réputation régionale et du succès dans le domaine de l’exportation de logiciels. La résolution de la crise politique va peut-être contribuer au retour des émigrants ayant acquis des compétences en technologies de l’information à l’étranger. Compte tenu de sa situation géographique, la Côte d’Ivoire est bien placée pour servir de plaque tournante technologique à la sous-région. Elle abrite le siège de nombreuses organisations régionales et sous-régionales, notamment l’Organisation régionale africaine de communications par satellite et la Bourse régionale des valeurs mobilières. En outre, la Côte d’Ivoire jouit d’une connectivité fibre optique à destinations internationales et fournit des connexions de câble sous-marin pour ses voisins enclavés. 6.13. Le gouvernement, les partenaires de développement et le secteur privé ont lancé plusieurs initiatives visant à établir des parcs informatiques ainsi que des installations de recherche et de développement des technologies d’information . En 2006, le gouvernement a créé le Village des technologies de l’information et de la biotechnologie à Grand-Bassam, ville située à 40 km d’Abidjan. Le Village a également été baptisé « Mahatma Gandhi IT Park », à la suite de l’octroi d’un prêt de 25 millions de dollars par le Gouvernement indien pour aménager les installations. Comme zone de libre-échange, ce parc de 8 millions de km2 offre aux entreprises qui y sont installées certains avantages, notamment des bénéfices fiscaux et un guichet unique pour simplifier le traitement des documents administratifs, les formalités de constitution en société, etc. En novembre 2010, France Télécom a annoncé qu’elle ouvrirait un laboratoire Orange (« technocentre ») à Abidjan pour développer des produits et services destinés au marché régional et pour profiter de l’expérience ivoirienne du service Orange Money. 6.14. Un secteur émergent des TIC requiert un personnel qualifié et une culture numérique au sein de la population en général. À cet égard, le gouvernement doit affecter des ressources afin d’élever le niveau général de scolarisation et les exposer davantage aux TIC, en équipant les établissements scolaires d’ordinateurs et en installant des centres publics d’Internet. La Côte d’Ivoire a enregistré un succès dans le créneau des marchés de la haute technologie et elle possède un potentiel considérable. Pour réaliser ce potentiel, il y a lieu d’assurer une meilleure coordination entre les établissements supérieurs de formation en TIC et le secteur privé, et assurer que le programme d’études et de recherche correspondent aux besoins de l’industrie, afin que les diplômés puissent trouver rapidement un emploi. 6.15. En plus du Village des technologies de l’information et de la biotechnologie, il est peut-être nécessaire que le gouvernement des incitations supplémentaires pour stimuler l’industrie. Si la Côte d’Ivoire veut s’imposer comme une base d’exportations de services informatisés, il lui faudrait mettre au point un ambitieux programme d’acquisition de 30 Orange. « Couverture nationale » http://www.orange.ci/index.php?rub=couv_nationale 42 compétences, adaptées aux types d’emplois de cette industrie. Elle devrait en outre (i) appuyer une association d’entreprise opérant dans les marchés internationaux d’externalisation des services (ITES) ; (ii) renforcer la capacité des PME nationales à participer à l’industrie, notamment au développement de l’entreprenariat, à l’incubation et à la facilitati on du capital- risque; (iii) s’assurer que les infrastructures appropriées sont disponibles dans les secteurs émergents des services informatisés comme l’animation, les applications mobiles et l’informatique tridimensionnelle; et (iv) promouvoir de façon générale l’industrie. 6.16. La Côte d’Ivoire a des potentiels importants, surtout maintenant que la situation politique s’est stabilisée. Les recommandations proposées requièrent certes des financements, mais il est important d’avoir un engagement solides des autorités en faveur des TIC suivi par des suivi de politiques et programmes concrets visant à promouvoir un secteur des TIC durable et avant-gardiste. Une telle démarche peut inspirer la confiance nécessaire pour attirer des partenaires susceptibles de contribuer au besoin de financements de ce secteur. Ceci inclut des partenariats public-privé et l’assistance des partenaires de développement. Le rôle historique de la Côte d’Ivoire comme premier pays d’Afrique de l’Ouest, son emplacement géographique stratégique et la résolution de la crise politique créent un tremplin pour la croissance et le renouveau économiques. Les TIC peuvent jouer un rôle important dans l’environnement d’après crise, en aidant à transformer l’économie ivoirienne de façon à ce qu’elle puisse tirer parti des possibilités offertes par l’économie mondiale du XXIe siècle 43 7.1. La Côte d’Ivoire est devenue le plus grand exportateur mondial de noix de cajou brutes, avec des ventes dépassant 370 000 tonnes en 2010. La valeur des exportations de cajou (ou anacarde) est estimée à plus de 300 millions de dollars, ce qui en fait le troisième plus important produit de base d’exportation après le cacao et le caoutchouc, et avant le café. Le cajou est d’une importance encore plus cruciale lorsqu’il est considéré dans un contexte régional et de réduction de la pauvreté. Il se cultive principalement dans le nord qui est la partie le plus pauvre du pays, où il est devenu la plus importante source de revenu monétaire en milieu urbain. Les recettes brutes des planteurs sont estimées à 66 millions de dollars, soit un montant supérieur à celui du coton (60 millions de dollars), la culture de rente traditionnelle du Nord. Une comparaison du point de vue des recettes nettes des planteurs serait encore plus favorable, le coton nécessitant des intrants beaucoup plus coûteux. Le cajou est cultivé par au moins 250 000 planteurs (subvenant aux besoins de 1,5 million de personnes), qui sont en grande majorité de petits exploitants ne possédant que deux à trois hectares. La production du cajou croît de plus de 20% par an et les perspectives d’avenir sont très positives. Beaucoup d’anacardiers sont encore jeunes et n’ont pas encore atteint leur niveau maximum de production, et il est nettement possible d’améliorer les rendements et la valeur ajoutée. La demande mondiale s’accroît d’à peu près 5% par an et l’offre suit le même rythme (croissance de 5,7% depuis 2000). Les prix mondiaux ont été volatiles au cours des 10 dernières années, et aucune tendance ne se dégageant clairement, bien que les prix en 2011 ont été très élevés. 7.2. Seulement 1,5% de cajou ivoirien récolté est transformé sur place et la politique gouvernementale vise à accroître considérablement cette part. Le marché des noix de cajou brutes n’est pas très compétitif, car l’Inde transforme actuellement la Figure 7.1: Transformation et exportation des noix grande majorité des exportations de cajou brutes (RCN) (milliers de tonnes) mondiales, notamment le gros de celles provenant d’Afrique (Figure 7.1). Le Viet Nam est aussi devenu un important transformateur. Par conséquent, 60% des noix de cajou brutes ivoiriennes sont exportées vers l’Inde, et 39% vont au Vietnam. Bien qu’il existe probablement une certaine compétition entre les acheteurs, il y a également des soupçons de pratiques anticoncurrentielles, et cette dépendance envers deux pays pourrait poser des problèmes. L’Inde a une politique établie de substitution à terme de toutes les importations de noix de cajou brutes, grâce à l’augmentation de la production nationale, même si certains observateurs doutent de la faisabilité d’un tel projet. 7.3. La croissance de la filière anacarde est d’autant plus remarquable qu’elle s’est produite durant une période de crise sociopolitique et dans une partie du pays qui était 44 essentiellement coupée de l’administration nationale et avait vu son accès au principal port entravé. Les vergers nationaux, en dehors d’une poignée d’entre eux qui sont modernes, consistent en des plantations traditionnelles de faible densité, créées avec du matériel végétal à faible productivité. Les rendements sont très faibles: une moyenne de 300 kg/hectare par rapport à 1 000 kg/hectare en Inde et en Guinée-Bissau, et jusqu’à 2 000 kg/hectare au Viet Nam.31 La qualité est faible. Le traitement des maladies et des insectes est rare, les pratiques de récolte laissent beaucoup à désirer, tandis que le séchage et l’entreposage s’effectuent de façon peu appropriée. En conséquence, les noix de cajou ivoiriennes souffrent d’une réduction de prix d’environ 20% par rapport au cours moyen des exportations africaines de cajou vers l’Inde. 7.4. Les éléments d’un programme d’amélioration de la productivité sont bien compris. Parmi ces éléments figurent la recherche sur les variétés améliorées, la formation en matière de techniques agricoles améliorées, le lancement d’un programme de traitement phytosanitaire et la fourniture de services de vulgarisation visant à donner des conseils sur les pratiques après récolte. Un programme similaire au Bénin a récemment permis d’accroître à la fois les rendements et la qualité, et les recettes par hectare s’en sont trouvées doublées. La mise en œuvre de ce programme en Côte d’Ivoire requerra des financements, des organisations plus fortes de producteurs, et un plus ferme engagement des pouvoirs publics, appuyée par les organisations non gouvernementales et le secteur privé. Un certain montant de ressources financières est en outre recueilli auprès de la filière, mais peu y est réinvesti. En 2009, la filière a versé 4,6 FCFA/kg en prélèvements parafiscaux (en baisse par rapport au taux de 7,5 FCFA/kg en 2006) ainsi qu’une taxe à l’exportation de 10 FCFA/kg. Ces prélèvements génèrent quelque 3 millions de dollars par an, les recettes fiscales rapportant un montant supplémentaire de 6,6 millions de dollars32. Les prélèvements sont perçus par l’Autorité de Régulation du Coton et de l’Anacarde (ARECA), l’organisme chargé de financer la recherche et la vulgarisation (Fonds interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil agricoles, FIRCA), l’organe interprofessionnel de la filière (Intercajou) et l’entreprise privée qui s’occupe du contrôle de la qualité et des volumes exportés (Audit Contrôle et Expertise, ACE). La filière n’a cependant bénéficié ni de la recherche effectuée par les organismes publics ni de leurs services de vulgarisation, l’organe interprofessionnel est faible et peu représentatif, et l’efficacité des services fournis par ACE a été remise en question. 7.5. Il est en outre indispensable de prêter attention au renforcement des capacités et à l’amélioration de la gouvernance des organisations de producteurs. On dénombre dans la filière beaucoup de coopératives et d’autres groupes villageois, mais ils ne s’intéressent essentiellement qu’à la collecte des récoltes. Ils n’offrent guère d’autres services, connaissent peu le marché et ont une gouvernance qui laisse en général à désirer. Comme il fallait s’y attendre, ils suscitent beaucoup de méfiance chez les planteurs et ne contrôlent qu’environ 15% de la production. Il existe plusieurs fédérations d’organisations de producteurs, mais leur prestation est à peine meilleure, aussi les intérêts des producteurs sont-ils mal représentés au niveau de l’organe interprofessionnel. Des efforts considérables seront nécessaires pour mettre en place une structure légitime chargée d’appuyer l’amélioration des pratiques et de parler au nom des planteurs, à commencer par un recensement des producteurs et l’élection des nouveaux dirigeants. 31 Des rendements atteignant 5 tonnes par ha sont possibles. 32 Ce chiffre correspond à environ 6% du prix c.a.f. 45 7.6. La commercialisation est dominée par les étrangers, surtout d’origine indienne. En 2008, 82% des ventes ont été effectuées par 21 exportateurs commerciaux actifs (dont 15 Indiens), les 18% restants l’étant par 10 coopératives (dont trois préfinancées par des Indiens). Cette présence des étrangers s’explique par leur connaissance de la filière et leur accès à des sources de financement bon marché auprès des sociétés mères outre-mer (taux d’intérêt de 3 à 5% contre 12 à 15% dans les banques ivoiriennes). S’il faut attribuer sans aucun doute à ces intermédiaires indiens le mérite d’avoir, dans une certaine mesure, stimulé la croissance du secteur, les marges de commercialisation semblent cependant élevées, même en tenant compte du coût élevé du transport sur de longues distances, ainsi que des taxes illégales acquittées aux nombreux barrages routiers sur le chemin du port. Le prix à la production s’établit entre 40 et 60% du prix mondial c.a.f., selon l’emplacement, soit un taux similaire à celui de la filière cacao, même si le niveau des taxes a été beaucoup plus élevé pour le cacao (30 à 40% contre 3 à 8% pour le cajou). Un prix minimum à la production est annoncé chaque année, mais il paraît systématiquement supérieur aux prix effectivement payés et a peu d’effet sur ces derniers. Outre la réorganisation des associations de producteurs, la mise en place, au niveau du village ou du district, de systèmes de collecte, de stockage et de commercialisation, peut accroître le pouvoir de négociation des producteurs, tout en maintenant de solides liaisons concurrentielles en aval avec les intermédiaires/collecteurs et en facilitant davantage le traitement primaire. Aussi, une meilleure contrôle de la qualité pour éviter la sous-évaluation du produit, ce qui semble se passer actuellement. 7.7. La promotion d’un traitement accru des noix de cajou brutes est sans aucun doute le plus grand défi auquel est confrontée la filière, mais aussi le sujet qui porte le plus à controverse. Il existe des méthodes à forte intensité de main-d’œuvre de décorticage des noix de cajou qui ont porté leurs fruits dans d’autres pays africains et qui sont actuellement utilisées à une échelle limitée en Côte d’Ivoire. Ces méthodes requièrent assez peu d’investissement (à peu près 1,5 million de dollars, notamment pour l’acquisition du terrain et la construction d’une usine d’une capacité de 1 500 à 2 000 tonnes de noix par an), et elles créeraient un important nombre d’emplois — environ 40 000 postes à temps plein si le tiers de la production actuelle était transformé. Elles nécessitent en outre un volume d’énergie négligeable ou nul, car les machines servant au décorticage fonctionnent manuellement et les coques peuvent être brûlées en vue de produire l’énergie requise pour le séchage, voire un excédent d’énergie pour la communauté locale. Les machines sont relativement simples, certaines d’entre elles peuvent être fabriquées dans le pays, et ne devraient pas poser de graves problèmes d’entretien. La présence de transformateurs locaux créerait un secteur privé ayant intérêt à fournir des services aux planteurs ainsi qu’à exiger l’amélioration de la qualité. 7.8. En revanche, la Côte d’Ivoire ne tient pas la concurrence face à l ’Inde et au Viet Nam dans le domaine du traitement des noix de cajou brutes à l ’heure actuelle. Le pays compte une usine entièrement opérationnelle dotée d’une capacité de traitement de 10 000 tonnes de noix de cajou brutes par an. Certes, cette usine utilise les technologies les plus efficaces et est gérée par un exploitant de classe mondiale, mais elle éprouve de la difficulté à être rentable au prix qu’elle doit payer pour soutenir la concurrence des exportateurs de noix brutes. Les coûts de traitement peuvent être estimés à 200-220 FCFA/kg en Côte d’Ivoire, contre seulement 150 FCFA/kg en Inde et au Viet Nam. Les coûts s’expliquent en partie par les frais liés à la productivité de la main-d’œuvre, aux travaux de construction et aux services publics, ainsi que par les taux d’intérêts, les taxes et les impôts (officiels et officieux). Mais un plus gros problème a trait au besoin de constituer un important stock de matières premières et de financer celles-ci 46 aux taux d’intérêt élevés en vigueur, afin d’assurer le fonctionnement continu de l’usine durant les huit mois qui séparent la fin d’une récolte du début de l’autre. Les entreprises indiennes peuvent éviter le gros de ces dépenses en achetant les matières premières de différentes régions du monde à différents moments. Cependant, le même opérateur a ouvert une nouvelle, plus grande, usine (30,000 tons) à Bouaké en 2011, alors il parait que ces défis ne sont pas prohibitifs, au moins pour des acteurs internationaux majeurs. 7.9. La plus grande question à laquelle les autorités ivoiriennes doivent répondre est donc celle de savoir si une protection peut se justifier et, dans l’affirmative, quels en seraient l’ampleur et le mécanisme. Force est de reconnaître que tous les autres pays possédant une importante capacité de transformation ont fourni une certaine protection à leur filière cajou pour encourager l’ajout de valeur. Le Brésil a adopté une loi interdisant l’exportation des noix de cajou brutes, tandis que l’Inde, le Viet Nam et le Mozambique ont recouru à l’imposition de taxes à l’exportation de ce produit, d’une valeur allant de 18 à 40%, combinée avec d’autres incitations fiscales. Le handicap de coût de la Côte d’Ivoire par rapport aux transformateurs indiens se chiffre à environ 50 FCFA/kg, ce qui nécessiterait une taxe à l’exportation des noix de cajou brutes du même montant ou 12 à 20% du prix f.o.b., selon le niveau des cours mondiaux. Ce taux serait nettement plus élevé que le niveau actuel des taxes et autres prélèvements (15 FCFA/kg). 7.10. Cependant, une taxe à l’exportation pourrait se révéler en contradiction avec la stratégie gouvernementale de réduction de la pauvreté. Une telle taxe sera répercutée sur les planteurs sous forme de réduction du prix à la production, pénalisant ainsi 250 000 petits exploitants. Les bénéficiaires en seraient i) les propriétaires et les employés des usines de transformation qui s’ouvriront suite à l’imposition de cette taxe, et ii) les destinataires du produit de la taxe — le gouvernement et éventuellement les parties prenantes sectorielles. Le climat général de l’investissement étant mauvais et ce secteur considéré comme particulièrement à risque, l’investissement dans la transformation ne s’accroîtra que de façon progressive. La transformation d’un tiers seulement des récoltes créerait 40 000 emplois, mais requerrait 60 usines de 2 000 tonnes chacune, à un coût d’environ 90 millions de dollars au total. Dix années ou plus pourraient facilement être nécessaires pour atteindre ce stade et entre-temps, les planteurs auraient souffert de l’incidence de la taxe sur l’ensemble de la production. 7.11. Une solution consisterait à réinjecter une partie ou l’ensemble des recettes tirées de cette taxe à l’exportation dans un programme visant à augmenter la productivité. De cette façon, les gains réalisés par les planteurs devraient être beaucoup plus importants — en termes d’accroissement des rendements et d’amélioration de la qualité — que les pertes liées à une légère diminution du prix bord champs. Cela suppose l’existence d’une structure institutionnelle qui soit capable de gérer de façon transparente d’importantes sommes, tout en étant tenue de rendre compte de sa gestion aux planteurs et en évitant les abus que connaît la filière café-cacao. 7.12. Un élément complémentaire de solution consisterait à réduire au minimum le niveau de la taxe à l’exportation et de recourir à d’autres incitations pour compenser le manque à gagner. Il serait possible de ramener la taxe à 10% ou moins en la combinant avec de meilleures incitations à l’investissement, des garanties pour les prêts bancaires et des crédits d’impôt. À titre illustratif, l’exonération fiscale pour les équipements importés d’une valeur supérieure à 1 million de dollars devrait être accordée à des niveaux inférieurs d’investissement pertinent pour 47 une usine de transformation du cajou. Cette taxe plus faible aurait par ailleurs pour avantage de rendre moins attrayante la contrebande vers le Ghana où il n’existe pas de taxe.33 7.13. En outre, il y a lieu de surveiller étroitement l’industrie pour s’assurer que les entreprises deviennent compétitives et que la taxe ne sert pas à protéger l’inefficacité. Idéalement, cette forme de protection d’industries naissantes doit diminuer au fil du temps, afin que soient maintenues les pressions exercées sur les bénéficiaires en faveur de l’amélioration de la productivité. Ce principe doit être retenu, surtout à mesure que s’améliore le climat de l’investissement et que se confirme la rentabilité de cette activité. Toutefois, tant que le principal concurrent en Inde fausse son marché, l’élimination de la taxe à l’exportation est peut-être irréaliste. Il convient cependant de veiller à ne pas céder aux pressions des entreprises peu performantes qui souhaitent que soit accrue la taxe à l’exportation pour assurer leur survie. L’ouverture d’une grande usine en 2011, sans taxe à l’exportation, suggère que certains entreprises globales peuvent réussir sans protection (bien qu’il se peut que d’autres incitations fiscales ont été octroyées). 7.14. En définitive, le développement d’une industrie de transformation grâce à l’octroi d’une protection et d’un appui limités peut se justifier en tant que mesure d ’atténuation de risque, étant donné le fait que l’alternative consiste à maintenir la dépendance vis-à-vis d’un pays importateur dont la politique déclarée est de réduire ses importations de matières premières en faveur des produits nationaux. Le non-renforcement de la capacité nationale de transformation pourrait porter préjudice à l’ensemble de la filière cajou, secteur où la Côte d’Ivoire a prouvé son avantage comparatif dans le domaine de la production de matières premières brutes et dans lequel le pays doit être compétitif, en matière de transformation, si les bonnes conditions sont réunies. Il convient d’effectuer une analyse approfondie pour concevoir un programme approprié d’incitations, et des consultations entre toutes les parties prenantes seront nécessaires pour expliquer les objectifs et rechercher un consensus. 7.15. La qualité et la traçabilité poseront des défis supplémentaires à la Côte d’Ivoire. Pour vendre les noix décortiquées directement sur les marchés des consommateurs dans l ’Union européenne et aux États-Unis, le pays devra accroître la qualité de ses noix et renforcer sa capacité de se conformer aux normes de plus en plus rigoureuses imposées par les gouvernements et le secteur privé. Des normes édictées au plan national existent et elles sont les mêmes que les normes internationales (CODIFORM). Maintenant il faut les appliquer. Un récent audit a constaté de nombreuses violations — contamination par les pesticides utilisés pour le coton, utilisation de sacs inappropriés, risque de contamination lors de la manutention et du traitement, médiocre contrôle de la qualité — et un faible niveau de connaissance, chez les acteurs de la filière, des questions liées à la qualité et à la gestion du risque. Il est recommandé de mettre en œuvre un programme de sensibilisation au moyen de guides de bonnes pratiques, d’adopter des systèmes d’analyse en laboratoire et de certification, et de moderniser les installations existantes de transformation.34 7.16. Une autre difficulté majeure est liée au besoin de développer un marché national pour absorber les rejets qui ne sont pas conformes aux normes internationales, ainsi que 33 D’après les estimations, 54 000 à 60 000 tonnes sont introduites en contrebande au Ghana chaque année. 34 Ces programmes sont déjà en place pour d’autres matières premières d’exportation en Côte d’Ivoire et ils pourraient être facilement mis en œuvre pour le cajou, à condition qu’il existe un accès sûr à un marché susceptible d’absorber les coûts de la conformité. 48 quelques-uns des sous-produits potentiels. La demande intérieure des noix de cajou est faible, celles-ci étant considérées comme un amuse-gueule de luxe. Le fruit de la noix de cajou n’est pas utilisé en Côte d’Ivoire aujourd’hui, mais il pourrait servir à fabriquer de la confiture, du jus ou une boisson alcoolique. L’huile de coque de noix de cajou a d’importantes propriétés qui la rendent très utile pour les freins des voitures, ainsi que pour la peinture et les vernis. Ces sous- produits sont intégralement utilisés dans les principaux pays de transformation (Brésil et Inde) et peuvent rapporter autant de recettes que la noix de cajou elle-même.35 7.17. La filière cajou est clairement une source prometteuse de croissance qui présente en plus l’avantage d’être basée dans les régions pauvres du pays et d’être susceptible de créer un nombre important d’emplois en milieu rural, grâce à l’activité agricole et à l’industrialisation rurale. On peut s’attendre raisonnablement à ce que la production des plantations de noix de cajou brutes croisse d’au moins 10% par an au cours de la prochaine décennie, même sans amélioration de la productivité. Les rendements peuvent être accrus d’un taux supplémentaire de 10% en l’espace de 10 ans, d’autres améliorations étant possibles par la suite, à mesure que de nouvelles variétés sont plantées et commencent à produire. Les planteurs devraient pouvoir continuer d’investir dans le cajou, car celui-ci est au minimum aussi rentable que la principale culture commerciale de rechange dans le Nord (le coton) et il exige moins de main-d’œuvre et comporte moins de risques. L’amélioration de la récolte et du stockage peut accroître la qualité et, ce faisant, augmenter les prix de 10%. Enfin, la transformation de 30% de la production nationale accroîtra la valeur totale des exportations de 8%.36 En définitive, l’ajout d’une valeur nettement plus élevée doit être possible par la production des biens de consommation finis (noix grillées, salées), même si cela ne pourra se faire qu’à moyen terme. Dans l’ensemble, une croissance de la valeur des exportations de cajou de 15% par an au cours de la prochaine décennie semble réalisable, à condition que soit bientôt mise en place une stratégie globale visant à améliorer la productivité et la qualité du produit au niveau de l’exploitation, à encourager la transformation dans le pays et à renforcer la gestion de la filière. 35 Un programme d’adaptation des technologies de recherche et développement pourrait être administré en recourant au départ au Plan compétitif de subvention pour la recherche agricole du Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest, et amplifié à terme par le biais de l’organe interprofessionnel. 36 Le décorticage ajoute environ 25% à la valeur de la noix de cajou. 25% de 30% = 7,5%. 49 8.1. Le caoutchouc est devenu incontestablement la deuxième plus importante culture agricole d’exportation après le cacao. La valeur des exportations de caoutchouc est de plus de deux fois supérieure à celle du cajou ou du café, et contrairement au cacao ou au café, elle croît très rapidement. La Côte d’Ivoire est le plus grand exportateur de caoutchouc en Afrique. Le volume de ses exportations a cru de 7% par an entre 1995 et 2010, atteignant 215 000 tonnes. La valeur des exportations a augmenté beaucoup plus rapidement au cours des cinq dernières années (à quelque 30% par an) en raison de l’accroissement des prix mondiaux. Le prix du caoutchouc naturel étant fonction de celui du caoutchouc synthétique, lequel est à son tour déterminé par le prix du pétrole brut, les perspectives d’avenir du caoutchouc naturel semblent très favorables. Les cours mondiaux ont atteint un sommet en décembre 2010 et d’après les prévisions, les prix ne baisseront pas de façon importante à l’avenir. 8.2. Le caoutchouc est devenu la culture la plus rentable en Côte d ’Ivoire, cette situation étant favorisée par des prix attrayants et des conditions agroclimatiques idéales dans le sud du pays. Les recettes estimatives nettes par hectare, qui excédaient déjà 2 000 dollars en 2008, auront augmenté depuis lors en raison de l’accroissement des prix (Tableau 8.1). En outre, la récolte de caoutchouc peut s’effectuer de façon assez constante tout au long de l’année, fournissant une source stable de revenu monétaire. En conséquence, les investisseurs privés de toute taille investissent dans de nouvelles plantations, notamment beaucoup de producteurs de café et, plus récemment, certains cacaoculteurs qui substituent les hévéas aux cacaoyers. La production a certes commencé dans les grandes plantations, mais elle est aujourd’hui assurée à 56% par les petites et moyennes plantations d’hévéas. Cette réalité représente l’avenir de l’industrie, compte tenu de la non-disponibilité de vastes étendues de terrain. Les petites exploitations villageoises continuent de dominer le sous-secteur non industriel, mais les plantations de taille moyenne, appartenant souvent à des citadins, gagnent en importance. Étant donné que le caoutchouc requiert un certain traitement avant son exportation, la filière appuie 15 usines à divers emplacements ruraux. La capacité totale de transformation est d’environ 350 000 tonnes ou à peu près 50% de plus que la production actuelle. En tout, environ 60 000 emplois agricoles et industriels ont été créés dans les zones rurales. Les parties prenantes du secteur prévoient une croissance supérieure à 10% par an, ce qui semble réalisable si les prix internationaux actuels se maintiennent. Tableau 8.1: Rentabilité comparative du cacao, du palmier à l’huile et de l’hévéa en 2008 Cacao Palmier à huile Hévéa Production (kg/ha) 700 8 000 1 800 Prix (FCFA/kg) 450 35 432 Recettes brutes (FCFA /ha) 315 000 280 000 1 296 000 Recettes nettes (FCFA /ha) 169 000 80 000 1 173 000 Valeur d’une journée de travail 3 313 4 043 16 442 (FCFA ) * Dans l’hypothèse de l’utilisation de bonnes pratiques agricoles dans chaque cas. Source: Estimations de l’auteur, sur la base des données de BNETD. 50 8.3. Un autre avantage de la filière caoutchouc est la puissance de l’organe interprofessionnel, l’APROMAC ( . Si l’État a joué un important rôle dans le développement des plantations à la fois industrielles et villageoises, il se limite maintenant à définir un cadre de règlementation et de politique génerale, l’organe interprofessionnel assurant effectivement la gestion des opérations commerciales de la filière, notamment la politique de fixation des prix du caoutchouc et le financement de la recherche. Cette évolution a été facilitée par le nombre limité d’entreprises intervenant dans la filière (11) et la présence d’exploitants agricoles bien organisés, de taille moyenne dans l’association des producteurs. Deux des importantes réalisations de l’APROMAC ont été la création d’un fonds de développement et la mise en place d’un mécanisme de fixation des prix qui satisfait toutes les parties prenantes. Le prix à la production est fixé à un minimum de 61% du prix FAB, ce qui permet de partager les risques de marché entre les producteurs et les transformateurs, tandis que la concurrence entre les usines de transformation et la vigueur du prix mondial ont fait en sorte que le prix réel payé soit généralement supérieur à ce minimum. 8.4. Les rendements moyens figurent déjà parmi les plus élevés au monde, bien que les rendements des petites exploitations agricoles soient considérablement inférieurs à ceux des complexes industriels. Il est probable que ces rendements diminuent quelque peu dans les années à venir, car la ruée vers l’extension des plantations et la pénurie des variétés de grande qualité ont souvent conduit à l’utilisation de plantes inférieurs aux normes. Il importera d’éviter cette pratique à l’avenir. Les plantations industrielles doivent certes accroître leurs ventes de matériel végétal de grande qualité, mais il est essentiel que la performance des pépinières privées s’améliore. Les programmes pilotes visant à certifier ces pépinières et à en créer de nouvelles remportent déjà un certain succès. L’octroi, par le Fonds de développement du caoutchouc, de subventions pour l’achat de nouvelles plantes constitue une importante mesure incitative pour encourager le planteur à acheter du matériel de grande qualité, au lieu d’utiliser des plantes inférieures aux normes qui proviennent de sa propre exploitation ou de celle de son voisin. 8.5. Après le retrait de l’État, les deux plus grandes plantations industrielles ont continué à fournir des services de vulgarisation dans leurs régions, mais beaucoup d’autres régions se sont retrouvées non desservies. Depuis 2005, l’APROMAC essaie de résoudre ce problème en mobilisant des fonds au moyen de prélèvements parafiscaux et en les acheminant au FIRCA. Ces fonds aident maintenant neuf des 11 entreprises à fournir des services de vulgarisation en vertu de contrats signés avec le FIRCA. Le nombre d’agents de vulgarisation reste toutefois insuffisant pour satisfaire la demande rapidement croissante, les services ne sont pas offerts aux paysans dont les jeunes plantations n’ont pas encore commencé à produire, et des complications surviennent dans le cas des planteurs qui n’exploitent pas eux-mêmes leurs plantations. La recherche est également financée par l’APROMAC grâce au FIRCA. Cependant, la mise à l’essai à grande échelle des résultats de la recherche a souffert depuis la privatisation de la station de recherche de Go.37 8.6. La culture du caoutchouc est une activité à très forte intensité de main-d’œuvre, avec notamment des besoins de main-d’œuvre semi-qualifiée, car elle requiert des spécialistes du greffage et de la saignée, et l’on a besoin de ces derniers sur une base permanente. 37 Ce problème peut être résolu grâce à l’octroi d’un appui complémentaire au titre du programme de création et d’adoption des technologies du Plan compétitif de subvention pour la recherche agricole, lequel relève du Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest récemment approuvé par la Banque mondiale. 51 Étonnamment, les trois quarts des petits exploitants préfèrent recruter des tiers pour accomplir ces tâches, au lieu d’apprendre à le faire eux-mêmes. Cette situation pose deux risques, à savoir i) que ces employés s’attachent à assurer les rendements à court terme plutôt qu’à maximiser les avantages à long terme d’une plantation, et ii) qu’il y ait une pénurie de ces spécialistes, à mesure que ceux-ci choisissent de travailler dans leurs propres exploitations ou de déménager en ville. Le premier scénario est déjà apparu comme un problème; il peut en aller de même du deuxième scénario, à mesure que l’économie nationale retrouve une tendance de croissance plus normale. En revanche, dans un pays souffrant d’un problème de chômage massif des jeunes, il doit être possible de transformer cette demande croissante de spécialistes du greffage, de la saignée et des services de vulgarisation en une occasion à exploiter. 8.7. L’accès à la terre pose des problèmes, mais il ne s’agit pas encore d’une contrainte importante. Les pressions démographiques s’accentuent dans la moitié méridionale du pays et il sera difficile, voire impossible, d’identifier des étendues de terrain assez vastes pour la création d’un complexe industriel. Toutefois, il demeure encore nettement possible d’étendre les petites exploitations, à la fois en utilisant les terres en jachère et en cultivant le caoutchouc à la place des cultures commerciales moins rentables comme le café et le cacao. Il ne devrait pas non plus y avoir d’incidence négative sur la production alimentaire. Les cultures vivrières peuvent se cultiver pendant plusieurs années entre les jeunes semis d’hévéas, jusqu’à ce que ces derniers deviennent assez grands pour être saignés, et les recettes tirées du caoutchouc servent souvent à acheter des intrants pour les cultures vivrières. Des données probantes provenant de la région de Dabou montrent que la production alimentaire s’est accrue parallèlement à l’extension des plantations d’hévéas (et de palmiers à huile). 8.8. Il importera de trouver des moyens d’aider les paysans pauvres à intégrer la filière caoutchouc, notamment ceux qui ne peuvent gagner un revenu raisonnable en cultivant le café ou le cacao. D’importants investissements dans l’extension des plantations d’hévéas s’effectuent au moyen de ressources personnelles, mais cela est principalement le fait des grands exploitants et de la classe moyenne urbaine. Les sociétés de caoutchouc ne s’intéressent plus à accorder des crédits à long terme aux petits exploitants — après avoir enregistré de faibles taux de remboursement —, et les banques commerciales sont très réticentes compte tenu de la longueur de l’échéance de crédit nécessaire (période d’amortissement de sept ans, jusqu’à ce que l’hévéa commence à produire, puis huit à 10 ans par la suite pour le remboursement). Le Fonds de développement du caoutchouc n’a pas reçu mandat et ne dispose pas de moyens d’accorder du crédit. Il subventionne toutefois le coût de la production de semis à forte productivité, réduisant ainsi le coût de création des petites plantations. Les risques pourraient être atténués en créant une base de données centralisée pour assurer le suivi de tous les emprunteurs et, ce faisant, amener les institutions financières à être davantage disposées à fournir du crédit. L’APROMAC a déjà amorcé la création de ce mécanisme en procédant à un recensement exhaustif de tous les producteurs de caoutchouc. Une garantie partielle des risques fournie par le Fonds de développement du caoutchouc serait par ailleurs utile, même si cela comporterait des risques manifestes et, en outre, requerrait peut-être un prélèvement supplémentaire sur les exportations de caoutchouc. Enfin, le coût de création des plantations peut être réduit grâce aux crédits carbone comme le permet le Protocole de Kyoto pour la réduction des gaz à effet de serre.38 38 L’octroi de ces crédits est faisable si i) le terrain n’était pas recouvert de forêt au 31 décembre 1989; ii) le volume déclaré de carbone séquestré est établi après déduction du volume qui aurait été enregistré de toute façon; et iii) la 52 8.9. D’autres défis existent au niveau de la transformation. Les coûts sont supérieurs à ceux des concurrents asiatiques, en raison du prix élevé de l’électricité et du carburant diesel, ainsi que de la capacité excédentaire découlant de l’arrivée de nouvelles sociétés. Pour le moment, cette situation ne semble pas avoir d’incidence négative sur la compétitivité, la Côte d’Ivoire jouissant d’un avantage de coût de transport vers le marché européen, et les prix mondiaux étant très élevés. En outre, la surcapacité devrait progressivement baisser à mesure de l’augmentation de l’offre nationale de caoutchouc. 8.10. Un plus grand problème a trait aux perturbations occasionnées par les nouveaux venus. La capacité installée de transformation s’établit actuellement à 346 000 tonnes, ce qui est de 70% supérieur au niveau de production de 2009 (203 000 tonnes). Quelques-unes des nouvelles entreprises n’ont pas leurs propres plantations et certains acheteurs ne possèdent même pas d’usine. Ces opérateurs dépendent donc essentiellement de producteurs qui ont été antérieurement des fournisseurs d’autres sociétés. Si la concurrence entre les acheteurs a été bénéfique pour les producteurs, elle risque de compromettre d’importantes relations. Beaucoup de planteurs bénéficient d’intrants et de services gratuits ou de crédits d’équipement à court terme qui sont offerts par une société de transformation, étant entendu qu’ils vendront leur caoutchouc à l’entreprise en question. Cette dernière déduit ensuite le coût de ces services avant de payer le planteur. Les entreprises qui n’ont pas offert ces services à l’avance peuvent se permettre de payer des prix plus élevés, mais il est possible que les sociétés établies retirent leurs services s’ils ne peuvent en couvrir les frais. Les acheteurs sont en outre censés percevoir certains prélèvements pour appuyer l’APROMAC ainsi que le Fonds de développement du caoutchouc et partant, la recherche et la vulgarisation. Quelques-uns des nouveaux arrivants ne sont pas membres de l’organe interprofessionnel et ne contribuent pas à appuyer le développement de la filière. 8.11. L’APROMAC doit être habilitée à accepter ou à rejeter les nouveaux venus, à approuver leur lieu d’implantation et à insister qu’ils respectent les règles du jeu. Les autorités ivoiriennes sont désormais conscientes de la nécessité d’adopter une nouvelle loi devant permettre la création de vrais organes interprofessionnels jouissant de ce type de pouvoir. Une telle loi doit être adoptée rapidement, l’APROMAC en devenant ensuite l’un des premiers bénéficiaires. L’APROMAC devra alors élaborer des règles pour établir les critères d’admission des nouveaux venus et de sélection des investisseurs. Le renforcement accru de l’APROMAC, dans un environnement concurrentiel, peut contribuer à traduire dans les faits la coordination de la chaîne d’approvisionnement et la coopération, tout en améliorant la compétitivité du pays au fil du temps. 8.12. L’APROMAC peut et doit revoir son mécanisme de fixation des prix, même en l’absence d’une modification de son statut. La décision d’établir le prix à la production à 61% du prix FAB a été prise en 1999, lorsque le cours mondial était beaucoup plus faible. En outre, les avancées technologiques ont réduit le coût de transformation du caoutchouc. Le système actuel a encouragé la réalisation de très grands profits et un surinvestissement dans la capacité, tout en privant les planteurs d’un revenu qui aurait pu servir à accroître la production. Étant donné que les cours internationaux devraient rester élevés, il est temps de revoir les coûts normatifs et la part du prix international qui doit revenir aux producteurs. plantation n’aurait pas eu lieu sans les crédits. La replantation peut certes être exclue, mais ces crédits devraient être accordés pour l’extension des plantations sur les terres en jachère. 53 8.13. Il peut également se révéler judicieux d’examiner le niveau d’imposition de la filière. Le contraste avec la filière cacao est net. Si les impôts, taxes, droits et prélèvements sur le cacao ont été progressivement réduits ces dernières années, ils continuent à s’établir à 22% du prix CAF (coût, assurance, fret), dont 14,6% est versé au trésor au titre des recettes fiscales. La filière caoutchouc ne paie que 0,4% du prix FAB, l’ensemble du montant perçu lui étant reversé. Compte tenu de la rentabilité supérieure de la filière caoutchouc et de la présence croissante d’exploitants agricoles de taille moyenne, il semblerait raisonnable d’imposer une modeste taxe à l’exportation, qui serait toutefois prélevée sur la valeur et fluctuerait donc avec le cours mondial. Dans les conditions actuelles du marché, il peut même être possible d’adopter une telle mesure sans affecter la part de 61% qui revient aux planteurs. Une partie des recettes tirées de cette taxe doit en outre être versée au Fonds d’investissement en milieu rural qui finance les routes rurales et les infrastructures sociales, mais qui n’est actuellement appuyé que par les filières cacao et café en proie à des difficultés. 8.14. Il convient de ne pas négliger les incidences sociales et environnementales de l’expansion de la filière caoutchouc. Des problèmes sociaux peuvent se poser en raison de l’expropriation des terres, des conditions de travail de la main-d’œuvre employée dans les complexes industriels et les usines, ou des rapports inégaux entre les entreprises et les producteurs villageois. Des incidences environnementales négatives peuvent découler du déboisement, de l’utilisation des engrais et des pesticides, et de la pollution de l’eau par les complexes industriels. Ces problèmes devraient être limités et gérables, surtout si l’accent est mis à l’avenir sur le développement de la production des petites exploitations et la conversion des plantations consacrées actuellement à d’autres cultures. La culture du caoutchouc ne requiert pas beaucoup d’intrants chimiques une fois que l’hévéa est établi. Les entreprises de plus grande taille ont déjà adopté leur propre code de conduite interne en matière sociale et environnementale. Il serait cependant judicieux d’étendre ce code à l’ensemble des entreprises de la filière et d’élaborer des directives à l’intention des petits exploitants. 8.15. L’industrie du caoutchouc devrait devenir un des principaux moteurs de la croissance et de la création d’emplois en milieu rural au cours de la prochaine décennie. L’APROMAC s’est fixé l’objectif ambitieux de tripler la production durant les 10 prochaines années, en la portant à 600 000 tonnes d’ici à 2020. Une importante croissance est inévitable, compte tenu de la quantité de nouveaux hévéas plantés ces sept dernières années, mais qui n’ont pas encore commencé à produire. Selon les estimations, seule la moitié des plantations qui existaient en 2009 avaient plus de sept ans et étaient donc en production — il s’agissait de 75% des complexes industriels, mais seulement de 40% des plantations villageoises. Cette situation à elle seule garantit le doublement de la production. Une croissance supplémentaire devra toutefois s’appuyer principalement sur de nouvelles plantations, les rendements étant déjà assez élevés. L’augmentation de la production de 100 000 tonnes supplémentaires, pour la porter à 500 000 tonnes au total d’ici à 2020, serait déjà un succès remarquable et semblerait plus réaliste. Cela correspondrait à une croissance réelle de 10% par an. Pour atteindre cet objectif, il sera indispensable d’élargir l’accès des petits exploitants à du matériau végétal de grande qualité, d’offrir plus de services de vulgarisation et de saignage, et d’améliorer davantage le cadre réglementaire dont l’application serait assurée par un organe interprofessionnel renforcé. 54 9.1. La Côte d’Ivoire est le plus grand exportateur d’huile de palme en Afrique.39 La production totale est de l’ordre de 400 000 tonnes, provenant de 230 000 ha de plantations. Environ 74% de la superficie des palmeraies appartient à 35 000 planteurs indépendants, dont à peu près la moitié possèdent des plantations de moins de 10 hectares. Un autre sous-groupe composé de 30% de ces planteurs indépendants a des exploitations de taille moyenne dont la superficie dépasse 30 hectares. Les plantations villageoises sont cependant à l ’origine de seulement 55% de la production, les rendements moyens étant beaucoup plus faibles que ceux des complexes industriels. La culture du palmier à huile en Côte d’Ivoire s’est accrue régulièrement entre 1963 et 1990; la filière a cependant peu progressé depuis lors. La production a augmenté de 1995 à 2000, mais elle est retombée avec l’effondrement des cours mondiaux. La taille des plantations villageoises a continué de s’accroître, mais l’effet de cette extension a été annulé par la baisse des rendements; les plantations industrielles ont stagné. 9.2. La Côte d’Ivoire a un puissant secteur de transformation de l ’huile de palme. Il y a quatre grandes sociétés de production de l’huile de palme brute avec une capacité totale de 500 000 tonnes/an et une industrie de première classe pour la production des biens de consommation. Cette filière fournit d’importants volumes d’huile comestible et d’autres produits pour le marché national, notamment la margarine, le savon, la pâte dentifrice, les produits cosmétiques et plusieurs intrants industriels. La valeur des exportations d’huile de palme (144 millions de dollars en 2008) est nettement inférieure à celle du caoutchouc (502 millions de dollars), mais une fois prise en compte la production totale destinée à la consommation intérieure, la différence est beaucoup moins grande. La valeur de la production d’huile de palme brute pour consommation locale et exportation en 2010 peut être estimée à environ 400 millions de dollars sur la base des cours mondiaux, ce montant ne comprenant pas la valeur ajoutée grâce à la transformation en produits de consommation et industriels. 9.3. Le récent redressement des cours mondiaux a stimulé de nouveaux investissements en faveur de la replantation dans les complexes industriels et de l’extension des plantations villageoises. Le prix mondial de l’huile de palme brute est monté en flèche, passant de 400 dollars/tonne en 2005 à 1 200 dollars/tonne en 2008, et il a baissé brièvement en 2009, puis s’est redressé rapidement pour s’établir à nouveau à 1 200 dollars/tonne au début de 2011. Les prix mondiaux sont susceptibles de baisser légèrement, mais d’après les prévisions, ils devraient se maintenir à des niveaux beaucoup plus élevés que ceux enregistrés entre 1990 et 2005. La demande mondiale d’huile de palme croît de 9% par an, soit un rythme beaucoup plus rapide que celui de toute autre huile végétale. L’huile de palme est très compétitive par rapport à toute autre huile comestible, parce que le volume de production par hectare est nettement plus élevé, et elle a maintenant remplacé l’huile de soja comme type d’huile le plus prisé. Elle s’utilise aujourd’hui comme biocarburant, une nouvelle source de demande qui stimulera le marché pendant des années. 9.4. Avec l’augmentation des cours mondiaux et l’expansion du marché national et régional, la filière paraît à nouveau rentable. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’aller plus loin 39 Le Ghana exporte un volume légèrement supérieur du point de vue de la valeur, mais ses exportations sont plus faibles en raison des prix inférieurs qu’il obtient. 55 que dans la sous-région pour trouver un débouché. Les importations sont considérables et en croissance dans la région de l’UEMOA, la demande augmentant trois fois plus vite que l’offre et l’huile de palme représentant 60% de ces importations. Le palmier à huile est de loin la plus efficace source d’huile comestible dans la région, produisant huit fois plus d’huile par hectare que les arachides, la deuxième meilleure solution de rechange. Tableau 9.1: Comparaison des coûts entre la Côte d’Ivoire et la Malaisie Côte d’Ivoire Malaisie Rendement des plantations villageoises (tonnes de régimes par hectare) 7 15 Rendement des plantations industrielles (tonnes de régimes par hectare) 10 25 Utilisation des engrais (kg/palmier/hectare) 1-3 10 Prix du régime de noix de palme (dollars/tonne) 200 164 Coûts variables par usine (dollars/tonnes de régimes) 3,8 1,5 Coûts fixes de l’usine (dollars/tonnes de régimes) 6,8 4,4 Dépréciation (dollars/tonnes de régimes) 7,6 2,5 Taux d’extraction d’huile 20% 18% Coût du premier stade de transformation (dollars/tonnes d’huile) 470 154 9.5. La question est de savoir si la Côte d’Ivoire est capable de faire face à la concurrence des deux plus grands exportateurs que sont la Malaisie et l ’Indonésie. En Côte d’Ivoire, les rendements sont de loin inférieurs à ceux de l’Asie du Sud-Est où la production des plantations villageoises s’établit en moyenne à 15 tonnes de régimes de noix fraîches à l’hectare et celle des complexes industriels atteint 25 à 30 tonnes/hectare, contre 6 tonnes/hectare et 11 tonnes/hectare respectivement en Côte d’Ivoire. Cette situation tient en partie aux conditions climatiques qui sont relativement inférieures, même si elles sont généralement assez bonnes en Côte d’Ivoire. Les principaux problèmes semblent résider ailleurs: la piètre qualité du matériel végétal, le vieillissement des palmiers, l’insuffisance de l’entretien et de la fertilisation, l’inefficacité des pratiques de récolte chez les petits exploitants, le coût élevé du transport et le caractère moins efficace de la transformation. 9.6. En Malaisie et en Indonésie, les usines tendent à être plus efficaces, en raison de leur plus grande taille et du fait que la source d’approvisionnement nécessaire en matières premières se trouve à une distance optimale (30 km ou moins de l’usine). Les coûts d’énergie, de conditionnement et de transport sont également plus faibles. Il est ressorti d’une analyse comparative détaillée, effectuée en 2002, que le coût de revient lié à la production d’une tonne d’huile de palme brute de la Côte d’Ivoire était deux fois supérieur à celui de la Malaisie, et que le coût total de production était trois fois plus élevé lorsque le coût de la matière première était pris en compte. Pourtant, les coûts étaient jadis similaires en Malaisie avant que ce pays ne lance des initiatives concertées pour améliorer la performance d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement. Il doit donc être possible pour la Côte d’Ivoire de réduire ses coûts d’au moins un tiers, les portant ainsi à un niveau encore supérieur à celui de la Malaisie, mais proche de la moyenne mondiale et compétitif sur le marché régional. 9.7. La présence en Côte d’Ivoire de grands opérateurs du secteur privé et leur récente affiliation à des intérêts malaisiens sont porteuses de motifs d’optimisme. Trois sociétés agroindustrielles ont été créées après la privatisation en 1996 de l’entreprise étatique originale de production d’huile de palme. Chacune de ces sociétés exploite ses propres plantations industrielles et usines, tout en achetant par ailleurs la production des planteurs indépendants. 56 Plusieurs opérateurs de plus petite taille n’ayant pas de plantations sont entrés sur le marché, ce qui porte à 18 le total des usines produisant de l’huile de palme brute. Avec le récent accroissement de la production des exploitations agricoles, la capacité installée est maintenant insuffisante. L’industrie a récemment connu une fusion, de sorte que la société PALMCI assure 80% de la production ivoirienne d’huile de palme brute. Sa société mère, SIFCA, s’est récemment associée à des entreprises malaisiennes, à savoir Wilmar, le plus grand producteur mondial d’huile de palme brute, et Olam, le plus grand exportateur d’huile de palme brute. SIFCA a par ailleurs acquis l’une des grandes entreprises de raffinage secondaire d’huile de palme brute et se propose de doubler sa capacité. L’autre acteur majeur de la transformation de l’huile de palme brute en Côte d’Ivoire est Unilever, le chef de file mondial dans cette activité. Ces deux groupes sont par conséquent bien placés pour améliorer l’efficacité, satisfaire la demande intérieure croissante et augmenter les exportations vers la sous-région. Ils mettent déjà en œuvre quelques-unes des recommandations de l’audit de 2002. 9.8. La Côte d’Ivoire a une longue tradition de recherche sur le palmier à huile, dont les résultats ont conduit à la mise au point de quelques-unes des variétés les plus productives au monde. Cependant et surtout depuis la privatisation de la filière, le processus de distribution de ces variétés au niveau villageois s’est détérioré. La seule station de recherche fournissant des semences améliorées est éloignée de la plupart des planteurs et éprouve de la difficulté à satisfaire la demande. Il s’ensuit que les planteurs tendent à recourir à des intermédiaires qui exploitent des pépinières, mais la qualité de leur produit est souvent inférieure à la norme, parce qu’ils connaissent mal les bonnes pratiques culturales, et en l’absence d’un système de contrôle de la qualité. Pour appuyer le développement de la filière, il sera nécessaire d’établir un réseau de pépinières reliées à la station de recherche et agréées par l’organe interprofessionnel. 9.9. La disponibilité des services de vulgarisation et le financement des intrants se sont également détériorés après la privatisation, les nouvelles entreprises éprouvant de plus en plus de difficulté à absorber les coûts élevés qu’entraînent les forts taux de crédit non remboursés. L’association des planteurs a tenté de combler ce vide, mais sans succès. PALMCI renforce maintenant son appui aux planteurs et d’autres acteurs devront suivre cet exemple. Quelques financements sont mobilisés grâce à un prélèvement imposé lorsque le produit est livré à l ’usine. Ce prélèvement est ensuite géré par le FIRCA, à des fins de subvention de la recherche et de la vulgarisation, ainsi que de production de matériel végétal amélioré. Les montants en jeu demeurent toutefois modestes et méritent probablement d’être accrus. 9.10. Le problème du financement à long terme de la replantation ou de l ’extension est tout aussi grave, surtout pour les petits exploitants agricoles. Les complexes industriels, les grands planteurs et les investisseurs urbains parviennent à recourir à leurs propres ressources ou à accéder à des capitaux étrangers, mais les planteurs pauvres risquent d’être laissés pour compte. L’organe interprofessionnel devra étudier la possibilité de créer un fonds de garantie partielle des prêts des banques commerciales, et un bureau de crédit pour réduire les risques en suivant la performance des emprunteurs. En effet, pour réaliser la replantation nécessaire dans les complexes industriels, ainsi que pour moderniser et à accroître la capacité des usines, il se révélera probablement nécessaire d’apporter un certain concours financier, par le biais par exemple du fonds régional de l’UEMOA pour le développement agricole, des crédits carbone et/ou d’une facilité de garantie de l’Agence multilatérale de garantie des investissements. 9.11. D’autres problèmes se posent à l’étape de la récolte où, selon les estimations, jusqu’à un quart de la production est perdue. Normalement, pour assurer une arrivée en bon état du 57 produit à destination, les plantations ne doivent pas être éloignées de plus de 35 km d’une usine. Ces 10 dernières années, le transport rural a souffert du manque d’entretien routier, de la pénurie de capacité de camionnage et des barrages routiers. L’organe interprofessionnel pourrait songer à contribuer au Fonds d’investissement en milieu rural, lequel a élaboré pour la filière cacao un projet de routes rurales qui pourrait être étendu pour appuyer le palmier à huile. Les planteurs ont par ailleurs besoin d’incitations pour maximiser la qualité de leurs produits. PALMCI a remporté un certain succès après l’institution d’une prime de qualité qui doit être généralisée à l’échelle de la filière. 9.12. La filière du palmier à huile a établi les bases nécessaires d’un cadre institutionnel de gestion et de réglementation de ses activités. Un organe interprofessionnel (l’Association interprofessionnelle du palmier à huile, AIPH) a été créé en 2003. Les planteurs sont organisés en coopératives autour de chaque usine d’huile de palme brute, et les coopératives forment ensemble une fédération nationale. Les sociétés d’huile de palme brute ont leur propre association professionnelle, tout comme les industries de transformation secondaire. L’AIPH a réussi à mettre en place un mécanisme transparent de fixation des prix — avec des prix seuil pour les régimes, l’huile de palme brute et l’huile de palme raffinée — qui répartit les risques de marché entre les acteurs. Elle a par ailleurs lancé un mécanisme de financement des services de vulgarisation par le biais du FIRCA. L’AIPH demeure cependant très faible et déséquilibrée, la fédération des planteurs ne faisant pas le poids face aux associations industrielles. La récente montée en flèche des prix de l’huile de palme a insufflé un nouveau dynamisme à l’AIPH. Il a été décidé d’augmenter son financement, de la doter d’un secrétariat à temps plein et d’accroître ses activités, ainsi que d’établir un fonds de développement similaire à celui du caoutchouc. La nouvelle loi proposée sur les organes interprofessionnels doit s’appliquer à la filière de l’huile de palme, permettant à l’AIPH de faire observer ses règles par tous ses membres. 9.13. La production d’huile de palme a suscité de graves préoccupations au sujet de ses incidences environnementales et sociales, au point où la plupart des organismes d’aide ont imposé un moratoire temporaire sur les projets dans cette filière. Ces préoccupations tournent autour du déboisement, des émissions de gaz à effet de serre liées aux feux de forêt et aux étangs de traitement des effluents des usines, à la contamination de la nappe phréatique par les engrais, aux effets de l’utilisation des pesticides, au déplacement des petits exploitants agricoles et à leur conversion en ouvriers, et à la violation de la législation nationale du travail. Ces problèmes ont suscité beaucoup d’attention en raison des opérations en Asie du Sud-Est où les plantations industrielles sont beaucoup plus grandes, davantage dominantes et connaissent une croissance plus rapide. Ils sont moins pertinents en Côte d’Ivoire où la croissance a été négligeable et les plantations villageoises sont plus importantes. Peu d’engrais et de pesticides ont été utilisés au niveau des villages et il n’y a probablement pas eu de déplacement de planteurs ces 20 dernières années. De même, la plus grande entreprise, PALMCI, a adopté son propre code de conduite. Néanmoins, on peut et doit faire davantage. La table ronde internationale sur la production durable d’huile de palme a adopté, pour le traitement de tous les problèmes environnementaux et sociaux, des principes et des critères qu’aucun acteur ne met encore en application en Côte d’Ivoire. L’AIPH doit adopter son propre code ou idéalement celui de la table ronde, et le faire appliquer à l’échelle de l’industrie. 9.14. Les efforts d’extension doivent être axés sur les plantations villageoises. Il se peut bien que le nouvel intérêt pour le palmier à huile suscite des pressions en faveur de l’extension des plantations industrielles, mais les possibilités d’un tel agrandissement seront rares ou 58 inexistantes, compte tenu de la croissance rapide de la population rurale dans le sude du pays. Il sera de loin préférable d’appuyer les plantations villageoises, bien que même à ce niveau, les sollicitations des exploitants de plus grande taille et des investisseurs urbains risquent de créer des problèmes à une plus petite échelle. En outre, l’AIPH et/ou les entreprises individuelles devront établir un système de certification des producteurs villageois, sur la base de toutes les normes qui sont adoptées. 9.15. Tout laisse présager que la filière du palmier à huile connaîtra une nouvelle période de croissance. Un certain taux de croissance est garanti par les activités des complexes industriels qui ont lancé d’importants programmes de replantation en utilisant des variétés à haut rendement. L’augmentation des prix doit par ailleurs encourager les petits exploitants à prendre mieux soin de leurs palmeraies. Si les conditions propices sont réunies, il doit être possible de créer au cours des dix prochaines années, grâce à la replantation et à l’extension, 100 000 hectares de nouvelles plantations qui commenceront à produire après trois années seulement. En conséquence, la production d’huile de palme brute pourrait augmenter, passant de 350 000 tonnes en 2010 à 900 000 tonnes en 2020, ce qui correspondrait à un taux de croissance de près de 10% par an. Cette croissance à son tour permettrait de créer quelque 50 000 nouveaux emplois agricoles, en plus de beaucoup d’autres emplois industriels encore. 9.16. Cette vision tient pour acquis que la Côte d’Ivoire est capable d’affronter la concurrence des importations malaisiennes et indonésiennes, et que les planteurs locaux choisissent d’investir dans le palmier à huile, par opposition au caoutchouc. La première hypothèse devrait être possible si les améliorations actuellement en cours au niveau des plantations et des usines se poursuivent et si l’on empêche les importations frauduleuses. Étant donné qu’un accroissement de la production passera par une augmentation des exportations vers la sous-région, la Côte d’Ivoire devra maintenir la pression sur les autres États membres de l’UEMOA et de la CEDEAO afin qu’ils appliquent les droits normaux sur l’huile végétale importée. L’entrée d’importants intérêts malaisiens en Côte d’Ivoire donne à penser que le pays peut rester compétitif. 9.17. Il est plus difficile de prédire l’évolution future de la compétition avec l’hévéa. Les cours mondiaux du caoutchouc se sont également améliorés de façon spectaculaire et devraient rester élevés, et pour le moment, la culture de l’hévéa est considérablement plus rentable que celle du palmier à huile. Le caoutchouc rapporte par ailleurs un flux plus régulier de recettes au planteur. L’hévéa met toutefois beaucoup plus longtemps avant de commencer à produire — sept ans contre trois —, ce qui accroît le coût d’entrée. Le produit du palmier à huile peut en outre être utilisé directement par le planteur. En définitive, la plupart des planteurs opteront probablement pour la culture qu’ils connaissent et/ou pour laquelle ils jouissent du meilleur accès aux conseils techniques et à un appui financier. Les petits exploitants agricoles se trouvant près d’usines d’huile de palme brute bien gérées et offrant des services de vulgarisation fiables s’intéresseront probablement au palmier à huile. Les exploitants de taille moyenne et grande peuvent choisir de diversifier leurs risques en plantant à la fois l’hévéa et le palmier à huile. Au niveau national, cette diversification semblerait bien souhaitable. 59 10.1. Le coton est depuis longtemps le socle de l’économie dans le nord de la Côte d’Ivoire. Dès 2000, 180 000 ménages pratiquaient sa culture et le pays était devenu le plus grand producteur de coton d’Afrique subsaharienne. On dénombrait 13 entreprises d’égrenage, toutes situées dans le Nord, trois filatures et tisseranderies, deux usines de textile et une usine de transformation d’huile de coton. Plusieurs de ces entreprises étaient installées à Bouaké, créant la base d’un centre industriel dans la partie nord-centre du pays et une source considérable de développement regional. La production de coton connaissait par ailleurs une croissance rapide, augmentant de 7,5% par an entre 1990 et 2000, et la Côte d’Ivoire était devenue le plus grand exportateur de fibre de coton d’Afrique subsaharienne au tournant du siècle.40 10.2. Le coton avait un important impact positif sur le bien-être en milieu rural. Il est ressorti d’une enquête réalisée en 2002 que plus de 90% de la population vivait au-dessus du seuil de pauvreté dans les villages où la culture du coton était généralisée, tandis que ce taux baissait à 30% dans les villages du Nord où se déroulaient peu d’activités liées au coton. En outre, la culture du coton contribue à la sécurité alimentaire. C’est que la culture du coton s’effectue généralement en rotation avec les cultures assolées (maïs, riz, sorgho) et étant donné qu’elle fournit un accès aux engrais, la production du maïs et de ces autres cultures en profite également.41 La culture du coton a appuyé l’adoption de la traction animale, en générant les recettes nécessaires pour effectuer l’investissement initial et en permettant de produire des tourteaux destinés à l’alimentation pour le bétail. 10.3. En 1998, après plusieurs tentatives de réforme soldées par un échec, la Compagnie ivoirienne pour le Développement des Textiles, monopole paraétatique, a été divisée en trois entreprises jouissant chacune d’un monopole régional temporaire. Deux de ces entreprises ont été immédiatement privatisées, et il était question de céder la troisième aussitôt que possible. D’après les prévisions, au bout de deux ans la concurrence entre les usines d’égrenage devait débuter et les organisations de producteurs pouvaient commencer à fournir des intrants et des services à leurs membres dans la mesure du possible. Les usines d’égrenage ont toutefois résisté à cette concurrence et libéralisation, préférant le modèle traditionnel verticalement intégré qui réduisait les risques liés à l’offre tout en préservant par ailleurs des marges lucratives sur la fourniture des intrants. La production a cependant continué de croître et sa gestion a commencé à évoluer vers des ententes contractuelles compétitives entre les organisations de producteurs et les égreneurs. Sous de fortes pressions exercées par les producteurs, en particulier l’association des planteurs, l’URECOS-CI,42 qui représentait les planteurs assurant 80% de la production, la stratégie de libéralisation élaborée en 1998 a été 40 La moyenne triennale pour la période 1999-2001 était égale aux exportations du Bénin et légèrement supérieure à celles du Mali. 41 Grâce à l’effet résiduel de l’engrais restant dans le sol après la récolte du coton ou parce qu ’une certaine quantité d’engrais est mise de côté à des fins d ’épandage lors de la culture du maïs. 42 Union Régionale des Entreprises Coopératives de la Zone des Savanes de Côte d’Ivoire. 60 confirmée dans le cadre d’un atelier national organisé en 2002 et elle a été officiellement adoptée par décret gouvernemental. 10.4. Toutefois, ce secteur a été peut-être le plus gravement touché par la longue crise sociopolitique qui s’est déclenchée en 2000 et a divisé le pays en deux après 2002. La crise et l’isolement du Nord qui s’en est suivi ont accru les coûts de production et perturbé les nouveaux mécanismes de coordination et structures de gouvernance. Les égreneurs sont rapidement revenus à leur approche traditionnelle « top-down » et l’un d’eux (LCCI) a délibérément cessé de verser des paiements aux producteurs pour le coton-graine. L’URECOS-CI a été durement touchée — l’usine d’égrenage qu’elle venait de créer a été mise à sac et elle n’a pas pu recouvrer les coûts des intrants qu’elle avait financés, ce qui a compromis cette tentative initiale d’échapper au contrôle des égreneurs. Parallèlement, les autorités ont permis la création d’une multitude d’autres associations dont les promoteurs étaient souvent des usines d’égrenage privées qui visaient explicitement à affaiblir l’URECOS-CI.43 Le mouvement coopératif s’est rapidement désagrégé. Les financements bancaires se sont asséchés, tandis que le vol et le vandalisme ont détruit l’essentiel des équipements des usines. La réduction de l’accès aux engrais et aux pesticides a conduit à une baisse des rendements. Enfin, la compétitivité du secteur a également été touchée par la chute des cours mondiaux, l’appréciation de l’euro (avec lequel le franc CFA a une parité fixe), et la forte augmentation du coût des intrants. La production totale a reculé, passant de 400 000 tonnes en 2000 à 120 000 tonnes en 2008, et le nombre de producteurs a diminué pour s’établir à 70 000. 10.5. La situation a commencé à se redresser en 2009. L’on a adopté une nouvelle stratégie confirmant la vision de 2002 et axée sur la restructuration financière et la création de mécanismes efficaces et transparents de gestion et de réglementation de la filière. Les usines de LCCI en proie à la gabegie ont été vendues à un consortium de solides opérateurs, ce qui a permis la relance du coton dans l’une des régions les plus productives du pays. La recherche, la production de semences et la vulgarisation ont bénéficié d’une attention renouvelée. Un nouveau mécanisme de fixation des prix a été adopté en 2010. En même temps, les cours mondiaux se sont redressés remarquablement, passant de 0,56 dollar/livre en 2008 à 1,50 dollar/livre à la fin de 2010. La production a commencé à répondre, la récolte de 2010 devant s’établir à 185 000 tonnes selon les prévisions. 10.6. La désintégration du mouvement coopératif demeure cependant un problème crucial. Elle affaiblit la possibilité de création d’un organe interprofessionnel légitime et elle prive les usines d’égrenage de partenaires dont elles ont besoin pour établir des rapports contractuels. Cependant, l’association des unions régionales, AFFICOT-CI, recouvre ses forces sous une nouvelle équipe dirigeante et elle semble bien placée pour jouer le rôle de chef de file des organisations de planteurs. Pour la campagne 2010/2011, ses membres assurent 60% de la production totale. Il sera néanmoins nécessaire de réhabiliter le mouvement coopératif du point de vue financier et de sa gestion interne. Ce problème a été abordé dans une étude de 2008 qui a présenté un programme de restructuration et de rétablissement des organisations de producteurs. 10.7. Le système de recherche, de production de semences et de vulgarisation mérite également l’attention. Le financement de la recherche sur le coton a pour ainsi dire cessé après 2002, tandis que les producteurs souhaitent dépendre moins des égreneurs pour les services de 43 Dès 2008, on dénombrait 27 fédérations de producteurs de coton et l ’URECOS-CI n’assurait que 14% de la production. 61 vulgarisation. La qualité des semences a baissé, avec une incidence négative sur les rendements. Un programme financé par le STABEX (système de stabilisation des recettes d’exportation) a été lancé en 2007 pour relancer le schéma de sélection et de multiplication des semences, avec un succès notable en matière de conclusion de contrats de sous-traitance avec les producteurs de semences. À partir de 2008, un prélèvement de 5 FCFA/kg à été appliqué à la graine de coton et transféré au FIRCA, dont 20% à la recherche, et 60% au conseil agricole. 10.8. Le contrôle de la qualité est peut-être le domaine où les gains peuvent se réaliser le plus facilement. Si le coton ivoirien est généralement de très bonne qualité, il souffre pourtant d’une décote sur le marché mondial qui s’est accrue ces 10 dernières années. Cette décote peut atteindre 0,10 dollar/lb de fibre de coton, ce qui représente 17 millions de dollars pour une récolte totale de 200 000 tonnes de coton-graine. La décote peut être attribuée en partie à un problème d’image qu’on pourrait résoudre au moyen d’une campagne active de commercialisation, mais elle tient d’autre part à des causes bien établies, liées à la présence de corps étrangers (comme le propylène), à la qualité du processus d’égrenage et à la classification erronée du coton fibre par les égreneurs. Les égreneurs donnent maintenant des conseils sur l’entreposage et l’ensachage au niveau de l’exploitation pour réduire la contamination, et un projet conjoint de l’Union européenne et de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement industriel (ONUDI) s’attaque à d’autres importantes dimensions du problème: réhabilitation du centre de classement de Bouaké en vue de sa conformité aux normes internationales, et renforcement de la capacité technique en matière de contrôle de la qualité. Ces mesures doivent toutefois être appuyées par un système de fixation des prix du coton-graine qui récompense la qualité supérieure. L’écart de prix actuel entre le coton de première et de deuxième qualité n’est pas suffisant. En outre, les égreneurs doivent mettre fin à la pratique actuelle de surclassement du coton, qui leur permet d’être en compétition pour un approvisionnement limité, l’imposition d’un prix fixe à la production les empêchant de se faire concurrence sur la base du prix. 10.9. Un désaccord fondamental persiste entre les producteurs et les usines d’égrenage. Ces dernières insistent sur un retour aux zones exclusives dans lesquelles elles fournissent tous les intrants et services essentiels et jouissent d’un monopole sur les achats de coton. Leur argument repose sur le besoin d’assurer, grâce à de bons services de vulgarisation, une utilisation efficace des intrants qu’elles financent à l’avance, et de disposer d’un instrument pour le recouvrement de leurs coûts. Cependant, l’influence qu’elles exercent sur les intrants et les services de vulgarisation n’est cohérente ni avec la politique de l’État ni avec les aspirations des producteurs qui veulent réduire leur dépendance vis-à-vis des égreneurs, tout comme elle n’est pas compatible avec l’emplacement géographique actuel des usines d’égrenage. En définitive, la compétition entre les usines d’égrenage et l’option consistant à conclure des contrats avec d’autres fournisseurs d’intrants et de services devraient améliorer la transparence et accroître la part du prix mondial qui revient au producteur. 10.10. Il se peut que la question litigieuse de la fourniture des services de vulgarisation soit bientôt résolue. L’URECOS-CI a déjà commencé à desserrer la mainmise des égreneurs sur l’approvisionnement en intrants et la vulgarisation, en concluant un contrat pour vendre le coton fibre produit dans sa propre usine d’égrenage (SICOSA) à un acheteur européen qui a, à son tour, accepté de financer à l’avance les intrants de l’URECOS-CI. Il a enfin été convenu qu’à partir de la campagne 2010/2011, le FIRCA conclura des contrats pour la fourniture et le financement de services de vulgarisation avec i) quatre unions régionales pour leurs membres (qui auront 62 également reçu des intrants), et ii) les égreneurs, pour les producteurs ayant reçu de ceux-ci des intrants. Les unions et les égreneurs seront alors libres d’assurer la prestation des services de vulgarisation en recourant à leur propre personnel ou en la confiant en sous-traitance à d’autres prestataires de services certifiés (comme l’Agence nationale d’Appui au Développement rural, ANADER, ou les organisations non gouvernementales), la FIRCA se chargeant du contrôle de la qualité des services fournis.44 10.11. Le défi peut-être le plus important consistera à trouver un mécanisme idoine pour le financement des intrants qui libère les producteurs de l’influence des égreneurs. Plusieurs tentatives ont été entreprises dans ce sens depuis 2000, en particulier par l’URECOS-CI. Elles ont échoué pour différentes raisons, allant du manque de discipline en matière de crédit de la part des agriculteurs à la crise sociopolitique, mais les planteurs restent résolus à relever ce défi. En raison du coût élevé des intrants (qui représentent aujourd’hui à peu près 50% de la valeur de la culture), il est impossible pour la plupart des producteurs de les acheter au comptant. À court terme, la plupart des producteurs devront probablement continuer à recourir aux crédits consentis par les sociétés cotonnières. Mais les organisations de planteurs tentent à nouveau de mobiliser elles-mêmes des crédits. Au cours des trois dernières années, l’URECOS-CI a réussi à mobiliser un montant croissant de crédit à l’achat d’intrants auprès d’un acheteur italien. À terme, les organisations de producteurs plus solides doivent être en mesure d’obtenir du crédit des fournisseurs, des acheteurs ou des banques, éventuellement avec la garantie de contrats à terme pour la vente de la graine de coton aux égreneurs (alors qu’à l’heure actuelle, les banques exigent la garantie de ventes à terme de coton fibre, que seuls les égreneurs peuvent fournir). Cette approche peut être encouragée avec l’institution d’un fonds de garantie de crédit et d’une base de données centrale sur toutes les transactions financières du secteur, en vue de gérer les risques. 10.12. Pour assurer un développement durable de la filière coton dans un environnement plus compétitif, il sera indispensable de rétablir la confiance entre les principales parties prenantes à la chaîne de valeur — producteurs et égreneurs — et de renforcer leur capacité d’action collective. L’Association professionnelle de la filière coton, créée en 2002, a survécu à la longue crise sociopolitique ainsi qu’aux vues très divergentes des producteurs et des égreneurs. Depuis 2008, elle a accompli des progrès remarquables sur un nombre de plans cruciaux, notamment l’adoption d’une nouvelle politique de fixation des prix à la production et le récent accord sur la gestion et le financement des services de vulgarisation. Le fait qu’elle ait conclut de très difficiles négociations relatives au prix à la production de 2011/2012 sans arbitrage gouvernemental constitue une solide indication qu’elle est capable de gérer la filière. 10.13. Les réformes institutionnelles prometteuses en cours doivent se poursuivre. La vision à long terme du développement de la filière a déjà été clairement énoncée par le gouvernement dans son document d’orientation de 2008. Il convient à présent de traduire cette vision en réformes institutionnelles nécessaires. La principale réforme consiste à clarifier le rôle de l’Association professionnelle de la Filière coton (INTERCOTON) et de l’Autorité de Régulation du Coton et de l’Anacarde (ARECA), et de conférer à l’Association les pleins pouvoirs pour imposer à tous les acteurs de la filière ses décisions, une fois que celles-ci ont été adoptées par une majorité des acteurs. Une nouvelle loi sur les organes interprofessionnels du secteur agricole, préparée en 2010, satisferait ce besoin. Il y a lieu d’adopter rapidement cette loi, 44 La participation au Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest présentera l’avantage d’apporter de nouvelles technologies d’autres pays intervenant dans le Programme, et de raccourcir le temps de production et de diffusion de technologies adaptées 63 dont l’un des bénéficiaires prioritaires sera l’INTERCOTON. Une fois cette loi adoptée, l’Association sera habilitée à définir et à imposer les dispositions contractuelles relatives à la gestion des activités commerciales du secteur, et les règles du jeu entre les acteurs privés comme: i) la définition des contrats d’approvisionnement entre producteurs et égreneurs; ii) le mécanisme de financement et de distribution des intrants; et iii) la politique concernant la création de nouvelles installations d’égrenage, au besoin. 10.14. La récente augmentation des prix mondiaux et les perspectives d’une consolidation continue des cours offrent une excellente possibilité de relance de la production du coton. Quand bien même les prix retomberaient au niveau projeté de 0,85 dollar/lb, la production du coton devrait rester rentable. Étant donné le prix croissant des engrais et des pesticides, il peut toutefois se révéler nécessaire de réduire la dépendance envers ces intrants en progressant vers l’adoption du coton génétiquement modifié, comme l’ont fait le Burkina Faso et d’autres grands exportateurs de coton. Le coton génétiquement modifié est susceptible de réduire l’utilisation des pesticides et les besoins en main-d’œuvre tout en accroissant les rendements, mais il requerra l'accès au crédit pour le financement des semences.45 Figure 10.1: Cours mondial réel et projeté du coton selon l’indice Cotlook A (US cents/livre) 10.15. Beaucoup d’autres facteurs favorables à une reprise vigoureuse sont également en place. Au fur et à mesure que la situation s’améliore, un grand nombre de planteurs pourraient de nouveau être attirés par ce secteur. La terre et la main-d’œuvre ne devraient pas être des contraintes majeures, en dépit du développement de la production de cultures vivrières et du cajou dans le Nord. La terre est disponible, le coton et les cultures vivrières sont complémentaires, et les besoins de main-d’œuvre pour la récolte du cajou sont compatibles avec le cycle de culture cotonnière. Des variétés de coton de grande qualité sont disponibles et ne demandent qu’à être multipliées. Il existe une surcapacité d’égrenage, gérée par des entreprises compétentes. En conséquence, il est raisonnable d’imaginer un retour au niveau de production atteint en 2000-2002 (400 000 tonnes de coton-graine) au cours des cinq prochaines années, ce qui signifie un taux de croissance de 15% par an. Mais pour ce faire, il conviendra d’engager une action concertée pour établir un solide cadre institutionnel assorti de règles du jeu acceptées par 45 Le coton génétiquement modifié peut réduire de six à deux le nombre de traitements aux pesticides tout en accroissant les rendements. 64 toutes les parties prenantes, et faciliter l’accès aux intrants et aux équipements de cultures attelées aux producteurs. 65 11.1. Le riz est la céréale la plus consommée en Côte d’Ivoire (environ 70 kg/an par personne). La consommation totale est estimée à environ 1,4 million de tonnes. En dépit des efforts déployés à répétition depuis l’indépendance, la production nationale est systématiquement restée inférieure à la demande et les importations se sont accrues régulièrement. La production nationale de riz, qui a stagné durant la décennie 2000, est actuellement estimée à environ 400 000 tonnes et les importations à approximativement 1 million de tonnes par an. On trouve deux systèmes de production rizicole dans le pays, à savoir la riziculture pluviale et la riziculture irriguée, qui sont pratiqués à la fois en zone forestière et de savane. Les deux tiers de la superficie totale de production de riz sont consacrés à la riziculture pluviale, caractérisée par une culture manuelle et peu intensive, ainsi que de très faibles rendements (1,2 tonne/hectare de paddy en moyenne) et une production destinée pour l’essentiel à la consommation ménagère. Les systèmes irrigués (bas-fonds ou avec maîtrise complète des eaux) sont pratiqués sur la superficie restante (environ 100 000 hectares, dont 35 000 avec maîtrise complète des eaux). Ces systèmes sont à l’origine de plus de 50% de la production totale, avec des rendements moyens d’à peu près 3,5 tonnes/hectare de paddy. 11.2. En 2008, le gouvernement a adopté encore une fois un nouveau programme national pour le développement du riz, au moment où le monde connaissait un renchérissement phénoménal du riz dans le cadre de la pire crise alimentaire depuis le début des années 70. Cette hausse de prix a grandement compromis la sécurité alimentaire des ménages les plus pauvres en Afrique et en Asie. Les prix du riz (5% brisé) ont atteint un niveau sans précédent de 1 000 dollars/tonne en mai 2008, avant de se modérer pour s’établir à environ 500 dollars/tonne, soit un taux qui reste deux fois supérieur à celui du début des années 2000. D’après les prévisions à long terme, les prix actuels du riz se maintiendront à ce niveau au cours de la prochaine décennie. La « Stratégie de développement durable de la riziculture » de 2008 du gouvernement prévoit l’autosuffisance d’ici 2014, ce qui nécessiterait plus que le doublement de la production dans cinq ans, objectif qui peut se révéler trop ambitieux compte tenu des antécédents, malgré le fait que le prix très élevé du paddy constitue une grande source de motivation pour les producteurs nationaux. La stratégie est principalement axée sur le développement de la riziculture intensive irriguée par les agriculteurs qui recevraient des variétés à haut rendement, des intrants et des services d’appui. 11.3. Il importe d’asseoir cette politique sur une analyse minutieuse de l’avantage comparatif de la riziculture en Côte d’Ivoire, notamment une évaluation des mérites relatifs des nombreux systèmes différents de production de riz qui existent. Pas plus tard qu’en 2009, un grand importateur de riz a essayé de substituer du riz produit dans le pays aux importations, mais le coût unitaire à Abidjan s’est révélé supérieur à celui du riz importé d’Asie du Sud-Est. La situation de faible compétitivité de la production nationale est exacerbée par le contexte politique dans lequel vit le pays depuis 2002 et qui a une énorme incidence négative sur le système de transport entre les zones de production au Nord et celles de consommation au Sud, en particulier à Abidjan, notamment les barrages routiers et les exigences de pots-de-vin. Cette situation a par ailleurs influé sur le prix des intrants comme les engrais, qui doivent être transportés à partir d’Abidjan ou des pays voisins. 66 11.4. En outre, il y a lieu de croire que le prix des importations est indûment élevé. Le prix CAF du riz à Abidjan en 2009 était de 63% supérieur au prix FAB en Thaïlande. Sur la base des coûts de transport à partir du Ghana et de la Sierra Leone, et en ajoutant des coûts supplémentaires au titre de l’assurance contre les risques inhérents à la Côte d’Ivoire,46 on ne s’attendrait qu’à une différence de 20 à 30% entre le prix CAF et le prix FAB. Cette situation tient peut-être en partie à la compétition limitée dans le secteur de l’importation du riz où une seule entreprise est à l’origine de 70% des importations et deux autres sociétés contrôlent une part supplémentaire de 17% du marché. L’analyse de la compétitivité du riz intérieur devrait donc tenir compte de la possibilité d’une meilleure efficacité de l’importation du riz, avec pour effet la réduction des prix à la frontière. Tableau 11.1: Ratios du coût en ressources intérieures Scénario de Plus faibles Plus faibles Zone forestière référence coûts des rendements et importations coûts d’importations Type 1: riziculture pluviale, classique, manuelle 0,77 0,99 1,27 Type 2: riziculture pluviale, intensive, manuelle 0,58 0,66 0,84 Type 4: riziculture de bas-fonds, intensive, manuelle 0,50 0,62 0,87 Type 5a: système existant, irrigué, intensif, mécanisé 0,59 0,73 0,93 Type 5b: nouveau système, irrigué avec diversion 0,67 0,84 1,09 continue de cours d’eau Type 5c: nouveau système, irrigué avec nouveau 0,99 1,23 1,67 barrage de captage Zone de savane Type 7: riziculture pluviale, intensive, traction 1,53 1,91 2,97 animale Type 9: riziculture pluviale, intensive, mécanisation 1,12 1,46 2,10 entière * Ce scénario tient pour acquis que le prix CAF n’est que de 30% supérieur au prix FAB. # Ce scénario suppose que les rendements sont de 25% plus faibles, en raison de la mauvaise pluviosité ou des attaques d’organismes nuisibles et de maladies. Source: Calculs effectués par les auteurs. 11.5. La Côte d’Ivoire compte 11 différents systèmes de production de riz, qui utilisent différents niveaux d’intrants et de mécanisation dans les zones de riziculture pluviale, les bas- fonds et les périmètres irrigués des régions forestières et de savane. Tous ces systèmes n’étant pas d’une égale viabilité, il importe d’évaluer leur relative efficacité, puis de déterminer s’il est possible de les étendre. La méthodologie du coût en ressources intérieures a été utilisée pour comparer la valeur économique des facteurs de production à la valeur de leur production pour l’économie/la société dans son ensemble. Un ratio du coût en ressources intérieures supérieur à 1,0 tend à indiquer que les facteurs utilisés dans le processus de production auraient pu être utilisés plus efficacement ailleurs.47 Le Tableau 11.1 résume les ratios du coût en ressources intérieures pour les six principaux systèmes de production, avec trois variantes pour l’option irriguée. Le scénario de référence suppose le maintien du niveau élevé actuel des coûts de transaction relatifs aux importations, et formule des hypothèses généreuses au sujet des rendements. Des scénarios plus pessimistes ont également été esquissés avec des coûts de 46 Les importateurs versent un supplément de 1% au titre de l’assurance relative aux risques de guerre. 47 Il ne s’agit pas de la rentabilité financière d’une activité pour un particulier, laquelle dépend des charges et des prix encourus par le producteur et peut différer des valeurs économiques en raison des impôts, taxes et droits, des subventions ou d’autres distorsions. 67 transaction des importations plus bas — résultat peut-être d’une plus grande compétition entre importateurs — et de plus faibles rendements. 11.6. Il ressort de cette analyse que la Côte d’Ivoire doit jouir d’un avantage comparatif dans plusieurs types de production de riz. Les systèmes de production les plus efficaces semblent être ceux de riziculture en zone forestière, qui sont plus proches des principaux centres de consommation: les bas-fonds où se pratique une culture intensive manuelle (type 4) ou au moyen de motocultivateurs (type 5a) sont systématiquement compétitifs, tout comme le système de riziculture pluviale intensive et manuelle (type 2). La riziculture pluviale classique (type 1) est marginale dans les autres scénarios et doit être améliorée en adoptant l’approche intensive qui est plus rentable. Les nouveaux systèmes irrigués utilisant une simple technique de déviation continue de cours d’eau sont susceptibles d’être compétitifs. Les nouveaux systèmes irrigués nécessitant un barrage de captage (type 5) sont marginaux et perdent rapidement leur rentabilité à mesure que sont formulées des hypothèses pessimistes. Ils requièrent par ailleurs d’importants investissements et il convient de faire preuve de prudence avant de mettre en œuvre une telle approche. La production en zone de savane du Nord recourant à la traction animale (type 7) ou entièrement mécanisée (type 9) n’est pas économiquement viable pour l’approvisionnement des marchés urbains, même dans le scénario de référence le plus optimiste. 11.7. La riziculture pluviale intensive, pratiquée en utilisant des variétés améliorées et des engrais, offre le plus grand potentiel d’extension à un coût compétitif. Il est cependant difficile d’imaginer que la superficie actuelle d’environ 200 000 hectares de culture pluviale traditionnelle — dont à peu près 40% est intensive — puisse être étendue à 1 300 000 hectares, sans parler d’un horizon de cinq ans, comme le prévoit le programme rizicole national. Avec la croissance de la densité démographique et les contraintes foncières, l’extension à une telle échelle impliquerait une réduction substantielle des périodes de jachère et de grands investissements dans des systèmes de gestion de jachères inorganiques et améliorées pour l’ensemble du système de production. Il est peu probable que cette extension soit durable sur le plan environnemental. Le plan original consistant à appuyer l’amélioration de la riziculture pluviale sur 400 000 hectares au cours d’une période de 10 ans semblerait une cible à moyen terme plus raisonnable et tout de même ambitieuse. 11.8. Il est possible de convertir les bas-fonds aux systèmes irrigués au-delà des 20 000 hectares déjà mis en valeur. La réhabilitation des 5 000 hectares qui se sont détériorés se justifie. La conversion des 25 000 hectares de marécages exploités de façon classique en nouveaux périmètres irrigués au moyen de la diversion continue de cours d’eau peut se justifier sur cinq ans. Le système actuel de riziculture pluviale mécanisée en zone de savane doit probablement être abandonné de manière progressive. 11.9. Le Tableau 11.2 résume l’évolution des divers systèmes rizicoles. La production de riz blanc pourrait plus que doubler, passant de 379 000 tonnes métriques en 2011 à 923 000 tonnes métriques d’ici à 2020. Pour ce faire, il sera indispensable d’opérer divers changements institutionnels, notamment l’amélioration du système de production et de distribution de variétés de semences améliorées, et le déploiement de grands efforts pour désenclaver les régions de production, en ouvrant de nouvelles routes de desserte ou en réaménageant celles qui existent, et en améliorant les conditions de transport sur les principaux réseaux. Cette extension à hauteur de quelque 10% par an serait un grand succès, surtout par rapport à l’expérience des 10 dernières années. La production intérieure continuerait toutefois à correspondre seulement à la moitié de la 68 consommation totale, ce qui n’en constituerait pas moins une amélioration par rapport au niveau actuel. Étant donné que les importations de riz sont susceptibles de demeurer une composante essentielle de la réponse à la demande intérieure, il convient de prendre des mesures pour réduire les coûts des importations dont le niveau actuel est lié à des charges administratives excessives ou au caractère limité de la compétition. Tableau 11.2: Plan indicatif d’une extension économiquement viable de la riziculture Système 2011 2020 Irrigué - réhabilité Hectares cycle 1 30 000 30 000 Types 4, 5A et 11 Rendement du paddy (tonnes/ha) 4,0 5,0 Hectares cycle 2 16 000 30 000 Rendement du paddy (tonnes/ha) 5,0 5,0 Tonnes paddy 200 000 300 000 Nouveau – irrigué Hectares cycle 1 5 000 25 000 Type 5B Rendement du paddy (tonnes/ha) 3,5 4,0 Hectares cycle 2 2 500 15 000 Rendement du paddy (tonnes/ha) 4,0 5,0 Tonnes de paddy 27 500 175 000 Pluviale – classique Hectares cycle 1 120 000 30 000 Types 1 et 6 Rendement 0,8 0,8 Tonnes de paddy 96 000 24 000 Pluviale – amélioré Hectares cycle 1 86 000 400 000 Type 2 Rendement 1,7 2,2 Tonnes de paddy 146 200 880 000 Pluviale – mécanisé Hectares cycle 1 32 000 0 Types 8 et 9 Rendement 3,0 Tonnes de paddy 96 000 0 Bas-fonds – traditionnel Hectares cycle 1 60 000 35 000 Types 3 et 10 Rendement 1,5 1,5 Tonnes de paddy 90 000 52 500 Pluviale - traction animale Hectares cycle 1 25 000 25 000 Type 7 Rendement 1,5 1,5 Tonnes de paddy 37 500 37 500 Total, hectares 376 500 590 000 Total, paddy 565 700 1 379 000 Riz blanc 379 019 923 930 Consommation 1 430 000 1 866 000 Écart 1 050 981 942 070 Source: Calculs effectués par les auteurs. 69 12.1. La filière de la pêche semble sur le déclin et la première question qui se pose est de savoir s’il peut être préservé aux niveaux actuels de production . L’on estime à environ 196 millions de dollars les exportations de produits de la pêche ― surtout des conserves de thon ― en 2008, selon les données sur le commerce provenant des pays importateurs de l ’Union européenne, quoique les statistiques nationales ivoiriennes indiquent des niveaux beaucoup moins élevés. Si les données de l’Union européenne sont exactes, la valeur totale des exportations de poissons serait comparable à celles du café, mais beaucoup moins en termes de rentabilité puisque la majeure partie de la matière première et du conditionnement est importée. En intervenant rapidement sur différents fronts, une croissance modeste des exportations est peut-être possible, mais l’industrie internationale de la pêche du thon est en train de se restructurer et le temps joue contre la Côte d’Ivoire. La croissance à long terme de la filière dépendra d’une meilleure gestion des stocks, une amélioration du climat des affaires notamment au niveau du port, et une substitution limitée des importations sous l’impulsion de la pêche artisanale, et peut-être l’aquaculture, concernant le marché intérieur important et en pleine croissance pour le poisson. 12.2. Les statistiques officielles indiquent que le secteur de la pêche contribue à hauteur de 0,2% seulement au Produit intérieur brut (2005), mais sa contribution réelle est beaucoup plus importante car l’estimation du PIB ne prend pas en compte le poisson capturé par des navires étrangers non établis dans le pays (thon, poisson congelé), ni les activités de stockage, de transformation et de distribution au niveau local ni les liens en amont ou en aval tels que les activités portuaires, qui sont toutes particulièrement importantes en Côte d’Ivoire. Le secteur emploie directement plus de 70 000 personnes et pourvoit indirectement à la subsistance de 400 000 personnes. Le poisson est la principale source de protéines animales, représentant 40% de la ration totale desdites protéines, avec une consommation par habitant de 15 kg de poisson par an. Mais les poissons capturés au niveau national ne représentent que 20% de la consommation locale, le reste étant importé. Comme c’est le cas à travers le monde, le secteur de la pêche subit une pression de plus en plus forte de la part des flottes internationales et la gestion de cette ressource commune se révèle très complexe. Le risque de corruption est particulièrement élevé dans ce secteur et la crise de 2002 et ses conséquences ont contribué à affaiblir davantage sa gouvernance. 12.3. Il sera peut-être nécessaire de revoir les objectives officielles dans ce secteur. Le projet de Plan directeur de la Pêche et de l’Aquaculture, ainsi que les autres politiques et priorités en matière d’investissement public indiquent que l’administration œuvre pour une croissance rapide de la pêche locale – et notamment de la flotte maritime industrielle et de l’aquaculture – en vue d’accroître substantiellement la disponibilité du poisson au niveau local. Avec ses ressources halieutiques limitées, une expérience limitée dans le domaine de l’aquaculture, une flotte de pêche industrielle non rentable, un niveau considérable de pêche illicite et une filière thonière en difficulté, des priorités plus appropriées pour le pays pourraient consister à: i) améliorer la manière dont le secteur est gouverné, ii) accroître l’emploi durable et la capacité de production des pêches artisanales et des pêches intermédiaires efficaces, iii), accroître la rentabilité au niveau local, iv) générer, pour l’avenir, l’emploi et les recettes d’exportation provenant de l’industrie des conserveries de thon. Une gouvernance plus efficace du secteur 70 pourrait promouvoir la production pour le marché local, éviter un effondrement de l’industrie thonière et accroître la probabilité d’une relance de la croissance. Avec une gestion plus rigoureuse du secteur et un engagement politique ferme en faveur du changement, la croissance du secteur pourrait atteindre le taux de 5% par an au cours des 10 prochaines années, et générer une rentabilité différentielle cumulée de 100 millions de dollars au moins. 12.4. L’expansion de la production halieutique au niveau local – et une modeste substitution des importations – est possible. Mais il sera nécessaire de mieux contenir la pêche illicite, d’améliorer la gestion des stocks dans la région et de mettre en place un cadre stratégique pour des pêches artisanales viables à long terme. Les stratégies de développement du secteur local de la pêche peuvent être axées particulièrement sur l’expansion de la pêche artisanale en ciblant des produits et des marchés plus rentables. Un petit créneau local de la pêche industrielle pourrait être préservé par l’affrètement de navires étrangers ou la délivrance de licences à ces derniers et en étudiant la possibilité d’utiliser des navires de pêche polyvalents utilisant des technologies intermédiaires. Le projet d’expansion de la pêche artisanale et côtière reflète les mauvaises performances actuelles de la flotte industrielle locale vieillissante. Les taux d’intérêt élevés appliqués localement, des ressources halieutiques locales limitées et mal gérées, ainsi que les bas prix du poisson empêchent quasiment tout investissement dans des navires industriels neufs. Compte tenu de la nature des ressources, la pêche artisanale et la pêche « intermédiaire » sont les seules filières qui ont des chances raisonnables d’approvisionner de façon effective et rentable le marché local en poisson de meilleure qualité. La Côte d’Ivoire doit chercher activement à développer une pêche efficace basée sur l’emploi de technologies intermédiaires en vue d’exploiter ses ressources halieutiques côtières. Il s’agit d’un modèle de développement qui a permis de créer de l’emploi au niveau local et d’attirer l’investissement intérieur au Moyen- Orient et en Asie du Sud et de l’Est. 12.5. Les politiques sectorielles actuelles visent à accroître la participation des Ivoiriens dans ce secteur. Des efforts doivent être déployés pour former les pêcheurs locaux et les aider à acquérir de l’expérience dans ce secteur. La flotte artisanale de 2000 pirogues consiste surtout des pecheurs ghanéennes et maliennes qui ne disposent pour la plupart pas de licences, mais opèrent dans le pays depuis des décennies, parfois des générations. Des politiques devraient promouvoir une meilleure intégration de ces pêcheurs dans le système local de gouvernance (licences, coopératives locales, etc.). 12.6. Si l’aquaculture montre un potentiel pour l’avenir, son rôle immédiat dans la satisfaction de la demande intérieure semble limité. Le seul grand investissement réalisé dans le passé n’a pas abouti du fait de la crise socio-politique de 2002. Il faut étudier soigneusement les options en menant des activités pilotes – et éviter de gros investissements publics – parallèlement à la mise en place du cadre réglementaire et juridique et à l’exécution d’activités de recherche et de vulgarisation pour soutenir cette filière. 12.7. L’accroissement de la production et des exportations de conserves de thon et mieux exploiter la capacité installée de mise en conserve (en doublant éventuellement la production actuelle) nécessite une meilleure gestion de la flotte et une meilleure maîtrise des captures et des prix du thon, la résolution des problèmes de trésorerie et des améliorations additionnelles de l’infrastructure et des services du port. Préserver une industrie du thon viable dans le pays 71 nécessitera des interventions sur plusieurs fronts. Sans une telle action stratégique, les risques d’une disparition complète de l’industrie se sont accrus, comme ce fut le cas récemment au Sénégal. 12.8. Abidjan est le premier port pour la livraison de thon en Afrique et le deuxième dans l’Atlantique. Son industrie de thon comprend actuellement trois conserveries avec une capacité totale de transformation installée estimée à 110 000 tonnes de thon par an, mais utilisant seulement en moyenne 48% de leur capacité depuis 2005. Les conserveries et sept compagnies de transbordement de thon jouissent d’un statut de zone franche. La conserverie de thon ne constitue qu’un segment modeste – et non le plus rentable – de la chaîne de valeur mondiale hautement compétitive et en mutation rapide du thon. Les profits les plus importants sont réalisés dans le domaine de la commercialisation et de la distribution, qui est dominé sur le plan mondial par trois gros conglomérats auxquels n’est affiliée aucune des conserveries ivoiriennes. Le tarif douanier appliqué actuellement par l’Union européenne demeure favorable aux pays ACP par rapport à leur principal concurrent, la Thaïlande, mais cette préférence s’érodera probablement avec le temps – et sera perdu complètement en 2014 si les négotiations d’un accord de partenariat économique avec l’Union Européenne ne sont pas conclues. La conserverie de thon au Ghana a récemment été reprise par un conglomérat basé en Thaïlande, qui envisage de développer ses activités au Ghana en vue de desservir le marché européen et réduire ses activités de mise en conserve en France et au Portugal. Cette stratégie pourrait détourner une part plus importante des captures de thon de l’Atlantique vers le Ghana et exercer davantage de pression sur l’industrie ivoirienne des conserveries de thon. 12.9. Le premier axe de la stratégie de la filière locale du thon doit viser l’amélioration de l’accès à la matière première bon marché (le thon congelé). Cela requiert d’agir sur trois fronts. Les autorités doivent coopérer avec la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) en vue de gérer plus efficacement les ressources essentielles d’albacore, de thon obèse et de bonite, d’assurer un meilleur contrôle du nombre et de la capacité des navires de pêche dans la région et de promouvoir la diminution des captures de juvéniles de thon. Cela implique aussi un renforcement de la capacité régionale de suivi, contrôle et surveillance (SCS) pour réduire la pêche illicite. Des stocks de thon plus sains dans la région de l’Atlantique centrale réduiraient les coûts de capture par navire et accroîtraient la compétitivité relative du thon de l’Océan Atlantique. En deuxième lieu, une meilleure gestion de la flotte serait essentielle pour réduire effectivement les prix du thon débarqué. Il faudra pour cela que s’instaure une coopération étroite ainsi qu’un modus operandi avec les flottes internationales de navires thoniers opérant dans la région. Troisièment, le pays devrait exploiter son atout lié à l’utilisation habituelle par la flotte thonière régionale du port d’Abidjan comme base opérationnelle. Pour préserver cette position, il faudrait renforcer les politiques portuaires propices à la clientèle et veiller à ce que le port d’Abidjan ait un avantage concurrentiel clair par rapport à des ports concurrents. 12.10. Le deuxième axe de la stratégie pour la filière du thon devrait viser des partenariats stratégiques pour l’expansion de la base de production et un meilleur accès aux marchés. Le pays se retrouve aujourd’hui avec un concurrent très puissant et efficace dans son voisinage immédiat. Il doit chercher un alignement stratégique avec un autre groupement international influent dans la filière thonière ou dans le secteur de la pêche afin de concurrencer l’entreprise ghanéenne. Ceci est en cours. Etant donné que la compagnie thailandaise a obtenu la marque de Petit Navire, l’autre société principale de thon en France (Saupiquet) concentre son 72 approvisionnement en Afrique de l’Ouest auprès des fournisseurs ivoriens et a même envoyé quelques bateaux dans la sous-région. Ceci devrait augmenter l’accès à la matière première et sécuriser l’accès aux marchés français et allemand. En plus, en fondant sur le cadre de l’accord de pêche de l’Union européenne qui encourage une association plus étroite entre entreprises européennes et locales, la politique sectorielle doit encourager les intérêts/investisseurs privés locaux à participer aux flottes thonières étrangères et, ainsi, intégrer verticalement le système de distribution du thon et réduire la dépendance à l’égard de navires autonomes pour les approvisionnements. 12.11. Pour assurer la compétitivité des conserveries de thon sur le plan mondial, le gouvernement leur a accordé un statut de zone franche. En outre, pour compenser les charges élevées des services publics que supporte ce secteur, un cadre juridique a été adopté pour rembourser la moitié de ces coûts aux entreprises (le régime franc). Mais, entre 2007 et 2010, il n’y a quasiment pas eu de remboursements. Par ailleurs, les remboursements de crédits de TVA aux entreprises connaissent aussi des retards. Au total, l’État accuserait des arriérés de remboursement de 5,4 milliards de FCFA (11 millions de dollars) au milieu de l’année 2010.48 Après les actions stratégiques à mener, évoquées ci-dessus, ceci constitue le problème à court terme le plus sérieux et des retards supplémentaires dans la résolution de ce problème pourraient menacer l’avenir d’une ou de plusieurs conserveries. Il y a lieu de mener impérativement une analyse afin de déterminer si les pertes budgétaires liées au statut de zone franche et au « régime franc » sont justifiées par la création d’emplois, la rentabilité et des gains en devises au niveau local. 12.12. La gouvernance du secteur est minée par des institutions publiques surannées et de « terrain » (statistiques, services de vulgarisation, délivrance de licences à la flottille artisanale, gestion des infrastructures), ou soutenir le secteur privé et de répondre aux besoins de ce dernier (analyse stratégique et investissements, éducation sur la pêche, intégration sociale). La non- maîtrise des développements à l’échelle internationale, ainsi que les risques encourus par celle- ci, de même que des statistiques incomplètes, inexistantes et frauduleuses à tous les niveaux, font qu’il est de plus en plus difficile de procéder à une analyse des performances du secteur, favorisent la corruption et entravent la prise de décisions. Les entités publiques chargées de la gouvernance du secteur que sont le ministère des Productions animales et des ressources halieutiques, le Centre de recherches océanographiques et les SCS de la pêche sous la tutelle du ministère des Transports nécessitent un renforcement substantiel de leurs capacités institutionnelles et financières. Les ressources financières ne sont pas disponibles pour réaliser des investissements et des opérations essentiels (recherche, SCS, infrastructures portuaires), reflétant la modicité des budgets – y compris une utilisation non rationnelle des fonds disponibles – et surtout, la corruption. 12.13. En principe, le secteur génère annuellement des recettes publiques substantielles – taxes à l’importation du poisson congelé estimées entre 15 et 30 millions de dollars, des droits de l’ordre de 1 à 2 millions de dollars et transferts financiers de l’Union européenne de près de 600 000 euros par an. Les budgets annuels des institutions du secteur public assurant la 48 Depuis, il y a eu apparemment quelques paiements. 73 gouvernance du secteur sont comparativement réduits, et les allocations effectives encore moins.49 La gouvernance efficace des pêches est une fonction publique essentielle qui requiert des ressources financières bien plus dédiées et plus fiables. À terme, la question du choix de l’institution qui devrait être chargée d’assurer le financement à long terme de la gouvernance du secteur devra nécessairement passer par une analyse complémentaire: i) de la rentabilité et la viabilité future des pêches locales, des établissements d’importation, de réexportation et de transformation du poisson et de leur capacité à payer des frais de délivrance de licence plus élevés, ii) du niveau des taxes et subventions directes et indirectes imposées au secteur pour l’avenir, iii) les coûts réels d’une gouvernance efficace du secteur, et vi) de la répartition des tâches entre le secteur public et le secteur privé dans la gestion des programmes de gouvernance, tels que le contrôle de la qualité, la recherche, voire certains aspects du SCS. 12.14. Pour accroître les ressources budgétaires publiques à court terme, le gouvernement pourrait affecter une part des contributions financières qu ’il reçoit dans le cadre des accords de pêche, ainsi que le produit des frais de délivrance des licences au secteur . Toutefois, cette approche doit prendre appui sur une utilisation et un contrôle plus transparent de ces fonds. À plus long terme, une taxe dédiée pour la gestion de ressources peut être créée – en suivant l’exemple des pays développés – qui pourrait soutenir de manière satisfaisante les activités de recherche, de SCS et de gestion à long terme. La taxe pourrait également contribuer à financer des projets d’investissement public en vue d’apporter des améliorations tant nécessaires aux infrastructures dans les ports d’Abidjan et de San Pedro, des projets qui pourraient faire appel à la fois à des aides publiques, privées et étrangères. 12.15. Le manque de transparence est devenue un problème qui mine la gouvernance du secteur à tous les niveaux et l’activité quotidienne du secteur privé. Suite à la crise, le pays a progressivement adopté un modèle axé sur la maximisation de la « rente » suivant lequel les opérateurs publics et privés cherchent à tirer profit des activités économiques ou du cadre réglementaire. On le voit particulièrement dans le secteur de la pêche. Ce comportement a été favorisé par un système opaque de gestion financière et d’enregistrement des statistiques. La pêche illicite courante ne fait pas l’objet de poursuites à cause de paiements non déclarés aux autorités publiques. Les procédures de délivrance des licences et les droits acquittés par les navires, les importateurs et les exportateurs manquent également de transparence. Le pays doit prendre de nombreuses mesures pour réduire les cas les plus criants, en se focalisant sur des politiques et des pratiques plus transparentes d’octroi de licences, en révisant le cadre juridique et réglementaire et en modernisant les pratiques comptables et les statistiques du secteur et en clarifiant les responsabilités des institutions et en rendant transparente l’utilisation des budgets. La culture de la corruption ne peut être véritablement contenue que par des dirigeants forts à la tête des institutions publiques, une transparence accrue de l’action de l’État, et l’implication du secteur privé et d’observateurs indépendants dans le suivi de l’application cohérente de sanctions sévères. 12.16. Des efforts sont en train d’être déployés en vue de contenir et réduire la corruption, mais ceux-ci paraissent timides. Le pays pourrait envisager d’accroître la transparence en faisant vérifier et approuver par le Parlement la liste annuelle des permis de pêche industrielle, de transformation et d’importation et d’exportation de poisson délivrés aux acteurs locaux et 49 Malgré un budget pour 2011 de FCFA6 md, le Ministère des Ressources Animales et de la Pêche n’a reçu que FCFA300 million à la date de novembre 2011 (une année exceptionnellement difficile, il faut le reconnaître). 74 étrangers et les autres droits acquittés. Pour améliorer le contrôle des revenus et des dépenses publiques, il pourrait créer, de façon temporaire, un Service pour la promotion de la transparence qui aura pour tâche de gérer et de contrôler l’encaissement et l’utilisation de tous les frais de délivrance de licence et les contributions financières reçues dans le cadre des accords de pêche, conformément aux budgets nationaux convenus. Ce service pourrait également être chargé de façon temporaire de contrôler la validité des licences d’importation et d’exportation et des documents sanitaires, d’améliorer la qualité des statistiques concernant les captures et l’efficacité des activités de SCS. Un tel service pourrait être placé directement sous l’autorité du ministère des Finances et compter en son sein des représentants du secteur privé. La création officielle d’un Conseil du secteur de la pêche regroupant des représentants du secteur privé et du secteur public peut accroître davantage les moyens de lutter contre la corruption et faciliter l ’analyse et les décisions stratégiques dans la filière du thon. Il renforcera la participation du secteur privé à d’autres discussions cruciales sur les stratégies pour le secteur et permettra de faire émerger le consensus nécessaire sur le financement futur du secteur. 12.17. Il est peu probable que le secteur de la pêche devienne une importante source de croissance dans un proche avenir et il pourrait même devenir un frein pour l’économie si les conserveries de thon venaient à fermer leurs portes et si la ressource halieutique continuait à s’appauvrir. Il y a lieu de réaliser urgemment une évaluation très minutieuse de la viabilité de la conserverie de thon et des mesures appropriées pour y faire face. Il serait dommage de perdre un des principaux employeurs industriels du secteur formel par pure négligence. Toutefois, ce serait encore plus malheureux si la pêche artisanale est mise à mal par la surpêche industrielle favorisée et tolérée par des fonctionnaires corrompus. Cette filière pourrait générer un nombre substantiel d’emplois et jouer un rôle important dans l’approvisionnement durable du marché local qui ne cesse de se développer, mais il y a peu de temps à perdre si l’on entend corriger les erreurs du passé. 75 13.1. L’industrie du bois a été l’un des piliers de l’économie ivoirienne. En 2000, on dénombrait 140 scieries disséminées sur l’ensemble du territoire national et qui jouaient un important rôle dans l’économie de beaucoup de villes dans le sud du pays. Outre divers produits destinés au marché national, cette industrie est à l’origine d’exportations d’une valeur annuelle de près de 300 millions de dollars en moyenne depuis 1975. Les articles composant ces exportations sont progressivement devenus des produits à valeur ajoutée. Les exportations de grumes provenant de forêts naturelles ont baissé au cours des années 80 et cessé complètement en 1990, année où une interdiction est entrée en vigueur. Elles ont été remplacées principalement par des exportations de bois débité, de placages et de contreplaqués, dont la valeur plus élevée a contribué à compenser la contraction du volume de bois disponible. L’exportation de grumes de teck était encore autorisée, parce qu’elles sont produites dans des plantations. Des meubles ont été fabriqués dans le passé, de petites quantités étant exportées, mais cette activité a succombé à la concurrence de l’Asie. La Côte d’Ivoire était le plus grand exportateur africain de produits du bois en 1990 et elle est toujours à l’origine du tiers des exportations africaines de placages et de contreplaqués. 13.2. Les perspectives du marché sont généralement bonnes pour le bois tropical . La demande européenne du bois a diminué en 2009, en raison de l’incidence de la crise financière sur l’industrie de la construction; cette baisse devrait cependant être temporaire. Il existe en outre un important commerce de produits du bois pour les marchés national et régional, mais les statistiques disponibles n’en rendent pas compte. Le Sénégal est un important marché, et probablement le Nigéria. Les données officielles ne font pas état d’exportations vers le Burkina Faso ou le Niger, mais l’existence d’un commerce informel florissant avec ces deux pays voisins est bien connue. Entre-temps, la production destinée au marché national est susceptible d’atteindre ou de dépasser 350 000 m3, même si selon les estimations officielles, elles ne s’élèvent qu’au quart de ce chiffre. On peut s’attendre à une forte augmentation de la demande émanant de l’industrie nationale de la construction, une fois que se dénouera la crise politique. 13.3. Néanmoins, l’industrie du bois se trouve actuellement à un tournant, sinon face à une crise. L’approvisionnement annuel de grumes a chuté, passant de 5 millions de m3 dans les années 70 à environ 1 million de m3 en 2011. De plus en plus de forêts classées sont ouvertes à l’exploitation agricole, peu d’effort étant fourni pour gérer ce processus, tandis que d’autres forêts subissent des pressions croissantes de la part des paysans à la recherche de terres ou de bois de chauffage. Le nombre de scieries est tombé à 55, la plupart de ces usines sont de petite taille et encore d’autres seront probablement obligées de fermer au cours des cinq prochaines années. Le volume des exportations a diminué régulièrement entre 1995 et 2005. La valeur des exportations a suivi la même tendance, baissant pour s’établir à 150 millions de dollars en 2002, avant qu’une flambée temporaire des prix mondiaux ne rétablisse le niveau des exportations à environ 300 millions de dollars en 2006-2008. En clair, cette industrie ne sera pas une importante source de croissance dans les années à venir. De fait, la première priorité est d’assurer sa survie. Cela dit, grâce à une intervention rapide et à une combinaison judicieuse de politiques, il devrait être possible de maintenir une industrie du bois dynamique, de préserver d’importants emplois dans les petites villes, voire de susciter une modeste croissance. Il existe des sources de rechange des matières premières, une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée, ainsi qu’un sous-ensemble d’opérateurs privés qui sont relativement efficaces et pourraient rester compétitifs. 76 13.4. Le premier défi consistera à établir un niveau durable d ’exploitation des forêts naturelles et à faire respecter ce niveau. Un nouvel inventaire des ressources disponibles est nécessaire, mais le plafond annuel doit presque certainement être fixé à moins de 1 million de m3. Le Ministère des Eaux et Forêts et la Société de développement des forêts (SODEFOR, entreprise paraétatique) se sont toutefois révélés incapables de protéger les ressources forestières et l’un et l’autre méritent une réforme urgente.50 En général, cette filière est bien connue pour sa piètre gouvernance, laquelle a empiré durant la crise des 10 dernières années, et pour assurer la survie des forêts restantes, il y a lieu de remédier incessamment à cette situation. Des enseignements pourraient être tirés de processus plus rigoureux d’allocation de droits d’exploitation forestière au Ghana, pays confronté à de similaires contraintes de ressources. 13.5. Le prochain défi sera celui de l’amélioration de la gestion des plantations, qui sont appelées à jouer un rôle croissant si la filière doit être prospère. Depuis 1994, les compagnies forestières sont obligées de replanter des arbres dans les zones où elles ont effectué des abattages, et d’assurer l’entretien de ces zones pendant trois ans avant de les restituer aux propriétaires originaux des terres. En conséquence, quelque 200 000 hectares de plantations existent déjà (dont 38% sont couvertes de teck) et elles pourraient être étendues pour produire un volume supplémentaire de 500 000 m3 de bois par an. Ici aussi, la performance de la SODEFOR a laissé à désirer. Elle s’est comportée davantage en opérateur commercial qu’en responsable de la gestion de ressources publiques; ses propres opérations d’abattage ont dépassé les niveaux autorisés et des arbres ont été coupés de façon prématurée. Il conviendrait de s’en fier plus aux exploitants privés qui ont intérêt à gérer leurs plantations de manière durable, tandis que la SODEFOR pourrait se concentrer sur la réglementation de leurs activités. 13.6. Les rapports avec les habitants des zones rurales devront s’améliorer. On ne peut ni ne doit empêcher ces populations d’utiliser les forêts. Au contraire, les villageois doivent être associés à la protection des forêts et en tirer des avantages tangibles. Les droits et les responsabilités des propriétaires de concessions, des investisseurs privés, des communautés et des agriculteurs doivent tous être plus clairement définis. Le régime foncier, question cruciale à la fois pour les forêts naturelles et les plantations, mérite une attention urgente si l’on veut attirer des investisseurs privés tout en trouvant en même temps une solution aux préoccupations légitimes des populations rurales. On pourrait lancer des programmes pilotes, d’abord au niveau des forêts classées qui sont dégradées et des terres ayant un faible potentiel agricole, avant de s’attaquer à des situations plus difficiles. La résolution du problème du régime foncier pourrait permettre de mobiliser d’importants investissements en faveur des plantations d’arbres. 13.7. La baisse du nombre de scieries contribuera à réduire la pression sur les ressources liée à la demande, mais cette évolution est compromise par l’émission de nouveaux permis dont peu semblent se justifier.51 Le nombre d’usines et leurs régions géographiques d’exploitation doivent être recalibrés en fonction des ressources disponibles, ce qui conduira fort probablement à une consolidation plus poussée de l’industrie. L’inventaire susmentionné des ressources forestières doit être complété par un audit de l’industrie en vue d’identifier les opérations viables et de faciliter la prise de décisions d’investissement éclairées. 50 Voir Banque mondiale, « Côte d’Ivoire: Country Environmental Assessment », 2010. 51 Quelque 20 nouveaux permis ont été émis depuis 2005, même si la moitié d ’entre eux n’étaient pas encore opérationnels en 2010. 77 13.8. Les entreprises qui survivront devront s’adapter à l’évolution de la nature des matières premières disponibles. Même si elles sont gérées convenablement, les plantations produiront du bois de diamètre inférieur à celui des grumes naturelles traditionnelles dont la taille est souvent massive, et peu d’entreprises disposent d’équipements appropriés. Les sociétés devront apprendre à mettre en valeur certaines espèces qui, à l’heure actuelle, ne sont pas du tout utilisées. En principe, les grumes de teck pourraient générer une plus grande valeur ajoutée si elles étaient transformées sur place, mais dans ce cas aussi, il sera nécessaire d’effectuer de nouveaux investissements et de faire montre d’innovation. Comme il fallait s’y attendre, très peu d’investissement a été effectué durant les dix dernières années de crise. Il importera d’assurer une mise en œuvre efficace du code de l’investissement, pour encourager les investissements requis une fois que la situation politique se stabilisera. 13.9. Une autre solution de rechange est celle du bois d’hévéa. L’industrie du caoutchouc est en pleine expansion en Côte d’Ivoire et sa croissance rapide devrait se poursuivre dans les années à venir. Après environ 25 ans, les hévéas ont besoin d’être remplacés, et il existe déjà un stock considérable de vieux arbres qui ont atteint ce stade. D’ici à 2020, on estime que 250 000 m3 de ce bois sera disponible annuellement. La Côte d’Ivoire pourrait suivre l’exemple de la Malaisie qui a déjà développé une grande industrie basée sur le bois d’hévéa. Pour le moment, cette initiative aurait cependant à faire face à la concurrence de la production de copeaux de bois de caoutchouc à des fins d’utilisation intérieure, ou d’exportation vers l’Europe où il existe d’importantes incitations à l’accroissement de l’utilisation du biocarburant. Sur la base des faibles coûts de fret en vigueur en 2010, cette solution de rechange paraît plus rentable. Ce calcul pourrait toutefois changer si les taux de fret retombent à leur niveau de 2008, soit avant la crise financière mondiale. 13.10. À court terme, l’option la plus intéressante est celle de l’importation de grumes et de bois débité du Libéria et peut-être d’Afrique centrale. Le Libéria abrite les plus grandes forêts qui restent en Afrique de l’Ouest et sa capacité actuelle de les transformer est très limitée. Il devra en conséquence exporter des grumes durant de nombreuses années, même si sa stratégie à long terme est de passer à la transformation en vue de l’ajout de valeur. Il se trouve que le volume de ces grumes correspond à la capacité technique actuelle des usines ivoiriennes. Même après que le Libéria ait commencé à transformer les grumes, l’essentiel de sa production demeurera au stade de bois débité à moyen terme. Il semblerait donc exister une parfaite correspondance avec la capacité excédentaire de la Côte d’Ivoire, le Libéria étant susceptible de fournir annuellement 1 million de m3, soit l’équivalent de deux tiers des approvisionnements intérieurs actuels. L’exemple du Viet Nam prouve que ce modèle peut fonctionner, car ce pays est devenu le deuxième plus grand exportateur de produits du bois d’Asie du Sud-Est, bien qu’il importe 80% de sa matière première. 13.11. Les liaisons routières et maritimes avec le Libéria laissent actuellement à désirer. Cependant, des barges circulaient régulièrement autrefois entre le Libéria et le port de San Pedro et il doit être possible de redémarrer ce service. Pour ce faire, les autorités portuaires et les services douaniers devront déployer des efforts concertés en vue de faciliter ce commerce. Les initiatives antérieures d’importation de grumes ont été victimes de la rigidité des règles douanières. Lorsque l’admission temporaire en franchise de droits a été utilisée, les entreprises ont été imposées sur les déchets et les sous-produits non exportés. Dans certains cas, il a été interdit aux exportateurs de combiner le bois de source ivoirienne et non ivoirienne dans la même cargaison. En principe, les matières premières comme les grumes doivent désormais être échangées en franchise de droits entre les États membres de la CEDEAO, ce qui résout le 78 premier problème. Il n’existe aucune justification évidente pour la deuxième décision. Clairement, les autorités publiques doivent déployer des efforts concertés pour faciliter le développement d’une nouvelle industrie de produits du bois basée sur les importations. Cela requerra en outre, de la part des investisseurs privés, un effort pour améliorer l’efficacité de leurs opérations, étant donné que les grumes seront plus coûteuses que leur source traditionnelle d’approvisionnement. 13.12. Un autre défi auquel est confronté le secteur privé se rapporte aux plus rigoureuses normes appliquées sur les marchés européens pour veiller à ce que l’acquisition des importations de bois s’effectue de façon durable et légitime. La plus importante de ces normes pour le moment a trait au processus FLEGT (Applications des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux). Cette norme prévoit des négociations volontaires entre l’Union européenne et le pays exportateur, et la signature d’un accord couvrant les engagements pris par ce dernier pour empêcher le commerce illégal. Elle décrit par ailleurs le processus d’émission de certificats de conformité par le pays exportateur. Le Ghana a ratifié un accord de ce genre en 2009 et le Libéria a entamé des négociations dans ce sens. Le processus a été engagé par la Côte d’Ivoire vers la fin de 2009 et il importera de le conclure le plus tôt possible. D’autres normes relatives à la durabilité et requérant la traçabilité sont susceptibles de gagner en importance dans les années à venir. 13.13. Bon nombre d’ateliers ont été organisés récemment pour examiner la situation critique de l’industrie du bois et un long train de mesures a été préparé, avec cependant un suivi négligeable ou nul. Il sera bientôt trop tard pour cette industrie, et pourtant un avenir viable demeure possible. Une action combinée, consistant à assurer une gestion durable de la forêt naturelle restante et à substituer progressivement l’extension des plantations — complétée par l’exploitation du bois d’hévéa — à l’importation de grumes, pourrait accroître l’approvisionnement annuel disponible de matières premières, le faisant passer du niveau actuel de 1 million de m3 à 2-2,5 millions de m3. Un consensus s’impose clairement autour d’un ensemble réaliste de mesures hautement prioritaires qui feront l’objet d’une attention immédiate. 13.14. Notre analyse tend à indiquer que:  le besoin le plus crucial semblerait être celui de la facilitation de l’accès aux grumes et au bois débité importés du Libéria, y compris l’adoption de textes légales;  il est ensuite nécessaire d’effectuer un audit des ressources disponibles et de la capacité de transformation, pour guider la restructuration de l’industrie;  il y a lieu de mettre en place un processus nouveau et plus rigoureux d’allocation des droits d’exploitation forestière, en s’inspirant peut-être du modèle ghanéen;  il est indispensable d’assurer la promotion des plantations privées, accompagnée d’une résolution des questions relatives au régime foncier et d’un retrait progressif de la SODEFOR;  il convient de procéder à un audit de la SODEFOR, lequel sera immédiatement suivi de réformes visant à s’attaquer au problème tenace de sa mauvaise gouvernance et à recentrer sa mission sur la réglementation du secteur privé ;  il faut négocier un accord FLEGT avec l’Union européenne, en vue de protéger l’accès à ce marché rentable ;  le cadre réglementaire devrait être mise à jour pour refléter la réalité (Code Forestier, Lois sur le Foncier, Politique forestière) ; 79  la préservation du forêt devrait être déclarée une priorité nationale et la dégradation des aires protégés arrêtée ;  il faut redynamiser la recherche forestière ;  il sera utile d’évaluer les possibilités de créer un fonds de soutien à la forêt financé par tous les acteurs du secteur. 80