DES REFORMES PROGRESSIVES POUR EN FINIR AVEC LES SUBVENTIONS REGRESSIVES Note de Synthèse de l'Evaluation de la Pauvreté en Tunisie, N°3 En Tunisie, les subventions représentent 7% du PIB et deux tiers d'entre elles sont réservées à l'énergie. Les subventions à l'énergie sont de nature régressive, ce qui signifie qu'elles bénéficient beaucoup plus aux ménages riches qu'aux ménages pauvres. Parmi les subventions à l'énergie, celles profitant à l'électricité et au GPL sont les moins régressives alors que celles profitant au diesel et à l'essence sont les plus régressives. Le gouvernement propose actuellement d'augmenter les prix de l'électricité aux consommateurs et de lever complètement les subventions au GPL, à l'essence et au diesel. En l'absence de mécanismes de compensation efficaces, cette manœuvre augmenterait immédiatement la pauvreté de 2.5 points de pourcentage. Si la proposition est accompagnée de mécanismes de compensation bien pensés, capables d'améliorer les pratiques de ciblage actuellement en vigueur et d’exploiter à bon escient les économies budgétaires générées par la réforme des subventions, elle peut contribuer à améliorer les vies des pauvres en Tunisie. La Tunisie réserve, depuis longtemps, des subventions généreuses à l'énergie. Ces subventions accaparent une part considérable du PIB et représentent un cinquième des dépenses publiques. Depuis les années 70, les subventions constituent l'élément fondamental de la stratégie de protection sociale du pays. Toutefois, et au cours des dix dernières années, les dépenses combinées en subventions à l'énergie, aux produits alimentaires et au transport ont plus que triplé, passant de 2% du PIB en 2005 à 7% en 2013. Au lendemain de la Révolution, les dépenses liées aux subventions à l'énergie ont substantiellement augmenté. Elles se situent actuellement aux deux tiers de l'ensemble des subventions, allant principalement au diesel, à l'électricité et au GPL. La structure actuelle des prix des sources d'énergie bénéficie beaucoup plus aux classes moyenne et riche. Les prix de l'essence, du GPL et du diesel sont universels, ce qui fait que ceux qui en consomment le plus (la classe moyenne et les ménages riches) sont ceux qui tirent meilleur profit des subventions. Concernant l'électricité, des tarifs plus élevés sont appliqués à mesure que la consommation augmente, ce qui rend la structure des prix progressive. Toutefois, plus de la moitié des bénéficiaires du premier palier de subsistance, 1-50 kWh par mois, ne sont pas des pauvres. Plus de 90% des subventions à l'énergie résidentielle profitent à l'électricité et au GPL, ce qui représente une part importante du total des dépenses des ménages, y compris celles des ménages pauvres. Les subventions à l'énergie profitent, disproportionnellement, aux riches. Les subventions à l'énergie représentent près de 9% du total des dépenses des ménages du quintile plus pauvre et 2,4% des dépenses des 20% les plus riches de la population. Au-delà des chiffres, l’avantage subventionnel par tête d’habitant augmente à mesure que les individus et les personnes s'enrichissent (Tableau 1). Par exemple, les subventions à l'essence bénéficient 200 fois plus aux riches qu'aux pauvres, dès lors que ceux qui possèdent des voitures puissantes tirent 1 de plus grands profits des subventions à l'essence. La distribution inégalitaire des avantages liés aux subventions reflète les inégalités qui frappent la consommation d’énergie entre un groupe et un autre. Tableau 1. Avantages Subventionnels Liés à l’Energie, par Bénéficiaire et par An, en DT Quintile Essence Diesel GPL Électricité Total 1 (le plus pauvre) 01 0.1 44.5 37.0 81.8 2 0.4 0.6 55.3 41.4 97.8 3 1.6 1.2 59.9 46.1 108.7 4 4.6 1.9 68.3 47.8 122.7 5 (le plus riche) 18.2 5.7 63.9 48.9 136.7 Total 5.0 1.9 58.4 44.2 109.5 Source : Calculs du personnel de la Banque Mondiale utilisant SUBSIM (simulation des subventions), 2014 Remarque : DT = Dinar Tunisien Etant donné la nature pro-riche des subventions à l'énergie, il est attendu que la réforme qui prévoit d’augmenter les prix actuellement en vigueur de l'énergie affectera beaucoup plus les classes moyenne et riche et sera sans impact substantiel sur la pauvreté. Les autorités tunisiennes ont récemment annoncé leur intention de réformer les subventions à l'énergie, ce qui devrait se traduire par une augmentation de 10% des prix de l'électricité, la levée des subventions au diesel et la mise en place de mécanismes de compensation en faveur des consommateurs résidentiels. En termes de coût de la réforme, les consommateurs des classes moyenne et riche pâtiront beaucoup plus que les consommateurs pauvres, du simple fait de l’importance de leur consommation et pour avoir tiré de grands profits des subventions avant l'introduction des réformes. En termes relatifs, toutefois, l'impact sur les dépenses de ces ménages sera, en moyenne, inférieur à 5% en moyenne. Il sera de 6,6% pour les ménages les plus pauvres (Figure 1). 2 Figure 1 : Impact des Réformes sur les Dépenses des Ménages (En % des Dépenses Totales des Ménages) Source : Calculs du personnel de la Banque Mondiale en utilisant SUBSIM (simulation des subventions), 2014 La proposition de réduction des subventions à l'énergie peut générer des économies budgétaires de près de 817,5 millions de dinars. Dans l'ensemble, les économies budgétaires devront s'accumuler dès la levée des subventions au GPL (77% du total des économies budgétaires) et à l'électricité (13%). Même si une bonne partie de ces économies dérive de la hausse des dépenses des 20% les plus pauvres de la population (13%), c'est les classes moyenne et riche qui seront les premières à en pâtir. Le fait de prévoir, ou non, des mesures pour encadrer la consommation et la manière dont ces mesures seront appliquées va permettre de déterminer les effets des réformes des subventions sur le bien-être des ménages. En l’absence de mesures additionnelles de compensation, l’augmentation des prix de l'électricité et la levée des subventions prévues à d'autres sources d'énergie devrait augmenter la pauvreté de 2,5 points de pourcentage (Tableau 2, Scénario A). L'adoption de mécanismes de compensation, au lendemain des réformes, va canaliser, totalement ou partiellement, les économies budgétaires vers les ménages pauvres et atténuer les impacts négatifs des réformes. La manière dont cette compensation va opérer affectera considérablement son habileté à réduire la pauvreté. Ainsi, l'adoption d'un transfert monétaire universel à chaque Tunisien (qu'il soit pauvre ou non, Scénario B) ou le maintien des programmes actuellement en vigueur sans en améliorer la capacité de ciblage (Scénario C) ne se traduira pas par des réductions substantielles de la pauvreté. Cela reste vrai même si toutes les économies budgétaires générées par les réformes sont employées à des fins de compensation et qu’elles pointent les défaillances des approches de ciblage actuellement en application. Des améliorations substantielles du ciblage des économies budgétaires pourraient potentiellement réduire le taux de pauvreté de 12 points de pourcentage à 5% (Tableau 2, Scénario D). 3 Tableau 2 : Simulations des Impacts des Mécanismes de Compensation sur la Pauvreté Suite à une Réforme des Subventions à l'Energie Coût Moyenne du budgétaire de bénéfice la transféré Nombre de compensation (Arrondi) bénéficiaires Pauvreté (%) Pré-réforme 0 0 0 15.27 Réforme des subventions sans 0 0 0 17.84 compensation Réforme des subventions avec transfert 817.51 millions 10.9 millions 75 dinars 14.87 universel à chaque tunisien de dinars de dinars Réforme des subventions et compensation en faveur de tous les 817.51 millions 3.1 millions de 264 dinars 13.83 pauvres, via les programmes de transfert de dinars dinars actuellement en vigueur Réforme des subventions et 817.51 millions 1.9 millions de compensation en faveur de tous les 420 dinars 5.25 de dinars dinars pauvres, avec ciblage parfait Source : Calculs du personnel de la Banque Mondiale en utilisant SUBSIM (simulation des subventions) pour 2014. Etant donné que les subventions bénéficient disproportionnellement aux classes moyenne et riche et qu'elles constituent une part de taille des dépenses publiques, la Tunisie semble aller dans la bonne direction en s'attelant à la question des réformes. Les réformes qui devraient augmenter le prix des énergies résidentielles ne peuvent être bénéfiques aux pauvres que si elles sont accompagnées de mécanismes de compensation bien ciblés, qui tiennent compte des différents impacts des subventions sur les différents segments de la population. Des réformes courageuses des subventions à l'énergie doivent être accompagnées par des améliorations tout aussi audacieuses du ciblage des dépenses publiques afin que la situation des pauvres n’en soit pas davantage aggravée. 4