Un rapport phare du Groupe de la Banque mondiale RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE LE TRAVAIL EN MUTATION 2019 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE LE TRAVAIL EN MUTATION Un rapport phare du Groupe de la Banque mondiale 2019 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE LE TRAVAIL EN MUTATION © 2019 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington, DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 21 20 19 18 Cet ouvrage a été préparé par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données citées dans cet ouvrage. 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Conception graphique : Debra Naylor, Naylor Design, Inc., Washington. Table des matières Avant-propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . vii Abrégé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Comment se transforme le travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Que peuvent faire les pouvoirs publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Organisation du rapport. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 1. La transformation de la nature du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Les technologies créent des emplois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Comment se transforme le travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Un modèle simple de transformation du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2. La transformation de la nature des entreprises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Les entreprises superstar. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Des marchés concurrentiels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 L’évasion fiscale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 3. Le développement du capital humain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Pourquoi les pouvoirs publics doivent-ils intervenir. . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Pourquoi les mesures sont-elles importantes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Le Projet sur le capital humain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 4. L’acquisition continue du savoir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 L’apprentissage dans la petite enfance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 L’enseignement du troisième degré. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 L’apprentissage des adultes en dehors du lieu de travail . . . . . . . . . . . . . . 81 5. Le rendement du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 L’informel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Les femmes actives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Le travail dans l’agriculture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 6. Le renforcement de la protection sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 L’assistance sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 L’assurance sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 La réglementation du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 7. Quelques idées d’inclusion sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Une « nouvelle donne » mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Établir un nouveau contrat social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Comment financer l’inclusion sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 v Avant-propos En ces temps où l’économie mondiale ne cesse de croître et les taux de pauvreté n’ont jamais été aussi bas, il serait facile de tomber dans la complaisance et de fermer les yeux sur les défis qui s’annoncent, dont l’un des plus cruciaux est le marché du travail de demain qui constitue le thème du Rapport sur le développement dans le monde 2019. L’idée que «  les machines viennent s’emparer de nos emplois  » inquiète depuis des centaines d’années, du moins depuis la mécanisation du tissage au début du XVIIIe siècle. Certes, cette innovation avait permis d’accroître la productivité, mais elle avait aussi attisé la crainte que des milliers de travailleurs se retrouvent dans la rue. Et pourtant, même si l’innovation et les progrès technologiques s’accompa- gnent de perturbations, ils favorisent davantage la prospérité qu’ils n’entraînent de destructions. Aujourd’hui pourtant, nous surfons sur une nouvelle vague d’incer- titudes du fait que l’innovation ne cesse de prendre de la vitesse et la technologie touche chaque aspect de notre existence. Nous savons que les robots prennent progressivement le contrôle de milliers de tâches de routine et vont supprimer de nombreux emplois peu qualifiés dans les économies avancées et les pays en développement. En même temps, la technolo- gie crée des possibilités, ouvre la voie à des emplois innovants et modifiés, accroît la productivité et améliore la prestation des services publics. Lorsqu’on examine l’ampleur des défis à relever pour pouvoir intégrer le monde du travail de demain, il est important de comprendre que de nombreux enfants inscrits à l’école primaire actuellement occuperont à l’âge adulte des emplois qui n’existent même pas encore. C’est la raison pour laquelle ce Rapport insiste sur la primauté du capital humain pour relever un défi qui, par sa définition même, ne se prête pas à des solutions simples et normatives. De nombreux emplois actuels, et beaucoup plus dans un proche avenir, exigeront des compétences spécifiques qui combinent le savoir-faire technologique, la résolution de problèmes et l’esprit critique, mais aussi des aptitu- des générales comme la persévérance, la collaboration et l’empathie. L’époque où on faisait carrière dans un emploi ou une entreprise pendant des décennies est qua- siment révolue. Dans la gig economy, les travailleurs auront probablement de nom- breux petits boulots au fil de leur carrière, ce qui signifie qu’ils devront apprendre toute leur vie durant. L’innovation va continuer de s’accélérer, mais les pays en développement vont devoir prendre des mesures rapides pour être à même de soutenir la concurrence dans l’économie du futur. Ils vont devoir investir dans leur population avec un pro- fond sentiment d’urgence — particulièrement dans la santé et l’éducation qui sont les pierres angulaires du capital humain — afin de cueillir les fruits de l’évolution technologique et de minimiser les perturbations les plus graves que celle-ci pourrait engendrer. Pour l’instant cependant, trop nombreux sont les pays qui ne réalisent pas ces investissements essentiels. Notre Projet sur le capital humain a pour but de corriger cela. Le présent rapport lève le voile sur notre nouvel indice de capital humain, qui mesure les conséquences du manque d’investissements dans le capital humain en termes de perte de pro- ductivité des prochaines générations de travailleurs. Dans les pays dont le niveau d’investissement dans le capital humain est le plus bas actuellement, notre analyse permet de conclure que la productivité de la main-d’œuvre de demain atteindra à peine le tiers ou la moitié de ce qu’elle aurait pu être si les populations étaient en parfaite santé et avaient reçu une éducation de qualité. vii viii | Avant-propos S’adapter à la transformation de la nature du travail exige également de repenser le contrat social. Nous avons besoin de trouver de nouveaux moyens d’investir dans la population et de la protéger, quelle que soit sa situation au regard de l’emploi. Pourtant, quatre personnes sur cinq dans les pays en développement n’ont jamais su ce que signifie jouir d’une protection sociale. Le secteur informel employant déjà deux milliards de personnes — qui n’ont pas la protection d’un emploi salarié stable, ne bénéficient pas de filets de sécurité sociale ou ne connaissent pas les bienfaits de l’éducation —, de nouveaux modèles de travail viennent accentuer un dilemme qui précède les récentes innovations. Ce rapport met les pouvoirs publics au défi de prendre mieux soin de leurs citoyens et plaide pour un niveau minimum de protection sociale universelle et garantie. Cela est possible si les réformes appropriées sont entreprises, comme mettre fin aux subventions inutiles, améliorer la réglementation du marché du tra- vail et, globalement, réviser les politiques fiscales. L’investissement dans le capital humain n’interpelle pas seulement les ministres de la Santé et de l’Éducation  ; il doit également être au premier rang des priorités des Chefs d’État et des ministres des Finances. Le Projet sur le capital humain entend mettre ces décideurs face à la réalité des faits, alors que l’indice servira à faire en sorte qu’ils ne puissent ignorer cette réalité. Le Rapport sur le développement dans le monde 2019 est d’une transparence sin- gulière. Pour la première fois depuis la publication du premier Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale en 1978, nous avons mis en ligne un avant-projet actualisé chaque semaine, tout au long du processus de rédaction. Plus de sept mois durant, nous avons reçu et exploité des milliers de commentaires et d’idées de professionnels du développement, de responsables de l’action publique, d’universitaires et de lecteurs du monde entier. J’espère que beaucoup d’entre vous ont déjà lu le rapport. Plus de 400 000 téléchargements plus tard (et le décompte se poursuit), j’ai le plaisir de vous le présenter sous sa forme définitive. Jim Yong Kim Président Groupe de la Banque mondiale Abrégé J amais l’humanité n’a cessé de se soucier des conséquences que pourrait entraî- ner son talent pour l’innovation. Au XIXe siècle, Karl Marx s’était inquiété de ce que « la machine n’agit pas seulement comme un concurrent dont la force supérieure est toujours sur le point de rendre le salarié superflu, qu'elle est l'arme la plus irrésistible pour réprimer les grèves »1. En 1930, John Maynard Keynes mettait en garde contre un chômage généralisé provoqué par l’avancée des techno- logies2. Et pourtant, l’innovation transforme les conditions de vie : l’espérance de vie augmente, les soins de santé de base et l’éducation sont accessibles au plus grand nombre, et la plupart des individus ont vu leur revenu augmenter. Selon une récente enquête Eurobaromètre, trois quarts des citoyens de l’Union européenne, la superpuissance mondiale du mode de vie, sont convaincus que la technologie a un effet positif sur le monde du travail, et deux tiers considèrent qu’elle est bénéfique pour la société et va améliorer davantage la qualité de vie (figure O.1). Cet optimisme nonobstant, des inquiétudes demeurent en ce qui concerne l’ave- nir. Les habitants des économies avancées appréhendent l’impact considérable de la technologie sur l’emploi. Ils considèrent que la montée des inégalités, à laquelle s’ajoutent les effets de l’économie des petits boulots ou « gig economy » (dans le cadre de laquelle les organisations recrutent des travailleurs indépendants pour des mis- sions de courte durée), favorise la dégradation rapide des conditions de travail. Cependant, ce scénario inquiétant est globalement injustifié. Certes, les emplois manufacturiers sont de plus en plus automatisés dans un certain nombre d’écono- mies avancées et de pays à revenu intermédiaire, les travailleurs chargés de tâches routinières «  codifiables  » étant les plus faciles à remplacer, mais les technologies offrent la possibilité de créer de nouveaux emplois, d’accroître la productivité et de fournir des services publics efficaces. À travers l’innovation, les technologies créent de nouveaux secteurs d’activité et de nouvelles tâches. Les avancées actuelles dans le domaine des technologies présentent certains aspects remarquables. Le numérique bouleverse les modes de production tradition- nels et redéfinit la structure des entreprises en permettant à ces dernières d’accroître ou de réduire rapidement leur activité. Dans les nouveaux modèles économiques, FIGURE O.1 Lesparticipants à l’enquête considèrent que la technologie est bénéfique pour l’économie, la société et la qualité de vie en Europe Quelle est l’incidence des dernières avancées du numérique sur les éléments suivants : Économie 23 52 10 3 12 Société 15 49 20 5 11 Qualité de vie 17 50 14 4 15 0 20 40 60 80 100 % des personnes interrogées Incidence très positive Incidence relativement positive Incidence relativement négative Incidence très négative Ça dépend/Je ne sais pas Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir du rapport Eurobaromètre spécial 460 sur les attitudes à l’égard de l’incidence de la numérisation et de l’automatisation de la vie quotidienne ( Attitudes towards the Impact of Digitization and Automation on Daily Life, Question 1, European Commission, 2017). 2 Abrégé | 3 FIGURE O.2 Lesrécentes avancées technologiques accélèrent la croissance des entreprises 9 millions de sites marchands dans 9 millions 800 220 pays 700 Croissance (USD, milliards) 600 4 263 magasins 500 dans 15 pays 11 718 Walmart s’internationalise 11 718 magasins 400 4 263 dans 28 pays Premier magasin 300 IKEA hors de Version la Scandinavie internationale 200 de Taobao.com 415 magasins dans 49 pays 100 415 0 1943 …. 1962 …. 1973 …. 1991 2003 2010 2017 Chi re d’a aires annuel de Walmart Volume annuel brut d’échanges de marchandises d’Alibaba (Taobao.com) Chi re d’a aires annuel d’IKEA Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des rapports annuels de Walmart, de Statista.com, d’IKEA.com et de NetEase.com. les entreprises ou plateformes numériques, souvent construites autour d’un nombre réduit d’employés et d’immobilisations, passent du statut de start-up locale à celui de géant mondial (figure O.2). Cette nouvelle organisation industrielle suscite des interrogations sur les politiques applicables en matière de confidentialité, de concur- rence et de fiscalité. Les actifs productifs sont virtuels par nature, ce qui limite la capacité des pouvoirs publics à accroître les recettes. La multiplication des plateformes d’échanges permet plus que jamais aux techno- logies de toucher plus rapidement un plus grand nombre d’individus. Particuliers et entreprises peuvent échanger des biens et des services sur des plateformes en ligne à l’aide d’une simple connexion large bande. Ce modèle économique fondé sur des activités à grande échelle sans actifs massifs offre des possibilités d’emploi à des mil- lions de personnes vivant hors des pays industrialisés, voire des zones industrielles3. Et ces mêmes personnes sont confrontées à la demande de nouvelles compétences. L’automatisation rehausse la valeur des compétences cognitives d’ordre supérieur dans les économies avancées et les pays émergents. Il faut impérativement investir dans le capital humain si l’on veut tirer le meil- leur parti de l’évolution des perspectives économiques. Trois types de compétences prennent de plus en plus d’importance sur le marché de l’emploi : les compétences cognitives comme la résolution de problèmes complexes, les compétences socio- comportementales comme l’aptitude au travail d’équipe et la combinaison de dif- férents types de compétences qui permettent de prédire la capacité d’adaptation comme le raisonnement et l’efficacité personnelle. Pour développer ces compé- tences, les pays ont besoin d’asseoir leur capital humain sur des bases solides et de promouvoir l’apprentissage permanent. Les bases du capital humain, qui sont établies dans la petite enfance, gagnent donc en importance. Cependant, les autorités des pays en développement n’accordent pas une place prioritaire au développement de la petite enfance, et l’incidence de l’en- seignement de base sur le capital humain est loin d’être optimale. Le nouvel indice de capital humain mis au point par la Banque mondiale et décrit pour la première fois dans le présent rapport souligne le lien entre les investissements dans la santé 4 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 et l’éducation et la productivité de la main-d’œuvre de demain. Par exemple, la progression du 25e au 75e percentile de l’indice génère un supplément de croissance annuelle de 1,4 % sur une période de 50 ans. Conformément à l’Agenda du travail décent de l’Organisation internationale du travail, la création d’emplois formels est la meilleure mesure à adopter pour cueillir les fruits des mutations technologiques. Dans de nombreux pays en développement, la majorité des travailleurs restent confinés dans des emplois peu productifs, souvent informels et peu exposés à la technologie. Faute d’emplois de qualité dans le secteur privé, des jeunes pétris de talent ont peu de chances de trouver un emploi salarié. Les diplômés d’université hautement qualifiés représentent actuellement près de 30 % de la réserve de main-d’œuvre au chômage dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. De meilleures offres de formation des adultes permettent aux décrocheurs scolaires de se recycler en tenant compte de l’évolution de la demande sur le marché du travail. On a aussi besoin d’investissements dans les infrastructures, dont les plus notables visent à offrir aux populations de pays en développement toujours laissées pour compte un accès abordable à l’Internet. Tout aussi important est l’accroissement des investissements dans les infrastructures routières, portuaires et urbaines dont les entreprises, l’administration et les individus ont besoin pour tirer pleinement parti du potentiel des nouvelles technologies. Pour s’adapter à la nouvelle génération d’emplois, on a besoin de protection sociale. Pourtant, dans les pays en développement, huit personnes sur dix ne béné- ficient d’aucune assistance sociale, et six sur dix travaillent dans l’informel, sans police d’assurance. Même dans les économies avancées, le modèle d’assurance fondé sur les cotisa- tions salariales est progressivement mis à mal par des conditions d’emploi éloignées des contrats standards. Quels sont donc les nouveaux moyens de protection des populations  ? Une option consiste pour la société à garantir une protection mini- male indépendamment de la situation d’emploi. Ce modèle, qui comprendrait une assurance sociale obligatoire et volontaire, pourrait atteindre un plus grand nombre de personnes. La protection sociale peut être renforcée en élargissant la couverture globale et en portant une attention prioritaire aux personnes les plus démunies de la société. Inscrire les agents de santé communautaire sur le fichier solde de l’État est un pas dans la bonne direction. Une autre option consiste à définir un revenu minimum universel, mais celle-ci n’a pas encore été testée et semble financièrement prohibi- tive pour les économies émergentes. De meilleurs mécanismes d’assistance et d’as- surance sociales pourraient réduire la pression de la gestion des risques associée à la législation du travail. Dès lors que ces mécanismes offrent aux individus une meil- leure protection, la législation du travail peut, lorsque les circonstances s’y prêtent, être révisée pour faciliter la mobilité entre les emplois. Pour tirer parti des possibilités qu’offre la technologie, on aurait besoin d’un nouveau contrat social axé sur l’accroissement des investissements dans le capital humain et la mise en œuvre progressive d’un système de couverture sociale uni- verselle (figure O.3). Cependant, l’inclusion sociale requiert une certaine marge de manœuvre budgétaire qui fait défaut à de nombreux pays en développement en raison de l’étroitesse de leur assiette fiscale, de l’importance de leur secteur informel et de l’inefficacité de leur administration. Et pourtant, il reste encore bien des progrès à accomplir, par exemple en améliorant le recouvrement de l’impôt foncier dans les municipalités urbaines ou en imposant Abrégé | 5 FIGURE O.3 Faire face à l’évolution de la nature du travail Incidence des progrès Évolution des Nouveaux modèles technologiques compétences commerciaux Politiques publiques : gérer l’orientation et l’incidence du changement Politiques Investir dans Renforcer la Mobiliser le capital humain protection sociale les recettes Inclusion Prestation de services e caces, fiscalité juste, voix et représentation sociale Objectif Individus préparés, marchés compétitifs et nouveau contrat social Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. des droits d’accise sur le sucre et le tabac, qui auraient par ailleurs des effets positifs directs sur la santé. Le prélèvement d’impôts indirects, la réforme des subventions et la lutte contre l’évasion fiscale par les entreprises multinationales, particulièrement celles appartenant aux nouvelles plateformes commerciales, sont d’autres sources de financement potentielles. En fait, la structure traditionnelle de l’ordre fiscal inter- national favorise l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par les entreprises multinationales — ce qui signifie qu’elles allouent plus de bénéfices à des filiales situées dans des pays à taux d’imposition faible, voire nul, même si les opérations qui y sont menées sont négligeables. Certains observateurs estiment qu’en moyenne 50 % du total des revenus étrangers des multinationales sont déclarés dans des territoires ayant un taux d’imposition effectif de moins de 5 %4. Les économies émergentes se trouvent au cœur de mutations technologiques qui transforment la nature du travail. Quel que soit ce que l’avenir nous réserve, l’investissement dans le capital humain est une politique irréprochable qui prépare l’individu à faire face aux défis qui s’annoncent. Comment se transforme le travail Plusieurs faits stylisés dominent le débat sur la transformation de la nature du travail. Cependant, seuls quelques-uns se vérifient dans le contexte des économies émergentes. Premièrement, la technologie déstructure l’organisation des entreprises, comme en témoigne la multiplication des plateformes d’échange. Grâce au numérique, les entrepreneurs créent des plateformes commerciales d’envergure mondiale qui dif- fèrent des processus de production traditionnels par lesquels les intrants sont fournis à un bout de la chaîne de valeur et les produits livrés à un autre bout. Les plate- formes commerciales créent souvent de la valeur en établissant un réseau virtuel qui 6 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 relie les clients, les producteurs et les prestataires, tout en facilitant les échanges dans un modèle multidimensionnel. Comparées aux entreprises traditionnelles, les plateformes numériques se déve- loppent plus rapidement et à moindre coût. Il a fallu près de 30 ans à IKEA, l’entre- prise suédoise fondée en 1943, pour entamer son expansion à travers l’Europe. Après plus de sept décennies, IKEA affichait un chiffre d’affaires global de 42 milliards de dollars. Par contre, à l’aide des technologies numériques, le conglomérat chinois Alibaba a pu atteindre 1 million d’utilisateurs en deux ans et réunir plus de 9 millions de télécommerçants pour un chiffre d’affaires annuel de 700 milliards de dollars en 15 ans. Entre-temps, les plateformes commerciales ne cessent de prendre de l’am- pleur dans chaque pays — comme Flipkart en Inde et Jumia au Nigéria. À l’échelle mondiale cependant, les marchés virtuels posent de nouveaux défis pour l’action gouvernementale en matière de confidentialité, de concurrence et de fiscalité. Deuxièmement, la technologie modifie les compétences recherchées sur le mar- ché de l’emploi. La demande de compétences peu spécialisées substituables par des outils technologiques ne cesse de décliner. Dans le même temps augmentent les besoins de capacités cognitives de pointe, d’aptitudes sociocomportementales et de compétences combinées associées à une plus grande capacité d’adaptation. Déjà manifeste dans les pays développés, cette tendance commence à s’observer égale- ment dans certains pays en développement. En Bolivie, la proportion des emplois nécessitant un haut niveau de compétences a augmenté de 8 points de pourcentage entre 2000 et 2014. En Éthiopie, cette augmentation était de 13 points de pourcen- tage. Cette évolution transparaît non seulement dans le fait que de nouvelles tâches se substituent aux emplois traditionnels, mais aussi dans la modification des profils de compétences des emplois existants. Troisièmement, l’idée que les robots viennent se substituer aux travailleurs touche une corde sensible. Cependant, la menace que la technologie semble faire peser sur les emplois est exagérée — et l’histoire ne cesse de nous l’apprendre. Les données portant sur les emplois dans le secteur industriel ne confirment simplement pas ces préoccupations à l’échelle mondiale. Certes, certains emplois industriels ont disparu dans les économies avancées, mais l’essor du secteur industriel en Asie de l’Est a plus que compensé ces pertes (figure O.4). La perte des emplois industriels dans de nombreuses économies à revenu élevé durant les deux dernières décennies est une thématique largement étudiée. Le Por- tugal, Singapour et l’Espagne font partie des pays dans lesquels la part des emplois industriels a diminué d’au moins 10 % depuis 1991. Cette évolution dénote une transition de l’industrie manufacturière vers le secteur des services. En revanche, la part des emplois industriels, surtout manufacturiers, reste stable dans le reste du monde. Dans les pays à faible revenu, la proportion de la main-d’œuvre totale employée dans le secteur industriel se situait invariablement autour de 10 % entre 1991 et 2017. Elle n’a pas non plus évolué dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, restant autour de 23 %. Par contre, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, cette proportion a augmenté durant la même période, passant de 16 % en 1991 à 19 % en 2017. Cette augmentation peut être imputable à la corrélation entre l’ouverture des marchés et la hausse des revenus, qui se traduit par une demande accrue de biens, de services et de technologies. Dans certains pays en développement, la part globale des emplois industriels est en hausse. Au Viet Nam par exemple, elle est passée de 9 % en 1991 à 25 % en 2017. En République démocratique populaire lao, elle a progressé de 3 à 10 % durant la même période. Ce sont-là des pays qui ont renforcé leur capital humain, favorisant ainsi l’accès au marché du travail pour des jeunes hautement qualifiés qui, avec Abrégé | 7 FIGURE O.4 Les emplois industriels reculent en Occident et progressent en Orient, mais la main-d’œuvre totale augmente partout dans le monde a. Emploi industriel b. Main-d’œuvre totale 4 000 Emploi industriel (% du total des emplois) 30 Main-d’œuvre totale (millions) 3 000 20 2 000 1 000 10 0 09 05 09 05 01 01 13 93 17 97 13 93 17 97 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 19 19 19 19 Échelle mondiale Revenu intermédiaire Revenu élevé Émergents d’Asie de l’Est Faible revenu Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des Indicateurs du développement dans le monde (base de données) de la Banque mondiale. Note : Les « pays émergents d’Asie de l’Est » désignent le Cambodge, l’Indonésie, la République démocratique populaire lao, la Mongolie, Myanmar, les Philippines, la Thaïlande et le Viet Nam. l’appui des nouvelles technologies, améliorent la production manufacturière. En conséquence, la proportion des emplois dans le secteur industriel continue d’aug- menter en Asie de l’Est, tandis qu’elle stagne dans d’autres pays en développement. Deux facteurs stimulent la demande de produits industriels et, par ricochet, la demande de main-d’œuvre dans le secteur industriel. D’un côté, la baisse des frais de connexion encourage les exportations à forte proportion de capital à partir des économies avancées et les exportations à forte intensité de main-d’œuvre en pro- venance des économies émergentes. De l’autre, la hausse des revenus entraîne un accroissement de la consommation de produits existants et de la demande de nou- veaux produits. Quatrièmement, dans de nombreux pays en développement, beaucoup de tra- vailleurs restent confinés dans des emplois peu productifs, souvent dans des entre- prises informelles peu imprégnées des nouvelles technologies. L’informel a continué d’occuper une place considérable durant les deux dernières décennies, en dépit des améliorations apportées au cadre réglementaire des entreprises (figure O.5). En effet, le secteur informel emploie jusqu’à 90 % des actifs dans certains pays émer- gents. Globalement, environ deux tiers de la main-d’œuvre est informelle dans ces économies. L’emploi informel est resté notablement stable en dépit de la croissance économique ou de l’évolution de la nature du travail. Au Pérou par exemple, malgré l’attention portée à cette question, le pourcentage des emplois informels est resté constant autour de 75 % durant les 30 dernières années. En Afrique subsaharienne, le secteur informel fournissait en moyenne près de 75 % de l’ensemble des emplois entre 2000 et 2016. En Asie du Sud, cette proportion est passée d’une moyenne de 50 % dans les années 2000 à 60 % durant la période 2010-16. Les questions de la prédominance de l’informel et l’absence de protection sociale pour les travailleurs demeurent les plus urgentes pour les économies émergentes. 8 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE O.5 L’informelsubsiste dans la plupart des économies émergentes en dépit des améliorations apportées au cadre réglementaire a. Emploi informel, par catégorie de revenu Népal : 98 100 Côte d’Ivoire : 91 Sénégal : 89 Moyenne 80 (Tchad) : 81 Emploi informel (%) Viet Nam : 75 Paraguay : 71 Moyenne (Pakistan) : 68 Togo : 63 60 République kirghize : 57 Mexique : 57 Moyenne (Turquie) : 46 40 Kosovo : 40 Éthiopie : 36 Brésil : 36 20 Bulgarie : 19 Faible revenu Revenu Revenu moyen inférieur moyen supérieur B. Création d’entreprises, jours et coût 60 140 120 Coût (% du revenu par habitant) 50 100 Délais (jours) 40 80 60 30 40 20 20 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 Délais (jours) Coût (% du revenu par habitant) Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données d’enquête sur les ménages et la population active provenant de la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale (panneau a) ; Djankov et al. (2002) ; Indicateurs Doing Business de la Banque mondiale (panneau b). Note : Le panneau a donne les estimations les plus récentes de la proportion de l’emploi informel dans les économies émergentes. Dans l’échantillon, une personne est considérée comme un travailleur informel lorsqu’elle n’a pas de contrat, de sécurité sociale et d’assurance maladie et n’est pas affiliée à un syndicat. L’échantillon du panneau se compose de 68 économies émergentes, toutes classées parmi les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Le panneau b donne une estimation du délai et du coût de création d’une entreprise dans 103 économies émergentes. Cinquièmement, la technologie, et plus particulièrement les médias sociaux, influe sur la perception des inégalités grandissantes dans de nombreux pays. L’être humain n’a jamais cessé d’aspirer à améliorer sa qualité de vie et à participer à la croissance économique qu’il voit autour de lui. L’exposition accrue, à travers Abrégé | 9 les médias sociaux et d’autres modes de communication numérique, à différentes façons de penser et différents modes de vie souvent opposés, ne fait que renforcer ces aspirations. Lorsqu’elles sont nourries par des opportunités, elles créent un climat propice à une croissance économique solidaire et durable. Mais face à des situations d’inégalité de chances ou d’incompatibilité entre les emplois et l’offre de compé- tences, les frustrations peuvent entraîner des migrations ou une fragmentation du tissu social. Les crises de réfugiés en Europe, les personnes poussées à l’émigration par la guerre en République arabe syrienne ainsi que le printemps arabe sont autant de manifestations notables de cette perception. Et pourtant, cette perception n’est pas corroborée par les données portant sur les disparités de revenu dans les pays en développement. Dans la plupart des écono- mies émergentes, les taux d’inégalités ont reculé ou sont restés inchangés durant la décennie écoulée. De 2007 à 2015, 37 sur 41 de ces économies ont connu une baisse ou une stagnation des niveaux d’inégalités, tels que mesurés par le coefficient de Gini. Les quatre économies émergentes dans lesquelles les inégalités ont augmenté étaient l’Arménie, la Bulgarie, le Cameroun et la Turquie. En Fédération de Russie, l’indice de GINI est passé de 42 à 38 entre 2007 et 2015. La proportion du revenu détenue par les 10 % les plus riches de la population (sur la base du revenu avant impôts) a baissé de 52 % à 46 % entre 2008 et 2015. Le pourcentage des emplois dans les petites entreprises a augmenté durant la même période, ce qui a entraîné une revalorisation des salaires par rapport aux grandes entreprises. Cependant, il n’y a guère de raisons de célébrer le fait que les inégalités de revenu n’augmentent pas, en dépit des perceptions — et encore moins de raisons de le faire si l’on considère qu’à travers le monde, deux milliards de personnes travaillent dans le secteur informel où autant de gens manquent d’une forme quelconque de protec- tion. La couverture sociale est quasiment inexistante dans les pays à faible revenu. Même dans les économies à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, à peine 28 % des pauvres en bénéficient. Que peuvent faire les pouvoirs publics L’analyse révèle un certain nombre d'actions que peuvent entreprendre les pouvoirs publics : •  Investir dans le capital humain, notamment dans l’éducation préscolaire, afin de développer des compétences cognitives et sociocomportementales d’ordre supé- rieur en plus des compétences fondamentales. •   Renforcer la protection sociale. Pour ce faire, certains pays émergents devraient mettre en place un minimum social garanti et renforcé complété par une réforme de la réglementation du marché du travail. •   Dégager un espace budgétaire pour le financement public du développement du capital humain et de la protection sociale. L’impôt foncier dans les grandes villes, les droits d’accise sur le sucre ou le tabac et les taxes sur le carbone sont autant de moyens d’augmenter les recettes publiques. Une autre option consiste à combattre les techniques d’évasion fiscale auxquelles de nombreuses entreprises ont recours pour gagner plus. Les pouvoirs publics peuvent optimiser leurs politiques fiscales et améliorer l’administration de l’impôt afin d’accroître les recettes sans procéder à des hausses d’impôts. 10 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les plus gros investissements que les particuliers, les entreprises et les États peuvent engager pour tenir compte des mutations qui s’opèrent dans le monde du travail consistent à renforcer le capital humain. Un capital humain minimum, comme la maîtrise de la lecture, du calcul et de l’écriture, est nécessaire pour survivre écono- miquement. Le rôle grandissant de la technologie dans la vie de tous les jours et l’activité commerciale implique que tous les types d’emplois (y compris les moins qualifiés) exigent des compétences cognitives plus avancées. L’importance du capital humain est aussi renforcée par la demande croissante d’aptitudes sociocomporte- mentales. Les emplois qui exigent un contact direct ne seront pas facilement rem- placés par les machines. Cependant, pour les exercer efficacement, on a besoin d’ap- titudes sociocomportementales solides — qui sont acquises durant la petite enfance et façonnées au fil de l’existence. C’est la valeur accrue accordée à l’adaptabilité qui donne une telle importance au capital humain. Différentes options sont possibles. Par exemple, pour s’accommoder à la nature changeante du travail, les pays doivent accroître leurs investissements dans le déve- loppement de la petite enfance. C’est l’un des moyens les plus efficaces de dévelop- per des compétences utiles pour le marché de l’emploi du futur. Les pays peuvent aussi renforcer le capital humain en veillant à ce que l’école transmette effective- ment des connaissances. Cela dit, on peut aussi modifier considérablement l’offre de compétences pour répondre aux exigences du travail de demain en dehors de l’enseignement obligatoire et des emplois formels. À cet égard, les pays peuvent, par exemple, exploiter plus efficacement l’enseignement supérieur et les programmes de formation des adultes. Une des raisons pour lesquelles les pouvoirs publics n’investissent pas dans le capital humain est le manque d’incitations politiques pour ce faire. Peu de données à la disposition du public montrent dans quelle mesure les systèmes d’éducation et de santé contribuent au développement du capital humain. Ce déficit d’infor- mation entrave la mise au point de solutions efficaces, empêche la poursuite des améliorations et limite la capacité des citoyens à demander des comptes à leurs gou- vernements. Le Projet de la Banque mondiale sur le capital humain décrit dans ce rapport a pour but de s’attaquer au manque d’incitations politiques et de stimuler l’investissement dans la personne humaine. Les systèmes d’assistance et d’assurance sociales devraient aussi s’adapter à la nature changeante du travail. Le concept d’universalisme progressif pourrait être un principe directeur qui permet de toucher un plus grand nombre de personnes, par- ticulièrement dans l’économie informelle. Lorsque la protection sociale est établie, une réglementation du travail flexible facilite la mobilité fonctionnelle. Actuellement, le contrat social est fragmenté dans la plupart des économies émergentes, et il semble de plus en plus dépassé dans certaines économies avancées également. Un nouveau contrat social devrait faire de la place à l’investissement dans le capital humain afin d’accroître les chances que les travailleurs trouvent de meilleurs emplois. Un tel investissement va également améliorer les perspectives d’emplois pour les nouveau-nés ou les enfants scolarisés. Comment les autorités vont-elles mobiliser les ressources supplémentaires néces- saires pour investir dans le capital humain et promouvoir l’inclusion sociale ? La pro- portion des recettes fiscales dans les pays à faible revenu est inférieure de moitié à celle des pays à revenu élevé (figure O.6). L’investissement dans le capital humain, dans une protection sociale de base, notamment les agents de santé communautaires dans certains pays en développement, et dans des débouchés productifs pour les jeunes, pourrait avoir une incidence financière de l’ordre de 6 à 8 % du produit inté- rieur brut (PIB). L’objectif est ambitieux. Cependant, les hausses d’impôt devraient Abrégé | 11 s’accompagner d’une amélioration FIGURE O.6 Les recettes fiscales sont plus des services publics. À défaut, elles faibles dans les pays en développement vont seulement attiser le méconten- Total des recettes fiscales non liées aux tement des populations. 25 ressources naturelles (% du PIB) La majeure partie des ressources budgétaires requises proviendra 20 probablement de l’amélioration des capacités de l’administration fis- cale et de la révision des politiques 15 publiques, particulièrement celles relatives à la taxe sur la valeur ajou- 10 tée et à l’élargissement de l’assiette fiscale. Les pays d’Afrique subsaha- rienne pourraient mobiliser, en 5 moyenne, entre 3 et 5 % de PIB de 18 80 85 90 95 00 05 10 15 20 20 20 19 19 20 19 19 20 recettes supplémentaires en adop- Revenu élevé tant des réformes destinées à amé- Revenu intermédiaire liorer l’efficacité des régimes fiscaux Faible revenu en vigueur5. L’élimination des exo- Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde nérations fiscales et la convergence 2019, à partir du jeu de données UNU-WIDER sur les recettes publiques, 2017 ; Données de la Banque mondiale. vers l’uniformisation des taux de Note : PIB = produit intérieur brut. TVA pourraient accroître davantage les recettes. Au Costa Rica et en Uruguay, ces recettes pourraient dépasser 3 % du PIB. D’autres impôts et produits d’épargne pourraient également contribuer au finan- cement du capital humain. L’Arabie saoudite a imposé des droits d’accise en 2017, à savoir 50 % sur les boissons gazeuses et 100 % sur les boissons énergétiques, le tabac et les produits du tabac. On estime que l’application de politiques de tarification efficace du carbone sur le plan national pourrait générer plus de 6 % du PIB en Chine, en République islamique d’Iran, en Russie et en Arabie saoudite6. Les taxes sur les biens immobiliers pourraient faire engranger 3 points de pourcentage supplémentaires du PIB aux pays à revenu intermédiaire et 1 % aux pays pauvres7. Les mécanismes de fraude et d’évasion fiscales utilisés de longue date par les particuliers et les entreprises doivent également être combattus. Quatre cinquièmes des 500 entreprises figurant dans le classement du magazine Fortune exploitent une ou plusieurs filiales dans des pays considérés généralement comme disposant de régimes préférentiels d’impôt sur les sociétés — et souvent désignés comme des « paradis fiscaux ». On estime qu’une telle situation pourrait faire perdre entre 100 et 240 milliards de dollars de recettes annuelles aux gouvernements du monde entier, ce qui équivaut en pourcentage à des recettes globales d’impôt sur les béné- fices des sociétés de l’ordre de 4 à 10 %. La numérisation accrue des entreprises offre simplement plus de possibilités d’évasion fiscale. Parce qu’il est possible de gagner de l’argent à partir de nouveaux types d’actifs, comme les données d’utilisa- teur, il est de plus en plus difficile de déterminer, à des fins d’imposition, de quelle façon et à quel niveau se crée la valeur. Organisation du rapport Le premier chapitre du rapport examine l’incidence de la technologie sur les emplois. Dans certains secteurs, les robots sont en train de se substituer aux travail- leurs. Dans d’autres, ils accroissent la productivité de ces derniers. Et dans d’autres 12 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 encore, la technologie crée des emplois dans la mesure où elle dicte la demande de nouveaux biens et services. Ces effets disparates rendent les prévisions écono- miques concernant les pertes d’emplois induites par les progrès technologiques pra- tiquement inutiles. Pourtant, les prévisions donnent une image sensationnelle de l’impact de la technologie et suscitent la peur, particulièrement chez les travailleurs moyennement qualifiés exécutant des tâches de routine. Ce qu'on constate en revanche, c'est que la technologie modifie effectivement la demande de compétences. Depuis 2001, la proportion des emplois à des postes exigeant d’énormes compétences cognitives et sociocomportementales non routi- nières a augmenté, passant de 19 à 23 % dans les économies émergentes et de 33 à 41 % dans les économies avancées. La rémunération de ces compétences, ainsi que celle de combinaisons de compétences diverses, augmente aussi dans ces éco- nomies. Pourtant, c’est le rythme de l’innovation qui déterminera si de nouveaux secteurs ou de nouvelles tâches se créent pour contrebalancer le déclin de secteurs traditionnels et de tâches routinières à mesure que baisse le coût des outils techno- logiques. Dans le même temps, ce qui déterminera si les entreprises des économies émergentes font le choix de l’automatisation ou de la délocalisation, c’est la per- sistance ou non de la faiblesse du coût de la main-d’œuvre par rapport au capital. Le chapitre 1 propose un modèle de transformation de la nature du travail. Une caractéristique particulière de la vague actuelle de progrès technologiques est qu’elle déstructure les entreprises et accélère l’émergence de géants. En augmentant la production et l’emploi, ces entreprises ont un effet bénéfique sur la demande de main-d’œuvre. Ce sont aussi de grandes intégratrices de jeunes entreprises innovantes, qui aident souvent les petites entreprises en leur donnant accès à des marchés plus importants. Mais les grandes entreprises, particulièrement celles de l’économie numérique, présentent aussi des risques. Souvent, la réglementation ne prend pas en compte les défis engendrés par de nouveaux types d’opérateurs du sec- teur numérique. Les cadres antitrust doivent aussi s’adapter pour faire face à l’im- pact des effets de réseaux sur la concurrence. À bien des égards, la fiscalité n’est pas non plus adaptée aux objectifs de ces nouvelles entreprises. Le chapitre 2 examine la façon dont le changement technologique influe sur la structure de l’entreprise. À l’échelle de l’économie en général, le capital humain est positivement corrélé avec le niveau global d’adoption des avancées technologiques. Les entreprises dotées d’une plus grande proportion de travailleurs instruits présentent de meilleurs résul- tats en matière d’innovation. Les individus qui possèdent un capital humain plus important tirent un plus grand avantage économique des nouvelles technologies. En revanche, lorsque les bouleversements technologiques rencontrent un capital humain insuffisant, l’ordre social existant peut être perturbé. Le chapitre 3 examine le lien entre l’accumulation du capital humain et le travail du futur, s’intéressant plus particulièrement à la raison pour laquelle les pouvoirs publics doivent investir dans le capital humain et n’y parviennent pas souvent. Le chapitre 3 présente également le nouveau projet de la Banque mondiale sur le Capital humain. Pour concevoir et exécuter efficacement les politiques, on a besoin d’informations complémentaires sur le capital humain de base et de meilleurs outils de mesure de ce dernier, même lorsqu’on est pleinement disposé à y investir. Le projet comporte trois volets : un indice mondial — l’indice de capital humain ; un programme de mesures et d’études destiné à éclairer les actions à mener ; et un programme d’appui aux stratégies nationales visant à accélérer l’investissement dans le capital humain. L’indice est établi sur la base du niveau de capital humain qu’un enfant né en 2018 peut espérer atteindre à la fin de l’enseignement secondaire, en prenant en compte les risques en matière de santé et d’éducation propres au pays dans lequel il Abrégé | 13 est né. En d’autres termes, il mesure FIGURE O.7 Les niveaux d’apprentissage la productivité de la prochaine géné- varient dans les économies émergentes ration de travailleurs par rapport à Costa Rica une base de référence correspon- Philippines dant à une éducation complète et Indonésie une santé parfaite. Par exemple, Afrique du Sud Algérie dans de nombreux systèmes éduca- Tunisie tifs, une année de scolarité produit à Panama peine une fraction des acquis prévus République kirghize (figure O.7). Le chapitre 3 présente Paraguay des comparaisons transnationales El Salvador faisant intervenir 157 économies à République dominicaine Ghana travers le monde. Cameroun La modification en cours de l’offre Malawi de compétences se fait en partie en Lesotho dehors de l’enseignement obligatoire Burundi et des emplois formels. Mais où  ? Le Rép. du Yémen Bénin chapitre 4 répond à cette question Togo en explorant trois niveaux — petite Côte d’Ivoire enfance, enseignement supérieur 2 6 10 14 ainsi que formation des adultes en Nombre d’années dehors du milieu professionnel — Années d’apprentissage auxquels les individus acquièrent des + Années de scolarité compétences spécifiques en demande sur le marché du travail en mutation. Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde Investir dans la nutrition, la santé, 2019, à partir de Kim (2018) ; Filmer et al. (2018). la protection et l’éducation du jeune enfant permet de poser des bases solides en vue de l’acquisition ultérieure de compétences cognitives et sociocompor- tementales d’ordre supérieur. De la période prénatale à l’âge de 5 ans, la capacité du cerveau à apprendre de l’expérience est la plus élevée. L’individu qui acquiert ces com- pétences dans la prime enfance est plus à même de faire face à l’incertitude plus tard dans sa vie. L’enseignement supérieur offre une occasion supplémentaire d’acquérir des compétences cognitives générales d’ordre supérieur — comme la résolution de problèmes complexes, l’esprit critique et la communication avancée — qui sont si importantes pour le marché du travail en devenir, mais ne peuvent être acquises à l’école uniquement. Concernant les effectifs actuels de main-d’œuvre, particulièrement celle qui n’est pas scolarisée et n’occupe pas d’emploi formel, mais ne peut pas retourner à l’école ou à l’université, le recyclage et le perfectionnement professionnel doivent faire par- tie de la solution aux perturbations que la technologie engendre sur le marché du travail. Pourtant, les programmes d’éducation des adultes ne sont efficaces que dans de rares cas. Les adultes sont confrontés à divers obstacles majeurs qui limitent l’effi- cacité des méthodes traditionnelles d’apprentissage. D’où la nécessité d’un meilleur diagnostic et d’une meilleure évaluation des programmes d’apprentissage qui leur sont destinés, ainsi que d’une meilleure conception et exécution de ces programmes. Le chapitre 4 examine ces enjeux d’une manière plus détaillée. Le travail est le lieu d’accumulation du capital humain après l’école. Le chapitre 5 évalue dans quelle mesure les économies parviennent à développer ce capital sur le lieu de travail. Le travail est plus rémunérateur dans les économies avancées que dans les économies émergentes. Un travailleur dans une économie émergente est 14 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 plus susceptible qu’un travailleur dans une économie avancée d’occuper un poste manuel composé en grande partie de tâches physiques. Une année supplémentaire de travail dans des professions cognitives augmente les salaires de 3 %, tandis que pour les métiers manuels, cette augmentation est de 2 %. Le travail offre un espace pour l’acquisition continue de compétences après l’école — mais de telles opportu- nités sont relativement rares dans les économies émergentes. Les États peuvent améliorer le rendement de la main-d’œuvre en créant des emplois formels destinés aux pauvres. Pour ce faire, ils doivent maintenir un environnement porteur pour l’activité commerciale, investir dans la formation des adultes à l’entrepre- neuriat, et accroître l’accès aux outils technologiques. Les bénéfices de la participation des femmes au marché du travail sont nettement moins élevés que ceux des hommes — en d’autres termes, les femmes développent moins de capital humain que les hommes sur le lieu de travail. Pour combler cet écart, les autorités pourraient s’employer à supprimer les restrictions à la forme ou la nature des tâches que les femmes peuvent accomplir, et éliminer les règles qui entravent l’accès des femmes à la propriété. Les travailleurs des zones rurales sont confrontés à des difficultés similaires lorsqu’il s’agit d’accumuler du capital humain après l’école. Il est néanmoins possible d’améliorer la productivité du travail en réorientant la main-d’œuvre des villages vers les villes. Cela étant, la technologie peut être mise à contribution dans les campagnes pour accroître la rentabilité de la main-d’œuvre à travers l’augmentation de la productivité agricole. Les incertitudes qui pèsent sur les marchés de l’emploi appellent un renforce- ment de la protection sociale. C’est le sujet abordé au chapitre 6. Les dispositifs traditionnels de protection sociale basés sur un emploi salarié stable, une définition claire des rôles des employeurs et des employés et un âge de la retraite fixe sont de plus en plus obsolètes. Dans les pays en développement où l’informel est la norme, ce modèle est largement utopique. Les dépenses au titre de l’assistance sociale devraient être complétées par un régime d’assurance qui ne dépend pas complètement de l’occupation d’un emploi salarié formel. Le but d’une telle approche est d’élargir la couverture tout en donnant la priorité aux plus démunis. Dès lors que les mécanismes améliorés d’assistance et d’assurance sociales offrent aux individus une meilleure protection, la législation du travail peut, lorsque les circonstances s’y prêtent, être révisée afin de faciliter la mobilité entre les emplois. La transformation de la nature du travail, à laquelle s’ajoute la montée des aspira- tions, rend indispensable le renforcement de l’inclusion sociale. À cette fin, l’égalité des chances devrait être au centre de tout contrat social. Le chapitre 7 examine les éléments potentiels d’un contrat social, qui comprennent l’investissement précoce dans le capital humain, la taxation des entreprises, l’élargissement de la protection sociale et l’augmentation des débouchés productifs pour les jeunes. Pour assurer l’inclusion sociale, les autorités de certaines économies émergentes devront trouver des moyens d’accroître les recettes publiques. Le chapitre 7 décrit de quelle façon les États peuvent dégager un espace budgétaire en mobilisant des recettes additionnelles auprès de sources traditionnelles et nouvelles. À cet égard, on peut citer l’administration de taxes sur la valeur ajoutée, de droits d’accise et de taxes sur le carbone  ; l’imposition aux plateformes commerciales de taxes équivalentes à ce que paient les autres entreprises ; et la révision des subventions à l’énergie. *** Le Rapport sur le développement dans le monde 2019 a été préparé par une équipe dirigée par Simeon Djankov et Federica Saliola. Ciro Avitabile, Rong Chen, Davida Abrégé | 15 Connon, Ana Paula Cusolito, Roberta Gatti, Ugo Gentilini, Asif Mohammed Islam, Aart Kraay, Shwetlena Sabarwal, Indhira Vanessa Santos, David Sharrock, Consuelo Jurado Tan et Yucheng Zheng faisaient partie de l’équipe de base. Paul Romer, ancien économiste en chef, Michal Rutkowski, Directeur principal du Pôle mondial d’expertise en matière de protection sociale et d’emploi, et Shantayanan Devarajan, économiste en chef par intérim, ont fourni les orientations générales pour la prépa- ration du rapport. Notes 1.  Marx (1867). 2.  Keynes ([1930] 1963). 3.  Brynjolfsson et al. (2008). 4.  Clausing (2016). 5.  IMF (2017). 6.  Parry, Veung et Heine (2014). 7.  Norregaard (2013). Bibliographie Brynjolfsson, Erik, Andrew McAfee, Michael Sorell, and Feng Zhu. 2008. “Scale with- out Mass: Business Process Replication and Industry Dynamics.” Harvard Business School Technology and Operations Management Unit Research Paper No. 07-016, Cambridge, MA. Clausing, Kimberly A. 2016. “The Effect of Profit Shifting on the Corporate Tax Base in the United States and Beyond.” National Tax Journal 69 (4): 905–34. Djankov, Simeon, Rafael la Porta, Florencio Lopez-de-Silanes, and Andrei Shleifer. 2002. “The Regulation of Entry.” Quarterly Journal of Economics 118 (1): 1–37. Filmer, Deon, Halsey Rogers, Noam Angrist, and Shwetlena Sabarwal. 2018. “Learning-Adjusted Years of Schooling (LAYS): Defining a New Macro Measure of Education.” Policy Research Working Paper 8591, World Bank, Washington, DC. 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The Critical Role of Co-benefits.” IMF Working Paper WP/14/174, International Monetary Fund, Washington, DC, September 17. La transformation de CHAPITRE 1 la nature du travail D epuis le début, les robots ont été créés pour se substituer à l’homme sur le lieu de travail. En 1920, l’écrivain tchèque Karel Cˇapek utilisa pour la première fois le mot robot, dérivé de robota en langue slave qui signifie travail, pour bien indiquer à quelles fins ces machines seraient utilisées. Au cours du siècle écoulé, les machines ont remplacé les ouvriers dans bon nombre de tâches. Mais tout compte fait, les technologies ont créé plus d’emplois qu’elles n’en ont supprimés. Elles ont accru la productivité du travail dans plusieurs sec- teurs en réduisant la demande de travailleurs effectuant des tâches routinières. Ce faisant, elles ont ouvert la voie à de nouveaux secteurs qui relevaient jusque-là de la science-fiction. Grâce aux avancées technologiques, les entreprises adoptent de nouveaux modes de production, les marchés s’élargissent et les sociétés évoluent. Les entreprises font appel aux nouvelles technologies pour améliorer l’emploi du capital, s’affranchir des freins à la communication, externaliser les services et innover. La gestion des activités des entreprises est aussi plus efficace. En effet, les entreprises recrutent des travailleurs en un lieu pour produire des pièces, en un autre pour les monter et en un troisième pour vendre le produit fini. Les consommateurs, eux, ont un choix plus large de produits à un coût moindre. Le modèle économique actuel offre des débouchés à tous les acteurs. Certaines entreprises opérant sous forme de plateformes1 créent de nouveaux marchés d’échange des biens et services. Même les petites entreprises ont une emprise mon- diale. Et elles se développent plus rapidement. Les entreprises qui vendent sur eBay au Chili, en Jordanie, au Pérou et en Afrique du Sud sont plus jeunes que les entre- prises des marchés hors ligne2. La plateforme Alibaba en Chine regroupe en majorité des start-up3. Sous l’effet des technologies, l’offre des services est plus importante et les citoyens peuvent demander des comptes aux pouvoirs publics. Les travailleurs, les entreprises et les États développent de nouveaux avantages comparatifs à mesure que les circonstances changent. À titre d’exemple, les entre- prises danoises ont été les premières à adopter la technologie 3D, ce qui leur a permis de renforcer leur emprise sur le marché mondial des prothèses auditives dans les années 20004. L’État indien a investi dans les universités techniques à travers le pays et par la suite, l’Inde est devenue un des leaders mondiaux des secteurs de haute technologie. Grâce à leur intégration dans les chaînes de valeur mondiales, les tra- vailleurs vietnamiens ont développé leurs compétences en langues étrangères, ren- forçant ainsi le capital humain qui leur permet de se déployer dans d’autres marchés. En dépit des opportunités, on observe toujours des ruptures. Le coût de plus en plus faible des machines met particulièrement en péril les emplois peu spécialisés des travailleurs affectés à des tâches routinières. Ces emplois sont, en effet, les plus susceptibles d’être automatisés. Les travailleurs dont les emplois ont été supprimés peuvent se retrouver en compétition avec (d’autres) travailleurs peu qualifiés pour des emplois faiblement rémunérés. Même lorsque de nouveaux emplois sont créés, le recyclage est coûteux, et le plus souvent impossible. Cette situation entraîne une suppression d’emplois qui inquiète les travailleurs, exactement comme par le passé. En 1589, la reine Élisabeth Ire d’Angleterre s’inquiéta lorsque le révérend William Lee, inventeur de la machine à tricoter, fit une demande de dépôt de brevet : «  Pensez à ce que votre invention fera à mes pauvres sujets  », lui fit-elle remarquer. « Elle les mènera très certainement à la ruine en les privant de leurs emplois »5. Dans les années 1880, la dynastie Qing s’opposa farouchement à la construction du chemin de fer en Chine, soutenant que la suppression du travail de 18 La transformation de la nature du travail | 19 porteur de bagages pourrait provoquer des troubles sociaux6. Au début du XIXe siècle, les luddites sabotèrent des machines pour défendre leurs emplois en Angleterre, malgré la croissance économique générale impulsée par les machines à vapeur. Le débat sur l’avenir du travail est surtout axé sur la crainte que la robotisation entraîne un accroissement du chômage. C’est dans le secteur industriel que cette crainte est le plus manifeste. Dans certaines économies à revenu élevé, on a observé au cours des 20 dernières années un recul régulier de l’emploi industriel, de plus de 10 points de pourcentage dans des pays comme la République de Corée, Singapour, l’Espagne et le Royaume-Uni. Mais cette tendance baissière traduit davantage une évolution de l’emploi qui, jadis manufacturier, devient plus axé sur les services à mesure que ces pays se développent. En revanche, des millions d’emplois industriels ont été créés dans les pays en développement depuis la fin des années 80. En effet, ce type d’emplois a considérablement augmenté dans quelques marchés émergents comme le Cambodge et le Viet Nam. La part moyenne de l’emploi industriel est restée stable dans les pays en développement, en dépit des nombreuses prévisions faisant état des pertes d’emplois qu’entraîneraient les technologies. Au demeurant, les technologies bouleversent la demande de compétences. D’une manière générale, le rendement de l’investissement des particuliers dans l’éduca- tion, environ 9 % par an, reste élevé malgré une augmentation notable de l’offre de main-d’œuvre qualifiée. Le rendement au niveau de l’enseignement tertiaire atteint pratiquement 15 % par an. Les individus les plus qualifiés utilisent mieux les nou- velles technologies pour s’adapter à la transformation de la nature du travail. À titre d’illustration, le rendement de la scolarisation dans le primaire s’est accru en Inde pendant la Révolution verte des années 60 et 70, les agriculteurs les plus instruits ayant adopté les nouvelles technologies. Les technologies ont le pouvoir d’améliorer les conditions de vie, même si leurs effets ne se manifestent pas de la même manière d’un pays à l’autre. La création d’emplois profite à l’ensemble de la société, et non pas à quelques-uns, si et seule- ment si les règles du jeu sont équitables. Les travailleurs de certains secteurs tirent largement parti des progrès technologiques, tandis que d’autres voient disparaître leurs emplois et doivent se reconvertir pour survivre. Les plateformes d’échanges génèrent une richesse immense qui, malheureusement, est concentrée entre les mains d’un petit nombre. Indépendamment des progrès technologiques, l’omniprésence du secteur infor- mel reste l’enjeu le plus important pour les économies émergentes. Ce secteur pour- voit plus de 70 % des emplois en Afrique subsaharienne, 60 % en Asie du Sud et plus de 50 % en Amérique latine. En Inde, il représente près de 90 % des emplois, malgré la croissance économique rapide et l’adoption des technologies. La rémuné- ration et la productivité sont considérablement plus faibles dans le secteur informel. Et les travailleurs qui s’y déploient ne bénéficient d’aucune couverture sanitaire ou sociale. En raison du retard de l’Afrique et de l’Asie du Sud sur le plan des technolo- gies, le processus d’industrialisation pourrait ne pas se traduire dans ces régions par la migration des travailleurs vers le secteur formel. Le fossé qui sépare les travailleurs des secteurs informel et formel appelle une réévaluation de la notion de progrès face au caractère évolutif du travail. La crois- sance économique repose sur le capital humain accumulé et sur une infrastructure qui répond aux besoins sur les plans de l’éducation, de la santé et des affaires. Il est aussi temps de réfléchir à une protection sociale renforcée qui s’appliquerait à toutes les formes de contrat de travail. 20 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les technologies créent des emplois « Elles sont toujours polies, elles vendent toujours plus, elles ne prennent jamais de vacances, elles n’arrivent jamais en retard, il n’y a jamais de chutes accidentelles ni de procès pour discrimination en raison de l’âge, du sexe ou de la race  », décla- rait Andrew Puzder, alors directeur de Hardee’s Food Systems Inc., une chaîne de restaurants basée dans le Tennessee. Il parlait de remplacer ses employés par des machines7. Normal que les travailleurs s’inquiètent devant de telles déclarations. L’avènement d’une économie sans emploi préoccupe parce que les tâches tradi- tionnellement exécutées par l’homme sont ou risquent d’être affectées à des robots, particulièrement ceux dotés d’une intelligence artificielle. Le nombre de robots employés à travers le monde augmente rapidement. D’ici 2019, 1,4 million de nou- veaux robots industriels seront mis en service, ce qui portera leur nombre total à 2,6 millions dans le monde8. En 2018, c’est en République de Corée, à Singapour et en Allemagne que le nombre de robots par travailleur est le plus élevé. Pour autant, dans tous ces pays, le taux d’emploi demeure important en dépit de cette forte robotisation. Les travailleurs jeunes sont plus susceptibles de subir les effets de l’automatisation que les travailleurs âgés. La robotisation n’a pas particulièrement influencé l’emploi en Allemagne, bien qu’on observe une baisse des recrutements des jeunes9. Pour cette raison, les pays à la population vieillissante et ceux qui ont une population jeune et escomptent un grand nombre de nouveaux venus sur le marché du travail réagiront différemment à l’automatisation. S’il est vrai que les robots se substituent aux travailleurs, il est en revanche dif- ficile de dire dans quelle proportion. D’une manière générale, l’on estime que les évolutions technologiques qui remplacent le travail de routine ont créé plus de 23 millions d’emplois à travers l’Europe entre 1999 et 2016, pratiquement la moitié du nombre total d’emplois créés pendant cette période. Des données récentes sur les pays européens indiquent que les technologies se substituent peut-être aux travail- leurs dans certains emplois, mais globalement elles accroissent la demande de main- d’œuvre10. Par exemple, JD Finance, l’une des principales Fintech chinoises, a choisi, non de recruter des chargés de prêts classiques, mais de créer plus de 3 000 emplois de gestion des risques ou d’analyse des données afin d’affiner les algorithmes des mécanismes de crédit numériques. Les progrès de la technologie entraînent la création directe d’emplois dans ce sec- teur d’activité. Les individus utilisent de plus en plus les smartphones, les tablettes et d’autres appareils électroniques portables pour travailler, organiser leurs finances, sécuriser et chauffer leurs maisons, se divertir. Les travailleurs créent les interfaces en ligne à l’origine de cette croissance. La grande versatilité des consommateurs multiplie les possibilités de carrière dans le développement des applications mobiles ou encore la conception dans le domaine de la réalité virtuelle. Les technologies facilitent aussi la création d’emplois grâce au travail en ligne ou la participation à ce qu’il est convenu d’appeler l’économie des petits boulots ou gig economy. Andela, une société américaine spécialisée dans la formation des déve- loppeurs de logiciels a axé ses activités sur la numérisation de l’Afrique. Elle a ainsi formé 20 000 analystes-programmeurs à travers le continent à l’aide d’outils en ligne gratuits. Une fois formés, ces programmeurs travaillent directement avec Andela ou alors d’autres clients de la société dans le monde. Andela entend former 100 000 déve- loppeurs de logiciels africains d’ici 2024. Quatre-vingt-dix pour cent de ses employés se trouvent à Lagos (Nigéria), mais aussi à Nairobi (Kenya) et Kampala (Ouganda). La transformation de la nature du travail | 21 Grâce aux technologies les marchés sont plus proches, ce qui facilite la création de nouvelles chaînes de valeur efficaces. Farmerline, une plateforme électronique ghanéenne, communique avec un réseau de plus de 200 000 agriculteurs dans leurs langues maternelles via le téléphone portable. Elle donne à ces agriculteurs des infor- mations sur la météo et les cours des produits sur les marchés, et recueille en même temps des données à l’intention des acheteurs, des pouvoirs publics et des partenaires de développement. La société va maintenant élargir son offre aux services de crédit. Certains travailleurs seront remplacés durant le processus d’adoption des techno- logies. Les travailleurs effectuant des tâches routinières «  » sont les plus codifiables  vulnérables. Les exemples sont légion. Plus des deux tiers des robots sont employés dans le secteur de l’automobile, de l’électronique, ainsi que des produits métalliques et des machines. La société chinoise Foxconn Technology Group, le plus grand mon- teur de pièces électroniques au monde, a réduit ses effectifs de 30 % au moment de l’automatisation de son processus de production. Lorsque les robots représentent une alternative moins coûteuse aux processus manufacturiers existants, les entre- prises sont plus disposées à rapprocher la production des marchés de consommation. En 2017, grâce à l’impression en 3D, la société allemande Adidas a pu implanter deux «  usines rapides  » de production de ses chaussures : une à Ansbach en Alle- magne et l’autre à Atlanta aux États-Unis, supprimant par la même occasion plus de 1 000 emplois au Viet Nam. En 2012, la multinationale néerlandaise Philips Electro- nics a ramené son site de production de la Chine aux Pays-Bas. Certains emplois dans le domaine des services sont aussi vulnérables à l’auto- matisation. Mobileye en Israël met au point des unités de navigation des véhicules autonomes. Baidu, le géant chinois de la technologie, collabore avec King Long Motor Group en Chine pour introduire des bus autonomes dans les parcs industriels. Les analystes financiers, qui passent le plus clair de leur temps à faire des recherches à l’aide de formules, subissent aussi les suppressions d’emplois : Sberbank, la plus grande banque de la Fédération de Russie, fait appel à l’intelligence artificielle pour prendre 35 % de ses décisions d’octroi de crédit, et elle entend passer à 70 % en moins de cinq ans11. «  Les robots avocats » ont déjà remplacé 3  000 employés des services juridiques de la banque. Le nombre d’employés du service de traitement des ordres baissera à 1 000 d’ici 2021, contre 59 000 en 2011. Ant Financial, une fintech chinoise, utilise les mégadonnées pour évaluer les accords de prêt au lieu de recruter des milliers de chargés de prêts ou d’avocats. Pour autant, il est impossible de chiffrer les suppressions d’emplois qui survien- dront d’une manière générale. Même les économistes les plus réputés n’y ont pas réussi. En 1930, John Maynard Keynes déclarait que les technologies introduiraient une ère de loisirs et d’abondance dans cent ans. Il songeait que tout le monde devrait travailler dans une certaine mesure pour être satisfait, mais que trois heures de travail par jour suffiraient12. Le monde de 2018 est éloigné de ce tableau. Les économistes ont peut-être du mal à quantifier l’impact des progrès techno- logiques sur les pertes d’emplois, mais les estimations ne manquent pas. Et elles varient grandement (figure 1.1). On estime que le taux de robotisation de l’emploi en Bolivie se situe entre 2 % et 41 %. En d’autres termes, 100 000 à 2 millions d’em- plois seraient automatisés dans ce pays en 2018. La fourchette est plus importante encore dans les économies avancées. En Lituanie, 5 % à 56 % d’emplois risquent d’être automatisés. Au Japon, 6 % à 55 % d’emplois sont menacés. La multiplicité des prévisions témoigne de la difficulté à estimer l’impact des tech- nologies sur l’emploi. La plupart de ces estimations reposent sur des probabilités 22 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 1.1 Les estimations du pourcentage d’emplois menacés par l’automatisation varient largement % d’emplois menacés par l’automatisation 70 61 (fourchette prévisionnelle) 55 56 50 47 41 40 30 10 7 6 5 5 5 2 États-Unis Japon Lituanie Chypre Ukraine Bolivie Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir de World Bank (2016) ; Arntz, Gregory et Zierahn (2016) ; David (2017) ; Hallward-Driemeier et Nayyar (2018). Note : Les chiffres représentent les estimations les plus hautes et les plus basses du pourcentage d’emplois menacés par l’automatisation dans les économies pour lesquelles plus d’une estimation a été produite par différentes études. Un emploi est menacé si la probabilité qu’il soit automatisé est supérieure à 0,7. développées par les experts de l’apprentissage automatique de l’université d’Oxford. Les experts devaient classer un échantillon de 70 professions tirées de la base de données O*NET utilisée par le département américain du travail en deux catégories : celle des emplois absolument automatisables et les autres (1–0)13. D’après les pre- mières estimations fondées sur ces probabilités, 47 % des emplois étaient menacés d’automatisation aux États-Unis. Ces probabilités basées sur des opinions d’experts sont certes édifiantes, mais certainement pas définitives. De surcroît, utiliser les caté- gories d’emplois définies dans un pays pour estimer les éventuelles suppressions d’emplois dans d’autres pays pose un problème. Les prévisions faisant état des suppressions d’emplois n’intègrent pas de manière exacte les rythmes d’absorption des technologies, qui, le plus souvent, sont d’une lenteur pénible et diffèrent non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi entre les entreprises d’un même pays. Le rythme d’absorption influe donc sur le pouvoir qu’ont les technologies de détruire les emplois. Par exemple, le téléphone portable s’est popularisé plus rapidement que d’autres technologies qui l’ont précédé, alors que l’Internet a été plus lent à s’implanter dans la plupart des cas, particulièrement dans les entreprises du secteur informel. C’est le cas également de la mécanisation dans le secteur agricole. Le faible niveau de mécanisation des pays à faible revenu et de certains pays à revenu intermédiaire est imputable à l’effet conjugué de la per- sistance des barrières commerciales, du coût relativement faible de la main-d’œuvre par rapport aux machines agricoles et du manque d’informations. Même dans l’in- dustrie textile, le coût relativement faible de la main-d’œuvre a retardé l’introduc- tion de la Jenny en France et en Inde. En 1790, la France ne comptait que 900 de ces machines, contre 20 000 en Grande-Bretagne14. Selon le contexte, l’automatisation sera plus ou moins importante d’un pays à l’autre et à l’intérieur des pays. La transformation de la nature du travail | 23 Comment se transforme le travail Il est plus facile d’évaluer l’influence des technologies sur la demande de travail- leurs qualifiés et sur les processus de production que d’en estimer les effets sur les pertes d’emplois. Les technologies modifient les compétences recherchées sur le marché du travail. Les compétences auxquelles les robots ne peuvent se substituer sont de plus en plus précieuses : il s’agit de capacités cognitives générales telles que la pensée critique et de compétences sociocomportementales comme la gestion et la reconnaissance des émotions qui renforcent le travail d’équipe. Les travailleurs dotés de ces aptitudes sont plus adaptables sur les marchés du travail. Les techno- logies bousculent aussi les processus de production en redéfinissant l’organisation traditionnelle des entreprises, en élargissant les chaînes de valeur mondiales et en modifiant la géographie des emplois. Enfin, les technologies changent la façon dont les individus travaillent en favorisant l’émergence de la gig economy dans laquelle les organisations se lient à des travailleurs indépendants par des contrats à court terme. Les technologies bouleversent la demande de trois types de compétences dans le monde du travail. Premièrement, la demande de compétences cognitives et sociocomportementales non routinières est de plus en plus forte dans les économies avancées et émergentes. Deuxièmement, l’on observe un recul de la demande de compétences routinières spécifiques à un emploi. Et troisièmement, la combinaison de différents types de compétences semble de plus en plus rémunératrice. Cette évolution transparaît non seulement dans le fait que de nouveaux emplois se subs- tituent aux anciens, mais aussi dans la modification des profils de compétences des emplois existants (figure 1.2). FIGURE 1.2 Les compétences sociocomportementales sont de plus en plus importantes Job requirements Conditions d’emploi of d’un stagiaire à laHilton Hotel direction de management l’Hôtel Hilton àtrainee in Shanghai, en Chine China Shanghai 1986 2018 上海静安希尔顿酒店招聘启事 Stagiaire de la direction 本五星级酒店是国际希尔顿公司在中国管理的第一个企业,属全独资外资合作 Le service de clientèle des établissements Hilton est toujours 经营。楼高 43 层,客房 800 间,中外餐厅酒吧 8 个,设备极其豪华,位于上 au service de nos clients et collabore avec les membres 海静安区。将在明年年中以后开始营业,届时将成为国际希尔顿公司在世界 50 多个国家,超过 100 个酒店的大家庭中的一员。现在招聘受训管理人员,条件 d’autres équipes. Pour réussir au mieux dans cette tâche, 如下: vous devez démontrer l’attitude, les comportements, 一、 素质:品质优秀,态度良好,勤奋好学。 les capacités et les valeurs ci-après : 二、 年龄:20 岁至 26 岁(1959 年-1966 年出生)。 • Expérience antérieure dans un secteur d’activités axé 三、 文化程度:大学或大专毕业。 四、 外语程度:英语“新概念”第二册以上,会话流利;同时能操其他外语者,优先考虑。 sur le client 五、 健康状况:优良。 • Attitude positive et bonnes capacités de communication 六、 其他:住处最好在静安区附近。 • Engagement à fournir un niveau élevé de service à la clientèle 如具备上述条件,并有意尝试在我酒店取得发展者,请在八月二十、二十一、二十二日三天上午 9:00-11:00,下午 2:00-5:00,带学历证明, 本人近期照片一张和五元报名费, 到茂名北路 • Apparence impeccable 40 号新群中学报名, 如为在职者,应持所属单位许可证明。 • Aptitude au travail individuel et d’équipe • Maîtrise acceptable des TI • Attitude positive et bonnes capacités de • Bonne moralité, volonté d’apprendre communication • 20-26 ans • Aptitude au travail individuel et d’équipe • Licence ou diplôme équivalent • Maîtrise acceptable des TI • Maîtrise de l’anglais • Quatre années d’études universitaires • Bonne santé sanctionnées par un diplôme et deux • Résidence à proximité de l’hôtel années d’expérience Sources : 1986 : Wenhui News, August 17, 1986, http://www.sohu.com/a/194532378_99909679; 2018 : https://www.hosco.com/en/job/waldorf-astoria-shanghai-on-the-bund/management-trainee-front-office. Note : TI = technologies de l’information 24 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Depuis 2001, la proportion d’emplois à des postes exigeant des compétences cogni- tives et sociocomportementales non routinières a augmenté, passant de 19 à 23 % dans les pays émergents et de 33 à 41 % dans les pays développés. Au Viet Nam, dans tous les secteurs d’activités, les travailleurs assurant des tâches d’analyse non routinières reçoivent une rémunération supérieure de 23 % à celle des travailleurs chargés des tâches non analytiques, non interactives et non manuelles  ; les travail- leurs chargés des tâches interpersonnelles gagnent 13 % de plus que les autres15. En Arménie et en Géorgie, la rémunération des capacités de résolution des problèmes et d’acquisition de nouvelles compétences au travail est plus importante de 20 %16. Les robots peuvent accompagner les travailleurs assignés à des tâches non routi- nières exigeant des compétences analytiques, interpersonnelles ou manuelles supé- rieures qui demandent une grande habileté, à l’exemple du travail d’équipe, de la gestion des relations, de la gestion des hommes et de la prestation de soins. Ces activités reposent sur les interactions entre les individus sur la base de connaissances tacites. La conception, la production artistique, la recherche, la gestion des équipes, les soins infirmiers et le nettoyage s’avèrent des tâches difficilement automatisables. Dans la plupart des cas, les robots essaient tant bien que mal de reproduire ces apti- tudes pour être en concurrence avec les hommes. Les machines se substituent plus aisément aux travailleurs quand il s’agit de tâches routinières codifiables. Certaines de ces tâches sont cognitives, comme le traitement de la paie ou la comptabilité. D’autres sont manuelles ou physiques, telles que le maniement d’un appareil de soudage, le montage des pièces ou la conduite d’un chariot élévateur. Voilà des tâches facilement automatisables. En Norvège, l’adop- tion des technologies de l’information et de la communication par les entreprises a été bénéfique aux travailleurs qualifiés chargés de tâches abstraites non routinières, mais néfaste aux travailleurs moins qualifiés qui ont été remplacés17. La combinaison de différents types de compétences est aussi de plus en plus rému- nératrice. L’évolution de la nature du travail exige un ensemble de compétences qui renforcent l’adaptabilité des travailleurs, leur permettant ainsi de passer aisément d’un emploi à un autre. Dans tous les pays, les aptitudes (techniques) cognitives et les compétences sociocomportementales de premier ordre figurent systématique- ment au nombre des attributs les plus chers aux employeurs. Au Bénin comme au Libéria, au Malawi et en Zambie, les employeurs considèrent le travail d’équipe, la communication et la résolution des problèmes comme l’ensemble des compétences le plus important après les compétences techniques18. Même au sein d’une profession donnée, l’impact des technologies sur les aptitu- des nécessaires pour accomplir une tâche évolue, mais pas toujours dans la direction escomptée. Au Chili, l’adoption entre 2007 et 2013 de logiciels sophistiqués en vue de la gestion de la clientèle et des activités commerciales a réduit la demande des travailleurs employés à des tâches abstraites et accru celle des travailleurs assignés à des tâches manuelles routinières. Ce qui a donné lieu à une redistribution des emplois en faveur des travailleurs peu qualifiés dans les secteurs de l’administration et de la production19. C’est dans les économies avancées que l’emploi connaît la croissance la plus rapide, notamment dans les métiers cognitifs spécialisés et les professions moins spécialisées demandant de l’habileté. En revanche, l’on observe un recul de l’emploi dans les métiers semi-spécialisés, comme celui d’opérateur de machine par exemple. Ce pour- rait être l’un des facteurs du creusement des inégalités dans ces économies. Les tra- vailleurs moyennement et peu qualifiés pourraient voir leur rémunération baisser, les premiers en raison de la robotisation, les seconds à cause d’une plus forte concurrence. La transformation de la nature du travail | 25 Les économies émergentes ont été moins étudiées, mais les quelques analyses existantes révèlent une transformation similaire de l’emploi. Dans des pays euro- péens à revenu intermédiaire comme la Bulgarie et la Roumanie, la demande de travailleurs dans des emplois faisant appel à des compétences cognitives non rou- tinières et des capacités interpersonnelles est en hausse, alors que la demande de compétences moindres dans des emplois manuels non routiniers est stable20. Les capacités cognitives routinières sont aussi plus recherchées au Botswana, en Éthio- pie, en Mongolie, aux Philippines et au Viet Nam21. L’on observe un accroissement plus rapide de la demande de compétences cognitives non routinières et de compé- tences interpersonnelles. Les travailleurs hautement qualifiés apparaissent comme les grands bénéficiaires des évolutions technologiques, ce qui est loin d’être le cas des travailleurs moins qualifiés, particulièrement dans les emplois manuels. Certaines autres études soulignent la transformation positive de l’emploi. En Argentine, l’adoption des technologies de l’information et de la communication dans le secteur manufacturier a eu pour effet d’accroître le taux de renouvellement de l’emploi : les travailleurs sont remplacés, des emplois sont supprimés, de nou- veaux emplois sont créés et la proportion de travailleurs peu qualifiés diminue. Les taux d’emploi ont pourtant augmenté à tous les niveaux de qualification22. Les technologies bousculent aussi les processus de production en redéfinissant l’organisation traditionnelle des entreprises et en élargissant les chaînes de valeur mondiales. Ce faisant, elles modifient la géographie des emplois. Ce fut le cas lors d’autres évolutions technologiques. La Révolution industrielle, qui s’est traduite par la mécanisation de la production agricole, l’automatisation du secteur manufacturier et l’accroissement des exportations, a provoqué un exode rural de la main-d’œuvre. L’arrivée des vols commerciaux a favorisé l’essor du tourisme, des destinations locales d’Europe du Nord aux nouvelles stations balnéaires de la Méditerranée. Des milliers de nouveaux emplois ont été créés dans de nouveaux lieux. L’amélioration des technologies de communication transcontinentale conjuguée à la baisse des coûts du transport a étendu les chaînes de valeur mondiales vers l’Asie de l’Est. Pour autant, de nombreux facteurs autres que technologiques entrent aussi en ligne de compte quand il s’agit d’externaliser les services. En 2017, la part de marché des Philippines dans le domaine des centres d’appel a dépassé celle de l’Inde grâce en partie à la faible fiscalité appliquée par le pays. Dans le même temps, les technologies permettent la formation de pôles d’ac- tivités dans les zones rurales sous-développées. En 2009, des petits commerçants ruraux ont commencé à monter en puissance sur la plateforme chinoise Taobao.com Marketplace. Cette plateforme numérique de vente au détail, détenue par Alibaba, est l’une des plus importantes en Chine. Ces pôles d’activités, baptisés « villages Tao- bao », se sont rapidement multipliés, passant de 3 en 2009 à 2 118 dans 28 provinces en 2017. En 2017, la plateforme comptait 490 000 boutiques en ligne. Les produits traditionnels comme les vêtements, le mobilier, les chaussures, les bagages, la maro- quinerie et les accessoires automobiles sont certes les plus vendus, mais les mar- chands élargissent leur offre à des produits de haute technologie tels que les drones. Les plateformes de travail en ligne éliminent bon nombre des barrières géogra- phiques jusque-là associées à certaines tâches. Avec ses 650  000 travailleurs indé- pendants, le Bangladesh représente 15 % de la main-d’œuvre mondiale en ligne23. Fondée en 2016 en Inde, la plateforme Indiez conçoit le travail indépendant en ligne comme un projet d’équipe. Elle utilise un groupe de talents éloignés les uns des autres — pour la plupart des ressortissants de l’Inde, de l’Asie du Sud-Est et de l’Eu- rope de l’Est — qu’elle fait travailler ensemble sur des projets technologiques pour 26 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 des clients du monde entier, à l’instar de la chaîne de pizzerias Domino’s en Inde, et la multinationale Aditya Birla Group. Les Wonderlabs en Indonésie travaillent suivant le même modèle. Enfin, les technologies changent les modes de travail et les conditions d’emploi. L’époque du bon vieux contrat à long terme est révolue, les technologies numériques consacrant l’ère des emplois à court terme, généralement par le biais des plateformes en ligne. Grâce à ce modèle économique, certains types d’emploi sont plus acces- sibles et se prêtent à des aménagements plus souples. L’accessibilité plus grande de l’infrastructure numérique — sous forme d’ordinateurs portables, de tablettes et de smartphones — fournit un terreau sur lequel prospèrent les services à la demande, dont l’éventail varie par exemple de la livraison de produits d’épicerie et des services de chauffeur à des tâches plus sophistiquées comme la comptabilité, l’édition et la production musicale. Asuqu au Nigéria met en relation des inventeurs et d’autres experts avec des entreprises partout en Afrique. Crew Pencil évolue dans le monde du cinéma en Afrique du Sud. Tutorama, en Égypte, rapproche les élèves des répé- titeurs privés. En Russie, les étudiants travaillent comme chauffeurs pour Yandex chaque fois que leur emploi du temps le leur permet. Ils identifient les heures de pointe dans différents points pour transporter le plus grand nombre de passagers. Il est difficile d’estimer la taille de l’économie des petits boulots. Mais les don- nées existantes indiquent que les chiffres sont encore faibles, 0,4 % seulement de la main-d’œuvre d’après les données recueillies en Allemagne et aux Pays-Bas. L’on estime à 84 millions environ le nombre total de travailleurs indépendants dans le monde, soit moins de 3 % de la population active mondiale qui s’élève à 3,5 mil- liards de personnes24. Une personne considérée comme un travailleur indépendant peut aussi avoir un emploi traditionnel. Aux États-Unis par exemple, plus des deux tiers des 57,3 millions de travailleurs dits indépendants possèdent parallèlement un emploi classique, les piges servant à arrondir les fins de mois25. D’après les meilleures estimations, moins de 0,5 % de la population active mondiale participe à la gig eco- nomy, dont moins de 0,3 % de la population active des pays en développement. À maints égards, les transformations de la nature du travail sont plus visibles dans les économies avancées où les technologies sont omniprésentes et les marchés du travail hautement formalisés. Pourtant, les pays émergents font face depuis des décennies aux mêmes changements. Comme on l’a relevé plus haut, en dépit des avancées technologiques, les économies des pays émergents restent profondément informelles — à 90 % dans certains pays à revenu faible et intermédiaire. Il est diffi- cile de venir à bout du secteur informel, si l’on excepte quelques exemples notables en Europe de l’Est. Dans des pays comme El Salvador, le Maroc et la Tanzanie, seul un travailleur sur cinq évolue dans le secteur formel. Dans les économies émer- gentes, en moyenne deux travailleurs sur trois sont dans l’informel (figure 1.3). Cette généralisation de l’informel s’observait déjà avant la vague de transfor- mations technologiques du nouveau millénaire. L’ouvrage de Hernando de Soto intitulé The Other Path : The Economic Answer to Terrorism (2002), a inspiré différents programmes destinés à réduire le secteur informel qui n’ont pas eu l’effet escompté. La raison de cet échec tient au caractère onéreux du cadre réglementaire, du régime fiscal et des dispositifs de protection sociale qui inhibent la croissance des entreprises. Parce que les dernières avancées technologiques brouillent les frontières séparant le travail formel de l’informel, l’on assiste à une sorte de convergence de la nature du travail entre les économies avancées et émergentes. Les marchés du travail deviennent plus fluides dans les économies avancées, alors que le secteur informel La transformation de la nature du travail | 27 FIGURE 1.3 Dans les économies émergentes, deux travailleurs sur trois sont dans le secteur informel (sélection de pays) 100 % de travailleurs du secteur informel 64,7 60 Moyenne, économies émergentes 20 l r re a ïti oc as ie go ie sie u va pa ge gu ro liv én Ha oi ur do ar To ni Né Ni Pé ra Iv Bo m nd M Tu ol d’ ca Ar Ho M Ni te Cô Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données d’enquête sur les ménages et la population active de la Base de données internationale de la Banque mondiale sur la répartition des revenus. Note : La figure présente quelques pays parmi ceux dont les taux d’emploi informel sont les plus élevés. L’individu qualifié de travailleur informel est celui qui n’a pas de contrat de travail, ne bénéficie ni de la sécurité sociale ni d’une assu- rance-maladie, et n’appartient non plus à aucun syndicat. Les estimations sont celles de la dernière année pour laquelle des données sont disponibles pour chaque pays, entre 2010 et 2016. reste omniprésent dans les économies émergentes. Bon nombre des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs à court terme ou temporaires, même dans les économies avancées, sont les mêmes que connaissent les travailleurs du secteur informel. Dans la plupart des pays en développement, la norme est généralement à l’auto-emploi, aux emplois informels rémunérés sans contrat écrit ni couverture sociale, et aux emplois dans des secteurs peu productifs. Ces travailleurs évoluent dans une zone grise réglementaire, la législation du travail ne définissant pas claire- ment les rôles et obligations de l’employeur vis-à-vis de l’employé. Cette catégorie de travailleurs ne jouit très souvent d’aucun avantage. Les salariés ne bénéficient d’aucun régime de retraite, de santé, d’assurance-chômage ni d’aucune des protec- tions offertes aux travailleurs du secteur formel. Ce n’est pas le type de convergence que l’on espérait au XXIe siècle. Tradition- nellement, le développement économique est synonyme de formalisation et cette corrélation transparaît dans la conception des systèmes de protection sociale et les lois du travail. Le contrat de travail rémunéré formel reste le point de départ le plus courant des protections qu’offrent les programmes d’assurance sociale et les régle- mentations fixant notamment le salaire minimum ou le montant de l’indemnité de départ. En raison des évolutions de la nature du travail sous l’effet des technologies, les prestations sociales en faveur des travailleurs n’incombent plus aux employeurs, mais directement à l’État. Ces changements suscitent des questions sur la pertinence même des lois du travail actuelles. 28 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Un modèle simple de transformation du travail La robotisation donnera-t-elle corps à la crainte qu’avaient par le passé les lud- dites de voir les machines se substituer aux travailleurs  ? L’automatisation massive viendra-t-elle fermer la voie de la prospérité par l’industrialisation qu’empruntèrent jadis la Chine, le Japon et le Royaume-Uni  ? Comment les politiques publiques peuvent-elles s’assurer que l’évolution du travail produit un monde à la fois plus prospère et plus équitable ?26 Le coût élevé de la main-d’œuvre par rapport au capital, au-delà d’un certain niveau, incite les entreprises à automatiser la production ou à délocaliser les emplois vers les pays dans lesquels les coûts sont moindres (figure 1.4). Cette réduction des coûts peut se réaliser de façon explicite à l’intérieur de l’entreprise ou implicitement par le jeu de la concurrence sur les marchés. L’accent est mis sur le coût relatif de la main-d’œuvre, et non sur les revenus, parce qu’il peut advenir que les coûts de la main-d’œuvre dans un pays ne cadrent pas avec son niveau de revenus. C’est le cas par exemple dans les pays où la faiblesse du capital humain diminue la produc- tivité des travailleurs, réduisant le potentiel d’exportation, ou encore les pays dans lesquels la réglementation augmente considérablement les coûts de la main-d’œuvre pour les employeurs du secteur formel. Les emplois se déplacent de plus en plus vers les villes des pays en développement en réponse à la mondialisation, ce qui réduit d’une manière générale le coût relatif de la main-d’œuvre (et déplace la courbe à la figure 1.4 vers la gauche). Partout, l’automatisation réduit la demande de travailleurs du secteur manufacturier (d’où la courbe descendante). Elle change aussi la relation générale entre l’emploi industriel et les coûts de la main-d’œuvre parce qu’elle intervient plus rapidement dans les régions où ces coûts sont élevés, en supposant que la perspective de leur diminution soit un atout dans le choix d’une région par rapport à une autre (d’où une réorien- tation des courbes de la figure 1.4 de la gauche vers la droite). Keynes avait compris que l’emploi dans les secteurs traditionnels, particulière- ment l’agriculture, reculerait considérablement au XXe siècle. En revanche, il n’avait pas prévu l’explosion de nouveaux produits que les travailleurs du XXIe siècle pro- duiraient et consommeraient. Plus FIGURE 1.4 L’automatisation et la important encore, il n’avait pas vu mondialisation touchent l’emploi industriel venir la vaste économie des services qui emploierait les travailleurs dans la plupart des pays riches. Les tech- Niveau de l’emploi industriel nologies numériques permettent Automatisation (secteurs traditionnels) aux entreprises de s’automatiser, Mondialisation en substituant les machines aux hommes dans le processus de production, et d’innover, en aug- mentant le nombre de tâches et de produits. L’avenir du travail se joue entre l’automatisation et l’innovation (figure 1.5). Face à Coût relatif de la main-d’œuvre dans le pays l’automatisation, le nombre d’em- plois dans les secteurs traditionnels Source : Glaeser 2018. Note : Les courbes en forme de U renversé traduisent l’observa- baisse. Grâce à l’innovation, de tion constante que le secteur industriel fournit une plus grande nouveaux secteurs et de nouvelles part des emplois dans les pays à revenu intermédiaire ; les pays à revenu élevé ont tendance à se spécialiser dans les services ; tâches apparaissent. D’une manière et les pays à faible revenu comptent une part relativement plus importante d’emplois dans le secteur agricole. générale, l’avenir du travail dépend La transformation de la nature du travail | 29 de ces deux dynamiques. Il dépend FIGURE 1.5 L’automatisation et aussi du niveau de main-d’œuvre et l’innovation détermineront les de compétences qu’exigent ces nou- emplois de demain veaux emplois et tâches. Tous ces facteurs se répercutent à leur tour sur les rémunérations. Emplois dans chaque secteur Au cours de la majeure partie Emplois supprimés Automatisation des 40 dernières années, le capital Innovation dans les secteurs humain a servi de bouclier contre traditionnels l’automatisation, en partie parce que les machines sont moins aptes à reproduire les tâches les plus com- plexes. Les travailleurs moyenne- Emplois restants dans Nouveaux emplois ment et peu qualifiés ont moins pro- les secteurs traditionnels dans les secteurs neufs fité des évolutions technologiques, soit parce que leurs emplois sont Secteurs (selon leur vulnérabilité à l’automatisation) plus vulnérables à la robotisation, soit parce qu’ils sont moins complé- Source : Glaeser 2018. mentaires des technologies27. Note : Dans la figure, les secteurs sont classés des plus vul- nérables au moins vulnérables à l’automatisation, ou des emplois Pour quel résultat ? L’automatisa- faiblement et moyennement spécialisés aux emplois hautement tion a réduit de façon disproportion- spécialisés là où l’on observe une baisse de la demande relative de certains travailleurs moins qualifiés. née la demande de travailleurs peu qualifiés, tandis que les innovations ont généralement profité aux plus instruits. La grande question est de savoir si les travailleurs qui ont vu leurs emplois supprimés par l’automatisation auront les com- pétences requises pour les nouveaux emplois créés par les innovations. La présente étude souligne l’importance du capital humain pour les travailleurs de demain. Il y a tout de même lieu de se rappeler que de nombreuses innovations, à l’instar des chaînes de montage de Henry Ford, ont augmenté la demande de travailleurs peu qualifiés, alors que d’autres comme les montres quartz ont détruit un très grand nombre d’emplois au profit des travailleurs plus qualifiés. L’automatisation et l’innovation sont les conséquences inattendues d’une avan- cée technologique, telle que l’avènement de l’Internet, ou le résultat d’investisse- ments plus ciblés réalisés par des entreprises désireuses soit de réduire les coûts de la main-d’œuvre, soit d’augmenter leurs bénéfices dans de nouveaux marchés. Brider l’innovation par la réglementation aurait plus probablement pour effet de réduire les emplois. Au milieu du XXe siècle, l’automatisation sous la forme des lave-vaisselle et des machines à laver a révolutionné le travail ménager, permettant à des millions de femmes de travailler hors de leurs maisons. Les femmes trouvaient très souvent du travail dans le secteur des services qui s’est, par conséquent, étoffé en offrant encore plus de produits et de services, du café latte à la planification financière, et en favorisant une division encore plus marquée du travail avec par exemple des entraî- neurs personnels d’une part et des opérateurs de marché d’autre part. La principale interrogation concernant le siècle présent est de savoir si un nombre plus important de ces services deviendra échangeable et si les travailleurs du secteur des services s’implanteront dans les mêmes centres urbains que leurs clients. La bataille entre l’innovation et l’automatisation fait aussi rage ailleurs qu’aux États-Unis et dans les régions industrielles d’Europe. Certes, les pays à faibles rému- nérations n’investissent peut-être pas dans le développement d’innovations qui 30 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 réduisent la main-d’œuvre, mais ils importent des économies avancées les idées y relatives. En réalité, la mécanisation de l’agriculture dans les économies émergentes représente la plus importante transformation du travail dans le monde. Les villes dans ces pays doivent créer une pléthore de nouveaux emplois à l’intention des agriculteurs réduits au chômage par l’industrialisation de l’agriculture. La baisse des coûts du transport et de la connectivité (ce qu’il est convenu d’appeler la mon- dialisation) favorise l’expansion de ces marchés urbains du travail, à condition que la généralisation de la connectivité soit plus rapide que l’automatisation de la production des biens marchands. Ainsi, bien que la croissance de l’emploi dans les économies émergentes repose sur les chaînes de valeur mondiales, l’automatisation pourrait bien être un frein à une industrialisation massive des pays africains. La croissance économique spectaculaire qu’ont connue la Chine, le Japon, la Corée et le Viet Nam a commencé avec la mondialisation qui a permis à leurs exportations de soutenir effectivement la concurrence grâce à la faiblesse des coûts de la main-d’œuvre. Ces pays ont choisi d’investir dans l’infrastructure, les zones économiques spéciales et, surtout, le capital humain, ce qui les a dotés d’une main- d’œuvre de qualité qui est en relation avec le monde extérieur. À Shenzhen en Chine, la transformation du secteur manufacturier, qui employait une main-d’œuvre abondante et pas chère, en un pôle de production à forte inten- sité technologique utilisant une main-d’œuvre spécialisée, montre bien le défi que doivent relever les pays en voie d’industrialisation. Ils doivent rivaliser non seulement avec l’industrie capitalistique, au coût de la main-d’œuvre élevé, des riches pays de l’Occident, mais aussi avec les industries d’Asie et d’Europe de l’Est, à forte intensité technologique et à la main-d’œuvre peu coûteuse. Si l’Afrique tarde trop à s’arrimer solidement à la mondialisation, l’industrialisation pourrait ne plus être la voie logique vers la création d’emplois. Cette menace rappelle l’urgence d’investir dans les précur- seurs de la mondialisation que sont l’éducation et l’infrastructure du transport28. Maintenir le modèle actuel reviendrait pour les villes africaines à cantonner l’emploi dans le secteur des services informels à faible rémunération. S’éloigner du modèle existant exige particulièrement d’investir dans le capital humain (figure 1.6). Dans ce cas, les villes africaines deviendraient des économies productrices de ser- vices, qui ne seraient plus tributaires des recettes d’exportations tirées des ressources naturelles et de l’agriculture. FIGURE 1.6 Le capital humain détermine La mondialisation accroît le ren- la productivité et la rémunération dans dement du capital humain par l’aug- les économies émergentes mentation de la productivité de la main-d’œuvre ; certains salariés par- ticipent aux activités d’exportation Nombre de travailleurs potentiels et le déplacement des travailleurs Réglementation vers ces secteurs d’activités accroît Mondialisation et la demande de toutes les catégories automatisation de main d’œuvre (figure 1.6). Cette transformation positive vise à capter l’expérience remarquable d’un État pauvre qui a soudain accès à un volume important d’investissements Productivité du travail dans le secteur formel directs étrangers. Bien entendu, la mondialisation ne s’accompagnera Source : Glaeser 2018. pas toujours d’une augmentation Note : Les lignes verticales indiquent le niveau minimal de produc- tivité que les entreprises jugent optimal pour employer des sala- systématique de la productivité. riés de façon formelle avant de s’engager vers la mondialisation. La transformation de la nature du travail | 31 De même, les avantages qui en découlent ne sont pas uniformément répartis. La mondialisation amplifie les variations de la productivité de la main-d’œuvre. Bien que la productivité des agriculteurs de subsistance soit faible et relativement homo- gène, les retombées de leur participation à l’économie mondialisée sont encore plus mitigées. En investissant de façon significative pour renforcer le capital humain de leurs concitoyens, les pouvoirs publics augmenteront les chances de succès de ces derniers sur les marchés internationaux. Les lignes verticales de la figure 1.6 indiquent le niveau minimal de productivité résultant de l’emploi formel de salariés que les entreprises jugent optimal pour pou- voir s’engager sur la voie de la mondialisation. L’application d’un salaire minimum, des avantages requis, d’autres taxes et réglementations rendra le secteur informel peu attrayant aux yeux des travailleurs les plus productifs, ce qui favorisera la crois- sance de l’économie. Une réglementation constante permettrait dans la plupart des cas à la mondialisation et l’automatisation d’attirer plus de salariés vers le secteur formel en augmentant leur productivité. Cependant, l’effet sur l’emploi formel serait moindre si les contraintes du développement exigeaient des pays qu’ils imposent encore plus de conditions aux entreprises. La mondialisation s’accompagne d’une augmentation des revenus, mais elle peut difficilement réduire le secteur informel si elle doit donner lieu à un renforcement de la réglementation. En réalité, un tel renforcement pourrait même exacerber le secteur informel. Enfin, les décideurs doivent penser à la gestion des risques en raison de l’omni- présence du secteur informel dans les pays en développement et de la forte incerti- tude liée à la nature changeante du travail. La persistance d’un secteur de services informels important met à rude épreuve les systèmes de gestion des risques reposant sur les employeurs. Financer les pensions et d’autres formes d’assurance par les impôts prélevés sur les salaires des travailleurs du secteur formel est peu efficace si ces travailleurs ne représentent qu’une infime proportion de la main-d’œuvre. Des exigences trop importantes découragent aussi la formalisation. Le présent rapport insiste sur la nécessité d’assurer l’inclusion sociale de tous les travailleurs, quels que soient le mode et le lieu de leur emploi. Les pouvoirs publics pourraient essayer de renforcer la protection sociale et réduire les inégalités en fixant les obligations des employeurs en ce qui concerne des avantages tels que le salaire minimum, les soins de santé ou la protection contre les renvois, ou en allouant des subventions y relatives. Ou alors, l’État pourrait intervenir directement au moyen de programmes d’aide sociale et en versant des subventions à l’assurance sociale universelle, ou encore en offrant par exemple aux agents de santé communautaires des emplois dans le secteur public. Ces deux types de politique sociale promeuvent l’équité. Et les deux ont un coût. Du point de vue de l’État, les différents couplages de la réglementation et de l’aide publique produisent le même niveau d’équité. L’aide publique directe génère des coûts de mise en œuvre sous forme de ressources gaspillées et de taux d’imposition plus élevés. Les obligations imposées aux employeurs découragent les recrutements et peuvent, si elles sont trop strictes, creuser les inégalités en augmentant la pro- portion de la population active au chômage ou employée dans le secteur informel. Bon nombre de pays en développement ont tout d’abord choisi d’assurer la redis- tribution sociale en s’appuyant principalement sur la réglementation du marché du travail, en raison du faible coût de distorsion des marchés du travail et de la quasi-incapacité des pouvoirs publics à mener des programmes sociaux. Si l’auto- matisation venait à accroître le coût de la distorsion des marchés du travail et que le 32 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 développement rendait le secteur public plus efficace, les pouvoirs publics devraient abandonner la redistribution réglementée au profit d’une aide sociale plus directe. Le monde du travail de demain est incertain. Les innovations peuvent devancer l’automatisation. La mondialisation pourrait s’accélérer suffisamment pour per- mettre à l’Afrique de mettre l’industrialisation au service de sa croissance et de sa prospérité. En raison pourtant des nombreuses incertitudes qui entourent l’emploi de demain, les pouvoirs publics devraient réviser les politiques qui inhibent la créa- tion d’emplois et privilégier celles qui protègent les personnes vulnérables tout en encourageant l’emploi. Notes   1. De nombreux services ou entreprises en ligne interviennent sur une plateforme ou un « marché biface ». Les plateformes mettent en relation les acheteurs avec les ven- deurs ou les utilisateurs des services avec des prestataires. Voir World Bank (2016).   2. eBay Inc. (2013).   3. Chenet Xu (2015).   4. Freund, Mulabdic et Ruta (2018).  5.  McKinley (1958).  6. Zeng (1973).  7. Taylor (2016).  8. Fédération internationale de la robotique, Francfort, https://ifr.org/.  9. Dauth et al. (2017). 10.  Gregory, Salomons et Zierahn (2016). 11. TASS (2017). 12.  Keynes ([1930] 1963). 13.  Un algorithme fut alors utilisé pour intégrer dans cet échantillon les 632 autres caté- gories professionnelles aux États-Unis, classées en fonction du contenu des tâches. Une profession était jugée en danger lorsque la probabilité qu’elle soit automatisée était supérieure à 0,7 (Frey et Osborne, 2017). 14. Aspin (1964). 15.  World Bank (2014). 16.  World Bank (2015a, 2015b). 17.  Akerman, Gaarder, et Mogstad (2015). 18.  Arias, Santos, et Evans (2018). 19.  Almeida, Fernandes, et Viollaz (2017). 20.  Hardy, Keister, et Lewandowski (2018). 21.  Pour les pays de l’Asie de l’Est, voir Mason, Kehayova, et Yang (2018). Pour les autres, voir World Bank (2016). 22.  Brambrilla et Tortarolo (2018). 23. Aowsaf (2018). 24.  Il s’agit de la somme des différentes statistiques disponibles : 57,3 millions, États-Unis ; 2 millions, Royaume-Uni ; 10 millions, Union européenne ; 15 millions, Inde. Ce sont-là des pays ou régions dans lesquels le travail indépendant est en plein essor. Le nombre total représente probablement une part non négligeable de la population mondiale de travailleurs indépendants. 25. Upwork (2017). 26.  Cette section s’inspire des travaux de Glaeser (2018). 27.  Acemoglu et Autor (2011). Dans les économies avancées, l’automatisation du travail semble toucher principalement les emplois semi-spécialisés, d’où la polarisation des marchés du travail. Ce Rapport indique que, jusqu’à présent du moins, la crois- sance relative de l’emploi dans différentes professions varie grandement d’un pays en développement à l’autre. Dans de nombreux pays, l’on continue d’assister à la montée en puissance des emplois semi-spécialisés. La transformation de la nature du travail | 33 L’éducation rend les pays plus aptes à tirer parti de la mondialisation. Ainsi, les expor- 28.  tateurs prospères des pays en développement ont tendance à exporter des produits de qualité, ce qui demande des compétences correspondantes (Brambilla, Lederman et Porto 2012 ; Verhoogen 2018). Bibliographie Acemoglu, Daron, and David H. Autor. 2011. “Skills, Tasks, and Technologies: Implications for Employment and Earnings.” In Handbook of Labor Economics, Vol. 4, Part B, edited by Orley C. Ashenfelter and David Card, 1043–1171. San Diego, CA: North-Holland. Akerman, Anders, Ingvil Gaarder, and Magne Mogstad. 2015. “The Skill Complementar- ity of Broadband Internet.” Quarterly Journal of Economics 130 (4): 1781–1824. Almeida, Rita K., Ana M. Fernandes, and Mariana Viollaz. 2017. “Does the Adoption of Complex Software Impact Employment Composition and the Skill Content of Occu- pations? Evidence from Chilean Firms.” Policy Research Working Paper 8110, World Bank, Washington, DC. 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Ainsi, parlant de la nature des entreprises, il a relevé que les sociétés de Détroit ne se développaient que dans la mesure où elles pouvaient à moindres frais mener le processus de production de bout en bout à l’intérieur de l’entreprise, sans faire appel à la libre concurrence. En 2018, les entreprises interviennent dans un périmètre plus grand. Les accords de libre-échange et une meilleure infrastructure ont réduit le coût des échanges transfrontaliers, les transactions s’effectuant ainsi là où les coûts sont moindres2. Les nouvelles technologies ont fait baisser les coûts de la communication. Cela étant, les entreprises sont moins verticalement intégrées et les responsables externalisent un plus grand nombre de tâches. Certaines sociétés créent même de nouveaux marchés. À titre d’exemple, JD.com, la deuxième plus grande société chinoise de commerce électronique, compte plus de 170 000 marchands sur sa plateforme, dont bon nombre se trouvent en milieu rural. Les frontières à l’intérieur desquelles évoluent les entreprises se sont progressive- ment élargies. Il suffit de comparer la Ford Motor Company des années 30 avec le Groupe Inter IKEA de 2018 pour voir à quel point ces frontières ont reculé au fil du temps. Henry Ford possédait les fermes ovines qui fournissaient la laine dont étaient revêtus les sièges de ses automobiles. Il était aussi propriétaire des minerais de fer et des charbonniers qui approvisionnaient la gigantesque usine de River Rouge non loin de Détroit. La société se chargeait elle-même de la plupart des transactions liées à la construction automobile en raison des coûts de transaction élevés associés à l’externalisation de la fabrication des pièces automobiles personnalisées. S’agissant d’IKEA, l’intégration verticale à l’intérieur de la Suède a cédé le pas à la mondialisation dans les années 80 et 90. L’internationalisation d’IKEA, fondé en Suède en 1943, a commencé avec l’ouverture de petits magasins en Norvège en 1963, puis au Danemark en 1969. La levée des barrières tarifaires et non tarifaires lui a permis de mettre en place des chaînes de valeur mondiales. Ces chaînes sont devenues des réseaux mondiaux grâce à l’Internet : IKEA achète un grand nombre de ses produits par les enchères en ligne, et des entreprises du monde entier font ainsi partie de son réseau de fournisseurs. L’économiste autrichien Joseph Schumpeter aurait été fier de cette structure, lui qui écrivait en 1942 que «  le capitalisme a besoin d’une vague perpétuelle de des- truction créatrice »3. Il ne se préoccupait pas des possibles suppressions d’emplois, ce qui n’est pas le cas des politiciens. Avec l’expansion des entreprises, le nombre de travailleurs salariés a baissé dans 75 % des pays avancés et 59 % des pays émergents entre 1975 et 20124. En se servant des parts totales de la main-d’œuvre tirées des Penn World Tables, qui intègrent les autoentrepreneurs et les employés du secteur public, la Banque mondiale a observé un recul dans deux tiers des pays d’un échantillon de 76 pays en développement. Les États essaient tant bien que mal de juguler ce recul qu’ils expliquent généra- lement par l’avènement de grandes entreprises. Les politiciens tentent de créer des emplois en finançant des programmes de développement des petites et moyennes entreprises. Mais de tels programmes sont rarement d’un bon rapport coût-effica- cité. Ils sont sous-tendus par l’idée que les petites et moyennes entreprises créent des emplois stables, alors que selon toutes les indications, les grandes entreprises sont les pourvoyeuses du plus grand nombre d’emplois stables dans de nombreuses économies5. La solution idoine serait de laisser libre cours à l’émergence des start-up afin d’encourager la libre concurrence sur les marchés. Les start-up ont besoin d’un 36 La transformation de la nature des entreprises | 37 environnement favorable qui ne fait pas la part belle aux grandes entreprises privées déjà sur le marché (titulaires) et aux entreprises publiques ou encore aux sociétés gérées par des autorités publiques, leurs associés ou leurs proches. Un petit nombre de start-up deviendront les entreprises superstar de demain. Les évolutions technologiques profitent aux entreprises les plus productives dans chaque secteur d’activités, qui polarisent dès lors les ressources. La numérisation est propice à une croissance rapide. Jamalon, une plateforme électronique de vente au détail de livres fondée depuis 2010 à Amman en Jordanie, a réussi avec moins de 100 employés à nouer des partenariats avec plus de 3 000 éditeurs de langue arabe et 27 000 éditeurs de langue anglaise, ce qui lui a permis de fournir 10 millions d’ou- vrages dans la région du Moyen-Orient. L’on assiste à la montée en puissance des plateformes d’échanges à travers le monde, qui ouvrent de nouvelles perspectives de commercialisation des biens et services. L’avènement des grandes entreprises présente de nombreux avantages. Grâce à la numérisation de l’économie, les entreprises se développent plus vite qu’il y a 20 ans. Mais il existe aussi de nombreux dangers. Premièrement, la numérisation des mar- chés donne aux entreprises de nouveaux moyens d’étouffer la concurrence. L’éco- nomiste américain Sherwin Rosen, qui introduisit le concept d’entreprise superstar en 1981, a prédit que les technologies donneraient aux entreprises le pouvoir d’élar- gir leurs marchés ou d’évincer plus aisément la concurrence. Sa prédiction s’est réa- lisée dans de nombreux marchés. Grâce aux technologies, certaines entreprises se sont très vite hissées au sommet, en empêchant d’autres ne serait-ce que de décoller. Deuxièmement, les entreprises mondialement intégrées, qui mènent «  des acti- vités à grande échelle sans actifs massifs »6, posent des difficultés d’ordre fiscal. Il est de plus en plus difficile de déterminer où se crée la valeur tant les entreprises combinent les réseaux d’utilisateurs, d’idées et de production par-delà les frontières. Les entreprises exploitent à leur avantage la création de valeur internationale et sont plus à même de transférer leurs bénéfices vers des territoires à faible fiscalité. La résolution du problème passe par la coordination des efforts au niveau mon- dial. En attendant, les pays peuvent prendre des mesures unilatérales en élargissant le champ de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou en créant de nouvelles taxes pour l’économie numérique. Mais il s’avère difficile d’imposer des biens incorporels comme les données des utilisateurs. Les stratégies classiques d’optimisation fiscale, au moyen notamment des prix de transferts, s’appliquent aussi aisément dans l’éco- nomie numérique. Les entreprises superstar Les grandes entreprises dominent l’économie mondiale : l’on estime que 10 % des entreprises dans le monde génèrent 80 % de tous les bénéfices. Les entreprises supers- tar déterminent les exportations d’un pays. Selon une étude réalisée sur 32 pays en développement, en moyenne, les cinq plus grands exportateurs d’un pays sont à l’origine d’un tiers de ses exportations, de près de la moitié de la croissance des expor- tations et d’un tiers de la croissance induite par la diversification des exportations7. La croissance est particulièrement marquée dans les marchés qui connaissent de rapides avancées technologiques. La réduction des barrières commerciales favorise aussi la croissance des entreprises parce qu’elle leur ouvre l’accès à de nouveaux intrants importés8. La part des exportations (55 % en moyenne) attribuable au pre- mier centile des plus grands exportateurs dans les pays riches est plus importante que celle enregistrée dans les pays pauvres (figure 2.1). 38 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 premier centile des exportateurs est à l’origine d’un volume FIGURE 2.1 Le d’exportations plus important dans les pays riches que dans les pays pauvres 100 Zambie % du premier centile des exportateurs 80 Chili RDP lao Suède Norvège Tanzanie Thaïlande Mexique 60 Danemark Turquie Roumanie 40 Éthiopie Bangladesh 20 Cambodge 6 8 10 12 Log. PIB par habitant (PPA) Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données du Exporter Dynamics Database, version 2.0, décrit dans Fernandes, Freund et Pierola (2016). Note : Les exportations pétrolières (hydrocarbures comme le pétrole, le gaz naturel, le charbon) sont exclues des calculs. PIB = produit intérieur brut ; PPA = parité de pouvoir d’achat. Les grandes entreprises ont un effet positif sur la croissance économique. Elles accélèrent la croissance dans les économies émergentes en déployant les ressources dans d’autres secteurs que l’agriculture de subsistance. Les grandes entreprises sont les premières à adopter les nouvelles technologies. Elles augmentent la productivité globale en modernisant leurs capacités internes pour devenir plus efficaces et sup- planter les entreprises peu productives. Et elles réalisent des économies d’échelle qui réduisent les prix dans l’intérêt des consommateurs. Les grandes entreprises sont la source de la plupart des emplois formels dans une économie. Au cours des dernières années, les entreprises comptant plus de 100 employés pourvoyaient 60 % du nombre total d’emplois en Malaisie, au Myan- mar et au Viet Nam. Au Cambodge, elles étaient la source de plus de 70 % des emplois. C’est le cas aussi dans d’autres régions : les grandes entreprises étaient à l’origine de 53 % de l’ensemble des emplois en Argentine, 46 % en Bolivie, 62 % en République dominicaine et 54 % en Équateur9. En Serbie, les salariés travaillant dans le premier centile des plus grandes sociétés manufacturières représentaient en moyenne un quart du nombre total des salariés, le cinquième centile représentant quant à lui près de la moitié de l’ensemble de la main-d’œuvre10. Cela vaut aussi pour la Roumanie. Les entreprises superstar ont tendance à employer plus de tra- vailleurs parce qu’elles produisent plus tout en faisant appel à une main-d’œuvre moins importante qu’une entreprise quelconque11. Les grandes entreprises ont toujours été les locomotives de la croissance écono- mique. Mais l’avènement des plateformes numériques a modifié cette dynamique. Les plateformes numériques se substituent aux magasins traditionnels et mettent en relation les clients avec différentes enseignes, optimisent les rendements de ces La transformation de la nature des entreprises | 39 dernières et génèrent des recettes pour les propriétaires de plateformes. Les entre- prises utilisent aussi les données tirées de ces plateformes pour réaliser des gains d’efficacité, parfois dans des marchés autres que ceux à l’origine de ces données. JD Finance, compagnie financière affiliée à la plateforme chinoise JD.com Group, intègre les données des transactions tirées de sa plateforme d’échange dans son modèle d’évaluation des prêts. On note un essor des plateformes commerciales dans tous les pays. C’est le cas par exemple de VIPKID, l’une des principales plateformes chinoises spécialisées dans l’éducation créée en 2013, qui met en rapport 500 000 étudiants chinois avec 60 000 enseignants en Amérique du Nord pour des cours d’anglais individuels en ligne. Jumia, fondée en 2012, est une entreprise en ligne nigériane qui a déjà fait sa niche dans 23 pays africains dans lesquels elle livre aux consommateurs du matériel électronique et des produits d’épicerie et de l’industrie de la mode. Flipkart en Inde facilite la vente d’appareils électroniques grand public entre les fournisseurs et les clients. La plateforme fonctionne à l’image d’un marché, faisant fi des frontières des entreprises telles que les décrivait Ronald Coase. On l’a dit plus haut, les plateformes numériques favorisent une croissance rapide. Les exemples abondent de start-up milliardaires bâties sur ces plateformes. Le géant chinois du commerce en ligne JD.com a démarré ses activités de vente au détail dans une petite boutique de la technopole de Zhongguancun à Beijing. En juillet 2018, la plateforme de JD comptait 320 millions d’utilisateurs actifs. Ant Financial, filiale du Groupe Alibaba, est la plus importante fintech au monde. Elle a décollé en l’espace de quelques années grâce aux progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ant utilise les mégadonnées pour décaisser les montants des prêts dans la seconde suivant le dépôt des demandes. Sa formule de prêt en ligne « 3-1-0 » signifie 3 minutes pour la procédure de demande de prêt, 1 seconde pour le traitement de la demande et 0 intervention manuelle. Depuis 2014, plus de 4 millions de petites entreprises chinoises ont bénéficié de ses prêts. Les plateformes numériques offrent aux entrepreneurs des opportunités d’affaires immédiates et créent ainsi des emplois. Depuis 2009, de nombreux pôles de micro-détaillants ruraux ont ouvert boutique sur Taobao.com Markektplace, d’où la multiplication des « villages Taobao » en Chine. Les commerçants des villages Taobao produisent des biens de consommation, des produits agricoles et des travaux artisanaux suivant la spécialité de chacun. Ces villages ont créé plus de 1,3 million d’emplois et ont poussé les jeunes qui avaient migré vers les villes à retourner dans leurs villages pour y créer leurs propres entreprises. Ce type de commerce en ligne ne peut prospérer que si la connexion Internet est fiable et le taux de pénétration des smartphones élevé. Les plateformes multiplient les opportunités d’emplois. En 2018, le secteur des services était le plus important pourvoyeur d’emplois dans plusieurs pays : sa part du nombre total d’emplois dépassait 70 % en Argentine, en Arabie Saoudite et en Uruguay et 80 % dans la RAS de Hong Kong, en Chine, en Israël et en Jordanie. Le foisonnement des plateformes permet aux travailleurs indépendants d’accéder simul- tanément à plus d’une plateforme à des prix modiques. Les consommateurs sont aussi plus disposés à utiliser les services en ligne parce qu’ils leur font confiance, qu’ils se fient à la certification des marques, au capital social numérisé et à la validation par des tiers. Cette confiance des consommateurs amène les plateformes à étendre rapidement leurs activités à d’autres secteurs. Grab, une plateforme de service de véhicules de transport avec chauffeur (VTC) basée à Singapour, a gagné 95 % du marché de l’Asie du Sud-Est avant d’étendre son offre de services à la commande de 40 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 repas en ligne et aux systèmes de paiement. GrabPay offre des moyens de paiement à environ deux tiers des personnes ne possédant pas de compte bancaire dans la région. Certaines plateformes accroissent l’offre de main d’œuvre en proposant un plus grand nombre de nouveaux emplois flexibles dans la gig economy, qui viennent s’ajouter aux emplois traditionnels. Dans la plupart des plateformes, les salariés fixent eux-mêmes leurs heures de travail. Les rentrées supplémentaires qu’obtiennent les titulaires d’emplois d’appoint peuvent leur permettre de stabiliser quelque peu leurs revenus. Le caractère flexible des emplois sur les plateformes permet aussi à un plus grand nombre de femmes de participer à la vie active. Mais ces caractéristiques brouillent les frontières entre les emplois formels et occasion- nels. Si elle est avantageuse dans certains cas, la flexibilité pose tout de même le problème de l’instabilité des revenus et de l’absence des protections associées à la relation classique employeur-employé, à savoir les régimes de retraite, l’assurance maladie, les congés payés. Enfin, les plateformes numériques permettent aux entreprises d’exploiter des capacités physiques et humaines sous-utilisées, transformant ce «  capital mort  » en capital actif. Par exemple, les plateformes de service VTC permettent aux individus de mettre à disposition leur temps libre et leurs véhicules, qu’il s’agisse de véhicules de luxe, de mobylettes ou de tuk tuk, pour se faire de l’argent. Grâce aux sites web de travail indépendant, des analystes-programmeurs sans emploi des régions reculées de la planète peuvent démontrer leur expertise et avoir la possibilité de travailler avec des sociétés à travers le monde. L’avènement de la plateforme numérique d’échanges, dont les activités sont pla- nétaires et l’existence essentiellement virtuelle, et qui fait très souvent fructifier le capital des autres, marque une évolution dans la nature potentielle des entreprises d’une manière générale. La plupart des réglementations ne sont pas encore adaptées à ces changements. Les plateformes évoluent dans un brouillard réglementaire, mais ces entreprises virtuelles se doivent tout de même de respecter un minimum de normes de qualité, de prudence et de sécurité, entre autres principes de politique publique. La confidentialité et la protection des données sont au cœur du débat sur la réglementation en raison du volume considérable de données accumulées, utili- sées et monétisées par ces plateformes d’échanges. Le zonage ou d’autres lois appli- quées aux activités des entreprises peuvent aussi être envisagés. À titre d’exemple, bien que Airbnb détourne fréquemment les touristes des centres urbains et que la plateforme a un effet positif sur les entreprises locales, ses locations ne sont généra- lement pas soumises aux mêmes conditions de zonage ou d’octroi de licence que les autres logements commerciaux. Pourtant, les services de Airbnb peuvent avoir des répercussions sur un voisinage qui ne profite pas du produit des locations. La réglementation prend toute son importance lorsque les plateformes causent une dégradation rapide des conditions de travail. En Indonésie, les chauffeurs de Go-Jek et Grab ont organisé d’importantes manifestations au début de 2018 pour réclamer l’augmentation de leurs tarifs. À la suite de ces manifestations, les pouvoirs publics ont entrepris de réviser les lois pour imposer à ces entreprises de s’enregistrer au même titre que les sociétés de transport, de respecter les règles de sécurité et d’ap- pliquer un prix plancher. Au début de 2018, les tribunaux égyptiens ont ordonné la suspension des activités des plateformes de service VTC Uber et Careem après une plainte des chauffeurs de taxi. Peu de temps après, en mai 2018, le gouvernement a adopté une loi portant réglementation des sociétés VTC, ce qui a permis à Uber et Careem de reprendre leurs activités aux côtés des taxis traditionnels. La transformation de la nature des entreprises | 41 Des marchés concurrentiels Plus besoin d’être physiquement présent dans un marché donné pour y intervenir, particulièrement dans l’économie numérique où les biens incorporels sont repro- ductibles à peu ou pas de frais. La déstructuration des entreprises multiplie les possi- bilités d’expansion, même si parallèlement le risque d’une concentration du marché s’accroît. Il est plus difficile de détecter les comportements anticoncurrentiels dans l’économie numérique. Les effets de réseau profitent en règle générale aux premiers à adopter les nouvelles technologies, ce qui facilite l’apparition de monopoles. Plus il y a de start-up, plus on a de concurrence. Lorsque le cadre des affaires est favorable, certaines start-up connaîtront un formidable essor, créant des emplois. Confrontées à la concurrence, les entreprises moins productives, si elles n’appar- tiennent pas à l’État ou à quelque autre autorité politique, seront évincées du marché12. Un meilleur cadre des affaires favorise l’éclosion naturelle d’un plus grand nombre d’entreprises prospères. Le projet Doing Business de la Banque mondiale définit les exigences réglementaires fondamentales devant permettre à l’initiative privée de prospérer. Ses données ont été utilisées par les chercheurs pour étudier les effets délétères d’une réglementation lourde. Les taux de pauvreté sont plus faibles dans les pays qui appliquent une réglementation favorable à l’activité économique des entreprises13. Un pays qui promeut un tel environnement verra une plus grande activité des start-up et plus de création d’emplois. Lorsque le Mexique a simplifié la procédure d’enregistrement des entreprises, le nombre de nouvelles entreprises a augmenté de 5 % et les emplois rémunérés de 2,2 %14. Des coûts de démarrage élevés peuvent aussi entraîner une faiblesse générale de la productivité. En effet, faute de concur- rence les entreprises déjà sur le marché poursuivront leurs activités sans se préoccu- per des niveaux de productivité. Pour que les marchés soient concurrentiels et les échanges efficaces, il faut une infrastructure de base, à savoir des routes, des ponts, des ports et des aéroports. La réduction des coûts du transport ainsi que la simplification et la réduction du coût des procédures frontalières accroîtront les exportations. La logistique facilite le com- merce en ligne des produits non numériques. À l’ère du numérique, les entreprises doivent impérativement avoir accès au haut débit, car, après tout, les activités de bon nombre d’entre elles reposent en partie, voire entièrement sur l’Internet. L’accès à la téléphonie mobile est loin de suffire ; le haut débit réduit les coûts de transaction jusque dans les marchés les plus reculés dépourvus d’infrastructures de transport. Les populations de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord comptent parmi les plus mal desservies. Bien que la région puisse se targuer d’enregistrer plus de 120 abonnements à la téléphonie mobile pour tous les 100 habitants (l’un des chiffres les plus élevés au monde), elle compte cependant moins de 10 abonnements au haut débit pour 100 habitants, et le nombre d’abonnés à la bande passante est faible. Cela signifie au bout du compte que les populations de ces pays sont certes actives sur les réseaux sociaux, mais les services financiers numériques sont quasi inexistants. Les technologies permettent aux entreprises de pousser leur avantage comparatif en rendant leurs opérations plus efficaces et en les aidant à innover dans la manière de faire les affaires. Teleroute, une plateforme belge, utilise un algorithme qui met en relation les transitaires et les transporteurs de fret en Europe, ce qui a réduit les parcours à vide de 25 %. L’amélioration des connexions permet aussi aux start-up d’externaliser une expertise technique essentielle par l’intermédiaire des plateformes 42 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 de travailleurs indépendants. Upwork, une plateforme américaine, a depuis 2015 mis en rapport 5 milliards d’entreprises avec plus de 12 millions de travailleurs indépen- dants. Sa quatrième communauté de pourvoyeurs de tâches la plus importante se trouve en Ukraine. À une certaine époque, les start-up avaient besoin de centres de données, de systèmes informatiques, de logiciels personnalisés et d’une infrastructure d’aide à l’utilisateur pour prendre en charge les conglomérats. À l’ère du numérique, les entrepreneurs du monde entier ont accès à tous ces services via Internet. L’une des caractéristiques de l’économie numérique est qu’elle engendre des problé- matiques nouvelles en matière de législation de la concurrence, de fusions et d’acqui- sitions d’entreprises et de bien-être des consommateurs. La montée en puissance des plateformes d’échanges suscite des questions quant au pouvoir des marchés (figure 2.2). Les effets de réseau associés à certains produits en ligne profitent très souvent lar- gement aux premiers à adopter les nouvelles technologies, ce qui se traduit par une concentration des marchés et l’apparition des monopoles. En 2017, Safaricom, le plus important opérateur de téléphonie mobile du Kenya avec 80 % de parts du marché, a lancé la première application de paiement mobile du pays, M-Pesa. Une année plus tard, M-Pesa occupait une part égale du marché des paiements mobiles. Quelques fois, les plateformes évincent la concurrence en élevant considérable- ment les frais d’interconnexion des réseaux. Au Zimbabwe, le nombre d’utilisateurs a augmenté de 15 % lorsque les pouvoirs publics ont imposé l’interopérabilité et le partage des infrastructures aux opérateurs des paiements mobiles. Au Pérou, l’auto- rité de régulation des télécommunications a obligé les réseaux de communication les plus importants à offrir les services de messagerie aux banques qui se lançaient dans les opérations de paiement mobile d’argent. D’une manière générale, l’économie numérique pose des difficultés aux déci- deurs. De nombreuses plateformes FIGURE 2.2 Les plateformes numériques évoluent dans des marchés adjacents supplantent leurs concurrents des et multidimensionnels, groupant, ou marchés hors ligne en 2018 du moins, reliant différents types de services. De nouvelles formes de pou- M-Pesa Airbnb Didi Chuxing Plateformes et taille relative de leurs concurrents 100 voir des marchés apparaissent quand une entreprise offre des services gra- hors ligne (taille de la plateforme = 100) tuits sur un marché pour obtenir des 80 données d’utilisateurs qu’elle moné- tise ensuite sur un autre marché. Les 60 enquêtes antitrust doivent s’adapter Marriott à ces nouveaux scénarios et utiliser et de nouvelles règles d’analyse. Hilton 40 Taxis L’évasion fiscale 20 agréés Les entreprises s’affranchissent des Groupe KCB frontières et des actifs physiques, ce 0 qui leur permet de transférer plus Nombre Chambres Nombre de facilement leurs bénéfices vers des d’agences/ (millions chau eurs d’agents dans le (millions paradis fiscaux (planification fiscale et (Kenya) monde) en Chine) optimisation fiscale). Chaque année, des milliards de dollars de bénéfices Plateforme Concurrent hors ligne des entreprises échappent ainsi au Source : Équipe du Rapport sur le dévellopement dans le monde 2019, à partir des données de Safaricom ; KCB Bank Group ; fisc. Le système fiscal international Airbnb ; Mariott International Inc. ; Financial Times. La transformation de la nature des entreprises | 43 gagnerait à se moderniser. Pour l’heure, la question est de savoir comment taxer les entreprises dans l’économie numérique mondialisée et comment répartir la valeur. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime qu’entre 100 et 240 milliards de dollars sont perdus chaque année du fait de l’éro- sion de la base d’imposition et du transfert des bénéfices par les multinationales15. Ce montant représente 4 à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur le revenu des sociétés. D’après d’autres estimations, les multinationales transfèrent près de 40 % de leurs bénéfices vers des paradis fiscaux, ce qui occasionne un manque à gagner de 12 % des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés16. Les pertes varient cependant d’un pays à l’autre. L’Australie, le Brésil, les États-Unis, la France, l’Inde, le Japon, le Mexique ainsi qu’une grande partie de l’Afrique feraient partie des pays les plus touchés par le transfert des bénéfices17. Les législations fiscales comportent de nombreuses failles, créées pour la plupart par les groupes de pression d’entreprises et qui permettent à ces dernières de réduire leurs charges fiscales. Les entreprises peuvent tirer parti de ces vides juridiques pour aug- menter leurs déductions fiscales et transférer leurs bénéfices ailleurs, généralement vers des juridictions qui prélèvent peu ou pas d’impôt sur les sociétés et qu’on qualifie de paradis fiscaux ou de centres d’investissement. Cette pratique n’est ni nouvelle ni illégale, mais elle est rendue plus facile par la nature de l’économie numérique. En 2016, près de 60 % des entreprises figurant dans la liste de Fortune 500 comptaient au moins une filiale dans les Bermudes ou les îles Caïmans qui, toutes deux, appliquent l’impôt zéro sur les sociétés. Les Paradise Papers, ces révélations publiées en fin 2017, dévoilent de nombreux exemples d’évasion et de fraude fiscales18. Le problème qui se pose est que les règles actuelles se fondent à la fois sur le pays d’origine et le pays de résidence. L’origine s’entend de la justification basée sur la situation géographique des activités génératrices de revenus (l’idée du «  lieu où se crée la valeur » qui renvoie à la présence physique de la main-d’œuvre ou du capital). La résidence, elle, désigne le lieu considéré comme le site principal de la société qui perçoit les revenus, qui correspond généralement au lieu où la société a été constituée ou à partir duquel elle est dirigée en fonction du statut du propriétaire dans l’État concerné (résidence, domicile ou citoyenneté-présence physique). Les pays d’origine ont un droit d’imposition prioritaire sur le produit des ventes. Les pays de résidence taxent le produit des placements de fonds liquides effectués par les multinationales. Dans la pratique et en vertu des lois en vigueur, les multinationales paient l’impôt dans les pays abritant leurs filiales et leurs activités. Les entreprises structurent elles- mêmes leur production transfrontalière entre les filiales, déclarant des bénéfices différents pour les différentes filiales, parfois apparemment sans tenir compte de la valeur créée directement par chaque filiale. Il est généralement difficile de détermi- ner quand ces structures sont justifiées et quand elles sont mises en place dans le seul but d’éviter de payer les taxes dans les pays à forts taux d’imposition. Les stratégies d’optimisation fiscale sont nombreuses et il n’est, dès lors, guère surprenant que les entreprises s’en servent. En fait, avec le temps, les bénéfices sont plus sensibles aux différentiels de taxation internationaux et les entreprises perfectionnent d’autant l’évasion fiscale. Certaines manipulent les prix de transfert, abaissant les prix des produits exportés des pays à forts taux d’imposition vers des pays à la fiscalité plus faible, ou relevant les prix des intrants provenant des pays à faibles taux d’imposition. La localisation stratégique de la propriété intellectuelle, le transfert de la dette internationale au moyen des prêts intrasociété, le chalan- dage fiscal et les moratoires fiscaux sont autant de stratégies d’optimisation fiscale. 44 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les taux d’imposition effectifs des sociétés ont une incidence déterminante sur le lieu d’implantation des filiales. Un différentiel de 1 point de pourcentage du taux d’imposition entre deux juridictions diminue de 1 % les bénéfices déclarés d’une filiale avant impôts19. L’on estime que les conventions fiscales ont réduit les recettes fiscales en Afrique de 8,5 % environ dans les pays ayant signé de telles conventions avec des centres d’investissement20. L’économie numérique comporte de nouveaux enjeux. Parce que les entreprises numériques sont essentiellement virtuelles, il leur est plus facile d’implanter leurs activités dans les pays à faible fiscalité. La fourniture de biens et services depuis l’étran- ger sans une présence physique dans le pays où se trouvent les consommateurs est hors de la portée du traditionnel impôt sur les sociétés. Les entreprises numériques peuvent tirer des bénéfices de biens incorporels comme les données d’utilisateurs (étrangers). Il est par conséquent difficile de déterminer où se crée la valeur. En 2016, l’OCDE a publié des recommandations relatives au recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée auprès de fournisseurs étrangers de produits et ser- vices numériques. Depuis lors, plus de 50 pays ont adopté ces principes directeurs recommandés pour l’imposition des ventes directes aux consommateurs des ser- vices et biens incorporels par des prestataires étrangers. Plus récemment en début 2018, le groupe de travail de l’OCDE sur l’économie numérique (qui regroupe plus 110 pays et juridictions) a publié un rapport intérimaire sur les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie et résolu de proposer une solution durable faisant l’objet d’un consensus. Depuis janvier 2015, l’Union européenne prélève une taxe sur la valeur ajou- tée auprès des fournisseurs non-résidents de services de télécommunications, de diffusion et de services électroniques, sans considération de l’échelle de ces acti- vités. Les entreprises non résidentes sont tenues d’appliquer au consommateur le taux d’imposition en vigueur dans son pays, ce qui retire tout avantage comparatif aux entreprises numériques implantées dans les pays à faibles taux de VAT. Grâce à cette nouvelle taxe sur la valeur ajoutée, l’Union européenne a recouvré plus de 3 milliards d’euros. L’Australie a adopté une démarche similaire en juillet 2017. Singapour a annoncé dans son budget de février 2018 qu’une taxe sur les biens et services serait appliquée à compter de janvier 2020 aux services importés, notam- ment les services numériques comme la lecture en transit de musique et de films. D’autres économies avancées comme l'Afrique du Sud, la République de Corée, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Fédération de Russie appliquent des taxes indirectes sur l’économie numérique. Peu d’initiatives ont été prises dans les économies émergentes qui ont pourtant le plus besoin de ces recettes fiscales supplémentaires. En 2017, la Serbie et Taïwan (Chine) ont adopté des modèles qui élargissent leur taxe sur la valeur ajoutée pour englober les prestataires en ligne. En 2018, l’Argentine et la Turquie ont adopté des mécanismes similaires. Les pays comme la Chine, la Malaisie et la Thaïlande révisent actuellement leurs législations fiscales pour y intégrer les revenus du numérique. Subsidiairement, les États pourraient introduire une nouvelle taxe autonome destinée aux fournisseurs étrangers de services numériques. Cette taxe réussirait mieux à cibler directement les fournisseurs étrangers plutôt que les consommateurs nationaux. L’application d’un impôt distinct de l’impôt sur le revenu traditionnel permettrait d’éviter tout conflit avec les accords de double imposition existants. Une taxe séparée viendrait sans doute uniformiser les règles applicables aux prestataires locaux et étrangers des services numériques. S’agissant particulièrement de la VAT, un registre des prestataires non-résidents des services numériques permet d’en accroître le recouvrement. La transformation de la nature des entreprises | 45 En 2016, le Gouvernement indien a introduit une taxe d’égalisation de 6 % sur les recettes de la publicité en ligne que paient les entreprises indiennes aux sociétés non résidentes de commerce en ligne. En mars 2018, la Commission européenne a proposé d’imposer les recettes brutes des activités numériques dans lesquelles les utilisateurs sont les principaux créateurs de valeur. Cette taxe s’appliquerait au produit de la vente d’espaces publicitaires en ligne, aux activités intermédiaires qui permettent les interactions ainsi que la vente de biens et services par les utilisateurs, et à la vente des données. La Commission a estimé qu’un taux de 3 % permettrait de recouvrer 5 milliards d’euros chaque année. Les membres de l’Union européenne doivent encore décider par consensus de l’adoption ou non de cette taxe. Parallèlement à l’adoption de nouvelles règles d’imposition des entreprises numé- riques, la communauté internationale a pris des mesures pour s’attaquer à l’érosion de l’assiette fiscale et au transfert des bénéfices, ainsi qu’à d’autres formes d’évasion et de fraude fiscales aussi bien par les entreprises numériques que traditionnelles. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales regroupe près de 150 pays qui se sont engagés à appliquer les normes de trans- parence et d’échange de renseignements à des fins fiscales convenues au niveau international. De surcroît, le projet contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices mis en œuvre par l’OCDE et le G20 en 2013 rassemble plus de 115 pays résolus à réduire l’évasion fiscale. Le groupe a négocié un vaste ensemble de mesures destinées à réduire le transfert des bénéfices en mettant davantage l’accent sur le principe du pays d’origine. Il en résulte que le lieu de génération des bénéfices imposables peut mieux concorder avec le lieu de création de valeur et les autorités fiscales disposent de meilleures informations. Outre ces initiatives, les mesures suivantes ont été prises pour renforcer l’admi- nistration fiscale : élargir la définition du terme «  établissement stable » pour tenir compte du fait que les sociétés peuvent mener un volume considérable d’affaires dans un pays sans y être physiquement présentes  ; renforcer les règles applicables aux prix de transfert et les mesures contre l’optimisation fiscale, ainsi que les capa- cités d’audit des économies émergentes ; adopter certains aspects de la formulation proportionnelle  ; appliquer des mesures de lutte contre l’optimisation fiscale telles que le renforcement des règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées. Les États prennent aussi des initiatives unilatérales. Grâce aux nouvelles règles anti-détournement adoptées au Royaume-Uni en 2015, les entreprises peuvent payer leurs impôts à l’avance. Ces règles sont censées encourager les entreprises à respecter leurs obligations fiscales traditionnelles. L’Australie a adopté des règles similaires en 2016. Cependant, ces pays disposent déjà de mécanismes de contrôle des prix de transfert et d’un important train de mesures de lutte contre l’optimisation fiscale. La réalité est différente en ce qui concerne les économies émergentes. Elles ont peu de moyens de faire face aux risques de manipulation des prix de transfert, ce qui réduit d’autant l’efficacité de leurs lois contre l’évasion fiscale. Ces pays endi- gueraient mieux l’évasion fiscale s’ils intégraient dans leurs régimes d’imposition des sociétés une règle anti-détournement plus mécanique et plus ciblée. Certains cri- tères minimums fixés dans la loi pourraient déclencher l’application de cette règle. Certains pays appliquent aussi un impôt minimal sur le chiffre d’affaires. Le mécontentement grandissant du public face aux pratiques d’optimisation fis- cale par les multinationales a relancé le débat sur une révision en profondeur de la fiscalité internationale. Certains décideurs ont montré un intérêt marqué pour une répartition proportionnelle générale, même si l’adoption d’une telle formule semble improbable au regard des difficultés qu’il y a à parvenir à un accord global et à 46 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 assurer une mise en œuvre coordonnée. Ce système permettrait de diviser l’assiette fiscale entre les juridictions en fonction du lieu d’implantation des activités de base. Les États devront convenir d’une formule de répartition des bénéfices, généra- lement fondée sur des actifs corporels comme le volume des ventes à des tiers, les actifs, la masse salariale, ou un dénombrement des effectifs dans chaque juridiction. Des pays comme le Canada et la Suisse ont recours à ce système pour répartir les revenus entre les provinces et les cantons. La répartition proportionnelle générale découragerait peut-être le transfert des bénéfices vers des pays à faible fiscalité, mais elle encouragerait d’autres méthodes de transfert des bénéfices. Une autre option consisterait à appliquer un impôt sur le flux de liquidités basé sur la destination (ou un système d’ajustement fiscal à la frontière), qui est sem- blable à une répartition proportionnelle basée exclusivement sur le volume des ventes, sans une consolidation de l’assiette fiscale. Plutôt, les États taxent le revenu net des ventes dans le lieu de résidence de l’acheteur. La communauté internationale continue de prendre des mesures pour pallier les failles du système d’imposition des sociétés d’une manière générale. L’adaptation des systèmes fiscaux à la nouvelle nature des entreprises, particulièrement des plate- formes d’échange, progresse à grands pas, mais beaucoup reste à faire. Notes  1. Coase (1937). Djankov, Freund, et Pham (2010).   2.  Schumpeter ([1942] 2003, 84).   3.  Karabarbounis et Neiman (2013).   4.   5. Freund (2016). Brynjolfsson et al. (2008).   6.  Freund et Pierola (2015).   7.  Goldberg et al. (2010).   8.  Tous les chiffres sont tirés des données des enquêtes sur les entreprises 2014-2017   9.  de la Banque mondiale. 10. Les chiffres sont tirés de la base de données Exporter Dynamics Database, version 2.0, auxquelles s’ajoutent des données actualisées. 11. Freund (2016). 12. Rijkers, Freund, et Nucifora (2017). 13. Djankov, Georgieva, et Ramalho (2018). 14. Bruhn (2011). 15. OECD (2017). 16. Tørsløv, Wier, et Zucman (2018). 17. Beer, de Mooij, et Liu (2018). 18. Les Paradise Papers désignent l’ensemble des 13,4 millions de documents en ligne confidentiels sur des placements offshore communiqués aux médias allemands en fin 2017. Voir la base de données de ces documents sur le site web du Consortium international des journalistes indépendants (http://www.icij.org/investigations/ paradise-papers). 19. Beer, de Mooij, et Liu (2018). 20. Beer et Loeprick (2018). La transformation de la nature des entreprises | 47 Bibliographie Beer, Sebastian, Ruud de Mooij, and Li Liu. 2018. “International Corporate Tax Avoid- ance: A Review of the Channels, Magnitudes, and Blind Spots.” IMF Working Paper WP/18/168, International Monetary Fund, Washington, DC, July 23. Beer, Sebastian, and Jan Loeprick. 2018. “The Costs and Benefits of Tax Treaties with Investment Hubs: Findings from Sub-Saharan Africa.” Working paper, International Monetary Fund, Washington, DC. Bruhn, Miriam. 2011. “License to Sell: The Effect of Business Registration Reform on Entrepreneurial Activity in Mexico.” Review of Economics and Statistics 93 (1): 382–86. 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Pratiquement un quart des enfants âgés de moins de 5 ans souffre de malnutrition. Dans de nombreuses régions, la mémoire de travail et les fonctions exécutives (une attention soutenue par exemple) des enfants pauvres commencent à accuser un retard dès l’âge de 6 mois1. Plus de 260 millions d’enfants et de jeunes à travers le monde ne sont pas scolarisés. Par ailleurs, près de 60 % d’élèves du primaire dans les pays en développement n’atteignent pas le niveau minimal de compétence durant leur apprentissage. Le capital humain est la somme des connaissances, des compétences et de la santé qu’un individu accumule le long de sa vie, et qui lui permettent de réaliser son potentiel en tant que membre productif de la société. Il est source d’importants dividendes pour les individus, les sociétés et les pays. C’était vrai dans les années 1700 lorsque l’économiste écossais Adam Smith a écrit que « l’acquisition des talents pendant l’éducation, les études ou l’apprentissage a un coût réel qui est le capital accumulé par un individu. Ces talents font partie de sa fortune et de celle de la société »2. Ces propos restent vrais en 2018. Pour les individus, une année supplémentaire d’étude accroît les revenus en moyenne. Ces dividendes sont importants dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, particulièrement pour les femmes. Toutefois, le contenu de l’appren- tissage des enfants importe davantage que la durée de leurs études. Aux États-Unis, le fait de remplacer un enseignant médiocre dans une classe du primaire par un enseignant aux compétences moyennes majore le revenu combiné de la vie entière des élèves de cette classe de 250 000 dollars3. En dépit d’une offre plus importante de travailleurs instruits, le rendement des investissements dans l’éducation a augmenté depuis 20004. L’éducation est particu- lièrement rentable lorsque les technologies dotent les individus d’un capital humain élevé qui les aide à s’adapter plus rapidement aux évolutions technologiques. En effet, un travailleur ne réussira que s’il travaille avec les machines et non s’il les craint. Au Mexique, ce sont les travailleurs les plus qualifiés qui ont le plus profité de l’accroissement de la productivité du travail résultant de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994. Le développement de compétences sociocomportementales telles que l’aptitude au travail d’équipe, l’empathie, la résolution des conflits et la gestion des relations enrichit le capital humain d’un individu. Les économies mondialisées et automatisées privilégient davantage les capacités humaines que ne peuvent pas tout à fait repro- duire les machines. Des aptitudes comme le cran ont des retombées économiques qui sont parfois aussi importantes que celles associées aux capacités cognitives. La santé est une composante importante du capital humain. Les individus sont plus productifs quand ils sont en bonne santé. Au Nigéria, un programme de dépis- tage et de traitement du paludisme a entraîné une augmentation de 10 % des reve- nus des travailleurs en seulement quelques semaines5. Une étude réalisée au Kenya a montré que le déparasitage des enfants réduisait les absences à l’école et accroissait 50 Le développement du capital humain | 51 le salaire à l’âge adulte de pas moins de 20 %, le tout grâce à une pilule dont la production et la fourniture coûtent 25 cents6. Dès le bas âge, les dimensions du capital humain se complètent. Une bonne ali- mentation in utero et dans la petite enfance améliore le bien-être physique et men- tal des enfants. D’après des données recueillies au Royaume-Uni, les écoliers qui avaient une alimentation saine avaient remarquablement amélioré leurs résultats en anglais et en sciences7. Par ailleurs, une étude réalisée dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est a révélé que tant les enfants présentant une insuffisance pondérable que les obèses avaient des QI plus faibles que les enfants qui avaient un poids normal8. En Inde, le fait de donner aux enfants de la maternelle des jeux inspirés des mathé- matiques a durablement amélioré leurs capacités intuitives9. Les avantages du capital humain vont au-delà du rendement de l’investissement des particuliers pour s’étendre aux autres individus et d’une génération à l’autre10. Le déparasitage d’un enfant réduit les chances que d’autres enfants soient infectés par les vers, ce qui les met dans les conditions d’un meilleur apprentissage et de salaires plus élevés11. L’éducation de la mère, grâce à de meilleurs soins prénatals, améliore la santé de l’enfant. Au Pakistan, les enfants dont les mamans ont reçu ne serait-ce qu’une année d’éducation passent une heure de plus par jour à étudier à la maison12. La somme des dividendes individuels du capital humain profite grandement aux économies, car plus le capital humain s’accumule, plus les pays sont riches. Le capital humain s’ajoute au capital physique dans le processus de production et constitue un facteur important de l’innovation technologique et de la croissance à terme. Ainsi, des écarts de l’ordre de 10 à 30 % dans le produit intérieur brut par habitant sont imputables à la variabilité du capital humain d’un pays à l’autre13. Ce pourcentage pourrait être bien plus important si l’on tenait compte de la qualité de l’éducation ou des interactions entre les travailleurs à différents niveaux de compétences. Il ne faut pas non plus oublier qu’en générant des revenus plus élevés, le capital humain accélère la transition démographique et réduit la pauvreté. À terme, le capital humain est important pour les sociétés. Au milieu des années 70, le Nigéria a universalisé l’enseignement primaire, ce qui a permis à une grande cohorte d’enfants qui auraient été déscolarisés de faire des études primaires. Des années plus tard, l’on a noté que les membres de cette cohorte participaient davantage à la vie politique. Ils considéraient les informations avec une plus grande attention, discutaient entre eux de politique, assistaient aux réunions communautaires et votaient plus sou- vent que ceux qui n’avaient pas été scolarisés dans le primaire. Les jeunes libanais participant au Programme national de bénévolat, un programme intercommunautaire de formation aux compétences relationnelles, font montre d’un niveau de tolérance générale élevé. Comme l’affirmait la physicienne et chimiste Marie Curie, « on ne peut espérer bâtir un monde meilleur si l’on n’améliore pas les individus ». Le capital humain influence aussi positivement le capital social. Des études ont montré qu’en règle générale les personnes plus instruites font davantage confiance aux autres. D’après certains travaux de recherche, l’introduction de l’école obli- gatoire dans toute l’Europe au milieu du XXe siècle a rendu les populations plus tolérantes à l’égard des immigrants14. Le capital social est, à son tour, corrélé avec une croissance économique plus forte15. En revanche, le fait de ne pas protéger le capital humain met en péril la cohésion sociale. Le capital humain est ce qui souffre en premier quand tout s’écroule. Générale- ment, les guerres empêchent des générations entières de réaliser leur potentiel. Par exemple, entre 2011 et 2017 près de 4 millions de petits Syriens ont quitté l’école à cause de la guerre. Bon nombre ne pourront probablement pas rattraper ces années d’études perdues (figure 3.1). 52 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 3.1 En Syrie, le nombre d’enfants Pourquoi les pouvoirs non scolarisés à cause de la guerre a augmenté entre 2011 et 2017 publics doivent-ils intervenir 4 500 Il arrive que les individus et les Nombre d’élèves (en milliers) familles ne puissent pas supporter 3 500 les coûts de l’acquisition du capital humain. Même lorsque cet inves- tissement est possible, les décisions 2 500 des individus peuvent être influen- cées par l’absence d’informations, 1 500 ou limitées par les normes sociales en vigueur. De même, les individus ne pensent pas nécessairement aux 500 avantages sociaux pour les autres d’une manière générale. Pour ces rai- 2011 2015 2020 2025 2030 sons, les pouvoirs publics ont un rôle Actuel Projeté important à jouer dans la promotion Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde de l’acquisition du capital humain. 2019. De nombreuses familles défavori- Note : Le nombre d’enfants non scolarisés entre 2011 et 2017 est sées veulent investir pour une meil- calculé à partir des estimations de la baisse réelle des taux de scolarisation par rapport aux taux d’avant la guerre et de l’impact leure santé et une meilleure édu- supposé de la guerre sur la scolarisation des élèves. Le scénario à partir de 2018 examine les conséquences à long terme de ces cation de leurs enfants, mais n’en tendances en supposant que les taux de scolarisation retrouvent ont pas les moyens. Il suffit pour progressivement leur niveau d’avant la guerre, et corrige, en ce qui concerne les mouvements de la population des réfugiés, les s’en convaincre de voir comment flux d’entrée et de sortie (dans l’hypothèse qu’ils sont sembla- ces familles dépensent leur argent bles à ceux d’autres situations d’après-conflit). Des hypothèses similaires sont aussi formulées pour les déplacés internes, avec pour un peu que se relâchent les cependant des taux de retour plus élevés au cours des premières années suivant la fin de la guerre. contraintes budgétaires. En Sierra Leone, trois à quatre mois seule- ment après l’introduction d’un programme de travaux publics qui a amélioré leurs revenus, les familles participantes ont sensiblement accru leurs dépenses de santé, principalement en faveur des enfants16. Même en cas de gratuité de l’éducation, le coût du transport et des fournitures scolaires, couplé au manque à gagner lorsqu’un enfant va à l’école au lieu de tra- vailler, rendent l’éducation extrêmement onéreuse. De nombreuses familles rurales pauvres ne peuvent pas trouver le temps de se rendre à l’établissement scolaire ou sanitaire le plus proche. Au Niger, 24 % seulement de la population vivent à une heure de marche du centre de santé le plus proche en saison humide17. Dans ces cas de figure, les interventions publiques sont déterminantes. Les pro- grammes de transfert monétaires ont permis à des millions d’enfants des pays à revenu faible et intermédiaire d’avoir une meilleure santé et une meilleure éduca- tion, même lorsqu’ils ne subventionnaient qu’en partie le coût de la scolarisation. Shombhob, un programme de transferts monétaires conditionnels expérimenté au Bangladesh, a permis de réduire l’émaciation chez les enfants de 10 à 22 mois et de faire prendre conscience aux mères des avantages de l’allaitement maternel18. Et les effets de ces programmes perdurent. Au Malawi par exemple, un programme biennal de transferts monétaires conditionnels ciblant des adolescentes et des jeunes femmes a largement relevé le niveau d’instruction de ces dernières et réduit dura- blement le nombre total de naissances chez les filles non scolarisées au début du programme. Ces résultats se sont maintenus après le programme19. Le développement du capital humain | 53 Ces interventions peuvent amener les individus à investir dans le capital humain en mettant en relief ses effets positifs à terme ou en instaurant des mécanismes qui les obligent à prendre les bonnes décisions. Il peut advenir que de jeunes per- sonnes ne veuillent pas poursuivre leurs études ou prendre soin de leur santé parce qu’elles manquent de discipline personnelle ou ne prennent pas la pleine mesure des avantages que procurent l’éducation et une bonne santé20. Mais recevoir des informations sur le capital humain peut changer radicalement leur comportement. Aux Philippines, un programme d’engagement volontaire ciblant les jeunes propo- sait à ces derniers de leur restituer l’argent qu’ils avaient déposé dans un compte d’épargne si et seulement s’ils réussissaient un test de sevrage tabagique. Grâce au programme, le tabagisme a considérablement baissé21. Les investissements dans le capital humain ont aussi d’importantes répercussions sociales que les parents ont certes souvent du mal à quantifier ou à prendre en compte dans leurs décisions. Quand des parents décident par exemple de déparasiter leurs enfants, ils n’intègrent peut-être pas que d’autres enfants seront probablement proté- gés des parasites. Les parents qui inscrivent leurs enfants dans le cycle préscolaire ne pensent peut-être pas à l’incidence sociale positive que cela aura plus tard, notamment la baisse des taux de criminalité et d’incarcération qui a été corrélée avec les pro- grammes de développement de la petite enfance. Une étude menée en 2010 sur la Perry Preschool, un programme de qualité visant les petits de 3 à 5 ans mis en œuvre dans le Michigan aux États-Unis dans les années 60, a estimé que les dividendes sociaux, au-delà des dividendes de l’investissement des particuliers, étaient de l’ordre de 7 à 12 dollars environ pour chaque dollar investi22. En l’absence d’actions publiques, les familles pourraient ne pas investir suffisamment dans ce type de programmes. L’accès à une éducation de qualité permet de combler les retards dans les capaci- tés cognitives et sociocomportementales qui apparaissent dès la petite enfance. Un enfant de 3 ans dans une famille à faible revenu a entendu 30 millions de mots en moins qu’un enfant du même âge d’une famille plus aisée. Les interventions mises en œuvre à l’adolescence pour combler ce type d’écarts sont plus coûteuses. Les données indiquent que les gouvernements qui choisissent judicieusement d’investir dans le capital humain n’ont pas de meilleure option que de s’y prendre au cours des 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant. Sans ces interventions précoces, la suite risque de n’être qu’une spirale d’inégalités grandissantes. Les investissements publics ultérieurs dans l’éducation et la santé ne profiteront sans doute qu’à ceux qui auront eu un meilleur départ. Les actions publiques visant à encourager les investissements dans le capital humain ne se bornent pas aux dépenses en faveur de la santé, de l’éducation et des programmes de protection sociale. Au Népal par exemple, les investissements dans l’assainissement contribuent largement à prévenir l’anémie23. Les programmes de logement améliorent les résultats des personnes les plus défavorisées dans le domaine de l’éducation et sur le marché du travail parce que la qualité des per- sonnes avec lesquelles elles sont en relation change. La proximité précoce de voisins mieux lotis influencera très fortement les enfants. Pourquoi les mesures sont-elles importantes Les gouvernements jouent un rôle crucial dans le développement du capital humain : en tant que source de financements et prestataires de santé et d’éducation dont la responsabilité est d’assurer un accès équitable aux opportunités ; et en tant que régulateurs chargés de l’accréditation des prestataires privés et du contrôle de la qualité des prestations. Très souvent pourtant, ils manquent à leurs obligations. La 54 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 plupart des gouvernements allouent une part non négligeable de leurs budgets à l’éducation et la santé, mais les services publics sont généralement d’une médiocrité telle qu’ils ne peuvent produire du capital humain. Il arrive que ces services lèsent uniquement les pauvres. Il arrive qu’ils lèsent tout le monde, et dans ce cas les riches choisissent tout simplement de se tourner vers le privé. La faiblesse de la qualité persiste pour deux raisons. Premièrement, mettre en œuvre de bonnes politiques n’est pas toujours bénéfique sur le plan politique. Deuxièmement, les administrations n’auront peut-être pas la capacité ni la moti- vation nécessaire pour traduire les bonnes politiques en programmes efficaces. Si la santé publique n’est pas une priorité politique jusqu’à la survenance d’une crise sanitaire, les politiciens n’ont guère de raisons de s’armer contre de futures pandé- mies. Même lorsque les politiciens et les électeurs conviennent de l’importance d’une question, ils peuvent ne pas s’accorder sur la solution. Financer les programmes de santé publique en augmentant l’impôt ou en réaffectant les ressources allouées à des dépenses plus concrètes, sur l’infrastructure ou les subventions publiques par exemple, est rarement une mesure politique populaire. En 2012, le gouvernement nigérian s’est heurté à une forte opposition lorsqu’il a voulu annuler la subvention au carburant pour accroître l’enveloppe destinée aux services de santé maternelle et infantile. La presse s’est largement fait l’écho de la mesure impopulaire et ne s’est pas intéressée outre mesure à l’urgence d’une expan- sion des soins de santé primaires. La subvention fut donc rétablie à cause de l’hostilité du public. Dans certains pays, ce type de réaction aux velléités de changement peut être le fait des puissants groupes dont les intérêts sont menacés par les réformes. Dans d’autres, c’est le contrat social qui est en cause : les citoyens ne font pas confiance aux autorités et répugnent donc à payer des impôts qu’ils craignent de voir dépenser à des fins imprévues. Aussi les pouvoirs publics préfèrent-ils dépenser sur les aspects politi- quement visibles du capital humain tels que la construction des écoles et des hôpitaux, au détriment d’aspects plus abstraits comme la qualité et la compétence des ensei- gnants et des agents de santé. Lorsqu’ils sont en campagne, les politiciens promettent plus volontiers de nouvelles écoles ou de nouveaux hôpitaux, et abordent rarement des sujets comme les niveaux d’éducation ou les taux de retard de croissance. Parce qu’il faut parfois des années pour percevoir les gains économiques de l’in- vestissement dans le capital humain, les politiciens ont tendance à penser à des moyens plus rapides de rehausser leur image. Certes, les individus ayant une édu- cation de base sont mieux rémunérés que ceux qui n’ont aucune instruction, mais les dividendes sur le marché du travail de cette éducation de base ne se récoltent que 10 à 15 ans après les investissements initiaux. C’est encore plus vrai pour les investissements dans l’éducation de la petite enfance. En Jamaïque, la stimulation psychologique des tout petits entraîne un accroissement des revenus de 25 %, mais ces gains ne sont visibles que 20 ans après24. Le domaine du développement de la petite enfance offre le meilleur exemple de la manière dont les complexités techniques et politiques entravent les actions en faveur du capital humain. Les spécialistes s’accordent généralement à dire qu’il est très rentable d’investir dans les enfants. Mais divers obstacles empêchent d’investir ainsi à grande échelle. Premièrement, comme on l’a relevé plus haut, il faut du temps pour que ces investissements profitent à la société. Deuxièmement, des services doivent être fournis de façon synergique sur une courte période pendant le cycle de vie d’une personne. Troisièmement, plusieurs administrations participent aux investissements dans la petite enfance. Néanmoins, les expériences des pays comme le Brésil, le Chili ou la Colombie montrent qu’il est possible de mettre en œuvre à Le développement du capital humain | 55 grande échelle des politiques de développement de la petite enfance. Le programme Chile Crece Contigo (le Chili grandit avec vous) lancé en 2006 est une référence pour les pays à revenu intermédiaire désireux d’investir dans les enfants sur une grande échelle. Ce programme chilien de développement de la petite enfance intègre des services de santé, d’éducation et de protection sociale en faveur des jeunes enfants et combine des programmes universels et ciblés. Des évaluations rigoureuses encou- ragent la demande d’un engagement des pouvoirs publics. Les administrations chargées de la mise en œuvre des politiques de développement du capital humain n’ont généralement pas la capacité ou la motivation nécessaire pour le faire efficacement. Les enquêtes de la Banque mondiale sur les indicateurs de pres- tation des services, réalisées dans sept pays d’Afrique subsaharienne (qui représentent globalement près de 40 % de la population du continent) ont révélé qu’en moyenne, 3 enseignants sur 10 en quatrième année du primaire ne maîtrisent pas le programme de langue qu’ils enseignent. La note positive est que d’après ces enquêtes, 94 % des enseignants kenyans maîtrisent leurs programmes. Les résultats des enquêtes sont tout aussi mitigés en ce qui concerne les établissements de soins de santé : 80 % des médecins kenyans peuvent diagnostiquer correctement une affection simple comme l’asphyxie néonatale, alors que moins de 50 % de médecins nigérians en sont capables. Mieux mesurer les résultats permet de mettre en lumière les insuffisances poli- tiques et administratives qui sont à l’origine de la prestation sous-optimale des ser- vices sociaux. L’information est primordiale pour encourager les citoyens à être plus exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants et des prestataires de service. En Ouganda, la publication de fiches d’évaluation de la performance des établissements de santé locaux a poussé les communautés à demander instamment une réforme de la pres- tation des services. Grâce à ces pressions, les résultats dans le domaine de la santé se sont améliorés durablement, avec notamment la réduction de la mortalité chez les enfants de moins de 5 ans. De meilleures mesures permettent aussi aux décideurs politiques de mieux prendre conscience de l’importance d’investir dans le capital humain, ce qui les pousse à agir. Twaweza, une organisation tanzanienne, a réalisé une enquête dans le but d’évaluer les compétences de base des élèves en lecture et écriture ainsi qu’en calcul. Les résultats désastreux, publiés en 2011, ont montré que seuls 3 élèves sur 10 en troisième année du primaire maîtrisaient le calcul du niveau de deuxième année du primaire, et ceux qui étaient capables de lire une histoire du niveau de deuxième année étaient encore moins nombreux. Les Indicateurs de prestation des services de la Banque mondiale, rendus publics à peu près à la même période, ont mis en évidence l’incompétence et l’absentéisme chronique des enseignants en Tan- zanie. Les résultats de ces deux études ont provoqué un tollé général dans le pays et les autorités ont, par conséquent, lancé l’initiative baptisée Big Results Now dans le but d’assurer le suivi de l’apprentissage et de pallier les insuffisances relevées. Des résultats concrets sont déjà visibles. Même lorsqu’un gouvernement est tout à fait désireux d’investir dans le capi- tal humain, il faut plus d’informations pour concevoir et exécuter des politiques tant économiques qu’efficaces. Le Pérou et le Viet Nam ont tous les deux mis en œuvre des politiques ambitieuses de développement du capital humain. Mais seule une mesure complète des facteurs de l’apprentissage individuel permettra de com- prendre l’origine des disparités entre ces deux pays. Une fois les écarts identifiés, des politiques publiques d’un bon rapport coût-efficacité doivent être formulées et mises en œuvre à grande échelle. 56 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Le Projet sur le capital humain Des mesures crédibles des résultats dans les domaines de l’éducation et de la santé soulignent l’importance du capital humain au niveau local, national et mondial. Ces mesures poussent les populations à demander des interventions visant le développe- ment du capital humain lorsque l’action publique en la matière est insuffisante. Des mesures de qualité sont essentielles pour mener des projets de recherche et d’étude qui vont éclairer la formulation de politiques qui améliorent le capital humain. C’est dans cette optique que la Banque mondiale a lancé son Projet sur le capi- tal humain, un programme de sensibilisation, de mesure et d’analyse censé faire prendre conscience des besoins en matière de développement du capital humain et accroître la demande d’interventions y relatives. Le projet s’articule autour de trois composantes, à savoir 1) une mesure métrique pour tous les pays — l’Indice de capital humain, 2) un programme de mesure et de recherche destiné à éclairer l’action publique, et 3) un programme d’appui aux stratégies définies par les pays pour accélérer les investissements dans le capital humain. La première étape du projet consiste en la définition d’une mesure internatio- nale qui permet de comparer certaines composantes du capital humain d’un pays à l’autre25. Le nouvel indice mesure le niveau de capital humain qu’un enfant né en 2018 peut espérer atteindre à l’âge de 18 ans au regard des risques en matière d’éduca- tion et de santé propres au pays dans lequel il est né. L’indice est censé mettre en relief la manière dont l’amélioration des résultats dans le domaine de l’éducation et de la santé aujourd’hui influe sur la productivité de la prochaine génération de travailleurs : cela suppose que les enfants nés en une année donnée bénéficient des possibilités de formation et sont exposés aux risques de santé actuels sur les 18 prochaines années. Privilégier la fin, et non les moyens comme la dépense ou la réglementation, permet de se concentrer sur le plus important, à savoir les résultats. Cela renforce aussi la pertinence de l’Indice de capital humain pour les décideurs qui conçoivent et mettent en œuvre les interventions destinées à améliorer les résultats à moyen terme. L’indice suit la trajectoire d’un enfant né en une année donnée jusqu’à l’âge adulte. Dans les pays pauvres, cet enfant a de grandes chances de ne même pas atteindre ses cinq ans. Quand bien même il atteindrait l’âge d’être scolarisé, il risque encore de ne pas être inscrit à l’école, voire d’aller au bout des 12 années d’études réglementaires dans les pays riches. Le temps qu’il passe à l’école peut se traduire ou non par un apprentissage, en fonction de la qualité des enseignants et des écoles et du soutien que lui apporte sa famille. Passé l’âge de 18 ans, il porte les marques irréversibles de la mauvaise santé et de la malnutrition de l’enfance qui limitent ses capacités physiques et cognitives en tant qu’adulte. L’Indice de capital humain quantifie les principales étapes de la trajectoire de l’enfant en ce qui concerne l’incidence sur la productivité de la prochaine génération de travailleurs. Il a trois composantes : 1) la mesure de la probabilité de survie de la naissance jusqu’à l’âge scolaire (5 ans) ; 2) la mesure des années escomptées d’une scolarité de qualité, qui prend en compte l’information à la fois sur la quantité et la qualité de l’éducation (figure 3.2, panneau a) ; et 3) deux grandes mesures de la santé, à savoir les taux de retard de croissance (figure 3.2, panneau b) et les taux de survie à l’âge adulte. La survie jusqu’à l’âge de 5 ans est mesurée sur la base des taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans compilés par le Groupe interinstitutions des Nations Unies pour l’estimation de la mortalité infantile. Pratiquement tous les enfants sur- vivent de la naissance à l’âge scolaire dans les pays riches. Dans les pays pauvres en revanche, au moins 1 enfant sur 10 n’atteint pas sa cinquième année. Le décès de Le développement du capital humain | 57 FIGURE 3.2 L’apprentissage et le retard de croissance sont deux composantes de l’indice de capital humain a. Formations 600 Singapour Note aux tests harmonisés Fédération de Russie Viet Nam 500 Chine Kenya Turquie Thaïlande Mexique Philippines Colombie Argentine 400 Indonésie Bénin Mozambique Côte d’Ivoire Maroc Malawi Inde Afrique du Sud 300 6 8 10 12 Log. PIB réel par habitant (PPA) b. Retard de croissance 100 Chine Turquie % d’enfants de taille normale Colombie Thaïlande Maroc Mexique 80 Côte d’Ivoire Viet Nam Kenya Afrique du Sud Philippines Bénin Indonésie Malawi Inde 60 Mozambique 40 6 8 10 12 Log. PIB réel par habitant (PPA) Sources : Les notes des tests harmonisés sont tirées de Patrinos et Angrist (2018) ; les données sur le retard de croissance proviennent des estimations conjointes de l’UNICEF, l’OMS et la Banque mondiale sur la malnutrition infantile, complétées par les données fournies par les équipes-pays de la Banque mondiale. Note : PIB = produit intérieur brut ; PPA = parité de pouvoir d’achat. ces enfants n’est pas seulement une tragédie, c’est aussi la perte d’un capital humain qui ne sera jamais réalisé. La quantité d’éducation est mesurée comme le nombre d’années d’études qu’un enfant peut espérer effectuer jusqu’à son 18e anniversaire, compte tenu des taux de scolarisation au niveau de chaque année d’études et en supposant qu’il commence l’école maternelle à 4 ans. Les meilleurs résultats possibles ne sont envisageables que si les enfants totalisent 14 années d’études, jusqu’à leurs 18 ans. Bon nombre de pays riches se rapprochent de cette cible grâce aux taux de scolarisation élevés enregistrés à tous les niveaux du système scolaire. Dans les pays pauvres cependant, les enfants ne peuvent prétendre qu’à faire la moitié de ces 14 années. Le Groupe de la Banque mondiale et ses partenaires sont en train de développer une nouvelle base de données complète sur les notes des élèves aux tests de niveau 58 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 internationaux dans 160 pays pour comparer le contenu des formations des enfants. La base de données harmonise les résultats des programmes d’évaluation internatio- naux et régionaux afin de les rendre comparables. Pour la première fois, l’appren- tissage peut être mesuré dans quasiment tous les pays à l’aide de critères identiques. Les différences en matière d’apprentissage sont énormes. Les notes des évalua- tions au niveau des pays sont en moyenne de 600 environ pour les pays les plus performants et de 300 pour ceux dont les performances sont moins bonnes. Pour mieux comprendre ces chiffres, on dira qu’une note de 400 environ correspond au niveau de compétence minimum défini par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), le programme le plus important en matière d’évaluation des performances des systèmes éducatifs. Moins de la moitié des élèves des pays en développement atteint ce niveau minimum, contre 86 % d’élèves dans les économies avancées. À Singapour, 98 % d’élèves atteignent le niveau de référence international pour les compétences de base dans le secondaire ; en Afrique du Sud, 26 % d’élèves seulement atteignent ce niveau. Cela signifie donc en substance que tous les élèves du secondaire à Singapour sont prêts pour l’enseignement supérieur et le monde du travail, alors que pratiquement trois quarts des élèves sud-africains ne le sont pas. Il n’existe dans le domaine de la santé aucun indicateur mesuré directement et facile à obtenir qui soit comparable au nombre d’années de scolarité comme mesure du niveau d’instruction. Pour pallier cette absence, deux indicateurs indirects du cadre sanitaire général sont utilisés pour cette composante de l’indice : les taux de survie à l’âge adulte et le taux de retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans. Les taux de survie à l’âge adulte sont utilisés comme un indicateur indirect de l’ensemble des problèmes de santé non fatals dont un enfant né en une année donnée est susceptible de souffrir en tant qu’adulte si la situation actuelle perdure dans l’avenir. Le taux de retard de croissance mesure la proportion d’enfants anor- malement petits pour leur âge. Il est généralement considéré comme un indicateur indirect du cadre sanitaire prénatal, néonatal et dans la petite enfance et résume les risques pour la santé auxquels les enfants sont susceptibles d’être exposés pendant leurs tendres années — et qui auront des répercussions importantes sur leur santé et leur bien-être à l’âge adulte. Les composantes du capital humain en matière d’éducation et de santé qui viennent d’être décrites ont une valeur intrinsèque qui est sans aucun doute importante, mais qui est tout aussi indéniablement difficile à quantifier. Pas facile donc de combiner ces composantes dans un indice unique qui rend véritablement compte de l’apport de chacune dans le capital humain. Bon nombre des indices de capital humain et de développement humain actuels sont obtenus par l’agrégation aléatoire de leurs com- posantes. En ce qui concerne les composantes de l’Indice de capital humain, elles sont tout d’abord transformées en une mesure de leurs contributions respectives à la pro- ductivité du travailleur par rapport à une référence correspondant à une éducation complète et une santé parfaite. Cette démarche s’inspire des écrits sur la comptabilité du développement26. L’importance des contributions de l’éducation et de la santé à la productivité des travailleurs est longuement traitée dans les nombreux documents de microéconomie estimant les dividendes de l’éducation et de la santé. Parce que l’Indice de capital humain se mesure en termes de productivité de la prochaine génération de travailleurs par rapport à la référence qui est une éducation complète et une santé parfaite, les unités de l’indice s’interprètent naturellement : une valeur x pour un pays signifie que la productivité en tant que futur travailleur d’un enfant né en une année donnée dans ce pays n’est qu’une fraction x de ce qu’elle pourrait être au regard du niveau de référence (tableau 3.1). Cette productivité Le développement du capital humain | 59 TABLEAU 3.1 Mesurer la productivité du travailleur de demain que sera l’enfant né en 2018 Productivité maximale = 1 Pays situé dans le 25 percentile e 50e percentile 75e percentile Composante Pour la composante X la valeur est de Composante 1 : Survie 1 Chances de survie jusqu’à 5 ans 0,95 0,98 0,99 A Contribution à la productivité 0,95 0,98 0,99 Composante 2 : scolarité Années de scolarité escomptées 9,5 11,8 13,1 Note de test (sur 600 environ) 375 424 503 2 Années de scolarité de qualité 5,7 8,0 10,5 B Contribution à la productivité 0,51 0,62 0,76 Composante 3 : santé 3 Proportion d’enfants de taille normale 0,68 0,78 0,89 4 Taux de survie à l’âge adulte 0,79 0,86 0,91 C Contribution à la productivitéa 0,88 0,92 0,95 Indice de capital humain globalb 0,43 0,56 0,72 Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Note : La « contribution à la productivité » mesure l’apport de chaque composante de l’indice ainsi que de l’indice global lui- même à la productivité future attendue du travail d’un enfant né en 2018 par rapport à la référence qui est une éducation complète et une parfaite santé. Une valeur égale à x signifie que la productivité n’est qu’une fraction x de ce qu’elle serait dans des conditions d’éducation et de santé optimales. Les estimations des contributions à la productivité se trouvent dans les données microéconomiques sur le rendement de l’éducation et de la santé. Les « années de scolarité de qualité » désignent la note d’un pays à un test de niveau par rapport à la meilleure note mondiale, multipliée par le nombre d’années d’études escomptées dans le pays. a. « C » est calculé comme la moyenne géométrique des contributions des numéros 3 et 4 à la productivité. b. A × B × C. future est divisée en contributions des trois composantes de l’indice, chacune étant aussi exprimée en termes de productivité par rapport au niveau de référence. Les trois composantes sont enfin multipliées pour trouver la valeur générale de l’indice. Les écarts dans le capital humain ont d’importantes répercussions sur la produc- tivité des travailleurs de demain. Dans un pays qui se situerait vers le 25e percentile de la répartition pour chaque composante, un enfant né en 2018 ne sera productif qu’à 43 % par rapport à un enfant qui aurait eu une éducation complète et jouirait d’une parfaite santé. L’indice, du fait de ses unités, peut être relié directement à des scénarios sur le revenu par habitant et la croissance futurs. Imaginons un scénario de statu quo dans lequel le nombre attendu d’années de scolarisation de qualité et de niveau de santé, tel que mesuré dans l’indice pour une année donnée, persiste dans le futur. Au fil du temps, les nouveaux venus dans le monde du travail ayant le niveau d’éducation et de santé correspondant au scénario de statu quo vont se substituer aux travailleurs actuels, jusqu’à ce que l’ensemble de la population active de demain ait finalement le nombre d’années d’éducation de qualité et de niveau de santé décrit dans l’actuel indice de capital humain. Il est alors possible de comparer ce scénario avec un autre dans lequel toute la population active bénéficie d’une éducation complète et jouit d’une santé parfaite. À terme, le PIB par habitant dans ce scénario est plus élevé que dans le scéna- rio de statu quo en raison de deux facteurs : les effets directs d’une plus grande 60 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 productivité des travailleurs et les effets indirects qui traduisent les investissements plus importants consentis dans le capital physique parce que les travailleurs sont plus productifs. En combinant ces effets, un pays ayant un indice de x aura à terme un PIB par habitant dans le scénario de statu quo qui n’est qu’une fraction x de ce qu’il serait dans le cas d’une éducation et d’une santé optimales. Ainsi, un pays dont l’indice est de x = 0,5 aurait à terme un revenu par habitant deux fois plus important que dans le scénario de statu quo si ses citoyens avaient le bénéfice d’une éducation complète et d’une parfaite santé. L’incidence sur les taux moyens de crois- sance annuelle dépendra de l’échéancier. Dans le cas où 50 années, ou environ deux générations, sont nécessaires pour que ces scénarios deviennent réalité, alors le doublement du revenu par habitant dans le futur par rapport à une situation de statu quo correspond approximativement à 1,4 point de pourcentage de croissance supplémentaire par année. L’indice mesure le niveau de capital humain auquel un enfant moyen né en 2018 peut prétendre (figure 3.3). Les valeurs moyennes cachent cependant d’importantes variations. Il est possible de faire une ventilation par sexe de la plupart des compo- santes de l’indice dans la majorité des pays. Cela permet notamment de mieux voir les disparités dans les possibilités offertes aux garçons d’une part et aux filles d’autre part. Il n’est certes pas possible de le faire de manière systématique dans un grand nombre de pays à la fois, mais pour certains pays disposant de données suffisantes, les différences dans les composantes de l’indice d’une région à l’autre et entre les divers groupes socioéconomiques peuvent aussi être mises en évidence. L’Indice de capital humain présenté au tableau 3.2 est le premier du genre. Il comporte des limites propres à toute étude comparative des pays et les prochaines versions pourront être améliorées et étoffées. Des composantes de l’indice comme le retard de croissance et les tests de niveau sont mesurées de façon irrégulière dans certains pays et jamais dans d’autres. Les données sur les tests de niveau sont tirées des programmes internationaux d’évaluation des performances dans lesquels l’âge des enfants évalués ainsi que les sujets varient. Les résultats de ces évalua- tions des performances ne rendent peut-être pas fidèlement compte de la qualité de l’ensemble du système éducatif d’un pays dans la mesure où les élèves évalués ne sont pas représentatifs de toute la population d’écoliers. Des mesures fiables de la qualité de l’enseignement tertiaire n’existent pas encore, en dépit de l’importance des études supérieures pour le capital humain dans un monde en rapide mutation. Les données sur les taux de scolarisation, indispensables pour estimer le nombre d’années d’études attendues, sont parfois lacunaires et publiées avec d’importants retards. Les compétences sociocomportementales ne sont pas explicitement prises en compte. Les estimations des taux de survie des adultes sont imprécises dans les pays où les registres de l’état civil sont incomplets ou inexistants. L’indice a notamment pour objectif d’appeler l’attention sur ces lacunes et de sti- muler l’action afin d’y remédier. Améliorer les données est une entreprise de longue haleine. En attendant et compte tenu de ces insuffisances, il convient d’interpréter avec prudence les notes des pays dans l’indice. Certes, l’indice estime l’incidence de l’éducation et de la santé aujourd’hui sur la productivité des travailleurs de demain, mais il est loin de mesurer avec précision les petites différences entre les pays. Il rend compte des réalisations et ne constitue nullement une liste de contrôle des interven- tions publiques. La forme et l’ampleur des interventions requises pour développer le capital humain diffèrent d’un pays à l’autre. Les données sur les résultats en matière d’éducation et de santé sont de plus en plus disponibles, mais des efforts doivent encore être faits. Par exemple, les aptitudes Le développement du capital humain | 61 FIGURE 3.3 L’indice de capital humain 2018 1,0 Singapour Rép. de Corée Japon RAS de Hong Kong, Chine Irlande 0,8 Allemagne Israël États-Unis Serbie Productivité par rapport au niveau maximum Fédération de Russie Bulgarie Malte Luxembourg Chine Chili Viet Nam Bahreïn Émirats arabes unis Ukraine Mexique Turquie Oman Géorgie Argentine Qatar Arabie Saoudite 0,6 Colombie Thaïlande République kirghize Moldova Koweït Pérou République islamique d’Iran Brésil Philippines Tajikistan Liban Nicaragua Kenya Algérie Indonésie Maroc Népal Cambodge République dominicaine Bangladesh République arabe d’Égypte Guatemala Gabon Haïti Ghana Inde Éthiopie Botswana Sénégal Malawi Bénin Afrique du Sud 0,4 Madagascar Afghanistan Iraq Pakistan Burundi Ouganda Soudan Rép. dém. du Congo Angola Rwanda Côte d’Ivoire Mozambique Burkina Faso Nigéria Libéria Niger Mali Tchad 0,2 6 8 10 12 Log. PIB réel par habitant (PPA) Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Note : L’indice de capital humain varie de 0 à 1. Il est mesuré en ce qui concerne la productivité de la prochaine génération de travailleurs par rapport à la référence qui est une éducation complète et une parfaite santé. Une économie dans laquelle le travailleur moyen réalise pleinement son potentiel en matière d’éducation et de santé aura un score de 1 sur l’indice. PIB = produit intérieur brut ; PPA = parité de pouvoir d’achat. 62 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 TABLEAU 3.2 L’indice de capital humain (ICH) 2018 Rang Économie Note ICH Rang Économie Note ICH Rang Économie Note ICH 157 Tchad 0,29 104 République arabe d’Égypte 0,49 51 Mongolie 0,63 156 Soudan du Sud 0,30 103 Honduras 0,49 50 Ukraine 0,65 155 Niger 0,32 102 Népal 0,49 49 Émirats arabes unis 0,66 154 Mali 0,32 101 République dominicaine 0,49 48 Viet Nam 0,67 153 Libéria 0,32 100 Cambodge 0,49 47 Bahreïn 0,67 152 Nigéria 0,34 99 Guyane 0,49 46 Chine 0,67 151 Sierra Leone 0,35 98 Maroc 0,50 45 Chili 0,67 150 Mauritanie 0,35 97 El Salvador 0,50 44 Bulgarie 0,68 149 Côte d’Ivoire 0,35 96 Tunisie 0,51 43 Seychelles 0,68 148 Mozambique 0,36 95 Tonga 0,51 42 Grèce 0,68 147 Angola 0,36 94 Kenya 0,52 41 Luxembourg 0,69 146 Rép. dém. du Congo 0,37 93 Algérie 0,52 40 République slovaque 0,69 145 République du Yémen 0,37 92 Nicaragua 0,53 39 Malte 0,70 144 Burkina Faso 0,37 91 Panama 0,53 38 Hongrie 0,70 143 Lesotho 0,37 90 Paraguay 0,53 37 Lituanie 0,71 142 Rwanda 0,37 89 Tadjikistan 0,53 36 Croatie 0,72 141 Guinée 0,37 88 République de Macédoine 0,53 35 Lettonie 0,72 140 Madagascar 0,37 87 Indonésie 0,53 34 Fédération de Russie 0,73 139 Soudan 0,38 86 Liban 0,54 33 Islande 0,74 138 Burundi 0,38 85 Jamaïque 0,54 32 Espagne 0,74 137 Ouganda 0,38 84 Philippines 0,55 31 Kazakhstan 0,75 136 Papouasie–Nouvelle-Guinée 0,38 83 Tuvalu 0,55 30 Pologne 0,75 135 Éthiopie 0,38 82 Cisjordanie et Gaza 0,55 29 Estonie 0,75 134 Pakistan 0,39 81 Brésil 0,56 28 Chypre 0,75 133 Afghanistan 0,39 80 Kosovo 0,56 27 Serbie 0,76 132 Cameroun 0,39 79 Jordanie 0,56 26 Belgique 0,76 131 Zambie 0,40 78 Arménie 0,57 25 RAS de Macao, Chine 0,76 130 Gambie 0,40 77 Koweït 0,58 24 États-Unis 0,76 129 Iraq 0,40 76 République kirghize 0,58 23 Israël 0,76 128 Tanzanie 0,40 75 Moldova 0,58 22 France 0,76 127 Bénin 0,41 74 Sri Lanka 0,58 21 Nouvelle-Zélande 0,77 126 Afrique du Sud 0,41 73 Arabie Saoudite 0,58 20 Suisse 0,77 125 Malawi 0,41 72 Pérou 0,59 19 Italie 0,77 124 eSwatini 0,41 71 République islamique d’Iran 0,59 18 Norvège 0,77 123 Comores 0,41 70 Colombie 0,59 17 Danemark 0,77 122 Togo 0,41 69 Azerbaïdjan 0,60 16 Portugal 0,78 121 Sénégal 0,42 68 Uruguay 0,60 15 Royaume-Uni 0,78 120 Congo 0,42 67 Roumanie 0,60 14 République tchèque 0,78 119 Botswana 0,42 66 Équateur 0,60 13 Slovénie 0,79 118 Timor-Leste 0,43 65 Thaïlande 0,60 12 Autriche 0,79 117 Namibie 0,43 64 Mexique 0,61 11 Allemagne 0,79 116 Ghana 0,44 63 Argentine 0,61 10 Canada 0,80 115 Inde 0,44 62 Trinité-et-Tobago 0,61 9 Pays-Bas 0,80 114 Zimbabwe 0,44 61 Géorgie 0,61 8 Suède 0,80 113 Îles Salomon 0,44 60 Qatar 0,61 7 Australie 0,80 112 Haïti 0,45 59 Monténégro 0,62 6 Irlande 0,81 111 RDP lao 0,45 58 Bosnie-Herzégovine 0,62 5 Finlande 0,81 110 Gabon 0,45 57 Costa Rica 0,62 4 RAS de Hong Kong, Chine 0,82 109 Guatemala 0,46 56 Albanie 0,62 3 Japon 0,84 108 Vanuatu 0,47 55 Malaisie 0,62 2 Rép. de Corée 0,84 107 Myanmar 0,47 54 Oman 0,62 1 Singapour 0,88 106 Bangladesh 0,48 53 Turquie 0,63 105 Kiribati 0,48 52 Maurice 0,63 Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Note : L’indice de capital humain varie de 0 à 1. Il est mesuré en ce qui concerne la productivité de la prochaine génération de travailleurs par rapport à la référence qui est une éducation complète et une parfaite santé. Une économie dans laquelle le travailleur moyen réalise pleinement son potentiel en matière d’éducation et de santé aura un score de 1 sur l’indice. Le développement du capital humain | 63 cognitives et sociocomportementales avancées, qui ne sont pas prises en compte dans l’indice, contribuent largement à la productivité individuelle. Il manque aussi des données comparables sur le développement de la petite enfance qui est un des éléments fondamentaux de la qualité de la main-d’œuvre de demain. Une autre tâche consiste cependant à mesurer les facteurs intermédiaires qui influent sur ces résultats. Les citoyens des pays à faible revenu et à revenu intermé- diaire font peut-être face aux mêmes obstacles à l’accumulation du capital humain, mais la pertinence de ces obstacles est très souvent liée au contexte. Il est crucial de comprendre quels obstacles sont les plus importants pour fixer les priorités dans tous les cadres d’action publique. La première étape consisterait à améliorer la qualité des données administratives de base dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Seul un gouvernement sur six publie des rapports annuels de suivi de l’éducation. Environ 100 pays seulement fournissent des données raisonnablement complètes et actuelles sur les taux nets de scolarisation à différents niveaux du système éducatif à l’Institut de statistique de l’UNESCO, l’organe international chargé de compiler ces données. Le suivi même des informations sanitaires les plus simples, comme les naissances et les décès, est insuffi- sant dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (figure 3.4). La moderni- sation de ces systèmes est lente. Entre 2000 et 2012, le pourcentage des décès enregis- trés dans le monde a augmenté, passant de seulement 36 % à 38 %. La proportion des enfants de moins de 5 ans dont les naissances ont été enregistrées n’a progressé que de 58 % à 65 %27. Il est fondamental que les pouvoirs publics disposent FIGURE 3.4 L’enregistrement des de données administratives de qua- naissances et des décès reste insuffisant lité pour comprendre les besoins et Enregistrement à l’état civil des naissances et des décès planifier l’affectation des ressources. par catégorie de revenu des pays, 2018 Accroître le nombre de pays dans lesquels les acquis scolaires des enfants, qu’ils soient scolarisés Revenu faible ou non, sont mesurés permettrait de mieux suivre la performance des Revenu pays en matière d’accès à l’école et moyen inférieur de formation. L’une des actions dans ce sens consisterait à rendre les don- Revenu nées sur l’apprentissage pleinement moyen supérieur représentatives de tous les élèves et non de la petite fraction — générale- Revenu élevé ment issue de familles aisées — qui reste scolarisée. Le Annual Status of 20 60 100 Education Report est un exemple rare Pourcentage médian des enregistrements d’étude proposant une évaluation Naissances Décès annuelle des niveaux d’apprentis- sage des enfants — issus dans ce cas Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde des ménages ruraux de l’Inde —, y 2019. compris des enfants qui ne sont pas Note : la figure indique les estimations des naissances et décès enregistrés respectivement dans 180 et 120 pays basés sur les scolarisés. Il faudrait pour pallier données disponibles. Les données d'eregistrement des nais- cette insuffisance des initiatives qui sances sont tirées du United Nations Demographic Yearbook. Pour les pays dont le système d'enregistrement d'état civil créent des mesures de l’appren- est insuffisant, l'enregistrement des naissances est estimé à tissage comparables d’un pays à partir de la déclaration des mères sur le statut de naisssances enregistrées de leurs enfants, telles que collectées lors de l’autre. l'enquête sur les ménages. L'enregistrement des décès est tiré des estimations de l'Organisation mondiale de la santé. 64 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les acteurs concernés seraient ainsi rassemblés afin de convenir d’un ensemble de questions qui seraient incluses dans les évaluations de l’apprentissage, dans le but d’harmoniser les résultats de tous les tests. À brève échéance, les plateformes de données existantes, notamment les enquêtes nationales auprès des ménages, les enquêtes démographiques et sanitaires, l’étude sur la mesure des niveaux de vie et les indicateurs de prestation des services, pourraient être utilisées pour rendre plus disponibles de façon économique et efficace les données sur les acquis en matière de capital humain. Des efforts similaires sont en cours dans le domaine de la santé. En 2015, un groupe d’institutions internationales, des bailleurs de fonds bilatéraux et mul- tilatéraux, des fondations et des gouvernements ont lancé l’initiative Health Data Collaborative afin d’assurer une meilleure coordination de la collecte des données sanitaires. De nouvelles technologies comme le géopositionnement par satellite et la téléphonie mobile diminuent les coûts de la collecte des données. Le partenariat dénommé Primary Health Care Performance Initiative, lancé en 2015 par la Fondation Bill & Melinda Gates, le Groupe de la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé, propose une mesure internationale de la qualité des soins primaires. La deuxième étape consisterait à mieux comprendre les nombreuses dimensions des compétences sociocomportementales et autres capacités, de la santé et les cor- rélations entre les deux. Les compétences sociocomportementales sont multidimen- sionnelles. Des initiatives comme l’enquête de la Banque mondiale sur les compé- tences au service de l’emploi et de la productivité et le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes de l’Organisation de coopération et de développement économiques ont entrepris de mesurer ces aptitudes sur une grande échelle chez les adultes en âge de travailler. Aucune initiative similaire n’existe en ce qui concerne les enfants en âge scolaire, même s’il a été démontré que des apti- tudes comme le cran et l’autodiscipline sont importantes dans l’apprentissage. Les interventions qui ont conduit à la réduction de la prévalence de l’anémie ferriprive auraient eu un effet positif sur les résultats de l’apprentissage, même si la corrélation entre l’état de santé et les notes de l’évaluation des performances des élèves n’a pas encore été quantifiée. L’introduction des modules sur la santé dans les enquêtes auprès des écoles serait une importante avancée. Des évaluations au coût relative- ment abordable, par exemple de l’acuité visuelle et du statut anthropométrique des élèves, aideraient grandement à comprendre le lien entre l’apprentissage et la santé. L’expérience du Viet Nam montre bien l’avantage qu’il y a à tracer clairement la voie du changement. Les écoliers vietnamiens se sont classés dans le quartile supé- rieur des pays à revenu intermédiaire et élevé ayant participé aux évaluations PISA 2012 et 2015. La performance est remarquable si l’on considère le niveau de revenu par habitant de ce pays. Ce succès peut être une leçon importante sur la manière de mettre véritablement l’école au service de la formation. Parce que la nature du travail change, le capital humain devient plus important. Pourtant, des lacunes considérables en la matière persistent à travers le monde. Ces insuffisances qui se traduisent par la faiblesse des résultats dans les secteurs de l’éducation et de la santé compromettent la productivité future des travailleurs ainsi que la compétitivité à venir des économies. Les pouvoirs publics doivent trouver les moyens de remédier à la situation. Le long délai de rentabilité des investissements dans le capital humain n’encourage pas toujours les pouvoirs publics à consentir ces investissements. Le projet de développement du capital humain vise non seulement à créer les incitations nécessaires, mais aussi à guider l’action publique pour plus d’investissements de qualité dans le capital humain. Le développement du capital humain | 65 Notes Fernald et Hidrobo (2011).   1.  Smith ([1776] 1937, livre 2, chap.1), tel qu’indiqué dans Goldin (2016).   2.  Chetty, Friedman et Rockoff (2014).   3.  Psacharopoulos et Patrinos (2018).   4.  Dillon, Friedman et Serneels (2014).   5.  Ahuja et al. (2015).   6.  Belot et James (2011).   7.  Sandjaja et al. (2013).   8.  Dillon et al. (2017).   9.  10. Flabbi et Gatti (2018). 11. Ahuja et coll. (2015). 12. Andrabi, Das et Khwaja (2012). 13. Hsieh et Klenow (2010). 14. Cavaillé et Marshall (2017). 15. Knack et Keefer (1997). 16. Rosas et Sabarwal (2016). 17. Blanford et al. (2012). 18. Ferré et Sharif (2014). 19. Baird, McIntosh et Özler (2016). 20. Jensen (2010). 21. Giné, Karlan et Zinman (2010). 22. Heckman et al. (2010). 23. Coffey, Geruso et Spears (2018). 24. Gertler et al. (2014). 25. Kraay (2018). 26. Caselli (2005) ; Weil (2007). 27. Mikkelsen et al. (2015). Bibliographie Ahuja, Amrita, Sarah Baird, Joan Hamory Hicks, Michael R. Kremer, Edward Miguel, and Shawn Powers. 2015. “When Should Governments Subsidize Health? The Case of Mass Deworming.” World Bank Economic Review 29 (supplement 1): S9–S24. Andrabi, Tahir, Jishnu Das, and Asim Ijaz Khwaja. 2012. “What Did You Do All Day? Maternal Education and Child Outcomes.” Journal of Human Resources 47 (4): 873–912. Baird, Sarah Jane, Craig T. McIntosh, and Berk Özler. 2016. “When the Money Runs Out: Do Cash Transfers Have Sustained Effects on Human Capital Accumulation?” Policy Research Working Paper 7901, World Bank, Washington, DC. Belot, Michèle, and Jonathan James. 2011. “Healthy School Meals and Educational Out- comes.” Journal of Health Economics 30 (3): 489–504. Blanford, Justine I., Supriya Kumar, Wei Luo, and Alan M. 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C’est grâce à l’éducation que la fille d’un paysan peut devenir médecin, que le fils d’un mineur peut devenir le directeur de la mine, que l’enfant d’un agriculteur peut devenir le président d’un grand pays. C’est ce que nous faisons de ce que nous avons, et non ce qui nous a été donné, qui nous distingue les uns des autres. » L’automatisation redéfinit le travail et les compétences qu’il requiert. La demande d’aptitudes cognitives avancées1 et de compétences sociocomportementales2 aug- mente, tandis que la demande de capacités étroitement liées à un emploi est en baisse3. Par ailleurs, les compétences associées à « l’adaptabilité » sont de plus en plus recherchées. Cette combinaison d’aptitudes cognitives spécifiques (raisonnement critique et résolution de problèmes) et de compétences sociocomportementales (créativité et curiosité) est transférable d’un emploi à l’autre. La façon dont les pays s’accommodent à la demande de nouvelles aptitudes pro- fessionnelles dépend de la rapidité d’évolution de l’offre de compétences. Toutefois, les systèmes d’éducation ont tendance à résister au changement. C’est en dehors du cadre de l’enseignement obligatoire et des emplois formels que se produit une grande partie du réajustement de l’offre de compétences. L’apprentissage dès la petite enfance, l’enseignement supérieur et la formation des adultes en dehors du milieu professionnel revêtent une importance croissante pour satisfaire les besoins en compétences des futurs marchés du travail. Le présent chapitre montre pourquoi. L’automatisation — et plus généralement l’adoption de la technologie — rend certains emplois obsolètes. La demande de compétences liées à la réparation des appareils ménagers, par exemple, recule rapidement, car la technologie fait bais- ser les prix des appareils et améliore leur fiabilité. En même temps, l’innovation crée de nouveaux types d’emplois. De fait, un nombre important des enfants qui entrent à l’école primaire en 2018 occuperont des emplois qui n’existent pas encore. Même dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, nombre de personnes occupent des emplois qui n’existaient pas il y a trois décennies. L’Inde compte près de 4 millions de développeurs d’applications  ; l’Ouganda a plus de 400  000 agricul- teurs certifiés biologiques et la Chine compte 100 000 étiqueteurs de données. Par ailleurs, beaucoup d’emplois actuels prennent des formes nouvelles, ce qui donne naissance à de nouvelles combinaisons de compétences parfois inattendues. En 2018, un spécialiste des techniques commerciales pourrait bien se voir demander d’écrire des algorithmes. Un diplômé de physique pourrait décrocher un emploi d’analyste quantitatif dans le secteur financier. Il est probable que les travailleurs qui ajoutent les aptitudes de demain à des domaines d’expertise technique pertinents — tel un enseignant qui sait concevoir des sites web et un actuaire compétent en analyse de mégadonnées — seront très recherchés. Quelles sont les compétences moins demandées en 2018 ? Dans les pays dévelop- pés, on voit apparaître une polarisation de l’emploi — l’accroissement des emplois hautement et faiblement qualifiés associé au déclin des emplois semi-spécialisés. La demande d’employés à même d’entreprendre des tâches cognitives non routinières, telles que des recherches hautement spécialisées, est en hausse. Il en est de même pour la demande relative d’employés capables d’entreprendre des tâches non routi- nières qui ne peuvent pas être automatisées facilement, comme la préparation des aliments. En revanche, l’automatisation fait reculer la demande d’employés pour des procédures routinières, souvent exécutées dans le cadre d’emplois semi-spécia- lisés, tels que la saisie de données. 70 L’acquisition continue du savoir | 71 FIGURE 4.1 Dansde nombreux pays en développement, la part de l’emploi dans les professions hautement qualifiées augmente Variation annuelle moyenne de la part des emplois, par niveau de qualification, vers 2000 –2015 1,5 Les emplois hautement et Les emplois hautement qualifiés faiblement qualifiés ont et semi-spécialisés ont augmenté, augmenté, mais les emplois mais les emplois faiblement 1,0 semi-spécialisés regressent qualifiés regressent 0,5 Points de pourcentage 0 –0,5 –1,0 Les emplois hautement qualifiés ont augmenté, –1,5 mais les emplois semi- spécialisés et faiblement qualifiés regressent –2,0 ie ie e da sh ka ie ur ili ie bi op Ch liv én an te de an an m Bo ua rd m hi iL la ug Za Ét Ar Jo ng Éq Sr O Ba Emplois hautement qualifiés Emplois semi-spécialisés Emplois faiblement qualifiés Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir de la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale. Note : Emplois hautement qualifiés: cadres, spécialistes, techniciens et autres experts associés. Emplois semi-spécialisés: employés administratifs ; agents de vente et de services ; artisans et ouvriers de métiers de type artisanal ; agent de maî- trise dans l’agriculture, la foresterie et la pêche ; opérateurs et assembleurs d’usine et de machines. Emplois faiblement qualifiés : emplois élémentaires comme agents d’entretien et auxiliaires ; ouvriers agricoles, agents forestiers et pêcheurs ; ouvriers dans les mines, le bâtiment, l’industrie manufacturière et agent de transport ; assistants de préparation des aliments ; représentants de commerce et autres agents de services. Assiste-t-on à l’émergence du même schéma dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire  ? Pas tout à fait. Dans de nombreux pays en développement, la demande de travailleurs hautement qualifiés augmente (figure 4.1). De 2000 à 2014, la part des travailleurs occupant des postes hautement qualifiés a progressé de 8 points de pourcentage ou plus en Bolivie, en Éthiopie et en Afrique du Sud. Mais la variation de la demande d’emplois peu qualifiés et semi-spécialisés est plus hétérogène dans tous les pays. En Jordanie, la part des emplois semi-spécialisés a progressé de 7,5 points de pourcentage entre 2000 et 2016. Au Bangladesh, cette part a chuté de près de 20 points de pourcentage au cours de la même période4. Cette variation de la demande de travailleurs pour les emplois peu qualifiés ou semi-spécialisés dans les pays en développement n’est pas surprenante. À cette extrémité du spectre, les forces concurrentes de l’automatisation et de la mondia- lisation sont vraisemblablement à l’origine de cette évolution. Le taux d’adoption de la technologie a tendance à varier considérablement selon les pays en dévelop- pement. En Europe et en Asie centrale, 26 % de la population disposait en 2016 d’une connexion fixe à large bande, contre 2 % seulement en Asie du Sud. La mondialisation amène dans certains pays en développement — mais pas dans tous — les emplois peu qualifiés et semi-spécialisés des pays développés. Selon la vitesse relative de ces forces, certains pays en développement enregistrent une augmenta- tion des emplois semi-spécialisés alors que d’autres accusent une baisse de ceux-ci. 72 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 La mise en place d’une main-d’œuvre qualifiée pour faire face au travail de demain s’appuie sur la demande croissante d’aptitudes cognitives avancées, de compétences sociocomportementales et d’adaptabilité. Des pays à faible revenu aux économies avancées, on observe qu’au cours des récentes décennies, les emplois étaient définis par rapport à des tâches plus cognitives et analytiques. En Bolivie et au Kenya, plus de 40 % des travailleurs utilisent un ordinateur pour exécuter des tâches complexes qui exigent une programmation avancée. De fait, la demande va croissant pour les compétences cognitives d’ordre supérieur transférables, telles que la logique, la réflexion critique, la résolution de problèmes complexes et le raisonne- ment. Dans toutes les régions du monde, les employeurs accordent uniformément la priorité à ces compétences. L’analyse du marché du travail au Danemark, en France, en Allemagne, en République slovaque, en Afrique du Sud, en Espagne et en Suisse révèle que l’amélioration d’un écart type des compétences relatives à la résolution de problèmes complexes est associée à une hausse de 10 à 20 % du salaire5. En Arménie et en Géorgie, la capacité à résoudre les problèmes et à acquérir de nou- velles compétences se traduit par un gain salarial de près de 20 %6. La demande de compétences sociocomportementales s’accroît également dans les pays en développement. En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’adoption de la technologie numérique a renforcé l’importance des compétences cognitives générales et accru la demande de travailleurs dotés de compétences relationnelles. Au Cambodge, à El Salvador, au Honduras, en République démocratique populaire lao, en Malaisie, aux Philippines et au Viet Nam, plus de la moitié des entreprises connaissent une pénurie de travailleurs dotés de compétences sociocomportemen- tales spécifiques, telles que le dévouement au travail7. Avec l’évolution de la technologie, il est plus difficile de prévoir quelles sont les compétences spécialisées qui, dans un avenir proche, seront très recherchées et celles qui deviendront obsolètes. Autrefois, il fallait des siècles pour que se manifestent les nouvelles compétences requises par les progrès technologiques (figure 4.2). À l’ère numérique, il semble que les avancées de la technologie requièrent de nouvelles compétences du jour au lendemain. Sur le marché du travail, la capacité à s’adapter rapidement au changement est de plus en plus recherchée. La qualité la plus appréciée est l’adaptabilité — autre- ment dit la capacité à réagir à des circonstances inattendues et à désapprendre et réapprendre rapidement. Cette qualité exige une combinaison de certaines apti- tudes cognitives (raisonnement critique, résolution de problèmes) et compétences sociocomportementales (curiosité, créativité). Une étude des élèves de l’enseigne- ment technique et professionnel au Nigéria a montré que la compétence sociocom- portementale d’auto-efficacité était susceptible de prédire de manière positive et significative l’adaptabilité au cours d’une carrière8. Des bases solides sont importantes pour développer des aptitudes cognitives avan- cées, des compétences sociocomportementales et des capacités prédictives de l’adap- tabilité. Pour la plupart des enfants, ces compétences fondamentales sont acquises aux cycles d’enseignement primaire et secondaire. Pourtant, selon le Rapport sur le développement dans le monde 2018, ces compétences fondamentales, normalement acquises à l’école, ne le sont pas dans nombre de pays à faible revenu et à revenu intermédiaire9. D’importants réajustements de compétences ont lieu de plus en plus en dehors de l’enseignement obligatoire et des emplois formels. Le développement des compé- tences pour s’adapter à la transformation de la nature du travail s’inscrit dans le cadre de l’acquisition continue du savoir. Ce type d’apprentissage est étroitement lié au réajustement de l’offre de compétences en situation d’évolution de la démographie — L’acquisition continue du savoir | 73 FIGURE 4.2 Le taux de diffusion de la technologie augmente La première Di usion de la technologie start-up de délocalisation des processus de gestion est La chaîne de apparue en production est Inde en 2002 ; apparue en 1870 ; en 2012, environ elle a été 2,8 millions de adoptée dans la personnes Le métier à tisser production de travaillaient dans mécanique a été masse de ce secteur. inventé en 1784 ; véhicules L’imprimerie à en 1860, il avait automobiles de caractères remplacé la Henry Ford aux mobiles a été La papeterie a quasi-totalité environs de 1914. WeChat Pay a été établie en inventée en été inventée en des tisseurs Chine en 2013 ; en 2017, le 1040 ; elle s’est 105 et le papier manuels au nombre d’utilisateurs de son répandue en utilisé comme Royaume-Uni. service de paiements mobiles Chine au cours principal support atteignait 600 millions et du XVIIe siècle. d’écriture au le total des transactions IIIe siècle. dépassait 8 000 milliards de dollars Année 105 1040 1784 1870 1989 2004 (Papeterie) (Imprimerie à (Métier à tisser (Chaîne de (World Wide (Portefeuille caractères mobiles) mécanique) production) Web) numérique) Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. qu’il s’agisse du vieillissement des populations d’Asie de l’Est et d’Europe de l’Est ou du grand nombre de jeunes en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. L’apprentissage dans la petite enfance En France, l’âge de début de la scolarité obligatoire va bientôt être abaissé de 6 à 3 ans. Selon le Président Emmanuel Macron, cette réforme est destinée à accroître l’égalité, et améliorer de ce fait la capacité des enfants issus de milieux défavorisés à rester compétitifs dans le système d’éducation. La manière la plus efficace d’acquérir les compétences exigées par les mutations de la nature du travail est de commencer tôt. Les investissements précoces dans la nutri- tion, la santé, la protection sociale et l’éducation jettent des bases solides pour l’acqui- sition des compétences cognitives et sociocomportementales plus tard dans la vie. Ils font également en sorte que les acquis ultérieurs résistent mieux aux incertitudes. Les investissements dans la petite enfance sont un moyen important d’améliorer l’égalité des chances. Actuellement, ces investissements sont insuffisants, notamment pour les enfants pauvres et défavorisés qui en tireraient le plus grand parti. La hiérarchi- sation de ces investissements pourrait présenter des avantages considérables pour les économies, tant que l’on insiste à la fois sur l’accès et sur la qualité. L’architecture du cerveau se forme de la période prénatale jusqu’à l’âge de 5 ans : c’est donc une étape importante pour le développement des compétences cognitives et sociocomportementales. Au cours de cette période, la capacité du cer- veau à apprendre de l’expérience est la plus élevée (figure 4.3), et les expériences et l’apprentissage ont un effet direct sur la réussite à l’âge adulte. Si cette étape est manquée, il devient plus difficile d’acquérir des compétences. Des programmes d’éveil de qualité aident les enfants à apprendre. Les investis- sements dans la nutrition, la santé et la stimulation durant les 1 000 premiers jours 74 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 4.3 La capacité du cerveau à apprendre de l’expérience diminue avec l’âge E ort requis pour Capacité du cerveau acquérir des à apprendre connaissances 0 Première Enfance Adolescence 29 Âge adulte 100 enfance Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. de la vie renforcent le cerveau. La mobilisation des parents et des éducateurs durant cette phase est également importante pour le développement du langage, des capa- cités motrices, de l’autodiscipline et du comportement social des enfants. En Colom- bie, l’exposition à des stimulations psychosociales dans le cadre de visites à domicile accompagnées de démonstrations ludiques a nettement amélioré le développement cognitif des enfants de 12 à 24 mois10. Au Pakistan, grâce aux efforts du Programme « Lady Health Worker  » qui offre des services de santé dans les zones rurales, la probabilité d’une vaccination complète des enfants de moins de 3 ans a progressé de 15 points de pourcentage entre 2000 et 200811. En offrant des compléments nutri- tionnels et en encourageant les mères à jouer à des jeux interactifs avec leurs enfants jusqu’à l’âge de 2 ans, le programme a engendré des effets positifs soutenus sur les capacités cognitives et les comportements sociaux des enfants. À partir de 3 ans, la socialisation et un apprentissage précoce plus formel deviennent importants pour préparer les enfants à réussir à l’école primaire. Une maternelle de bonne qualité renforce les fonctions exécutives des enfants (telles que la mémoire de travail, le raisonnement souple, la maîtrise de soi) et les place sur des trajectoires d’apprentissage supérieures. Au Bangladesh, les enfants des zones rurales qui avaient fait l’école maternelle obtenaient de meilleurs résultats en expres- sion, écriture et mathématiques que ceux qui n’y avaient pas été12. Une réforme des maternelles dans les zones rurales du Mozambique a eu des effets positifs sur le comportement sociocomportemental — les enfants participants étaient plus aptes à échanger avec les autres, à suivre des instructions et à contrôler leurs émotions dans des situations de stress13. Pour autant, les maternelles doivent satisfaire à des seuils de qualité pour atteindre ces résultats. Dans certains cas, une maternelle de piètre qualité est pire pour le développement d’un enfant que l’absence de maternelle14. Des programmes d’éveil de mauvaise qualité produisent des résultats décevants en termes d’acquisition du langage, de compétences cognitives et de sociabilité des enfants. Une étude dans les maternelles d’un bidonville de Nairobi au Kenya a révélé qu’en dépit de taux de participation élevés, le programme de cours et la démarche L’acquisition continue du savoir | 75 pédagogique n’étaient pas adaptés à l’âge des enfants. Dans le programme, les enfants de 3 à 6 ans devaient suivre des instructions scolaires et même passer des examens15. Au Pérou, bien que le programme national Wawa Wasi ait mis en place des garderies communautaires sûres, de même qu’un régime nutritif pour les enfants de 4 à 6 ans dans les zones pauvres, il n’a pas réussi à améliorer le langage ou le développement moteur des enfants en raison d’éducateurs insuffisamment formés. Les investissements dans la petite enfance réussissent à donner naissance à des compétences qui sont pertinentes pour l’avenir d’un enfant. L’apprentissage est cumulatif — les compétences acquises à une étape préalable facilitent la formation d’autres compétences au cours des étapes ultérieures. Les investissements précoces sont plus rémunérateurs que tous ceux qui sont réalisés tout au long de l’existence, et les avantages qu’ils confèrent se développent dans le temps. Un dollar supplémentaire investi dans des programmes d’éveil de qualité offre un retour de 6 à 17 dollars16. Les programmes de développement de la petite enfance améliorent la partici- pation des parents à la main-d’œuvre. Beaucoup de femmes ne travaillent pas, car élever leurs enfants prend tout leur temps. Au Royaume-Uni, la moitié des femmes qui élèvent leurs enfants préféreraient retourner travailler si elles avaient accès à des services de garderie abordables et de qualité. Les investissements précoces dans ce type de services permettraient d’alléger cette contrainte. En Argentine, un pro- gramme de construction à grande échelle d’établissements préscolaires dans les années 90 a eu une incidence positive sur l’emploi des mères. En Espagne, au cours de la même période, l’emploi des mères a progressé de 10 % en raison de la disponi- bilité de garderies publiques à plein temps pour les enfants de 3 ans17. Les investissements dans la petite enfance accroissent également l’équité. Pour les enfants confrontés à la pauvreté et à d’autres conditions adverses, des programmes de qualité pour la petite enfance améliorent les compétences des adultes, diminuent les comportements violents et l’inhibition sociale et favorisent la croissance durant la génération suivante. Au Guatemala, un programme d’aide au développement de la petite enfance par la nutrition destiné aux familles démunies a nettement augmenté les salaires perçus par ces enfants à l’âge adulte18. En Jamaïque, la stimulation pré- coce des nourrissons et des tout-petits a accru leur futur revenu de 25 % — ce qui est équivalent à celui des adultes qui avaient grandi dans des ménages plus aisés19. En dépit de leur efficacité à développer des compétences importantes, les inves- tissements dans la petite enfance sont insuffisants. Près de 250 millions d’enfants de moins de 5 ans risquent de ne pas atteindre leur plein potentiel de développement dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire en raison du retard de crois- sance ou de l’extrême pauvreté. À travers le monde, plus de 87 millions d’enfants de moins de 7 ans ont passé la totalité de leur existence dans des zones touchées par un conflit. Ils souffrent de traumatismes extrêmes et de stress toxique qui nuisent au développement de leur cerveau et à l’amélioration de leurs compétences. Partout dans le monde, la moitié seulement des enfants de 3 à 6 ans a accès à une éducation présco- laire — le cinquième dans les pays à faible revenu. En 2012, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale ont alloué 8,8 % de leur budget d’éducation à l’enseignement préscolaire ; en Afrique subsaharienne, 0,3 % du budget seulement y a été consacré. Les enfants des familles pauvres sont les moins susceptibles de participer à des programmes de développement de la petite enfance (figure 4.4). Et pourtant, ce sont eux qui tireraient aussi le plus parti de ce type de programme. Dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, environ 47 % des familles les plus riches ont accès à des programmes d’éducation préscolaire, contre 20 % à peine des familles les plus pauvres20. Les ménages ruraux sont particulièrement désavantagés. Sur un 76 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 4.4 Dans de nombreux pays, les enfants issus de milieux défavorisés ont le moins tendance à participer à des programmes d’enseignement préscolaire Proportion des enfants de 3 à 4 ans qui participent à des programmes d’enseignement préscolaire parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, sélection de pays, vers 2014 60 40 Pourcentage 20 0 i m n té n So o an ki e m ise b e e M r i eS ma on i Né ie l kh e Vi tan M am ue al aw in pa o i m in El abw n ni on rou gr rb l ad M go at ud Ka uya iq do gh Zi nica Bé na N s né al Se w ex e lv et r Pa G Sa za i M Ca e bl qu M pu bi ue Ré épu iq R Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir de données tirées de l’Enquête en grappes à indicateurs multiples de l’UNICEF. échantillon de 14 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, l’accès des habi- tants des zones rurales aux programmes de développement de la petite enfance est systématiquement inférieur à celui des habitants des zones urbaines21. Il existe des voies qui mènent au développement de la petite enfance. Dans cer- taines régions, des garderies communautaires produisent systématiquement des résultats positifs à faible coût. En Indonésie, un programme de garderies a eu des effets positifs sur le langage et les compétences sociocomportementales et cognitives des enfants. À court et à long terme, ce sont les enfants issus de milieux défavorisés qui en ont tiré le plus parti22. À Tonga, des services de garderie mis en place pour les enfants jusqu’à 5 ans ont nettement amélioré les capacités de lecture dans les petites classes. Le modèle Montessori, qui se caractérise par des classes multiâges, des activités d’apprentissage choisies par les élèves et une instruction minimale, s’est révélé plus efficace que l’éducation conventionnelle pour améliorer les fonc- tions exécutives des enfants. On trouve dans divers contextes, de Haïti au Kenya, la démarche Montessori, adaptée localement, de même que d’autres démarches axées sur l’enfant — y compris Steiner, Reggio Emilia et Tools of the Mind. Les études mettent en lumière plusieurs manières concrètes d’améliorer l’effica- cité des investissements dans le développement du jeune enfant. Les programmes de transfert monétaire qui appuient les activités de développement préscolaire au profit des enfants les plus pauvres ont porté des fruits dans divers contextes. Ces programmes ont réduit l’incidence du retard de croissance aux Philippines et au Sénégal, favorisé le développement du langage en Équateur et au Mexique et amé- lioré les compétences sociocomportementales des enfants au Niger. Les démarches intégrées qui combinent les investissements dans la santé, la nutrition et la stimu- lation paraissent aussi très efficaces. Le programme Crece Contigo du Chili intègre des services de santé, d’éducation, de protection sociale et de garderie afin que le premier contact d’un enfant avec le système se produise durant la première visite prénatale de la mère lorsque l’enfant se trouve encore dans le ventre. L’acquisition continue du savoir | 77 L’enseignement du troisième degré Fondée en 2007 par les soins d’une organisation à but non lucratif, l’Université libre de Tbilisi est déjà l’une des universités les plus performantes et les plus recherchées de Géorgie. Cette réussite est due à un processus d’admission transparent (concours d’entrée national) ainsi qu’à un programme de financement public compétitif par étudiant fondé sur les résultats scolaires. Le financement par étudiant accroît l’effica- cité et la transparence du financement des universités, et permet à l’État de réduire progressivement les paiements forfaitaires directs aux universités. Le corps ensei- gnant de l’université est de haute qualité ; les programmes de cours sont souples et la pédagogie repose sur la discussion. Chaque année, l’université attire des centaines de candidats de haut calibre et plus de 96 % de ses diplômés trouvent du travail ou poursuivent leurs études. Les économies intégrées axées sur la technologie accordent de plus en plus d’im- portance à l’enseignement supérieur (à savoir l’enseignement au-delà du niveau secondaire, y compris les écoles professionnelles et les centres universitaires). Glo- balement, le rendement privé moyen de l’enseignement supérieur est de 16 %23. Cependant, celui-ci n’est pas élevé pour tous. Il dépend d’un éventail de facteurs qui incluent la qualité du prestataire, la composition de la population étudiante et la disponibilité d’emplois. Si l’on tient compte d’autres facteurs, les étudiants qui vont dans une bonne université en Colombie gagnent 20 % de plus que ceux qui n’ont pas pu obtenir le score requis pour y entrer24. De même, ce rendement varie gran- dement selon la spécialisation. Au Chili, le rendement de l’enseignement supérieur varie de 4 % pour les sciences humaines à 126 % pour l’ingénierie et la technolo- gie25. Dans le supérieur, les inscriptions et les dépenses varient aussi considérable- ment selon les régions (figure 4.5). L’évolution de la nature du travail rend l’enseignement supérieur plus attrayant pour trois raisons. Premièrement, la technologie et l’intégration augmentent la demande de compétences cognitives générales d’ordre supérieur — telles que la résolution de problèmes complexes, le raisonnement critique et la communication avancée — qui sont transférables d’un emploi à un autre, mais ne peuvent être acquises uniquement à l’école. L’accroissement de la demande de ces compétences a pour effet d’améliorer la rémunération des diplômés de l’enseignement supérieur et de réduire la demande de travailleurs moins instruits. Deuxièmement, l’enseigne- ment supérieur accroît la demande d’éducation permanente. Les travailleurs sont supposés avoir des carrières multiples, et non pas de multiples emplois au cours de leur existence. L’enseignement supérieur — qui offre un large éventail de cours selon des modèles souples tels que le téléenseignement et les universités ouvertes — satisfait cette demande croissante. Troisièmement, en servant de plateforme à l’innovation, l’enseignement supérieur — notamment les universités — devient plus attrayant dans le monde du travail en mutation. Les résultats obtenus sur ces trois fronts détermineront la pertinence des systèmes d’enseignement supérieur pour l’avenir du travail. L’acquisition des compétences emprunte de plus en plus une voie continue et non pas limitée et immuable. La sou- plesse est renforcée en faisant en sorte que lorsque les étudiants ouvrent une issue, les autres issues ne se ferment pas irrémédiablement. Par exemple, la plupart des étudiants qui intègrent l’enseignement de troisième degré doivent choisir entre un cycle général et une formation professionnelle. L’enseignement général, tel que les programmes d’ingénierie et d’économie, dote les étudiants des compétences d’ordre supérieur transférables qui déterminent dans quelle mesure ils sont prêts à apprendre 78 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 4.5 Le taux brut d’inscription dans l’enseignement supérieur et les dépenses en pourcentage pour l’enseignement supérieur variaient selon les régions en 2016 Taux brut d’inscription dans Dépenses en pourcentage consacrées l’enseignement supérieur à l’enseignement supérieur Amérique du Nord Amérique du Nord 84 % 27 % Moyen-Orient et Europe et Asie centrale Afrique du Nord 67 % 24 % Amérique latine et Caraïbes Europe et Asie centrale 48 % 23 % Asie de l’Est et Pacifique Monde 44 % 22 % Moyen-Orient et Afrique du Nord Asie du Sud 41 % 21 % Monde Afrique subsaharienne 37 % 20 % Asie du Sud Amérique latine 23 % et Caraïbes 19 % Afrique subsaharienne Asie de l’Est et Pacifique 9% 17 % Sources : Base de données des indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale. Les données sur les dépenses allouées à l’enseignement supérieur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont tirées de World Bank (2018a). Note : On entend par « taux brut d’inscription dans l’enseignement supérieur » le ratio du total des inscriptions, indépen- damment de l’âge, sur la population du groupe d’âge qui correspond officiellement à l’enseignement supérieur. On entend par « dépenses en pourcentage consacrées à l’enseignement supérieur » les dépenses pour l’enseignement supérieur exprimées en pourcentage des dépenses totales de l’administration publique consacrées à l’éducation. ou peuvent être formés. En revanche, la formation professionnelle, telle que les pro- grammes de soins infirmiers ou d’opérations aéroportuaires, est directement liée à des métiers spécifiques. Une fois ce choix fait — particulièrement en ce qui concerne la formation professionnelle — il est en général difficile et onéreux de bifurquer. Les rendements relatifs de l’enseignement général et professionnel évoluent de manière imprévisible et la plupart des économies continuent à réclamer les deux. Les progrès technologiques ont tendance à faire baisser la demande de certaines compétences spécifiques à un métier, ce qui rend certains diplômes professionnels obsolètes. Ils se traduisent aussi par une dépréciation accrue des compétences très spécialisées par rapport aux compétences générales. Pour autant, la formation professionnelle est encore recherchée par de nombreux étudiants. En 2012, 63 % des étudiants de l’enseignement supérieur aux Pays-Bas suivaient une formation professionnelle26. En 2013, cette proportion était supérieure à 50 % en Malaisie et 31 % au Kenya27. La formation professionnelle satisfait la demande immédiate de L’acquisition continue du savoir | 79 compétences techniques, permet une transition plus rapide de l’enseignement au monde du travail pour certains et allège la pression sur le système universitaire. Trois facteurs rendent impératif l’établissement de liens souples entre les filières générales et techniques pour tenir compte de l’évolution de la nature du travail. Pre- mièrement, la combinaison de compétences générales et techniques est de plus en plus recherchée. Deuxièmement, même les emplois techniques semblent exiger de plus en plus de compétences générales intensives d’ordre supérieur, ce qui signifie que l’acquisition de ce type de compétences doit être accessible avant et pendant la vie active. Troisièmement, les personnes formées dans des filières professionnelles étroites auraient la possibilité de se doter de nouvelles compétences. Par exemple, la République démocratique du Congo et la Tanzanie offrent des dispositifs « relais » qui permettent aux diplômés de cycles professionnels de continuer à l’université. Une étroite collaboration entre l’industrie et l’enseignement professionnel joue également un rôle. En Chine, Lenovo collabore avec les établissements d’ensei- gnement supérieur pour former les étudiants des filières professionnelles dans des domaines de haute technologie tels que l’informatique en nuage. Ce programme de collaboration se décline sous la forme de programmes de cours pratiques, de cours dispensés par des praticiens et d’une certification professionnelle. En comblant leurs lacunes en matière d’information, les étudiants sont en mesure de faire leur choix entre différentes filières et à l’intérieur d’une même filière. Le Chili a créé des plateformes en ligne sur lesquelles les étudiants ont accès à des informations sur l’employabilité des personnes titulaires de diplômes divers, les profils de salaire et les cours à suivre pour certaines professions. Les systèmes d’enseignement supérieur ne sont pas restés imperméables à ces évolutions — les filières générales et professionnelles se croisent souvent. Une grande diversité de programmes offerts par les universités présente une dimension ou une orientation professionnelle, notamment beaucoup dans les domaines des sciences, de l’ingénierie et de la technologie. Grâce aux plateformes technologiques, l’enseignement supérieur est plus facile d’accès, notamment pour ceux qui en étaient privés par le passé. Les cinq plus gros programmes d’enseignement à distance sont établis dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. L’Inde est le second consommateur le plus important de cours en ligne ouverts à tous (MOOC). Le por- tail d’apprentissage mixte XuetangX, qui est le MOOC le plus important de Chine, desservait 10 millions d’étudiants en 2018. Au Brésil, Veduca a lancé le premier programme en ligne ouvert de Mastère en administration des entreprises en 2013 et offrait plus de 5 000 cours en 2018. Les MOOC sont un moyen prometteur d’offrir un enseignement personnalisé et souple à une large population. Toutefois, la garan- tie de la qualité constitue un sérieux défi. Selon une étude récente, les étudiants inscrits à un cours en ligne obtenaient des résultats moins bons que ceux qui sui- vaient les enseignements en présentiel. Outre le contenu, de nombreux MOOC ne parviennent pas à assurer l’engagement des étudiants ou la qualité des enseignants. Les systèmes d’enseignement supérieur devraient garantir un seuil minimum de compétences cognitives transférables qui sont le meilleur remède contre la précarité de l’emploi. Mais tous les systèmes ne réussissent pas à donner naissance à ces com- pétences. Les universités de Colombie ne sont pas toutes en mesure, au même titre, de transmettre des compétences fondamentales d’ordre supérieur comme le raison- nement critique, la résolution de problèmes et la communication. Une étude des diplômés chinois du premier cycle d’ingénierie et de sciences informatiques donne à voir que leurs compétences cognitives ne s’étaient pas beaucoup améliorées au cours des deux premières années d’université. 80 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 L’inclusion d’un cursus plus général dans les programmes d’enseignement supé- rieur est une manière d’améliorer l’acquisition de compétences cognitives trans- férables d’ordre supérieur. Une année supplémentaire d’enseignement général a été ajoutée en 2012 aux programmes du premier cycle de la RAS de Hong Kong (Chine)  ; elle mettait l’accent sur la résolution des problèmes, le raisonnement cri- tique, la communication, la conduite des hommes et des opérations et l’acquisition continue du savoir. Pour une large majorité des étudiants, ce changement semble avoir réussi à promouvoir les caractéristiques recherchées chez les diplômés. Une autre méthode consiste à faire appel à des pratiques pédagogiques innovantes. La Faculté d’architecture et de conception environnementale du Collège de science et de technologie de l’Université du Rwanda privilégie des méthodes d’apprentissage qui font intervenir une évaluation ouverte, des espaces de dialogue et un cursus pro- gressif qui établit un équilibre entre le défi académique et le soutien à l’étudiant. Ces démarches ont amélioré les compétences de raisonnement critique des étudiants. L’enseignement supérieur renforce également des compétences sociocompor- tementales transférables telles que le travail d’équipe, la résilience, la confiance en soi, la négociation et l’expression personnelle. Une enquête menée auprès des employeurs d’ingénieurs en Inde révèle que les compétences sociocomportemen- tales sont jugées au moins aussi importantes, si ce n’est plus, que les qualifica- tions et les diplômes techniques pour l’employabilité des nouveaux diplômés. Des enquêtes menées auprès des employeurs de Bulgarie, de Géorgie, du Kazakhstan, de l’ex-République yougoslave de Macédoine, de Pologne, de la Fédération de Russie et d’Ukraine indiquent que les employeurs estiment que l’absence de compétences sociocomportementales pose au moins autant de problèmes que l’absence de com- pétences techniques. Les universités tournées vers l’avenir trouvent des moyens permettant aux étu- diants adultes d’acquérir des compétences sociocomportementales. Les collèges professionnels néerlandais offrent des cours d’entrepreneuriat destinés à améliorer des compétences non cognitives telles que l’esprit d’équipe et la confiance en soi. En Tunisie, l’introduction d’une filière d’entrepreneuriat qui associe une formation commerciale à un accompagnement personnalisé a remodelé les compétences com- portementales des étudiants d’université. En Chine, la combinaison d’un appren- tissage coopératif et de jeux de rôle a renforcé les capacités d’apprentissage auto- nome et les compétences de communication parmi les étudiants du premier cycle de pharmacologie. Toutefois, l’amélioration de l’enseignement des compétences sociocomportementales exige des cours appropriés et un système d’évaluation précis, notamment dans les pays à faible revenu et les zones rurales. Le rôle des systèmes d’enseignement supérieur en tant que centres d’innova- tion est également hautement apprécié. On trouve dans le monde développé des exemples bien connus de pôles d’innovation universitaire réussis — aux États-Unis à l’Université Stanford, à l’Université de Californie à Berkeley (Silicon Valley) et à la Harvard-Massachusetts Institute of Technology (Route 128 à Boston) ainsi qu’au Royaume-Uni, à l’Université de Cambridge-l’Université d’Oxford-au University College à Londres (le «  triangle d’or »). Des pôles apparaissent également dans les pays à revenu intermédiaire. L’Université de Malaya en Malaisie a mis en place huit pôles de recherche interdisciplinaires au cours de la dernière décennie portant sur la science au service du développement durable et sur la biotechnologie. L’Université de Pékin est en train de construire le Clinical Medicine Plus X, un pôle de recherche pour la médecine de précision, les mégadonnées de la santé et l’intelligence artifi- cielle médicale. Dans le cadre de l’initiative Startup India, sept nouveaux parcs de L’acquisition continue du savoir | 81 recherche ont été créés sur le campus de l’Institut de la technologie indien en vue de promouvoir l’innovation par le biais de l’incubation et de la collaboration entre les universités et les entreprises du secteur privé. Au Mexique, le Parc d’innovation en recherche et technologie abrite actuellement plus de 30 centres de recherche et développement dans les domaines de la biotechnologie, la nanotechnologie et la robotique. Sept de ces centres sont dirigés par des universités. Deux facteurs majeurs interviennent pour assurer le dynamisme d’un écosystème d’innovation. Premièrement, il convient de privilégier la bonne université pour le bon secteur. Les effets d’agglomération des universités varient selon les secteurs. Deuxièmement, il faut reconnaître qu’un écosystème d’innovation dynamique exige un environnement propice. La simple existence de pôles d’innovation performants ne signifie pas qu’il existe une formule garantie pour leur création. Toutefois, c’est fréquemment aux pouvoirs publics qu’il incombe de mettre en place un environ- nement propice dans lequel les pôles d’innovation peuvent fleurir, en fournissant l’infrastructure locale, en augmentant les dépenses de recherche et développement, en établissant le lien entre les universités dotées d’éminents chercheurs et l’inno- vation dans le secteur privé et en assouplissant les réglementations trop rigides du marché du travail. L’apprentissage des adultes en dehors du lieu de travail À mesure que se transforme le monde du travail, certains travailleurs peinent à s’adapter au bouleversement des compétences que cela entraine. Pendant que les économies se réorganisent pour fournir le capital humain de la génération suivante, la population active actuelle s’inquiète de ses perspectives d’emploi. Pour alléger ces inquiétudes, on peut envisager l’éducation des adultes comme un moyen de doter la main-d’œuvre déscolarisée et au chômage de compétences nouvelles ou à jour. Toutefois, cette démarche s’est révélée plus prometteuse en théorie que dans la pratique, les défauts de conception constituant trop souvent un obstacle. L’éducation des adultes peut être améliorée de trois manières : une analyse plus systématique des contraintes spécifiques que doivent surmonter les adultes  ; une pédagogie adaptée au cerveau adulte et des méthodes pédagogiques souples qui s’intègrent bien dans leur style de vie. La formation des adultes est un outil précieux pour réajuster leurs compétences afin qu’ils puissent s’adapter au travail du futur, mais il conviendrait de repenser sérieusement sa conception. Les programmes de formation des adultes sont de natures diverses. La présente section met principalement l’accent sur trois types qui sont particulièrement utiles pour préparer les adultes à l’évolution des marchés du travail : les programmes d’alphabétisation des adultes, la formation professionnelle aux fins d’un emploi salarié et les programmes d’entrepreneuriat. À travers le monde, plus de 2,1 milliards d’adultes en âge de travailler (15-64 ans) ont une faible maîtrise de la lecture. En Afrique subsaharienne, près de 61 % des travailleurs ont du mal à lire ; en Amérique latine et aux Caraïbes, cette part atteint 44 %. En Inde, 24 % seulement des 18 à 37 ans qui abandonnent l’école avant la fin du primaire savent lire28. Une éducation de faible qualité peut aussi déboucher sur de faibles capacités de lecture (figure 4.6). En Bolivie, au Ghana et au Kenya, plus de 40 % des 19-20 ans avec un niveau d’éducation du second cycle du secondaire ont des compétences inférieures au niveau d’alphabétisation de base, comparé à 3 % seulement au Viet Nam. C’est un problème. Eu égard à l’avenir du travail, l’alphabétisme fonctionnel est une compétence de survie. Le coût économique et 82 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 4.6 Dans certaines économies, une part importante des 19-20 ans présente de faibles capacités de lecture, même après avoir achevé l’enseignement secondaire 60 % de la population des 19-20 ans n’ayant pas atteint le niveau 2 d’alphabétisation % de la population des 19-20 ans ayant une éducation du second cycle du 40 secondaire 20–50 50–80 80–100 20 0 Irl m Fr e Gé ce Uk ie ra A ine Ru e re ie Gr e e Ko l Tu vo Gh i Bo a Ke e a Co lie e Ch ie aë il an ny d de éni bi èc i ui Ch ss g rb liv Na yp Ita an so an Isr ra rq or m Se tio rm lo et Vi n dé Fé Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Note : Données sur l’Arménie, la Bolivie, la Colombie, la Géorgie, le Ghana, le Kenya, le Kosovo, la Serbie, l’Ukraine et le Viet Nam : Étude de mesure des compétences (STEP) de la Banque mondiale ; données sur les autres économies : jeu de données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC). Les études STEP sont représentatives des zones urbaines. L’échantillon PIAAC pour la Fédération de Russie n’inclut pas la population de la zone municipale de Moscou. social de l’analphabétisme adulte pour les pays en développement est estimé à plus de 5 milliards de dollars par an29. Même avec des compétences de base en lecture, beaucoup de personnes quittent l’école trop tôt pour se lancer dans la vie ou entamer une carrière, ce qui peut s’expliquer par des contraintes économiques ou culturelles, la faible qualité de l’en- seignement de base, ou les deux. En 2014, les taux d’abandon dans le premier cycle de l’enseignement général secondaire étaient en moyenne de 27,5 % dans les pays à faible revenu et de 13,3 % et 4,8 % dans les pays à revenu intermédiaire et à revenu élevé, respectivement30. Ceux qui quittent l’école trop tôt ont du mal à trouver un emploi ou à poursuivre leurs études plus tard sans certification formelle ni compé- tences acquises. Beaucoup d’adultes qui n’ont pas abandonné l’école mais ont reçu une éducation de base de piètre qualité se heurtent à des contraintes similaires. À l’échelle mondiale, quelque 260 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans ne vont pas à l’école et n’ont pas d’emploi. Le chômage des adultes constitue un risque politique et suscite des préoccupations économiques. Parfois, il se traduit par une vague d’émigration, des troubles sociaux ou des bouleversements politiques. Le manque de perspectives économiques pour une population de plus en plus instruite a largement catalysé le printemps arabe de 2010-11. L’évolution de la démographie fait peser des pressions supplémentaires sur le marché du travail. Beaucoup de pays riches s’emploient à pourvoir une population active moins nombreuse et plus âgée de nouvelles compétences pour faire face à l’évolution de la nature du travail et soutenir la croissance économique. D’autres pays qui comptent un nombre impor- tant de jeunes sont aux prises avec une main-d’œuvre peu qualifiée piégée dans des emplois à faible productivité. L’acquisition continue du savoir | 83 Les programmes de formation des adultes actualisent les compétences, outillent les travailleurs plus âgés et améliorent leur adaptabilité. Lancée en 2009, l’initiative Saakshar Bharat de l’Inde cherche à alphabétiser 70 millions d’adultes. Au Ghana, plus de 66 % des participants aux programmes d’alphabétisation des adultes ont obtenu des résultats positifs sur le marché du travail31. L’Institut national mexicain pour la formation des adultes a mis au point des modules souples de programmes d’éducation équivalant à l’enseignement primaire ou secondaire. Ceux-ci sont des- tinés à offrir une seconde chance aux personnes non scolarisées. Dans le cadre de l’Initiative de la Banque mondiale pour la promotion de l’emploi des adolescentes au Népal, la formation professionnelle des femmes a accru de 174 % l’emploi en dehors de l’agriculture32. Le programme Entra21 de l’Argentine permet aux adultes d’acquérir des compétences et de faire des stages, ce qui a débouché sur une aug- mentation de 40 % du revenu de ses participants33. Le programme Ninaweza du Kenya offre des formations professionnelles aux jeunes femmes vivant dans des quartiers informels de Nairobi. Il a permis d’améliorer de 14 % leurs chances de décrocher un emploi, d’accroître leur revenu et de renforcer leur confiance en soi34. Toutefois, nombre de programmes de formation des adultes n’ont pas d’impact significatif. Les programmes d’alphabétisation des adultes améliorent souvent la reconnaissance des mots, mais n’arrivent pas à optimiser véritablement la compré- hension de textes35. Au Niger, un programme de formation des adultes a accru la vitesse de lecture sans pour autant atteindre le niveau requis de compréhension de textes (la vitesse minimum de lecture pour une bonne compréhension est d’un mot toutes les 1,5 seconde). Les programmes d’entrepreneuriat améliorent souvent la connaissance des affaires, mais ne créent pas d’emplois. Au Pérou, la formation de femmes entrepreneurs a amélioré l’activité commerciale, sans accroître substan- tiellement le nombre d’emplois. La formation professionnelle d’une personne au chômage améliore souvent son revenu à court terme, mais pas toujours l’emploi à long terme. Le programme Juventud y Empleo (Jeunesse et emploi) de la Répu- blique dominicaine a amélioré les compétences non cognitives et renforcé le secteur formel, sans parvenir à accroître le nombre d’emplois. La formation professionnelle en Turquie n’a pas eu d’impact significatif sur l’emploi dans son ensemble et ses effets positifs sur la qualité des emplois ont disparu à long terme. Les coûts sont élevés, même pour les programmes de formation des adultes couronnés de succès. Au Libéria, bien que les jeunes femmes bénéficiaires d’une formation professionnelle aient pu améliorer leur salaire mensuel — 11 dollars de plus que le groupe de comparaison —, le coût du programme était de 1 650 dollars par personne36. Pour qu’un programme de formation soit rentable, il doit avoir des effets stables pendant 12 ans. En Amérique latine, certains programmes prennent très longtemps pour atteindre une valeur actuelle nette positive si leurs avantages sont soutenus — par exemple, sept années pour ProJoven (Programme pour les jeunes) au Pérou et 12 années pour Proyecto Joven (Projet Jeunesse) en Argen- tine37. La formation des adultes est souvent simplement une composante onéreuse d’un ensemble global, raison pour laquelle il est difficile de comprendre le rapport coût-efficacité d’un programme. Le Programme de soutien aux micro-entrepreneurs du Chili a accru l’auto-emploi de 15 points de pourcentage à court terme, mais il est difficile de dire dans quelle mesure cet accroissement peut être attribué aux 60 heures de formation commerciale ou aux 600 dollars d’apport en capital38. Une conception sous-optimale et un diagnostic incorrect sont les deux principales raisons d’une piètre efficacité. Les cerveaux des adultes apprennent différemment — ce qui n’est pas toujours pris en compte dans la conception du programme. Du 84 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 fait que la capacité du cerveau à apprendre diminue avec l’âge, les programmes de formation des adultes se heurtent à un défi inhérent : l’acquisition des connais- sances lorsque le cerveau a plus de mal à apprendre. Les progrès de la neuroscience indiquent comment prendre en compte ce facteur. La capacité d’un cerveau adulte à apprendre dépend largement de la fréquence de son utilisation. Les programmes de formation des adultes ont plus de chances de réussir si les leçons sont intégrées dans la vie quotidienne. Au Niger, les étudiants qui recevaient leurs enseignements sur leur téléphone mobile dans le cadre d’un programme de formation des adultes ont obtenu des scores de lecture et de calcul nettement plus élevés que ceux qui n’en avaient pas bénéficié. Les adultes doivent faire face à un stress important qui compromet leurs capacités mentales — ce qui, également, n’est pas toujours pris en compte dans la conception des programmes. Pour les adultes, les émotions sont constamment influencées par les exigences de la famille, des soins aux enfants et du travail. Ces demandes entrent en concurrence avec la capacité cognitive requise pour l’apprentissage. En Inde, on a constaté que les producteurs de canne à sucre possédaient des capacités cognitives nettement diminuées lorsqu’ils étaient démunis (durant la période précédant la récolte) que lorsqu’ils étaient plus riches (au cours de la période suivant la récolte). L’inclusion de signaux émotionnels liés au contenu de la formation — comme la définition d’objectifs — peut constituer une stratégie efficace pour optimiser l’apprentissage des adultes. Cependant, les outils comportementaux sont rarement intégrés dans les programmes de formation des adultes. Des contraintes socioéconomiques spécifiques pèsent sur les adultes — et là encore, celles-ci ne sont pas toujours prises en compte dans la conception des programmes de formation à l’intention de ces derniers. Les apprenants adultes ont des coûts d’opportunité élevés sous forme de manque à gagner ou de temps perdu avec leurs enfants, mais les programmes sont souvent assortis de calendriers rigides et intensifs. Au Malawi, la participation à la formation s’est traduite par une baisse de l’épargne personnelle deux fois plus importante pour les femmes que pour les hommes. L’éloi- gnement des lieux de formation et l’absence de système de garderie d’enfants ont été des obstacles majeurs pour les femmes qui ont essayé de suivre des programmes de formation professionnelle en Inde. Dans le cas de l’alphabétisation des adultes, les taux d’abandon sont souvent élevés, de 17 % au Niger à 58 % en Inde39. La faible participation aux programmes de formation des adultes démontre que ceux-ci ne sont pas toujours la bonne solution. Dans le cadre du programme de Com- pétences pour la promotion de l’emploi (Skills for Employability) au Pakistan, même parmi les ménages pauvres qui avaient manifesté leur intérêt pour la formation pro- fessionnelle, plus de 95 % ne se sont pas inscrits lorsqu’un bon leur a été remis. Même lorsque le gouvernement a relevé les allocations journalières et installé les centres de formation dans les villages, les inscriptions n’ont pas dépassé 25 %40. Au Ghana, la demande de formation des entreprises informelles est faible, car la plupart des dirigeants ne considèrent pas l’absence de compétences comme une contrainte. L’amélioration du diagnostic et de l’évaluation, une meilleure conception et une exécution optimisée sont trois voies prometteuses pour accroître l’efficacité des pro- grammes de formation des adultes. Pour améliorer le diagnostic et l’évaluation, un recueil systématique des don- nées avant la conception du programme permettra d’identifier les obstacles les plus importants pour la population ciblée. Ces informations sont également utiles pour adapter la formation professionnelle. Les données administratives du vaste pro- gramme de garantie de l’emploi rural en Inde ont permis de mieux comprendre les marchés locaux du travail. L’acquisition continue du savoir | 85 La neuroscience et de l’économie comportementale fournissent une pléthore d’informations permettant d’améliorer la conception des programmes de formation des adultes. Les exercices pratiques comme les dispositifs visuels sont efficaces pour la formation des adultes, car ils favorisent la mémoire. Il a été démontré que l’inclu- sion d’éléments de motivation, tels que des récompenses financières, l’expérience professionnelle ou les retours fréquents, favorisait l’apprentissage des adultes. Une expérience faite parmi les jeunes adultes montre que les récompenses accroissent les gains de performance à long terme après la formation. S’agissant de l’exécution, des programmes souples de formation des adultes per- mettent à ces derniers d’apprendre à leur rythme. Dans le cadre d’un programme de promotion de la formation professionnelle par l’allocation de bourses au Kenya, près de 50 % des femmes ont cité la proximité du centre de formation comme un fac- teur déterminant dans le choix d’un cours41. Eu égard aux contraintes concurrentes relatives aux temps des adultes, les programmes de formation composés de modules courts, offerts via des applications mobiles, sont particulièrement prometteurs. La délivrance de programmes de formation par téléphone mobile protège mieux les apprenants adultes d’une stigmatisation éventuelle. Les programmes de formation des adultes ont plus de succès lorsqu’ils sont expressément associés à des perspectives d’emploi. Un apprentissage ou un stage qui lie la formation à l’expérience quotidienne et motive par la promesse d’une future rémunération économique est une manière courante de procéder. Les programmes de formation professionnelle sont plus performants lorsque le secteur privé inter- vient dans la mise au point du cursus ou des méthodes de formation ou offre un accompagnement pratique par le biais de stages ou d’apprentissages. Le programme Jóvenes en Acción (Jeunes en action) de Colombie combine les enseignements en classe avec une formation pratique dans des entreprises privées. Grâce à ce pro- gramme, la probabilité d’un emploi et d’un revenu formels a augmenté à court terme et a été soutenue à long terme. Le programme a aussi d’énormes effets positifs sur le plan de l’éducation, étant donné que les participants sont plus susceptibles de terminer l’école secondaire et d’entreprendre des études supérieures huit ans après leur formation. La probabilité que les membres de leur famille s’inscrivent dans l’enseignement supérieur a également augmenté. La réussite des programmes de formation des adultes peut aussi dépendre d’un allé- gement parallèle de contraintes multiples. Dans certains cas, combiner la formation à une aide monétaire ou un apport en capital est une manière directe d’en stimuler l’efficacité. Au Cameroun, 54 000 personnes ayant participé à un programme asso- ciant la formation à une aide financière ont trouvé un emploi42. Associer la forma- tion professionnelle à la délivrance de certificats, des lettres de recommandation et de meilleures informations sur les opportunités d’emploi est aussi susceptible d’accroître l’efficacité, notamment pour les femmes. En Ouganda, les personnes dont les compétences sont plus certifiables et transférables affichent des taux d’em- ploi supérieurs, des revenus plus élevés et une plus grande mobilité sur le marché du travail. Un programme de la Banque mondiale en Afrique du Sud s’efforce de faciliter la recherche d’emploi par l’intervention de pairs, des rappels par texto et l’établissement de plans d’action. Inclure les compétences non techniques ou sociocomportementales dans la conception de la formation semble prometteur. Au Togo, l’enseignement de « l’ini- tiative personnelle  » — un état d’esprit caractérisé par l’initiative, l’innovation et des objectifs — aux chefs d’entreprises informelles a accru de 30 % les bénéfices des entreprises participantes deux ans après le programme. Cette démarche a été beaucoup plus efficace que la formation traditionnelle en gestion d’entreprises. Pour 86 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 des employés d’usine en Inde, l’acquisition de compétences telles que la gestion du temps, la communication effective et la gestion financière a accru leur productivité. Notes   1. Krueger et Kumar (2004).  2. Cunningham et Villaseñor (2016) ; Deming (2017).  3. Hanushek et al. (2017).  4. Base de données internationale sur la répartition des revenus (I2D2) de la Banque mondiale.  5. Ederer et al. (2015).  6. World Bank (2015a, 2015b).  7. Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir de la base de don- nées Enterprise Surveys de la Banque mondiale, 2015–16.  8. Ebenehi, Rashid et Bakar (2016).  9. World Bank (2018b). 10.  Attanasio et al. (2014). 11.  Oxford Policy Management (2009). 12.  Aboud et Hossain (2011). 13.  Martinez, Naudeau et Pereira (2012). 14.  Garcia, Heckman et Ziff (2017). 15.  Bidwell et Watine (2014). 16.  Engle et al. (2011). 17.  Nollenberger et Rodríguez-Planas (2015). 18.  Hoddinott et al. (2008). 19.  Gertler et al. (2014). 20.  Black et al. (2017). 21.  UNESCO (2015, 59). 22.  Brinkman et al. (2017). 23.  Psacharopoulos et Patrinos (2018). 24. Saavedra (2009). 25.  Ferreyra et al. (2017). 26.  Hasanefendic, Heitor et Horta (2016). 27.  Blom et al. (2016) ; StudyMalaysia (2016). 28.  Kaffenberger et Pritchett (2017). 29.  Cree, Kay et Steward (2012). 30.  Sur la base de l’indicateur de « taux d’abandon cumulé à la dernière année d’études du premier cycle de l’enseignement secondaire général » publié par l’Institut de sta- tistique de l’Unesco. Données disponibles pour 112 économies. 31.  Blunch, Darvas et Favara (2018). 32.  Chakravarty et al. (2017). 33. J-PAL (2017). 34.  Alvares de Azevedo, Davis et Charles (2013). 35.  Aker et Sawyer (2016). 36.  Adoho et al. (2014). 37. Kluve (2016). 38.  Martínez, Puentes et Ruiz-Tagle (2018). 39.  Aker et Sawyer (2016). 40.  Cheema et al. (2015). 41.  Hicks et al. (2011). 42.  Haan et Serrière (2002). L’acquisition continue du savoir | 87 Bibliographie Aboud, Frances E., and Kamal Hossain. 2011. “The Impact of Preprimary School on Primary School Achievement in Bangladesh.” Early Childhood Research Quarterly 26: 237–46. 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World Development Report 2018: Learning to Realize Education’s Promise. Washington, DC: World Bank. CHAPITRE 5 Le rendement du travail L ’apprentissage ne s’arrête pas à l’école. Les étudiants qui intègrent le monde du travail ont la possibilité de continuer à accumuler du capital humain, mais sont confrontés à des obstacles. D’abord, les économies émergentes ont un secteur informel important. Ceux qui travaillent dans ce secteur ont tendance à occuper des emplois peu productifs qui n’offrent ni formation ni source de revenu stable. Les gouvernements qui mettent en place les conditions propices à des emplois dans le secteur formel sont à même d’offrir aux pauvres de meilleures opportunités de formation et de revenu. L’exclusion fréquente des femmes du travail est un autre obstacle, tout comme la concentration des pauvres dans les zones rurales et le secteur agricole. Augmenter leur productivité est crucial pour accroître le capital humain. L’un des pères de l’économie du travail a quantifié la rémunération du travail et de l’école. Avant que Jacob Mincer ne s’intéresse à ce sujet dans les années 70, ses contemporains estimaient fréquemment que c’est la chance qui détermine les capacités d’une personne, qui à leur tour déterminent sa rémunération. Mincer a démontré que les différentiels de revenu sont influencés par les investissements dans le capital humain qui augmentent le long du cycle de la vie, d’abord à l’école puis dans le monde du travail. Les retombées de ces investissements peuvent être mesurés en termes d’accroissement du revenu ou de «  rendements  » imputables à une année supplémentaire à l’école ou au travail. Par exemple, Mincer a indiqué que pour les hommes blancs occupant des emplois salariés non agricoles, une année supplémentaire d’éducation accroissait le revenu de 10,7 %1. L’expérience professionnelle des travailleurs des économies émergentes n’est pas aussi rémunératrice que celle de leurs homologues des économies avancées (figure 5.1). Aux Pays-Bas et en Suède, une année supplémentaire de travail accroît le salaire de 5,5 %. En Afghanistan, le pourcentage correspondant n’est que de 0,3 %. Le travailleur d’une économie émergente est plus susceptible que celui d’une économie avancée d’occuper un poste manuel, dans lequel les possibilités de formation sont moindres et le risque d’automatisation supérieure. Qui plus est, la main-d’œuvre des économies émergentes est moins bien formée que celle des économies avancées. Ces dernières se trouvent souvent à la pointe de la technologie et leurs travailleurs ont tendance à être hautement qualifiés, à évoluer dans le sec- teur formel et à avoir accès à tout un éventail d’emplois proposant des tâches non routinières et cognitives. Cela peut expliquer que la rémunération du travail dans les économies avancées soit plus élevée que dans les économies émergentes. Une comparaison de la rémunération du travail entre les métiers manuels et cognitifs révèle qu’une année additionnelle de travail dans des professions cogni- tives accroît les salaires de 2,9 %, alors que le pourcentage n’est que de 1,9 pour les métiers manuels2. Les métiers élémentaires, tels que les agents d’entretien, ainsi que les travailleurs agricoles qualifiés, présentent les rendements les plus faibles. Les spécialistes, les cadres et les techniciens sont les plus rémunérés. Le lieu de travail est un espace où il est possible d’acquérir des compétences après l’école. Il demeure que le travail complète la scolarité, mais ne la remplace pas. Les différences dans l’enseignement scolaire au niveau mondial expliquent en grande partie les variations du revenu. Une année supplémentaire à l’école produit, en moyenne, la même augmentation de salaire que quatre années de travail. Un actif devra travailler pendant trois ans en Allemagne, cinq ans au Malawi et huit ans au Guatemala pour obtenir les mêmes effets sur son revenu qu’une année supplémen- taire de scolarisation. Il est probable que les politiques visant à accroître la rémuné- ration du travail profiteront davantage aux personnes des économies émergentes, car nombre de travailleurs y sont exclus du système scolaire. 92 Le rendement du travail | 93 FIGURE 5.1 Lerendement de l’expérience professionnelle est plus important dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu intermédiaire et à faible revenu 6,0 Suède : 5,5 Augmentation en % des salaires pour une année supplémentaire d’expérience professionnelle Allemagne : 4,3 Moyenne 4,0 (France) Tanzanie : 3,6 4,0 Brésil : 2,8 Kenya : 3,0 Uruguay : 3,0 Éthiopie : 2,9 Moyenne Afrique du Sud : 2,4 Cameroun : 2,5 (Libéria) : Moyenne Moyenne 2,5 2,0 Bulgarie : 1,8 (Gabon) : Lituanie : 2,1 2,1 (Moldavie) : Malawi : 1,6 1,8 Kazakhstan : 1,3 Arménie : 0,8 0 Afghanistan : 0,3 République kirghise : –1,4 –2,0 Revenu élevé Revenu Revenu Faible revenu moyen supérieur moyen inférieur Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données d’enquête sur les ménages et la population active provenant de la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale. Note : La figure donne une estimation de l’augmentation en pourcentage des salaires après une année supplémentaire d’expé- rience professionelle potentielle dans 135 économies par niveau de revenu. Pour les économies à revenu élevé, la moyenne est de 4 %. Ce qui signifie qu’en moyenne, une année supplémentaire d’expérience professionnelle accroît les salaires mensuels de 4 % dans les économies à revenu élevé. Pour chaque catégorie de revenu, on voit quelles sont les économies de la tranche supérieure et de la tranche inférieure. Ainsi, pour une année supplémentaire d’expérience professionnelle, les salaires men- suels augmentent de 5,5 % en Suède, mais seulement de 2,1 % en Lituanie. La méthodologie utilisée suit les travaux précédents en catégorisant les années d’expérience en sept groupes (Lagakos et al., 2018). La croissance des salaires est estimée pour chaque groupe par rapport au groupe sans expérience. On calcule ensuite le rendement de l’expérience comme la moyenne des sept groupes, en utilisant une moyenne géométrique. Les économies de la tranche supérieure et de la tranche inférieure pour chaque catégorie de revenu sont classées en tenant compte du niveau de revenu et de l’espérance de vie. Les travailleurs formés sont plus à même d’apprendre sur le lieu de travail que ceux qui ne le sont pas. Pour chaque année additionnelle d’expérience profession- nelle, les travailleurs mal formés enregistrent une croissance annuelle de salaire de 2 %. En revanche, ceux qui ont des niveaux élevés d’éducation obtiennent des taux de rendement annuel du travail de 2,4 %. C’est pourquoi les pays qui ont de mauvaises écoles sont doublement pénalisés. Premièrement, les jeunes adultes qui sortent des lycées n’ont pas été équipés des compétences dont ils ont besoin pour trouver un travail ; deuxièmement, lorsqu’ils trouvent du travail, ils gagnent et apprennent moins que leurs homologues bien formés. Prenons la Jordanie, un pays où la rémunération est faible à la fois pour le niveau d’éducation (5,9 %) et l’expérience professionnelle (1,2 %) et dont les scores sont inférieurs à la moyenne du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) en mathématiques, sciences et lecture. Un travailleur qui achève l’en- seignement secondaire en Jordanie et travaille pendant un an gagnerait moins de la moitié de son homologue en Allemagne. Qui plus est, après avoir accumulé 30 ans d’expérience, le salaire du travailleur allemand sera déjà au moins cinq fois plus élevé que le sien. 94 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 L’informel Le secteur informel est omniprésent dans la plupart des économies émergentes. Il pourvoit plus de 70 % des emplois en Afrique subsaharienne, 60 % en Asie du Sud et plus de 50 % en Amérique latine. Au Kenya, l’emploi informel atteint le pour- centage effrayant de 77,9 % du total des emplois, l’un des taux les plus élevés du continent africain. Près de six millions d’entreprises du secteur informel du Kenya ne sont pas agréées. En outre, la productivité est faible dans ce secteur : dans les économies émergentes, la productivité des travailleurs informels ne représente en moyenne que 15 % de celle des travailleurs formels3. Le secteur informel évolue lentement. Depuis 1999, l’Inde connaît un boom des technologies de l’information ; le pays est devenu une puissance nucléaire ; il a brisé le record mondial du nombre de satellites lancés dans l’espace à l’aide d’une fusée unique  ; et il enregistre un taux annuel de croissance de 5,6 %. Pourtant, la taille de son secteur informel se maintient aux environs de 90 %4. Ce schéma n’est pas unique à l’Inde. L’informel est l’une des principales caractéristiques des économies émergentes. À Madagascar, le pourcentage de travailleurs informels non agricoles a progressé de 74 % en 2005 à 89 % en 2012. Au Nicaragua, l’informel est passé de 72,4 % en 2005 à 75 % en 20105. Des analyses reposant sur la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale montrent que la rémunération de l’expérience est plus élevée pour les travailleurs du secteur formel que pour ceux de l’informel. Par exemple, une année passée dans le secteur informel au Kenya n’accroît le revenu que de 2,7 % par an. En revanche, les travailleurs du secteur formel du Kenya voient leur revenu progresser de 4,1 % chaque année, soit environ 1,5 fois de plus que pour les revenus du secteur informel. L’écart est significatif. Les différences de rémunération entre les emplois formels et informels existent partout dans le monde. Au Népal, la rémunération de l’expérience des salariés du secteur formel est 1,4 fois supérieure à celle des salariés de l’informel. En Afrique du Sud, elle est 1,6 fois plus élevée dans le secteur formel que dans l’informel et en Inde, elle est deux fois plus importante. Dans les économies émergentes, pour une année supplémentaire de travail, les revenus progressent en moyenne de 1,4 % pour les salariés du secteur informel, contre 1,8 % pour ceux du secteur formel. Il est peu probable que les millions d’entreprises informelles dirigées par les pauvres enrichiront leurs propriétaires. En général, celles-ci n’ont pas d’employés salariés et peinent à faire des profits. À Dakar (Sénégal), 87 % des entreprises dont la productivité par travailleur est inférieure à 10 000 dollars opèrent dans le secteur informel6. Les sociétés informelles sont dirigées par des personnes non formées, des- servent des consommateurs peu nantis et font appel à peu de capital — les sociétés informelles ne créent que 15 % de la valeur ajoutée par employé des entreprises formelles7. Il est aussi rare qu’elles intègrent ultérieurement le secteur formel. Les pauvres réussissent à faire beaucoup avec peu, mais les entreprises qu’ils exploitent sont trop petites pour accroître leurs moyens de subsistance. Ces entre- prises n’offrent pas de revenus stables, ce qui rend les pauvres vulnérables aux imprévus. Pour autant, ils n’ont pas d’autres options. Leurs entreprises offrent une solution lorsque l’emploi formel est indisponible. La création d’emplois formels stables dans le privé pour les pauvres est un objectif important des politiques publiques. Les emplois stables permettent aux travailleurs pauvres d’engager des dépenses. Les emplois d’usine améliorent la vie des pauvres de manière spectaculaire8. L’amélioration de l’infrastructure dans les villes et les Le rendement du travail | 95 villages pourrait encourager les entreprises formelles à s’installer à proximité de tra- vailleurs pauvres. Bien qu’il soit peu probable que les petites entreprises informelles intègrent le secteur formel et montent en puissance, leurs propriétaires pourraient obtenir des emplois formels. L’économie des pays dans lesquels les entreprises sont lourdement réglementées est souvent majoritairement informelle9. Le Mexique est une bonne illustration de ce qui se passe lorsqu’un pays simplifie sa réglementation commerciale. En mai 2002, Il a commencé à mettre en œuvre son Système de création rapide d’entreprises. Il a simplifié les procédures d’enregistrement des entreprises locales et ramené le nombre moyen de jours nécessaires pour enregistrer une entreprise de 30 à 2, le nombre de formalités requises de 8 à 3 et le nombre de déplacements à effectuer dans un bureau pour enregistrer une entreprise de 4 à une. La Commission fédérale pour l’amélioration de la réglementation a organisé la réforme en coordination avec les administrations communales car, au Mexique, beaucoup de formalités d’enregis- trement des entreprises s’accomplissent au niveau local. Après les réformes, les pro- priétaires d’entreprises informelles dont le profil était semblable à celui de travail- leurs salariés formels avaient 25 % de chances en plus d’intégrer un emploi formel10. Les faits donnent à penser que l’assouplissement de la réglementation encourage la transition de la propriété d’entreprises informelles à un emploi salarié formel. Dans certains cas, la simplification de la réglementation des entreprises peut se faire en parallèle avec d’autres réformes. Au Brésil, le Programme de promotion de micro-entrepreneurs individuels introduit en 2009 ciblait les chefs d’entreprises qui emploient au plus une personne. Ce programme a été conçu pour réduire les coûts de formalisation des entreprises — coûts d’enregistrement (d’entrée) et coûts du maintien dans le secteur formel — moyennant la réduction des taxes mensuelles et des formalités administratives. La diminution des coûts d’enregistrement des entre- prises, associée à une baisse des impôts, a débouché sur la formalisation d’entreprises auparavant informelles. Les secteurs admis à bénéficier d’un abattement fiscal ont enregistré une augmentation de 5 % du nombre d’entreprises formelles. La réduc- tion de moitié des impôts mensuels s’est traduite par une augmentation de 2 % du taux d’enregistrement des entreprises, contre une base de référence de 20 %11. Les pouvoirs publics peuvent aussi faire appel à la technologie pour réduire la taille de l’informel. L’introduction de la paie électronique a joué un rôle important pour réduire les emplois informels non agricoles au Pérou, qui sont passés de 75 % en 2004 à 68 % en 2012. Les employeurs utilisent le système de paie électronique pour envoyer à l’administration fiscale nationale des rapports mensuels sur leurs travailleurs, leurs retraités, leurs prestataires de services, leur personnel en forma- tion, leurs sous-traitants et leurs ayants-droit. La paie électronique, qui est entrée en service en 2008, s’est traduite par l’enregistrement d’environ 300 000 nouveaux emplois formels cette année-là, compte tenu de la croissance économique12. Les investissements dans le capital humain réduisent les emplois informels. Lorsque les jeunes sont équipés des compétences appropriées, ils ont plus de chances d’obtenir un emploi formel. Un programme de formation des jeunes à Santo Domingo, la capitale de la République dominicaine, a ciblé les 16-29 ans qui n’étaient pas scolarisés et vivaient dans des quartiers pauvres13. Il a offert en tout 225 heures de formation professionnelle : 150 heures étant consacrées à l’appren- tissage d’un large éventail de métiers peu qualifiés tels qu’assistant administratif, coiffeur et mécanicien et 75 heures à l’amélioration des aptitudes générales des participants (principalement les habitudes de travail et la confiance en soi). Les 96 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 formations ont été suivies d’un stage de trois mois dans une entreprise privée. L’éva- luation du programme a montré que l’investissement dans la formation des jeunes avait un impact significatif sur la probabilité d’obtenir un emploi formel et sur le revenu dans un marché du travail urbain. Et puis, ces gains durent dans le temps. Les femmes actives La peinture d’une fresque murale montrant la construction d’une ville (The Making of a Fresco Showing the Building of a City) du peintre mexicain Diego Rivera (1886–1957) a été choisie pour illustrer la couverture du présent rapport. Rivera, un communiste, dépeint un travailleur géant qui domine des banquiers, des architectes et des artistes. Mais on voit une seule femme parmi les 19 personnes sur la fresque. Bien que le sta- tut des femmes dans l’économie se soit amélioré depuis l’époque de Rivera, un écart considérable subsiste entre les possibilités économiques accessibles aux femmes et aux hommes. Certaines sociétés excluent les femmes du marché du travail. À travers le monde, 49 % des femmes de plus de 15 ans sont employées, contre 75 % des hommes. Aux postes de pouvoir, les déséquilibres persistent entre les hommes et les femmes. Moins d’un cinquième des entreprises sont dirigées par une femme14. Cependant, ces nombres cachent des écarts criants entre les pays. En Suède, 61 % des femmes occupent un emploi formel. En Italie, la proportion est de 40 % et en Inde et au Pakistan, seulement 25 à 27 % des femmes sont intégrées dans la population active. En général, les femmes travaillent dans des secteurs économiquement moins pro- ductifs et occupent des postes dans lesquels les possibilités de formation en cours d’emploi sont potentiellement moins importantes. L’inclusion des femmes dans l’activité économique formelle est fonction du degré d’égalité des droits de propriété. Dans la Grèce ancienne, les femmes ne pouvaient pas hériter des droits de propriété, alors que dans la Rome antique, elles n’avaient aucun droit politique. En 1804, le Code napoléonien avait établi que les femmes étaient assujetties à leur père et leur mari. Avant 1870, les femmes mariées au Royaume-Uni n’étaient pas en droit de revendiquer un bien et la totalité des biens appartenaient au mari. Bien que la parité entre les hommes et les femmes se soit améliorée à travers le monde, des différences considérables subsistent. Dans de nombreux pays, les femmes se heurtent à des obstacles juridiques par- ticuliers pour obtenir des emplois dans certains secteurs : 65 économies leur inter- disent d’occuper un emploi minier  ; 47 imposent des restrictions dans l’industrie manufacturière et 37 leur interdisent de travailler dans le bâtiment. Qui plus est, dans 29 économies sur 189, les femmes ne peuvent pas travailler autant d’heures que les hommes. Les hommes sont plus nombreux que les femmes dans tous les emplois (figure 5.2). Environ un quart seulement des cadres sont des femmes, et celles-ci ne représentent que 39 % des spécialistes. Dans toutes les professions, la présence des femmes est relativement plus élevée aux postes de soutien administratif, de services et de ventes (44 %). Elles sont moins nombreuses parmi les opérateurs d’usine et de machines et les assembleurs où elles n’occupent que 16 % des postes. La plupart des femmes à la tête d’entreprises formelles dans les économies émergentes opèrent dans le secteur du commerce de détail. En général, les femmes tirent moins parti de leur expérience professionnelle (1,9 %) que les hommes (3,1 %). En République bolivarienne du Venezuela, pour chaque année supplémentaire de travail, le revenu des hommes augmente de 2,2 % Le rendement du travail | 97 FIGURE 5.2 Leshommes sont plus nombreux que les femmes dans toutes les professions largement définies 100 80 Pourcentage 60 40 20 39 44 44 34 35 36 26 26 16 0 Opérateurs Artisans et Cadres Professions Techniciens Agents de Spécialistes Employés Agents de et assembleurs ouvriers de élémentaires et experts maîtrise dans administratifs ventes et d’usine et métiers de associés l’agriculture, de services de machines type artisanal la foresterie et la pêche Profession Femmes Hommes Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données d’enquête sur les ménages et la population active provenant de la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale. contre 1,5 % seulement pour les femmes. La différence est encore plus marquée dans des pays comme le Mali, où le rendement pour les hommes est de 3,1 % contre 1,6 % seulement pour les femmes. Une femme au Mali devra accumuler près de deux années d’expérience pour chaque année accumulée par son homologue mas- culin pour obtenir la même augmentation de salaire. Au Danemark, en revanche, ce chiffre est de 5 % à la fois pour les hommes et pour les femmes. De nombreuses raisons expliquent ces différences de rendement entre les hommes et les femmes. Prenons un couple qui travaille au Bangladesh et envisage de concevoir son premier enfant. Les lois du Bangladesh ne prévoient pas de congé parental avec ou sans solde, si bien que la mère ne peut avoir la garantie de retrou- ver un emploi équivalent après la naissance de son enfant. Les mères qui allaitent n’ont pas droit à des pauses d’allaitement et la loi ne permet pas d’horaires souples ou à temps partiel. Le rendement de l’expérience professionnelle du Bangladesh pour les femmes est de 0,8 % — près de la moitié de ce que gagnent les hommes. Par contraste, au Portugal, en Espagne et en Suède — pays qui prévoient un congé parental à la fois pour les hommes et les femmes — les rendements de l’expérience professionnelle sont similaires pour les deux sexes. Une meilleure information encourage le changement. C’est la raison pour laquelle la Banque mondiale a lancé en 2018 un projet intitulé Women, Business and the Law pour répertorier les disparités juridiques entre les hommes et les femmes dans 189 éco- nomies. Il est crucial d’éliminer les restrictions juridiques qui pèsent sur les femmes. Le simple fait d’inclure une clause de non-discrimination dans le recrutement accroît l’emploi des femmes dans les entreprises formelles de 8,6 %15. Un congé de paternité obligatoire pour encourager une répartition plus équitable de l’éducation des enfants entre les hommes et les femmes augmente en moyenne la proportion des femmes employées dans des entreprises formelles de 6,8 points de pourcentage16. 98 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 5.3 Des restrictions juridiques accrues au travail des femmes correspondent à des salaires inférieurs 6 une année d’expérience professionnelle supplémentaire Augmentation en % des salaires des femmes pour Suède Danemark Pays-Bas 4 France 2 Jordanie Mexique Afghanistan Zambie 0 République du Yémen Cambodge –2 20 40 60 80 100 Score d’égalité entre les sexes en vertu de la réglementation du travail Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des données d’enquête sur les ménages et la population active provenant de la Base de données internationale sur la répartition des revenus de la Banque mondiale. Note : La publication Women, Business and the Law de la Banque mondiale mesure les scores des économies en matière d’égalité juridique des hommes et des femmes selon que celles-ci traitent différemment les hommes et les femmes. Plus le score est élevé, plus grande est l’égalité juridique entre les hommes et les femmes. Plus le nombre de restrictions juridiques auxquelles se heurtent les femmes est important, moins elles tirent parti de leur expérience professionnelle (figure 5.3). Au bout du spectre, le Danemark, la France, les Pays-Bas et la Suède comptent moins de restrictions juridiques liées au sexe et la rémunération du travail y est supérieure pour les femmes. En Afghanistan, en Jordanie et en République du Yémen, où les femmes et les hommes sont traités différemment en droit, le rende- ment de l’expérience professionnelle pour les femmes est l’un des plus faibles. Les restrictions juridiques croissantes axées sur le genre découragent les femmes à la fois d’être propriétaire d’une entreprise et de la diriger17. Il est tout à fait possible que les modifications apportées aux lois n’améliorent pas le rendement de l’expérience professionnelle pour les femmes, et que cette amélioration provienne d’ailleurs. Il demeure que les lois sont relativement faciles à modifier et doivent être une pre- mière étape naturelle. Les pays procèdent à des réformes. Depuis les changements apportés au code de la famille en République démocratique du Congo en 2016, une femme est autorisée à enregistrer son entreprise, à ouvrir un compte bancaire, à demander un prêt, à signer un contrat et à immatriculer une terre sans la permission de son mari. La Loi de 2015 sur l’équité et l’égalité entre les hommes et les femmes en Zambie interdit la discri- mination entre les sexes dans l’emploi. L’Iraq garantit que les femmes qui reprennent le travail après un congé de maternité retrouvent un poste similaire pour le même salaire. La Chine a accru la durée de son congé de paternité payé. L’Afghanistan inter- dit le harcèlement sexuel dans l’emploi et l’éducation. Entre 2015 et 2017, soixante- cinq pays ont engagé des réformes portant sur l’égalité entre les sexes. Les réformes des lois et des programmes discriminatoires en vue d’autonomiser les femmes en leur donnant accès à une formation et à des actifs améliorent leur Le rendement du travail | 99 bien-être. Au Bangladesh, les femmes pauvres travaillent généralement comme domestiques ou ouvriers agricoles et les femmes aisées élèvent du bétail. Un pro- gramme national a changé des vies en offrant du bétail et une formation à des femmes démunies et en leur prodiguant des conseils sur leurs droits juridiques, sociaux et politiques. Le revenu de bon nombre des femmes participant au pro- gramme a augmenté, leur bétail a pris de la valeur, elles ont accumulé des actifs et elles étaient plus susceptibles d’acquérir des terres. Ces améliorations ont perduré sept années après le programme18. En Ouganda, un programme similaire offrait aux adolescentes une formation professionnelle accompagnée d’informations sur la santé et la reproduction sexuelles afin de réduire les grossesses précoces. Quatre années après le programme, les femmes étaient plus susceptibles de participer à des activités génératrices de revenus19. En 2009, le Libéria a lancé le projet d’habilitation économique des adolescentes et des jeunes femmes. Ce projet cherche à offrir aux jeunes filles une formation scolaire — axée sur les compétences personnelles et techniques très recherchées sur le marché — suivie d’un appui à l’insertion professionnelle (dans un emploi rémunéré ou autonome). Il a considérablement amélioré la vie des participantes : leurs perspectives d’emploi et leur revenu ont progressé respectivement de 47 % et 80 % ; elles ont économisé 35 dollars de plus qu’un groupe témoin sur une période de 14 mois ; et leur confiance en soi, leur satisfaction personnelle et leurs capacités sociales se sont améliorées. Les ménages des participantes ont renforcé leur sécurité alimentaire en consommant plus de protéines à haute valeur nutritive, et diminué la probabilité de souffrir de pénuries alimentaires20. Le travail dans l’agriculture Dans les pays à faible revenu, l’agriculture reste le moteur de l’économie, notamment en milieu rural, même si le nombre d’emplois qu’il soutient diminue à mesure que les économies se développent. En 2017, elle fournissait 68 % des emplois dans les économies à faible revenu. L’amélioration du revenu agricole est donc un moyen effi- cace de réduire la pauvreté21. Pour autant, la combinaison de l’automatisation et de l’ouverture du commerce a des conséquences néfastes pour l’emploi agricole dans les pays en développement. Dans le même temps, l’agriculture capitalistique des écono- mies avancées semble réduire la demande d’importations en provenance de ces pays. Il s’ensuit une urbanisation plus rapide en Afrique et en Asie du Sud, où les défis de l’exode rural sont nombreux. D’une part, les revenus peuvent augmenter : dans les économies émergentes, une année supplémentaire d’expérience professionnelle dans une ville correspond à une augmentation de 2,2 % du salaire. Le rendement du travail dans les zones urbaines est 1,7 fois supérieur à celui des zones rurales où prédomine l’agriculture, soit une prime de 70 %. Il s’agit-là d’une tendance mon- diale. En Indonésie et au Mexique, la rémunération du travail en milieu urbain est supérieure de 50 % à ce qu’on obtient dans les zones rurales. En Chine, en Inde et au Viet Nam, elle représente le double. D’autre part, les perspectives peuvent être limitées en ville. Là, les travailleurs ont en général besoin d’un niveau minimum d’éducation pour accéder à la plupart des meilleurs emplois. Dans plusieurs économies en développement, la réglementation draconienne du travail empêche les entreprises d’employer les travailleurs peu pro- ductifs, les poussant vers l’économie informelle22. Les contraintes auxquelles se heurtent les pauvres qui s’installent dans les villes sont bien répertoriées. En Inde, les travailleurs à Odisha donnent au moins deux rai- sons pour ne pas rester dans la ville23. Premièrement, il n’y a pas de logement — les 100 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 plus pauvres doivent souvent s’entasser dans des zones marécageuses ou des taudis proches des décharges. En revanche, les villages offrent des espaces plus ouverts, plus verts et plus calmes. Deuxièmement, ceux qui installent leur famille en ville doivent faire face à des risques considérables. Si leurs enfants tombent malade, les soins de santé y sont meilleurs, mais trouveront-ils quelqu’un pour leur prêter de l’argent s’ils en ont besoin ? Les relations établies dans les villages servent de filet de sécurité aux pauvres vulnérables. Pour réduire la pauvreté, les pouvoirs publics peuvent être tentés de déplacer les travailleurs pauvres des villages essentiellement tributaires de l’agriculture vers les villes afin d’accroître le rendement global de l’expérience professionnelle dans l’éco- nomie. Cependant, il est peu probable que ces migrations contribuent nettement à combler le fossé du rendement entre les économies émergentes et avancées. Des études réalisées en Indonésie et au Kenya ont révélé que pour combler cet écart, il est nécessaire d’apporter des améliorations aux zones rurales24. Entre les villes animées et les villages axés sur l’agriculture de subsistance, on trouve des villes secondaires. Celles-ci jouent un rôle particulier pour faciliter la transition des travailleurs ruraux vers des emplois non agricoles, qui est en grande partie lié à l’agriculture. Les villes secondaires occupent un espace important entre les villages et les mégalopoles et permettent d’évoluer de part et d’autre de la chaîne de valeurs. Les expériences des migrants tanzaniens le confirment et mettent en exergue le rôle que jouent les villes secondaires pour faciliter la transition hors de l’agriculture25. Dans les premières étapes du développement, des villes secondaires en plein essor peuvent contribuer davantage à l’allégement de la pauvreté rurale que les cités. Mais par la suite, ce sont les cités qui prennent le contrôle. À mesure que les économies se développent, l’agriculture devient plus pro- ductive, contrairement au secteur informel. Mais les défis que doivent relever les paysans dans les économies émergentes sont nombreux et l’administration joue un rôle important pour accroître la productivité. Les petits exploitants agricoles ont un accès limité à des intrants tels que l’engrais et les machines, ainsi qu’aux services qui accroissent la productivité  ; la raison étant qu’ils ne sont pas intégrés dans les chaînes de valeur. Le développement des chaînes de valeur permet aux agricul- teurs de répondre à la demande urbaine de produits agricoles de valeur tels que les produits laitiers, la viande, les fruits et les légumes. La réduction de la pauvreté est plus rapide lorsqu’on passe de la production vivrière à l’agriculture de rente. Cependant, cette démarche exige d’accroître largement la productivité vivrière au-delà des niveaux actuels de l’Afrique subsaharienne. Les décideurs font pourtant des progrès dans certains domaines. On peut citer en exemple les programmes de transfert des connaissances et les initiatives qui font appel aux technologies numé- riques pour élargir l’accès aux intrants, à la production et aux marchés de capitaux. Il a été démontré que la productivité des paysans augmente avec leur formation aux techniques agricoles modèles. Certains projets élargissent ces programmes de for- mation ou favorisent la collaboration en vue d’améliorer l’échange d’informations. Parfois, cette démarche est combinée avec l’accroissement de l’accès au financement ou aux intrants requis pour l’agriculture en vue de promouvoir l’amélioration de la productivité agricole. Fournir des ressources aux coopératives améliore les liens entre les agro-industries le long de la chaîne de valeur. JD Finance, la branche fin- tech de JD.com, une grande plateforme chinoise de commerce électronique, offre des microcrédits aux paysans. Par exemple, le Projet de pôles intégrés de croissance à Madagascar, qui a dispensé une formation sur l’amélioration des pratiques de trai- tement du cacao à l’intention des agriculteurs et leur a permis d’acquérir des compé- tences de gestion d’entreprise, s’est traduit par une augmentation du revenu net des Le rendement du travail | 101 participants de 47 % en moyenne. En Afghanistan, des écoles pratiques d’agriculture, qui font partie du Projet national d’horticulture et d’élevage, ont permis à certains participants de tripler leur revenu. Elles ont également obtenu des résultats positifs en Afrique de l’Est26. Des initiatives publiques destinées à rapprocher les exploitants agricoles des organisations de producteurs, des agro-industries et des institutions financières dans la filière sorgho au nord du Cameroun, ont eu des effets similaires. Il est possible d’améliorer la formation agricole. On peut, par exemple, activer les liens sociaux dans les villages pour encourager l’apprentissage par les pairs. Une récente étude menée auprès des femmes rurales en Ouganda a conclu que la promo- tion de la concurrence favorisait l’apprentissage durant les séances de formation27. Les services de vulgarisation agricole peuvent être améliorés par le biais de vidéos à faible coût qui démultiplient les connaissances et la participation des communautés locales. Par le passé, la mécanisation n’a pas réussi à s’enraciner en Afrique subsaha- rienne, ce qui a semé le doute sur les ambitieuses prédictions de la transformation technologique de l’agriculture. Et pourtant, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, certains signes montrent que la mécanisation est en train de se faire. Les mesures instantanées permettent aux paysans de prendre de meilleures décisions. Les drones, les images satellitaires aériennes et les capteurs de la qualité du sol améliorent les mesures et la surveillance des cultures. Les infor- mations détaillées permettent aux paysans de décider de la quantité d’engrais et d’irrigation qui convient. Au Kenya, la technologie mobile réduit les coûts d’administration et d’évaluation des dispositifs d’assurance des cultures. L’application Kilimo Salama (« agriculture sans risque  » en swahili) devenue ACRE Africa en 2014 en est une bonne illus- tration. Le vendeur active la police d’assurance en scannant un code-barre spéci- fique au produit à l’aide de l’appareil photo de son téléphone, saisit le numéro de téléphone portable du paysan et le relie à la station météorologique locale. Trente stations météorologiques solaires surveillent automatiquement la météo. Le paysan reçoit un texto qui confirme la police d’assurance. Le paiement des indemnités se fait par le biais de la plateforme M-Pesa. En 2017, plus d’un million de paysans au Kenya, au Rwanda en Tanzanie étaient assurés dans le cadre de ce projet. Les arboriculteurs dans la province de Kastamonu en Turquie sont exposés aux parasites et au gel. En collaboration avec des bailleurs de fonds internationaux, le gouvernement a établi 5 mini-stations météorologiques dans certains villages de la province, ainsi que 14 exploitations agricoles de référence pour mesurer les précipi- tations, la température et les cycles des parasites. Les producteurs sont régulièrement informés par texto, ce qui leur permet de réagir aux conditions locales. Les coûts de production ont chuté de manière spectaculaire au cours des deux premières années du dispositif, et l’application de pesticides a diminué de 50 %. Pour que les paysans tirent parti de l’accroissement de la productivité agricole, ils doivent avoir accès aux marchés, à la fois à l’intérieur du pays et à l’étranger. L’agriculture axée sur les exportations dans le nord et le centre du Mexique offre à des millions de paysans des possibilités d’emplois agricoles et à beaucoup d’autres des emplois non agricoles dans les domaines de la transformation agroalimentaire et du conditionnement. Alquería, la troisième entreprise laitière de Colombie, élargit ses exportations — les 13 000 petits producteurs laitiers qui l’approvisionnent en lait cru tireront tous parti de l’accroissement de la demande à l’étranger. Outre la sim- plification des procédures d’exportation, l’amélioration de la logistique commerciale et le renforcement de la capacité à se conformer aux règles de sécurité alimentaire, les gouvernements peuvent faciliter les exportations en offrant aux exportateurs des formations et une aide à la commercialisation. 102 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Par exemple, en coordination avec les entreprises du secteur, le gouvernement vietnamien mène des campagnes de promotion de l’image de marque du thé, du café et des noix de cajou. Lorsque les produits des paysans se retrouvent enfin sur le marché, beaucoup dans les économies émergentes ne savent pas s’ils en obtiennent le meilleur prix. En Ouganda, TruTrade est un exemple de technologie numérique qui comble ce manque d’informations. TruTrade connecte les petits exploitants aux acheteurs en améliorant parallèlement la qualité et la transparence et en établissant un climat de confiance. Il fait appel à des applications en ligne pour aider à fixer les prix et suivre les mouvements des produits et des paiements. Les paysans reçoivent de bons prix et ont un accès fiable au marché. Les négociants établissent des relations de confiance avec leurs fournisseurs, ce qui est bénéfique pour leur activité. C’est sur le lieu de travail que le capital humain s’accumule après l’école. Les éco- nomies les plus pauvres ont encore beaucoup de chemin à parcourir, vu leur retard par rapport aux économies avancées en ce qui concerne le rendement du travail. Les gouvernements peuvent accroître ce rendement en augmentant le nombre d’em- plois formels accessibles aux pauvres, en encourageant la participation des femmes à l’activité économique et en stimulant la productivité agricole dans les zones rurales. Les emplois formels créent davantage d’opportunités de formation. Renforcer les moyens d’action des femmes contribue à accroître le stock de capital humain pour l’économie. Et stimuler la productivité agricole dans les zones rurales offre de meil- leures opportunités de travail pour les pauvres. Les emplois qui génèrent des com- pétences et les renforcent préparent les travailleurs pour l’avenir. Notes   1. Mincer (1974).   2. Levin et al. (2018).   3. La Porta et Shleifer (2014).   4. Kanbur (2017).   5. Base de données ILOSTAT de l’Organisation internationale du travail.  6. Benjamin et Mbaye (2012).  7. La Porta et Shleifer (2014).  8. Foster et Rosenzweig (2008).  9. Djankov et al. (2002). 10. Bruhn (2013). 11.  Rocha, Ulyssea et Rachter (2018). 12. FORLAC (2014). 13.  Ibarrarán et al. (2018). 14.  Islam et al. (2018). 15.  Amin et Islam (2015). 16.  Amin, Islam et Sakhonchik (2016). 17.  Islam, Muzi et Amin (2018). 18.  Bandiera, Burgess et al. (2017). 19.  Bandiera, Buehre et al. (2017). 20.  Adoho et al. (2014). 21.  Christiaensen, Demery et Kuhl (2011). 22.  Divanbeigi et Saliola (2017). 23.  Banerjee et Duflo (2011). 24.  Hicks et al. (2017). 25.  Ingelaere et al. (2018). 26.  Davis et al. (2012) ; Larsen et Lilleør (2014). 27.  Vasilaky et Islam (2018) Le rendement du travail | 103 Bibliographie Adoho, Franck, Shubha Chakravarty, Dala T. Korkoyah, Jr., Mattias Lundberg, and Afia Tasneem. 2014. “The Impact of an Adolescent Girls Employment Program: The EPAG Project in Liberia.” Policy Research Working Paper 6832, World Bank, Washington, DC. Amin, Mohammad, and Asif Islam. 2015. “Does Mandating Nondiscrimination in Hiring Practices Influence Women’s Employment? Evidence Using Firm-Level Data.” Femi- nist Economics 21 (4): 28–60. Amin, Mohammad, Asif Islam, and Alena Sakhonchik. 2016. “Does Paternity Leave Matter for Female Employment in Developing Economies? Evidence from Firm-Level Data.” Applied Economics Letters 23 (16): 1145–48. Bandiera, Oriana, Niklas Buehren, Robin Burgess, Markus P. 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Le renforcement de CHAPITRE 6 la protection sociale C ’est à Otto von Bismarck, Chancelier de l’Allemagne à la fin du XIXe siècle, que l’on doit largement l’invention de l’assurance sociale — des prestations pour les travailleurs du secteur formel financées par des impôts dédiés sur leur salaire. Ce que l’on sait moins, toutefois, c’est que ce modèle était le plan B de Bismarck. L’intention d’origine du Chancelier était de créer un système de pension financé par les taxes sur le tabac. Lorsque ce plan a échoué, Bismarck a eu recours à un financement contributif reposant sur les salaires. Le modèle bismarckien a été très utile à de nombreux pays. Cependant, il reste essentiellement utopique dans une série de pays en développement en raison de la taille importante de leur secteur informel. De ce fait, beaucoup de travailleurs ne bénéficient d’aucune protection sociale. Dans les pays à faible revenu, à peine 18 % du quintile le plus pauvre reçoivent une aide sociale et 2 % ont une assurance sociale. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les taux cor- respondants montent à 77 et 28 %. Le présent chapitre montre comment trois composantes essentielles des systèmes de protection sociale — un minimum social garanti (s’appuyant sur l’assistance sociale), une assurance sociale et la réglementation du marché du travail — peuvent gérer les défis du marché du travail (figure 6.1)1. Un minimum social inclut l’en- semble des programmes d’assistance sociale qui apportent une aide financière à une part importante et voire à la totalité de la population. Motivé par des préoccupations d’équité, l’élargissement de l’assistance sociale se justifie par les risques croissants qui pèsent sur les marchés du tra- FIGURE 6.1 La protection sociale et vail et l’importance de la fourniture la réglementation du travail peuvent d’un soutien adéquat, quel que soit permettre de gérer les défis du marché le rôle qu’on joue sur ces marchés. du travail L’universalisme progressif est un principe directeur du renforcement Réglementation du de l’assistance sociale. L’objectif de marché du travail cette démarche est d’élargir la cou- verture tout en accordant la priorité aux plus pauvres. Cette expan- Assurance « encouragée », stimulée et volontaire sion du bas vers le haut se fait en tenant compte des arbitrages bud- Assurance gétaire, pratique et politique qu’en- sociale obligatoire traînent les niveaux progressifs de couverture. Il convient de compléter l’assis- tance sociale par une assurance qui Minimum social garanti n’est pas uniquement fondée sur les emplois rémunérés formels. Un dis- positif de cette nature assurerait une couverture universelle de base, en subventionnant les primes des plus Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. pauvres et en complétant l’assistance sociale. Les cotisations obligatoires sur la base du salaire seraient aussi nécessaires. Cette obligation ne s’appliquerait, du moins au départ, qu’aux travailleurs formels. Une obligation moins contraignante pourrait accroître la conformité. Des dispositifs d’épargne volontaire « encouragés » par l’État pourraient permettre d’obtenir une assurance complémentaire. Dissocier la redistribution de l’épargne diminuerait les coûts du travail. Ce changement pour- rait également réduire les incitations à remplacer les travailleurs par des robots. 106 Le renforcement de la protection sociale | 107 Ensemble, l’élargissement de la couverture de l’assistance sociale et la fourniture d’une assurance sociale subventionnée impliquent une intervention accrue de l’État. Par exemple, le niveau souhaitable de dépenses en faveur d’un minimum social dans les pays en développement pourrait, dans bien des cas, être nettement plus élevé que les dépenses moyennes d’assistance sociale — qui se situent actuellement à 1,5 % du produit intérieur brut (PIB). L’approche d’universalisme progressif exige un élargissement graduel de la couverture en phase avec la marge de manœuvre budgétaire disponible. Avec le renforcement de l’assistance et l’assurance sociales, la responsabilité de la gestion du risque pèse moins sur la réglementation du travail. À mesure que les gens sont mieux protégés du fait du renforcement des systèmes d’assistance et d’assurance sociales, la réglementation du travail pourrait, le cas échéant, être assouplie pour faciliter la mobilité fonctionnelle. Par exemple, le soutien au revenu des chômeurs pourrait provenir des prestations de chômage plutôt que des indemnités de départ. Une baisse des coûts de main-d’œuvre permet aux entreprises de mieux s’adapter à l’évolution de la nature du travail, tout en favorisant l’accroissement des emplois formels, notamment pour ceux qui intègrent le marché du travail et pour les tra- vailleurs faiblement qualifiés. Les travailleurs du secteur informel peuvent aussi être mieux protégés. Toutefois, il convient d’établir un équilibre adéquat entre la réglementation et la création d’emplois. Un soutien complémentaire à l’acquisition de nouvelles compétences, ainsi que de nouveaux dispositifs pour renforcer la voix des travailleurs, deviennent encore plus importants. Une représentation effective des travailleurs des secteurs à la fois formel et informel assure la préservation de l’élément « sécurité » dans la « flexicurité ». L’assistance sociale « Les pauvres auraient le choix… de mourir de faim lentement s’ils restaient au dépôt, ou tout d’un coup s’ils en sortaient.  » Par ces mots, Oliver Twist de Charles Dickens dépeint de façon saisissante les pratiques d’assistance sociale dans le Royaume-Uni du XIXe siècle. Conformément aux lois sur les pauvres de 1601 et de 1834, le gouvernement avait alors arrêté des critères draconiens pour l’accès à l’assistance sociale. Pendant des siècles, les législations ont également influé sur la façon de voir l’assistance sociale. Ce n’est qu’il y a 75 ans que le «  Rapport Beveridge  », dont les recommandations ont été intégrées dans la Loi de 1948 sur l’assistance nationale, a marqué la fin de l’ère évoquée par Dickens. Au cours des décennies qui ont suivi, l’assistance sociale a commencé à se répandre dans les pays en développement. L’évolution de l’assistance sociale témoigne d’im- portants progrès au niveau mondial. L’analyse de 142 pays, notamment ceux qui figurent dans la base de données sur la protection sociale de la Banque mondiale — l’Atlas de la protection sociale : Indicateurs de résilience et d’équité (ASPIRE) —, montre que 70 % d’entre eux ont mis en place des programmes de transferts moné- taires inconditionnels et que 43 % ont recours aux transferts monétaires condition- nels. Parallèlement, 101 pays offrent des prestations de retraite2. Les pays en développement élargissent en permanence leurs programmes d’assis- tance sociale. Par exemple, la couverture du dispositif national de transferts moné- taires conditionnels en Tanzanie est passée de 0,4 % de la population en 2013 à 10 % en 2016. Le Programme de filets de sécurité productifs d’Éthiopie a atteint un niveau de couverture équivalent. Environ 20 % de la population des Philippines et d’Afrique du Sud est desservie respectivement par le programme Pantawid et le 108 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 programme d’aide à l’enfance dénommé Child Support Grant. Globalement, 40,1 % des 5,1 milliards de personnes représentées dans les enquêtes incluses dans ASPIRE bénéficient d’une assistance sociale cumulée. L’assistance sociale donne des résultats sur plusieurs fronts. Les études empiriques ont montré que les transferts monétaires sont consacrés à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et à d’autres biens désirables. Ces transferts participent à l’amélioration du capital humain des générations actuelles et futures. Un examen systématique de 56 programmes de transferts monétaires a révélé des progrès significatifs dans les taux d’inscription scolaire, les résultats aux examens, le développement cognitif, la sécurité alimentaire et la fréquentation des établissements de santé3. Au Mexique, le programme de transfert monétaires conditionnels Prospera a amélioré les com- pétences motrices, le développement cognitif et le langage réceptif des enfants de 24 à 68 mois. Au Kenya, l’inscription dans l’enseignement secondaire a progressé de 7 % pour les enfants du programme Orphans and Vulnerable Children (Orphelins et enfants vulnérables). Les gains sont généralement plus conséquents chez les plus pauvres, les habitants des zones rurales, les filles et les minorités ethniques. Les trans- ferts monétaires réduisent le stress et la dépression, accroissent les capacités mentales et encouragent les parents à participer plus activement à l’éducation de leurs enfants4. Les programmes d’assistance sociale ont également une incidence sur les avoirs et les moyens de subsistance des ménages. En Afrique, des évaluations ont montré que la propriété d’animaux d’élevage augmentait en moyenne de 34 % et la propriété de biens durables de 10 %5. De plus en plus, ces programmes consolident leurs effets sur les moyens de subsistance en ajoutant des volets de sensibilisation aux risques nutritionnels, d’inclusion financière, de formation à l’entrepreneuriat et de transfert d’actifs. Autrement dit, l’assistance sociale, notamment le soutien au revenu associé aux interventions, permet souvent d’accroître la productivité et la résilience chez les travailleurs informels. Dans les économies avancées, l’assistance sociale se heurte souvent au défi de la faible participation des bénéficiaires admissibles. Dans l’Union européenne, environ 60 % seulement des prestations sociales sont réclamées6. Cela s’explique par le fait que les prestations sont mal connues, les règles d’admissibilité mal com- prises et l’assistance est associée à des stigmates, à des obstacles bureaucratiques et aux coûts d’opportunité de l’accès aux prestations. Dans certains pays à revenu intermédiaire où les niveaux de couverture sont élevés, les décideurs ont envisagé la possibilité d’un ciblage qui exclurait les riches au lieu de sélectionner les bénéficiaires à partir de la base. Cette démarche est souvent étudiée dans le contexte des réformes des subventions énergétiques et alimentaires sur une grande échelle. La viabilité politique d’une telle proposition peut alors dépendre du parti que la classe moyenne et divers groupes d’intérêts sont susceptibles de tirer du programme (qu’ils financent en partie) dans le cadre d’un contrat social plus large. Lorsque la précarité est répandue, les besoins des ménages sont similaires le long de l’échelle des revenus. La continuité dans la distribution des prestations sociales peut être en contraste avec des mesures brutales et parfois arbitraires relatives aux critères de pauvreté ou d’admissibilité. Par exemple, dans certains pays à revenu intermédiaire, les personnes vivant avec 6 dollars par jour, soit juste au-dessus du seuil de pauvreté, ont 40 % de chances de retomber dans la pauvreté7. La pauvreté est souvent dynamique ; en Afrique, un tiers de la population est pauvre de manière persistante, alors qu’un autre tiers oscille de part et d’autre du seuil de pauvreté8. Ces faits indiquent que la couverture des programmes d’assistance sociale doit être plus large et plus permanente qu’aujourd’hui. Bien que des démarches universelles Le renforcement de la protection sociale | 109 soient souhaitables, le modèle spécifique de ce minimum social se heurte à des défis techniques, budgétaires et politiques. Les démarches universelles réduisent ou éliminent en général les obstacles liés à la fragmentation des programmes, à la détermination des critères d’admissibilité et aux tensions sociales, mais elles exigent d’importantes ressources supplémentaires. L’élargissement de l’assistance sociale doit se faire au même rythme que la mobilisation des ressources qu’il exige. Le choix de politiques de transferts fiscaux plus ou moins importants a des effets distributifs et s’appuie sur diverses bases de soutien politique. Parmi les options d’élargissement, le revenu minimum universel (RMU) fait l’objet d’un débat animé. Cet outil entérine la notion de création d’un minimum social garanti dans le cadre d’un programme unique présentant trois caractéristiques particulières. Premièrement, le programme est destiné à chaque individu, quel que soit son revenu ou son statut d’emploi. Deuxièmement, les participants n’ont pas à satisfaire quelque condition ou responsabilité réciproque que ce soit. Troisième- ment, l’assistance est fournie sous la forme de liquidités au lieu de transferts en nature et de services (figure 6.2). Le RMU ne remplace pas les services de santé, d’éducation ou autres services sociaux. Il peut compléter les programmes d’assistance sociale en cours et plus vraisemblablement remplacer certains des programmes qui ont vocation à offrir un appui au revenu. Il peut être conçu pour réaliser différents objectifs, de la réduction de la pauvreté à l’obtention d’un revenu décent. La discussion porte ici sur la réduc- tion de la pauvreté. Bien qu’un revenu minimum universel offre à l’ensemble de la FIGURE 6.2 Un revenu minimum universel (RMU) est peu ciblé, n’est pas assorti de conditions et est versé en liquide aux bénéficiaires CIBLAGE Ciblage Évaluation indirecte Évaluation des limité Catégoriel des ressources ressources RMU CONDITIONNALITÉ Souple Moyenne Stricte Aucune (mesures (appliquée mais sans (conditions pleinement (inconditionnel) d’accompagnement) expulsion du programme) appliquées) RMU MODALITÉ Quasi-liquide Transferts Liquide (ou bons) en nature Services RMU Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Note : Chacune des trois sections de la figure comprend des caractéristiques de rechange illustratives. 110 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 population le même niveau de prestation, les fonds peuvent être recouvrés auprès des riches, par exemple moyennant un impôt progressif sur le revenu. Au début de 2018, le conseiller économique principal de l’Inde, Arvind Subrama- nian, prédisait avec enthousiasme : « Je parie que dans les deux années à venir, au moins un ou deux États [indiens] mettront en place le RMU »9. En réalité, on ne sait pas grand-chose de la manière dont ce revenu fonctionne. Seul un pays, la Mongo- lie, a mis en place une initiative de ce type qui couvre la totalité de la population. Toutefois, cette initiative n’a duré que deux ans (2010-12) avant d’être démantelée à cause de contraintes budgétaires (lorsque les prix des minerais se sont effondrés, le dispositif a disparu). La République islamique d’Iran a mis en place un programme similaire pendant un an : en 2011, les subventions à l’énergie ont été remplacées par des transferts monétaires à 96 % de la population. Diverses variantes locales du RMU sont en place dans le cadre de différents dispo- sitifs reposant sur les dividendes des ressources. Aux États-Unis, l’Alaska Permanent Fund est conçu pour redistribuer les recettes pétrolières à tous les résidents de l’État. En 2016, il a versé environ 2 000 dollars à chacun des 660 000 habitants de l’Alaska. Plusieurs dispositifs et expériences de petite échelle sont en cours ou sont à l’étude en Chine, en Écosse, aux États-Unis, au Kenya, et aux Pays-Bas. Bien qu’ils portent l’étiquette de programme de RMU, il s’agit dans certains cas de versions diverses de programmes ciblés. Le RMU pourrait avoir des conséquences budgétaires substantielles. Une nou- velle analyse a estimé les coûts de ce type de programme dans quatre pays euro- péens. Les transferts de revenu minimum universel ont été fixés au niveau de ceux des programmes de transferts monétaires existants10. Les résultats indiquent que le coût additionnel d’un RMU varie de manière significative — 13,8 % du PIB en Finlande, 10,1 % en France, 8,9 % au Royaume-Uni et 3,3 % en Italie. Pour couvrir ces coûts additionnels, deux sources de financement ont été identifiées : l’imposi- tion des transferts de RMU parallèlement à d’autres revenus et la suppression des déductions fiscales existantes. En Finlande et en Italie, ces mesures étaient large- ment suffisantes pour couvrir les coûts additionnels du RMU. En France, les recettes engrangées compensaient la quasi-totalité du coût de ce type de programme. Au Royaume-Uni, l’imposition des prestations en liquide et l’élimination des déduc- tions fiscales n’étaient pas suffisantes pour couvrir le RMU. Les simulations à partir de pays en développement indiquent également que le RMU entraîne d’importantes dépenses supplémentaires. Dans quelques économies émergentes, un RMU fixé à 25 % du revenu médian coûterait environ 3,8 % du PIB11. En comparaison, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire dépensent en moyenne 1,5 % du PIB pour l’assistance sociale. En Inde, le gouvernement estime qu’un revenu minimum quasi universel, excluant les 25 % les plus riches, pourrait être largement payé par le remplacement des dispositifs existants12. Bien que ces dispositifs représentent environ 5 % du PIB, les résultats de la simulation ont été contestés13. Ailleurs, d’autres simulations fournissent de nouveaux arguments. Le coût d’un RMU pour les adultes, fixé au niveau de l’écart moyen de revenu de la population pauvre, va de 9,6 % du PIB dans les pays à faible revenu à 3,5 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Si les montants des transferts sont inférieurs — fixés par exemple au niveau moyen des prestations actuelles —, les coûts diminueraient nettement (mais auraient moins d’impact). Que le RMU offre des fonds suffisants pour combler l’écart de pauvreté ou atteigne le niveau actuel des transferts, le coût d’un tel dispositif doublerait pratiquement Le renforcement de la protection sociale | 111 si celui-ci était destiné à l’ensemble FIGURE 6.3 Le coût du revenu minimum de la population au lieu des adultes universel augmente à mesure que le uniquement (figure 6.3). niveau de revenu du pays baisse Avec le revenu universel, il y aurait des gagnants et des perdants Moyenne 5,5 (121 pays) 9,9 dans la population. Ses effets dépen- draient du mode de financement Revenu moyen supérieur 3,5 (45 pays) 5,2 du programme  ; de la mesure dans laquelle des programmes ciblés exis- Revenu moyen inférieur 5,1 (49 pays) 9,0 tants seraient remplacés et lesquels  ; de la performance des dispositifs Faible revenu 9,6 (27 pays) 19,3 existants ; des structures fiscales en vigueur  ; du montant des transferts 0 5 10 15 20 de RMU et du profil des personnes % du PIB qui en bénéficient. Coût de couverture de la population adulte Les estimations pour une sélection Coût de couverture de l’ensemble de la population de pays en développement ayant Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde simulé le remplacement de certains 2019 , à partir des Indicateurs du développement dans le monde (base de données) de la Banque mondiale, de PovcalNet et dispositifs existants par un RMU des Perspectives de la population mondiale (World Population font apparaître d’importants effets Prospects) des Nations Unies. distributifs. Au Népal, la plus grande Note : PIB = produit intérieur brut partie de la population tirerait profit de ce type de programme. En Indonésie, un RMU offrant le même niveau moyen de prestations que les programmes en cours améliorerait la situation de la majeure partie de la population, mais environ 40 % des pauvres recevraient moins. Dans le même scénario, les simulations donnent à voir qu’un RMU en Afrique du Sud empirerait les conditions de vie de la plus grande partie des personnes âgées et des pauvres. On observerait au Chili un effet négatif similaire sur environ 40 % des personnes âgées de ce pays. Le risque d’incitations à ne pas travailler est une préoccupation qui revient sou- vent s’agissant du RMU. En théorie, le RMU n’a d’effets que sur le revenu : le fait que les prestations du programme ne soient pas liées à des gains ou à d’autres reve- nus donne à penser qu’il n’y a pas d’effets de substitution. Cependant, les éléments disponibles confirment que le RMU et d’autres formes d’assistance sociale ont un impact limité sur les incitations au travail. Une étude du programme de dividendes de l’Alaska ne montre aucune incidence sur l’emploi. Au lieu de cela, elle conclut que les emplois à temps partiel ont progressé de 1,8 point de pourcentage (ce qui équivaut à une augmentation de l’emploi global de 17 %)14. Une étude du pro- gramme de revenu minimum quasi universel iranien a relevé que celui-ci n’avait pas d’incidence sur l’offre globale de main-d’œuvre15. Le débat doit être centré sur la question de savoir si un programme qui garantit des emplois serait préférable au RMU. La Loi nationale sur la garantie d’emplois ruraux en Inde offre 100 jours de travail par an au salaire minimum. Les partisans du RMU sont opposés à cette démarche de travaux publics et affirment que le droit à un revenu doit précéder le droit au travail. En revanche, certains prétendent que le droit au travail s’appuie sur la prémisse que quiconque souhaite travailler pourrait se voir offrir un emploi, ce qui confère une valeur sociétale au travail. Les partisans des dispositifs de promotion de l’emploi insistent également sur un éventail d’activi- tés productives et socialement valables qui pourraient être mises en œuvre au-delà de tâches à forte intensité de main-d’œuvre telles que les services d’aide sociale. 112 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Un RMU pourrait remplacer les travaux publics lorsque leur fonction principale est simplement de soutenir le revenu. Cependant, lorsqu’une activité plus valable est envisagée, les travaux publics peuvent constituer un instrument complémentaire pour ceux qui sont aptes au travail. Le «  revenu de participation » est un système hybride entre le RMU et les travaux publics. Il consiste à offrir des transferts moné- taires universels liés à une certaine forme d’engagement civil. Un revenu minimum universel pourrait donner lieu à une plus grande effica- cité en réduisant la fragmentation des programmes. La plupart des pays ont une mosaïque complexe de programmes d’assistance sociale — le Bangladesh a plus de 100 programmes et l’Inde près de 950 dispositifs centralisés et beaucoup d’autres mis en œuvre au niveau des États. Cette pléthore de programmes a souvent davantage des origines historiques ou institutionnelles qu’une justification technique solide. Une certaine consolidation pourrait être souhaitable, mais le nombre optimal de programmes est certainement supérieur à un. Quelle que soit la forme d’assistance sociale sélectionnée, on peut exploiter la technologie pour améliorer la mise en œuvre des programmes de protection sociale. Au Mexique, des outils de cartographie géospatiale sont utilisés pour identifier les zones les plus vulnérables dans les villes, jusqu’au niveau du pâté de maisons. Les données des téléphones mobiles ont servi à cartographier la pauvreté en Côte d’Ivoire. Au Bénin, le recueil de données basées sur le GPS a permis de localiser les ménages sans adresse dans des zones urbaines. Les technologies numériques peuvent aussi apporter une assistance dans les zones fragiles. Au Liban, des cartes à puce électroniques transmettent des coupons alimentaires à 125  000 ménages de réfugiés syriens. La technologie améliore la crédibilité des systèmes d’identification personnelle, qui constituent la première étape des prestations de sécurité sociale. En Afrique subsaharienne, la part de la population titulaire d’une carte d’identité nationale va de près de 90 % au Rwanda à moins de 10 % au Nigéria. La technologie accroit également l’accès aux registres sociaux, ce qui améliore la coordination entre les différents programmes. Une meilleure coordination génère des économies de coûts en réduisant les erreurs d’inclusion. Au Pakistan, le registre social, qui inclut 85 % de la population et dessert 70 programmes différents, a permis d’économiser 248 millions de dollars. Un processus similaire a généré des économies de l’ordre de 157 millions de dollars en Afrique du Sud et 13 millions de dollars en Guinée. En Argentine, le lien entre les 34 bases de données des programmes sociaux et le système d’identification unique des bénéficiaires a fait apparaître des erreurs d’in- clusion à l’admissibilité dans différents programmes sociaux, ce qui a débouché sur une économie de 143 millions de dollars sur une période de huit ans. En 2016, la Thaïlande a éliminé 660  000 demandeurs sur 8,4 millions en effectuant des réfé- rences croisées entre les bases de données à l’aide des numéros nationaux d’identi- fication unique. Les technologies de paiement font également la différence. Au Ghana, le dispositif de travaux publics à forte intensité de main-d’œuvre, la numérisation des transac- tions sur papier et le recours croissant aux machines biométriques ont globalement réduit les délais de paiement des salaires, qui ont été ramenés de quatre mois à une semaine. Dans l’État indien de Chhattisgarh, l’utilisation de dispositifs électroniques pour le Système de distribution publique de l’aide alimentaire a contribué à réduire les « fuites » de 52 % en 2005 à 9 % en 201216. Le renforcement de la protection sociale | 113 L’assurance sociale En juin 2011, après six années de croissance à deux chiffres, l’Éthiopie a intro- duit une loi sur l’assurance sociale qui a fait date. Pour la première fois, l’obligation d’offrir des prestations de retraite et d’invalidité a été étendue aux entreprises du secteur privé. (Toutefois, les entreprises hors de portée des services chargés de faire respecter la loi ont pu se soustraire à cette exigence et ne pas offrir une couverture à leurs employés.) Cette politique visait à élargir la protection sociale et à réduire la pauvreté. Cependant, elle a entrainé une hausse des coûts du travail qui, associée à d’autres facteurs, a incité les entreprises à faire davantage recours à la technologie. En conséquence, l’emploi de travailleurs faiblement qualifiés a baissé, ce qui a élargi le fossé entre le formel et l’informel sur le marché du travail. Caractérisé par des cotisations en fonction du revenu, le modèle bismarckien d’assurance sociale repose sur la prémisse d’emplois salariés stables, une définition claire des employeurs et des employés et un âge de retraite fixe. Il s’appuie sur la per- ception d’un impôt dédié sur les salaires. Dans les pays riches, ce dispositif a réussi à accroître la couverture, les travailleurs étant absorbés de façon régulière dans les usines, puis par des entreprises formelles de services. Mais cette démarche contributive n’est pas adaptée aux pays en développement où les emplois formels et stables ne sont pas monnaie courante. De fait, l’admissibilité reposant sur des cotisations obligatoires, cette forme d’assurance sociale exclut les travailleurs informels qui représentent plus des deux tiers de la main-d’œuvre dans les pays en développement et un travailleur sur 10 en Inde et dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne (figure 6.4). Ce modèle convient aussi de moins en moins au monde du travail en mutation dans le cadre duquel les relations traditionnelles entre employeurs et employés ne sont plus la norme. Le modèle traditionnel de financement de l’assurance sociale rend souvent l’emploi de travailleurs plus onéreux, comme l’illustre l’expérience de l’Éthiopie décrite plus haut. D’où la nécessité de le repenser. FIGURE 6.4 La couverture sociale reste faible dans la plupart des pays en développement 30 20 Pourcentage 10 0 lo oc e ie Ph ua e r El i La es Ni lvad a ra r Gu Pé a u Ca nd la te od s d’ ge Bo ire do vie Za ésie e Gh de ad M a a i r nz a ki e Bu stan Ba T ndi la d Ni esh ria ag al ilip teu ca o Rw sca Cô mb ura Sa nk gu an Ta and Éq xiqu bi Pa ani at ro ng cha a M mb Sr pin Co Mar In gé o Ho em In li m ru d Iv n M Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir de la base de données des pensions et des Indicateurs du développement dans le monde (base de données) de la Banque mondiale. 114 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Un système réformé doit faire en sorte que les travailleurs à faible revenu aient accès à des outils efficaces de gestion des risques. Une combinaison adéquate d’ins- truments subventionnés pour les plus pauvres est requise pour couvrir les pertes imputables aux perturbations des moyens de subsistance, à la maladie, à l’invalidité et aux décès prématurés. Les instruments qui appuient des habitudes stables de consommation ou qui lissent cette dernière sont également importants. Un ensemble exhaustif de dispositifs de protection visant à atteindre ces objectifs inclurait, pour commencer, une assurance minimum garantie assortie d’une couverture subven- tionnée contre les pertes qui appauvrissent. Cet instrument compléterait l’assistance sociale en offrant une couverture contre les pertes qui seraient trop importantes pour être compensées par le biais de transferts. Deuxièmement, un plan d’épargne et d’assurance obligatoires permettrait de lisser la consommation. Enfin une épargne « encouragée » ou purement volontaire basée sur le marché permettrait à chacun de contribuer davantage s’il le souhaite. De nombreux pays appliquent déjà certains éléments de ce modèle. Assortie d’un revenu minimum garanti, cette démarche réduit le montant et l’élé- ment purement fiscal des cotisations obligatoires. À des degrés différents, les modèles d’assurance sociale actuels mêlent la redistribution avec les fonctions de partage du risque et exigent des cotisations plus élevées qui sont perçues par beaucoup comme un impôt sur le travail. L’ampleur de la redistribution intégrée dans les systèmes d’assurance sociale actuels est faible dans des pays tels que l’Indonésie et le Viet Nam, mais élevée dans des pays comme la Chine et les Philippines. Les simulations indiquent qu’une réorientation telle que celle qui est proposée ici pourrait réduire le taux d’imposition des salaires dans un pays tel que les Philippines de 18 à 14 %. Certains pays s’orientent déjà dans cette direction. L’élargissement net du régime de retraite pour les paysans en Chine en est un exemple. Actuellement, près de 360 millions de travailleurs informels dans les zones rurales et urbaines cotisent au dispositif. Environ 150 millions de personnes âgées reçoivent des paiements17. De même, le gouvernement costa-ricien finance une partie des cotisations de retraite des travailleurs indépendants. La Thaïlande en fait de même pour les travailleurs du secteur informel qui choisissent de participer à un dispositif spécial de retraite destiné aux travailleurs à faible revenu. Les subventions pourraient être offertes à tous ou juste aux pauvres, ou elles pourraient être réduites progressivement à mesure que le revenu augmente. Le système d’assurance maladie de la Turquie procède de cette dernière façon. Outre le fait qu’elle applique un système de vieillesse quasi-universel, la Thaïlande paie une partie de la prime d’assurance sociale des personnes en âge de travailler qui se retrouvent dans le secteur informel. Le coût de la subvention dépend du niveau de cette dernière et de la taille de la population qui en bénéficie. Dans de nombreuses économies émergentes, les passifs d’assurance sociale sont limi- tés, car la couverture est faible. Dans des pays tels que l'Afrique du Sud, le Bangladesh, la République démocratique populaire lao, la Namibie et la Somalie, les retraites ne sont pas financées par l’impôt sur le travail, mais plutôt par les recettes générales. Dans ces cas, il peut être possible de découpler les impôts sur les salaires. Une part importante pourrait être remplacée par d’autres impôts tout en élargissant la couverture au-delà de ceux qui occupent emploi standard réglementés ou sous contrat. Au-delà du niveau d’assurance de base, il est probable que des politiques publiques additionnelles seront nécessaires pour arriver à une protection adéquate. Des cotisations obligatoires supplémentaires permettraient de lisser la consomma- tion, mais les instruments nécessaires n’existent souvent pas dans les pays dont les marchés de capitaux et d’assurances sont sous-développés. Ces politiques addi- tionnelles s’adresseraient aux travailleurs formels. Cependant, la détermination du Le renforcement de la protection sociale | 115 niveau d’assurance n’est pas anodine, car une obligation accrue déboucherait sur une hausse des taux d’imposition du travail. Dans certains pays, ces impôts sont déjà élevés, ce qui a des effets négatifs sur l’emploi formel. Le taux moyen d’impo- sition des salaires utilisé pour financer les cotisations est proche de 23 % dans les économies avancées18. Il est également supérieur à 20 % dans des pays tels que la Chine, la République arabe d’Égypte et le Pérou. L’obligation pourrait être assouplie moyennant la réduction du taux d’imposition ou l’abaissement du plafond sur les revenus soumis à l’épargne obligatoire. Pour compléter les cotisations obligatoires, la participation à des dispositifs d’épargne ou d’assurance pourrait constituer une option par défaut. On pourrait alors ajouter sur les formulaires d’enregistrement des entreprises et les déclarations d’impôt sur le revenu une case pour choisir cette option par défaut. Une telle mesure pourrait réduire les coûts de transaction. D’autres solutions axées sur la connais- sance des comportements sont aussi instructives dans certains cas. Au Kenya, la remise aux épargnants d’une pièce dorée sur laquelle figure des chiffres correspon- dant à chaque semaine afin de leur permettre de suivre leurs dépôts hebdomadaires a doublé le taux d’épargne19. Une autre forme d’encouragement pourrait inclure des «  systèmes d’engagement  » selon lesquels, par exemple, un épargnant pourrait accepter de perdre quelque chose s’il n’atteint pas son objectif d’épargne. La tech- nologie accroît nettement les possibilités d’encouragement. Entre autres, elle facilite l’arrondissement par défaut des transactions de banque mobile ou de carte de crédit, la différence étant créditée à l’épargne. Des incitations plus importantes au niveau national — indépendamment de la situation d’emploi — sont également mises en place pour accroître les niveaux d’épargne et d’assurance. Le programme KiwiSaver en Nouvelle-Zélande repose sur une inscription automatique et offre des choix d’investissement limités. Le National Employment Savings Trust (NEST) du Royaume-Uni fonctionne de manière similaire. Dans les deux programmes, même si les gens sont autorisés à retirer leur épargne, ils sont incités à ne pas le faire. La réglementation du travail Dans bon nombre de pays en développement, les réglementations du travail ont été adoptées à l’époque coloniale. Le droit du travail a été transposé dans toute l’Europe occidentale et dans les colonies d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest, en Amérique latine et dans certaines régions de l’Asie par le biais des conquêtes. Et on continue d’en subir les répercussions au XXIe siècle : les pays de droit romain ont une réglementation du travail bien plus draconienne que ceux de la Common law, ce qui impose davantage de restrictions aux relations entre les employeurs et les travailleurs20. La démarche plus restrictive de la réglementation du travail est mal adaptée au marché du travail de nombreux pays en développement, car elle requiert des capa- cités administratives plus importantes que celles dont disposent les États. Conçues avec les économies de l’ère industrielle à l’esprit et à une époque où les systèmes de protection sociale étaient faibles, les réglementations du travail ne protègent sou- vent pas la plus grande partie des travailleurs lorsque l’informel est la norme et les autorités n’ont souvent pas prise sur le monde du travail. Dans la plupart des pays, les réglementations sont rédigées en supposant que la majorité de la population active occupe un emploi salarié stable et à plein temps. Pourtant, dans de nombreux pays en développement, ces emplois sont l’exception et se trouvent pour la plupart dans le secteur public ou parmi les travailleurs hautement qualifiés. 116 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les réformes devraient viser trois défis majeurs associés à la réglementation du marché du travail. Premièrement, cette réglementation ne couvre que les travailleurs formels dont l’emploi est soumis à l’autorité de l’État. Et pourtant, plus de la moitié de la main-d’œuvre à travers le monde est informelle. Deuxièmement, les pouvoirs publics mettent trop d’ambition dans la réglementation du travail, qu’ils voudraient voir se substituer à la protection sociale, notamment pour assurer un revenu mini- mum ou remplacer les prestations de chômage. Et troisièmement, comme indiqué dans le Rapport sur le développement dans le monde 2013 sur les emplois, même si la régle- mentation remédie aux imperfections du marché de travail, elle étouffe souvent le dynamisme de l’économie en influant sur les flux du marché du travail et en prolon- geant le temps passé à la fois dans un emploi ou au chômage. Lorsque la réglemen- tation est trop stricte et exclut de nombreux travailleurs, notamment les jeunes et les personnes faiblement qualifiées, les entreprises ont du mal à réajuster la composition de leur main-d’œuvre, alors que la capacité à s’adapter est une condition importante de l’adoption de nouvelles technologies et de l’accroissement de la productivité21. Dans un échantillon de 60 pays, un pays où la sécurité d’emploi passe du 20e au 80e percentile (où l’état de droit est solide) verra sa vitesse d’ajustement aux chocs du marché de l’emploi réduite d’un tiers et la croissance de sa productivité annuelle chuter d’un point de pourcentage22. L’adoption d’une technologie propice à la pro- ductivité est négativement corrélée à la rigueur de certaines réglementations du travail, notamment celles dont les procédures de licenciement sont pesantes23. C’est pourquoi les secteurs à forte intensité de technologie sont moins étendus dans les pays dont les règles de protection de l’emploi sont plus strictes24. Une réglementation plus rigoureuse est également associée à un nombre moins important d’entreprises — notamment de petite taille — qui intègrent et quittent des secteurs dans lesquels la main-d’œuvre passe plus fréquemment d’un emploi à un autre25. Une tendance similaire apparaît également à l’intérieur des pays26. Pour relever ce défi, il faudrait que les décideurs repensent la réglementation du travail. Certains pays ont engagé des réformes qui aident les entreprises et les travail- leurs à s’adapter à la transformation de la nature du travail. Les récentes réformes en Italie ont été associées à la création d’emplois plus permanents27. Il est vital de tendre vers un équilibre entre la sécurité et la flexibilité. Beaucoup de pays ont assoupli leur marché de travail. Cependant, seuls quelques-uns réalisent les investissements correspondants pour soutenir le revenu et favoriser le réemploi afin de remettre la main-d’œuvre au travail. Une flexibilité accrue des entreprises est intimement liée à une protection sociale plus solide, à l’intermédiation et à des programmes d’aide à la recherche d’emplois ainsi qu’à des dispositifs destinés à renforcer la voix des travail- leurs. Au-delà du cadre réglementaire de base, il convient d’offrir une protection à tous ceux qui travaillent, quel que soit la nature de leur participation au marché du travail, dans le cadre d’une démarche intégrée de protection sociale et de promotion des institutions chargées d’appliquer la règlementation du travail. Cette démarche offrirait une protection additionnelle aux nombreux travailleurs — parfois les plus vulnérables — qui sont de facto exclus. On passerait alors d’une approche de protec- tion de quelques emplois à une couverture universelle. Des périodes de préavis raisonnables et une protection contre les licenciements discriminatoires sont importantes pour contrer le pouvoir des employeurs sur le marché. Toutefois, lorsque les règles appliquées aux décisions de recrutement et de licenciement des entreprises sont trop lourdes, elles créent des rigidités structurelles, sources de coûts sociaux plus élevés en cas de bouleversements. La Bolivie, Oman et la République bolivarienne du Venezuela ne permettent pas la résiliation d’un Le renforcement de la protection sociale | 117 contrat pour des raisons économiques, mais limitent les motifs du licenciement à des éléments disciplinaires et personnels. Dans 32 pays, un employeur doit avoir l’approbation d’un tiers, même pour les licenciements individuels. En Indonésie, l’approbation du Conseil de règlement des litiges dans les relations entre partenaires sociaux est requise pour un licenciement. Au Mexique, un employeur doit obtenir l’approbation du Conseil de conciliation et d’arbitrage du travail. Et au Sri Lanka, un employeur doit obtenir le consentement de l’employé ou l’approbation du com- missaire du travail. Les entreprises pourraient se voir accorder plus de flexibilité dans la gestion de leurs ressources humaines, sous réserve d’une loi qui exige un préavis correct, de l’existence d’un système adéquat de protection du revenu et de mécanismes effi- caces pour punir la discrimination. Toutefois, il convient d’établir un équilibre entre des procédures de licenciement plus souples et une protection accrue en dehors du contrat de travail, ainsi que des mesures de soutien actif au réemploi pour pro- téger ceux qui se retrouvent au chômage. Sinon, la réduction des restrictions aux décisions de recrutement et de licenciement transfèrerait un risque ingérable aux travailleurs. Toutefois, dans de nombreux pays, l’approche actuelle place une part trop importante de ce fardeau sur les entreprises et pas suffisamment sur l’État de manière directe. Pour réduire les risque d’abus par les entreprises, les pouvoirs publics pourraient y réaliser des audits en raison du risque associé qu’elles violent la loi, puis imposer des pénalités lorsque cela se justifie. Il serait aussi souhaitable de réexaminer la possibilité d’offrir une protection financière aux travailleurs dont les moyens de subsistance ont été détruits. Les indemnités de licenciement sont la forme la plus courante de ce type de protection dans la plupart des économies à faible revenu et à revenu intermédiaire. Cependant, c’est une pratique qui remonte à l’époque où les États n’étaient pas en mesure de payer des indemnités de chômage. Quelques pays ont, sur le papier, des politiques extrêmement généreuses en matière d’indemnités de licenciement. Les indemni- tés statutaires de licenciement après 10 années d’emploi continu sont équivalentes à 132 semaines de salaire en Sierra Leone, 130 semaines de salaire à Maurice et 120 semaines de salaire à Bahreïn. Pour autant, les indemnités de licenciement ne sont pas un outil efficace de pro- tection du revenu, car les risques sont concentrés au niveau de l’entreprise ou du secteur où il existe une corrélation entre les chocs et les pertes. Les employés se heurtent également à un risque élevé de non-paiement si leurs employeurs ont des problèmes de liquidité ou déposent le bilan. Une option plus fiable consisterait à faire davantage recours à des indemnités de chômage applicables sur toute l’étendue du territoire national. Les dispositifs gérés au niveau national plutôt qu’à l’échelon de l’entreprise ouvriraient également cette forme de protection à tous, indépendam- ment du mode ou du lieu de travail. Pour assurer une protection suffisante tout en préservant les incitations au travail, les systèmes de prestations de chômage pourraient s’appuyer à la fois sur l’épargne individuelle et sur la redistribution. L’épargne pourrait être mobilisée en situation de chômage ou de recyclage professionnel. Si les bénéficiaires n’épuisent pas la totalité de leur épargne, le reste serait mis à disposition à la retraite. Les travailleurs qui n’ont pas suffisamment d’épargne pourraient compter sur la garantie de revenu minimum financée à partir des recettes générales. Le Chili et la Jordanie possèdent des comptes d’épargne individuels pour les prestations de chômage. Pour sa part, Singapour dispose de comptes individuels pour le logement ou l’éducation. 118 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 L’étude des protections de l’emploi de l’ère industrielle devrait s’accompagner d’une évaluation des législations rigides, éventuellement dépassées, portant sur les conditions de travail. Certaines nouvelles formes de travail brouillent la distinction entre un employé et un travailleur autonome « dépendant » — par exemple, un chauffeur Yandex.Taxi à Moscou est-il un employé de Yandex.Taxi  ? Pour garantir l’ensemble des protec- tions de base décrites plus haut, les codes du travail doivent définir plus clairement ce que signifie être un employé sur les marchés actuels du travail. Cette définition pourrait dépendre, par exemple, de la mesure dans laquelle les travailleurs décident de leurs conditions de travail (par exemple, quand travailler). Il est important d’as- surer la convergence entre les types de prestations et de protection dont bénéficient les travailleurs, quel que soit le temps passé avec un employeur. Enfin, mieux appliquer les lois et dispositifs relatifs à l’emploi en vue d’accroître la voix des travailleurs est un autre objectif important. Le passage à un contrat de base plus simple exigerait des structures plus solides de négociation collective, la loi prévoyant moins de protections. Cependant, ces structures perdent progressivement leur importance : dans les pays à revenu élevé, la part des travailleurs couverts par une convention collective a chuté en moyenne, passant de 37 % en 2000 à 32 % en 2015. De même, en 2015, 24 % des employés étaient affiliés à des syndicats, au lieu de 30 % en 1985. Dans les pays en développement, où le secteur informel est impor- tant, les syndicats et les conventions collectives jouent généralement un rôle limité (figure 6.5). Les taux de syndicalisation varient entre 15 et 20 % des travailleurs au Brésil, en Moldavie, au Sénégal et en Tunisie et moins de 10 % des travailleurs dans des pays tels que l’Éthiopie, le Guatemala, l’Indonésie et la Turquie. FIGURE 6.5 Les taux de syndicalisation sont faibles et en baisse dans de nombreux pays en développement Variation annuelle moyenne depuis 1993 (points de pourcentage) 40 1,0 % des employés salariés syndicalisés en 2018 30 0 20 –1,0 10 0 –2,0 um e aï la e In rou ilip ie lo s ue Éth ie in e ue de Gh il Ta na ge e M ne du e ie Ru d M ine Ar sie Co ine Ro ani és nd i Ar ani ra ue ric de Su a Ph nés b do iop én a iq i In m ica nt m Br s Pé dé riq au la p nz m ex te do a Th m Gu n tio Fé Af iq bl pu Ré Taux de syndicalisation Variation dans le temps Pas de changement dans la syndicalisation Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir d’une sélection de pays de la base de données ILOSTAT de l’Organisation internationale du travail. Le renforcement de la protection sociale | 119 Les technologies numériques sont également utiles faire appliquer les lois et dis- positifs relatifs à l’emploi en vue de mieux faire entendre la voix des travailleurs. Elles diminuent les coûts d’application en permettant un contrôle moins coûteux de la conformité aux lois. Au Brésil, le Rapport annuel d’information sociale est utilisé pour surveiller le respect de la Loi sur les apprentis. Le Dispositif de protection des travailleurs d’Oman aide à suivre les paiements de salaires. Et les médias sociaux contribuent à véhiculer les plaintes au sujet des employeurs et des conditions de travail, ce qui exerce des pressions non seulement sur les autorités, mais aussi sur les employeurs qui craignent pour leur réputation. Pour faire face aux risques associés aux marchés actuels et futurs du travail, les pouvoirs publics doivent repenser les systèmes de protection sociale. L’assistance sociale doit être améliorée, notamment moyennant un minimum social garanti. Ce minimum pourrait éventuellement être élargi à tous selon les conditions et les préférences des pays. La notion de l’universalisme progressif pourrait guider cet élargissement du bas vers le haut. Et l’assurance sociale jouera un rôle crucial à cet égard. Cependant, le modèle bismarckien typique s’effrite ou reste utopique dans beaucoup de pays, notamment en raison de l’omniprésence de l’informel. À mesure qu’augmentent les investissements dans la protection sociale, une démarche équi- librée de réglementation du marché du travail pourrait permettre de satisfaire aux objectifs de productivité et d’équité avec plus d’efficacité. Notes   1. Pour une analyse plus détaillée, voir Packard et al. (2018).  2. World Bank (2018).  3. Bastagli et al. (2016).  4. Akee et al. (2018).  5. Ralston, Andrews et Hsiao (2017).  6. Eurofound (2015).  7. López-Calva et Ortiz-Juárez (2011).  8. Dang et Dabalen (2018).  9. Economic Times (2018). 10.  Browne et Immervoll (2017). 11.  IMF (2017). Voir Harris et al. (2018) pour une analyse du financement d’un RMU par le biais de la taxe sur la valeur ajoutée. 12.  Ministry of Finance, India (2017). 13. Khosla (2018). 14. Marinescu (2018). 15.  Salehi-Isfahani et Mostafavi-Dehzooei (2018). 16.  Alderman, Gentilini et Yemtsov (2017). 17.  Dorfman et al. (2013). 18. OECD (2017). 19.  Akbas et al. (2016). 20.  Botero et al. (2004). 21.  World Bank (2012). 22.  Caballero et al. (2013). 23.  Packard et Montenegro (2017). 24.  Bartelsman, Gautier et De Wind (2016). 25.  Bottasso, Conti et Sulis (2017). 26.  Brambilla et Tortarolo (2018). 27.  Sestito et Viviano (2016). 120 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Bibliographie Akbas, Merve, Dan Ariely, David A. Robalino, and Michael Weber. 2016. “How to Help Poor Informal Workers to Save a Bit: Evidence from a Field Experiment in Kenya.” IZA Discussion Paper 10024, Institute of Labor Economics, Bonn, Germany. Akee, Randall, William Copeland, E. 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Dans son ouvrage publié en 1762 et intitulé « Du contrat social ou Prin- cipes du droit politique », le philosophe français Jean Jacques Rousseau postule que tout le monde deviendra libre parce que tous renoncent au même nombre de droits et sont soumis aux mêmes devoirs. C’est ainsi que le contrat social est compris dans le présent chapitre : comme un train de mesures qui vise à contribuer à l’édification d’une société plus juste. Les pressions anciennes et nouvelles qui pèsent sur le contrat social appellent de nouvelles façons de penser. L’absence de services publics efficaces accessibles à la majeure partie des pauvres est une manifestation des fissures qui émaillent le contrat social aujourd’hui. En même temps, les mutations observées sur le marché du travail font craindre un chômage de masse. Toutes ces évolutions créent des ten- sions entre les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics partout dans le monde. Néanmoins, bien que certaines de ces craintes semblent exagérées, il y a assurément des raisons de s’inquiéter. Les progrès technologiques dans la sphère numérique justifient l’apport de nouvelles idées dans le débat public portant sur l’inclusion sociale, qui est définie comme l’amélioration des aptitudes, des perspectives et de la dignité des couches les plus défavorisées de la société. Deux éléments méritent une attention particulière. Premièrement, grâce à la technologie, les pouvoirs publics ont de nouveaux moyens d’atteindre les pauvres et d’autres groupes privés d’accès à des services de qualité ou des outils de gestion des risques. Beaucoup occupent des emplois informels à faible productivité et ne bénéficient pas des protections sociales, ce qui fait en sorte qu’ils peinent à s’extraire de la pauvreté et y échapper. L’informel limite la portée des régimes d’assurance sociale fondés sur des cotisations salariales formelles déclarées auprès de l’État. Deuxièmement, l’évolution de la nature du travail s’accompagne d’un ajuste- ment des coûts pour les travailleurs. La technologie a des répercussions diverses sur l’offre et la demande de compétences sur le marché de l’emploi. Selon les outils concernés, certaines compétences (et les travailleurs qui les possèdent) deviennent plus pertinentes que d’autres. Les compétences avancées — comme la résolution de problèmes complexes et l’esprit critique — ont de plus en plus de valeur dans le monde du travail. Les personnes qui possèdent ces compétences peuvent travailler plus efficacement avec l’aide des nouvelles technologies. Les compétences compor- tementales — comme l’empathie, le travail d’équipe et le règlement des conflits — prennent aussi de la valeur sur les marchés de l’emploi, car elles ne peuvent pas être transposées facilement aux machines. C’est donc le moment idéal pour réfléchir aux moyens d’améliorer l’inclusion sociale. Les mécanismes qui sous-tendent certaines réformes sont complexes en rai- son des arbitrages potentiellement nécessaires pour déterminer, par exemple, ce qu’il faudrait investir dans la génération actuelle de travailleurs ou dans les prochaines. La dépense publique doit être améliorée, et des sources additionnelles de recettes identifiées dans une optique de renforcement de l’inclusion sociale. Les aspirations ne cessent de croître, particulièrement chez les jeunes, du fait en partie des médias sociaux et de l’urbanisation. Lorsqu’elles sont satisfaites, ces aspirations accroissent les perspectives et la prospérité. À défaut, elles peuvent générer des frustrations voire des perturbations sociales dans certains pays. 124 Quelques idées d’inclusion sociale | 125 Le présent chapitre aborde trois questions. Premièrement, comment la société conçoit-elle un nouveau contrat social dans un contexte où prédomine l’informel et où le marché du travail connaît de profondes mutations  ? Deuxièmement, si un gouvernement reçoit mandat d’établir un contrat social dont le but est d’améliorer ? Et troisièmement, la justice sociale, quels en seraient les principaux ingrédients  comment l’État peut-il financer les réformes envisagées  ? Le rapport décrit un scénario que les politiciens pourraient prendre en compte dans le cadre des proces- sus législatifs et des consultations nationales. Une « nouvelle donne » mondiale « Il règne une culture de la non-participation, de l’indifférence et du silence. Le contrat social est rompu  », déclarait en 2017 un habitant de l’une des régions en proie à l’insécurité au Mexique1. Les fissures qui émaillent le contrat social actuelle- ment étaient déjà perceptibles durant les manifestations qui ont caractérisé le prin- temps arabe de 2010-12 et dans le rejet de la mondialisation qu’illustre la montée du protectionnisme. Dans de nombreux pays en développement, un contrat social dysfonctionnel peut amener les citoyens à exercer moins de pression sur les pou- voirs publics afin qu’ils améliorent les services publics. En effet, certains observa- teurs avancent que dans les pays en développement, la classe moyenne « envoie ses enfants dans des écoles privées, a recours à des établissements de soins privés, creuse ses propres forages d’eau et achète ses propres groupes électrogènes »2. Les mécanismes destinés à assurer l’égalité des chances, qui à son tour favorise l’inclusion sociale, font souvent défaut. Les pays sont en train de faire l’impasse sur l’investissement dans les premières années de la vie des enfants, particulière- ment ceux issus de groupes défavorisés. En Amérique latine, le montant total des dépenses publiques par habitant allouées aux enfants de moins de 5 ans représente le tiers de celles consacrées aux enfants de 6 à 11 ans. En Afrique subsaharienne, l’enseignement préscolaire reçoit à peine 2 % en moyenne du budget national de l’éducation3. Dans les pays en développement, les systèmes fiscaux et les régimes de protection sociale redistribuent les revenus dans une certaine mesure. Dans certains d’entre eux, cela s’explique par le fait que la fiscalité est peu progressive  ; dans d’autres, la raison est simplement que les recettes collectées sont trop faibles. La persistance de niveaux élevés d’activité informelle est symptomatique de l’érosion du contrat social. Le secteur informel pourvoit plus de 70 % des emplois en Afrique subsaharienne et 60 % en Asie du Sud. En Amérique latine, il représente plus de 50 % des emplois. Les travailleurs informels sont hors de portée de l’adminis- tration pour ce qui est de la fourniture de services sociaux, d’une protection sociale robuste et des politiques de redistribution. Les personnes engagées dans l’économie informelle se dérobent à leurs obligations vis-à-vis de l’État en ne payant pas d’im- pôts. À certains égards, l’informel dénote un manque de confiance à l’égard de l’État4. Parmi les exemples récents de contrat social fondamentalement rénové et des éléments qu’ils comportent, on peut citer l’adoption de la notion de «  flexicurité » au Danemark, qui trouve ses racines dans le XIXe siècle. Ce nouveau type de contrat social combine la flexibilité du marché du travail avec des programmes robustes de sécurité sociale et d’intervention directe sur le marché du travail. D’autres exemples comprennent les réformes économiques établissant les principes de l’économie de marché qui ont été engagées en Chine en 1978, le Plan Balcerowicz en Pologne en 1989 et les réformes Hartz en Allemagne en 2003. Cependant, on peut soutenir que lorsque les populations envisagent un contrat social impliquant des réformes 126 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 majeures associées à la nature du travail, leur ambition est généralement à l’aune de la Nouvelle Donne adoptée sous le président américain Franklin D. Roosevelt. Cette référence évoque la possibilité de subventionner l’emploi (ou de fiscaliser les robots) pour faire face aux progrès technologiques. Toutefois, cette allusion est malhonnête. Pendant la Grande Dépression des années 1929-33, le taux de chômage est monté en flèche aux États-Unis — passant de 3 % à 25 % — et la production industrielle a diminué de moitié. Pour faire face à la déliquescence de l’économie, Franklin Roo- sevelt a promis en 1932 «  une Nouvelle Donne au peuple américain  » durant le discours d’acceptation de son investiture comme candidat de son parti aux élections présidentielles. Sa Nouvelle Donne se déclinait au bout du compte en une série de programmes et de réformes mise en œuvre par son administration de 1933 à 1938 dans le but de sortir les États-Unis de la Dépression. Bien qu’audacieuse et complète, cette politique a servi à résoudre un problème différent de celui qui se pose en 2018 dans un contexte marqué par l’omniprésence du secteur informel dans les pays en développement ou par la transformation du travail. Plus particulièrement, alors que la Dépression a été essentiellement un choc transitoire pour l’économie américaine, les changements que subit le marché du tra- vail et la persistance de l’informel ne sont aucunement des situations passagères. Certaines des mesures composant la politique de la Nouvelle Donne — comme l’Agence fédérale de garantie des dépôts (Federal Deposit Insurance Corporation) et le Programme d’assistance alimentaire complémentaire (Supplemental Nutrition Assistance Program) — visaient non seulement à faire face au choc temporaire que constituait la Dépression, mais aussi au besoin permanent de protection au-delà de la crise. Cela dit, les programmes les plus importants, particulièrement les subventions à l’emploi ou aux revenus, avaient une durée de vie limitée — ce qui convenait à la situation. Les initiatives de travaux publics peuvent dépasser le cadre des investissements dans l’infrastructure. Actuellement, certaines activités sociales essentielles sont menées de manière bénévole par des particuliers. Ainsi, il est courant de fournir des soins informels à un parent atteint d’un handicap sévère ou d’une maladie chro- nique ou de s’en occuper. Selon des estimations récentes, plus de 2 millions de personnes au Royaume-Uni reçoivent des soins informels. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se retrouver de manière inattendue à fournir de tels soins. Dans de telles situations, elles auront du mal à établir un équilibre entre leur rôle de soignant et leur participation au marché du travail. En plus du manque à gagner, un tel arrangement peut avoir des répercussions sociocomportementales néfastes sur le bien-être des prestataires informels. Une protection sociale efficace suppose de repenser la contribution de l’État à la réduction du chômage involontaire en offrant des services dans plusieurs domaines, notamment la garde d’enfants, la prise en charge des personnes handicapées et des personnes âgées, l’accompagnement psychosocial des chômeurs de longue date, l’appui aux cantines populaires et la réinsertion au sortir de la toxicomanie et de la violence. Entre autres activités du genre, on peut citer Kinofelis en Grèce et le Programme élargi de travaux publics en Afrique du Sud. Les prestations du service public peuvent être renforcées, notamment dans le domaine des soins de santé primaire de proximité qui élargissent la couverture des services de santé préventive et curative au-delà des installations sanitaires pour atteindre les collectivités et les ménages. Un examen des études empiriques révèle que cette approche contribue efficacement à améliorer la nutrition et la vaccination, à lutter contre la pneumonie et d’autres maladies comme le paludisme, et à pré- venir et traiter la contamination par le virus d’immunodéficience humaine. Dotés d’une formation moins complète que celle des professionnels de la santé, les agents Quelques idées d’inclusion sociale | 127 de santé communautaire dispensent des soins médicaux de base, sont en mesure d’orienter efficacement les patients vers d’autres services et prestataires de soins, et développent une relation de confiance dans les collectivités qu’ils desservent. Établir un nouveau contrat social L’égalité des chances joue un grand rôle dans les mutations du travail. L’investis- sement dans le développement du jeune enfant peut améliorer les perspectives de ce dernier. Selon une estimation, l’expansion des politiques de développement du jeune enfant aux États-Unis pourrait réduire les inégalités de 7 % et accroître la mobilité intergénérationnelle de revenu de 30 %5. L’égalité des chances fait aussi penser au renforcement des protections sociales, y compris l’assistance et l’assurance sociales, d’une manière compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle. Ces éléments du contrat social font écho aux trois libertés décrites par le Prix Nobel Amartya Sen dans l’ouvrage intitulé Development as Freedom : les libertés politiques et la transparence dans les relations entre les peuples, la liberté de choix et la protec- tion économique contre la pauvreté abjecte6. Au-delà de certains éléments fondamentaux, tout nouveau contrat social devrait être adapté à son contexte national particulier. Un aspect à prendre nécessairement en compte à cet égard est celui des tendances démographiques. D’ici 2050, plus de la moitié de la croissance de la population mondiale se produira en Afrique subsaha- rienne, où on prévoit que les taux annuels d’accroissement de la population en âge de travailler devraient dépasser 2,7 %7. En comparaison, les populations d’Asie de l’Est et du Pacifique sont vieillissantes : cette région compte en effet plus de 211 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, ce qui représente 36 % de la population mon- diale de ce groupe d’âge. D’ici 2040, la population en âge de travailler aura diminué de 10 à 15 % en Chine, en République de Corée et en Thaïlande8. Les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud devraient par conséquent être particulièrement réceptifs aux besoins de la large cohorte de jeunes qui intègrent le marché de l’emploi afin de garantir la viabilité du contrat social. En Europe de l’Est et en Asie de l’Est, le contrat social devrait aussi favoriser la création de mécanismes de financement de la protection et la prise en charge des personnes âgées d’une manière durable. Une société où règne l’égalité des chances est souvent définie comme une société qui parvient à donner à l’ensemble de ses membres les mêmes chances d’épanouis- sement sur les plans économique et social. Cependant, elle ne pourra y arriver que si tous ses membres ont accès à un minimum social garanti, comprenant des soins de santé, l’éducation et la protection sociale. Ce minimum procurerait un capital humain de base à tous, leur offrant des chances égales de poursuivre leurs objectifs. Le marché du travail valorise de plus en plus les compétences cognitives et sociocomportementales avancées qui complètent l’action de la technologie et rendent les travailleurs plus adaptables. Cela signifie que les inégalités vont augmen- ter à moins que tout le monde n’ait une chance égale d’acquérir ces compétences. En fait, au regard des mutations qui se produisent dans le monde du travail, le manque d’instruction sera probablement un des principaux facteurs de transmis- sion des inégalités d’une génération à l’autre. Un nouveau contrat social devrait chercher à uniformiser les règles du jeu en matière d’acquisition des compétences. Le moyen le plus simple d’assurer l’équité est de soutenir le développement de la petite enfance. Garantir que chaque enfant ait accès à une nutrition, une éducation, une protection sociale et des soins de santé adéquats, particulièrement durant les premières années de son existence, c’est établir des bases solides pour le développe- ment de compétences plus tard dans la vie. Parce que les compétences sont acquises 128 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 d’une manière cumulative, l’investissement précoce dans la vie d’un être humain est le plus productif. Les mutations qui s’opèrent sur le marché du travail transforment les connais- sances de base en lecture, écriture et calcul en des aptitudes de survie. Celles-ci sont nécessaires ne serait-ce que pour évoluer dans la vie — acheter des médicaments, postuler pour un emploi et interpréter des promesses de campagne. La capacité à lire et manipuler des chiffres sert aussi de préalable à l’acquisition de compétences avan- cées. Mais pour un trop grand nombre d’enfants, la scolarisation n’est pas toujours synonyme d’apprentissage. Dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, des millions d’enfants vont à l’école durant quatre ou cinq ans sans acquérir les rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul. Par conséquent, il ne suffit pas de garantir l’accès à l’enseignement de base. Idéalement, un contrat social au profit du développement de la petite enfance devrait avoir trois composantes : 1) veiller à ce que les enfants reçoivent les apports essentiels pour être en bonne santé, bien nourris et stimulés durant les 1  000 pre- miers jours de leur existence (de la conception à l’âge de 24 mois). Cela inclut l’accès des mères aux soins de santé prénatale, la vaccination, les micronutriments et l’information des parents sur l’importance de l’allaitement maternel et des acti- ; 2) assurer l’accès à un apprentissage préscolaire de qualité durant les vités d’éveil  1 000 jours suivants de l’enfant (du 25e au 60e mois). Cela signifie que l’enfant reçoit au moins un an d’enseignement préscolaire de qualité afin d’être préparé à intégrer l’école primaire. Les programmes d’enseignement préprimaire devraient être conçus en fonction de l’âge des enfants et être dispensés par des enseignants qualifiés  ; 3) enregistrer les naissances, opération en vertu de laquelle l’enfant est reconnu par l’État et acquiert la capacité d’accéder à des services essentiels tout au long de son existence. Ensemble, toutes ces composantes — soins de santé prénatale, assistance à l’accouchement, vaccination, supplémentation en micronutriments, information des parents, enseignement préscolaire de qualité et enregistrement des naissances — constituent un paquet minimum de mesures axées sur les besoins de dévelop- pement et d’apprentissage du jeune enfant. Un ensemble de mesures plus complet comprendrait des investissements pour l’approvisionnement en eau potable et des services d’hygiène adéquats. Les investissements destinés à améliorer la qualité de l’air gagnent aussi en importance, et des études sont en cours pour déterminer quels programmes présentent un bon rapport coût-efficacité. Certains pays s’emploient d’ores et déjà à offrir ce type de contrat social. Dans le cadre du programme de développement de la petite enfance de Cuba, la crois- sance et le développement des enfants font l’objet d’un suivi régulier. Au début de chaque année scolaire, le secteur de l’éducation recense les familles qui ont besoin d’une attention particulière. Le programme Chile Crece Contigo comprend un programme d’accompagnement (Programa de acompañamiento familiar) qui travaille avec les familles, les femmes enceintes et les enfants n’ayant pas encore atteint le quatrième niveau du primaire qui sont en situation de risque social et sanitaire. Le Pérou a simplifié la procédure d’enregistrement des naissances pour faciliter l’accès aux services de développement de la petite enfance. Les parents bénéficient d’une aide pour surveiller l’évolution et la santé de leurs enfants et leur faire suivre des activités d’éveil. La France a promulgué une loi en 2018 qui vise à assurer l’accès de tous les enfants à l’enseignement préscolaire dès l’âge de 3 ans. Un contrat social portant sur la lecture, l’écriture et le calcul ferait en sorte que les élèves acquièrent ces aptitudes avant la troisième année du primaire (vers 10 ans). À ce niveau, les élèves devraient être capables de lire pour tirer profit du programme scolaire. Ceux qui n’apprennent pas à lire avant la troisième année du primaire Quelques idées d’inclusion sociale | 129 peinent à se rattraper, et finissent par prendre tellement de retard qu’ils n’assimilent rien au bout du compte. Les principaux facteurs qui entrent en ligne de compte ici devraient être les suivants, entre autres : des évaluations effectuées à la fin de la troisième année du primaire pour identifier les enfants en difficulté, et des cours de soutien en lecture et calcul pour les élèves de la première à la troisième année qui en ont besoin. Un paquet de mesures plus complet devrait viser à faire en sorte que le ratio élèves-enseignant ne dépasse pas 40:1 dans le primaire et que des outils pédagogiques suffisants soient mis à disposition de façon à réaliser l’objectif d’un élève pour un manuel scolaire dans ces classes. Il existe des modèles à suivre pour aider les élèves en lecture, écriture et calcul avant la troisième année du primaire, et ceux-ci sont à la fois d’un bon rapport coût-efficacité et faciles à transposer à une échelle plus grande, même lorsque les ressources sont limitées. Au Libéria et au Malawi, la formation des enseignants à mieux évaluer leurs élèves, associée à la mise à disposition d’outils pédagogiques supplémentaires, a considérablement amélioré les acquis dans les petites classes. À Singapour, tous les élèves passent un test de niveau à l’entame de leur première année du primaire. Les élèves qui n’ont pas le niveau requis en lecture, écriture et calcul pour leur âge bénéficient d’un accompagnement dans le cadre du Programme de soutien à l’apprentissage. Ce sont-là des approches simples et directes. Les ensei- gnants apprennent à évaluer leurs élèves à l’aide de mesures simples et régulières de leur capacité à lire, écrire, comprendre et faire des opérations de calcul de base. Les enfants qui ont besoin d’une aide supplémentaire reçoivent le matériel nécessaire et entreprennent des activités ciblées. Ces modèles ont été expérimentés avec succès au Ghana, en Inde, en Jordanie et au Kenya. Ils servent de base à la préparation d’un plan précis et d’un budget estimatif. Le nouveau contrat social devrait aussi inclure des éléments de protection sociale. Les risques accrus qui accompagnent la transformation de la nature du travail exi- gent un réajustement des protections offertes aux travailleurs. Un nouveau contrat social pourrait offrir un revenu minimum, combiné avec une assurance sociale universelle de base, qui n’est pas rattachée au mode ou au lieu de travail. Un mini- mum social garanti pourrait prendre des formes multiples et être mis en œuvre dans le cadre d’une série de programmes ou par l’expansion d’interventions isolées. Chacune de ces modalités présente différents avantages comparatifs et a des impli- cations budgétaires, politiques et administratives. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont accompli des progrès subs- tantiels sur le front de l’assistance sociale. En Tanzanie, les dépenses allouées aux transferts monétaires conditionnels ont décuplé entre 2013 et 2016. Ce programme couvre actuellement 16 % de la population et représente 0,3 % du produit intérieur brut (PIB). Aux Philippines, ces dépenses ont quintuplé durant la période 2009-15, et le programme Pantawid couvre actuellement 20 % de la population pour un coût représentant 0,5 % du PIB. Ces tendances font pendant à la croissance de pro- grammes catégoriels ou fondés sur l’âge comme le Child Support Grant en Afrique du Sud, dont la couverture est passée de 1 million de bénéficiaires en 2001 à 11 millions en 2014, pour un coût représentant 0,2 % et 1,2 % du PIB respectivement. On compte actuellement une grande diversité de programmes éprouvés qui pour- raient être transposés à une échelle plus grande. Qu’ils soient anciens ou nouveaux, ces programmes devraient s’inscrire dans une mouvance d’universalisme progressif, un principe qui vise délibérément des niveaux élevés de couverture, en faisant en sorte que les pauvres soient davantage pris en compte et en priorité. Il reviendrait alors aux pays et aux pouvoirs publics de déterminer à quel point précis de l’échelle de revenu on peut être plutôt bénéficiaire qu’acteur net de telles initiatives. 130 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les régimes d’assurance sociale qui prévoient des pensions de retraite et d’in- validité sont fondés sur une relation employé-employeur traditionnelle qui n’est guère adaptée aux pays en développement. De plus en plus, de nouvelles formes de travail remettent en cause ce modèle dans les économies avancées également, la conséquence étant que les travailleurs de l’informel n’ont souvent pas accès à ce type d’appui. En effet, ce type d’assurance sociale est financé par les impôts sur les salaires, ce qui augmente les coûts liés à l’embauche. Alors que les contrats sociaux sont repensés, on pourrait envisager de subventionner une assurance sociale mini- male — particulièrement au profit des pauvres. Une telle réforme permettrait aussi de niveler les coûts associés à différents facteurs de production comme le capital et la main-d’œuvre, dès lors que le système cesse d’être financé, du moins en partie, par l’impôt sur les salaires au profit de la fiscalité générale. Ouvrir des débouchés économiques pour les jeunes adultes doit faire partie du contrat social. Mais le rythme des créations d’emplois au profit des nouveaux entrants sur le marché du travail est souvent lent. Pour beaucoup de jeunes, les disparités persistantes en matière d’accès à des compétences adéquates constituent des obsta- cles à l’emploi. L’expérience internationale de «  l’inclusion productive » des pauvres et des jeunes vulnérables révèle l’existence d’une grande diversité de programmes qui peuvent leur permettre d’accéder à l’emploi salarié et autonome. Les interven- tions possibles comprennent des subventions salariales, des programmes de travaux publics, des aides à la création d’entreprises et des transferts d’actifs (qui font sou- vent partie d’un modèle fondé sur la « promotion »), l’encadrement, les programmes d’apprentis, les stages et divers types de formations. Les travaux empiriques montrent que ces programmes ont des effets mitigés, les profils de leurs bénéficiaires potentiels, leur conception et les circonstances particulières dans lesquelles ils sont mis en œuvre déterminant leur efficacité du point de vue des coûts et des résultats. Par exemple, les subventions salariales peuvent être adaptées aux milieux périurbains hébergeant de vastes zones industrielles, alors que les programmes de « promotion » sont largement destinés aux populations rurales (notamment le transfert d’actifs comme le bétail). Comment financer l’inclusion sociale L’inclusion sociale coûte cher. Des simulations donnent à voir que les composantes du renforcement du capital humain, notamment le développement de la petite enfance et le soutien à la lecture, à l’écriture et au calcul avant la troisième année du primaire, coûteraient environ 2,7 % du PIB dans les pays à faible revenu et 1,2 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Le coût d’un ensemble complet de mesures de développement du capital humain est estimé à 11,5 % du PIB dans les pays à faible revenu et 2,3 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Ces estimations sont établies sur la base d’un modèle intégralement chiffré dans les pays en développement et combiné avec des hypothèses fondées sur les données. Elles englobent les coûts de mise en œuvre du paquet de mesures axées sur le capital humain, indépendamment du niveau de revenu ou de la couverture des programmes existants. Certes, les coûts réels pourraient être moindres pour les pays qui choisissent de prendre appui sur les programmes existants. La figure 7.1 montre des estimations pour trois scénarios : un pays à faible revenu (Mali), un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (Indonésie) et un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (Colombie). Les coûts encourus pour offrir un minimum social garanti varieraient selon le contexte et les options de conception. Un dispositif d’assistance sociale de base coûterait Quelques idées d’inclusion sociale | 131 FIGURE 7.1 Les coûts d’une sélection d’éléments du contrat social rénové seraient plus élevés dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et ceux de la tranche supérieure 20 15 % du PIB 10 5 0 Faible revenu Revenu moyen inférieur Revenu moyen supérieur Couverture de base Couverture plus complète Paquet axé sur le capital humain Paquet axé sur le capital humain Paquet axé sur l’assistance sociale Paquet axé sur l’assistance sociale (tel qu’illustré par le RMU) (tel qu’illustré par le RMU) Paquet axé sur les jeunes adultes Paquet axé sur les jeunes adultes (inclusion productive) (inclusion productive) Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019. Pour le paquet axé sur le capital humain, voir Zheng et Sabarwal (2018). Note : Le paquet axé sur le capital humain de base comprend les mesures suivantes : 1) soutenir le développement de la petite enfance, y compris les soins de santé prénatale, l’assistance à l’accouchement, la vaccination, la supplémentation en micro- nutriments, l’information des parents, l’enregistrement des naissances et au moins une année d’enseignement préscolaire de qualité pour chaque enfant ; 2) évaluer les acquis scolaires à la fin de la troisième année du primaire afin d’identifier les élèves à risque ; et 3) offrir des cours de soutien en lecture et calcul aux élèves de la première à la troisième année du primaire qui en ont besoin. Le paquet complet axé sur le capital humain comprend, en plus des mesures de base, les éléments suivants : 1) accès à l’eau salubre et à des services d’hygiène adéquats ; 2) ratio élèves-enseignant ne dépassant pas 40:1 dans le primaire ; et 3) un élève pour un manuel scolaire dans le primaire. Les coûts unitaires spécifiques à chaque élément sont déterminés sur la base d’études rigoureuses menées dans le cadre de programmes nationaux pertinents, le cas échéant. À défaut, les dernières estimations de coûts adaptées au niveau de revenu du pays sont prises en compte. Le calcul des bénéficiaires est basé sur les données démographiques des Perspectives pour la population mondiale des Nations Unies. D’autres données nationales comme le produit intérieur brut (PIB), l’accès à l’eau salubre et aux services d’assainissement et les taux de compétence du moment sont extraites de la base de données des Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale et d’autres études. Le paquet axé sur l’assistance sociale de base comprend un revenu minimum universel (RMU) pour les adultes, qui est établi au niveau de l’écart moyen de revenu de la population pauvre. Le paquet complet axé sur l’assistance sociale comprend pour sa part un RMU pour l’ensemble de la population établi au niveau de l’écart moyen de revenu de la population pauvre. Voir le chapitre 6 pour en savoir plus sur l’évaluation des coûts du RMU. Les estimations prennent en compte des pays spécifiques de chaque catégorie de revenu (Mali pour les pays à faible revenu ; Indonésie pour les pays à revenu moyen inférieur ; Colombie pour les pays à revenu moyen supérieur). De ce fait, les résultats n’ont qu’une valeur indicative. Voir la note 11 dans ce chapitre au sujet de la méthode d’estimation pour les jeunes adultes. 9,6 % du PIB dans les pays à faible revenu, 5,1 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et 3,5 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Ces estimations sont fondées sur un revenu minimum universel (RMU) établi au niveau de l’écart moyen de revenu de la population pauvre et visant les adultes. Un dispositif plus ambitieux, comprenant un RMU pour tous, y compris les enfants, coûterait 9 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche infé- rieure et 5,2 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Dans les pays les plus pauvres, le coût d’un tel dispositif serait supérieur à 10 %9. Pour le milliard de jeunes adultes (20-29 ans) dans le monde, le coût moyen des interventions, selon la nature du paquet de mesures axées sur le capital humain, varierait entre 831 et 1 079 dollars par participant10. Le coût total des interventions destinées aux jeunes adultes vulnérables, soit 12,8 % du groupe d’âge11, représen- terait entre 2,9 % et 3,8 % du PIB moyen des pays à faible revenu, 0,9 % et 1,1 % 132 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 FIGURE 7.2 Les pays à revenu élevé tirent dans les pays à revenu intermédiaire une part plus importante de leur produit de la tranche inférieure et 0,2 % à national des impôts, notamment directs, 0,3 % dans les pays à revenu inter- que les pays à faible revenu médiaire de la tranche supérieure. 25 Un nouveau contrat social devrait par conséquent exiger une mobilisa- tion de recettes considérables dans 20 la plupart des pays du monde. Les 11 structures d’imposition en vigueur 15 6 laissent apparaître d’importantes % du PIB 5 disparités, en particulier entre les 10 5 5 pays à faible revenu, à revenu inter- 4 médiaire et à revenu élevé. Les pays 5 à revenu élevé prélèvent une part 7 7 nettement plus importante de leur 5 produit national au titre des impôts 0 Faible revenu Revenu Revenu élevé — notamment les impôts directs — intermédiaire que les pays aux revenus plus faibles. Taxe sur les ventes et TVA En revanche, les pays à faible revenu Autres impôts indirects et à revenu intermédiaire s’appuient Impôts directs davantage sur les taxes indirectes, Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde par exemple celles liées à la consom- 2019, à partir du jeu de données sur les recettes publiques du Centre for Tax and Development. mation et au commerce (figure 7.2). Note : Valeurs moyennes par catégorie de revenu. Les La plupart des pays sont capables données portent sur 113 pays autour de 2015. PIB = produit d’accroître leurs recettes. On estime intérieur brut ; TVA = taxe sur la valeur ajoutée. que les pays d’Afrique subsaha- rienne pourraient mobiliser des res- sources additionnelles de l’ordre de 3 à 5 % du PIB en conjuguant des réformes qui améliorent l’efficacité, utilisent les nouvelles technologies pour renforcer le civisme fiscal et créent de nouvelles sources d’imposition12. Les pouvoirs publics peuvent pallier les lacunes des politiques fiscales et l’inci- visme des contribuables à l’aide d’un certain nombre d’instruments (figure 7.3), notamment la taxe sur la valeur ajoutée, le droit d’accise, l’impôt sur le revenu des personnes physiques et sur les sociétés ainsi que la taxe foncière, et en imposant les activités minières dans les pays riches en ressources. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est généralement l’une des premières mesures mises en œuvre par les pays en développement, est une source potentielle de recettes importantes. Elle n’est toutefois pas perçue dans quelques rares pays comme les Maldives et Myanmar. De nombreux autres, particulièrement en Afrique subsaharienne (Angola, Comores, Guinée-Bissau, Libéria et São Tomé et Príncipe), continuent également d’imposer des taxes sur les ventes. L’application de la taxe sur la valeur ajoutée au lieu d’une taxe générale sur les ventes permet d’éviter les taxes cumulatives ou en cascade (taxes payées sur d’autres taxes) en n’imposant que la valeur ajoutée à chaque maillon de la chaîne de valeur. Au demeurant, même lorsque la TVA est appliquée dans un pays émergent, son impact sur les recettes peut être négligeable. L’insuffisance de capacité contributive se traduit généralement par des problèmes d’incivisme liés à une mauvaise applica- tion des règles. L’augmentation des seuils de TVA dans les pays qui appliquent déjà cette taxe, la suppression des exonérations d’impôt et la convergence vers un taux d’imposition uniforme pourraient accroître considérablement les recettes, en partie en rationalisant le système. L’Afrique du Sud et les pays d’Afrique subsaharienne Quelques idées d’inclusion sociale | 133 que sont le Lesotho, Maurice et le FIGURE 7.3 La taxe sur la valeur ajoutée est Sénégal n’accordent pas beaucoup une source potentielle de financement de d’exonérations. En revanche, au l’inclusion sociale, particulièrement dans Cameroun, au Malawi et en Zambie, les pays à faible revenu la liste des exonérations est intermi- 6 nable. En Amérique latine, au Costa Rica, en République dominicaine, au 5 Honduras et en Uruguay, on estime que les dépenses fiscales relatives à 4 la taxe sur la valeur ajoutée repré- % du PIB sentent un manque à gagner de plus 3 de 3 % du PIB13. Au Viet Nam, le passage à un 2 taux uniforme de TVA de 10 % et la 1 réduction substantielle de la liste des exonérations pourraient accroître 0 les recettes fiscales de 11 %14. Les TVA Droits Impôt Élimination entreprises informelles sont plus d’accise foncier des subventions à l’énergie susceptibles de payer la TVA lorsque Faible revenu Revenu intermédiaire l’effort de collecte est accompagné de mesures telles que des services Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir du jeu de données sur les recettes publiques du de renseignement, des campagnes Centre for Tax and Development ; Norregaard (2013) ; IMF (2015). de sensibilisation ciblées et des inci- Note : Les estimations concernant la taxe sur la valeur ajoutée tations au civisme fiscal. L’élargisse- (TVA) et les droits d’accise sont établies sur la base de la différence entre les recettes fiscales moyennes perçues en ment de l’assiette de la TVA devrait pourcentage du produit intérieur brut (PIB) pour les trois pays de tête de la catégorie de revenu et de la moyenne pour tous aussi permettre de réduire les dis- les pays du groupe. La catégorie de la TVA inclut les taxes sur torsions qui se créent entre les sec- la valeur ajoutée et sur les ventes. Dans le cas de l’impôt foncier, l’accent est mis sur les taxes sur les biens immobiliers. Les esti- teurs de l’économie soumis à cette mations concernant les pays à revenu intermédiaire sont tirées taxe et ceux qui s’y soustraient. Au de Norregaard (2013), qui utilise une méthodologie semblable à celle suivie dans le présent rapport pour les taxes sur la valeur bout du compte, une telle mesure ajoutée et sur les ventes. Concernant les pays à faible revenu, lorsqu’il n’y a pas de données systématiques disponibles, une devrait améliorer la productivité estimation prudente de 0,5 % du PIB est utilisée pour illustrer économique et accroître davantage le niveau de performance inférieur de ces pays en matière d’ad- ministration de l’impôt foncier du fait de la rareté de cadastres les recettes. complets. Les recettes fiscales qui pourraient découler d’une La taxe sur la valeur ajoutée est amélioration de la discipline fiscale sont tirées de IMF (2015), qui indique des gains potentiels d’environ 15 %, soit environ 1 % souvent considérée comme dégres- du PIB, imputables à une meilleure application de la taxe sur la valeur ajoutée en Amérique latine. Ce pourcentage représente sive par rapport au revenu parce que la limite inférieure des gains pouvant découler du renforcement les pauvres allouent une plus large de la discipline fiscale de façon générale. En ce qui concerne les subventions à l’énergie, les estimations sont basées sur le jeu part de leur revenu à la consomma- de données sur les estimations par pays du FMI pour 2015 (IMF, tion que les riches. Même si les taxes 2015). Contrairement aux recettes fiscales, seuls les pays appli- quant des subventions à l’énergie pourraient retirer un avantage à la consommation sont dégressives budgétaire de l’élimination de ces subventions. lorsqu’elles sont calculées en pour- centage du revenu des ménages, elles sont soit proportionnelles soit légèrement progressives lorsqu’elles sont fixées en pourcentage des dépenses des ménages. Dans de nombreux pays, des produits alimentaires de base comme le lait et le pain et cer- tains produits médicaux sont exemptés de taxe sur la valeur ajoutée pour permettre aux pauvres d’y accéder à moindre coût. Des simulations impliquant quatre pays à faible revenu et à revenu intermédiaire — Éthiopie, Ghana, Sénégal et Zambie — montrent qu’alors que des taux préférentiels de TVA contribuent à réduire la pauvreté, ils ne ciblent pas véritablement les ménages pauvres. De ce fait, un RMU financé par 75 % des recettes tirées d’une assiette élargie de TVA — bien que non ciblée — pourrait avoir des effets positifs importants sur les ménages pauvres15. 134 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 Les droits d’accise sont une autre source de recettes potentielles relativement accessible. Ils sont faciles à appliquer et compatibles avec la plupart des régimes fiscaux. En 2015, les prélèvements au titre des droits d’accise dans les pays d’Afrique subsaharienne (1,4 % du PIB) n’atteignaient pas la moitié des chiffres enregistrés en Europe. Les taux de recouvrement des droits d’accise varient grandement à travers la région subsaharienne, le montant total des recettes perçues dans plusieurs pays, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire, Madagascar, le Mozambique, le Nigéria et la Sierra Leone, représentant moins de 1 % du PIB. Pour atteindre leurs objectifs de protection sociale ou environnementale, les pou- voirs publics ont souvent recours aux droits d’accise qui leur permettent de taxer le coût social des effets négatifs de la consommation de produits comme l’alcool, le tabac et les aliments mauvais pour la santé, ainsi que des émissions polluantes. Certaines de ces taxes sont jugées dégressives, car les familles les plus démunies ont tendance à y consacrer une part plus importante de leur budget. Cela étant, cette perception devrait être pondérée par leurs avantages à plus long terme, tels que la diminution des dépenses de santé et le fait de mener une vie active plus longuement et en meilleure santé. Les taxes sur le carbone sont de plus en plus répandues. Une tarification efficace du carbone au niveau national pourrait générer des ressources substantielles — que l’on estime à plus de 6 % du PIB en Chine, en République islamique d’Iran, en Fédération de Russie et dans l’Arabie saoudite16. Une étude des 20 pays qui émettent le plus de dioxyde de carbone a révélé qu’en moyenne, les recettes potentielles issues d’une tarification efficace du carbone au niveau national pourraient représenter près de 2 % du PIB17. Si les recettes ainsi générées étaient utilisées pour réduire la pression fiscale générale, la tarification du carbone aurait nettement plus de valeur. Actuellement, la taxe sur le carbone est imposée dans la quasi-totalité des grandes économies hormis le Brésil et les États-Unis, bien que ses taux varient grandement18. Cependant, l’augmen- tation progressive des prix du carbone pourrait atténuer les effets à court terme de ces derniers sur la compétitivité productive des économies en développement. L’application de la taxe sur le carbone pourrait être conjuguée à l’élimination des subventions à l’énergie domestique. À l’échelle mondiale, les pays dépensent des montants de l’ordre de 333 milliards de dollars pour ces subventions. Les retombées financières du démantèlement des subventions à l’énergie pourraient être considé- rables : dans de nombreux pays, elles sont globalement plus élevées que les dépenses publiques allouées à l’assistance sociale (les pays à droite de l’axe à 45° sur la figure 7.4). Les dépenses moyennes allouées aux subventions énergétiques dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sont trois fois plus élevées que celles consa- crées à l’assistance sociale. Cela dit, l’élimination des subventions à l’énergie doit être soumise à l’examen de l’incidence d’une telle décision sur la pauvreté, particu- lièrement en ce qui concerne les sources des combustibles utilisés les plus intensé- ment par les ménages pauvres, comme le pétrole lampant. En plus des taxes sur les biens et services, l’impôt sur le revenu des personnes phy- siques et l’impôt sur les sociétés peuvent contribuer grandement à l’accroissement des recettes dans les pays en développement. Tout comme la technologie améliore l’administration des programmes de protection sociale, elle peut faciliter la percep- tion de l’impôt sur le revenu en augmentant le nombre de contribuables enregistrés et de contributions au titre de la sécurité sociale. Tous les pays sont confrontés à une érosion de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Celle-ci résulte principalement d’une combinaison d’exonérations (incitations fiscales) et de lacunes dans le système fiscal des entreprises internationales qui favorisent la fraude. Un système d’imposition des sociétés plus efficace pourrait limiter l’érosion de la base d’imposition et le transfert Quelques idées d’inclusion sociale | 135 FIGURE 7.4 Certains pays dépensent plus pour les subventions à l’énergie que pour l’assistance sociale Ukraine 4 Afrique du Sud Namibie Assistance sociale (% du PIB) République kirghize Bélarus Iraq Angola Bolivie 2 Burkina Faso Cap Vert Kazakhstan Malawi Mozambique Maroc Jordanie Arabie saoudite Tunisie Tadjikistan Tanzanie Liban Djibouti Zambie Myanmar Côte d'Ivoire Rép. du Congo 0 0 2 4 6 8 Subventions à l’énergie (% du PIB) Sources : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2019, à partir des bases de données de la Banque mondiale (World Bank, 2018a) et du FMI (IMF, 2015) sur les estimations à l’échelon des pays. Note : La figure est établie sur la base des dernières estimations disponibles. PIB = produit intérieur brut. des bénéfices et permettre de contenir la mainmise grandissante des entreprises sur les marchés. Les taux effectifs d’imposition pourraient être augmentés en rationali- sant les dépenses fiscales et en prenant des mesures robustes pour juguler l’évasion fiscale, comme l’établissement de régimes applicables à des sociétés étrangères, la limitation de la déductibilité des intérêts et les retenues d’impôt sur les paiements afférents aux services. En raison de la globalisation des plateformes et d’autres socié- tés essentiellement virtuelles qui possèdent relativement peu d’actifs corporels, il est de plus en plus utile de retenir l’impôt à la source. La fiscalité des biens immobiliers est une autre forme d’imposition en cascade qui peut être exploitée pour générer des ressources additionnelles dans la plupart des pays en développement. Ce type d’impôt ne perturbe pas les marchés de l’emploi, l’accu- mulation du capital humain ou les décisions en matière d’innovation. L’impôt foncier 136 | RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2019 constitue aussi une source stable de recettes qui est moins vulnérable aux fluctuations économiques à court terme et est difficile à éviter. Et même si les programmes fédé- raux de protection sociale ne devraient probablement pas en profiter (puisqu’il est généralement perçu par les collectivités locales), les recettes qu’il génère pourraient servir à financier des services sociaux régionaux ou communaux ou encore à réduire le niveau des transferts du pouvoir fédéral vers les collectivités locales. Dans les pays à revenu élevé, la fiscalité des biens immobiliers représente en moyenne 1,1 % du PIB. Dans les pays à revenu intermédiaire, elle génère environ 0,4 % du PIB19. Et pourtant, l’impôt foncier est une source de revenus guère exploitée dans tous les pays du monde. Ce manque à gagner est estimé à 0,9 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire et peut atteindre 2,9 % du PIB dans les pays à revenu élevé20. En Afrique subsaharienne, on estime le manque à gagner entre 0,5 % et 1 % du PIB du fait que l’impôt foncier n’existe pas du tout ou est mal appliqué, le cas échéant. Bien que la loi prévoie d’appliquer globalement l’impôt foncier dans certains pays, les recettes que celui-ci procure peuvent être limitées en raison d’une faible capacité de recouvrement et de l’omniprésence du secteur informel. Faute de législations claires relatives à la propriété foncière ou de cadastres fonciers bien établis, les pays n’ont quasiment pas les moyens d’assurer la discipline en matière de fiscalité foncière. Moins de 1 % des terrains sont officiellement immatriculés au Cameroun et au Rwanda. Cependant, le déficit d’immatriculation des terrains n’empêche pas l’imposition d’impôts fonciers spécifiques dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne. Par exemple, des taxes foncières peuvent être perçues sur les loyers comme en Zambie, ou d’autres types de droits de propriété limités comme les concessions au Cameroun et en République démocratique du Congo. Mais même là où la plupart des terrains sont assujettis à l’impôt et inscrits au cadastre, les taux d’imposition peuvent toujours être trop bas ou les biens immobiliers trop peu souvent revalorisés pour influer véritablement sur le niveau des recettes. Bien que la fiscalité des biens immobiliers se développe en Afrique subsaharienne, certains pays comme le Botswana, eSwatini (ancien Swaziland), le Lesotho, le Malawi et le Zimbabwe continuent d’imposer des paiements uniques. D’autres en revanche s’emploient à élargir leur assiette fiscale. Il en est ainsi du Viet Nam qui a adopté une taxe sur les terrains non agricoles en 2010, et de la Chine qui envisage d’imposer une taxe sur les propriétés résidentielles. La technologie peut améliorer la perception de l’impôt foncier en numérisant les systèmes d’immatriculation foncière. Si elle est accompagnée d’une stricte application des lois, l’adoption des nouvelles technologies entraîne un accroissement substantiel des recettes. En 2010, le taux de recouvrement des impôts sur les biens immobiliers en milieu urbain dans l’État de Lahore (Pakistan) était l’un des plus bas au monde — 0,03 % du PIB de l’État. La moyenne pour les grandes villes des pays en développement est de 0,6 %. La numérisation des registres cadastraux de Lahore en 2012-13 a permis d’immatriculer 1,7 million de propriétés non déclarées auparavant. En conséquence, les recettes communales au titre de l’impôt foncier ont augmenté de 102 %. Enfin, certains pays en développement riches en ressources peuvent accroître leurs recettes en adoptant ou en améliorant les régimes applicables aux activités minières. Les taxes sur les ressources naturelles et les redevances publiques sur le pétrole, le gaz et les ressources minières pourraient contribuer grandement à atteindre les objectifs de recettes de nombreuses économies émergentes. L’impact d’une production accrue sur les recettes publiques a été estimé à 1 % environ du PIB de 2011 pour l’Afrique subsaharienne (dans l’hypothèse que l’État perçoive 50 % de la rente). Le potentiel de recettes est encore plus élevé dans d’autres pays : 27 % du PIB pour l’exploration de gaz au Mozambique et 147 % au Libéria pour la recherche de minerai de fer et de pétrole21. Quelques idées d’inclusion sociale | 137 Il faut un contrat social robuste pour se préparer et s’adapter à la transformation de la nature du travail. Alors que les composantes précises d’un tel contrat peuvent varier, il est important de veiller à ce que les secteurs de l’éducation et de la protec- tion sociale reçoivent les investissements qui conviennent. Et pourtant, le renou- vellement constant des efforts dans ces secteurs exige des ressources budgétaires substantielles. À cet égard, les responsables politiques peuvent faire appel à un éven- tail d’options de financement dont l’exploitation exige des évaluations techniques minutieuses, conjuguées avec un soutien politique à la fois national et international. Notes   1. Fisher et Taub (2017).  2. Desai et Kharas (2017).  3. World Bank (2018b).  4. Saavedra et Tommasi (2007).  5. Daruich (2018).  6. Sen (1999).  7. Canning, Raja et Yazbeck (2015).  8. Trotsenburg (2015).  9. Le seuil de pauvreté international utilisé dans les simulations varie selon la catégorie de revenu du pays. 10.  Le paquet le plus cher comprendrait un dispositif standard de promotion de pro- grammes multiples, dont le coût (1  079 dollars) représente le coût moyen de six interventions de pays en développement (Banerjee et al., 2015). Le paquet le moins cher est fondé sur des programmes de formation professionnelle, dont le coût (831 dollars) est déterminé sur la base de l’expérience de ce type de programmes dans huit pays en développement (McKenzie, 2017). 11.  Faute de données sur la pauvreté chez les jeunes, ce chiffre désigne le taux de chômage des jeunes estimé au niveau mondial en 2016, soit 12,8 %, ou 135 millions de jeunes adultes dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (O’Higgins, 2016). 12. IMF (2018). 13.  World Bank (2017a). 14.  World Bank (2017b). 15.  Harris et al. (2018). 16.  Parry, Veung et Heine (2014). 17. Id. 18. Djankov (2017). 19. Norregaard (2013). 20. Id. 21. IMF (2012). 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Ensemble, ces initiatives permettent de réduire les tirages et les dis- tances de transport, ce qui se traduit par une baisse de la consommation de papier, de l’utilisation de produits chimiques, des émissions de gaz à effet de serre et des déchets. La Division des publications suit les normes relatives à l’utilisation du papier recom- mandées par l’Initiative Green Press. La plupart de nos livres sont imprimés sur du papier certifié par le Forest Stewardship Council (FSC) et contenant entre 50 et 100 % de fibre recyclée dans la quasi-totalité des cas. Cette fibre est soit écrue, soit blanchie à travers un procédé totalement sans chlore, de traitement sans chlore ou sans chlore élémentaire amélioré. D’autres informations sur les principes environnementaux de la Banque mondiale sont disponibles sur http://www.worldbank.org/corporateresponsibility.