BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Promouvoir une concurrence loyale — pour atteindre de nouveaux sommets dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Promouvoir une concurrence loyale — pour atteindre de nouveaux sommets dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE 2020 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington, DC 20433 Téléphone : 202-473-1000; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 23 22 21 20 Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données citées dans cet ouvrage. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Rien de ce qui figure dans le présent ouvrage ne constitue ni ne peut être considéré comme une limitation des privilèges et immunités de la Banque mondiale, ni comme une renonciation à ces privilèges et immunités, qui sont expressément réservés. 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Licence : Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO Traductions—Si une traduction de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source de l’ouvrage le déni de responsabilité suivant : Cette traduction n’a pas été réalisée par la Banque mondiale et ne doit pas être considérée comme une traduction officielle de cette institution. La Banque mondiale ne saurait être tenue responsable du contenu de la traduction ni des erreurs qui peuvent y figurer. Adaptations—Si une adaptation de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source le déni de responsabilité suivant : Cet ouvrage est une adaptation d’une œuvre originale de la Banque mondiale. Les idées et opinions exprimées dans cette adaptation n’engagent que l’auteur ou les auteurs de l’adaptation et ne sont pas validées par la Banque mondiale. Contenu tiers —La Banque mondiale n’est pas nécessairement propriétaire de chaque composante du contenu de cet ouvrage. 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PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Table des matières Remerciements  v Abréviationsvi Un modèle de développement évolutif pour le Moyen-Orient Préface :  et l’Afrique du Nord 1 Première partie : Perspectives de croissance dans la région MENA  4 Chapitre 1 : Perspectives de croissance pour 2019 4 Perspectives de croissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 4 Perspectives de croissance des pays exportateurs de pétrole 6 Perspectives de croissance des pays importateurs de pétrole 8 Chapitre 2 : Perspectives et risques pour 2020-2021 9 Deuxième partie : Promouvoir une concurrence loyale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 12 Chapitre 1 : Les fondements d’une concurrence loyale 12 1A. Améliorer la compétitivité des marchés de la région MENA 12 1B. Concurrence et primauté du droit vont de pair 25 1C. Les pays de la région MENA utilisent différentes approches pour garantir la concurrence 33 Chapitre 2 : Les entreprises publiques et le secteur privé  41 2A. La question de la neutralité concurrentielle dans la région MENA 41 2B. Les entreprises publiques doivent se doter d’une gouvernance similaire à celle du secteur privé 46 L’adoption de mesures progressives peut éviter que les élites n’exercent leur mainmise 2C.  sur les économies de la région MENA 51 2D. Les actifs publics constituent une source inexploitée de richesse nationale 54 Bibliographie63 MATIÈRES i BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Liste des Encadrés Deuxième partie : Promouvoir une concurrence loyale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Chapitre 1 : Les fondements d’une concurrence loyale Encadré II.1 La malédiction des importations monopolisées 15 Encadré II.2 L’incapacité de la région MENA à adopter les technologies génériques 17 Encadré II.3 Le dilemme numérique : la difficile réglementation de la nouvelle économie Internet 19 Encadré II.4 Les organes de surveillance « complémentaires » 20 Encadré II.5 La contestabilité mise à mal dans la région MENA  27 Encadré II.6 Les autorités de la concurrence dans la région MENA 28 Encadré II.7 L’affaire historique de concurrence en Égypte en 2008 29 Encadré II.8 Les tribunaux de première instance et d’appel 30 Chapitre 2 : Les entreprises publiques et le secteur privé Encadré II.9 Montrer sa force 42 Encadré II.10 Des fraudes massives ont provoqué des réformes de la gouvernance d’entreprise aux États-Unis 48 Encadré II.11 La Jordanie renforce ses processus de réglementation et de prise de décision  52 Encadré II.12 L’Algérie modernise son système d’inspection douanière  53 Encadré II.13 La Jordanie informatise la passation des marchés publics  53 Encadré II.14 Les avantages de la comptabilité moderne et de la gestion des finances publiques 56 Encadré II.15 Fonds souverains ou fonds de gestion du patrimoine national 58 Encadré II.16 Temasek, l’emblématique société holding d’État 60 ii MATIÈRES PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Liste des Encadrés Première partie : Perspectives de croissance dans la région MENA Chapitre 1 : Perspectives de croissance pour 2019 Figure I.1 Croissance dans la région MENA et dans le monde 4 Figure I.2 Prévisions des prix pétroliers 7 Figure I.3 Croissance de la demande mondiale de pétrole 7 Figure I.4 Part du PIB non pétrolier dans les pays du CCG 7 Figure I.5 Normalisation de la production pétrolière en Iran et dans le reste de l’OPEP  8 Chapitre 2 : Perspectives et risques pour 2020-2021 Figure I.6 Confiance des entreprises en Chine, aux États-Unis et dans la Zone Euro 10 Figure I.7 Rendements des bons du Trésor américain  10 Figure I.8 Prévisions d’accroissement de la demande d’exportations pour la MENA 10 Deuxième partie : Promouvoir une concurrence loyale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Chapitre 1 : Les fondements d’une concurrence loyale Figure II.1 Cadre global de politique de la concurrence 14 Figure II.2 Primauté du droit dans la région MENA en comparaison d’autres régions en 2017 25 Figure II.3 Accès à la justice dans la région MENA en comparaison d’autres régions, 1946–2017  26 Lois transparentes appliquées de manière prévisible dans la région MENA en comparaison Figure II.4  d’autres régions, 1946–2017  26 Indépendance de la justice dans une sélection de pays de la région MENA, en comparaison Figure II.5  de quelques pays retenus à cette fin, 2018 31 Figure II.6 Efficacité des pouvoirs publics dans la région MENA en comparaison d’autres régions en 2017 31 Scores d’une sélection de pays de la région MENA au titre de l’indice de la qualité Figure II.7  des procédures judiciaires  32 Figure II.8 Exclusion ou exemption de la loi sur la protection de la concurrence 34 Chapitre 2 : Les entreprises publiques et le secteur privé Figure II.9 Application du cadre de neutralité concurrentielle à la région MENA  43 Figure II.10 Actifs d’exploitation et actifs physiques 56 Figure II.11 Valeur par segment d’actif 56 MATIÈRES iii BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Liste des Encadrés Première partie : Perspectives de croissance dans la région MENA Chapitre 1 : Perspectives de croissance pour 2019 Tableau I.1 Prévisions de croissance, du compte courant et du solde budgétaire 5 Tableau I.2 Évolution des prévisions de croissance entre avril et octobre 2019  6 Deuxième partie : Promouvoir une concurrence loyale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Chapitre 1 : Les fondements d’une concurrence loyale Tableau II.1 Lois sur la concurrence et autorités de la concurrence dans la région MENA 15 Tableau II.2 Secteurs non soumis au droit de la concurrence dans la région MENA 18 Tableau II.3 Les pouvoirs des autorités de la concurrence dans la région MENA 21 Chapitre 2 : Les entreprises publiques et le secteur privé Tableau II.4 Part des secteurs clés de 16 pays de la région MENA revenant aux entreprises publiques, 2013 46 Tableau II.5 Lignes directrices de l’OCDE sur la gouvernance d’entreprise 47 Tableau II.6 Différences fondamentales entre les entreprises publiques et les entreprises privées  48 Tableau II.7 Structures de propriété des entreprises publiques dans la région MENA 49 iv MATIÈRES PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Remerciements Le Bulletin d’information économique de la région MENA est produit par le bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MNACE). Ce rapport a été rédigé par Rabah Arezki (économiste en chef pour la région), Meriem Ait Ali Slimane, Andrea Barone, Klaus Decker, Dag Detter, Rachel Yuting Fan, Ha Nguyen, Graciela Miralles Murciego et Lemma Senbet. L’équipe remercie vivement Nadine Cherfan, Saba Gheshan, Gamila Kassem, Marouan Maalouf, Mahmoud Momtaz, Georgiana Pop, Azza Raslan et Zoubida Al Tayib pour leurs contributions. L’équipe remercie également Ferid Belhaj (vice-président régional), Issam Abousleiman, Lobna Mohamed Abdellatif Ahmed, Adele Barzelay, Najy Benhassine, David Bernstein, Anna Bjerde, Kevin Carey, Paul Phumpiu Chang, Tania Begazo Gomez, Wissam Harake, Jesko Hentschel, Seong Ho Hong, Robert Bou Jaoude, Saroj Kumar Jha , Irina I. Klytchnikova, Somik V. Lall , Omer Karasapan, Majid Kazemi, Dahlia Khalifa, Darwin Marcelo, Ashwaq Natiq Maseeh, Keiko Miwa, Lili Mottaghi, Blanca Moreno-Dodson, Paul Noumba Um, Jean Denis Pesme, Renaud Seligmann, Gabriel Sensenbrenner, Sajjad Ali Shah, Adam Shayne, Ayat Soliman, Marina Wes et Mohamed Yehia Abd El Karim, pour leurs orientations et observations pertinentes. Le rapport a été édité par James L. Rowe Jr. ; Budy Wirasmo s’est chargé de sa conception et sa typographie ; et Swati Raychaudhuri a fourni un appui administratif à l’équipe de rédaction. William Stebbins, Maha Abdelilah Mahmoud El- Swais et Ebrahim Mohammed Yahya Al-Harazi ont pour leur part soutenu les actions de communication et d’information. REMERCIEMENTS v BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Abréviations CCG Conseil de coopération du Golfe CNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement CPA Agence de protection de la concurrence du Koweït CPN Compagnies pétrolières nationales DAB Distributeur automatique de billets EAP région Asie de l’Est et Pacifique EAU Émirats arabes unis ECA Autorité égyptienne de la concurrence ECA région Europe et Asie centrale FMI Fonds monétaire international FTC Commission fédérale du commerce des États-Unis GAC Autorité générale de la concurrence d’Arabie saoudite GIC Fonds souverain de Singapour IDE Investissement direct étranger LAC région Amérique latine et Caraïbes MENA Moyen-Orient et Afrique du Nord MTR Mass Transit Railway (entreprise) OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole PIB Produit intérieur brut PME Petites et moyennes entreprises PPP Partenariat public-privé SAR région Asie du Sud SSA région Afrique subsaharienne UE Union européenne ZES Zone économique spéciale vi ABRÉVIATIONS PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Préface : Un modèle de développement évolutif pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord1 Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) ont besoin de réformes économiques plus audacieuses et plus profondes. En effet, ce sont les frustrations d’une jeunesse en manque de perspectives économiques qui sont à l’origine du malaise social qui a commencé à se manifester durant le « Printemps arabe » de 2011. Les prévisions de croissance du PIB pour 2019 tablent sur un taux de 0,6 %, ce qui représente à peine une fraction de ce qu’il faudrait pour créer suffisamment d’emplois en vue de faire face à l’augmentation rapide de la population en âge de travailler. Même dans les quelques pays qui ont connu des périodes de plus forte croissance, la pauvreté peine à décliner, laissant entrevoir la nécessité d’engager des réformes pour assurer une concurrence loyale et promouvoir une croissance solidaire. Pour soutenir cette nécessaire croissance, les pays de la région doivent passer d’une économie administrée à une économie de marché. Pourtant, cette perspective génère une méfiance considérable au sein de la région où beaucoup de pays imputent à la libéralisation des marchés l’avènement d’un capitalisme clientéliste au profit d’une poignée d’entreprises ayant les bonnes connexions. En fait, ce sont des décennies de domination de l’État, et non les épisodes périodiques de libéralisation, qui ont favorisé le développement de monopoles publics ou privés par le jeu des subventions, de la réglementation des prix et des obstacles pour entrer sur les marchés et en sortir. Même lorsque les efforts de libéralisation ne sont pas accaparés par les puissantes élites, les solutions préconisées ne suscitent pas l’adhésion du public (qu’il s’agisse de la suppression des subventions ou de la rationalisation de la main- d’œuvre des entreprises publiques), ce qui fait qu’il est difficile de réussir les réformes. En outre, les grandes entreprises à capitaux publics absorbent tellement de financements que les petites et moyennes entreprises, qui pourtant créent généralement le plus d’emplois durables, sont évincées des marchés du crédit. Qui plus est, la concurrence déloyale découlant de marchés dominés par les entreprises publiques et des opérateurs bien en cour décourage l’investissement privé, réduit le nombre d’emplois et exclut de la prospérité un nombre incalculable de jeunes gens talentueux. L’absence de concurrence loyale est peut-être la cause profonde du marasme qui accable les économies de la région MENA, mais les réformateurs doivent également faire face à d’autres défis, comme déterminer, entre une stratégie axée sur le marché intérieur et une politique d’exportation, ce qui peut contribuer au mieux au développement économique. Et les modèles de développement économique ont changé d’orientation ces dernières décennies, la voie de la prospérité n’étant plus associée à la réduction des importations autant que possible, mais plutôt à l’encouragement des exportations. 1 Cette section a été rédigée par Rabah Arezki. PRÉFACE 1 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Cependant, le modèle de substitution des importations n’a guère eu de succès dans les pays de la région, le résultat étant la stagnation des économies et un chômage élevé, en particulier chez les jeunes. En revanche, les politiques de croissance axées sur les exportations n’ont pas non plus prospéré. Pour permettre aux entreprises tournées vers l’exportation d’échapper aux conditions débilitantes de leur marché intérieur, plusieurs pays de la MENA ont établi des zones économiques spéciales (ZES) où le droit des affaires et le droit commercial diffèrent de ce qui est appliqué dans le reste du pays. Et pourtant, les résultats sont décevants. Le moment est venu pour les pays de la région de s’atteler à la fois à démanteler les monopoles qui existent sur leurs marchés et à tirer parti de leur demande intérieure collective pour promouvoir une croissance tirée par les exportations vers les autres pays de la région et au-delà2. La plupart des pays de la MENA ont des marchés relativement étroits. Mais la région compte plus de 400 millions d’habitants, soit environ le double de l’Europe occidentale. De plus, alors que la croissance démographique est pratiquement stagnante en Europe, la population de la MENA devrait presque doubler d’ici à 2050. Cependant, aussi sensée que puisse être une stratégie d’orientation vers les marchés régionaux, elle sera difficile à mettre en œuvre. Les pays de la MENA ont toujours préféré opérer seuls — la région est la moins bien intégrée au monde, malgré les gains potentiels de l’élimination des obstacles à la circulation des biens et services entre ses pays. Au demeurant, même si des mesures comme la réduction des droits de douane, la résolution des problèmes logistiques et la création de systèmes de paiement transfrontaliers contribueront sans aucun doute à l’intégration régionale, ils sont insuffisants. L’incapacité des pays de la MENA à s’intégrer aux niveaux national et régional tient essentiellement aux obstacles presque insurmontables qui empêchent les entreprises d’entrer dans des marchés névralgiques ou d’en sortir — ou, pour utiliser la terminologie économique, à l’absence de contestabilité du marché3. Les économies de la région favorisent les entreprises en place, qu’elles soient privées ou publiques. L’absence de contestabilité conduit au népotisme et à des activités de recherche de rente — notamment, mais pas exclusivement, l’octroi de licences d’importation exclusives qui récompensent leurs détenteurs et découragent la concurrence tant nationale qu’étrangère. Et l’absence de contestabilité du marché intérieur est ressentie à l’échelle régionale. L’intégration nationale et régionale passe par le démantèlement des intérêts en place dans les pays de la région MENA. Dans la pratique, ce démantèlement pourrait se traduire par la création d’autorités de régulation chargées de défendre la concurrence. Une demande régionale libérée assortie d’une réglementation qui favorise la compétitivité et lutte contre les pratiques anticoncurrentielles pourrait empêcher la perpétuation des oligarchies — les puissantes élites qui prennent souvent le contrôle des tentatives de libéralisation, avec pour triste résultat de galvauder le concept de réforme auprès des citoyens. La transparence et la disponibilité des données sont indissociables de la question de la concurrence et de la contestabilité. Les pays de la région ont du retard sur les pays à revenu intermédiaire comparables en matière de transparence gouvernementale et de divulgation de données dans des domaines critiques, qui mesurent l’évolution de la pauvreté, le niveau de concurrence sectorielle et l’évaluation de l’endettement intérieur et des passifs éventuels associés aux garanties des États. 2 Voir IMF (2018a) pour des estimations de l’intégration économique dans le Maghreb, et World Bank (2014a) en ce qui concerne le Levant. Au-delà des avantages économiques, l’intégration régionale promet d’apporter la paix et la stabilité comme ce fut le cas pour l’Union européenne. 3 La contestabilité est une composante fondamentale de la concurrence sur un marché. Cela dit, elle peut ne pas suffire pour garantir le caractère concurrentiel des marchés dans le cas où les consommateurs n’arrivent pas à changer facilement de fournisseurs en raison des coûts afférents à une telle opération ou des effets de réseau (voir Baumol et al., 1982). Le présent rapport étant uniquement axé sur l’offre, nous utilisons les termes contestabilité et concurrence de manière interchangeable. Cependant, le terme contestabilité souligne le dynamisme du processus concurrentiel. 2 PRÉFACE PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Les flux financiers entre les banques publiques et les autres entreprises d’État sont opaques et engendrent népotisme et corruption, des fléaux que la transparence des marchés publics peut contribuer à éradiquer. L’accès aux données permettra de mieux évaluer les politiques et leur amélioration continue. En outre, la liberté d’investigation, en particulier pour les groupes de réflexion, est essentielle pour susciter un débat national indispensable sur les politiques économiques et sociales, et favoriser ainsi l’appropriation des réformes et la cohésion sociale. Les partenaires de développement — tels que les institutions financières internationales et les pays donateurs — peuvent venir en aide aux pays de la région MENA en soulevant de manière coordonnée les questions de la contestabilité et de la nécessité de créer ou de renforcer des organismes locaux crédibles et indépendants dans le but de promouvoir la concurrence en tant qu’étape nécessaire à la construction de sociétés plus solidaires. Pour assurer le progrès, ils pourraient militer pour des réformes propices à la concurrence et fournir une assistance technique sur la conception institutionnelle d’organismes nationaux et régionaux de régulation compétents et indépendants. Un appel à l’action de leurs dirigeants, soutenu par les acteurs du développement, pourrait contribuer grandement à développer le commerce intrarégional et à attirer l’investissement direct étranger nécessaire pour assurer la création des millions d’emplois ainsi que la paix et la stabilité dont la région a besoin. Ce rapport s’articule en deux parties. La première examine les perspectives de croissance à court et à moyen termes des pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Elle indique que la région devrait enregistrer un taux de croissance modeste de 0,6 % en 2019, qui devrait monter à 2,6 % en 2020 et atteindre 2,9 % en 2021. Les prévisions de croissance pour 2019 ont été réduites de 0,8 point de pourcentage par rapport aux projections d’avril 2019. Des risques baissiers substantiels pèsent sur les perspectives économiques de la région — les plus notables étant l’intensification des difficultés de l’économie mondiale et l’accroissement des tensions géopolitiques. Dans la deuxième partie du rapport, il est démontré que les pays de la région doivent asseoir une concurrence loyale pour passer complètement d’une économie administrée à une économie de marché. Les auteurs commencent par examiner les politiques de concurrence en vigueur dans la région, puis appellent au renforcement des lois sur la concurrence et des organismes chargés de les faire respecter, en vue de promouvoir des pratiques équitables. Ils préconisent aussi de transformer les entreprises publiques en sociétés commerciales, d’encourager le secteur privé et d’uniformiser les règles du jeu pour tous. Toute initiative de réforme des économies de la région serait appuyée par une gestion professionnelle des actifs publics, laquelle pourrait puiser dans une nouvelle source de richesse nationale. PRÉFACE 3 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Première partie : Perspectives de croissance dans la région MENA Cette partie passe en revue les dernières perspectives de croissance de la Banque mondiale pour la région MENA. Elle  commence par un examen des perspectives pour 2019, avant de se pencher sur les projections pour 2020 et 2021. Elle analyse par ailleurs l’évolution de la situation macroéconomique des diverses économies de la région, par niveau de développement et selon leur degré de dépendance aux exportations de pétrole. CHAPITRE 1 : PERSPECTIVES DE CROISSANCE POUR 2019 Perspectives de croissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Les économistes de la Banque mondiale s’attendent à ce que le PIB réel de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord augmente en moyenne de 0,6 % en 2019 (voir figure I.1 et tableau I.1), ce qui marque un recul par rapport au 1,2 % enregistré en 2018. Les réductions volontaires de la production pétrolière et la faiblesse de la demande Figure I.1 Croissance dans la région MENA et dans le monde extérieure devraient se traduire par des résultats médiocres pourcentage 8 en 2019. Plombée par les sanctions américaines, l’économie 7 iranienne s’atrophie davantage. Les perspectives de  croissance pour 2019 ont été réduites de 0,8 point 6 de pourcentage par rapport aux données présentées 5 dans le Bulletin d’avril 2019. Déjà morose au départ 4 (voir tableau  I.2), la situation de nombreuses économies 3 s’est aussi dégradée. Cette dégradation s’explique par la 2 persistance de bas prix du pétrole depuis avril 2019 et la 1 contraction plus forte que prévu de l’économie iranienne .4 0 10 13 20 11 19 18 21 12 16 14 15 17 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 JJMENA JJMonde ▬▬Revenu intermédiaire ▬▬Revenu élevé Le revenu par habitant moyen de la région devrait diminuer Source : Banque mondiale. de 0,9 % en 2019. Ce résultat fait suite à une régression Note : Selon la classification des groupes de pays de la Banque mondiale, les pays à revenu intermédiaire comprennent une tranche supérieure et une tranche inférieure. La zone grisée indique des prévisions. Les données pour 2018 sont des estimations. de 0,6 % en 2018. Au surplus, les taux de pauvreté restent élevés dans la région, même dans des pays affichant une croissance économique relativement élevée comme l’Égypte et Djibouti5. Cette situation pointe la nécessité d’engager des réformes approfondies pour assurer une concurrence loyale en vue de promouvoir une croissance solidaire. 4 Si l’on exclut l’Iran, la croissance du PIB réel de la région serait de 2,2 % en 2019. 5 Selon un rapport officiel, 32,5 % de la population égyptienne vivaient en dessous du seuil de pauvreté national en 2018. À Djibouti, le taux de pauvreté extrême officiel était de 21,1 % en 2017. 4 PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 1 Tableau I.1 Prévisions de croissance, du compte courant et du solde budgétaire Croissance du PIB réel Croissance du PIB réel par Solde du compte courant Solde budgétaire (Pourcentage) habitant (Pourcentage) (Pourcentage du PIB) (Pourcentage du PIB) 2017 2018e 2019f 2020f 2021f 2017 2018e 2019f 2020f 2021f 2017 2018e 2019p 2020p 2021p 2017 2018e 2019p 2020p 2021p MENA 1,2 1,2 0,6 2,6 2,9 -0,7 -0,6 -0,9 0,9 1,3 0,1 3,8 1,1 1,0 1,0 -6,4 -3,7 -5,4 -4,7 -4,5 Pays en dév. (MENA) 2,7 0,4 0,2 2,9 3,0 0,9 -1,2 -1,1 1,3 1,4 -2,8 -1,4 -3,7 -3,6 -3,6 -5,4 -4,4 -6,7 -6,1 -6,1 PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 1 Exportateurs de pétrole 0,6 0,4 -0,3 2,0 2,3 -1,4 -1,4 -1,8 0,3 0,7 1,8 5,9 2,6 2,6 2,5 -6,1 -3,0 -5,1 -4,3 -4,1 CCG -0,3 2,0 1,1 2,2 2,7 -2,4 0,1 -0,7 0,5 1,1 2,7 8,5 5,5 5,8 6,0 -7,2 -3,1 -4,2 -3,3 -2,8 Bahreïn 3,8 1,8 1,8 2,1 2,3 -0,9 -3,0 -2,6 -1,5 -0,4 -4,5 -5,8 -3,6 -3,4 -3,7 -14,2 -11,7 -8,4 -7,7 -7,6 Koweït -3,5 1,2 1,5 2,5 2,8 -5,4 -0,2 0,3 1,2 1,4 6,5 15,0 9,0 8,6 8,9 -9,0 -3,0 -6,5 -5,9 -5,7 Oman -0,9 2,2 0,3 3,5 4,0 -5,4 -1,9 -3,1 0,5 1,6 -15,3 -5,5 -7,7 -9,0 -7,0 -14,4 -7,9 -7,2 -9,4 -7,0 Qatar 1,6 1,5 2,0 3,0 3,2 -1,1 -0,6 0,2 1,2 1,5 3,8 8,7 4,3 5,3 4,8 -5,8 2,2 1,2 2,0 2,7 Arabie saoudite -0,7 2,4 0,5 1,6 2,2 -2,7 0,6 -1,2 -0,1 0,6 1,5 9,0 5,8 7,1 7,9 -9,2 -5,9 -6,1 -4,5 -4,1 Émirats arabes 0,5 1,7 1,8 2,6 3,0 -0,9 0,2 0,4 1,2 1,8 7,3 9,1 7,4 6,2 5,7 -1,6 1,2 -1,3 -1,0 -0,6 unis Pays en dév. 1,8 1,7 0,4 -3,7 -3,8 0,0 0,0 0,3 1,4 -2,3 -2,4 -2,6 -4,2 -2,8 -6,7 -5,8 -6,0 exportateurs de pétrole 2,1 -2,1 -2,8 Algérie 1,4 1,5 1,3 1,9 2,2 -0,3 -0,2 -0,3 0,4 0,7 -12,6 -6,7 -8,3 -10,7 -12,5 -8,8 -7,6 -12,2 -7,2 -7,1 Iran 3,8 -4,9 -8,7 0,1 1,0 2,6 -5,9 -9,6 -0,8 0,1 3,5 0,1 -0,6 -0,5 -0,3 -1,8 -5,4 -5,6 -5,9 -6,0 Irak -2,5 -0,6 4,8 5,1 2,7 -5,3 -3,3 3,9 1,5 -0,8 1,8 6,9 -4,6 -4,0 -4,0 -1,6 7,9 -4,6 -3,3 -3,1 Libye 26,7 7,9 5,5 -0,6 1,4 25,1 6,3 3,9 -2,0 0,1 11,7 23,0 13,6 7,3 4,5 -34,5 -7,6 -6,9 -9,7 -9,9 REP. du Yémen -5,1 0,8 2,1 2,0 ,, -7,3 -1,6 -0,2 -0,3 ,, -0,2 -1,8 -4,2 1,0 ,, -5,3 -6,3 -6,8 -6,7 ,, Pays en dév. 4,0 4,1 4,4 4,6 1,8 2,3 2,5 2,9 3,2 -8,1 -6,4 -5,8 -5,5 -5,2 -7,5 -7,4 -6,8 -6,5 -6,1 importateurs de pétrole 3,6 Djibouti 5,1 5,5 7,2 7,5 8,0 3,5 3,9 5,6 6,0 6,6 -3,6 14,9 16,0 18,8 22,4 -4,6 -2,8 -0,7 -0,5 0,8 Égypte 4,2 5,3 5,6 5,8 6,0 2,2 3,4 3,8 4,0 4,2 -6,1 -2,4 -2,6 -2,6 -2,6 -10,9 -9,7 -8,3 -7,5 -7,0 Jordanie 2,1 1,9 2,2 2,3 2,5 -0,3 0,1 0,7 1,3 1,8 -10,6 -6,7 -6,4 -6,3 -6,5 -2,2 -3,3 -2,5 -2,4 -2,0 Liban 0,6 0,2 -0,2 0,3 0,4 -0,9 -0,3 -0,7 -0,2 -0,1 -22,7 -22,0 -20,8 -21,4 -21,3 -6,7 -10,7 -9,0 -9,8 -9,8 Maroc 4,2 3,0 2,7 3,5 3,6 3,1 1,9 1,6 2,5 2,5 -3,4 -5,5 -4,3 -3,7 -3,3 -3,5 -3,7 -3,6 -3,5 -3,4 Tunisie 1,8 2,5 1,6 2,2 2,6 0,7 1,3 0,5 1,2 1,6 -10,2 -11,2 -10,8 -10,7 -10,1 -6,2 -4,8 -5,3 -5,0 -4,7 Cisjordanie et Gaza 3,1 0,9 1,3 -1,1 -0,4 0,4 -1,7 -1,3 -3,6 -2,9 -10,8 -11,4 -10,6 -9,9 -9,7 -3,5 -2,8 -12,4 -11,9 -11,4 Source : Banque mondiale, Macro Poverty Outlook et calculs des auteurs. Note : e = estimation, et p = prévision. Les chiffres sont arrondis à l’unité supérieure. Les informations concernant l’Égypte correspondent à l’exercice budgétaire (juillet-juin). La Syrie n’est pas incluse dans les moyennes régionales et sous-régionales faute de données. Les prévisions concernant le Yémen ne vont pas au-delà de 2020 en raison d’un degré élevé d’incertitude. PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD 5 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Tableau I.2 Évolution des prévisions de croissance entre avril et octobre 2019 points de pourcentage Prévisions d’avril Écart (octobre 2019 – avril 2019) Croissance du PIB réel, en % 2019p 2020p 2021p 2019p 2020p 2021p MENA 1,4 3,3 2,7 -0,8 -0,8 0,2 Pays en dév. (MENA) 0,8 3,5 2,6 -0,6 -0,6 0,4 Exportateurs de pétrole 0,9 3,1 2,2 -1,2 -1,0 0,1 CCG 2,1 3,2 2,7 -0,9 -1,0 0,0 Bahreïn 2,0 2,2 2,8 -0,2 -0,1 -0,5 Koweït 1,6 3,0 2,9 -0,1 -0,5 -0,1 Oman 1,2 6,0 2,8 -0,9 -2,5 1,2 Qatar 3,0 3,2 3,4 -1,0 -0,2 -0,2 Arabie saoudite 1,7 3,1 2,3 -1,2 -1,5 -0,1 Émirats arabes unis 2,6 3,0 3,2 -0,8 -0,4 -0,1 Pays en dév. exportateurs de pétrole -1,0 3,0 1,4 -1,8 -1,2 0,3 Algérie 1,9 1,7 1,4 -0,6 0,2 0,8 Iran -3,8 0,9 1,0 -4,9 -0,8 0,0 Irak 2,8 8,1 2,3 2,0 -3,1 0,4 Libye 4,0 6,0 1,3 1,5 -6,6 0,1 REP. du Yémen 2,1 10,0 ,, 0,0 -8,1 ,, Pays en dév. importateurs de pétrole 4,0 4,4 4,7 0,0 0,0 -0,1 Djibouti 7,0 7,5 8,0 0,2 0,0 0,0 Égypte 5,5 5,8 6,0 0,1 0,0 0,0 Jordanie 2,2 2,4 2,6 0,0 -0,1 -0,1 Liban 0,9 1,3 1,5 -1,1 -1,0 -1,1 Maroc 2,9 3,5 3,6 -0,2 0,0 0,0 Tunisie 2,7 3,2 3,5 -1,1 -1,0 -0,9 Cisjordanie et Gaza 0,5 1,0 1,6 0,8 -2,1 -2,0 Perspectives de croissance des pays exportateurs de pétrole Le prix du brut de référence, le Brent, a démarré l’année 2019 à environ 50 dollars le baril, puis est monté à plus de 70 dollars le baril vers mai, sous l’effet des réductions volontaires de la production décidées à l’initiative de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et de la Russie. L’atonie de la demande mondiale et la grande incertitude autour des perspectives de l’économie mondiale depuis lors ont, en début septembre 2019, repoussé les prix à leurs niveaux du milieu des années 50 (voir figure I.2). Ceux-ci sont d’abord remontés sensiblement au lendemain des attentats contre les installations pétrolières d’Arabie saoudite le 14 septembre, mais se sont contractés à nouveau aussitôt que l’Arabie saoudite a promis de rétablir la production et que les incertitudes autour de ses approvisionnements se sont atténuées. Le marché s’attend à ce que les prix du pétrole oscillent autour de 57 dollars le baril jusqu’en fin 2021. Cette projection est légèrement plus optimiste qu’avant les attaques contre le pétrole saoudien, en raison des inquiétudes concernant les approvisionnements, mais reste inférieure à celle d’avril. Plus fondamentalement, les avancées technologiques accomplies dans l’exploitation des huiles de schiste et la production d’énergies de remplacement vont probablement contribuer à maintenir les prix à un niveau bas à l’avenir. Dans l’intervalle, la croissance de la demande mondiale de pétrole n’a pas cessé de fléchir depuis quelques années (voir figure I.3), ce qui a une incidence fondamentalement néfaste sur les perspectives à court et à long terme des pays exportateurs de pétrole de la région MENA, directement, mais aussi indirectement sur les pays importateurs de pétrole de la région, compte tenu des relations économiques qu’ils entretiennent avec leurs voisins. 6 PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Figure I.2 Prévisions des prix pétroliers Figure I.3 Croissance de la demande mondiale de pétrole (USD par baril ; dates d’expiration sur l’axe x) Pourcentage, en glissement annuel 90 3.0 85 2.5 80 75 2.0 70 1.5 65 60 1.0 55 0.5 50 45 0 0 9 1 8 9 0 1 1 8 02 01 02 01 02 01 02 02 01 15 15 16 16 17 17 18 18 T2 9 9 -2 -2 -2 -2 -1 -1 -2 -2 -2 .-2 -2 il. il. il. - - - - - - - - il. n. n. n. n. T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 éc Ju Ju Ju Ju Ja Ja Ja Ja D ▬▬ Les plus récents ▬▬Prix au comptant ▬▬4/26/2019 ▬▬9/13/2019 (9/25/2019) Source : Bloomberg, L.P. Source : Agence internationale de l’énergie Note : La ligne noire indique le prix au comptant du brut de Brent. Les lignes de couleur illustrent les prix à terme du Brent respectivement le 26 avril, lorsque le dernier Bulletin d’information économique de la région MENA a été produit, le 13 septembre (le dernier jour de cotation avant l’attaque sur les installations pétrolières de l’Arabie saoudite), et le 25 septembre, lorsque les prix à terme ont convergé vers le niveau d’avant l’attaque, après que l’Arabie saoudite a annoncé la reprise plus tôt que prévu de la production pétrolière. En raison de leur dépendance à l’égard des exportations Figure I.4 Part du PIB non pétrolier dans les pays du CCG de pétrole et de gaz, on s’attend à court terme à ce que le PIB Pourcentage des pays exportateurs de pétrole de la région recule de 0,3 % 65 en 2019, par rapport à un taux déjà faible de 0,4 % en 2018. Les toutes dernières prévisions sont nettement inférieures 60 au 0,9 % annoncé dans le Bulletin d’avril 2019. Plusieurs raisons expliquent ce pessimisme. L’économie iranienne se 55 contracte plus fortement que prévu. Les réductions volontaires de la production à l’initiative de l’OPEP ont sérieusement 50 grevé les économies des pays exportateurs de pétrole de la région MENA. Et malgré les coupes dans la production, les 45 prix ont considérablement chuté depuis mai 2019, érodant davantage les recettes d’exportation de pétrole. En revanche, 40 la relance de l’activité non pétrolière dans les pays du Conseil 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 Sources : Fonds monétaire international, base de données des Perspectives de l’économie mondiale de coopération du Golfe (CCG) — Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït Oman et Qatar —, surtout dans le secteur des travaux publics et du bâtiment, a partiellement atténué l’impact négatif du ralentissement de  l’économie iranienne sur les chiffres de la région. Les économies du CCG devraient enregistrer une croissance de 1,1 % en moyenne en 2019 — ce qui est inférieur au 2,0 % atteint en 2018 et en recul de 0,9 point de pourcentage par rapport aux estimations d’avril. Ce déclassement s’explique dans une grande mesure par le niveau plus faible que prévu des recettes pétrolières consécutif aux réductions de la production6 et à la dégringolade des prix pétroliers depuis avril 2019. Cependant, les pays ont pris des mesures pour renforcer l’activité hors pétrole (voir figure I.4). En Arabie saoudite — dont le document de Vision 2030 propose de diversifier l’économie —, l’Indice des responsables des achats, qui mesure la santé du secteur manufacturier, a augmenté considérablement au deuxième trimestre, faisant penser à une amélioration de l’activité hors hydrocarbures. Les économies des Émirats arabes unis et du Qatar ont les deux tiré parti des projets d’infrastructure associés à l’Expo 2020 aux Émirats arabes unis et à la Coupe du monde 2022 au Qatar. Cependant, les constructions diminuent progressivement à mesure que l’on s’approche de la fin des préparatifs de ces manifestations. 6 Par exemple, la production de pétrole brut d’Arabie saoudite était estimée à 9,65 millions de barils par jour en juillet 2019, soit moins que les 10,7 millions de barils par jour enregistrés au dernier trimestre 2018, et que les 10,3 millions de barils par jour annoncés par les autorités (OPEC, 2019). PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 1 7 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Dans les autres pays exportateurs de pétrole en développement, Figure I.5 Normalisation de la production pétrolière en Iran et dans le reste de l’OPEP le PIB devrait diminuer de 2,8 % en 2019, à cause du 1.5 ralentissement de l’économie iranienne. Les sanctions américaines pèsent lourdement sur la production pétrolière 1.4 de l’Iran. La figure I.5 illustre l’évolution de la production 1.3 iranienne (dont le résultat au premier trimestre 2013 est fixé 1.2 à 1). Après une augmentation de 40 % consécutive à l’Accord 1.1 sur le nucléaire de 2015, la production de pétrole iranien a 1.0 chuté de façon drastique au lendemain des sanctions imposées 0.9 par les États-Unis au deuxième trimestre 2018. En mai 2019, les États-Unis ont annulé les dérogations accordées à certains 0.8 13 13 14 4 5 5 6 6 7 7 8 8 9 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 pays pour importer du pétrole d’Iran, réduisant davantage la - - - T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 T3 T1 JJAccord sur le nucléaire JJSanctions américaines ▬▬Iran ▬▬Reste de l’OPEP production et les exportations de ce pays. En conséquence, la Source : Rapports mensuels de l’OPEP sur le marché pétrolier. production pétrolière a baissé à environ 2,2 millions de barils Note : Les lignes indiquent l’évolution de la production pétrolière en Iran et dans le reste de l’OPEP du premier trimestre 2013 au deuxième trimestre 2019. La production pétrolière de l’Iran et du reste de l’OPEP se normalise à 1 au premier trimestre 2013. par jour en juin 2019, contre 3,8 en début 2018 (OPEC, 2019). Le pétrole représentant une part considérable des exportations de l’Iran, le PIB réel de ce pays devrait encore reculer de 8,7 % en 2019, soit 4,9 points de pourcentage de moins que ce qui était annoncé en avril 2019. Les sanctions imposées à l’Iran par les États-Unis ont aussi des répercussions négatives sur toute la MENA. Citant les tensions dans la région, l’effondrement de la monnaie iranienne et la crainte des entreprises de violer les sanctions américaines, les Émirats arabes unis prévoient une baisse de moitié de leurs échanges avec l’Iran en 2019, lesquels ont atteint 19 milliards de dollars l’année dernière (England et Kerr, 2019). Après la fin de la guerre et la formation d’un nouveau gouvernement, l’économie irakienne devrait croître de 4,8 % en 2019. Au Yémen, on observe des signes d’amélioration des fondamentaux macroéconomiques, les prévisions faisant état d’une reprise de la croissance à 2,1 % en 2019. Les risques demeurent toutefois élevés et la situation humanitaire reste préoccupante, environ trois quarts de la population ayant encore besoin d’aide alimentaire et d’autres formes d’assistance. Perspectives de croissance des pays importateurs de pétrole Les réformes du régime de change, des finances publiques et du secteur énergétique ont donné lieu à une amélioration du cadre macroéconomique global de l’Égypte. L’investissement et la production de gaz naturel augmentent. L’activité touristique demeure robuste, ce qui est de bon augure pour les perspectives de croissance du pays. Au premier semestre 2019, le pays a connu une croissance robuste établie à 5,4 %, ce qui se rapproche des 5,2 % enregistrés à la même période en 2018 (World Bank, 2019). Les changements importants introduits à la fois du côté des recettes et des dépenses — comme les réductions des subventions à l’énergie — ont entraîné une baisse progressive du déficit budgétaire de l’Égypte, lequel est passé de 12 % du PIB en 2016 à 9,7 % en 2018. On s’attend à ce qu’il soit de 8,3 % en 2019. Les déficits courants toujours aussi importants et le montant cumulatif de la dette fragilisent l’économie libanaise qui, selon les prévisions, devrait ralentir de 0,2 % en 2019. La détérioration de la position extérieure du Liban s’accélère. Durant les cinq premiers mois de 2019, la position extérieure nette de l’économie libanaise (qui désigne la différence entre les avoirs extérieurs détenus par des Libanais et les avoirs libanais détenus par des étrangers) a faibli de 5,1 milliards de dollars (soit environ 9 % du PIB), par rapport à une perte de 4,8 milliards de dollars pour toute l’année 2018 et de 156 millions de dollars en 2017 (Banque du Liban) — la position extérieure nette rend compte du niveau d’endettement, lequel indique également une baisse des réserves de change brutes. Face à cette situation, la Banque du Liban (BdL) a initié des opérations financières destinées à favoriser l’afflux de devises fortes. Il s’agit pour les banques commerciales de solliciter des investisseurs en dollars qu’ils fassent des dépôts fortement rémunérés à moyen (3 ans) ou long terme (10 ans), lesquels sont ensuite déposés à la BdL ou utilisés pour investir dans des certificats de dépôt de la BdL. 8 PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD CHAPITRE 2 : PERSPECTIVES ET RISQUES POUR 2020-2021 À moyen terme, la Banque mondiale prévoit une progression du PIB réel de 2,6 % en 2020 et 2,9 % en 2021 dans la région MENA. Cet optimisme est largement motivé par l’accroissement des investissements consacrés aux infrastructures dans les pays du CCG et par la reprise de l’économie iranienne à mesure que s’estompent les effets des sanctions américaines. Les perspectives économiques du CCG sont stables, les prix pétroliers devant osciller autour de 60 dollars le baril. Les investissements dans les infrastructures devraient continuer d’augmenter, et la hausse de la production pétrolière va doper davantage la croissance dans les six pays du CCG. Selon les prévisions, la croissance au sein du CCG devrait atteindre en moyenne 2,2 % en 2020 et 2,7 % en 2021. Cependant, des problèmes fondamentaux persistent tant que les pays restent tributaires des exportations de pétrole, bien que le débat autour de la diversification de leurs économies ait commencé à prendre de l’ampleur. On prévoit que l’économie iranienne aura atteint son point le plus bas et commencé une légère remontée en 2020 et 2021, à condition que les États-Unis ne lui imposent pas d’autres sanctions. Le PIB de l’Iran devrait augmenter de 0,1 % en 2020 et 1,0 % en 2021. Toutefois, les risques baissiers liés à une escalade des tensions avec les États-Unis, bien que non pris en compte dans les prévisions, ne peuvent pas être écartés. L’Irak devrait maintenir le cap sur la croissance, qui devrait culminer à 5,1 % en 2020 avant de décélérer à 2,7 % en 2021. Le pays devrait néanmoins dépenser avec prudence. En effet, la Loi de finances prévoit une augmentation de 27 % des dépenses en glissement annuel, compte tenu d’un accroissement considérable de la masse salariale du secteur public, des transferts, de l’achat de biens et services et des allocations au gouvernement régional du Kurdistan (International Monetary Fund, 2019). L’élargissement du déficit budgétaire signifierait que des ressources plus limitées soient allouées aux efforts de reconstruction et à l’amortissement d’une possible baisse des prix du pétrole. Porté par l’accroissement de la demande intérieure et des exportations, le PIB égyptien devrait continuer d’augmenter pour atteindre 6,0 % en 2021. Les investissements publics et privés devraient aussi rester sur une pente ascendante, à mesure que les projets d’investissement dans les infrastructures et les travaux publics sont mis en œuvre (World Bank, 2019a). La dette publique élevée de l’Égypte demeure préoccupante, bien que l’on prévoie une baisse du ratio d’endettement à 85 % d’ici la fin de l’exercice 2021, contre 97,3 % en fin d’exercice 2018. Des risques baissiers substantiels assombrissent les perspectives économiques de la région — les plus notables étant l’intensification des difficultés de l’économie mondiale et la montée des tensions géopolitiques. L’activité économique mondiale a continué à s’affaiblir au premier semestre 2019, le commerce et la production manufacturière montrant clairement des signes de ralentissement. En juin 2019, les économistes de la Banque mondiale ont ramené à 2,6 % leurs prévisions de croissance mondiale pour 2019 (World Bank, 2019b), soit 0,3 point de pourcentage de moins qu’en janvier 2019. Les tensions commerciales sont exacerbées. Des tensions technologiques — telles la course à la technologie 5G qui oppose les États-Unis et la Chine — ont aussi éclaté, menaçant la chaîne mondiale d’approvisionnement en technologies et sapant davantage la confiance des marchés (voir figure I.6). Face à cette situation, on assiste apparemment à un relâchement de la politique monétaire mondiale, alors que l’approche adoptée jusqu’alors était celle du durcissement. Citant de sombres perspectives pour l’économie mondiale, la Réserve fédérale américaine a réduit son taux directeur à court terme et laissé entrevoir la possibilité d’autres ajustements, mettant ainsi clairement fin à l’ère de l’austérité. La Banque centrale européenne a aussi réduit son taux directeur et compte relancer son programme d’assouplissement quantitatif. Les rendements sur les bons du Trésor américain ne cessent de baisser (voir figure I.7), ce qui laisse supposer une plus forte demande d’actifs sûrs et des inquiétudes au sujet des perspectives mondiales7. 7 Les rendements sur les bons du Trésor américain n’ont cessé de baisser depuis la fin de 2018. Cette baisse indique une augmentation de la demande des investisseurs pour des actifs sans risque, tels que les titres du Trésor américain, qui pousse les prix vers le haut et plombe les rendements. De plus, les rendements sur les bons du Trésor à long terme n’ont cessé de diminuer par rapport à ceux des titres du Trésor à plus court terme, ce qui donne une courbe de rendements inversée (désigne une situation dans laquelle les taux d’intérêt à court terme passent au-dessus des taux à long terme). Normalement, les taux d’intérêt à long terme sont plus élevés que les taux à court terme, à cause des risques. Une courbe de rendement inversée est généralement observée avant une récession, car elle dénote les inquiétudes des investisseurs par rapport à des échéances plus longues, ce qui les pousse à rechercher des actifs à long terme stables et sans risques — comme les bons du Trésor américain. PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 2 9 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Figure I.6 Confiance des entreprises en Chine, Figure I.7 Rendements des bons du Trésor américain aux États-Unis et dans la Zone Euro Pourcentage 102 4,0 3,5 101 3,0 2,5 100 2,0 1,5 99 1,0 0,5 98 3 3 8 Ju 8 9 2 6 Ju 6 4 Ju 4 0 5 Ju 5 7 Ju 7 -1 .-1 -1 .-1 -1 .-1 -1 .-1 -1 .-1 -1 .-1 -1 .-1 5 sept. n. n. n. n. n. n. n. éc éc éc éc éc éc 2016 2017 2018 2019 éc 2019 Ju Ju D D D D D D D ▬▬Chine ▬▬États-Unis d’Amérique ▬▬Zone euro ▬▬3M ▬▬2A ▬▬10A ▬▬30A Source : OCDE. Source : Bloomberg ; L.P. Notes : Les nombres supérieurs à 100 indiquent une confiance accrue dans le résultat de l’entreprise dans un avenir proche, et les nombres inférieurs à 100 indiquent le pessimisme à l’égard des résultats futurs. La région MENA subit déjà les effets du ralentissement de l’économie mondiale, principalement à travers la baisse des prix du pétrole — qui grève les recettes d’exportation des pays exportateurs de pétrole et complique leurs décisions en matière de dépense. Si l’économie mondiale continue de fléchir, ou pire entre en récession, les répercussions sur la région seraient considérables, car la demande extérieure diminuerait grandement et les prix du pétrole dégringoleraient. La figure I.8 représente des estimations de fléchissement de la croissance de la demande d’exportations pour la région MENA en 2019 et au-delà8. En outre, associée à une croissance plus lente, l’instabilité financière mondiale affaiblirait aussi la capacité des pays de la région à contracter des emprunts, ou pire, pourrait déclencher des fuites de capitaux dans des pays fortement endettés comme le Liban. Figure I.8 Prévisions d’accroissement de la demande d’exportations pour la région MENA CCG Pays en dév. exportateurs de pétrole Pays en dév. importateurs de pétrole 1.1 1.1 1.1 1.0 1.0 1.0 0.9 0.9 0.9 0.8 0.8 0.8 0.7 0.7 0.7 0.6 0.6 0.6 9 20 20 20 18 21 22 23 24 19 18 21 22 23 24 19 18 21 22 23 24 6 6 6 17 17 17 1 1 1 1 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 ▬▬Rép. arabe ▬▬Bahreïn ▬▬Koweït ▬▬Oman ▬▬Algérie ▬▬Rép. islamique d’Iran ▬▬Irak ▬▬Djibouti ▬▬Jordanie ▬▬Liban d’Égypte ▬▬Qatar ▬▬Arabie saoudite ▬▬Émirats arabes unis ▬▬Libye ▬▬Rép. du Yémen ▬▬Maroc ▬▬Tunisie ▬▬Cisjordanie et Gaza Sources: UN Comtrade; International Monetary Fund, World Economic Outlook database; and World Bank staff calculations. 8 Les prévisions d’accroissement de la demande d’exportations pour chaque pays de la région MENA tiennent compte de la moyenne pondérée des prévisions de croissance de la demande intérieure chez ses partenaires commerciaux établie sur la base de projections publiées dans les Perspectives de l’économie mondiale. Le coefficient de pondération est le ratio des exportations des pays de la région vers le partenaire sur les exportations totales du pays en 2016. Les principaux partenaires commerciaux de la région sont les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et l’Inde. L’indice est ensuite normalisé à 2016. 10 PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Les tensions géopolitiques dans la région, qui n’ont cessé de s’intensifier depuis le Bulletin d’avril 2019, ont été exacerbées le 14 septembre après l’attentat contre deux grandes installations pétrolières d’Arabie saoudite. L’aggravation des tensions géopolitiques pourrait perturber davantage la production et les prix mondiaux du pétrole, et compromettre la stabilité déjà fragile de l’économie régionale et mondiale. Toute nouvelle escalade des tensions entre les États-Unis et l’Iran pourrait gravement affaiblir l’économie iranienne et se répercuter sur d’autres pays de la région. Alors que beaucoup d’exportateurs régionaux de pétrole devraient tirer profit de la hausse des prix du pétrole à court terme, celle-ci devrait globalement nuire au commerce, à l’investissement et à l’infrastructure à l’échelle régionale. Par exemple, l’Irak dépendant grandement des importations d’électricité et de gaz en provenance de l’Iran, une dégradation des relations entre les États-Unis et l’Iran pourrait compromettre sa sécurité énergétique. PREMIÈRE PARTIE | CHAPITRE 2 11 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Deuxième partie : Promouvoir une concurrence loyale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord CHAPITRE 1 : LES FONDEMENTS D’UNE CONCURRENCE LOYALE Ce chapitre démontre l’intérêt de promouvoir une concurrence loyale9 dans la région MENA et de mettre en place le cadre institutionnel qu’il faut pour cela. Il commence par passer en revue le contenu des lois sur la concurrence et souligne la nécessité d’autorités indépendantes et comptables. Puis suit une analyse du rôle de l’appareil judiciaire (et plus globalement de la primauté du droit) pour garantir l’efficacité des lois antitrust. Le chapitre se termine par une description détaillée des expériences de cinq pays de la région, à savoir l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït et la Tunisie. 1A. Améliorer la compétitivité des marchés de la région MENA10 Les économies de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ont un double visage. Le premier montre un secteur formel concentré et sclérosé, souvent dominé par des entreprises publiques et des entreprises privées ayant des entrées dans les milieux politiques. Ce type d’économie écarte les concurrents, conduit à une mauvaise allocation des ressources et génère des profits excessifs pour les participants. L’économie officielle coexiste avec une économie informelle où la majorité de la population travaille dans des entreprises relativement petites pour de bas salaires et avec peu de protections sociales11. Le renforcement de la concurrence pourrait fortement revigorer les économies de la région et créer un secteur formel plus efficace tout en réduisant l’informalité. Si l’on en croit les économistes, la concurrence est un mécanisme efficace pour garantir l’utilisation optimale des ressources sur le plan technologique, en minimisant les coûts (et donc les prix) et en veillant à ce que le volume et la diversité des biens et des services fournis correspondent à la demande des consommateurs. Les entreprises qui se font concurrence pour réaliser des bénéfices ont intérêt à investir dans la recherche-développement afin d’améliorer la production des biens et services existants et d’en offrir de nouveaux12. L’intensification de la concurrence entraîne également une accélération de la croissance de la production par travailleur (productivité) et constitue donc un élément clé du développement durable à long terme13. L’entrée sur le marché de nouvelles entreprises et la sortie de sociétés peu rentables sont d’importantes sources de concurrence. Cependant, les obstacles aux nouveaux entrants et les protections accordées aux opérateurs peu performants 9 Ici, le terme « loyal » est utilisé pour décrire une concurrence qui offre les mêmes chances aux acteurs de l’intérieur et de l’extérieur. Cet entendement est différent de la notion de « saine concurrence » que l’on pourrait retrouver dans les textes de droit commercial et qui a trait à l’utilisation de marques de fabrique ou à des fins de publicité. 10 Cette section a pour auteur Andrea Barone. L’encadré II.1 a été rédigé par Rabah Arezki et l’encadré I.2 par Rabah Arezki, Rachel Yuting Fan et Ha Nguyen. 11 Voir World Bank (2009), Diwan et al. (2015) et Rijkers et al. (2017). 12 Voir Motta (2004). 13 Voir Kitzmuller et Licetti (2012). 12 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD sont considérables et fréquents dans la région MENA. La facilité d’entrée et de sortie détermine la contestabilité et découle des effets réciproques entre la technologie de production disponible et le cadre réglementaire en place. En outre, lorsque des entreprises publiques existent, il est impératif qu’elles ne bénéficient d’aucun avantage par rapport à leurs concurrents privés, que ce soit sous la forme d’intrants spécifiques (physiques ou financiers) ou d’un accès plus facile au marché. En substance, le cadre institutionnel doit reposer sur le principe de la neutralité concurrentielle, à savoir que toutes les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, soient soumises au même ensemble de règles et que la participation de l’État dans une entreprise ne lui confère aucun avantage particulier. La concurrence et la contestabilité sont essentielles à la création de débouchés économiques, qui permettent aux travailleurs de façonner eux-mêmes leur destin. La concurrence accroît également le pouvoir d’achat des revenus, car il est plus difficile pour les entreprises de fixer des prix supérieurs aux coûts. Qui plus est, ces effets sont intensifiés par les progrès technologiques qui réduisent les coûts et par le renouvellement des entreprises qui permet aux plus productives de survivre14. L’effet global est que la concurrence peut être un remède à l’inégalité15. Pour reprendre les propos d’Eleanor Fox : « Les marchés donnent aux individus les moyens de se prendre en charge. Les marchés et l’accès aux marchés sont des outils essentiels pour lutter contre le dénuement au même titre que la nourriture, la santé, le logement, l’éducation, l’environnement, l’infrastructure et les institutions »16. Mais, comme l’a reconnu Adam Smith, le père de l’économie moderne, dans La Richesse des nations, le bon fonctionnement du processus concurrentiel ne peut être tenu pour acquis17. Il s’ensuit que les pays doivent adopter des politiques qui favorisent la concurrence. Celles-ci comprennent une législation antitrust efficace qui contrôle les pratiques restrictives du secteur privé et les interventions des pouvoirs publics dans le but d’offrir des conditions de concurrence égales pour tous, ce qui signifie que toute réglementation qui fausse les marchés dans la recherche de l’intérêt général18 devrait se limiter à l’indispensable et ne pas créer d’obstacles inutiles. Mais cela signifie aussi que lorsque des entreprises publiques ou des programmes de subventions existent, la neutralité concurrentielle doit être assurée pour tous les participants au marché (voir figure II.1). Les États-Unis ont reconnu en 1890 le besoin de légiférer pour protéger et entretenir les forces concurrentielles en adoptant la Loi Sherman. Cette loi s’opposait à la dangereuse concentration du pouvoir économique et politique dans les grandes entreprises et les trusts caractéristiques de l’âge doré19. Depuis, presque tous les pays ont adopté une loi sur la concurrence, en particulier au cours des dernières décennies20. Dans la région MENA, quatre pays n’ont pas adopté de législation antitrust — la Cisjordanie et Gaza, l’Iran, le Liban et la Libye — alors que Bahreïn et l’Iraq ne sont pas dotés d’autorité de la concurrence pour faire appliquer leur législation (voir tableau II.1). 14 Voir World Bank (2017) par. 1.2 p. 7-10 pour un examen de ces mécanismes. 15 Voir Khemani (2007), Baker et Salop (2015) et Ennis et al. (2017). 16 Voir Fox (2017) p. 37. 17 La formule de Smith selon laquelle « Des gens du même métier se rencontrent rarement, même pour s’amuser et se distraire, sans que la conversation n’aboutisse à quelque complot contre le public ou à quelque entente pour élever les prix » est aujourd’hui bien connue du grand public. 18 Par exemple, lorsque des exigences minimales de qualité sont fixées pour la fourniture d’un bien. 19 Dans l’histoire américaine, l’« âge doré » correspond à la période allant de la fin de la guerre civile en 1865 à la fin du XIXe siècle, caractérisée par l’émergence de puissants monopoles dans de nombreux secteurs (les trusts) et d’inégalités extrêmes et croissantes. Il est décrit par White (2017). 20 La Commission fédérale du commerce des États-Unis (US Federal Trade Commission – FTC) répertorie 218 pays dotés d’un organisme public responsable de la politique de la concurrence, dont la plupart sont indépendants. Elle répertorie également neuf autorités antitrust régionales. Voir https://www.ftc.gov/policy/international/competition-consumer- protection-authorities-worldwide. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 13 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Figure II.1 Cadre global de politique de la concurrence Pilier I : Pilier II : Pilier III : Réglementation pro-concurrence et Neutralité concurrentielle et Application efficace du droit de la interventions gouvernementales : aide publique non génératrice concurrence et du droit antitrust ouverture des marchés et de distorsions suppression de la réglementation sectorielle anticoncurrentielle Réformer les politiques et les Contrôler les aides publiques pour S’attaquer aux ententes qui réglementations qui renforcent la éviter le favoritisme et minimiser les augmentent les coûts des principaux domination : restrictions du nombre distorsions de concurrence. intrants et produits finals et d’entreprises, monopoles légaux, réduisent l’accès à un plus large interdictions de l’investissement éventail de produits. privé, réglementation sur les difficultés d’accès pour les obligations de service public. Éliminer les interventions Assurer la neutralité concurrentielle, Empêcher les fusions gouvernementales susceptibles de notamment vis-à-vis des entreprises anticoncurrentielles. favoriser les pratiques collusoires publiques. ou d’augmenter les coûts de la concurrence : contrôle des prix et des autres variables du marché qui augmentent le risque commercial. Réformer les interventions gouvernementales qui exercent une Renforcer le cadre général antitrust discrimination et entravent la concurrence sur le fond : cadres qui portent et institutionnel pour lutter contre atteinte à l’égalité des chances ou qui accordent un important pouvoir les pratiques anticoncurrentielles et discrétionnaire. les abus de position dominante. Source : World Bank et OECD (2017), élaboré par l’équipe Marchés et politique de la concurrence du Groupe de la Banque mondiale. De nombreuses informations sont disponibles sur les cadres de concurrence de sept pays de la région MENA : l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Maroc, Oman et la Tunisie21. Ces informations montrent qu’il leur manque des éléments clés pour être efficaces, ce qui fait peser des coûts considérables sur leur économie. En outre, la faiblesse des contrôles est un problème majeur. Son importance est démontrée par l’augmentation de valeur des éléments d’actifs cédés à la suite du démantèlement réussi de la concentration des marchés. Le démantèlement de Standard Oil aux États-Unis en est un exemple frappant. Lorsque le gouvernement américain l’a assignée en justice en 1906, cette société contrôlait plus de 90 % des raffineries de pétrole du pays. Après sa scission en 34 entités, imposée par les tribunaux en 1911, leur valeur boursière totale a quintuplé en quelques années22. Cette expérience est pertinente pour les pays de la région MENA où de nombreux secteurs économiques sont dominés par quelques entreprises, alors qu’un tel niveau de concentration ne peut être justifié par des raisons techniques. Les licences d’importation exclusives couvrant les biens pour lesquels les pays ne sont pas autosuffisants en sont un exemple frappant (voir encadré II.1). 21 Cette analyse repose sur le questionnaire actualisé (août 2019) préparé pour le Rapport sur le développement de la région MENA intitulé « Privilege-Resistant Policies in the Middle East and North Africa ». Voir Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), p. 77-98. Pour une description plus détaillée des cadres de concurrence de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie, du Koweït, du Maroc et de la Tunisie, voir la section 1B « Les pays de la région MENA utilisent différentes approches pour garantir la concurrence ». 22 Voir Wu (2018), p. 68. L’ironie de l’histoire est que John D. Rockefeller, qui contrôlait Standard Oil, a été l’un des principaux bénéficiaires de sa dissolution ; même les entreprises en place peuvent profiter d’une réduction de la concentration du marché. 14 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Tableau II.1 Lois sur la concurrence et autorités de la concurrence dans la région MENA Loi sur la Date Date de création de l’autorité Pays Amendements concurrence d’adoption de la concurrence Algérie Oui 1995 2003, 2008 et 2010 1995 ; inactive 2003-13 Bahreïn Oui 2018 - Pas d’autorité Djibouti Oui 2008 - 2008 Égypte Oui 2005 2010 et 2014 2005 Iran Non - - - Irak Oui 2010 - Pas d’autorité Jordanie Oui 2002 2011 2002 Koweït Oui 2007 2012 2012 Liban Non - - - Libye Non - - - 2000, 2003, 2004, 2011, Malte Oui 1994 n. d. 2012 et 2017 Maroc Oui 2000 2014 2008 ; inactive en 2014-18 Oman Oui 2014 2018 2018 Qatar Oui 2006 - Oui Arabie saoudite Oui 2004 2014, 2019 2004 Syrie Oui 2008 - 2008 Tunisie Oui 1991 1995, 2003, 2005 et 2015 1995 Émirats arabes unis Oui 2012 - n. d. Cisjordanie et Gaza Non - - - Yémen Oui 1999 - 2007 Source : Repris de Youssef and Zaki (2019). Notes : n. d. = non disponible. Les dispositions des lois, codes et traités internationaux en matière de concurrence qui ne prévoient pas un cadre global de régulation de la concurrence à l’échelon national n’ont pas été prises en compte parmi les « lois sur la concurrence » en vigueur. Les départements ministériels dotés de compétences limitées pour traiter des questions de concurrence ou d’autres organismes publics pertinents dont la fonction principale n’est pas l’application des règles de concurrence n’ont pas été comptés au titre des « autorités de la concurrence ». Encadré II.1 La malédiction des importations monopolisées Raúl Prebisch est célèbre pour avoir affirmé que les pays en développement devraient remplacer leurs importations par la production nationale en raison du développement de l’industrialisation susceptible de découler de cette substitution. Dans la stratégie préconisée par le regretté économiste argentin, l’État joue un rôle central en nationalisant les entreprises, en subventionnant les producteurs nationaux et en fixant les droits de douane et les subventions. Mais ce type de stratégie de développement est progressivement tombé en disgrâce lors des crises de la dette de la fin du siècle dernier. De fait, le succès des économies asiatiques tirées par les exportations, comme la Corée, a entraîné l’évolution du modèle de développement économique et l’abandon des politiques de découragement des importations au profit de la stimulation des exportations. Ce changement d’orientation des importations vers les exportations était fondé, d’une part, sur l’effet catalyseur de l’exposition à la concurrence mondiale sur la production nationale et, d’autre part, sur le transfert de technologie découlant de l’investissement direct étranger. L’évolution du modèle de développement s’est traduite par la réorientation des politiques : celles qui encourageaient le commerce pour soutenir les industries nationales ont ainsi cédé la place à d’autres qui visaient à transformer les pays en développement en plateformes pour les sociétés multinationales afin de les intégrer aux marchés mondiaux. Les stratégies de développement axées sur l’exportation ont eu peu de succès dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, même si les instruments de l’ancienne stratégie de substitution des importations, tels que les entreprises d’État, les droits de douane élevés et les subventions, ont survécu. Plutôt que d’encourager la production nationale comme l’envisageait Prebisch, ces instruments ont entraîné une monopolisation capitalo-népotiste des importations qui a limité le niveau de concurrence dans de nombreux secteurs de l’économie et accru la dépendance vis-à-vis des importations. Les épisodes de libéralisation ont conduit au transfert de propriété de monopoles d’État à des monopoles privés. Qui plus est, les autorités de la concurrence — encore balbutiantes dans la région MENA — n’ont guère eu l’occasion d’offrir des chances égales à tous les acteurs du secteur privé et de mettre fin à la collusion entre les entreprises, notamment étrangères et publiques. suite à la page suivante DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 15 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Encadré II.1 suite Outre les droits de douane, qui sont des taxes sur les importations, les restrictions peuvent inclure des quotas (limites sur les quantités importées) et des contraintes sur l’achat et la vente de devises étrangères. Dans les pays de la région MENA, ces obstacles ont eu pour effets préjudiciables d’encourager un lobby des importations qui fausse les incitations du marché, de renforcer un secteur privé subventionné et inefficace et d’entraîner une hausse des prix des biens échangeables. Les licences d’importation exclusives soulèvent plusieurs problèmes : Premièrement, les acteurs qui bénéficient de l’« industrie » des importations constituent le plus important lobby contre la production nationale. Par exemple, les licences d’importation exclusives accordent un monopole sur les importations à un particulier ou à un organisme national et inhibent la production intérieure. Car ces licences — et le pouvoir de monopole qui y est associé — augmentent le prix intérieur des importations et des produits en concurrence avec celles-ci, et donc les coûts des producteurs qui achètent ces importations (ou produits) comme intrants. L’adjudication de licences d’importation assorties de dates d’expiration est un bon moyen de s’attaquer aux monopoles d’importation. Elle peut limiter la génération de superbénéfices par des acteurs non méritants et entraîner, à tout le moins, une baisse des prix et des coûts pour les utilisateurs et les consommateurs en aval. Deuxièmement, les subventions universelles renforcent la distorsion de la structure économique en accentuant la dépendance à l’égard des importations. La subvention d’importations comme les denrées alimentaires ou les produits de base accroît la demande de ces produits. En outre, les subventions augmentent artificiellement la demande pour les produits des importateurs exclusifs et peuvent coûter à l’État beaucoup d’argent qui pourrait être dépensé ailleurs. Les bénéfices des exportations de pétrole ou l’aide étrangère financent les subventions universelles qui soutiennent la monopolisation des importations. Lorsque les achats publics sont relativement importants, le risque de corruption réciproque avec les acteurs privés est élevé. Les secteurs de l’agriculture et de l’agro-industrie illustrent parfaitement la distorsion de concurrence entre la production locale et les importations (monopolisées) en présence de subventions à la consommation. Il va sans dire que d’autres obstacles entravent le développement de l’agriculture pour répondre à la demande intérieure, mais la suppression des importations monopolisées et le remplacement des subventions universelles par des subventions ciblées aideraient ce secteur à répondre aux besoins intérieurs. Troisièmement, la dépendance à l’égard des importations entraîne un double déficit chronique, à savoir un déficit budgétaire alimentant le déficit commercial. Les importations de produits bénéficiant de subventions universelles sont souvent introduites en contrebande dans d’autres pays ou utilisées comme intrants dans une industrie qui en tire un avantage artificiel, comme l’industrie des boissons sans alcool, qui bénéficie de la subvention du sucre. C’est notamment le cas lorsque l’État achète et vend les produits importés. La libéralisation des importations et des chaînes logistiques et circuits de distribution associés ainsi que la réduction des subventions pourrait contribuer à résorber les déficits chroniques qui pèsent sur la région MENA depuis plusieurs années. Si ces déficits ne diminuent pas, les citoyens risquent d’être confrontés à de fortes réductions des transferts ou des services sociaux pour préserver les rentes économiques de quelques oligarques non méritants. De plus, de vigoureuses mesures antitrust peuvent entraîner d’importants progrès technologiques, comme l’illustrent deux procès historiques intentés aux États-Unis contre IBM et Microsoft23. Le procès contre IBM a véritablement ouvert l’industrie du logiciel en obligeant cette entreprise à dégrouper la vente de matériel informatique et de logiciels24. En 2001, le procès contre Microsoft a probablement bloqué les tentatives du géant de Seattle de monopoliser la nouvelle économie en étouffant dans l’œuf des entreprises comme Amazon, Facebook et Google (comme il l’avait fait avec le navigateur concurrent Netscape, ce qui a motivé le procès antitrust). 23 Voir Wu (2018), en particulier p. 98-101 et 110-114, et Wu (2019). 24 Si elles n’avaient pu vendre séparément matériels et logiciels, les nouvelles entreprises du secteur auraient dû fournir les deux pour être compétitives, ce qui aurait constitué une importante barrière à l’entrée. 16 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD L’absence de contestabilité dans la région MENA est sans doute l’une des principales causes de la lente adoption des technologies qui a toujours caractérisé la région, et qui a considérablement inhibé sa croissance. En l’absence de profondes réformes encourageant la concurrence, ses pays risquent de ne pouvoir saisir les opportunités offertes par la numérisation et la « quatrième révolution industrielle » (voir encadré II.2). Encadré II.2 L’incapacité de la région MENA à adopter les technologies génériques L’évolution technologique rapide — la « quatrième révolution industrielle » — offre au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord (MENA) de nouvelles opportunités que la région se doit d’exploiter. Cette révolution englobe les nouvelles technologies qui imbriquent les mondes numérique, physique et biologique (comme les robots, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et l’édition génomique). Elle influence le fonctionnement et l’affectation des ressources de tous les secteurs et de toutes les économies. La région MENA doit profiter des opportunités offertes par cette révolution technologique pour se projeter dans l’avenir. Alors qu’elle a sans doute raté le coche de l’industrialisation, ses pays ont massivement investi dans la santé et l’éducation de leurs citoyens, qui pourront être la source de la créativité et des compétences nécessaires à l’émergence d’une nouvelle économie. Les jeunes ont rapidement adopté les nouvelles technologies, et les soulèvements du « Printemps arabe » ont illustré leur maîtrise des médias sociaux. Mais pour mobiliser l’effet transformateur de la technologie, les appareils mobiles qui se trouvent dans presque toutes les mains doivent devenir plus que de simples moyens d’exprimer son mécontentement, ils doivent devenir des outils pour innover, lancer des entreprises et créer de nouvelles opportunités. Malheureusement, la région MENA n’est pas bien placée pour adopter les nouvelles technologies et innover. Arezki et al. (2019) ont utilisé des données empiriques sur l’adoption passée et actuelle des technologies génériques pour illustrer les piètres résultats de la région dans ce domaine. Sur la base de sept mesures portant sur des technologies nouvelles et anciennes, le rythme d’adoption est toujours plus lent dans les pays de la région que dans les autres pays ayant des revenus comparables. Ces mesures sont la largeur de bande par utilisateur d’Internet (bits par seconde), le nombre d’ordinateurs autonomes conçus pour être utilisés par une personne, le nombre d’internautes en pourcentage de la population, le nombre de distributeurs automatiques de billets par million d’habitants, le nombre de paiements par carte de crédit et de débit par million d’habitants, le nombre de tracteurs utilisés dans l’agriculture par million d’habitants et la production brute d’électricité par million d’habitants. Le rythme relativement lent d’adoption des technologies dans la région MENA pourrait s’expliquer par les barrières à l’entrée (ou le manque de contestabilité) existant dans les secteurs des télécommunications et de la finance, les deux principaux secteurs à vocation générale. La faible contestabilité réduit le nombre de nouveaux entrants susceptibles de défier les entreprises en place et de promouvoir l’adoption des technologies. Arezki et al. (2019) utilisent la concentration du marché pour évaluer l’absence de contestabilité, en partant du principe qu’elles augmentent ensemble. Ils constatent que, comparée aux mêmes secteurs d’autres économies ayant les mêmes revenus, la concentration du marché des opérateurs de téléphonie mobile et des banques augmente sensiblement plus vite dans la région MENA à mesure que les revenus grimpent. Ces données confirment l’idée selon laquelle cette région est en retard en matière de concurrence sur le marché. Selon les données Doing Business de la Banque mondiale (https:// www.doingbusiness.org/), les pays de la MENA sont généralement très mal classés pour la création d’une entreprise — l’Égypte occupe ainsi la 109e place sur 190 pays ; l’Arabie saoudite, la 141e ; l’Algérie, la 150e ; et l’Iraq, la 155e. Si elle ne participe pas à la quatrième révolution industrielle, la région MENA se retrouvera du mauvais côté de la fracture numérique et sera exclue des chaînes de valeur mondiales des biens et services. Sans le « nuage » et l’accès aux nouveaux logiciels qu’il fournit, les startups et les petites entreprises seraient moins compétitives. Les populations des économies moins développées n’auraient pas d’infrastructure les reliant aux opportunités ou seraient obligées de se rendre là où celles-ci se trouvent. Globalement, la rentabilité de la numérisation pourrait être plus élevée pour les pays en développement. Si la région est capable d’en récolter les fruits, elle devra pour cela modifier les réglementations qui favorisent les entreprises en place et créer des économies compétitives tirées par l’innovation. C’est là la seule formule susceptible de répondre aux aspirations de sa jeunesse. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 17 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 La politique de la concurrence de l’Union européenne (UE) trouve un écho dans la région MENA pour deux raisons principales: Premièrement, en Europe comme dans les pays de la MENA, l’État joue traditionnellement un rôle majeur dans l’économie. Lors de la création de l’UE, il a été clairement indiqué que le droit communautaire de la concurrence s’appliquerait aux entreprises publiques qui exercent leurs activités dans des marchés où elles n’ont pas de monopole légal. De fait, les tribunaux de l’UE ont élaboré l’approche dite fonctionnaliste, aux termes de laquelle l’application de la loi antitrust est déterminée par le type d’activité économique exercée plutôt que par l’entité qui l’exerce. Le contrôle généralisé de l’application du droit de la concurrence est également essentiel dans la région MENA, mais les dérogations y sont courantes (voir tableau II.2). Tableau II.2 Secteurs non soumis au droit de la concurrence dans la région MENA Algérie Égypte Jordanie Koweït Maroc Oman Tunisie Conduite exigée ou autorisée par une autre X X X X X autorité publique Certains secteurs de l’économie X X X X X Monopoles légaux X X X X Certains biens ou services X X X X X X X Autres organismes publics et agences gouvernementales X X X Entreprises publiques X X X Source : Cette analyse repose sur le questionnaire actualisé (août 2019) préparé pour Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), Chapitre 2. Competition Policy p. 77-98. Ces exemptions ont un impact négatif sur la concurrence. L’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Maroc et la Tunisie se réservent tous le droit de fixer le prix de certains produits si les conditions d’approvisionnement l’exigent, en éliminant complètement la concurrence pour atteindre des objectifs sociaux. En outre, les pratiques et les accords restrictifs découlant de l’application de la loi ne sont pas couverts par les dispositions antitrust en Algérie, en Égypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie, tandis que des monopoles légaux peuvent être autorisés en Algérie, au Koweït25, au Maroc et en Tunisie. Au Maroc, les associations professionnelles peuvent demander l’autorisation de fournir des orientations tarifaires à leurs membres. En Égypte et à Oman, les entreprises de services collectifs dont la gestion relève directement de l’administration publique en sont exemptées, tandis qu’au Koweït, toutes les catégories d’entreprises publiques peuvent être écartées du champ d’application de la loi sur la concurrence. Deuxièmement, en conférant des pouvoirs exécutoires supranationaux à sa Direction de la concurrence, l’UE peut contrôler les grandes entreprises plus efficacement que les autorités antitrust nationales, compte tenu des pressions auxquelles celles-ci seraient soumises inévitablement. L’UE a ainsi bloqué cette année le projet de fusion des groupes nationaux français et allemand Alstom et Siemens, malgré le ferme soutien dont il bénéficiait dans ces deux pays26. La région MENA est la moins intégrée au monde, ce qui oblige les entreprises nationales à desservir de manière inefficace des marchés relativement petits. À l’instar du processus d’intégration européenne, la réduction des barrières commerciales dans la région pourrait aider les entreprises à accroître leur production en exportant vers leurs voisins, et leur permettre ainsi de mieux exploiter les économies d’échelle et de gamme. Chaque pays pourrait développer ses compétences particulières et tirer pleinement parti de la population croissante de la région, qui devrait presque doubler à l’horizon 2050. Mais nul doute que les entreprises en place s’y opposeraient, en exigeant qu’une autorité antitrust panrégionale fasse partie de toute intégration économique27. 25 Le secteur pétrolier n’est pas soumis au droit de la concurrence. 26 Voir Motta et Peitz (2019). 27 À cet égard, l’Égypte, la Libye et la Tunisie sont déjà membres du COMESA, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe, tandis que les pays du CCG (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) ont un marché commun depuis 2008. Ces deux groupes régionaux envisagent l’élaboration d’un cadre concurrentiel transnational. Concernant le COMESA, voir Fox et Bakhoum (2019) p. 133-139. 18 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Encadré II.3 Le dilemme numérique : la difficile réglementation de la nouvelle économie Internet L’économie numérique tirée par les données et les plateformes multifaces pose de nouveaux problèmes aux organes de régulation. La disponibilité de données influence le niveau de concurrence. Par exemple, un fournisseur externe désirant offrir un service pour compléter l’offre principale d’une entreprise numérique existante doit avoir accès aux données relatives à cette offre (comme la myriade d’applications disponibles par le biais d’Apple). La disponibilité de données a également une incidence sur le développement économique, car l’expérimentation et l’amélioration augmentent avec le volume de données. Une entreprise en place qui refuse l’accès aux données à des fournisseurs externes et des concurrents potentiels risque d’enfreindre les lois antitrust. Mais toute décision à cet égard dépendra des détails spécifiques du marché et de l’utilisation anticipée des données. De plus, les procès pouvant durer des années, la régulation offre un moyen plus rapide de déterminer s’il y a infraction. Toutefois, lorsqu’ils accordent l’accès à des concurrents potentiels, les organismes de régulation doivent également protéger la vie privée des personnes et réduire au minimum l’incidence négative sur les incitations à l’investissement dans la collecte de données. Les plateformes multifaces n’exercent pas d’activité propre. Elles offrent plutôt aux acheteurs et aux vendeurs d’un service un espace numérique leur permettant de participer à un échange. Amazon et sa filiale Souq au Moyen-Orient sont des exemples de marchés numériques qui relient détaillants et consommateurs. Des applications telles que Careem mettent en relation conducteurs et passagers, tout comme Airbnb dans le cas de propriétaires de logements et de locataires potentiels à court terme. Les médias sociaux, comme Facebook, permettent à leurs utilisateurs de communiquer et d’accéder à des contenus, et aux annonceurs de cibler ces utilisateurs. L’utilité de la plateforme multifaces augmente avec le nombre d’acteurs de part et d’autre (par exemple, sur une plateforme de commerce, les consommateurs bénéficient d’un grand choix de détaillants tandis que ceux-ci ont accès à un grand nombre de clients potentiels). En outre, chaque groupe ne serait pas en mesure de négocier avec l’autre en raison de coûts de transaction excessivement élevés. La plateforme fixe les prix et subventionne la partie qui offre les plus grands avantages et est rémunérée par la ou les autres parties. C’est le cas des plateformes qui offrent des services sans frais et qui tirent l’intégralité de leurs revenus de la publicité, y compris les moteurs de recherche et les médias sociaux. Les services ne sont bien entendu pas gratuits pour les utilisateurs ; ils paient en divulguant leurs données personnelles sans toujours bien comprendre les mécanismes sous-jacents. De plus, la valeur des services de certaines plateformes, comme les médias sociaux, augmente avec le nombre d’utilisateurs du même type ; plus il y a de personnes connectées, plus grande est la probabilité qu’un utilisateur trouve quelqu’un avec qui communiquer. Enfin, les coûts fixes des plateformes sont beaucoup plus élevés que les coûts variables, de sorte que les revenus associés à l’ajout d’un nouveau membre dépassent de loin les coûts. L’économie des données et des plateformes multifaces crée d’importantes barrières à l’entrée, et se traduit par une concentration extrême des marchés et des avantages considérables pour les entreprises en place. Elle entrave également la concurrence. Par exemple, les nouveaux arrivants ne peuvent généralement pas concurrencer directement la plateforme en place, mais doivent commencer petit en offrant de nouveaux services complémentaires, au besoin sur cette même plateforme. Ils rivalisent ainsi entre eux plutôt que de lui faire concurrence. Ce n’est que lorsque leur base d’utilisateurs est suffisamment importante qu’ils peuvent essayer de se développer à partir de leur créneau initial, en ajoutant des services à leur portefeuille et en rivalisant avec la plateforme en place. Celle-ci réagit généralement en acquérant le nouvel arrivant ou en ajoutant une version dérivée de son innovation à son offre de services. Il est donc important que les autorités de la concurrence s’efforcent de permettre aux nouveaux arrivants de concurrencer loyalement les entreprises en place. Elles doivent surveiller les pratiques et comportements anticoncurrentiels des plateformes dominantes, y compris l’intégration de tous leurs services et l’élimination des versions autonomes. En outre, les entreprises en place étant protégées par d’importantes barrières à l’entrée, elles ont intérêt à façonner les règles de la plateforme à leur propre avantage, ce qui pourrait évincer la concurrence sur la plateforme (par exemple, en accordant un traitement spécial aux services affiliés) ou exploiter directement les consommateurs en déclinant toute responsabilité en cas de transaction problématique. Ces problèmes tiennent au double rôle des plateformes en tant que contrôleurs d’accès (elles décident qui peut y accéder) et quasi- régulateurs (elles déterminent les règles que les utilisateurs doivent respecter pour communiquer entre eux) et pourraient conduire à des infractions antitrust potentiellement graves. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 19 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 La stratégie de croissance de la région MENA devrait en partie reposer sur l’exploitation des possibilités offertes par l’économie numérique28. Bien qu’elle soit très prometteuse, la nouvelle économie pose également des défis importants concernant le maintien des forces concurrentielles (voir encadré II.3). En l’absence d’un cadre de politique de concurrence efficace et permettant de mener des actions coercitives fortes, la région risque de devoir renoncer à la majorité des gains économiques espérés et de succomber à une nouvelle forme de colonisation par des géants technologiques étrangers. À cet égard, l’achat par Uber de la startup Careem ou l’acquisition par Amazon du marché Souq pourrait être considéré comme des occasions manquées au niveau du développement local. ÌÌUne bonne loi sur la concurrence Au niveau le plus élémentaire, une loi sur la concurrence doit empêcher les grandes entreprises d’adopter des tactiques abusives visant à éliminer les petits concurrents efficaces (par exemple, en fixant des prix déloyaux ou en imposant des conditions d’exclusivité aux distributeurs). Elle doit également interdire aux entreprises de fixer les prix et de se partager les marchés29, ce qui revient à voler les consommateurs. Elle devrait de plus exiger l’examen (avec blocage potentiel) des grandes fusions, afin d’éviter les comportements anticoncurrentiels. La loi devrait ensuite créer un organisme de contrôle spécialisé — une autorité de la concurrence — expressément chargé de lutter contre tous les comportements anticoncurrentiels dans tous les secteurs économiques, quel que soit le type d’entités économiques concernées, et disposant d’un ensemble complet de pouvoirs — tels que des citations à comparaître et des inspections surprises — pour obtenir les informations dont elle a besoin30, sanctionner les infractions graves à la loi et instaurer un dialogue constructif avec toutes les parties concernées par des actions de sensibilisation. Parallèlement, la loi devrait laisser à l’autorité l’entière liberté d’utiliser ses compétences techniques pour prendre les mesures les plus adaptées au problème. Les autres organes de surveillance devraient également viser à garantir un comportement concurrentiel dans les secteurs relevant de leur compétence (voir encadré II.4). Encadré II.4 Les organes de surveillance « complémentaires » Outre les autorités de la concurrence, différents types d’organes de surveillance peuvent veiller à l’adoption d’un comportement concurrentiel. Ils comprennent : Les organes de régulation sectoriels, créés pour superviser les entreprises de réseau (énergie, télécommunications, transport, eau) caractérisées par une situation monopolistique. Ces organes définissent les règles d’accès au réseau par tous les prestataires de services dans le but d’éviter la discrimination, prévoient des mécanismes de règlement des différends (entre entreprises rivales et entre les entreprises et les consommateurs), et contrôlent la qualité et le respect des obligations de service universel (voir Kessides, 2004). Les organes de protection des consommateurs, qui appliquent les règles interdisant la publicité mensongère et les pratiques commerciales déloyales. Ils exigent par exemple que les entreprises fournissent des informations claires sur les biens et services qu’elles vendent et que leurs pratiques commerciales n’influencent pas indûment les décisions des consommateurs. Des dispositions plus strictes sont prévues pour protéger les groupes vulnérables, tels que les enfants, les malades et les personnes âgées. suite à la page suivante 28 Voir Arezki et al. (2018). 29 Et, dans le contexte des marchés publics, les soumissions concertées. 30 Les autorités de la concurrence (comme tout organisme de régulation) souffrent d’un déficit d’information par rapport aux entreprises. 20 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Encadré II.4 suite Les administrations chargées de la protection des données s’occupent des lois sur la protection de la vie privée, qui visent à permettre aux particuliers de contrôler les moyens de collecte, de traitement et de diffusion de leurs données personnelles par les organisations publiques et privées avec lesquelles ils communiquent. Ces administrations doivent veiller à la proportionnalité des sanctions et des réparations, pour que les mesures bien intentionnées visant à protéger les consommateurs ne se transforment pas en barrières à l’entrée pénalisant les startups. Les fonctions des différents organes peuvent être réparties de différentes manières, entre différents organes ou consolidées selon les pays. Le « système de coexistence des compétences » confie le contrôle des règles de concurrence aux organes de régulation du secteur concerné. C’est ce système qui est utilisé en Algérie pour les télécommunications, l’énergie, les transports et la banque, et en Égypte et en Jordanie pour les télécommunications (voir Mahmood et Ait Ali Slimane, 2018). Dans les sept pays de la région MENA considérés, les lois sur la concurrence couvrent tous les types d’infractions et confèrent également des pouvoirs de sensibilisation aux autorités. La seule exception notable est l’absence de contrôle des fusions en Égypte où les transactions illicites peuvent uniquement être évaluées au regard des dispositions interdisant les accords anticoncurrentiels. Cela signifie que l’autorité ne peut agir qu’après la réalisation de la fusion31, réduisant ainsi l’efficacité de toute action à moins que les entreprises coopèrent. Toutes les autorités de la concurrence des pays de la région MENA peuvent exprimer leur avis concernant l’impact sur la concurrence des politiques gouvernementales, des projets de loi et des règlements, mais ces avis ne sont pas contraignants et, en Tunisie, l’autorité ne peut intervenir que si le ministère du Commerce le lui demande. Dans les pays dotés d’autorités de la concurrence, celles-ci peuvent demander des informations, effectuer des inspections surprises et saisir des documents. Cela dit, l’autorité tunisienne ne peut pas délivrer d’assignations ou de citations à comparaître lorsqu’une entreprise faisant l’objet d’un contrôle ne coopère pas. En outre, un programme de clémence, qui exonère de toute sanction les participants à une entente en cas d’aveux et de coopération active à l’enquête, est un instrument puissant qui n’est disponible qu’en Égypte, au Maroc et en Tunisie (voir tableau I.3). Tableau II.3 Les pouvoirs des autorités de la concurrence dans la région MENA Algérie Égypte Jordanie Koweït Maroc Oman Tunisie Demander aux parties de fournir volontairement X X X X X X X des renseignements Délivrer une assignation ou une citation X X X X X X à comparaître Mener des opérations (perquisitions et saisies) X X X X X X X et des inspections inopinées Réaliser des études de marché X X X X X X Infliger une amende allant jusqu'à 10 % du chiffre X X X X d’affaires annuel Imposer directement des amendes X X X Appliquer des mesures de clémence X X X Source : Cette analyse repose sur le questionnaire actualisé (août 2019) préparé pour Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), Chapitre 2. Competition Policy p. 77-98 31 L’autorité égyptienne de la concurrence exige d’être notifiée. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 21 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 ÌÌUne bonne autorité antitrust La qualité de l’autorité de contrôle est aussi importante que la loi d’habilitation. Car les meilleures règles sont futiles si l’organisme chargé de leur application est inefficace. Les recherches scientifiques et les réflexions des praticiens ont produit une abondante littérature32 sur la conception des autorités de la concurrence (et plus généralement des organes de régulation du marché), mettant en évidence un ensemble de caractéristiques indispensables pour assurer un contrôle professionnel et non partisan fondé sur des considérations économiques et juridiques solides. Il est ainsi possible d’atteindre un équilibre acceptable entre l’efficacité et les garanties juridiques tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Deux principes directeurs — l’indépendance et la responsabilité — sont indissociables et s’appliquent aussi bien à l’entité chargée de réguler la concurrence qu’aux tribunaux qui contrôlent ses décisions. En effet, il serait inutile d’avoir une agence de classe mondiale si ses décisions peuvent être annulées par des juges médiocres (voir section 1B « Concurrence et primauté du droit vont de pair »). L’indépendance est nécessaire pour veiller à ce que l’autorité de la concurrence puisse prendre des décisions impartiales et fondées sur des données factuelles sans subir de pressions indues de la part des pouvoirs publics ou du secteur privé. L’autorité peut ainsi créer des conditions de concurrence égales pour toutes les entreprises, quelle que soit l’influence de leurs propriétaires. Le degré d’autonomie dont elle jouit dans la pratique dépend de nombreux facteurs. La séparation structurelle des ministères de tutelle est essentielle et le gouvernement ne devrait pas avoir de droit de veto sur les décisions individuelles. Lors de la nomination du chef et du conseil d’administration de l’autorité de la concurrence, l’inévitable participation politique doit être limitée par un processus de sélection ouvert et transparent qui exige que les candidats aient des compétences avérées ; établit des mandats relativement longs (de cinq à sept ans), non renouvelables et à durée déterminée, les révocations étant limitées aux cas de délits personnels objectifs (tels que conflits d’intérêts ou comportements gravement inappropriés) ; interdit aux membres du conseil d’administration d’occuper d’autres fonctions pendant leur mandat et limite leurs activités pendant une certaine période après la fin de leur mandat (généralement désignée par « délai de restriction »). En outre, l’autorité devrait être en mesure de fixer ses propres priorités et d’utiliser ses ressources humaines et financières comme bon lui semble. L’allocation d’un budget suffisant pour lui permettre de recruter et de conserver un personnel qualifié la protège de tout détournement par des intérêts particuliers. Ce budget devrait en outre être pluriannuel et financé par diverses sources (fonds publics, contributions obligatoires des entreprises ayant un chiffre d’affaires suffisant, redevances pour l’examen des fusions et une fraction des amendes perçues). Chaque source de financement influe différemment sur le degré d’indépendance et de responsabilité de l’organisme antitrust. Le risque d’ingérence politique est par exemple accru lorsque les fonds publics forment une part majeure du budget. Inversement, un système dépendant fortement du recouvrement d’amendes risquerait de favoriser dangereusement les poursuites. Ces risques sont atténués dans les systèmes où les enquêtes et les décisions sont séparées. Les risques de détournement peuvent augmenter dans les systèmes où les contributions des entreprises sont obligatoires et où seules certaines d’entre elles (entreprises publiques par exemple) sont assujetties aux prélèvements. Dans presque tous les sept pays de la région MENA, l’organisme antitrust est indépendant de tout ministère de tutelle. L’exception est la Jordanie où la direction de la concurrence relève du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Approvisionnements. 32 Voir, entre autres, Kovacic (2009), Kovacic et Hyman (2012), Hyman et Kovacic (2013a), Hyman et Kovacic (2013b), Jenny (2016) et Ottow (2015). 22 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Ces organismes peuvent toutefois être affaiblis de nombreuses manières. Dans tous les cas, le président et les membres du conseil d’administration sont nommés par le pouvoir exécutif et, dans de nombreux pays, certains sièges sont réservés à des catégories spécifiques : hauts magistrats en Algérie, au Maroc et en Tunisie ; représentants de l’administration en Égypte, en Jordanie et au Maroc ; représentants des associations professionnelles en Égypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie ; et représentants des organisations de consommateurs en Égypte et en Jordanie. La présence de ces membres désignés affaiblit le niveau d’indépendance des autorités dans la région MENA. La durée du mandat varie de deux à cinq ans et les membres du conseil d’administration peuvent être reconduits dans leurs fonctions au moins une fois (en dehors des représentants du secteur d’activité et des deux experts en Tunisie). Dans la plupart des cas, il n’existe aucune mesure de protection contre les révocations pour des raisons politiques, sauf en Égypte. De plus, il y a peu de restrictions sur les activités des membres du conseil pendant leur mandat ou après son expiration. Seuls l’Algérie et le Koweït leur interdisent d’occuper d’autres fonctions privées ou publiques, tandis que l’Égypte est le seul pays qui les empêche de travailler pour des sociétés qui faisaient l’objet d’une enquête pendant leur mandat. Le délai de restriction y est de deux ans. L’absence de restriction d’activité après l’expiration du mandat réduit probablement l’indépendance de fait. En outre, au Maroc, le gouvernement peut examiner les demandes de fusion pour des raisons d’« intérêt général », parallèlement à l’examen par le Conseil de l’incidence des projets de fusion sur la concurrence. Dans ses conclusions, le gouvernement peut invalider les décisions du Conseil. De plus, les décisions de financement peuvent avoir une influence plus subtile. Hormis le Maroc, où le Parlement approuve le budget, le pouvoir exécutif contrôle les dépenses. Compte tenu de l’absence généralisée de contributions obligatoires de la part des entreprises, toutes les autorités de la concurrence de cet échantillon de sept pays dépendent entièrement des fonds publics. Les organismes chargés de la concurrence ne doivent pas seulement être indépendants, ils doivent aussi être responsables, c’est-à-dire soumis à des mécanismes juridiques et institutionnels qui les obligent à exercer leur pouvoir de manière juste et proportionnée. La politique de la concurrence est un instrument intrusif qui peut entraver considérablement l’exercice des droits de propriété et entraîner l’imposition de lourdes amendes, voire l’emprisonnement. Des dispositifs de protection sont donc nécessaires. Certains d’entre eux s’appliquent à l’exercice du pouvoir dans des procédures individuelles, tandis que d’autres concernent la responsabilité élargie de l’organisme d’expliquer ses actions aux principales parties prenantes et à la population en général. Le paradoxe éternel de savoir « qui gardera les gardiens » peut ainsi être résolu de manière raisonnable, bien qu’imparfaite33. Dans l’exercice de ses fonctions, l’autorité de la concurrence doit accorder aux parties mises en examen le droit de se défendre. Les règles de procédure doivent donc être équitables et garantir que les défendeurs ont accès à l’ensemble du dossier, sont en mesure de fournir des éléments de preuve à décharge et peuvent être entendus par l’organe juridictionnel avant sa décision, laquelle doit être justifiée et fondée sur de solides évaluations économiques et juridiques des faits. De plus, l’équité implique des décisions uniformes et non discriminatoires dans des cas semblables. Dans la région MENA, les garanties de forme sont parfois incomplètes. En Jordanie, par exemple, il n’existe pas de dispositions claires concernant les auditions ou l’accès à l’ensemble des dossiers. Des problèmes similaires semblent exister à Oman. Le droit de recours existe toutefois dans tous les pays. Autrement dit, le résultat final dépend de la qualité de l’appareil judiciaire. 33 Voir Hurwicz (2008). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 23 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 De façon plus générale, la conception du processus d’enquête et de décision joue également un rôle important dans le contrôle du biais de confirmation — la tendance à accorder un poids injustifié aux éléments de preuve qui semblent prouver l’infraction et à rejeter les faits à décharge. Ce problème peut être abordé en séparant les fonctions d’enquête et de décision entre deux organes, notamment l’autorité de la concurrence et les tribunaux. Il est également possible de maintenir une séparation fonctionnelle au sein de l’autorité de la concurrence entre les enquêtes et les sanctions, tout en veillant à ce que toute décision puisse faire l’objet d’un recours, pour accorder aux défendeurs le droit à un contrôle judiciaire effectif. Diverses approches existent dans la région MENA. L’Égypte, la Jordanie et Oman ont adopté le modèle de la séparation — bien qu’en Égypte et au Koweït, il couvre uniquement l’imposition d’amendes et non les ordonnances prohibitives. Tous les autres pays assurent les fonctions d’enquête et de décision au sein de l’autorité ; seuls le Maroc et la Tunisie maintiennent une séparation entre ces deux fonctions. Pour ce qui est des responsabilités élargies, l’autorité de la concurrence doit être ouverte et s’efforcer en permanence d’expliquer ses activités aux principales parties prenantes (gouvernement, parlement et associations d’entreprises et de consommateurs) et à la population en général. La mesure la plus importante en matière de responsabilité consiste à rendre disponibles en temps opportun (idéalement sur le site web de l’institution) les détails des décisions sur des cas d’espèce, en indiquant clairement comment l’autorité de la concurrence interprète son mandat, applique la loi et utilise les outils économiques dans la pratique — ce qui permet des évaluations externes de la qualité des contrôles. L’autorité devrait également publier un rapport annuel contenant un examen motivé des activités de contrôle et de sensibilisation. Ce rapport pourrait exposer la vision stratégique de l’autorité et ses priorités d’action pour l’année suivante. Il pourrait également être l’occasion d’entretenir un dialogue avec le gouvernement et le parlement, ce qui est essentiel pour s’assurer que les actions de sensibilisation sont prises au sérieux et que l’avis de l’autorité de la concurrence n’est pas ignoré34. Les budgets doivent également être publiés, de même que les intérêts extérieurs des membres du conseil d’administration et de la direction générale (emploi, appartenance à des associations, investissements, etc.) pour éviter les conflits d’intérêts. L’ouverture est limitée dans les pays de la région MENA étudiés35. Bien que la publication des décisions et d’un rapport annuel soit obligatoire dans tous les pays, les informations ne sont souvent pas aisément accessibles (par exemple sur les sites web institutionnels) ou sont tellement vagues que l’analyse et la motivation sous-tendant l’intervention ne sont pas claires. En ce qui concerne l’engagement élargi avec les parties prenantes, seuls l’Égypte, la Jordanie et le Maroc ont publié des orientations sur des questions concernant l’application des lois antitrust. La responsabilité et la transparence favorisent également l’application de la loi. Elles contribuent à la clarté et à la prévisibilité de l’évolution du marché telle que perçue par l’autorité — ce qui facilite la conformité des entreprises qui respectent les règles — et dissuadent les comportements indésirables, car les entreprises veulent éviter les risques de réputation liés aux condamnations pour pratique anticoncurrentielle. Enfin, la transparence et la responsabilité renforcent l’intégrité de l’autorité de la concurrence, en contribuant à la légitimité, à l’intégrité et à l’acceptation générale du cadre de la concurrence. 34 Voir Jenny (2012). 35 Voir Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), p. 95. 24 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD ÌÌLes gouvernements de la région MENA doivent agir La concurrence loyale et la contestabilité sont de puissants moyens d’assurer une efficacité allocative, productive et dynamique, et peuvent également être d’efficaces remèdes à l’inégalité en créant des opportunités économiques et en rendant les biens plus abordables. Il s’agit là d’objectifs clés pour la région MENA, confrontée au problème d’une économie dualiste caractérisée par un secteur officiel stagnant coexistant avec un secteur informel et un chômage généralisés, qui prive les citoyens, surtout les plus jeunes, de tout espoir. Le bon fonctionnement des marchés ne pouvant être tenu pour acquis, une législation antitrust efficace et dûment appliquée est nécessaire pour les pérenniser et les développer. Malheureusement, la qualité des cadres de concurrence existant dans la région MENA est nettement inférieure aux meilleures pratiques. Cette situation fait peser un lourd fardeau sur leurs économies, tout en profitant considérablement aux oligarchies politiques et économiques. Les pays sans loi antitrust devraient envisager d’en adopter une sans tarder, tandis que les autres devraient améliorer son application en éliminant les nombreuses dérogations et en accordant aux autorités tous les pouvoirs nécessaires. Leur indépendance comme les instruments de responsabilisation connexes devraient être considérablement renforcés. 1B. Concurrence et primauté du droit vont de pair36 Si les économies du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord Figure II.2 Primauté du droit dans la région MENA en comparaison d’autres régions en 2017 veulent offrir des opportunités et des services de haute 100 qualité à une population croissante et de plus en plus 90 instruite, elles doivent opérer une transformation profonde. 80 Elles doivent entre autres réduire la concentration du 70 marché, laquelle est très élevée actuellement, renforcer 60 66 58 l’état de droit et mettre fin au clientélisme généralisé37. Les 50 50 faiblesses constatées dans ces trois domaines constituent 40 43 30 37 des obstacles presque insurmontables pour les entreprises 30 20 qui souhaitent intégrer ou quitter des marchés cruciaux38. 10 0 Ce manque de contestabilité signifie que les économies SSA SAR MENA LAC EAP ECA Source : Indicateurs de la gouvernance dans le monde. de la région MENA favorisent les entreprises en place, tant publiques que privées, ce qui conduit à la recherche de rentes. Vu que les entreprises présentes sur le marché reçoivent des appuis politiques, le clientélisme sera difficile à éradiquer39. Une contestabilité accrue et de meilleurs résultats en matière de développement pour les pays de la région MENA exigent la mise en place d’institutions crédibles qui permettent aux nouveaux arrivants de faire bouger les lignes et de niveler les règles du jeu40. Des autorités de la concurrence efficaces font partie intégrante d’un tel paysage institutionnel. Mais pour faire 36 Ce chapitre a été rédigé par Klaus Decker. L’auteur remercie Nadine Cherfan, Gamila Kassem, Marouan Maalouf, Saba Gheshan, et Zoubida Al Tayib pour leur contribution et Renaud Seligmann, Adam Shayne, Adele Barzelay, David Bernstein, Tania Begazo Gomez, Dahlia Khalifa, Graciela Miralles Murciego et Jean Denis Pesme pour leurs remarques. 37 Voir Peter Speelman (2016), pp. 1229 et 1231. 38 Arezki (2019). 39 World Bank (2009) ; Diwan et al. (2015) et Rijkers et al. (2017). 40 Voir World Bank (2017) ; voir aussi Mahmood et Ait Ali Slimane (2018) p.9. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 25 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 reculer les pratiques anticoncurrentielles, il faut un système judiciaire indépendant afin de faire respecter les règles du jeu41. Autrement, la sécurité juridique et la prévisibilité sont compromises. Dans les pays dotés d’institutions judiciaires efficaces, les parties concernées anticipent les décisions judiciaires prévisibles et réglementées et exercent leurs activités « à l’ombre de la loi ». Sinon, elles risquent d’en subir les conséquences juridiques. En effet, l’absence de sécurité juridique, la faiblesse des droits de propriété et l’inefficacité des institutions judiciaires dans de nombreux pays de la région MENA expliquent pourquoi cette région est à la traîne des autres en matière d’état de droit42 (voir figure II.2). Entre autres défis, on peut citer un accès insuffisant à la justice et l’absence de lois transparentes et appliquées de manière prévisible (voir figures II.3 et II.4). Figure II.3 Accès à la justice dans la région MENA en Figure II.4 Lois transparentes appliquées de manière comparaison d’autres régions, 1946–2017 prévisible dans la région MENA en comparaison d’autres régions, 1946–2017 3.5 0.9 0.8 3.0 0.7 2.5 0.6 2.0 0.5 0.4 1.5 0.3 1.0 0.2 46 56 66 76 86 96 06 16 46 56 66 76 86 96 06 16 19 19 19 19 19 19 20 20 19 19 19 19 19 19 20 20 ▬▬Asie de l’Est ▬▬Europe ▬▬Amérique latine et Caraïbes ▬▬Asie de l’Est ▬▬Europe ▬▬Amérique latine et Caraïbes ▬▬MENA ▬▬Amérique du Nord ▬▬Asie du Sud ▬▬Afrique subsaharienne ▬▬MENA ▬▬Amérique du Nord ▬▬Asie du Sud ▬▬Afrique subsaharienne Source : Varieties of Democracy, 201943. Source : Varieties of Democracy, 2019. Dans la région MENA, les progrès accomplis en matière d’accès à la justice au cours des 50 dernières années ont été modérés, quoique relativement faibles au départ. Les régions autrefois moins performantes que la MENA se sont tellement améliorées que cette dernière a maintenant le niveau d’accès à la justice le plus bas au monde (figure II.3). Cette région a également les pires scores au niveau international, s’agissant de lois transparentes appliquées d’une manière prévisible. S’agissant de la relation entre la contestabilité, les institutions judiciaires et l’état de droit dans la région MENA, deux questions se posent : premièrement, en quoi les mandats des autorités de la concurrence et des institutions judiciaires se complètent-ils ? Deuxièmement, dans quelle mesure le système judiciaire influe-t-il sur la capacité des nouvelles entreprises à contester celles déjà implantées et comment les tribunaux arrivent-ils à faire respecter le cadre juridique et réglementaire en vigueur ? ÌÌComplémentarité entre l’autorité de la concurrence et les tribunaux. L’efficacité des autorités de la concurrence et des institutions du secteur de la justice à veiller à ce que le cadre juridique et réglementaire favorise la concurrence et la contestabilité dépend d’un certain nombre de facteurs, y compris les 41 Khemani (2007), p. 29 ; voir aussi United Nations (2015), p.7. 42 D’après les Indicateurs de la gouvernance dans le monde, l’« état de droit » rend compte la « perception de la mesure dans laquelle les agents ont confiance dans les règles de la vie en société et les respectent, en particulier sur le plan de la qualité de l’exécution des contrats, des droits de propriété, de la police et des tribunaux, ainsi que de la probabilité de survenue de crimes et de violences ». Pour plus de détails, voir Kaufmann et al. (2010). 43 Pour en savoir plus, se rendre à l’adresse https://www.v-dem.net. 26 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD lois et les institutions en place. Les institutions judiciaires en particulier sont essentielles pour régler des affaires de concurrence notamment, et de manière plus générale, parce qu’elles agissent comme instance d’appel et peuvent statuer sur des questions autres que la concurrence, qui sont susceptibles de nuire à la contestabilité. Le cadre juridique et institutionnel de la concurrence dans la région MENA repose sur des lois et des institutions Lois : cinq économies de la région ne disposent pas de loi sur la concurrence (à savoir Bahreïn, l’Iran, le Liban, la Libye, la Cisjordanie et Gaza44), alors que Djibouti et l’Irak en ont une, mais pas d’autorité chargée de la faire appliquer45. À des degrés divers, les lois sur la concurrence et les institutions compétentes sont calquées sur des systèmes appliqués aux États-Unis et dans l’Union européenne46. D’où l’hétérogénéité, à travers la région, des lois sur la concurrence qui, contrairement à celles des pays de l’OCDE, sont moins naturellement intégrées dans le système juridique et institutionnel national47. L’une des raisons en est que chaque pays réagit aux pressions de différentes sources internationales, qui rendent les échanges commerciaux ou l’aide tributaire de l’adoption d’une législation sur la concurrence48. Une autre raison est qu’une culture de la contestabilité, qui pourrait rendre entièrement opérationnels les systèmes juridiques et institutionnels transplantés, ne s’est pas encore profondément enracinée dans la région MENA, de façon générale49. Les lois sur la concurrence en vigueur dans la région peuvent sembler conformes aux dispositions antitrust de fond caractéristiques de l’UE ou des États-Unis50. Mais contrairement à ces deux blocs, la MENA prévoit d’importantes exceptions et exemptions à ces lois, qui freinent considérablement la contestabilité (voir l’encadré II.5 pour un résumé et la section 1C pour plus de détails). Encadré II.5 La contestabilité mise à mal dans la région MENA Les exceptions réduisent le champ d’application de la loi sur la concurrence. Par exemple, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et la Jordanie prévoient de larges exceptions pour les biens et services essentiels provenant aussi bien du secteur public que privé51. De plus, il existe des exemptions s’appliquant aux monopoles légaux. Les lois sur la concurrence en Arabie saoudite, dans les Émirats arabes unis et au Koweït exonèrent les activités et les transactions initiées par des entreprises publiques et définissent de vastes exemptions sectorielles52. Exclure de la loi sur la concurrence des pans entiers de l’économie de marché nuit aux principes fondamentaux de la contestabilité. Institutions : dans les pays de la région MENA où il existe des autorités de la concurrence, leur configuration institutionnelle et les pouvoirs qui leur sont dévolus reposent soit sur un modèle judiciaire dualiste53 inspiré des États-Unis, soit sur un modèle d’organisme emprunté à l’UE, ou sur une combinaison des deux (voir Encadré II.6). Dans le modèle judiciaire dualiste, l’autorité de la concurrence est dotée de pouvoirs d’enquête et doit intenter des poursuites devant les juridictions de droit commun54. Dans le modèle d’organisme intégré, les fonctions d’enquête, d’application des lois et d’arbitrage sont confiées à un seul organe55. Dans ce cas, les tribunaux sont chargés de connaître des appels. 44 Youssef et Zaki (2019), p. 4. Pour un aperçu, voir idem, p. 48. 45 Idem, p. 5. 46 Speelman (2016), pp. 1228-9. 47 Idem, p.65. 48 Idem, p. 51. 49 Arezki (2019). 50 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018) p. 84. 51 United Nations (2015), p.31. 52 Fitche & Co (2018) ; voir également United Nations (2015), p. 30. 53 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), Encadré 2.5. 54 Idem. 55 Idem. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 27 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 De plus, même si en moyenne les autorités de la concurrence deviennent opérationnelles quatre ans après l’adoption d’une loi sur la concurrence, leur mise en service prend souvent plus de temps. En Algérie par exemple, elle a duré 18 ans56. Dans le cas du Maroc, le Conseil de la concurrence était doté de missions limitées et essentiellement consultatives au moment de sa création en 2008. La révision de la loi applicable en 2014 a permis d’élargir ses pouvoirs en lui conférant des compétences de décision, de sanction, d’imposition d’amendes et de saisine. Le Conseil est devenu pleinement opérationnel en novembre 201857. Encadré II.6 Les autorités de la concurrence dans la région MENA La composition des autorités de la concurrence dans la région MENA dépend des éléments empruntés au système américain ou européen par le pays concerné. La Tunisie et le Maroc ont adopté un modèle d’organisme intégré58, tandis que l’Égypte, la Jordanie et Oman suivent plus ou moins le modèle dualiste. Cependant, l’autorité égyptienne de la concurrence saisit les tribunaux, alors que la Jordanie et Oman renvoient les affaires au parquet59. Dans les Émirats arabes unis, en Jordanie, au Qatar et au Yémen, les autorités chargées de la concurrence font partie intégrante d’un ministère60. Il existe toutefois des variations locales quant aux pouvoirs attribués aux autorités de la concurrence et à leur capacité à faire appliquer les lois61. La plupart des pays de la région accordent aux autorités nationales de la concurrence le pouvoir de faire appliquer le cadre réglementaire afin de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles62. Mais certains autres, comme l’Égypte et la Jordanie, ont choisi de remettre ce pouvoir au système judiciaire, tandis que la Tunisie et le Maroc l’ont conféré à l’administration63. Les mécanismes judiciaires ne sont uniformes pour aucun des groupes visés64. Si la réalité pour les autorités de la concurrence de la région MENA est plus nuancée que ne le laisse penser la dichotomie entre les modèles intégré et dualiste, la distinction demeure néanmoins, lorsqu’on évoque le rôle que jouent les institutions du secteur de la justice. Le rôle des institutions judiciaires dans les affaires de concurrence varie selon que les pays combinent l’application des lois et la prise de décisions au sein d’un seul organe ou ces prérogatives sont réparties entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. En général, dans le modèle dualiste, les institutions judiciaires sont distinctes des autorités de la concurrence. Dans le modèle d’organisme intégré, l’autorité de la concurrence est une structure hybride alliant un organe exécutif et un tribunal spécialisé, ce qui brouille ou élimine la distinction entre les autorités de la concurrence et les institutions du secteur de la justice. Pour assurer le bon fonctionnement de toute autorité de la concurrence, il est important qu’elle soit indépendante, dans une certaine mesure, de la gestion courante des activités d’un ministre ou des organes politiques de l’État65. Dans le modèle d’organisme intégré, des questions comme l’indépendance de l’appareil judiciaire et du parquet font partie intégrante de l’analyse de l’indépendance des autorités chargées de la concurrence. En l’absence de mécanismes de contrôle suffisants pour garantir le respect des formes légales et prévenir toute partialité dans la prise de décisions, la concentration des pouvoirs dans ce modèle représente une faille majeure en matière de gouvernance66. Dans le modèle dualiste, l’enquête est confiée à l’autorité de la concurrence, qui doit alors porter l’affaire devant les tribunaux. Sans une autorité de la concurrence et un système judiciaire performants, dotés de moyens suffisants et jouissant 56 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018) p. 83. 57 Youssef et Zaki (2019), p. 5. 58 Speelman (2016) p.1235. 59 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018) p. 87. 60 Youssef et Zaki (2019). 61 Speelman (2016) pp. 1230-31. 62 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018) p. 87. 63 Speelman (2016) p. 1251. 64 Les systèmes judiciaires sont totalement différents en Jordanie et en Égypte. Id. 65 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), p. 89. 66 Idem, p. 92. 28 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD de l’autonomie voulue, la contestabilité serait hors d’atteinte. Si l’une quelconque des institutions requises ne s’acquitte pas convenablement de sa mission ou fait l’objet d’une mainmise extérieure, c’est l’ensemble du système qui sera grippé. La première affaire en Égypte a permis de se rendre compte de l’efficacité de l’ensemble des institutions (voir encadré II.7). Encadré II.7 L’affaire historique de concurrence en Égypte en 2008 La première affaire de concurrence portée devant les tribunaux égyptiens en 2008 concernait neuf grandes cimenteries. L’Autorité égyptienne de la concurrence (ECA) avait adressé son rapport au ministère du Commerce et de l’Industrie pour que soient engagées des poursuites pénales. Jusqu’en 2014, l’ECA n’était pas habilitée à saisir directement les tribunaux. L’objectif en 2008 était de démanteler un cartel qui fixait les prix et les parts de marché. Le tribunal de première instance avait confirmé les conclusions de l’Autorité et imposé aux sociétés concernées et à leurs dirigeants l’amende maximale prévue en cas de violation de la législation relative à la fixation des prix et d’entrave au processus de commercialisation des marchandises67. Les prévenus avaient fait appel en invoquant uniquement des vices de procédure, mais le jugement avait été confirmé68. Les coûts excessifs des procédures judiciaires, les longs retards accusés au stade de la mise en accusation, du procès et de l’exécution des sentences, ainsi que la qualité médiocre des décisions de justice sont autant de facteurs importants, qui expliquent les défaillances des systèmes judiciaires et constituent des obstacles majeurs à surmonter pour garantir la contestabilité. Certains y voient une faiblesse du modèle dualiste69. Or, ces mêmes faiblesses des magistrats de siège et du parquet se retrouvent dans le modèle d’organisme intégré, sauf qu’ici, les problèmes doivent d’abord être réglés au sein de l’autorité elle-même pour garantir la contestabilité. Bien que toujours fastidieuse, cette tâche peut sembler plus facile à gérer et digne d’intérêt, compte tenu des autres avantages que présente ce modèle70. La concentration des pouvoirs en seul lieu permet de garantir que l’autorité de régulation créée soit forte et armée d’une palette d’outils qui inclut normalement ceux réservés aux tribunaux. Les tribunaux civils, pénaux et administratifs ont un rôle plus limité, fonctionnant plus ou moins comme instances de recours contre le pouvoir de décision et d’exécution des sentences de l’autorité de la concurrence. Cependant, cette concentration de pouvoirs rend le modèle d’organisme intégré plus vulnérable à l’accaparement par les élites, ce qui pourrait compromettre la contestabilité. Dans un système dualiste, il faudrait accaparer plus d’une institution pour limiter la contestabilité. En conséquence, il est particulièrement important de bien penser le dispositif retenu eu égard à l’indépendance des participants audit dispositif, leur nomination, leur inamovibilité et à d’autres caractéristiques de protection institutionnelle. Cependant, les bonnes pratiques internationales à cet égard ne sont pas toujours suivies dans la région MENA71. Quelle que soit l’approche retenue (dualiste ou intégrée), le système judiciaire demeure essentiel pour accroître la contestabilité. Les autorités de la concurrence sont les premiers interlocuteurs logiques des nouveaux entrants qui dénoncent les violations de la législation relative à la concurrence par les entreprises en place. Pour être bien établie, la contestabilité dépend des tribunaux de droit commun selon l’approche dualiste, et de l’autorité de la concurrence jouant le rôle d’un tribunal de première instance spécialisé selon le modèle d’organisme intégré. Toutefois, le système de juridictions de droit commun est indispensable pour accroître la contestabilité dans les deux cas (voir encadré II.8). Les tribunaux de droit commun offrent normalement la possibilité de faire appel des décisions et jugements rendus par le tribunal de première instance, ce qui assure la régularité de la procédure. Ces garanties procédurales sont des préalables à la mise en œuvre d’une véritable politique de concurrence. Les cours d’appel et les juridictions supérieures (comme la Cour suprême aux États-Unis) garantissent également l’application uniforme de la loi. Elles veillent à l’application 67 Voir Elfar (2009). 68 Speelman (2016), p. 1248. 69 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), p. 91. 70 Idem, p. 92. 71 Idem., p. 89 pour l’indépendance, p. 90 pour le processus de nomination, p. 93 pour la composition du conseil d’administration, et p. 95 pour l’équité de la procédure et la transparence. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 29 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 exacte et cohérente de la loi sur la concurrence, assurant ainsi la sécurité juridique et la prévisibilité. Si les cours d’appel sont accaparées par les élites et ne remplissent plus convenablement leurs fonctions, elles deviennent une entrave à la contestabilité, car elles ont le pouvoir arbitral de renverser des décisions rendues au niveau de l’autorité de la concurrence et d’un tribunal de première instance. Par conséquent, la mise en œuvre réussie de l’un ou l’autre modèle de législation en matière de concurrence dépend du fonctionnement globalement satisfaisant de l’appareil judiciaire. Encadré II.8 Les tribunaux de première instance et d’appel Différentes composantes du système judiciaire (tribunaux de première instance et cours d’appel) sont généralement saisies des affaires de concurrence. Dans la région MENA, il n’existe pas de principe général selon lequel les appels doivent être interjetés devant des tribunaux civils ou jugés systématiquement devant les tribunaux administratifs. En Tunisie, les décisions rendues par l’Autorité de la concurrence selon le modèle intégré peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Dans le système dualiste de la Jordanie, les tribunaux civils ont compétence pour juger des affaires en vertu de la loi sur la concurrence et la loi sur la concurrence déloyale. Les affaires de monopole économique et de concurrence sont envoyées à un tribunal civil spécial, à savoir la « Chambre économique ». Toutes les affaires peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation de Jordanie. Les appels formés contre les décisions du ministère du Commerce et de l’Industrie en vertu de la loi sur la concurrence peuvent, toutefois, être entendus par le tribunal administratif. Ce dernier est compétent pour annuler des décisions de l’administration et l’a déjà fait. La compétence des tribunaux va bien au-delà de simples affaires de concurrence. Il est aussi possible de contester devant le système judiciaire civil, pénal et administratif des décisions qui dépassent le champ de compétence des autorités de la concurrence. Par exemple, sauf si la loi sur la concurrence exclut la responsabilité délictuelle générale72 (autrement dit pour des actes répréhensibles), les requérants pouvant établir les trois éléments constitutifs de la responsabilité délictuelle (faute, préjudice et lien de causalité) ont normalement la possibilité de mettre en cause un comportement anticoncurrentiel devant les juridictions compétentes73. La contestabilité dépend également de la capacité des nouvelles entreprises à demander des comptes aux autorités publiques et aux agents de l’État pour des comportements anticoncurrentiels. Les tribunaux administratifs peuvent être des lieux de contestation du comportement de responsables publics qui favorisent les opérateurs déjà établis. Ce comportement s’illustre, entre autres, par le refus de délivrer aux nouveaux entrants des licences et permis dans les mêmes conditions que celles qui avaient été offertes aux entreprises déjà établies. De tels actes administratifs peuvent être contestés par les nouveaux venus. Si le comportement incriminé est mû par la corruption (des pots-de-vin par exemple) ou par toute autre intention criminelle, les juridictions pénales ordinaires ont un rôle important à jouer pour diversifier l’arsenal de moyens à la disposition de ces derniers pour mettre en cause les entreprises en place et leurs alliés. La loi sur la concurrence est muette sur la passation des marchés publics, mais les tribunaux peuvent jouer un rôle dans ce domaine en permettant aux nouveaux entrants sur le marché d’attaquer les actions des responsables publics qui favorisent les entreprises déjà établies. Les marchés publics sont une source essentielle d’opportunités d’affaires. Ils représentent un cinquième du PIB mondial et près de la moitié des dépenses publiques dans les pays à revenu intermédiaire74. L’accès à l’appareil judiciaire important pour protéger les marchés publics contre les privilèges et la corruption. Il consolide la contestabilité en garantissant une concurrence à armes égales entre les entreprises soumissionnaires et en permettant ainsi que le processus d’attribution soit contestable, d’abord sur le plan administratif, puis sur le plan judiciaire. Les restrictions d’accès à la justice finissent par compromettre l’utilité des réglementations qui favorisent la transparence et un traitement équitable lorsque les entreprises ne peuvent pas obtenir réparation en cas d’irrégularités75. Les tribunaux sont aussi indispensables pour faire appliquer les lois en vigueur dans les secteurs 72 Cette exclusion existe en Tunisie, par exemple : les entreprises ne peuvent pas porter une affaire devant d’autres tribunaux si celle-ci a trait à des pratiques anticoncurrentielles. 73 Cela est semblable à un cas de rupture injuste de relations commerciales soumis aux tribunaux aux fins d’indemnisation. D’un point de vue réglementaire, cette mesure de régulation de la concurrence ne favorise pas la cohésion. 74 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018), p. 45. 75 Idem, p. 48. 30 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD clés de l’économie (électricité, télécommunications, transport, etc.), surtout lorsque les cadres juridique et réglementaire nuisent à l’accès des nouvelles entreprises aux infrastructures essentielles dans des conditions non discriminatoires. Les faibles niveaux de contestabilité dans la région MENA Figure II.5 Indépendance de la justice dans une sélection montrent que les nouveaux entrants sont défavorisés de pays de la région MENA, en comparaison de quelques par rapport aux entreprises déjà établies sur le marché, pays retenus à cette fin, 2018 particulièrement celles qui ont de fortes connexions politiques. Score de 0 à 10 Dans ces circonstances, et en supposant que le cadre juridique Roumanie Afrique du Sud et réglementaire requis soit en place, les nouvelles entreprises Brésil attendent des tribunaux qu’ils soient des arbitres indépendants, Inde Pologne qu’ils remplissent correctement leur mission de façon à garantir Tunisie Jordanie en quelque sorte les mêmes chances à tous, et qu’ils défient le Koweït statu quo. Les tribunaux peu performants viennent renforcer Liban Algérie l’écran, qui protège les entreprises en place et favorise le Égypte népotisme, et réduisent les chances de réussite des actions Irak Russie destinées à bousculer l’ordre établi. Comme indiqué plus haut, Turquie Qatar les résultats de la région MENA en ce qui concerne l’État de EAU droit et l’accès à la justice sont moins bons que ceux des autres Yémen Bahreïn régions. Le règlement accessible et impartial des différends est Chine Iran généralement considéré comme un élément clé de l’état de Libye droit, car il suppose que la justice est rendue à temps par des Maroc Oman acteurs compétents, indépendants, accessibles, et neutres ayant Arabie saoudite le sens de l’éthique et des ressources suffisantes, et reflétant Syrie la composition des communautés qu’ils servent. De même, 0 2 4 6 8 10 Source : Indice de transformation Bertelsmann76. l’appareil judiciaire est moins indépendant dans les pays de la région MENA qu’ailleurs dans le monde (voir figure II.5). La MENA obtient des résultats relativement médiocres par Figure II.6 Efficacité des pouvoirs publics dans la région rapport à d’autres régions en ce qui concerne l’efficacité MENA en comparaison d’autres régions en 2017 des pouvoirs publics77 (voir figure II.7), et notamment du 100 secteur de la justice. 90 Concernant particulièrement les tribunaux, de nombreux 80 systèmes judiciaires dans la région MENA affichent des 70 69 résultats peu satisfaisants relativement à la qualité des 60 procédures en place pour desservir les usagers. C’est 50 52 55 pourquoi dans le rapport Doing Business de la Banque 40 37 44 30 mondiale, beaucoup de pays de cette région enregistrent 26 20 des scores médiocres sur l’indice de la qualité des 10 procédures judiciaires78 (voir figure II.7). À l’exception des 0 Émirats arabes unis et de Malte, aucun pays de la région SSA SAR MENA LAC EAP ECA ne présente un résultat même équivalent à la moitié des Source : Indicateurs de la gouvernance dans le monde. points disponibles. 76 L’Indice de transformation Bertelsmann définit l’indépendance du système judiciaire comme la capacité et l’autonomie de ce système à interpréter et à examiner les lois, les législations et les politiques existantes, à la fois en droit public et privé ; à suivre son propre raisonnement, franc de toute influence des responsables politiques ou de groupes et autres individus puissants et à l’abri de la corruption ; et à mettre en place une organisation différenciée fondée sur l’éducation juridique, la jurisprudence, la nomination des magistrats dans le respect de la réglementation, des procédures rationnelles, le professionnalisme, les voies de recours et l’administration de la justice. 77 D’après les indicateurs de la gouvernance dans le monde, les données sur l’efficacité des pouvoirs publics rendent compte des « perceptions de la qualité des services publics, de la qualité de la fonction publique et de son indépendance vis-à-vis des pressions politiques, de la qualité de la formulation et de la mise en œuvre des politiques publiques et de la crédibilité des engagements des pouvoirs publics vis-à-vis de ces politiques (Kaufmann et al., 2010). 78 L’indice de la qualité des procédures judiciaires est un indice composite qui rend compte de la mesure dans laquelle les tribunaux disposent de procédures spécifiques jugées conformes aux bonnes pratiques internationales. Pour en savoir plus, visiter le site www.doingbusiness.org. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 31 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Figure II.7 Scores d’une sélection de pays de la région MENA au titre de l’indice de la qualité des procédures judiciaires79 16 14 12 10 8 6 4 2 0 ie an ie te n e e n an rie rie ta n oc en k ar t di e U ti eï eï si by Ira ba an rd aza Ira yp ou bi te ou al EA m at ar m Sy gé ni w hr o sa ra j Li M Li rd Yé Ég Q jib O M s Ko Tu Ci et G Ba Al A Jo D JJStructure et procédures judiciaires (0 – 5) JJGestion des affaires (0 – 6) JJAutomatisation des tribunaux (0 – 4) JJRésolution alternative des conflits (0 – 3) Source : Doing Business 2019, Exécution des contrats. L’absence de pratiques exemplaires dans une grande partie de la région MENA fait que les tribunaux ne donnent pas satisfaction en matière de prestation de services, ce qui limite davantage la contestabilité. Dans les économies fragiles et touchées par un conflit (Cisjordanie et Gaza, Libye, Syrie et Yémen, etc.), la situation est évidemment plus difficile. Mais même les pays à revenu intermédiaire non fragiles, voire ceux à revenu élevé de la région MENA, ont encore du mal à assurer la contestabilité80. En général, les domaines qui laissent à désirer sont l’efficacité dans la prestation de services, la qualité des services fournis et l’accès aux services. S’agissant de l’efficacité de la prestation de services, de nombreux systèmes judiciaires de la région connaissent des retards à tous les niveaux de la procédure (y compris les enquêtes, les auditions, le jugement et l’exécution de la décision). Si l’on impute généralement ces retards aux dysfonctionnements des cadres réglementaires et à l’insuffisance des capacités, la Banque mondiale a constaté qu’ils sont plutôt des symptômes que des causes de défis plus vastes relevant de l’économie politique, et que leurs causes profondes sont liées à la nature des négociations entre les élites en place81. Ces insuffisances limitent également la contestabilité, les retards ayant tendance à profiter aux entreprises en place, qui sont plus fortes. De même, la qualité de la sécurité juridique et de la prévisibilité aux étapes de l’enquête, du jugement et de l’exécution des sentences demeure parfois faible et tient à des incohérences dans l’application de la loi. Certes, ces défaillances dans la prestation de services est un défi commun à de nombreux systèmes judiciaires dans la région MENA, mais il est plus marqué dans les affaires de concurrence, celles-ci étant techniques et requérant la maîtrise de concepts économiques — que peu de juges possèdent82. Les insuffisances des services tendent à aider ceux qui ont des poches plus pleines et entretiennent de meilleurs rapports avec les élites, car étant déjà établis, ils n’ont pas fondamentalement besoin de tribunaux efficaces et peuvent compter sur un statu quo à leur avantage. 79 Le graphique montre les résultats obtenus dans trois groupes de pays répartis sur la base du PIB par habitant : pays fragile et en situation de conflit ; pays à revenu intermédiaire non concernés directement par la fragilité et les conflits ; et pays à revenu élevé. Dans chaque groupe, les pays sont classés par ordre croissant selon leur résultat. 80 Speelman (2016), p. 1252. 81 Voir World Bank (2017). 82 Voir, par exemple, Khemani (2007), p. 34-35. 32 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD 1C. Les pays de la région MENA utilisent différentes approches pour garantir la concurrence83 Si la quasi-totalité des pays de la région MENA disposent de lois et d’institutions visant à garantir la concurrence dans leurs économies, ils adoptent pourtant, en la matière, des approches différentes et plus ou moins efficaces. L’on trouvera ci-après le profil de cinq pays de la région et leurs cadres de concurrence et de réglementation. ÉGYPTE La Loi de 2005 sur la protection de la concurrence en Égypte a permis de mettre en place des entités essentielles à la promotion de marchés compétitifs, notamment l’Autorité égyptienne de la concurrence (ECA)84. Cette loi, qui s’applique aussi bien aux opérateurs privés que publics, interdit les accords anticoncurrentiels, les actions concertées et les abus de position dominante ou monopolistique. Elle a été modifiée en 200885 et révisée en 201486 dans le cadre d’une réforme constitutionnelle, mettant en relief le rôle d’une politique de concurrence dans l’économie égyptienne87. Les amendements de 2014 ont non seulement renforcé l’indépendance de l’ECA et sa mission de sensibilisation, mais ils ont également consolidé ses instruments d’application via l’imposition d’amendes plus lourdes, le renforcement du pouvoir de règlement des litiges et l’adoption d’un programme de clémence. Par conséquent, le nombre de décisions rendues par l’ECA sanctionnant des pratiques anticoncurrentielles a considérablement augmenté et couvre un large éventail de secteurs, dont des accords anticoncurrentiels dans les domaines de l’assurance, des produits pharmaceutiques, des engrais et de l’aviculture et des abus de position dominante dans les télécommunications, l’électricité, les médias et le sport. Toutefois, d’importantes préoccupations subsistent, concernant notamment les limites du mandat de l’ECA : •• La structure de gouvernance de l’ECA peut brider son indépendance, particulièrement en raison de la présence de représentants de ministères dans son Conseil d’administration88 ; •• L’incapacité à imposer des amendes pour dissuader les comportements anticoncurrentiels peut affaiblir ses décisions. L’ECA peut recenser les infractions, délivrer des ordonnances prohibitives de pratiques anticoncurrentielles, voire transiger avec les contrevenants par voie extrajudiciaire. Cependant, seules les juridictions économiques peuvent imposer des amendes pour violation des lois antitrust ; •• Toute exclusion et exemption à la loi sur la concurrence (Article 9) peut affaiblir la neutralité concurrentielle et décourager l’entrée sur les marchés. La plupart des pays n’accordent pas de telles exemptions (voir figure II.8) ; •• L’absence de pouvoir sur les fusions rend difficile le contrôle des effets anticoncurrentiels de la consolidation du marché. Des mesures visant à renforcer le mandat de l’ECA sont en cours d’examen devant le Parlement. Le projet de modification de la loi permettrait de créer un conseil impartial (composé du président de l’ECA et de deux hauts responsables techniques, de juges et d’universitaires) qui rendrait compte au Président et non au Premier ministre. L’ECA jouirait alors d’une plus grande autonomie financière et du droit, actuellement détenu par le pouvoir judiciaire, de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles et d’accroître la transparence grâce à l’obligation accrue de publier les informations pertinentes. 83 Cette section a été rédigée par Graciela Miralles Murciego avec la collaboration de Mahmoud Momtaz et Georgiana Pop et suivant des orientations fournies par Tania Begazo Gomez. 84 Loi no 3 de 2005 sur la protection de la concurrence et l’interdiction des pratiques monopolistiques. 85 Loi no 190 de 2008. 86 Décret présidentiel 56/2014, Journal officiel, Volume 26 bis (e), 2 juillet 2014. 87 Constitution de la République arabe d’Égypte, 18 janvier 2014, disponible à l’adresse : http://www.sis.gov.eg/Newvr/fr3.pdf 88 Le Conseil d’administration de l’ECA compte dix membres, parmi lesquels des représentants de la Fédération générale des chambres de commerce, la Fédération égyptienne des industries, la Fédération générale des associations de protection des consommateurs, le tribunal administratif (Conseil d’État) ainsi que des experts indépendants et plusieurs ministères (Article 12 de la Loi sur la protection de la concurrence). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 33 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Figure II.8 Exclusion ou exemption de la loi sur la protection de la concurrence Panneau A : Proportion de pays qui excluent de la loi sur la Panneau B : Proportion de pays où les entreprises publiques sont concurrence ou qui exemptent, en vertu de cette loi, une conduite soumises à une certaine forme d’exclusion ou d’exemption des imposée ou autorisée par une autre autorité nationale dispositions générales de la loi sur la concurrence 24 dont 15 l’Égypte dont l’Égypte 46 55 JJOui JJNon JJOui JJNon Source : Marchés et politique de concurrence : Indicateurs de réglementation des marchés de produits (PMR) de l’OCDE et du Groupe de la Banque mondiale. Questionnaire à l’intention de la République arabe d’Égypte, base de données PMR de l’OCDE et base de données PMR du Groupe de la Banque mondiale et de l’OCDE pour les pays non membres de l’OCDE. Pour compléter la stratégie répressive de l’ECA, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour promouvoir des réglementations pro-concurrence. L’examen des réglementations et pratiques nationales, qui inhibent la concurrence sur le marché ou fragilisent l’application de la politique de concurrence, est important pour assurer le bon fonctionnement des marchés, tout comme la détection des infractions aux lois en matière de concurrence et la poursuite de leurs auteurs. D’où l’impérieuse nécessité de coordonner l’action des pouvoirs publics visant à créer un environnement compétitif pour les affaires et promouvoir des marchés contestables et ouverts afin d’encourager l’entrepreneuriat et de stimuler l’innovation. La contribution de l’Autorité égyptienne de la concurrence à l’élaboration de règles favorables à la concurrence peut être importante, en particulier sur des questions relatives aux secteurs réglementés, à la participation de l’État aux activités commerciales et au contrôle des prix. Pour définir une politique de concurrence efficace, l’Autorité de la concurrence doit nécessairement travailler de concert avec les organes de régulation des secteurs concernés et d’autres responsables politiques. À titre d’exemple, le fait qu’un représentant de l’ECA siège au conseil d’administration de l’Agence égyptienne de régulation du secteur de l’électricité et de protection des consommateurs (EgyptERA) a permis à l’Autorité de participer activement aux actions menées par le gouvernement égyptien pour intégrer le secteur de l’électricité dans la concurrence. Ce type de coopération est un exemple concret de la manière dont on peut combiner la politique de concurrence à d’autres politiques publiques afin de faire une plus grande place à la concurrence dans le programme économique de l’Égypte. (Source : Équipe du Groupe de la Banque mondiale chargée des marchés et de la politique de la concurrence.) 34 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD JORDANIE En 2002, la Jordanie a été l’un des premiers pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) à adopter une loi sur la concurrence, qui prévoyait la mise en place d’une direction de la concurrence au sein du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Approvisionnements. En 2004, le pays a promulgué une loi destinée à renforcer la concurrence sur ses marchés, qui est en vigueur actuellement. La loi de 2004 interdit les accords anticoncurrentiels et les abus de position dominante. Elle confère à la direction de la concurrence le pouvoir de contrôler les fusions et de limiter les effets négatifs de la consolidation des marchés. Néanmoins, un certain nombre de préoccupations demeurent, concernant l’efficacité du gouvernement jordanien à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, à savoir : •• une indépendance limitée de l’autorité de la concurrence ; •• l’exclusion de la réglementation des prix du champ d’application de la loi sur la concurrence ; •• le faible traitement des ententes ; •• de larges pouvoirs conférés au ministère, dont celui de décider du renvoi des affaires en jugement et des exemptions pour les accords anticoncurrentiels ; •• un cadre procédural peu clair et des critères d’analyse imprécis pour l’examen des fusions. Sans surprise, à peine une quinzaine d’affaires concernant des comportements anticoncurrentiels ont fait l’objet de poursuites depuis 2004 ; la plupart des enquêtes menées par la direction de la concurrence ont été résolues au niveau du ministère sans procédure écrite formelle ni sanction ni notification au public. Cette approche nuit gravement à l’effet dissuasif de la loi et limite les incitations à se conformer à celle-ci. Le droit commercial national confère également au ministère de l’Industrie de larges pouvoirs de contrôle des prix. Le gouvernement fixe des prix plafonds chaque mois pour 14 produits de base (céréales, pain, sucre, huile d’olive et lait) et produits intermédiaires (ciment, fers à béton et pétrole), ce qui peut faciliter la collusion. De plus, les entreprises ne peuvent pas offrir de rabais sans autorisation. Ces limitations empêchent la découverte des prix et entravent des approches de marché axées sur l’efficacité. Étant donné ses ressources limitées, la direction de la concurrence (dotée d’un petit budget et d’un effectif d’environ dix techniciens) ne saurait non plus réaliser de nombreuses études de marché qui militeraient en faveur de réformes propices à la concurrence. Le Groupe de la Banque mondiale mène actuellement une étude pour promouvoir le développement du secteur privé en Jordanie. Il y est recensé un certain nombre de règles adoptées par les pouvoirs publics dans des secteurs clés comme le tourisme et le transport, qui sont susceptibles de compromettre une saine concurrence. Par exemple, les opérateurs d’autobus de tourisme se heurtent à de nombreuses barrières à l’entrée imposées par les autorités, à savoir un capital minimum élevé, des règles concernant le nombre minimal et le type de véhicules à avoir et des restrictions sur les activités commerciales et les garanties bancaires. Des règles similaires pèsent sur le secteur des transports. Les pouvoirs publics fixent les prix les plus bas pour les services de transport de conteneurs et de marchandises diverses et exigent, pour la délivrance d’une licence à une société de transport, que celle-ci dispose d’un nombre minimum de camions en pleine propriété ou en vertu d’un contrat de location. Jordanie 2025, le plan de développement économique et social publié par les autorités en 2015 vise à renforcer le rôle des pouvoirs publics dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, qui nuisent aux consommateurs et limitent la capacité des entreprises à se développer et à affronter la concurrence à armes égales. Toutefois, des difficultés subsistent, du fait notamment d’une application limitée et d’une prise en compte insuffisante des principes de concurrence dans les réglementations sectorielles. (Sources : Loi provisoire sur la concurrence no 49 de 2002 ; Loi no 33 de 2004 sur la concurrence ; Équipe du Groupe de la Banque mondiale chargée des marchés et de la politique de la concurrence ; Jordan 2025. A National Vision and Strategy, 2015, disponible à l’adresse http://inform.gov.jo/en-us/by-date/report-details/articleid/247/jordan-2025 ; WBG (mimeo), , DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 35 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 “Towards a more effective competition policy framework for Jordanian markets ; Inputs form the Markets and Competition Policy team to the Jordan CPSD ; Jordan Economic Growth Plan 2018 - 2022 The Economic Policy Council, 2017, disponible à l’adresse http://jordanembassyus.org/sites/default/files/Jordan%20Economic%20Growth%20Plan%202018-2022.pdf) KOWEÏT L’idée de promouvoir la concurrence était inscrite dans le cadre réglementaire koweïtien bien avant la promulgation de la loi sur la concurrence en 2007. La Constitution koweïtienne de 196189 interdit expressément les monopoles qui ne peuvent être accordés que « par une loi » et « pendant une période limitée ». Elle dispose également que le « développement économique et la croissance de la productivité » sont des objectifs de l’économie nationale. La concurrence est essentielle à la réalisation de ces objectifs. En outre, le Koweït a inscrit dans sa loi les obligations en matière de concurrence énoncées dans les accords internationaux dont il est signataire. Le pays a par exemple adhéré à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce en 1963 et à l’Organisation mondiale du commerce en 199590. L’adoption de la loi sur la concurrence en 2007 a constitué un engagement important du gouvernement koweïtien en faveur du programme d’action sur la concurrence à une période où les seuls pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à disposer d’une législation sur la concurrence étaient l’Arabie saoudite (promulguée en 2004) et le Qatar (2006). La loi koweïtienne prévoyait la création d’un organe de contrôle au sein du ministère du Commerce, à savoir la direction de la concurrence. Cette loi a été modifiée pour mettre en place une agence plus indépendante placée sous la supervision d’un conseil d’administration. Cependant, ce n’est qu’en 2012 que les administrateurs de l’Agence de protection de la concurrence (CPA) ont finalement été nommés. Ce nonobstant, la mise en œuvre était un grand sujet de préoccupation. Une grande partie de l’économie koweïtienne, notamment les entreprises d’État et éventuellement tous les secteurs réglementés, était exclue du champ d’application de la loi. En outre, la CPA n’est devenue opérationnelle qu’en 2017, faute d’avoir pu recruter du personnel technique plus tôt. Qui plus est, la loi de 2007 présentait des vices qui ont rendu difficile la prévention de comportements anticoncurrentiels. Elle limitait l’indépendance de la CPA par rapport au ministère (ce dernier devant approuver les décisions de l’Agence), ne faisait aucune différence entre les ententes et l’abus de position dominante, investissait les tribunaux et non la CPA du pouvoir d’imposition des amendes (selon le modèle égyptien), et plafonnait les sanctions à certains montants au lieu de les arrimer au chiffre d’affaires de l’entreprise. La CPA a cependant obtenu de bons résultats. Elle a mis fin aux pratiques anticoncurrentielles dans des secteurs clés comme les plateformes numériques et l’acier à l’aide d’ordonnances prohibitives, et renvoyé des affaires devant le parquet. Ces dernières années, la CPA a également : •• Soumis au Parlement un projet de loi, actuellement en cours d’examen, qui devrait asseoir son indépendance, renforcer sa sécurité juridique et accroître ses pouvoirs d’enquête ; •• Approuvé une stratégie quinquennale pour préciser son rôle dans l’écosystème de la concurrence. La CPA a aussi commencé à jouer son rôle de promotion de la concurrence. En collaboration avec le Groupe de la Banque mondiale et l’OCDE, elle a publié des avis dans ce sens et conçu des indicateurs de réglementation du marché des produits (PMR) pour le Koweït. Ces indicateurs évaluent dans quelle mesure les règles et réglementations sont favorables 89 La Constitution du Koweït a été signée le 11 novembre 1961. Disponible en anglais à l’adresse http://www.pm.gov.kw/en/state_Of_Kuwait/kuwaitConstitution.jsp 90 Pour la participation générale du Koweït à l’OMC, voir http://www.wto.org/english/thewto_e/countries_e/kuwait_e.htm 36 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD à la concurrence et fournissent des informations essentielles sur lesquelles la CPA peut s’appuyer pour plaider en faveur de réformes proconcurrence. Les données PMR confirment que la réglementation freine la concurrence dans des secteurs clés au Koweït, comme suit : •• Un contrôle excessif de l’État semble être la principale source de préoccupation. Les pouvoirs publics contrôlent toujours ou exploitent directement des secteurs économiques clés, et les entreprises d’État bénéficient d’avantages pouvant nuire à la neutralité concurrentielle. Par ailleurs, la régulation systématique des prix fausse davantage les résultats du marché. •• Les opérateurs établis semblent bénéficier d’une protection réglementaire qui limite la capacité d’autres entreprises à accéder au marché et à concurrencer leur domination. L’électricité, les infrastructures de téléphonie fixe, les services de télécommunications, de gaz et les services postaux de base sont tous des monopoles légaux, ce qui signifie que l’entrée dans ces secteurs est interdite par la loi. De plus, les entreprises publiques qui occupent souvent une position dominante, voire monopolistique dans des secteurs clés sont exemptées de la loi sur la concurrence. •• Les barrières au commerce et à l’investissement limitent également la participation des étrangers à l’économie koweïtienne. Les étrangers sont autorisés à posséder 100 % des parts d’une société seulement si celle-ci remplit certaines conditions et obtient l’approbation de l’Autorité koweïtienne de promotion de l’investissement direct. Qui plus est, les fournisseurs étrangers sont traités moins favorablement lorsqu’il s’agit de taxes et de l’admissibilité aux subventions. Ces dispositions limitent la capacité des sociétés étrangères à exercer une pression concurrentielle sur les entreprises locales. Les pouvoirs publics s’emploient à réduire la participation de l’État à l’économie, promouvoir le développement du secteur privé et diminuer les obstacles au commerce et à l’investissement. Les principales initiatives prises à cet égard comprennent des lois-cadres et spécifiques sur la privatisation et des partenariats publics-privés dans la promotion immobilière, l’éducation, la gestion de l’eau et des eaux usées, le tourisme, les transports et la gestion des déchets solides. Ces initiatives vont dans le bon sens, mais beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne le respect et la défense du droit de la concurrence, afin que le Koweït puisse donner sa pleine mesure à son potentiel. Pour mettre en place une politique de concurrence plus efficace au Koweït, il est essentiel de modifier la législation applicable et les réglementations sectorielles pertinentes. (Sources : Legal Review of the Kuwait Competition Law, World Bank Group, May 2014, Mimeo ; Loi no 10 de 2007 sur la protection de la concurrence au Koweït, telle que modifiée par la Loi no 2 de 2012 ; Rapport annuel de la CPA 2017-18 ; AbdelSalam, I (2 janvier 2019). Entretien de presse avec le président de la CPA, https://www.aljarida.com/ articles/1546351012212819000/ [consulté le 23 août 2019] ; Plan stratégique CPA 2018-23.) ARABIE SAOUDITE L’Arabie saoudite a promulgué sa première Loi sur la concurrence en 2004 en vertu de laquelle a été créé un Conseil de la concurrence placé sous la tutelle du ministère du Commerce et de l’Investissement. Ce Conseil avait notamment pour mission de réprimer les pratiques anticoncurrentielles (ententes et abus de position dominante), d’évaluer les restrictions verticales et de contrôler les effets anticoncurrentiels des fusions. Toutefois, la loi initiale ne s’appliquait pas à toutes les entités publiques et entreprises entièrement détenues par l’État, restreignait le pouvoir de sanction, plafonnait les amendes, limitait son champ d’application aux seules entreprises opérant en Arabie saoudite et conférait au Conseil des ministres de larges pouvoirs pour fixer les prix de tout bien ou service. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 37 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Bien qu’un comité décisionnel ait été habilité en 2014 à imposer des amendes calculées au prorata du chiffre d’affaires des entreprises (concept réglementaire étroitement lié aux recettes), des réformes plus larges étaient nécessaires pour promouvoir un cadre concurrentiel plus efficace pour les marchés saoudiens. À cette fin, le lancement il y a trois ans de la Vision 2030 de l’Arabie saoudite (plan de transformation économique et infrastructurel du Royaume, qui met l’accent sur la réduction des obstacles que rencontrent les entreprises pour pénétrer le marché et en sortir) a induit les changements institutionnels fort nécessaires. En 2017, le Conseil des ministres a transformé le Conseil de la concurrence en Autorité générale de la concurrence (GAC), dotée d’une autonomie financière et décisionnelle. Cette nouvelle configuration a permis d’augmenter les effectifs et la qualité du personnel technique, ainsi que le nombre d’affaires traitées par l’Autorité. Une nouvelle loi sur la concurrence promulguée en mars 2019 a davantage renforcé les pouvoirs de la GAC et introduit d’importants changements relatifs au champ d’application de la loi, notamment : •• en limitant l’exemption aux entreprises publiques détentrices d’une autorisation exclusive des pouvoirs publics de fournir un bien ou un service précis ; •• en élargissant la compétence territoriale de la GAC pour lui permettre de sanctionner les infractions commises par des sociétés opérant hors de l’Arabie saoudite, mais dont les effets se font ressentir à l’intérieur du royaume ; •• en appliquant le droit de la concurrence à tous les secteurs de l’économie ; •• en introduisant des instruments d’application clés comme un programme de clémence et la capacité de régler les procédures par un arrangement. La politique menée par la GAC pour l’application effective de la loi est devenue l’une des meilleures dans la région MENA, s’agissant des affaires instruites et des amendes infligées. La GAC a traité un certain nombre de dossiers complexes ces dernières années, dans le domaine pharmaceutique, le secteur des aliments et boissons, la vente au détail, les télécommunications, les médias et le sport. Le dernier exemple en date est la sanction d’une entente visant à truquer des offres dans le cadre de la fourniture d’oxygène thérapeutique au ministère de la Santé. Cependant, le champ des exemptions et du contrôle des prix reste préoccupant. Les entreprises publiques sont présentes dans des secteurs clés comme les télécommunications, le pétrole et la pétrochimie, où elles occupent généralement une position dominante, en particulier celles exclues du champ d’application de la loi. Cette approche empêche la neutralité concurrentielle et crée des règles du jeu inéquitables. L’application effective de la nouvelle loi adoptée en début d’année pourrait changer cet état de choses et réorienter l’attention de la GAC vers la sensibilisation, afin de vulgariser les principes de concurrence dans tous les marchés saoudiens. (Sources : Analyses de l’Équipe du Groupe de la Banque mondiale chargée des marchés et de la politique de la concurrence ; Loi sur la concurrence publiée par décret royal (M/25) du 04/05/1425H (correspondant au 22/06/2004) ; Résolution no 55 du Conseil des ministres du 20/01/1439h (correspondant au 11/10/2017) ; Nouvelle loi sur la concurrence promulguée par décret royal (M/75) du 29/06/1440H (correspondant au 07/03/2019) ; AlOtaibi, M (2010). Does the Saudi Competition Law guarantee protection to Fair competition? UCLAN ; rapport annuel du CC 2016 ; Rapport annuel de la GAC 2017.) TUNISIE Si la Tunisie semble s’orienter vers la libéralisation économique, ses politiques de concurrence ne favorisent pas une pleine participation du secteur privé, ce qui réduit les possibilités de croissance et de création d’emplois. 38 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD La participation privée est limitée sur plusieurs marchés clés en raison de la présence de monopoles légaux ou d’acteurs dominants — dans des secteurs, tels que le transport aérien et ferroviaire, les opérations portuaires, la distribution d’eau et d’électricité et certaines filières agricoles. Le contrôle administratif des prix et des marges sur le marché couvre aussi un champ relativement vaste, dont celui de produits comme le pain, le lait, les huiles comestibles, la farine, le café, le thé, les fruits et la viande. Le contrôle des prix décourage l’expansion de la production et la diversification vers des activités à plus forte valeur ajoutée pour certaines gammes de produits. L’absence de neutralité concurrentielle entre les entreprises publiques et privées se traduit par des mesures de soutien de l’État et des subventions publiques (telles que des injections de capitaux et des garanties en faveur d’entreprises publiques en difficulté financière), qui sont accordées suivant une procédure ad hoc et ne répondent pas à des critères préalablement définis. Le soutien de l’État se solde souvent par un sauvetage récurrent des entreprises publiques déficitaires, qui grève le budget de l’État et génère des distorsions sur les marchés. Le traitement préférentiel accordé aux opérateurs nationaux — en limitant les investissements étrangers et les exigences administratives — entrave davantage le développement de marchés ouverts ayant peu d’obstacles à l’entrée (ou à la sortie) pour les entreprises. En 1991, la Tunisie était l’un des premiers pays de la région MENA à adopter une loi sur la concurrence. Cependant, le cadre réglementaire et institutionnel pour son application est resté problématique pendant de nombreuses années, en ce que : •• Les règles de concurrence ne reposaient que trop sur des décisions discrétionnaires et contenaient plusieurs exceptions qui limitaient leur efficacité ; •• Le cadre institutionnel a entraîné une duplication des fonctions du Conseil de la concurrence et du ministère du Commerce, a octroyé le pouvoir d’approbation des fusions et de négociation au ministère, et ne prévoyait aucune obligation de publication des décisions du Conseil. L’absence de concurrence retarde le développement et la productivité du marché tunisien. L’Examen de la politique de développement de la Tunisie, réalisé par le Groupe de la Banque mondiale en 2014, a révélé qu’une diminution de 5 points de pourcentage des marges sur le coût de revient — l’amélioration censée résulter d’une concurrence accrue dans un secteur donné — pourrait entraîner une augmentation de la productivité de la main-d’œuvre de 5 % en moyenne91. L’État s’est attaché à renforcer l’efficacité de la politique de la concurrence en 2015 en adoptant une nouvelle loi sur la concurrence après consultation des acteurs nationaux et internationaux, dont la Banque mondiale et l’Union européenne. La loi de 2015 renforçait la mission du Conseil de la concurrence, améliorait la transparence du processus décisionnel du Conseil et du ministère du Commerce (même si la publication des décisions en matière de concurrence n’est toujours pas obligatoire), redéfinissait les critères d’octroi d’exemptions, conformément aux meilleures pratiques de l’UE, autorisait le Conseil à procéder à une analyse économique ciblée pour étayer les enquêtes, introduisait le pouvoir d’accorder la clémence aux dénonciateurs dans les affaires d’entente, simplifiait les procédures d’examen des fusions et augmentait le niveau des amendes. 91 Voir, Examen de la politique de développement de la Tunisie 2014, Groupe de la Banque mondiale, pp. 62 et suivantes. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 39 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Le pays a également approuvé une législation secondaire visant à favoriser la mise en œuvre effective de la nouvelle loi sur la concurrence. Cette législation prévoit des procédures de consultation obligatoire avec le Conseil de la concurrence lors de la rédaction de nouveaux décrets et projets de lois ; des procédures d’exemption de la loi sur la concurrence pour certains accords sur la base de progrès économiques ou techniques ; des directives visant l’augmentation du seuil au-delà duquel les pouvoirs publics doivent être notifiés des fusions ; et des procédures de demande de clémence à l’intention des personnes ou entités coopérant aux enquêtes, lesquelles renforcent la sécurité juridique pour les demandeurs potentiels. Cependant, la seule application de la loi sur la concurrence ne suffit pas à garantir des règles de concurrence équitables. Il est nécessaire d’éliminer les barrières réglementaires à l’entrée dans certains secteurs et de promouvoir l’accès au marché et à la concurrence. En outre, les politiques propices à la concurrence doivent être pleinement intégrées au programme d’action élargi de l’État, et assorties d’une mise en œuvre effective des principes de neutralité concurrentielle sur les différents marchés, notamment en améliorant la transparence et le contrôle de l’aide publique pour réduire les distorsions du marché. Étant donné que la mise en œuvre de la loi sur la concurrence reste un défi, les améliorations apportées au cadre antitrust viendront compléter les mesures visant à réduire les restrictions sur les marchés et devraient remédier à toute distorsion résultant du comportement des entreprises. (Source : Examen de la politique de développement de la Tunisie (Groupe de la Banque mondiale, 2014) et Tunisie : Projet de prêt à l’appui des politiques de développement, environnement des affaires et entrepreneuriat (Groupe de la Banque mondiale, 2017).   40 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 1 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD CHAPITRE 2 : LES ENTREPRISES PUBLIQUES ET LE SECTEUR PRIVÉ Ce chapitre aborde plusieurs aspects du fonctionnement des entreprises publiques, et plus généralement les politiques économiques nationales qui influent sur la concurrence et la contestabilité des marchés : premièrement, il est crucial que les entreprises publiques ne bénéficient pas d’avantages indus par rapport aux opérateurs privés sur les marchés dans lesquels ils s’opposent ; deuxièmement, il faut moderniser la gouvernance des entreprises publiques pour que les ressources qui leur sont confiées par l’État soient exploitées judicieusement ; et troisièmement, la réglementation doit être revue pour réduire au minimum les risques qu’elle fausse la concurrence et veiller à ce qu’elle empêche les différentes parties prenantes de s’engager dans des activités de recherche de rente. Le chapitre se termine par un examen de la façon dont les actifs publics peuvent être mieux gérés. 2A. La question de la neutralité concurrentielle dans la région MENA92 Les marchés fonctionnent mieux lorsqu’ils sont concurrentiels. La concurrence favorise la baisse des coûts et l’innovation et stimule la croissance de la productivité. Elle récompense les producteurs efficaces — et contribue ainsi à garantir une allocation adéquate des ressources, à diminuer les prix et les coûts autant que possible, et à faire en sorte que les consommateurs et autres utilisateurs finaux soient servis au mieux de leurs intérêts. Il ne peut toutefois y avoir concurrence que lorsque toutes les entreprises suivent les mêmes règles, lorsque, pour reprendre le jargon des économistes, elles opèrent sur un pied d’égalité. Cela signifie que les autorités publiques doivent assurer la neutralité concurrentielle pour qu’aucune entreprise — fût-elle publique ou privée, mais avec des relations politiques — ne soit avantagée en raison de ce qu’elle est. Les initiatives de neutralité concurrentielle appuient directement des mécanismes conçus de manière à garantir qu’aucun avantage commercial indu n’est accordé pour orienter la participation de l’État aux marchés — par l’intermédiaire d’entreprises publiques. Lorsque l’État participe dans une large mesure à l’activité économique, comme c’est le cas dans la région MENA, il est essentiel de veiller à ce que tous les intervenants sur le marché opèrent sur un pied d’égalité, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, les entreprises publiques, en particulier celles qui sont déficitaires, grèvent souvent le budget de l’État ; cet effet peut de surcroît être amplifié lorsque l’ingérence des milieux politiques réduit l’intérêt de produire des gains d’efficience et encourage la recherche de rente. Deuxièmement, les entreprises publiques évincent généralement l’investissement privé lorsqu’elles opèrent dans des secteurs où l’activité privée est viable93. Enfin, les entreprises publiques jouissent généralement de certains privilèges (notamment l’accès à des financements qui ne sont pas toujours mis à la disposition des entreprises privées ou l’exemption de l’application de la législation antitrust) qui faussent les résultats du marché. Les observations recueillies montrent que les entreprises publiques ont plus d’emprise sur le marché que les autres. Selon une étude consacrée par la Banque mondiale aux entreprises publiques en Chine, les entreprises de ce type qui sont entièrement contrôlées par l’État ont des marges bénéficiaires (écart entre les coûts et le prix de vente) plus élevées que les autres. 92 Cette section a été rédigée par Graciela Miralles Murciego en collaboration avec Georgiana Pop et Azza Raslan suivant des orientations fournies par Tania Begazo Gomez. Elle s’appuie sur le cadre de politique de la concurrence mis au point par l’équipe du Groupe de la Banque mondiale chargée des marchés et de la politique de la concurrence, notamment le cadre d’analyse de la neutralité concurrentielle et des effets des entreprises publiques sur les marchés. 93 La viabilité du secteur privé s’entend de la capacité des entreprises privées à fournir un bien ou un service sur une base commerciale. Les opérateurs privés peuvent aussi offrir des services non rentables d’un point de vue commercial, comme les services postaux universels, lorsqu’ils sont suffisamment compensés par l’État. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 41 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Ces marges servent généralement de variable de remplacement du degré de concurrence sur un marché. La concurrence limite l’aptitude d’une entreprise à accroître sa marge bénéficiaire. En plus des échanges qu’elles ont avec d’autres acteurs sur leur propre marché, les entreprises publiques fournissent des biens et services aux marchés situés en aval et s’approvisionnent en intrants auprès de marchés en amont, influant ainsi sur l’ensemble des chaînes de valeur auxquelles elles participent. De plus, même des chaînes de valeur complètement déconnectées peuvent aussi être conditionnées par des entreprises publiques qui bénéficient d’un accès privilégié à des intrants physiques ou financiers particuliers ou qui réussissent à faire pression sur la politique économique nationale (voir encadré II.9). Encadré II.9 Montrer sa force L’emprise des entreprises publiques sur le marché peut se faire sentir tout au long de la chaîne de valeur. Un contrôle en amont En Égypte, la Sugar and Integrated Industries Company, qui est contrôlée par le ministère des Approvisionnements et du Commerce extérieur est la société holding de toutes les raffineries de sucre du pays. Les raffineries d’État fixent les prix versés aux agriculteurs pour leurs récoltes. Elles déterminent ces prix non seulement sur la base des conditions du marché, mais aussi en fonction des revenus des agriculteurs et de la compétitivité de la production intérieure par rapport aux importations. Un marché pour soi La Mauritanie a créé la Société mauritanienne de produits laitiers (SMPL) pour pouvoir produire tout le lait dont le pays a besoin, ainsi que toutes sortes de produits laitiers. Le nouveau marché du fromage qui s’établit dans le pays ne peut toutefois pas absorber à la fois la production de la SMPL et celle des entreprises privées. La SMLP qui, en sa qualité d’entreprise publique, a plus facilement accès au crédit, pourrait donc évincer les producteurs privés de fromage qui ne jouissent pas d’un tel avantage financier. Autres marchés Les entreprises publiques vietnamiennes ont facilement accès au crédit des banques d’État, ce qui leur permet d’obtenir des volumes de ressources financières, tels que les petites et moyennes entreprises (PME) ne peuvent se procurer aucun financement. Au début des années 2000, seulement 20 % des prêts aux PME émanaient d’institutions financières, le reste venant de sources informelles telles que des membres de la famille et des amis. Sources : Assessment of Egypt’s Sugar Market (WBG 2016 Presentation; Mauritania: Competition Policy for a Diversified Economy. Washington DC : World Bank. 2018 ; Voir Competition Policy in Vietnam. Washington DC : World Bank. 2015. ÌÌPrincipes de la neutralité concurrentielle Il importe que les autorités publiques suivent deux séries de principes fondamentaux lorsqu’elles s’emploient à assurer la neutralité concurrentielle : l’une concerne le comportement des entreprises et l’autre le climat de l’activité économique aux niveaux sectoriel, intersectoriel et réglementaire (voir figure II.9). Au niveau de l’entreprise, en vertu des principes établis : •• Les activités commerciales des entreprises publiques (qui font concurrence aux activités des entreprises privées), ainsi que leurs activités non commerciales (qui fournissent un service public) doivent être séparées, et les coûts relatifs à chacun de ces types d’activité doivent être déterminés et correctement imputés. Il sera ainsi 42 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD plus difficile à une entreprise publique de subventionner ses opérations commerciales au moyen des recettes publiques qu’elle reçoit à l’appui de ses opérations non commerciales. •• Les entreprises publiques doivent afficher, pour leurs activités commerciales, un taux de rentabilité comparable à celui enregistré par les entreprises privées. Figure II.9 Application du cadre de neutralité concurrentielle à la région MENA Analyse de l’écart de neutralité concurrentielle Rationalisation de la structure opérationnelle Recensement des coûts de chaque fonction Obtention d’un taux de rentabilité commerciale des activités commerciales de l’État Non-constitution en société dans Absence de séparation comptable/d’affectation Absence d’obligation expresse d’obtenir certains secteurs/pays. des coûts/des activités commerciales/des un taux de rentabilité commerciale. Absence de distinction entre les activités activités non commerciales. Absence d’obligation pour les entreprises commerciales et les activités non commerciales. publiques de recouvrer leurs coûts directs au moyen de leurs propres recettes. Absence d’obligation de comparer les transactions des entreprises publiques à des transactions similaires d’opérateurs privés. Principes au niveau de l’entreprise : séparation des activités commerciales et non commerciales des entreprises publiques Neutralité réglementaire Passation des marchés publics Neutralité du régime fiscal Neutralité des conditions d’emprunt et des subventions directes Exclusions et exemptions ciblées de Exclusions et exemptions pour Bien que les entreprises publiques Accès préférentiel au crédit par la loi sur la concurrence, par exemple les entreprises publiques. dans la majorité des pays de la région l’intermédiaire des banques d’État. pour les services collectifs, l’industrie Discrimination explicite au niveau MENA soient, en principe, assujetties Absence de règles régissant pétrolière, les industries de réseau. de l’accès en faveur des au régime fiscal au même titre la conception des subventions Exclusions et exemptions des entreprises locales et obligation que les entreprises privées, certaines de manière à réduire autant dispositions du droit commercial expresse d’avoir un contenu local. entreprises publiques bénéficient que possible les distorsions (faillites, audit). d’exceptions diverses, notamment de la concurrence. Insuffisance des mesures d’exemptions de l’impôt sur le revenu Existence de privilèges réglementaires de transparence. sectoriels, par exemple industries de réseau. ou de l’impôt sur les sociétés, et d’avantages parafiscaux. Principes intégrés dans un cadre réglementaire intersectoriel et dans les politiques sectorielles Nécessité d’apporter des améliorations au cadre juridique et à la fourniture de l’appui de l’État pour réduire au minimum les possibilités de résultats nuisant à la concurrence Application des mêmes conditions aux entreprises publiques et aux opérateurs privés sur le marché Source : Établi par l’équipe du Groupe de la Banque mondiale chargée des marchés et de la politique de la concurrence sur la base d’informations publiques disponibles sur 18 pays de la région MENA en août 2019. Au niveau plus général, les principes applicables à l’ensemble de l’économie concernent l’assurance de la neutralité de la fiscalité, de la réglementation, de l’accès au crédit et de la passation des marchés publics, et la réduction au minimum des subventions directes ou indirectes aux activités commerciales des entreprises publiques en raison des distorsions que ces subventions peuvent engendrer. Bien qu’il soit important d’assurer dans les faits la neutralité concurrentielle pour réduire le risque que les entreprises publiques aient un comportement anticoncurrentiel et créent des distorsions économiques (voir la première partie, section 1A « Améliorer la compétitivité des marchés de la région MENA » et la section 1B « Concurrence et primauté du droit vont de pair »), les économies des pays de la région MENA n’opèrent fréquemment pas dans un contexte de neutralité concurrentielle en raison des carences des cadres juridique et réglementaire. ÌÌNeutralité concurrentielle au niveau de l’entreprise dans la région MENA Séparation des activités commerciales et non commerciales. Aucun pays de la région MENA n’exige que les entreprises publiques séparent leurs activités commerciales de leurs activités non commerciales, bien que certaines lois sur la concurrence reconnaissent la distinction entre ces différents types d’opérations en limitant le pouvoir juridique aux activités commerciales de ces entreprises (Maroc). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 43 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Certains pays ont adopté les normes comptables internationales (notamment les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, et le Yémen). Ce n’est toutefois qu’au Maroc et en Tunisie que les entreprises sont tenues de distinguer et d’imputer correctement les coûts ; aucun pays ne prescrit de surcroît clairement la nécessité de comptabiliser séparément les coûts et les recettes des activités commerciales et des activités non commerciales des entreprises publiques. Quelques-unes le font d’elles-mêmes. Par exemple, la compagnie aérienne publique marocaine a des rubriques comptables différentes pour les lignes non rentables desservies en raison d’accords conclus avec plusieurs régions pour assurer des liaisons avec ces dernières94. Obtention d’un bénéfice. Aucun pays de la région MENA n’exige de ses entreprises publiques qu’elles affichent des taux de rendement positifs — que ceux-ci soient calculés sur la base de la valeur actuelle nette ou du taux de rendement interne (TRI) — qui sont les mesures généralement utilisées pour déterminer le taux de rentabilité de l’investissement95. Lorsqu’une entreprise publique est chargée d’assurer des fonctions de service public, le taux de rendement du capital est calculé sur la base du taux de rendement interne (TRI) que l’entité obtient pour ses capitaux investis durant la période pendant laquelle elle s’acquitte de ses obligations de service public. De nombreux pays de la région affichent en outre des pertes globales pour leurs entreprises publiques, mais, par suite de l’absence de séparation claire entre les activités commerciales et non commerciales, il n’est pas possible de déterminer si les activités commerciales de ces entreprises sont rentables96. ÌÌProblème de la neutralité concurrentielle à l’échelle de l’économie dans la région MENA Dans la région MENA, l’absence de réalisation de la neutralité concurrentielle est tout aussi notable au niveau sectoriel ou multisectoriel qu’à celui de l’entreprise. Neutralité du régime fiscal : les activités commerciales publiques et privées doivent être traitées sur un pied d’égalité en vertu de la législation fiscale. En Algérie, en Arabie saoudite, en Iraq, en Jordanie, au Koweït, en Libye, au Qatar, en Syrie, en Tunisie et au Yémen, les entreprises publiques sont théoriquement assujetties au même régime fiscal que les entreprises privées. Des exemptions de l’impôt sur le revenu des sociétés continuent toutefois d’être accordées. Les opérations ne relevant pas d’une entreprise constituée en société — par exemple les services proposés indirectement par l’État par l’intermédiaire d’un ministère — sont exonérées d’impôt en Égypte et au Koweït. Les entreprises publiques ne sont pas assujetties à la loi relative à l’impôt sur le revenu au Liban et en Libye. Les entreprises publiques opérant dans le secteur pétrolier jouissent de privilèges fiscaux au Bahreïn et à Oman. Neutralité des conditions d’emprunt et des subventions directes : il est important, pour la plupart des entreprises commerciales, d’avoir accès au crédit, et pour pouvoir opérer dans les mêmes conditions, les entreprises privées et les entreprises publiques doivent avoir les mêmes possibilités d’obtenir des financements aux mêmes conditions. Dans la plupart des pays de la région MENA, les entreprises publiques contractent généralement leurs emprunts à des conditions préférentielles, et peuvent obtenir des subventions auxquelles n’ont pas droit les entreprises privées. En Jordanie, les autorités publiques fournissent un soutien aux grandes entreprises publiques, essentiellement la société nationale d’électricité (National Electrical Power Company – NEPCO) et la compagnie des eaux ; elles accordent notamment à NEPCO, depuis 2011, des garanties au titre de ses émissions obligataires pour assurer une alimentation ininterrompue en électricité97. Dans les Émirats arabes unis, certaines entreprises publiques semblent avoir bénéficié d’injections de capitaux et d’un traitement préférentiel de l’État. L’absence de règles régissant la conception des subventions de manière à réduire le plus possible les distorsions de la concurrence peut exacerber celles qui peuvent déjà exister sur le marché. Neutralité de la réglementation : il importe que les entreprises publiques et privées poursuivent leurs activités, dans la mesure du possible, dans le même cadre réglementaire pour éviter de conférer aux entreprises publiques des avantages 94 Voir Morocco Country Private Sector Diagnostics : A second generation of reforms: Boosting private sector growth, job creation and skills upgrading (World Bank Group 2019, à paraître). 95 Pour une explication détaillée de la valeur actuelle nette et des taux de rendement interne, se reporter à la publication de la Commission européenne intitulée Guide de l’analyse coûts-avantages des projets d’investissement, Fonds structurels, Fonds de cohésion et Instrument structurel de préadhésion, 2008. 96 Il s’agit notamment de pays qui ne publient pas leurs états financiers, comme la Syrie, la Libye et l’Iran, et de pays obtenant des résultats mitigés comme le Maroc, ce dernier comptant des entreprises publiques qui sont financièrement viables et d’autres qui ne le sont pas. 97 U.S. Department of State (2017). 44 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD ayant pour effet de biaiser la concurrence. L’Algérie, l’Arabie saoudite, Djibouti, Oman et le Qatar n’assujettissent toutefois pas les entreprises publiques à la loi sur la concurrence. D’autres pays prévoient des exemptions. Ces dernières peuvent être octroyées au cas par cas, comme en Égypte et en Tunisie98 ; cibler certaines catégories d’entreprises publiques, comme les services collectifs en Égypte, au Koweït, en Syrie et en Tunisie ; ou même, comme dans les Émirats arabes unis, couvrir l’intégralité de secteurs comme ceux des télécommunications, des services financiers et des hydrocarbures. D’autres réglementations appliquées à l’échelle de l’économie peuvent assurer un traitement différent aux entreprises publiques ; c’est le cas des dispositions du droit commercial et du droit sur les sociétés en Tunisie, de la loi sur l’audit en Arabie saoudite et de la loi sur les faillites au Koweït. Les réglementations propres à un secteur particulier prévoient également des exemptions pour les entreprises publiques — notamment dans le secteur de l’électricité au Maroc, des hydrocarbures au Bahreïn et des banques au Liban. Le droit interne peut conférer un monopole aux entreprises publiques dans certains secteurs, comme pour les opérations portuaires au Koweït ; et les transports aériens et les télécommunications en Égypte. Les organismes publics cumulent de surcroît fréquemment des fonctions de régulation et d’exploitation, que ce soit par l’intermédiaire d’organes de régulation fournissant des services ou d’entreprises publiques dotées de pouvoirs de régulation. Par exemple : •• Au Liban, le ministère des Télécommunications fournit des services bien qu’il assume également les fonctions d’organe de régulation99. •• Au Maroc, l’entreprise publique chargée de la construction et de la gestion des autoroutes cumule les fonctions de propriétaire, d’administrateur, de gérant et de fournisseur. •• Dans les Émirats arabes unis, la société publique d’électricité — qui a une mission de production, de transport et de distribution — peut également fixer les tarifs et le niveau des frais de branchement. Passation des marchés publics : pour que toutes les entreprises opèrent dans les mêmes conditions et pour faciliter la participation de concurrents aux marchés de travaux publics, il importe de veiller à ce que les politiques et les procédures de passation des marchés publics soient transparentes, concurrentielles et non discriminatoires, en particulier lorsqu’elles concernent l’accès des entreprises publiques et le traitement qui leur est accordé durant le processus de passation des marchés. En principe, les entreprises publiques ne devraient bénéficier d’aucun traitement préférentiel et présenter des offres au titre de marchés publics sur un pied d’égalité avec les entreprises privées. Toutefois, de nombreuses lois régissant la passation des marchés dans la région MENA réduisent le caractère concurrentiel des soumissions — c’est le cas, par exemple, des règles exigeant un contenu local et de celles qui confèrent un traitement préférentiel aux entreprises publiques, exemptent ces dernières de manière générale des règles de passation des marchés publics ou leur accordent des avantages particuliers. En Égypte, la loi de 2018 sur la passation des marchés publics ne s’applique pas aux entreprises publiques et les autorise à utiliser la procédure par entente directe entre organismes sous réserve de l’obtention de l’autorisation requise. En Jordanie, au Qatar et dans les Émirats arabes unis, le recours à des composantes locales ou nationales donne lieu à un traitement préférentiel. Au Qatar, Qatar Petroleum n’est pas assujetti à la loi sur la passation des marchés. En Jordanie, les entreprises publiques peuvent formuler leurs propres règles de passation des marchés sous réserve qu’elles respectent les principes de liberté d’accès, d’égalité et de transparence. ÌÌAvantages de la neutralité concurrentielle Lorsqu’elle est correctement appliquée, la neutralité concurrentielle peut réduire l’appui accordé à des entreprises publiques inefficaces et réduire dans toute la mesure du possible les obstacles à l’entrée de concurrents constitués par l’octroi de subventions aux investissements d’entreprises publiques particulières ou par la protection conférée par la réglementation aux sociétés publiques en place. De même, l’accès des entreprises publiques aux marchés publics et leur traitement durant le processus de passation des marchés doivent être soumis à des principes d’ouverture, de transparence et d’absence de discrimination. L’examen régulier du rôle de l’État au sein de l’économie peut de surcroît garantir que les entreprises publiques opèrent dans les domaines ou les secteurs dans lesquels les entreprises privées ne souhaitent ou ne peuvent pas poursuivre d’activités. 98 L’Égypte peut accorder des exemptions aux cartels solidement établis si l’efficacité économique de ces derniers génère, pour les consommateurs, des avantages qui l’emportent sur les effets négatifs de la réduction de la concurrence. En Tunisie, le ministère compétent peut fixer les prix pour une période pouvant aller jusqu’à six mois en cas d’irrégularités du marché consistant, par exemple, en une brusque envolée ou une rapide chute des prix. 99 OECD (2013), p.78. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 45 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 2B. Les entreprises publiques doivent se doter d’une gouvernance similaire à celle du secteur privé100 Les responsables de l’action publique, les entreprises privées et les économistes comptent parmi ceux qui demandent de plus en plus instamment que les entreprises publiques opèrent sur une base concurrentielle et créent de la valeur — comme les entreprises privées. Cette demande est justifiée par le fait que les entreprises publiques contribuent largement aussi bien à l’économie des pays développés que des pays en développement. Ces entreprises sont partout dans le monde. Elles opèrent dans des secteurs aussi divers que la fabrication de produits finis, les services collectifs, le secteur bancaire, l’énergie, les télécommunications, les ressources naturelles et les services (comme le tourisme). Selon la Société financière internationale (IFC, 2018), 20 % des investissements mondiaux et jusqu’à 40 % du produit intérieur sont imputables aux entreprises publiques. Cette contribution est plus importante dans les pays en développement, notamment dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). De fait, les entreprises publiques sont une composante fondamentale de l’architecture économique de la région. Elles poursuivent leurs activités dans toute une gamme de secteurs — comme les hydrocarbures et l’électricité, les transports, les télécommunications, les services postaux, les industries manufacturières, le secteur financier et l’immobilier (voir tableau II.4). Étant donné l’importance que revêtent les entreprises Tableau II.4 Part des secteurs clés de 16 pays de la région publiques, il est impératif que les pays, y compris ceux de MENA revenant aux entreprises publiques, 2013 la région MENA, accordent la plus haute importance à leur (Pourcentage des entreprises du secteur) réforme de manière à faire pleinement bénéficier l’économie, Transports 16 et la société dans son ensemble, de leur contribution. Cette Électricité et gaz 10 réforme est fondamentalement tributaire du renforcement Télécommunications 9 de la gouvernance d’entreprise et les efforts déployés à cette Finances 23 fin se sont intensifiés au cours des 20 dernières années. Les grandes réformes de la gouvernance entreprises aux États- Industries manufacturières 13 Unis à la suite des scandales spectaculaires de comptabilité Secteur primaire 14 financière et, plus récemment, de la crise financière Autres services de réseau 6 mondiale, ont accru l’intérêt porté à cette question dans le Autres activités 5 monde entier. Les organisations internationales, notamment Immobilier 4 la Banque mondiale (World Bank 2014b) et l’OCDE (OECD Source : OECD, 2013 ; http://www.oicexchanges.org/docs/third-meeting-istanbul/mena-soes-eng.pdf 2013, 2018), qui encouragent l’adoption des meilleures pratiques de gouvernance en forgeant des partenariats avec les pays, jouent également un rôle en ce domaine. Les lignes directrices de l’OCDE sur la gouvernance d’entreprise ont contribué à porter cette question sur le devant de la scène internationale. Elles présentent les principales thématiques qui doivent être abordées dans le cadre des efforts menés pour réformer la gouvernance des entreprises publiques et proposent des lignes d’action (voir tableau II.5)100. Les entreprises publiques mal gérées, qui se caractérisent par une piètre gouvernance, nuisent aux résultats économiques et deviennent un fardeau pour la société. Ces entités imposent également une charge budgétaire et posent des risques financiers pour l’État. Le manque d’efficacité avec lequel elles fournissent des services et des intrants accroît les coûts de la poursuite de l’activité économique dans le cadre du secteur privé. Elles ont en outre des coûts d’opportunité parce que les ressources gaspillées par des entreprises publiques inefficaces et mal gérées auraient pu être utilisées à des fins productives par d’autres entités, en particulier dans le secteur privé. La principale raison d’être de la gouvernance d’entreprise consiste à séparer la propriété et le contrôle et à prévenir des conflits de type mandant-mandataire entre les composantes de l’entité — détenteurs de capital, créanciers, direction, et 100 Cette section a pour auteur Lemma W. Senbet, William E. Mayer Chair Professor of Finance à la Smith School de l’Université du Maryland, College Park, et consultant à la Banque mondiale. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne doivent pas être attribuées aux entités auxquelles l’auteur est affilié, à savoir la Banque mondiale et l’Université du Maryland. 46 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD autres parties prenantes, notamment les employés, les clients et les fournisseurs. Cette section examine les mécanismes de gouvernance d’entreprise qui ont évolué au cours du temps dans la sphère privée, puis analyse la manière dont ils pourraient être appliqués aux entreprises publiques. Les principes de gouvernance du secteur privé peuvent être une référence par rapport à laquelle serait évaluée la gouvernance des entreprises publiques. Une bonne gouvernance d’entreprise ajoute de la valeur. Une mauvaise gouvernance détruit cette dernière (Gompers et al., 2003 ; Aggarwal, 2010 ; Heo, 2018). Tableau II.5 Lignes directrices de l’OCDE sur la gouvernance d’entreprise Aspect Lignes directrices L’État exerce ses droits d’actionnaire d’entreprises publiques au service de l’intérêt général. Motifs justifiant l’actionnariat public Il lui appartient d’évaluer soigneusement et de rendre publics les objectifs de politique publique motivant sa participation, et de soumettre ceux-ci à des réexamens périodiques. L’État doit se comporter en actionnaire éclairé et actif de manière à garantir que la L’État dans son rôle d’actionnaire gouvernance des entreprises publiques est exercée de façon transparente et responsable, avec un haut degré de professionnalisme et d’efficacité. Les entreprises publiques sur le Conformément aux motifs justifiant l’actionnariat public, le cadre juridique et marché réglementaire régissant les entreprises publiques doit garantir l’équité des règles de jeu lorsque celles-ci exercent des activités économiques. Égalité de traitement des Lorsque les entreprises publiques sont cotées ou comptent parmi leurs actionnaires des actionnaires et autres investisseurs investisseurs autres que l’État, l’État et les entreprises publiques doivent reconnaître les extérieurs droits de tous les actionnaires et veiller à ce qu’ils bénéficient d’un traitement équitable et d’un accès équivalent aux informations sur l’entreprise. L’État doit conduire une politique actionnariale prenant pleinement en compte les Relations avec les parties prenantes responsabilités des entreprises publiques vis-à-vis des parties prenantes et obliger les et responsabilité des entreprises entreprises publiques à rendre compte des relations qu’elles entretiennent avec les parties prenantes. Toutes les attentes de l’État vis-à-vis des entreprises publiques en ce qui concerne la conduite responsable des entreprises doivent être clairement précisées. Diffusion de l’information et Les entreprises publiques doivent observer des normes rigoureuses en matière transparence de transparence et être soumises aux mêmes normes exigeantes de comptabilité, d’information, de conformité et de vérification des comptes que les sociétés cotées. Responsabilité des conseils Le conseil d’administration d’une entreprise publique doit avoir les pouvoirs, les d’administration des entreprises compétences et l’objectivité nécessaires pour assurer sa fonction de pilotage stratégique publiques et de surveillance de la direction. Le conseil d’administration doit agir en toute intégrité et être responsable des décisions qu’il prend. Source : OCDE (2015), Lignes directrices de l’OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques, édition 2015, OCDE, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/9789264244221-fr Une bonne gouvernance d’entreprise présente notamment l’avantage d’élargir l’accès à des financements extérieurs assortis de conditions raisonnables. Les entreprises publiques mal gérées devraient avoir des difficultés à se procurer des financements sur les marchés financiers (intérieurs et internationaux) et, par conséquent, être obligées de modifier leurs processus opérationnels ou de fermer leurs portes. Elles ne sont toutefois assujetties à aucune discipline financière extérieure, car elles ont accès à des ressources publiques. Loin de cesser leurs activités, les entreprises publiques mal gérées continuent d’opérer grâce à leur accès privilégié à des fonds publics et, éventuellement, à d’autres types d’intrants. Les réformateurs doivent donc savoir qu’un bon gouvernement d’entreprise ne peut avoir d’effet positif sur le plan de la discipline que si le milieu dans lequel les entreprises opèrent favorise cette dernière et que les entreprises publiques ne bénéficient pas d’avantages auxquels n’ont pas droit leurs concurrents du secteur privé. Il est nécessaire d’assurer la neutralité concurrentielle (voir la section 2A « La question de la neutralité concurrentielle dans la région MENA »). ÌÌLes incitations ne sont pas les mêmes pour les entreprises privées et pour les entreprises publiques Comme l’indique le tableau II.6, il existe d’importantes différences entre les entreprises publiques et les entreprises privées, qui engendrent des conflits au niveau des incitations pouvant opposer les parties en présence. Le problème le plus pressant que doivent résoudre les entreprises publiques consiste à concilier leurs objectifs commerciaux et les objectifs politiques. Dans le secteur privé, la direction et les actionnaires sont confrontés à la question des incitations. Des acteurs supplémentaires interviennent dans les entreprises publiques, à savoir les politiciens et les bureaucrates, qui peuvent être guidés par leurs propres intérêts. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 47 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Ces entreprises sont donc exposées au risque que les autorités et les politiciens commettent des abus (voir Fan, 2007). Elles n’ont en outre pas de moyens de fournir des incitations à la direction et aux employés, contrairement aux entreprises privées qui peuvent recourir aux mécanismes du marché, comme les options sur titres et le système des primes, pour encourager des comportements servant les intérêts de l’entreprise (voir Faulkelender et al. 2010). Tableau II.6 Différences fondamentales entre les entreprises publiques et les entreprises privées Entreprises publiques Entreprises privées Objectifs Multiples : commerciaux et non- Optimisation de la valeur de l’entreprise ou commerciaux du patrimoine des actionnaires Actionnariat État (unité/s déléguée/s des administrations Actionnaires publiques) Autres parties prenantes Clients, fournisseurs, employés, créanciers, Clients, fournisseurs, employés, créanciers, membres de la population membres de la population Discipline du marché Aucune, sinon très limitée (entreprises Peut faire l’objet d’une offre d’achat ; publiques non cotées) activisme des actionnaires Pour les entreprises publiques cotées — Rémunération liée aux résultats primes et autres incitations aux résultats ; Attribution d’actions gratuites et d’options ce type de rémunération est rare dans le cas des entreprises non cotées Principaux conflits entre les intervenants Direction, actionnaires, politiciens Direction, actionnaires et au niveau des incitations Les principes de gouvernance du secteur privé peuvent servir de référence pour l’évaluation de la gouvernance des entreprises publiques. Il est possible de considérer différents aspects de la gouvernance d’entreprise dans le cadre d’une réforme de la gouvernance des entreprises publiques, en commençant par le conseil d’administration (John et Senbet, 1998). Il est également possible de promouvoir une structure de rémunération des cadres bien conçue, l’activisme des actionnaires (gouvernance directe), les marchés pour le contrôle des entreprises, et un actionnariat institutionnel et concentré (Morck et al., 1989 ; Senbet, 2011). Ces mécanismes ont évolué au cours des ans à la suite de défaillances massives de la gouvernance, en particulier aux États-Unis (voir encadré I.10). Encadré II.10 Des fraudes massives ont provoqué des réformes de la gouvernance d’entreprise aux États-Unis Dans les années 90, la défaillance du gouvernement d’entreprise a donné lieu à une vague d’actes frauduleux concernant la comptabilité financière du secteur des technologies aux États-Unis. On a assisté, entre autres, à la prise de contrôle des conseils d’administration par les présidents-directeurs généraux, permise en partie par le cabinet d’audit externe Arthur Anderson par suite de conflits d’intérêts avec les clients. Ces actes de fraude ont provoqué les faillites notoires d’Enron et de WorldCom. C’est ainsi que la loi phare Sarbanes Oxley (2002) a été promulguée, pour exiger, entre autres, que les comités d’audit institutionnels et l’auditeur externe soient indépendants. Il est apparu, à la suite de la crise financière mondiale de 2008, que l’effondrement de grandes institutions financières, dont Lehman Brothers, avait résulté des distorsions associées aux incitations, notamment l’établissement de contrats de rémunération en actions pour les membres de la haute direction. Ces contrats comportaient de généreux dons d’options, qui ont encouragé la prise de risques excessifs. Face à ce problème, la loi Dodd-Frank, adoptée en 2010, a imposé une plus grande transparence des modalités de rémunération des membres de la direction dans le cadre de la réforme de la gouvernance. La Securities and Exchange Commission exige désormais que les niveaux et la structure des rémunérations des membres de la direction soient pleinement divulgués. Toute réforme doit couvrir un certain nombre de domaines : la définition de la propriété, la constitution en société et la désignation des membres du conseil, l’indépendance et la composition du conseil, la structure du comité du conseil, la séparation des fonctions de président du conseil et de directeur général, et la discipline du marché. Actionnariat des entreprises publiques. Toute réforme de la gouvernance d’une entreprise publique commence par l’établissement d’une définition précise de la structure de son actionnariat. Les entreprises publiques sont fondamentalement 48 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD des entreprises commerciales appartenant, en fin de compte, aux citoyens. Les intérêts de ces derniers sont dûment servis lorsque les entreprises publiques opèrent de manière aussi efficace et transparente que leurs homologues du secteur privé. C’est pour cette raison qu’il importe de séparer les entreprises publiques de l’État en les transformant en des sociétés à responsabilité limitée. Leur constitution en société peut de surcroît réduire l’ingérence des milieux politiques, car elle indique sans ambiguïté aux politiciens, aux fonctionnaires et au grand public que l’entreprise publique est une entreprise commerciale. Il importe ensuite de déterminer qui doit représenter l’État (c’est-à-dire en fin de compte les citoyens) en tant qu’actionnaire. L’administration centrale doit déléguer cette représentation à une entité distincte. Dans l’idéal, cette dernière doit être une institution existante ou créée à cette fin, qui assume la fonction de société holding et protège les intérêts généraux des citoyens, grâce à sa vision générale de l’économie et compte tenu des problèmes de développement que rencontre cette dernière. Il s’ensuit que les ministères de tutelle, qui ont une optique plus restreinte, ne devraient probablement pas être choisis pour représenter les actionnaires. Toutefois, comme le montre le tableau II.7, l’entité décentralisée représentant l’État dans la plupart des pays de la région MENA est un ministère de tutelle (OECD, 2018). Le Maroc a créé un organisme chargé de coordonner les ministères. En principe, l’organisme coordinateur regroupe les fonctions d’actionnaires des différents ministères de tutelle dans l’intérêt public collectif. Tableau II.7 Structures de propriété des entreprises publiques dans la région MENA Structure de propriété Coordination Pays de la région MENA Propriété décentralisée Algérie, Autorité palestinienne, Djibouti, Ministères de tutelle Non applicable Iraq, Jordanie, Liban, Mauritanie, Oman, Qatar, Syrie, Tunisie, Yémen Propriété décentralisée Coordination entre les entités de contrôle, Maroc Organisme de coordination notamment les ministères de tutelle Propriété décentralisée Une partie des portefeuilles des Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte (modèle entreprises publiques est détenue par Non applicable hybride), Émirats arabes unis, Koweït une ou plusieurs sociétés holding de l’administration centrale Source : Analyse en ligne par le Secrétariat de l’OCDE des informations publiques sur les modalités de contrôle par l’État des entreprises publiques de la région sur lesquelles les informations sont disponibles. Le rôle de coordination au Maroc est toutefois délégué au ministère de l’Économie et des Finances. Bien que ce système centralise la fonction de contrôle, il est peu probable qu’il permette d’éviter les conflits d’intérêts qui peuvent survenir entre les ministères sectoriels et la société dans son ensemble. La société de placement est une autre forme d’organisme de coordination qui a été adoptée notamment par la Malaisie et Singapour pour administrer les intérêts stratégiques de l’État dans les entreprises publiques de ces pays et investir dans les secteurs qui pourraient promouvoir la croissance économique et la compétitivité nationale. Plusieurs pays de la région MENA ont adopté une structure similaire, souvent qualifiée de fonds de gestion du patrimoine national. Constitution en société et habilitation du conseil d’administration des entreprises publiques. L’octroi de la pleine autonomie à une entreprise publique en tant que société à responsabilité limitée n’est que la première étape de la réforme de la gouvernance de ce type d’entreprise. Contrairement à leurs homologues du secteur privé, les conseils d’administration des entreprises publiques peuvent avoir des difficultés à diriger et à superviser leurs entités de manière totalement indépendante. Les membres de ces conseils sont désignés par les autorités publiques et sont exposés à l’ingérence politique de l’État, qui pourrait limiter leur capacité à contrôler la stratégie de l’entreprise et nommer les membres de la haute direction. Il est donc essentiel d’habiliter les membres du conseil dans le cadre de toute réforme de la gouvernance des entreprises publiques. Il importe en particulier de reconnaître clairement que c’est au conseil (et non à l’État) qu’il incombe de nommer et de renvoyer le président-directeur général (PDG) et les autres membres de la haute direction. Les possibilités d’ingérence de l’État diminuent considérablement lorsque le conseil a les pouvoirs nécessaires pour nommer le PDG et les membres de la direction. Composition du conseil et double indépendance. L’habilitation du conseil d’administration d’une entreprise publique ne suffit pas à elle seule à assurer pleinement la réforme de la gouvernance. Il faut aussi que le président du conseil soit indépendant. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 49 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Comme dans les entreprises privées, il convient que, indépendamment, les membres du conseil n’aient aucune relation économique — due à l’offre de services de consultant ou autres — avec la direction de l’entreprise ou l’entreprise elle- même (Horstmeyer, 2019). Les conseils d’administration des entreprises publiques sont toutefois confrontés à un problème que n’ont pas les conseils des entreprises privées. Il leur faut en effet non seulement être à l’abri d’une mainmise du PDG et des membres de la haute direction, mais aussi assurer leur indépendance par rapport au secteur public — notamment les hauts fonctionnaires, les élus et les chefs de partis. Par suite de l’attention grandissante portée à l’indépendance du conseil d’administration des entreprises publiques au cours des ans, un certain nombre de pays ont décidé qu’aucun politicien ou représentant de l’État ne pouvait siéger au conseil d’administration d’une entreprise publique (Wang, 2018) — dans le droit fil des lignes directrices de l’OCDE (OECD, 2015) qui stipulent que les membres non dirigeants du conseil d’administration (c’est-à-dire des personnes indépendantes/extérieures) devraient être recrutés dans le secteur privé. Structure du conseil d’administration. En pratique, comme c’est le cas dans les conseils d’administration des entreprises privées, les activités de gouvernance d’une entreprise publique se poursuivent dans le cadre de comités plutôt qu’au niveau du conseil dans son ensemble. L’intérêt que présente la structure de comité pour la gouvernance est bien établi (Klein, 1998). Une attention particulière est portée depuis une vingtaine d’années aux comités d’audit des conseils d’administration qui ont acquis une plus grande visibilité, essentiellement par suite des vastes scandales de comptabilité financière associés à la faillite de sociétés renommées comme WorldCom et Enron. Les comités d’audit ont généralement pour mission non seulement de superviser les activités de comptabilité et d’audit interne de l’entreprise, mais aussi la gestion des risques institutionnels. Les principaux risques ont trait, non seulement aux questions financières et opérationnelles, mais aussi, entre autres, à la cybersécurité. Séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de PDG de l’entreprise publique. Il peut être nécessaire pour réellement réformer la gouvernance d’une entreprise publique de séparer totalement la présidence du conseil d’administration de la fonction de PDG. Les investisseurs institutionnels encouragent cette réforme majeure. En effet l’un des devoirs les plus importants incombant au conseil d’administration est le recrutement (et le licenciement, si nécessaire) du PDG et des membres de la haute direction. Il existe également un conflit d’intérêts lorsque le PDG est aussi président du conseil, puisque c’est ce dernier qui doit fixer le niveau de rémunération du PDG. En cas de cumul des fonctions, le PDG peut saisir le contrôle du conseil, et même créer un poste de PDG impérial. Même si l’État a accordé l’autonomie à l’entreprise publique en la constituant en société, en présence d’un PDG impérial, l’autoritarisme gouvernemental peut se transformer en autoritarisme institutionnel. Si les raisons pour lesquelles il importe de séparer ces fonctions sont évidentes pour éviter un PDG impérial, cette séparation peut déstabiliser les PDG « non impériaux » qui ont de bonnes motivations. Les études consacrées à cette question ne permettent pas de trancher en la matière, ce qui pourrait expliquer pourquoi de nombreuses sociétés S&P aux États-Unis continuent d’avoir des PDG qui président également leur conseil d’administration. La séparation des fonctions de président du conseil et de PDG est plus répandue en Europe. Discipline du marché. Les entreprises publiques cotées en Bourse ont un instrument de gouvernance supplémentaire, qui est la discipline du marché. Les indications données par les marchés des valeurs mobilières sur l’insuffisance des résultats d’une entreprise peuvent amener des arbitragistes externes à tenter de saisir le contrôle de cette dernière et, ainsi, l’inciter à réaliser des gains d’efficacité et des améliorations. Ces dernières peuvent donner lieu au licenciement de membres de la direction peu performants. En pratique, la menace d’une prise de contrôle suffit souvent à entraîner un renforcement de l’efficacité et de la gouvernance. La discipline de marché peut de cette manière compléter le rôle joué par la gouvernance du conseil (Weisbach, 1988 ; John et Senbet, 1998). Dans le cas des entreprises publiques non cotées, une privatisation partielle ou totale peut donner accès aux avantages procurés par la discipline du marché à l’appui de la gouvernance. Une opération de privatisation réalisée par l’intermédiaire d’une bourse exige un marché doté d’un bon système de régulation et de supervision, ainsi qu’une bonne gouvernance d’entreprise (Senbet 2018). Il faut de surcroît que les systèmes de comptabilité et d’audit soient conformes aux principes généralement acceptés. Les cabinets d’audit et de comptabilité fournissent des informations cruciales aux marchés des valeurs mobilières. De fait, les conditions d’admission à la cotation des bourses cadrent pleinement avec les principes de gouvernement d’entreprise et de transparence. Elles constituent, pour les systèmes de marché, un autre moyen de contribuer à améliorer la gouvernance d’entreprise101. 101 L’État contrôle également certains établissements bancaires. Étant donné que les banques sont assujetties aux réglementations publiques, qu’elles soient publiques ou privées, les réformes de la gouvernance d’entreprise doivent s’inscrire dans le cadre des réformes de la réglementation bancaire. Il faut donc se demander dans quelle mesure les principes de la gouvernance d’entreprise du secteur privé peuvent s’appliquer à une conception rationnelle des réglementations bancaires. Il s’avère que, sous réserve que le régime de rémunération des équipes de direction des banques comporte des incitations bien conçues, la gouvernance permet d’établir un cadre réglementaire incitatif (John, Saunders, Senbet, 2000). 50 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD L’activisme des actionnaires peut aider à prévenir l’ingérence des milieux politiques dans les opérations des entreprises publiques. Les actionnaires ont la possibilité d’organiser des campagnes pour veiller à ce que les entreprises publiques cotées respectent les mêmes principes de gouvernance d’entreprise que leurs homologues privées. Dans les économies plus avancées, en particulier aux États-Unis et au Canada, les actions menées par les actionnaires ont débouché sur l’adoption de règles permettant aux détenteurs d’actions d’avoir voix au chapitre en ce qui concerne les niveaux de rémunération de l’équipe de direction et, ce faisant, de faire pression dans le cadre des processus de rémunération du conseil. L’action directe menée par les actionnaires est un instrument supplémentaire de gouvernance d’entreprise résultant du pouvoir des marchés financiers. Elle est également une raison supplémentaire de privatiser les entreprises publiques par l’émission d’actions et de développer des systèmes financiers, y compris des marchés des valeurs mobilières, fonctionnant de manière harmonieuse. Enfin, la gouvernance d’entreprise pourrait passer d’une ère caractérisée par la primauté des actionnaires à une ère caractérisée par la primauté des parties prenantes. En août 2019, la Business Roundtable, qui représente les PDG les plus influents, a publié une déclaration surprenante indiquant que les intérêts des parties prenantes devaient être le but principal de la gouvernance d’entreprise. Par suite de cette déclaration, les dirigeants d’entreprise des États-Unis ont adopté une perspective plus proche de celle fondée sur le principe des multiples parties prenantes adopté dans d’autres pays (Gande, John, Senbet, 2019). Il est très possible que les pratiques de gouvernance d’entreprise convergent pleinement à l’échelle mondiale et permettent d’établir un code mondial unifié de gouvernance d’entreprise. 2C. L’adoption de mesures progressives peut éviter que les élites n’exercent leur mainmise sur les économies de la région MENA102 Pour que les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) puissent diversifier leurs économies de manière à les rendre plus compétitives, il importe que les ressources s’orientent vers les entreprises qui peuvent les utiliser du mieux possible afin de créer davantage d’emplois, en particulier pour les jeunes. Toutefois, sur de nombreux marchés de la région, quelques entreprises jouissent d’un avantage concurrentiel artificiel et injuste en raison de relations privilégiées, tandis que la plupart des autres peinent à pénétrer sur les marchés et à se développer ou sont obligées de demeurer dans le secteur informel103. Il s’ensuit une distribution asymétrique des ressources productives qui est la principale cause de l’ampleur des taux de chômage, qui vont de 15 % à 25 %. Le coût de l’activité économique des entreprises possédant les relations nécessaires est abaissé de manière artificielle, de sorte que ces dernières ne sont guère incitées à innover ou à devenir plus productives104. Par contre, il augmente de manière artificielle pour les autres entreprises qui ne peuvent pas soutenir la concurrence à armes égales. La conséquence est une situation d’équilibre de faible productivité qui explique la lenteur de la croissance et de la création d’emplois observées dans la région ces dernières décennies. Il est essentiel de permettre à tous d’opérer dans des conditions similaires et d’assurer un flux optimal de ressources vers les entreprises les plus productives et les plus prometteuses pour promouvoir les opportunités économiques dans la région. Il est toutefois pratiquement impossible de garantir à tous un traitement uniforme en raison du contrôle qu’exercent souvent les élites sur la formulation des politiques publiques et les décisions prises en matière de réglementation économique. Il existe toutefois des moyens de promouvoir l’application des mêmes règles à tous et d’empêcher que les politiques et les pratiques du secteur privé ne puissent être compromises par la mainmise, les privilèges et la corruption. 102 Meriem Ait Ali Slimane est l’auteur de cette section. 103 Schiffbauer et al. (2015). 104 Aghion et al. (2001). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 51 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 ÌÌLa question des privilèges Le rapport de la Banque mondiale intitulé « Privilege-Resistant Economic Policies in MENA »105 publié en février 2018 propose de simples techniques pour s’attaquer aux privilèges à différents niveaux et tout au long du cycle d’élaboration des politiques publiques de manière à promouvoir le développement du secteur privé. Le premier niveau qu’il convient de considérer est celui de la formulation des politiques — auquel les hommes et femmes d’affaires ayant des relations avec des personnes bien placées peuvent influencer les politiques à leur profit. Cette phase est plus exposée à un risque de mainmise à haut niveau que les autres, mais de simples actions peuvent opposer des obstacles aux personnes bien en cour, et même contribuer à l’application des mêmes règles à tous. La publication des projets de politiques, de lois, de règlements et même de décisions ministérielles avant leur adoption permet au public et aux parties concernées de formuler des commentaires et de proposer des variantes. La publication de ces textes peut non seulement exposer les politiques conçues sur mesure pour aider des entreprises ou personnalités d’affaires particulières, mais aussi permettre aux responsables de l’action publique de considérer des perspectives différentes et partant, d’améliorer la qualité du cadre réglementaire. La Jordanie, par exemple, a pris des mesures pour accroître la prévisibilité des réglementations commerciales (voir l’encadré II.11). Encadré II.11 La Jordanie renforce ses processus de réglementation et de prise de décision Les entreprises jordaniennes, comme celles de nombreux pays de la région MENA, souffrent de l’imprévisibilité du cadre réglementaire. Les prescriptions et les commissions, qui sont fréquemment modifiées sans consultation ni préavis, imposent de lourds coûts d’ajustement qui portent préjudice au secteur privé. Les textes de loi, les règlements et autres réglementations figurant dans les bases de données officielles n’étant de surcroît guère accessibles, leurs dispositions sont sujettes à interprétation, peuvent être appliquées de manière discrétionnaire et provoquer des comportements de recherche de privilèges. Qui plus est, les nouvelles politiques, lois et réglementations sont souvent adoptées sans discussion préalable avec les parties prenantes, ce qui produit fréquemment des résultats non optimaux parce qu’elles n’ont pas été établies en tenant compte de l’expérience et du savoir des parties prenantes. Même les responsables de rang inférieur chargés de leur application ne sont pas informés des changements, ce qui provoque nombre de difficultés. Cette instabilité du cadre réglementaire décourage l’investissement, car les entreprises privées cherchent à réduire le plus possible leur risque de pertes. En avril 2018, la Jordanie a adopté un nouveau code régissant la manière dont les nouvelles réglementations concernant le secteur privé sont conçues et publiées. En septembre 2019, six ministères et organismes ont entrepris un programme pilote suivant le nouveau processus de consultation en ligne, d’information préalable, d’évaluation de l’impact des réglementations et d’application de ces dernières à l’issue d’une période permettant aux entreprises de s’y adapter. Le nouveau processus exige que les changements proposés soient publiés sur le site web du ministère ou de l’organisme concerné en vue de consultations publiques — 60 jours à l’avance pour les lois, 30 jours pour les règlements, 15 jours pour les instructions et 7 jours pour les décisions. Il exige aussi la publication des réponses aux commentaires formulés et la publication officielle des versions définitives. Il impose enfin un délai avant l’entrée en vigueur des changements publiés, qui dépend du niveau de la réglementation. Une évaluation d’impact devrait être effectuée dans le but d’estimer les répercussions économiques des politiques et des réglementations. Il existe plusieurs manières de réduire les possibilités de mainmise de personnes privilégiées sur les interactions quotidiennes entre les entreprises et les autorités publiques. Ces interactions donnent aux responsables la latitude de déterminer comment traiter avec les entreprises, ce qui ouvre la porte aux privilèges et à la corruption. Elles concernent l’accès aux terres publiques, les possibilités de financement, les incitations à l’investissement ainsi que l’obtention de permis et le règlement des impôts. Deux grands domaines — celui des douanes (commerce extérieur) et celui de la passation des marchés publics — se prêtent particulièrement à la mainmise des élites. Les pays de la région MENA ont entrepris de prendre des mesures dans ces domaines pour réduire les privilèges et permettre à toutes les entreprises d’opérer dans les mêmes conditions. Commerce extérieur. Les élites peuvent profiter de multiples manières de l’échange de biens et services entre pays. L’obtention de licences exclusives d’importation en est une. Ces licences découragent la concurrence et permettent à leurs titulaires de dégager des profits excessifs. Il importe qu’elles soient attribuées dans le cadre d’enchères impartiales et pour une période 105 Mahmood et Ait Ali Slimane (2018). 52 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD limitée de manière à offrir des chances égales à tous. En général, plus il existe de restrictions à l’importation, d’obstacles non tarifaires et de régimes particuliers, et plus il y a recherche de rente et corruption. La poursuite de politiques commerciales et douanières complexes se prête de surcroît à des interprétations, à des comportements discrétionnaires et à la prise de mesures arbitraires. Le traitement purement électronique des déclarations en douane réduit considérablement les interactions humaines et, par conséquent, les possibilités de négociation source de corruption. Ce type de traitement automatisé peut également donner lieu à l’adoption d’une approche d’inspection fondée sur le risque, dans le cadre de laquelle le logiciel, et non les agents douaniers, sélectionne les conteneurs qui doivent être inspectés en fonction de leur profil de risque (voir encadré II.12). Bien qu’il ne faille pas exclure toute intervention humaine, il importe que cette dernière ne soit pas systématique. Encadré II.12 L’Algérie modernise son système d’inspection douanière En Algérie, plus de 70 % des conteneurs font l’objet d’une inspection physique par les agents douaniers ; qui ne permet de détecter que quelques cas de fraude. La méthode actuelle, qui est également employée dans de nombreux pays de la région MENA, est coûteuse, inefficace et se prête à des abus. Depuis 2017, un projet de la Banque mondiale soutient la modernisation des douanes algériennes, grâce à la conception conjointe d’un algorithme novateur qui remplacera le système actuel dans le cadre duquel ce sont les agents des douanes qui déterminent les conteneurs devant être inspectés. Le nouvel algorithme, mis en place en 2019, sélectionnera automatiquement les conteneurs en fonction de leur profil de risque (notamment l’origine des marchandises, l’origine du transporteur, le type de produit et l’activité de l’importateur). L’algorithme a recours à l’intelligence artificielle pour apprendre les mécanismes de fraude et prévoir leur application au moyen des données associées aux conteneurs. Cet effort de numérisation accroît également l’efficacité des activités en réduisant le nombre d’inspections physiques, en les ciblant mieux, et en amenuisant les possibilités de décision discrétionnaire, de mesure arbitraire, de négociation, de privilège et de corruption. Passation de marchés publics. La vente de biens ou de services au secteur public est l’une des principales activités des petites et moyennes entreprises (PME) dans de nombreux pays. L’application de politiques et de pratiques de passation des marchés publics transparentes, assorties de mécanismes de plainte et de recours, peut permettre à la plupart des PME de profiter de ces vastes débouchés. Les systèmes de passation de marchés publics opaques et complexes érigent des obstacles à l’entrée de nouveaux intervenants et réduisent la concurrence. Il s’ensuit que les entreprises n’ayant pas les relations requises ne peuvent opérer que sur des marchés limités, sans guère de possibilités d’expansion, en poursuivant des activités peu productives et non innovantes, ce qui réduit leur capacité de créer des emplois. La Jordanie a entrepris de moderniser son cadre de passation des marchés pour réduire les possibilités de favoritisme (voir l’encadré II.13). Encadré II.13 La Jordanie informatise la passation des marchés publics En Jordanie, le système de passation des marchés publics était fragmenté, n’était couvert par aucune fonction de régulation et de supervision bien établie et ne comportait aucun mécanisme indépendant de gestion des plaintes. En février 2019, la Jordanie a modernisé et informatisé ses opérations de passation des marchés publics : i) en constituant une unité centrale de stratégie et de supervision, ainsi qu’une unité indépendante chargée de gérer les plaintes  ; et ii) en adoptant un système de passation des marchés en ligne, conformément à la politique d’informatisation de l’État. Le nouveau système de passation des marchés publics en ligne — qui a bénéficié de l’assistance technique de la Banque mondiale — doit désormais être utilisé obligatoirement par les grands organismes de passation des ; son emploi sera généralisé, et 100 % des marchés publics marchés de l’administration centrale en Jordanie  attribués devront être publiés en ligne. Le nouveau système informatique améliorera la transparence et stimulera la concurrence et la contestabilité du marché en facilitant l’entrée de nouveaux intervenants, accroîtra l’efficacité et réduira le coût de traitement des marchés publics. Il permettra également de renforcer la responsabilisation grâce au mécanisme de gestion des plaintes. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 53 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 La prospérité et la cohésion sociale de la région MENA dépendent de l’aptitude de cette dernière à transformer son administration publique pour mieux servir le secteur privé et fournir des opportunités à une main-d’œuvre jeune et de plus en plus instruite. L’adoption de mesures telles que celles présentées ci-dessus pour réduire l’influence de quelques privilégiés sur le fonctionnement de l’économie est l’un des moyens de soutenir cette transformation. 2D. Les actifs publics constituent une source inexploitée de richesse nationale106 Lorsque Singapour et la Jamaïque ont accédé à l’indépendance au début des années 1960, les deux pays insulaires avaient à peu près la même population, la même espérance de vie et le même PIB par habitant. Aujourd’hui, la comparaison est moins pertinente. La population de Singapour a non seulement augmenté trois fois plus vite que celle de la Jamaïque, mais son PIB par habitant est 10 fois plus élevé et son espérance de vie supérieure d’environ 9 %. Contre toute attente, cette minuscule nation asiatique sans ressources importantes, pas même la capacité de fournir des services publics de base, tels que l’eau et l’électricité, a prospéré grâce à un mode de pensée innovant et audacieux. Si plusieurs raisons permettent d’expliquer pourquoi Singapour a obtenu de bien meilleurs résultats que la Jamaïque au cours des cinquante années qui ont suivi, notamment le développement du capital humain et un état de droit fort, la création d’institutions économiques de qualité et l’utilisation efficace des actifs publics sont des causes majeures de sa réussite économique. L’utilisation judicieuse des actifs commerciaux publics est au cœur de la stratégie de Singapour visant à faire passer le pays du statut d’économie en développement à celui d’économie développée en une seule génération. Les fondateurs de Singapour ont introduit une séparation innovante et peu orthodoxe entre la politique économique et la gestion des actifs publics. À une époque où le capitalisme de libre marché était jugé essentiel pour reconstruire l’économie mondiale de l’après-guerre et créer le plein emploi, Singapour a choisi de faire l’inverse et a admis qu’un gouvernement, tout comme une entreprise, dispose d’un bilan présentant l’actif et le passif qui appellent une gestion active. La Jamaïque, comme la plupart des autres États dans le monde, dont beaucoup disposent de ressources naturelles abondantes, a continué à gérer son économie comme si celle-ci ne consistait qu’en un budget de trésorerie ordinaire et un stock de dettes publiques. Les pères fondateurs de Singapour ont constitué des portefeuilles d’actifs au sein de fonds de gestion de patrimoine public, en déléguant à des professionnels la responsabilité de la gestion des actifs commerciaux publics dans des sociétés holding qui pratiquent la discipline du secteur privé et utilisent des outils de gouvernance empruntés au secteur privé. ÌÌProfessionnaliser la gestion des finances publiques Aujourd’hui, la plupart des gouvernements du monde ont délégué la gestion publique de plusieurs opérations financières de base à des institutions professionnelles distinctes, notamment en confiant la gestion de leur dette publique à un bureau de gestion de la dette et celle des taux d’intérêt à une banque centrale indépendante. De même, de nombreux gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) ont délégué la gestion des recettes d’exportation excédentaires à des fonds souverains. Ces fonds souverains, tels que Kuwait Investment Authority 106 Cette section a été rédigée par Dag Detter. 54 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD (KIA) et Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), ont généré des richesses pour la société et les générations futures en investissant des revenus pétroliers excédentaires dans des marchés boursiers internationaux bien développés et dans des opérations immobilières sur des marchés développés attractifs. Les exportateurs de pétrole ont profité des prix élevés des hydrocarbures au cours de la dernière décennie, à la fois directement, en complétant les recettes fiscales avec les revenus tirés des exportations pétrolières, et indirectement, par le biais des dividendes des fonds souverains. En outre, les bilans du secteur public ont été renforcés par la croissance continue de la valeur des fonds souverains. Les recettes ont servi à moderniser les infrastructures et à créer des emplois107. Les économies non exportatrices de pétrole de la région MENA ont également bénéficié tant des investissements réalisés par les économies exportatrices de pétrole que des répercussions d’une série d’activités régionales, notamment le tourisme, qui ont renforcé le marché du travail. Toutefois, les conditions économiques se sont détériorées après la forte chute des prix du pétrole en 2014, ce qui a entraîné une aggravation des déficits publics. En outre, les conflits politiques en cours ont affaibli la confiance des investisseurs dans la région. Les investissements directs étrangers (IDE) ont diminué depuis la crise financière de 2008 et le « Printemps arabe » de 2011108. La nécessité de diversifier les économies et de générer des recettes publiques supplémentaires est largement reconnue dans la région, de même que la nécessité de renforcer les bilans des administrations publiques. La réponse la plus évidente consisterait alors à examiner les autres actifs commerciaux du bilan du gouvernement. ÌÌActifs commerciaux publics Outre les ressources naturelles, les secteurs publics des pays de la région MENA possèdent des aéroports, des ports, des services publics, des banques et des sociétés cotées. Mais le principal actif de la plupart des pays est un important portefeuille de biens immobiliers, dont la valeur est plusieurs fois supérieure à celle de tous les autres actifs, à l’exception, bien entendu, des sociétés pétrolières nationales. À l’exclusion des parcs publics et des sites du patrimoine historique, ces actifs immobiliers commerciaux appartenant à l’État représentent une part importante des terres de chaque pays. Toutefois, les gouvernements ne connaissent souvent qu’une fraction de ces propriétés, dont la plupart n’apparaissent pas dans les comptes publics109. Les actifs d’exploitation détenus au niveau national sont parfois appelés entreprises publiques. Bien que de moindre valeur que le secteur immobilier, les entreprises publiques non pétrolières jouent un rôle fondamental dans les économies de la région MENA, car elles opèrent souvent dans des secteurs importants dont dépend l’économie au sens large, notamment l’électricité, l’eau, le transport et les télécommunications (voir figure I.10). Pour ces raisons, entre autres, on ne saurait trop insister sur l’importance d’une entreprise publique bien gérée. L’avantage d’une gestion plus professionnelle des actifs commerciaux publics dans la région MENA est considérable. 107 Fasano-Filo et Iqbal (2003). 108 UNCTAD (2017). 109 Detter et Fölster (2018). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 55 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Figure II.10 Actifs d’exploitation et actifs physiques Figure II.11 Valeur par segment d’actif En billions de dollars DEUX TYPES D’ACTIFS 80 70 75 ACTIFS D’EXPLOITATION ACTIFS PHYSIQUES 60 Transports Immeubles 60 Utilisés par des entités Routes (à péage) publiques 50 53 Chemin de fer/métro Utilisés par des tiers Aéroports 40 Inutilisée 30 34 Services publics de distribution Terres Énergie Terres mises en valeur 20 24 Eau Terres non mises en valeur 10 12 5 8 0 Services s s la e s tif ain de tral ies ite er tifs ux Financiers Banques ula gn nce tra uli és s er Ac rcia lics ée 1 c v es n a a re tic n Compagnies d’assurance pé ais ou rv ce omp sur e r u Pa fort e pub ss ss se ue sd es Prestataires de prêts C d’as m nd nd Ré anq nd m nn hypothécaires o o co rso F F o b F Pe Source : Detter et Fölster (2015). Source : World Bank, Detter et Fölster (2015). ÌÌL’importance du prix à gagner La valeur des actifs publics est deux fois supérieure à celle des marchés boursiers mondiaux — et deux fois supérieure au PIB mondial, selon des estimations du Fonds monétaire international (voir également la figure II.11). Mais, contrairement aux entreprises et actifs privés, la richesse publique n’est pas auditée, pas supervisée et souvent pas réglementée. Pire encore, elle est presque entièrement non comptabilisée. Lors de l’élaboration de leurs budgets, la plupart des administrations publiques ne tiennent guère compte des actifs qu’elles possèdent ou de la valeur que ces actifs pourraient générer. Depuis l’invention de la comptabilité moderne il y a environ 700 ans, les entreprises ont dû mettre au point des informations de qualité pour aider à la prise de décisions et pour que les parties prenantes puissent les obliger à rendre des comptes. Les valeurs cotées en bourse sont constamment examinées par une multitude d’analystes, de courtiers, d’investisseurs, de régulateurs et d’administrations fiscales et par les médias. La mise en place de systèmes de gouvernance d’entreprises et de normes comptables a non seulement permis le développement des marchés des capitaux, mais aussi contribué de manière décisive à la création de la richesse dont nous jouissons tous aujourd’hui (voir encadré II.14). Encadré II.14 Les avantages de la comptabilité moderne et de la gestion des finances publiques L’adoption de normes comptables semblables à celles utilisées par les sociétés privées et basées sur la comptabilité d’exercice — qui enregistre les produits et les charges lorsqu’ils sont engagés plutôt que lorsque les fonds changent de mains — constituerait un premier pas important vers la mise en œuvre d’un système de gestion financière moderne. La plupart des pays de l’OCDE publient désormais leurs résultats selon la méthode de la comptabilité d’exercice et présentent un bilan qui montre la valeur de l’actif et du passif à un moment donné et fournit ainsi des informations importantes sur leur santé financière. Toutefois, la majorité d’entre eux a toujours recours à la comptabilité de trésorerie pour la budgétisation et l’ouverture de crédits, ce qui signifie que le bilan est en dehors du processus budgétaire et, pour cette raison, qu’il est en grande partie ignoré. suite à la page suivante 56 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Encadré II.14 suite L’absence d’un bilan approprié, pleinement intégré au budget, fausse la compréhension de la situation financière, car les gouvernements se concentrent principalement sur la dette, sans tenir compte de la valeur des actifs matériels, en utilisant des mesures telles que la « dette nette » ou le ratio « dette/PIB » comme cibles clés. Cela peut conduire à de mauvaises décisions, telles que la privatisation d’un système d’approvisionnement en eau pour générer des fonds destinés à financer un investissement dans les infrastructures plutôt que de recourir à l’emprunt. Avec une comptabilité appropriée, les pouvoirs publics se concentreraient sur la valeur nette, c’est-à-dire la valeur des actifs moins les passifs, la mesure utilisée dans le secteur privé, plutôt que sur la seule dette. La valeur nette étant l’objectif principal officiel, une augmentation de la dette pour financer un investissement correspond à une augmentation de l’actif. Cela créerait alors des incitations à investir dans des actifs publics plutôt que d’encourager la privatisation généralisée — qui pourrait se faire pour de mauvaises raisons et à un mauvais prix. Des pratiques comptables médiocres ou risquées peuvent ébranler et, au bout du compte, détruire des sociétés entières. La comptabilité nous concerne tous, comme on le voit en cas de crise financière, qu’il s’agisse des banques, des entreprises ou des administrations publiques. Jusqu’à présent, seule la Nouvelle-Zélande a adopté le système de comptabilité moderne et intégré son bilan au budget, en l’utilisant comme outil de budgétisation, d’ouverture de crédits et d’information financière. Depuis les réformes du secteur public intervenues au milieu des années 1980, la Nouvelle-Zélande a atteint et maintenu une valeur nette positive considérable, alors que la plupart des États comparables, tels que l’Australie et le Canada, ou des pays plus vastes, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, affichent une valeur nette négative. Néanmoins, les gouvernements n’ont pas fait le même progrès. La création d’une marge de manœuvre budgétaire et le renforcement du bilan du secteur public à l’aide de la richesse publique pourraient constituer un outil essentiel pour renforcer les finances publiques et favoriser la croissance dans la région MENA. Selon le FMI, une gestion professionnelle des actifs publics pourrait générer chaque année un revenu supplémentaire équivalent à 3 % du PIB110, ce qui représente près de 30 % du montant total des impôts perçus dans la région. ÌÌInstitutionnaliser la gestion des actifs commerciaux publics Le recours croissant à la dette pour financer les dépenses publiques a conduit les États à professionnaliser la gestion de la dette publique afin de réduire les coûts de gestion financière de l’administration centrale sans courir un risque excessif. De même, des banques centrales indépendantes ont été créées pour contrôler les taux d’intérêt dans le but de préserver la stabilité des prix tandis que les responsables politiques fixent des objectifs de politique économique plus larges. En 1971, l’État nouvellement indépendant de Singapour a créé l’autorité monétaire et délégué la gestion du volet « actif » du bilan de son secteur public. La gestion de ses actifs commerciaux est donc devenue la responsabilité de professionnels au sein de fonds de gestion de patrimoine publics indépendants (voir encadré II.15). 110 IMF (2018b). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 57 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Encadré II.15 Fonds souverains ou fonds de gestion du patrimoine national Un fonds souverain, principalement axé sur la gestion de la liquidité des réserves, investit généralement dans des titres négociés sur les principaux marchés établis. Les fonds souverains sont conçus pour optimiser un portefeuille en négociant des titres afin d’équilibrer le risque et les rendements. Le GIC de Singapour en est un exemple. Un fonds de gestion du patrimoine national est un gestionnaire d’actifs chargé de la gestion active d’un portefeuille d’actifs d’exploitation. Ces fonds cherchent à maximiser la valeur du portefeuille grâce à une gestion active incluant le développement, la restructuration et la monétisation des actifs individuels. Temasek de Singapour en est un exemple. Source : Detter et Fölster (2015). Goh Keng Swee, alors vice-premier ministre de Singapour, a expliqué pourquoi Singapour avait choisi la discipline du secteur privé et les outils de gouvernance empruntés à ce secteur pour la gestion des actifs commerciaux en ces termes : « L’idée que les fonctionnaires peuvent remplir avec succès des fonctions d’entreprise est l’une des illusions tragiques suscitées par de nombreux pays. Il est curieux de constater que, malgré des preuves accablantes attestant du contraire, cette idée persiste »111. Depuis lors, les fonds de gestion de patrimoine de Singapour — Temasek et Singapore Government Investment Corp (GIC) — ont contribué à financer le développement économique de la ville-État, tandis que le Housing Development Board (HDB) a fourni à près de 80 % de ses citoyens des logements publics abordables et bien entretenus. Le GIC est le fonds souverain, l’outil qui a contribué à professionnaliser la gestion des réserves de change de l’État qui sont investies dans des actifs financiers en dehors de Singapour. Mais le secteur public avait également besoin d’un outil pour gérer son portefeuille d’actifs opérationnels nationaux d’une manière reconnue internationalement comme la norme en matière de gestion d’actifs. Dans le secteur privé, cet outil est une société holding aux normes comptables et aux principes de gouvernance d’entreprise internationalement reconnus. L’outil de gestion professionnelle des actifs commerciaux appartenant à l’État est appelé fonds de gestion du patrimoine national. Il ne peut y avoir de gestion professionnelle sans un tel outil. C’est ce qu’est devenu Temasek à Singapour. La valeur marchande commune de GIC et de Temasek correspond au passif public de Singapour et à son PIB annuel et contribue donc à une valeur nette positive. En raison de ce bilan solide, Singapour a toujours reçu la meilleure cote de crédit — AAA — des trois principales agences de notation. Les deux fonds dégagent un excédent considérable pour l’État. Certaines économies de la région MENA, principalement celles des pays du Conseil de coopération du Golfe, ont pris des mesures pour centraliser et consolider des entreprises publiques d’importance stratégique en un holding d’État. En Arabie saoudite, par exemple, le Fonds d’investissement public a repris la propriété de grandes sociétés et conserve une participation minoritaire dans diverses autres sociétés. Abou Dhabi prend également des mesures pour consolider ses participations dans un holding d’État. L’Égypte et Oman n’ont fait que des efforts symboliques pour consolider leurs entreprises publiques. 111 Goh (1972). 58 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Aucune des économies de la région MENA n’a toutefois professionnalisé et consolidé de manière exhaustive l’ensemble du portefeuille d’actifs d’exploitation, comme l’a fait Singapour. Alors que les décideurs se sont concentrés sur la gestion de la dette pendant des décennies, ils ont largement ignoré la question de la richesse publique. Dans la plupart des pays, la richesse publique est supérieure à la dette publique : une meilleure gestion de cette richesse pourrait contribuer à réduire le surendettement et jeter les bases de la croissance économique future. Le débat de longue date entre ceux qui défendent la privatisation de l’économie et ceux qui défendent la nationalisation passe à côté de l’essentiel : l’important est la qualité de la gestion des actifs. En ce qui concerne la richesse publique, l’accent devrait être mis sur le rendement plutôt que sur la propriété. Une meilleure gestion de la richesse publique pourrait générer des rendements supérieurs à l’investissement mondial actuel dans les infrastructures. Par ailleurs, l’amélioration de la transparence dans la gestion de la richesse publique pourrait aider à lutter contre la corruption. ÌÌProfessionnaliser la gestion des actifs commerciaux publics La propriété de l’État a toujours généré des risques complexes en matière de gouvernance et de réglementation qui empêchaient souvent les entreprises publiques de créer une valeur optimale pour l’économie. Les entreprises publiques inefficaces et d’autres actifs publics, notamment les biens immobiliers sous-développés ou mal gérés, sont un frein pour l’économie et évincent les initiatives du secteur privé et les investissements directs étrangers. Dans le pire des cas, les entreprises publiques sont utilisées à des fins de favoritisme politique ou d’enrichissement personnel, ce qui sape la confiance des citoyens, des investisseurs internationaux et des partenaires potentiels. Dans les économies de la région MENA, les entreprises et les actifs appartenant à l’État sont présents dans un large éventail de secteurs, notamment l’électricité, le gaz, les télécommunications, les services postaux, les autres services publics, la finance et le transport. Plusieurs États de la région sont également actifs dans le secteur manufacturier et celui de la promotion immobilière. La propriété de l’État est souvent décentralisée en faveur des ministères techniques, créant ainsi un conflit d’intérêts entre la fonction de propriétaire du ministère et sa responsabilité en matière de réglementation112, ce qui peut aggraver l’utilisation non optimale des ressources publiques. La gouvernance des actifs commerciaux publics dans la région est en outre limitée par un manque de transparence et d’adhésion aux normes comptables internationales. Alors que la plupart des économies développées ont opté pour une gestion centralisée des actifs, les meilleurs résultats ont été obtenus lorsque les actifs ont été regroupés au sein d’une société holding indépendante, sans influence politique à court terme, comme ce fut le cas de Temasek à Singapour (voir encadré II.16) et de Solidium en Finlande. Une fois qu’un actif est dans une société holding et soumis à des normes comptables appropriées, un plan opérationnel complet contribuera à optimiser son utilisation et à préciser le coût d’opportunité de l’utilisation non optimale de l’actif. La mise en œuvre d’un mode de gestion active des actifs permettra à une économie de commercialiser, d’optimiser et de rationaliser son portefeuille commercial au profit de la société. Pour commercialiser des actifs publics, il faut un plan opérationnel complet qui permette d’examiner tous les actifs, y compris les biens immobiliers, qui sont non utilisés, utilisés par des tiers ou utilisés directement pour la prestation de services publics, mais qui peuvent être réaffectés ou employés pour générer des revenus accessoires. 112 OECD (2019). DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 59 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Encadré II.16 Temasek, l’emblématique société holding d’État Temasek a été créée en 1974 en tant que société holding distincte, investisseur actif et actionnaire dans les entreprises commerciales et le secteur immobilier afin de permettre à l’État de maximiser la valeur à long terme pour les actionnaires. Elle regroupait tous les actifs commerciaux appartenant à l’État : sociétés holding existantes et entreprises publiques ; monopoles et services collectifs existants, récemment constitués et résidant toujours au sein des ministères respectifs ; et quelques biens immobiliers. Temasek a servi à séparer les fonctions de régulation et d’élaboration des politiques de l’État de son rôle d’actionnaire dans des entités commerciales. Depuis sa création, le rendement total pour les actionnaires, mesuré en dollars de Singapour, a été en moyenne de 15 % par an, selon le Temasek Review 2019. Bon nombre des avoirs de Temasek sont à présent des sociétés de premier plan dans leur secteur, notamment l’opérateur de télécommunications Singtel, la plus grande société en termes de capitalisation boursière à la bourse de Singapour ; DBS Bank, la plus grande banque en Asie du Sud-Est ; et PSA International, l’un des plus grands opérateurs portuaires au monde. Parmi les autres marques bien connues au sein de Temasek, on peut citer Singapore Airlines et ST Engineering, l’un des plus importants groupes asiatiques de défense et d’ingénierie, ainsi que CapitaLand, l’une des plus grandes sociétés immobilières en Asie. L’isolement politique de Temasek est renforcé par des conseils d’administration professionnels et un système de gestion des risques qui responsabilise pleinement le conseil d’administration de chaque holding. Le conseil de Temasek, ainsi que ceux de ses participations, est composé d’administrateurs indépendants non dirigeants recrutés au mérite. Près de la moitié des membres de la direction et du personnel sont des non-Singapouriens. La cote de crédit renforce également la transparence et un objectif clairement défini. L’optimisation nécessite de réaliser des économies d’échelle sur l’ensemble du portefeuille, ce qui inclut la rationalisation — ou la vente d’actifs arrivés à échéance afin de générer des fonds à réinvestir dans des actifs à rendement plus élevé. Les fonds générés par les activités de rationalisation devraient d’abord être mis à disposition comme source de financement pour la réalisation du plan opérationnel, puis pour d’autres investissements, notamment dans les infrastructures et le logement. À défaut, le rendement pourrait servir au développement économique dans d’autres domaines d’intérêt pour la société, tels que les écoles, le logement ou les hôpitaux. Les fonds de gestion du patrimoine national permettent de déplacer les actifs de l’État vers ÌÌ les infrastructures Un fonds de gestion du patrimoine national agissant en tant que société holding pour les actifs commerciaux publics offre un moyen politiquement acceptable de transférer les actifs de l’État vers les infrastructures de manière à atteindre trois objectifs : augmenter le financement des infrastructures, donner aux décisions relatives aux infrastructures une assise économique plus solide, et réduire l’accès direct et pour des motifs politiques des pouvoirs publics à ces actifs. Les fonds de gestion du patrimoine national peuvent aider les États à gérer des projets et à encourager les IDE en servant d’ouverture sur les meilleures pratiques internationales et sur l’expérience et la gestion pratiques. Par leur position financière, Les fonds souverains sont en mesure d’investir dans de grands projets d’infrastructure, mais leur champ de compétence est davantage financier que structurel et opérationnel. Une question importante est de savoir s’ils ont la compétence nécessaire pour réaliser avec succès des investissements dans les infrastructures. Les investissements nationaux 60 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD dans les infrastructures peuvent être stimulés et mieux gérés en permettant à un fonds de gestion du patrimoine national de transférer ou de vendre les actifs de l’État dans d’autres participations commerciales et d’investir dans des consortiums d’infrastructures dans leur propre pays. Ce faisant, trois mesures qui se renforcent mutuellement sont importantes. Premièrement, un fonds de gestion du patrimoine national qui investit dans les infrastructures devrait se concentrer uniquement sur la rentabilité. Son travail consiste à gérer la valeur des actifs d’exploitation, à garantir la solidité économique et à essayer de trouver des accords structurels qui augmentent la rentabilité. Par exemple, de nombreux investissements dans les routes et les chemins de fer peuvent devenir rentables si l’augmentation de la valeur foncière autour de ces investissements est internalisée. Un fonds de gestion du patrimoine national est en mesure d’acheter un terrain entourant un investissement, le rendant ainsi rentable, ou il peut déjà être propriétaire du terrain par le biais de ses autres avoirs. Utiliser un fonds de gestion du patrimoine national pour déplacer les actifs publics vers les infrastructures est également avantageux sur le plan politique. Les États maintiennent souvent des entreprises publiques en place simplement par manque d’une conviction politique forte en la privatisation. Cependant, si un fonds de gestion du patrimoine national quelque peu indépendant peut vendre des biens immobiliers excédentaires ou des entreprises publiques non essentielles et réinvestir le produit de la vente dans une infrastructure rentable, cette opération ne serait pas perçue comme une cession de la richesse nette au secteur privé, mais simplement comme un transfert de richesse dans son portefeuille. Deuxièmement, les projets d’infrastructure qui ne sont pas rentables sur le plan commercial, mais qui ont une valeur sociale nette positive, devraient être financés par les administrations centrales ou locales sous la forme de « redevances d’utilisation ». Par exemple, un consortium appartenant au fonds de gestion du patrimoine national, seul ou avec des propriétaires privés, peut passer un contrat avec l’État ou une administration locale, aux termes duquel le consortium construit une route et l’État s’engage à payer des redevances d’utilisation annuelles, qui peuvent varier en fonction de l’accessibilité de la route et d’autres paramètres de qualité. C’est déjà un modèle courant dans de nombreux projets de partenariat public-privé (PPP). Par exemple, les États paient un consortium de PPP chaque année pour la livraison d’une route ou d’un chemin de fer, souvent en fonction de la qualité de l’ouvrage. Les États se concentrent ainsi sur la valeur d’un service fourni au consommateur, plutôt que de s’empêtrer dans des décisions d’investissement difficiles qui sont aussi porteuses de tentations de corruption. Troisièmement, un institut indépendant devrait évaluer en permanence la rentabilité sociale des services d’infrastructure achetés par les gouvernements. Lors de l’évaluation, des outils acceptés sur le plan international devraient être utilisés pour déterminer comment prendre en compte les valeurs environnementales et sociales. S’il est probable que les recommandations de l’institut indépendant ne soient pas contraignantes, elles rendraient toutefois la logique économique de divers projets plus transparente et imposeraient un coût politique aux États qui investissent dans des ponts ne menant nulle part. Il existe des exemples où des autorités nationales utilisent des actifs immobiliers commerciaux consolidés au sein d’une société holding pour développer correctement des portefeuilles, à la fois par segment et par lieu. Géographiquement, c’est plus commun au niveau des collectivités locales, comme lorsque la ville de Hambourg (Allemagne) s’est élargie en développant son ancien port urbain pour en faire l’un des quartiers résidentiels et commerciaux les plus attrayants de la ville — avec des jardins d’enfants, des écoles primaires et secondaires, des universités et une salle de concert de classe mondiale. De même, dans les années 1990, le malaise économique et le taux de chômage élevé ont poussé les dirigeants de Copenhague à faire preuve de créativité. Un fonds de gestion du patrimoine public géré par des professionnels a permis de consolider le vieux port et une ancienne garnison militaire à la périphérie de la ville. Au- delà de la transformation du quartier du port de Copenhague en une zone très agréable, les revenus du fonds ont aidé l’administration à financer une extension du système de transport public sans puiser dans les recettes fiscales. DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 61 BULLETIN D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA OCTOBRE 2019 Les sociétés holding sectorielles possèdent des actifs d’exploitation, tels que des aéroports, des systèmes postaux, des autoroutes, des ports et des chemins de fer. Elles possèdent toutes des actifs immobiliers susceptibles de générer une valeur substantielle s’ils sont gérés de manière professionnelle par des sociétés holding indépendantes. Par exemple, Hong Kong, conscient de ses limites budgétaires, a créé MTR, qui a permis de construire un système de métro et de chemin de fer de la taille de la ville de New York sans utiliser un seul dollar d’impôt. Pour ce faire, MTR a aménagé les biens immobiliers adjacents à ses gares. Au Royaume-Uni, London Continental Railways a dirigé les travaux de transformation de la zone abandonnée autour de la gare de King’s Cross en une plaque tournante pour les nouvelles entreprises technologiques et les géants de la technologie, tels que Facebook et Google. Le site a également attiré d’importantes institutions universitaires et culturelles et compte des hôtels, des zones résidentielles et des zones de loisirs. ÌÌImpact sur la notation souveraine Enfin, une meilleure gestion des actifs de l’État peut également avoir une incidence positive sur la cote de crédit d’un pays, ce qui influe sur son coût d’emprunt. De toute évidence, la monétisation des actifs publics génère des recettes qui peuvent servir à rembourser la dette existante, réduire le besoin de nouveaux emprunts ou créer des marges de sécurité financière pour l’État. Une réduction de la dette publique, ou un ralentissement de son rythme d’accumulation, et une augmentation des actifs financiers de l’État améliorent directement les indicateurs clés utilisés par les trois agences de notation mondiales dans leurs modèles de notation souveraine. En plus d’aider à améliorer les notations de crédit souveraines, une gestion plus efficace des actifs contribuerait à augmenter le taux de croissance du PIB réel, produirait des dividendes ou d’autres flux de trésorerie pour le budget de l’État et réduirait les dépenses de fonctionnement, autant d’avantages majeurs pour la société. L’exemple de Singapour a démontré que l’État peut être géré comme une entreprise et répondre néanmoins aux besoins du public tels que le logement. L’utilisation des deux côtés du bilan et la mise en place d’institutions solides et efficaces permettent que le poids de l’innovation institutionnelle ressenti à court terme se traduise par des gains à long terme pour l’ensemble du pays et un engagement renouvelé de celui-ci envers la postérité. Dubaï est un exemple de pays de la région MENA où le gouvernement a géré ses actifs immobiliers de manière professionnelle et optimisé ses ressources limitées. D’autres pays de la région peuvent se référer à Singapour et à Dubaï pour illustrer comment gérer et exploiter de manière professionnelle les éléments d’actif du bilan, au bénéfice de la société dans son ensemble. 62 DEUXIÈME PARTIE | CHAPITRE 2 PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE LOYALE — POUR ATTEINDRE DE NOUVEAUX SOMMETS DANS LA RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD Bibliographie Aghion, Philippe, Christopher Harris, Peter Howitt, and John Vickers. 2001. “Competition, Imitation and Growth with Step-by-Step Innovation.” Review of Economic Studies 68 (3): 467–92. Arezki, Rabah. 2019. “Institutionalizing Contestability in the Middle East and North Africa”. Blog, Medium. https:// medium.com/@rarezki/institutionalizing-contestability-in-the-middle-east-and-north-africa-24d099958870 Arezki, Rabah, Rachel Yuting Fan, Ha Nguyen. 2019. “The Middle East Middle Income Trap: A Comparative Study with East Asia”. Policy Research Working Paper 8870, World Bank, Washington, DC. 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