8436 MANAGING AGRICULTURAL- * | DEVELOPMENT _ IN i _ I | AFRICA __= L|SD = WB- I ~Box | G~RD | ~~Froe L'ETUDE SUR LA GESTION DU DEVELOPPEMENT AGRICOLE EN AFRIQUE (MADIA) La crise de l'agriculture africaine a fait l'objet d'un grand nombre de généralisations, mais les études détaillées sur un ou plusieurs pays, fondées sur une analyse systématique des données, sont relativement peu nombreuses. De même, bien que depuis 15 ans l'aide étrangère finance une grande part du total des dépenses publiques en Afrique, on n'a guère analysé le rôle de l'assistance extérieure dans les pays africains, en dehors des critiques d'ordre politique que suscite l'aide publique ou le fait, vrai ou faux, que les bailleurs de fonds n'ont que leur propre intérêt en vue. L'étude sur la "Gestion du développement agricole en Afrique" (Managing Agricultural Development in Africa, MADIAI répond en partie à ce désir de combler cette lacune et d'expliquer la nature et les sources de la crise agricole, en particulier les causes naturelles, les événements historiques passés et contemporains, les politiques nationales et celles des autres pays, et l'environnement économique et politique. L'étude MADIA repose sur l'examen détaillé de six pays africains: le Kenya, le Malawi, la Tanzanie, le Cameroun, le Nigéria et le Sénégal. Outre la Banque mondiale, sept bailleurs de fonds: l'USAID, l'UKODA, DANIDA, SIDA, les Gouvernements francais et ouest-allemand, et la CEE, ont participé aux travaux. L'analyse des politiques suivies et des résultats enregistrés par chacun des pays considérés au cours des 20 à 25 dernières années a bénéficié d'apports substantiels de la part de l'administration et des représentants de chacun des pays intéressés. Cette étude s'est articulée autour de trois grands points: 11 les liens entre les politiques macroéconomique et agricole nationales et la performance de l'agriculture, 2) le rôle des bailleurs de fonds dans le développement de l'agriculture et 31 les aspects politiques de la politique agricole. L'étude MADIA n'aurait pas été possible sans les encouragements et le soutien d'un grand nombre de personnes. Mme Anne Krueger, ancienne Vice-Présidente des Services Economie et Recherche de la Banque Mondiale, a appuyé la mise en chantier de ces études sur l'aide et le développement en 1984. M. Gregory Ingram, ancien Directeur du Département de la recherche sur le développement, a constamment soutenu cette étude. Pendant la réorganisation de la Banque Mondiale en 1986, l'appui énergique de M. Benjamin King, alors Vice-Président des Services Economie et Recherche, nous a été extrêmement précieux. M. Barber Conable, Président de la Banque Mondiale, et M. Edward V.K. Iaycox, Vice-Président pour la région Afrique, ont joué un rôle essentiel en veillant à ce que l'étude soit menée à son terme, de même que M. Stanley Fischer, Vice-Président, Economie du Développement. Le concours de M. Yves Rovani, Directeur Général du Département de l'Evaluation des Opérations, a été particulièrement utile, car l'étude MADIA s'est beaucoup inspirée des recherches de son département. Nous sommes particulièrement redevables au Comité de la Recherche de la Banque Mondiale, qui a procuré le financement initial de l'étude, et au comité directeur de MADIA. L'appui énergique accordé par le Président du comité directeur, M. Stephen O'Brien, a été d'une importance critique. Enfin, sans les encouragements actifs et constants de nombreux responsables africains et représentants des donateurs, y compris de collègues de la Banque mondiale, cette étude n'aurait pas ouvert de nouvelles perspectives. Leur soutien s'est manifesté à travers leurs commentaires relatifs à des communications écrites et orales, et l'approfondissement des analyses visant à déterminer les points d'accord et ceux encore su jets à controverse. Marchés, Offices de commercialisation et coopératives Problèmes à résoudre dans le cadre d'une politique d'ajustement I I Uma Lele et Robert E. Christiansen 1/ Juin 1989 *I I' I I I I 1/ Les vues exprimées ici sont celles des auteurs, et ne coïncident pas nécessairement avec celles de la Banque mondiale, des gouvernements participants ou des donateurs. REMERCIEMENTS Pour les très utiles commentaires qu'ils ont bien voulu faire sur les ébauches successives du présent document, nous tenons à remercier Bela Belassa, David Steeds, Roy Southworth, Barbara Harriss, Thomas Hobgood (USAID), Emmy Simmons (USAID), Joan Atherton (USAID), Steven Sinding (USAID/Kenya), Shlomo Reutlinger, Manmohan Agarwal, Alex Duncan, Gavin Williams et Judith Heyer; nos remerciements vont aussi à Kevin Cleaver et Michael Westlake, avec qui nous avons eu des échanges de vues très fructueux. Un concours précieux nous a été apporté par Ann Mitchell, Kundhavi Kadiresan et Beth Porter pour les recherches, et par Christina Dhanaraj pour la dactylographie. Une version antérieure de la présente étude a été présentée lors d'une conférence organisée conjointement par l'USAID/Kenya et le Gouvernement du Malawi sur le thème "Croissance du secteur agricole et développement des villes-marchés", qui a eu lieu à Lilongwe (Malawi) du 16 au 19 mai 1988. I I TABLE DES MATIERES INTRODUCTION ......................................................... 1 LA GENESE DE L'INTERVENTIONNISME : LES SYSTEMES DE COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES AU MOMENT DE L'ACCESSION A L'INDEPENDANCE ..... 7 JUSTIFICATIONS ECONOMIQUES DES INTERVENTIONS SUR LES MARCHES .....9.... L Les risques inhérents aux activités agricoles ................... 19 Facteurs d'instabilité dans l'agriculture d'exportation ..... .... 24 La stabilisation des prix ....................................... 26 I Importance relative des investissements ......................... 31 Les carences des marchés financiers ............................. 32 LES INTERVENTIONS DES POUVOIRS PUBLICS DANS LA COMMERCIALISATION : LES LEÇONS DE L'EXPERIENCE ............................................... 33 Les coûts de commercialisation .................................. 34 L'instabilité des institutions agricoles ........................ 55 Les leçons de l'expérience ...................................... 60 LES COOPERATIVES ..................................................... 61 I Les leçons de l'expérience ...................................... 74 LES REFORMES DE LA COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES : APERÇU GENERAL ET ANALYSES DE CAS ........................................... RECAPITULATION, CONCLUSIONS ET SUGGESTIONS ......... .................. on5 I REFERENCES . ................................................ I I I i i IIiIIII I I,,I l INTRODUCTION Les mesures d'ajustement prises depuis le début des années 80 par les pays couverts par l'étude MADIA ont porté surtout sur la libéralisation de la commercialisation des produits agricoles, et ont suscité un débat très animé sur ce que devraient être les rôles respectifs du secteur privé et du secteur public dans la formation des prix et la commercialisation des produits agricoles. Ce débat porte notamment sur la nature et les causes des insuffisances des circuits publics et privés de commercialisation, sur la question de savoir s'il faut taxer la production agricole destinée à l'exportation et, dans l'affirmative, à quel taux, ainsi que sur la possibilité et l'opportunité de stabiliser les prix à la production et à la consommation. Mais la question qui est au coeur du débat est celle de la définition des cas où les impératifs généraux du développement justifient l'intervention des pouvoirs publics dans la commercialisation des produits agricoles. Les partisans de la libéralisation soutiennent que les échecs essuyés par tant d'organismes publics de commercialisation montrent bien qu'il faut privatiser davantage les activités de commercialisation, et inciter les entreprises para-publiques qui ont échappé à la privatisation à jouer à fond le jeu du marché. Les adversaires de la libéralisation, quant à eux, font valoir que le secteur privé n'est pas à même de remplir certaines fonctions indispensables au développement, et que ces fonctions doivent donc être dévolues au secteur public. L'accomplissement de ces fonctions est rendu nécessaire par la nature même des risques inhérents à l'agriculture en général, et aux activités agricoles telles qu'elles sont pratiquées en Afrique en particulier, ainsi que par les insuffisances du secteur privé. Ces insuffisances ont d'ailleurs été aggravées par I -2- l'omniprésence des pouvoirs publics. De plus, certaines activités ne sont pas rentables par nature, et la question se pose de savoir dans quelle mesure elles doivent être prises en charge par les pouvoirs publics. La question du rôle des coopératives est souvent évoquée à propos de la rationalisation des organismes et des systèmes de commercialisation. Dans les années 60, de nombreux pays ayant récemment accédé à l'indépendance et de nombreux donateurs voyaient dans les coopératives un moyen de décentraliser le crédit agricole, la distribution des intrants et la commercialisation des produits de l'agriculture. Cependant, lorsque les coopératives ont commencé à compter sur le plan économique et sur le plan politique, les pouvoirs publics, voyant dans leur ascension une menace pour le pouvoir politique central, ont souvent cherché à encadrer plus étroitement leurs activités, au détriment de leur efficacité; ce revirement s'est produit un peu partout, n'épargnant que certains sous-secteurs, il est vrai importants, de l'agriculture kényenne. Au début des années 70, la plupart des coopératives n'étaient plus que des organismes étatisés, qui avaient cessé de défendre les intérêts de leurs membres, en particulier ceux des petits exploitants. En dépit de ce handicap historique, les coopératives ont pu être considérées, dans le dialogue qui s'est instauré en vue de l'adoption de mesures d'ajustement, comme pouvant offrir une solution de compromis permettant de concilier les vues des donateurs et des gouvernements des pays africains quant à la distribution des rôles entre secteur public et secteur privé. Cependant, les gouvernements et les donateurs ne sont pas d'accord sur les formes que doivent revêtir les coopératives et le rôle qu'elle doivent jouer dans la commercialisation des produits agricoles. Les gouvernements, que l'on presse d'abandonner le I -l -3- circuit unique étatisé de commercialisation, mais qui craignent d'autre part de voir leur échapper des fonctions politiquement et économiquement importantes, trouvent que les coopératives offrent une formule plus attrayante que la privatisation. Les donateurs, quant à eux, cherchent à accroître le rôle du secteur privé dans la commercialisation, mais se heurtent aux réticences des pouvoirs publics; ils considèrent que les coopératives, faute de mieux, peuvent avantageusement remplacer les entreprises para-publiques pour la commercialisation. L'aspect le plus intéressant de ces deux conceptions est peut-être que ni l'une ni l'autre ne semble tenir compte des leçons que l'on peut tirer de l'action menée précédemment pour promouvoir les coopératives, puisqu'elles semblent sous- estimer l'importance de l'adhésion de la base et la gravité des problèmes qui tiennent à la volonté des pouvoirs publics d'établir ou de maintenir leur emprise sur les coopératives. Enfin, à propos de ce débat, il importe de bien faire la distinction entre les questions touchant la formation des prix et celles qui ont trait aux organismes de commercialisation. Les analyses sont souvent soit axées sur la formation des prix, soit axées sur la commercialisation, et ne font pas explicitement ressortir que toute politique des prix a des incidences sur le choix des organismes de commercialisation, et inversement. De même, agir sur la structure des marchés à des fins de décentralisation politique ne peut qu'avoir des répercussions sur la répartition du pouvoir politique. La présente étude traite principalement du rôle qui devrait revenir respectivement au secteur public, au secteur privé et aux coopératives et, secondairement, de questions ayant trait à la formation des prix des produits agricoles traditionnellement exportés et des produits de I -4- l'agriculture vivrière, questions qui sont envisagées à la lumière de l'expérience des pays sur lesquels porte l'étude MADIA, à savoir le Cameroun, le Kenya, le Malawi, le Nigéria, le Sénégal et la Tanzanie 1/. La proportion de la superficie totale des terres cultivées consacrée aux cultures traditionnellement orientées vers l'exportation et aux cultures vivrières dépasse largement les 90 Z dans ces pays, et ces cultures contribuent aussi à raison de plus de 90 Z à la valeur ajoutée par le secteur agricole et aux créations d'emplois agricoles. Il ne sera pas question ici de la formation des prix et de la commercialisation des produits de l'horticulture - sous-secteur où les pouvoirs publics n'interviennent que très peu -, non plus que de l'élevage. Il est généralement admis que grâce à son adaptabilité, le secteur privé a joué un rôle extrêmement important dans le développement du commerce et des produits de l'horticulture, de l'industrie laitière et de l'élevage dans des pays comme le Kenya. Afin que le lecteur puisse mieux comprendre comment, au fil des ans, les pouvoirs publics ont renforcé et multiplié leurs interventions dans la commercialisation des produits agricoles, l'étude débute par un bref exposé du système de commercialisation des produits agricoles en place au moment de l'indépendance. Les deux sections suivantes sont consacrées à une analyse des traits saillants de la période pendant laquelle les pays couverts par l'étude MADIA s'en sont remis à des organismes para-publics et aux coopératives pour la commercialisation des produits agricoles. La section suivante donne un aperçu du contenu des programmes de I/ Une autre étude de la méme série traite plus en détail de la formation des prix des intrants agricoles, et particulièrement de la politique des prix des engrais; voir Lele, Christiansen et Kadiresan, 1989. - -5- libéralisation de la commercialisation adoptés par ces pays et des résultats de leur application. Viennent enfin des conclusions et l'exposé des conséquences à en tirer pour la définition des politiques. La thèse qui se dégage de l'analyse est que les exigences de la production et du traitement des différents produits agricoles ont influé sur le mode d'organisation de leur commercialisation. Cependant, l'intervention des pouvoirs publics dans la commercialisation des produits agricoles, aussi bien à l'époque coloniale qu'après, a aussi été motivée par des considérations politiques. Bien que les produits vendus par leur intermédiaire ne soient pas les mêmes en Afrique de l'Est et en Afrique de l'Ouest, les offices de commercialisation ont, dans la plupart des cas, constitué l'un des moyens principaux de distribution de ressources et de services précieux pour le secteur agricole - crédit, engrais, biens de consommation, fixation de prix de soutien pour certains produits, aide alimentaire, approvisionnement en denrées alimentaires, et création d'emplois. Etant donné la place très importante que tient le népotisme dans le fonctionnement des organismes para-publics de commercialisation, il faut, avant de songer à accroître la participation du secteur privé à la commercialisation, étudier sérieusement les questions que soulève la décentralisation du développement et déterminer dans quelle mesure et sous quelles conditions le secteur privé est capable d'assurer par ses propres moyens l'essor général du secteur agricole, indispensable à un développement économique viable et auto-entretenu. Cela suppose que l'on définisse le rôle qui doit revenir au secteur public, c'est-à-dire que l'on précise les cas dans lesquels le soutien et l'intervention réglementaire I -6- des pouvoirs publics sont indispensables au maintien de la concurrence, et les cas où la puissance publique doit fournir des services que le secteur privé ne veut ou ne peut pas fournir. La distinction, souvent rappelée, entre biens collectifs et biens privés, est par ailleurs difficile à opérer aux stades initiaux du développement, faute de marchés financiers ou de marchés offrant des garanties contre les risques inhérents à l'activité agricole. Nous nous sommes attachés à tirer de l'expérience acquise par les pays couverts par l'étude MADIA des enseignements utiles pour la définition des politiques. I -7- LA GENESE DE L'INTERVENTIONNISME LES SYSTEMES DE COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES AU MOMENT DE L'ACCESSION A L'INDEPENDANCE C'est dans la structure du secteur agricole héritée de l'ère coloniale qu'il faut chercher l'origine des pratiques qui caractérisent la I commercialisation des produits agricoles dans les pays qui font l'objet de l'étude MADIA. L'évolution de ces pratiques procède d'un préjugé défavorable à l'égard du commerce en général, et elle a en outre été déterminée par les relations économiques entre classes sociales et par la nécessité de dégager des recettes publiques, deux facteurs qui ne sont pas I particuliers à l'Afrique. Bauer observe que la volonté de mettre de l'ordre dans un système commercial privé perçu comme anarchique a figuré en bonne place parmi les justifications avancées à l'appui de l'intervention des pouvoirs publics dans la commercialisation des produits agricoles d'exportation au Nigéria et au Ghana (Bauer 1967, p. 214). Au sujet de l'étude de la commercialisation des produits agricoles en Afrique de l'Ouest menée par la Commission Nowell, il écrit : ILa Commission a critiqué le système de commercialisation, apparemment chaotique et inorganisé; les organismes de commercialisation collective dont elle propose la création offrent apparemment l'avantage de la * simplicité, de l'efficacité et de la restauration de l'ordre. En outre, la mise en place de tels organismes est censée, selon la Commission, aboutir à la création de vastes organisations et de postes de I fonctionnaires de rang élevé." (Bauer 1967, p. 265) Cette préférence pour la commercialisation "organisée" tient pour une part I à la méconnaissance du fonctionnement des marchés. A ce sujet, Bauer fait état des observations formulées par de nombreux administrateurs des colonies au Nigéria et au Ghana : "Le nombre et la diversité des intermédiaires ont été vivement critiqués, officiellement aussi bien que par des observateurs indépendants. On y voit une source de gaspillage, et la raison qui I1 -8- explique l'importance des marges de distribution sur les produits et denrées." (Bauer 1967, p. 22) 2/ La thèse qui tend à expliquer l'interventionnisme par une volonté d'ordre et d'efficacité est à certains égards séduisante, mais il est cependant manifeste que les systèmes restrictifs de commercialisation ont été largement employés, pendant la période coloniale, pour tirer du commerce une rente économique. En Afrique de l'Ouest, il s'est révélé difficile d'encadrer ou de réglementer le commerce des produits de l'agriculture vivrière, du fait de sa forte diversification et de son échelle modeste, mais aussi du grand nombre de producteurs. Aussi les offices de commercialisation ont-ils dû limiter leurs interventions à la commercialisation des produits agricoles d'exportation - domaine dominé par des maisons de commerce européennes (Harriss 1981). Ainsi, c'est pour établir leur mainmise sur l'acquisition et la distribution des produits agricoles (essentiellement les produits d'exportation) que les pouvoirs publics ont créé, en Afrique de l'Ouest, des organismes para-publics de commercialisation des produits agricoles; selon certains, cela s'est fait au détriment des producteurs (Keene, Monk & Associates, Inc. 1984, p. i). Cependant, Harriss, dans son étude du commerce dans les pays d'Afrique de l'Ouest, observe que les investissements consacrés avant la seconde guerre mondiale aux réseaux de commercialisation et à l'infrastructure des transports ont en fait contribué à stimuler la production agricole intérieure, même s'ils étaient censés servir avant tout les intérêts des maisons de commerce européennes. Toujours en Afrique de l'Ouest, la création de certains offices de commercialisation a été motivée aussi par 2/ Le même phénomène a pu être observé en Inde durant la période coloniale et la période post-coloniale (voir Lele 1971). i -9l le déclin des cours mondiaux de certains produits agricoles d'exportation et par la méfiance de plus en plus vive manifestée par les producteurs africains à l'égard des sociétés commerciales privées. Les objectifs contradictoires qui procédaient de la volonté du Gouvernement britannique de conserver le soutien de la population et de maintenir ses recettes en temps de guerre ont ainsi joué un certain rôle (Harriss 1981, p. 23-24). En Afrique de l'Est également, c'est la structure des intérêts économiques des pays européens qui a déterminé la nature des interventions des pouvoirs publics dans la commercialisation. A l'époque coloniale, l'agriculture comprenait deux sous-secteurs, celui des grands domaines, et celui des petites exploitations. Il était d'autant plus facile aux offices de commercialisation de freiner la production de produits agricoles exportables que les deux sous- secteurs différaient bien souvent par la nature de leur production. Les restrictions de la production de produits agricoles d'exportation par les petits exploitants, qui avaient une productivité relativement plus élevée que les grands propriétaires (Lele et Agarwal 1989), ont permis aux propriétaires européens de conserver notamment le monopole de la production de thé et de café au Kenya. Des offices de commercialisation ont été créés au Kenya là où les propriétaires européens avaient une position dominante. Bates (1989) souligne que, Parmi les multiples moyens employés au Kenya par les exploitants européens pour s'assurer un avantage économique sur les exploitants africains, l'un des plus constamment utilisés a été la mise en place d'offices ou d'organismes para-publics et d'offices de commercialisation des produits agricoles tels que la Land and Agricultural Bank (crédit foncier et agricole), le Wheat Board (Office du blé), le Maize l - 10 - Board (Office du maïs), le Coffee Board (Office du café) et les Kenya Cooperative Creameries (Laiteries coopératives du Kenya), tous constitués à l'initiative de grands propriétaires dans le but de rendre leur production plus lucrative. Bates cite l'exemple de l'Office du maïs pour illustrer ce phénomène : "Leur principal moyen d'action était la Kenya Farmers Association (KFA), organisation d'agriculteurs fondée durant la campagne 1912/13 pour la commercialisation de la récolte de maïs. Le principal obstacle qui risquait de les empêcher de tirer un bon prix de leurs récoltes de maïs était la concurrence; celle des petits exploitants africains leur paraissait particulièrement dangereuse. Ne disposant pas des pouvoirs réglementaires de l'Etat, la KFA ne pouvait guère espérer relever le niveau des prix en imposant une discipline à ses membres, et encore moins en freinant les ventes des exploitants qui ne lui étaient pas affiliés." (Bates 1989, p. 16-17). Pour assurer l'approvisionnement en denrées alimentaires pendant la seconde guerre mondiale, les autorités kényennes cherchèrent à garantir la rentabilité de la production alimentaire en conférant à la KFA le pouvoir d'agir au nom des pouvoirs publics, et notamment de veiller à la régulation des prix des produits agricoles. Ainsi investie de la puissance publique, la KFA prit en charge, pour le compte de l'Office du maïs, la production de maïs ainsi que le stockage et le transport des récoltes. L'association fondée par de grands propriétaires se voyait conférer par la loi les pouvoirs d'un monopsone, puisqu'elle avait officiellement pour mission de faire en sorte que les prix soient suffisamment élevés pour garantir à ses membres des bénéfices confortables. Bates a ainsi pu observer, non sans quelque ironie, que "le Gouvernement du Kenya nouvellement indépendant hérita de la puissance coloniale des institutions publiques chargées de promouvoir et de réglementer l'agriculture qui étaient exceptionnellement riches et bien organisées.' (Bates 1989, p. 22). l -11l- Il ne fait aucun doute que ce lourd passé interventionniste (Harriss 1981, p. 15), la volonté de favoriser le développement de l'agriculture spéculative, des moyens d'action offerts par un système de commercialisation aux mains des pouvoirs publics, la volonté aussi de mobiliser des ressources pour pourvoir au fonctionnement des administrations héritées de la période coloniale, et le désir de garder la haute main sur la commercialisation de produits agricoles politiquement très importants, tels que le maïs, en même temps que des doutes quant à l'efficacité d'un système commercial relevant du secteur privé, ont contribué, après l'indépendance, à faire triompher les positions hostiles au commerce privé et favorables à l'encadrement et à la réglementation de la commercialisation par les pouvoirs publics. Cette prédilection pour les systèmes de commercialisation dominés par l'Etat s'est manifestée dans tous les pays couverts par l'étude MADIA. Le développement, dans les années 70, des systèmes de commercialisation dominés par le secteur public faisait évidemment l'affaire des gouvernements, à qui il permettait d'étendre leur emprise comme leurs bienfaits à de plus vastes secteurs de l'économie et de la société, mais il n'aurait pas pu prendre une telle ampleur si les donateurs n'y avaient pas contribué dans une mesure non négligeable, encore que tacitement. Entre 1977 et 1984, les dépenses publiques des pays couverts par l'étude MADIA ont été financées par l'aide extérieure dans des proportions allant de 35 à 65 Z (Lele et Jain 1989). C'est dans les deux pays qui ont bénéficié de l'aide extérieure la plus importante - Tanzanie et Sénégal - que l'essor des entreprises para-publiques a été le plus rapide. En Tanzanie, par exemple, on dénombrait à la fin des années 70 près de 400 entreprises para- I - 12 - publiques, et les prix de près de 1 000 produits agricoles étaient alors réglementés. Un rapport récemment publié par la Banque mondiale (Banque mondiale 1988 'Agriculture Marketing : The World Bank's Experience") montre que les pays d'Afrique sub-saharienne ont reçu de la Banque, pour le financement de leurs entreprises para-publiques, une aide plus importante que celle qu'elle a accordé à ce titre aux pays d'Asie ou d'Amérique latine; toujours selon ce rapport, 48 projets de développement des cultures vivrières, 45 projets de développement des cultures d'exportation et 17 projets de développement de l'élevage réalisés en Afrique durant la période 1974-1985 comportaient certains éléments ayant trait à la commercialisation (Banque mondiale 1988, p. 11). Lorsqu'au cours de la phase de libéralisation des années 80, les donateurs se sont mis à critiquer ces mêmes entreprises para-publiques, ils ont fait preuve d'une méconnaissance presque totale des intérêts acquis qu'ils avaient contribué à créer, et ne se sont guère préoccupés de savoir si les importantes fonctions de développement que les entreprises para- publiques avaient contribué à promouvoir avaient ou non été remplies 3/. En ce qui concerne les prêts consentis par la Banque mondiale pour des projets de commercialisation des produits agricoles, on peut lire dans le rapport susmentionné les observations suivantes 'Bien que la Banque ne se soit jamais prononcée explicitement pour ou contre les organismes para-publics, il est évident que son attitude à 3/ Les réactions à l'inefficacité des organismes para-publics de commercialisation ont été longues à se manifester, et il a fallu plus de temps encore pour faire admettre que les donateurs avaient eux-mêmes contribué à l'hypertrophie du secteur public (voir par exemple le rapport de la Banque mondiale sur le secteur agricole en Tanzanie). Par a suite, cependant, l'adhésion sans nuance aux thèses favorables à la privatisation est souvent allée de pair avec un manque de rigueur dans la définition des objectifs généraux du développement à long terme. I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ -I| - 13 - leur égard a beaucoup changé. A la fin des années 60 et dans les I années 70, les entreprises para-publiques, dont beaucoup étaient un héritage de l'époque coloniale, n'étaient guère critiquées. Lorsqu'elles constataient que ces entreprises étaient mal équipées ou mal gérées, les commissions d'évaluation concluaient généralement qu'il était possible de remédier à ces carences par des investissements effectués dans le cadre de projets ou par l'affectation en des points stratégiques de personnel d'assistance technique" (Banque mondiale 1988, p. iii). Les raisons pour lesquelles les donateurs étaient enclins à ne pas mettre en question le réseau des organismes para-publics étaient à bien des égards les mêmes que celles qui motivaient la faveur dont elles jouissaient auprès des gouvernements : il était plus facile de traiter avec les entreprises | para-publiques qu'avec des entreprises privées, parce qu'elles se prêtaient à des interventions et étaient relativement peu nombreuses. Sur ce point également, l'étude de la Banque mondiale fournit une analyse intéressante "Il était facile de concevoir et d'évaluer des projets intéressant les entreprises para-publiques. Celles-ci avaient souvent le monopole légal du commerce, de sorte que l'assistance allait à la seule organisation existante - organisation qui, de surcroît, jouissait de l'approbation et | | du soutien du gouvernement. Du fait de la centralisation des décisions, les principes qui devaient régir le projet pouvaient être définis assez facilement avec le responsable de celui-ci et, grâce aux liens établis avec le ministère de tutelle, il était facile d'obtenir du gouvernement qu'il approuve le plan d'évaluation" (Banque mondiale 1988, p. iii). Outre le fait qu'il paraissait plus facile de traiter avec elles qu'avec des entreprises du secteur privé, les entreprises para-publiques semblaient capables de mener à bien des projets que les entreprises privées autochtones, eu égard au degré de développement de l'Afrique, n'étaient pas I à même de réaliser. Cette impression, et le fait que les gouvernements africains étaient manifestement peu disposés à laisser des minorités d'origine étrangère (les Indiens en Afrique de l'Est et les Libanais au Sénégal) accéder à un rôle de premier plan dans des domaines politiquement ou économiquement importants ont joué en faveur des organismes para- I - 14 - publics. Le revers de la médaille, c'est que la promotion des activités des organismes para-publics, a dans la plupart des cas, fait négliger les mesures qu'il aurait fallu prendre pour mettre en place le cadre juridique et institutionnel indispensable au développement de marchés ouverts à la concurrence (Lele 1989b). La création de tels marchés, qui ne se fait pas du jour au lendemain, n'exige de la part des donateurs que des apports financiers relativement modestes, mais elle nécessite en revanche une connaissance approfondie et objective des conditions politiques, culturelles, technologiques et économiques propres aux pays considérés. Malheureusement, cette connaissance fait souvent défaut chez le personnel des organismes donateurs, issu en général du secteur public. Dans le contexte du débat actuel sur la privatisation, il importe de ne pas perdre de vue qu'il existe plusieurs types de secteurs privés. Les différences qui les distinguent sont rarement explicitées, et les politiques de privatisation n'en tiennent pas souvent compte. Par exemple, il peut fort bien être politiquement inacceptable d'encourager les activités de commerçants non indigènes tels que les Indiens et les Libanais ou de groupes ethniques particulièrement entreprenants (par exemple les Kijuyu, les Chaga, les Ibo ou les Bamileke). Il faut aussi tenir compte de ce que les gouvernements tiennent, pour des raisons politiques, à développer l'esprit d'entreprise chez des ethnies qui ne sont encore que peu intégrées à l'économie marchande. Il importe en outre d'opérer les distinctions qui conviennent entre les différents éléments du secteur privé, qui comprend aussi bien de grandes maisons de commerce et des transnationales que des femmes qui tiennent des étals sur les marchés. Tout programme de privatisation doit reposer sur une analyse indiquant l - 15 - précisément quels sont les agents et quels sont les bénéficiaires concernés, et dans quelle mesure la privatisation de certains circuits de distribution empiétera sur les activités du secteur public. Enfin, il faut admettre que dans les pays couverts par l'étude MADIA, la taxation des produits agricoles a été expressément encouragée par les donateurs et les conseillers étrangers à la fin des années 60 et au début des années 70, dans le but de dégager les recettes publiques nécessaires à la modernisation de l'économie et à l'industrialisation. La demande de produits primaires d'exportation étant alors perçue comme inélastique, il semblait logique de taxer l'agriculture pour dégager les ressources nécessaires à la modernisation et à la diversification de l'économie (Lele et Jain 1989). Les donateurs et les gouvernements étaient si pessimistes quant à l'avenir des exportations qu'ils allèrent jusqu'à modifier la répartition des investissements et infléchir les politiques au détriment des cultures d'exportation et au profit de la production alimentaire et de l'industrialisation durant une période où l'aide étrangère était en progression. La crise alimentaire de 1973-74 ne fit que renforcer les craintes de pénuries alimentaires. Ce n'est qu'au Kenya et, au Malawi, dans le sous-secteur des grandes exploitations, que ce pessimisme ne motiva pas la taxation directe ou indirecte de l'agriculture; en fait, on observa au Kenya une croissance soutenue de la production des petites exploitations (Cultures vivrières diverses et cultures d'exportation - Lele 1989a). Au Malawi, au Cameroun et au Sénégal, les petits exploitants furent directement pénalisés par la fixation de prix à la production peu rémunérateurs pour le tabac, le café et les arachides, et ils furcnt indirectement pénalisés au Nigéria et en Tanzanie du fait de la - 16 - surévaluation de la monnaie (voir tableau 1). A la fin des années 70, le Nigéria et la Tanzanie commencèrent à accorder des subventions budgétaires aux entreprises para-publiques pratiquant des cultures d'exportation, subventions qui étaient censées compenser le handicap à l'exportation résultant de la surévaluation de la monnaie, mais ces mesures ne permirent pas de remédier complètement aux effets néfastes de cette surévaluation. Cependant, dans la plupart des pays couverts par l'étude MADIA, il n'y a pas eu taxation nette de l'agriculture, la taxation des cultures d'exportation étant compensée par les subventions publiques allant aux cultures vivrières. Tandis qu'ils taxaient les produits agricoles d'exportation, les pouvoirs publics étaient portés à subventionner les cultures vivrières par l'intermédiaire d'organismes de stabilisation des prix. En Afrique de l'Est, les pertes ou les arriérés de recouvrement des organismes de commercialisation des céréales ont atteint 5 milliards de shillings pour le Kenya et à 2,8 milliards de shillings pour la Tanzanie. Pour le maïs, ces coûts ont largement dépassé, dans ces deux pays, le montant des recettes publiques provenant des exportations agricoles (Lele 1989a, p. 138). Au Malawi, le gouvernement taxait de même les petits producteurs de tabac alors qu'il subventionnait la production de maïs. On retrouve le même schéma en Afrique de l'Ouest, où les pouvoirs publics soutenaient la production alimentaire en subventionnant les prix des engrais et subventionnaient les prix des produits alimentaires à la consommation en autorisant l'importation de produits bon marché, l'attribution des licences d'importation leur procurant par ailleurs une importante rente économique. Au Nigéria, les subventions publiques des prix des engrais ont totalisé un l -17 - milliard de naira en 1987. Enfin, des investissements publics ont été effectués dans de grands projets d'irrigation des cultures vivrières, par l'intermédiaire des River Development Basin Authorities au Nigéria, et d'entreprises para-publiques au Sénégal et au Cameroun (SAED et SEMRY, I * respectivement, l'une et l'autre dotées d'une branche spécialisée dans la commercialisation dont le fonctionnement était subventionné par l'Etat). Tout en exprimant des doutes quant à sa viabilité économique, les donateurs ont généreusement soutenu la riziculture, à l'instigation de leurs propres technocrates, qui avaient conçu de coûteux programmes de développement de I la riziculture et, localement, par de hauts fonctionnaires intéressés. Les projections optimistes de l'évolution des prix du riz faites dans les années 70 justifiaient en partie ces investissements, mais ces prix sont depuis orientés à la baisse. I I I I I I I I I - 18 - Tableau 1 Ratios prix i la production/prix sur les marchés internationaux (calculés sur la base des taux de change nominaux), 1970-1988 Kenya Malawi Tanzanie Petites exploitations --Grandes plantations-- Petites exploitations Tabac ODark- Tabac Tabac séché Petites exploitations Année Café Thé Firedu OBurley' i l'air chaud Tabac Coton Café 1970 0,91 0,80 0,22 0,4 0,S7 0,43 0,72 - 1971 0,90 0,87 0,25 0,39 0,68 0,50 0,61 1972 0,98 0,83 0,23 0,40 0,63 0,46 0,57 0,57 1973 0,98 0,60 0,22 0,54 0,86 0,44 0,35 0,43 1974 0,97 0,55 0,23 0,82 0,84 0,42 0,32 0,43 1975 1,01 0,63 0,22 0,47 0,86 0,47 0,51 0,36 1978 0,85 0,67 0,21 0,48 0,70 0,40 0,41 0,30 1977 0,92 0,70 0,28 0,60 0,76 0,42 0,46 0,35 1978 0,94 0,84 0,16 0,50 0,74 0,47 0,55 0,39 1979 0,93 0,68 0,24 0,45 0,65 0,37 0,51 0,29 1980 0,98 0,76 0,23 0,48 0,40 0,35 0,62 0,41 1981 0,84 0,62 0,19 0,73 0,58 0,33 0,61 0,53 1982 0,83 0,56 0,24 0,51 0,50 0,30 0,73 0,52 1983 0,90 0,98 0,23 0,27 0,39 0,38 0,67 0,47 1984 0,80 0,86 0,25 0,30 0,38 0,27 0,85 0,47 1985 0,88 0,76 0,21 0,26 0,34 0,36 1,07 0,53 1988 0,79 0,69 0,22 0,43 0,45 0,32 1,11 0,33 Sources Prix sur les marchés internationaux tirés des statistiques des produits de base de la Banque mondiale (BESD); pour le café wOther Mild Arabica"; pour le thé 'Average Auction (London); pour le tabac "United States All Markets'; pour le coton wEgypt (Liverpool)"; pour les arachides 'Nigerian (London)". Les taux de change nominaux sont ceux relevés par le FMI (1987). Prix i la production Konya - Ministère de l'agriculture (1987); Malawi - Gouvernement du Malawi (1988) pour les prix du tabac; Banque mondiale (1988a) pour les prix du coton (grade A); Banque mondiale (1981) pour les prix des arachides pendant la période 1970 à 1977, Gouvernement du Malawi (1988) pour les prix des arachides pendant la période 1978-1986; Tanzanie - Banque mondiale (1986b). -19- I JUSTIFICATIONS ECONOMIQUES DES INTERVENTIONS SUR LES MARCHES Nous venons de rappeler la genèse des interventions des pouvoirs publics dans la commercialisation des produits agricoles, et d'en exposer quelques-unes des motivations politiques. Dans la présente section, nous examinerons les justifications économiques avancées par I les défenseurs de l'interventionnisme. Les risques inhérents aux activités agricoles Les agro-économistes qui participèrent à l'élaboration de la politique des prix qui devait stimuler la modernisation de l'agriculture des Etats-Unis dans les années 40 soutenaient que la manipulation des I prix des produits agricoles était justifiée par le fait que les risques inhérents aux activités agricoles sont plus importants que ceux que * comportent les autres activités économiques 4/. Tenant à peu près le même raisonnement que leurs homologues européens qui travaillaient dans les colonies africaines, ils considéraient que pour inciter les agriculteurs à investir dans des intrants modernes, il était indispensable de leur offrir la sécurité de marchés garantis. De même, I les auteurs d'un rapport publié récemment par la SFI (SFI 1989), analysant les raisons de la médiocrité des résultats des projets de développement de la production agricole financés par la SFI, notent qu'il faut "... que la SFI admette que les incertitudes qui pèsent sur l'agriculture sont beaucoup plus lourdes que celles inhérentes à I l'activité industrielle. La production et les prix subissent des i fluctuations beaucoup plus importantes, et évoluent souvent dans le méme sens." (SFI 1989, p. vi). Production - Les risques que comporte l'agriculture pluviale tiennent aux variations des rendements et aux fluctuations des prix, I 4/ Voir Schultz 1945; Johnson 1947. l - 20 - ainsi qu'à l'instabilité de la production qui en résulte. Etant donné que les prix du marché et les rendements évoluent généralement en sens contraire, les revenus agricoles devraient être stables. Cependant, l'offre et la demande de produits agricoles sont très inélastiques à court terme, et il n'existe pas de marchés à terme. Dans ces conditions, si les prix ne sont pas soutenus d'une manière ou d'une autre, un excédent de production dû à des conditions météorologiques particulièrement favorables peut entraîner une baisse disproportionnée des prix, en particulier lorsque l'infrastructure (routes, voies ferrées, etc.) est insuffisante, et lorsque les agriculteurs sont mal informés et ne disposent pas de moyens de crédit, de transport et de stockage adéquats. Inversement, une chute brutale de la production peut entraîner une hausse disproportionnée des prix s'il n'est pas possible de contenir ceux-ci en écoulant des stocks. Cela étant, sauf au Kenya, les risques inhérents à la production ne justifient pas vraiment les interventions sur les marchés, parce que les intrants et le matériel agricole modernes sont encore très peu utilisés dans les pays africains. Néanmoins, une stratégie de modernisation de l'agriculture qui ne ferait pas place à certaines mesures de soutien des prix aurait peu de chances de succès. Stocks régulateurs - Les chercheurs doivent à cet égard s'attacher à répondre à une question importante : dans quelle mesure le secteur privé a-t-il les moyens et la volonté de constituer des stocks qui seraient conservés d'une année sur l'autre, ce qui allégerait les obligations du secteur public à cet égard. Dans les ouvrages et articles consacrés à l'agriculture en Afrique, on ne trouve pratiquement rien sur la question de la constitution de stocks de soudure par les ménages ruraux, les grossistes, les détaillants ou les collectivité -21- rurales. Les travaux de Pinckney sur le Kenya donnent à penser que cette pratique est assez répandue dans ce pays. Cependant, selon d'autres sources, le volume des stocks constitués dans le secteur privé serait relativement peu important (même sans l'effet dissuasif des manipulations des prix), parce que les frais d'entreposage sont élevés (représentant de 20 à 25 Z de la valeur des produits stockés), et risquent de ne pas être couverts par les hausses de prix de l'années suivante (du fait en particulier du coût d'option élevé des fonds de roulement, dû à l'insuffisance des moyens de trésorerie), et aussi parce que les ménages ruraux doivent consacrer une partie importante de leur temps à subvenir à leurs besoins immédiats. Les donateurs n'ont pas fait grand chose pour favoriser, avant que ne s'amorce la libération des marchés, la constitution de stocks par les ménages et par les négociants, ce qui témoigne du mauvais échelonnement et de la mauvaise articulation des réformes des marchés. Mais, de toute manière, il ne faut guère s'attendre à ce que les négociants du secteur privé constituent des stocks suffisants pour permettre d'amortir les effets des grandes sécheresses; ils considèrent qu'il est relativement plus avantageux de commercialiser immédiatement les produits que de conserver des stocks importants qui risquent de devoir être écoulés à perte. Il est donc à peu près certain que les gouvernements devront prendre certaines mesures de stabilisation des prix et de l'offre d'une année sur l'autre, bien que de telles mesures ne puissent que se solder par des pertes pour le trésor public. Les donateurs, au lieu de s'attacher simplement au principe de la privatisation, devront donc aussi prêter attention à son rythme et à ses modalités, et au rôle qu'elle joue dans les phases initiales du développement économique. I I - 22 - Sécurité alimentaire - On laisse souvent entendre aussi que les pays africains hésitent à se lancer dans le commerce international. Cependant, un rapport de l'étude MADIA sur la sécurité alimentaire démontre que ces pays sont de plus en plus lourdement tributaires de leurs importations de produits alimentaires. Alors que les pays africains ont de moins en moins les moyens de financer de telles importations, la proportion des besoins alimentaires couverte par des importations dépasse maintenant dans ces pays ce qu'elle était dans nombre de pays asiatiques dans les conditions de crise des années 60. -- De plus, les importations sont souvent une source d'approvisionnement aléatoire. Ainsi, l'accroissement de la production alimentaire intérieure etjou le renforcement des moyens de financement des importations de produits alimentaires (par la libéralisation de l'accès au mécanisme concessionnel du FMI pour les céréales ou, éventuellement, l'accroissement des apports fournis par les donateurs au titre de l'aide alimentaire, pour le financement de stocks) pourraient contribuer à la libéralisation des marchés en renforçant la sécurité alimentaire des pays africains. Conditions météorologiques - L'agriculture pluviale telle qu'elle est pratiquée dans les pays africains comporte généralement plus de risques que l'agriculture irriguée pratiquée dans les autres pays en développement. En Afrique, les risques sont souvent aggravés par le fait que la hauteur annuelle de précipitations est plus faible qu'en Amérique du Nord ou en Europe et le régime des pluies beaucoup plus irrégulier. En outre, les moyens dont disposent les pays africains pour prévoir les sécheresses sont plus rudimentaires que ceux qui existent ailleurs (Lele 1985); la mise en place de systèmes d'alerte rapide permettrait d'atténuer certains des risques météorologiques. I -~~~~~~~~~~~~~23- Il y a souvent corrélation entre les risques liés aux aléas climatiques et ceux qui tiennent à de mauvaises orientations de la politique agricole. Par exemple, dans une grande partie de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique australe, où des entreprises para-publiques ont un monopole de fait ou de droit, les mauvaises récoltes dans le sous- * secteur vivrier contraignent les pouvoirs publics à accroltre les importations de produits alimentaires, effectuées aux conditions du marché ou financées par une aide extérieure 5/. Les entreprises para- publiques prennent à leur charge le coût de leurs activités de distribution de produits alimentaires, y compris le coût des transports I de céréales jusqu'aux centres de consommation les plus reculés; il arrive souvent que le trésor public, même lorsqu'il bénéficie de transferts au titre de l'aide alimentaire, ne leur rembourse pas ces coûts. Les années où l'offre intérieure est abondante, en revanche, les organismes para-publics de commercialisation ont le choix entre soutenir I les prix, ce qui leur fait bien souvent subir des pertes sur les stocks g conservés d'une année sur l'autre, et faire supporter les risques par les producteurs, en n'achetant pas la totalité de la production mise sur | le marché. Caractéristiques des marchés - L'intégration des marchés intérieurs est relativement peu poussée du fait que les pouvoirs publics s'attachent à mener leurs opérations d'achat à des prix fixes, en 5/ Les approvisionnements en produits alimentaires d'importation, et donc la sécurité alimentaire des agriculteurs sont tributaires des * vicissitudes du marché, peuvent être compromis par le manque de devises étrangères et les fluctuations des stocks de produits alimentaires des donateurs (Lele 1985, p. 200). Les pénuries de devises sont loin d'être I rares, étant donné l'instabilité des cours des produits de base dont la production est l'une des principales sources d'emplois et l'exportation l'une des principales sources de devises dans la plupart des pays africains. Pour plus de détails sur la mesure dans laquelle les pays africains sont tributaires de l'agriculture pour leurs recettes en devises et la création d'emplois, voir Lele 1985. i~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 24 - restreignant les mouvements de céréales d'une région à l'autre. Dans la pratique, cependant, les cloisonnements sont loin d'être étanches; la commercialisation clandestine entraîne des coûts non négligeables. D'autre part, l'unification d'un marché ne garantit pas automatiquement la stabilité des prix lorsque l'offre est instable et la demande inélastique. L'élimination des restrictions sur la circulation des biens contribue certes à l'unification des marchés, mais les pouvoirs publics ne sont pas pour autant assurés de maintenir les prix des céréales à des niveaux raisonnables, en particulier les années de mauvaise récolte. C'est pourquoi, aussi bien pendant la période coloniale qu'après l'accession des pays africains à l'indépendance, les pouvoirs publics non seulement sont intervenus dans la commercialisation des céréales par souci de popularité mais aussi en ont restreint la circulation pour conserver la maîtrise de l'offre. A ce sujet, il est intéressant de noter que le Gouvernement indien a libéralisé le commerce des céréales non pas avant la révolution verte, mais après, c'est-à-dire à un moment où les chances de réaliser des excédents annuels étaient meilleures. Facteurs d'instabilité dans l'agriculture d'exportation Alors que, pour la production vivrière, l'instabilité des prix s'explique en gros par les fluctuations de l'offre intérieure (encore que dans des pays comme le Nigéria, l'évolution imprévisible des importations de riz entraîne de très fortes fluctuations de prix), l'instabilité des prix des produits agricoles d'exportation tient à des facteurs externes. Une autre partie de l'étude MADIA a mis en lumière l'extrême instabilité des prix des produits de base sur les marchés internationaux (Lele 1985), ainsi que la nécessité d'opérer une distinction entre les produits agricoles d'exportation de grande valeur -25 - (thé, café et cacao), dont la production peut être rentable même lorsque les cours internationaux sont au plus bas (à condition que les taux de change et les prix intérieurs ne soient pas manipulés) et les produits agricoles d'exportation de faible valeur (coton, arachides et tabac), dont la production, du point de vue rentabilité, est fortement concurrencée par la production vivrière, surtout lorsque la demande intérieure de produits alimentaires est en augmentation. L'instabilité de la production vivrière et des prix des produits alimentaires peut entraîner des fluctuations disproportionnées de la production de produits d'exportation entrant dans la seconde catégorie, du fait de la réduction de la superficie consacrée aux cultures annuelles. L'étude MADIA a aussi mis en relief la nécessité de distinguer entre les cultures annuelles, les cultures pérennes et les cultures dont les produits nécessitent un traitement. Ces dernières doivent approvisionner régulièrement en matières premières les industries implantées localement afin d'éviter les pertes au stade du traitement. Comme les circuits de commercialisation, du fait de leur structure, exigent une certaine intégration verticale qui ne permet guère aux producteurs de trouver des débouchés en dehors du système, les propriétaires d'installations de traitement ont probablement une plus grande influence sur les prix des produits agricoles d'exportation que sur les prix de ceux destinés à la consommation intérieure. Ils peuvent ainsi déterminer dans quelle mesure les fluctuations de prix sur les I I l l - 26 - marchés internationaux se répercuteront sur les prix à la production 6/. On a observé récemment une tendance à confondre forte taxation de _ l'agriculture et fixation des prix de stabilisation à un niveau élevé, encore que proche des prix frontière. Il est arrivé que les pouvoirs publics subventionnent les cultures vivrières avec le produit de la taxation de cultures d'exportation (par exemple, au Malawi, le produit des taxes sur les petites exploitations de tabac), sans vraiment s'attacher à atténuer les distorsions de distribution des revenus entre régions, entre campagnes et villes et entre classes sociales. Au Malawi, par exemple, les pouvoirs publics ont soutenu la production de maïs grâce au produit de taxes frappant les petites plantations de tabac, alors que les grandes plantations échappaient presque entièrement à la fiscalité (Lele 1989b). La stabilisation des prix Les pays d'Asie, d'Europe et d'Amérique latine qui ont réussi à moderniser leur agriculture ont presque tous, à un moment ou à un autre, fixé un prix minimum garanti pour certains produits importants, encore que des pays comme l'Indonésie aient eu recours à une formule économiquement plus rationnelle consistant à fixer des prix minima 6/ Ceux qui voient dans la stabilisation des prix un moyen de stimuler la production font valoir aussi que cette stabilisation peut contribuer à corriger les termes de l'échange pour les produits agricoles afin d'encourager la croissance à long terme de l'agriculture. Des termes de l'échange plus favorables à l'agriculture peuvent certes stimuler à court terme l'offre globale, mais on ne saurait compter sur des relèvements continus des prix pour soutenir la croissance de l'offre "... les corrections de prix à la hausse ne sauraient se poursuivre une fois que les distorsions initiales des prix ont été éliminées, d'autant que le marché international n'offre que des débouchés limités pour de nombreux produits agricoles traditionnellement exportés par lec pays africains et de nombreux produits des cultures vivrières. Une fois que les distorsions de prix ont été corrigées, les principaux problèmes que soulève la croissance à long terme du secteur agricole ont trait à la stabilité des conditions qui déterminent la formation des prix' (Lele 1985, p. 209). -27- I relativement bas pour certains produits (le riz en Indonésie, par exemple) et à acheter moins sur le marché intérieur et davantage sur le marché international (Siamwalla 1981). Il est cependant intéressant de noter que les importations de produits alimentaires de l'Indonésie n'ont pas dépassé 5 Z de la consommation intérieure, alors que les I importations de produits alimentaires de nombreux pays africains représentent déjà de 20 à 40 Z du total de leurs importations. On comprend donc que les pays africains, étant donné les fluctuations de leur capacité d'importation, ne tiennent pas à être encore plus lourdement tributaires de leurs importations de produits alimentaires (voir Lele, Christiansen et al. 1989). La stabilisation des prix par l'intervention d'organismes para-publics est d'autant plus coûteuse, I dans les pays africains, que les pouvoirs publics ne tolèrent g généralement (en principe du moins) aucune fluctuation des prix, alors qu'ils pourraient laisser varier ceux-ci à l'intérieur d'une fourchette de stabilisation relativement large en devenant acheteurs et vendeurs de dernier recours 7/. I Les économistes sont loin d'être d'accord sur la justification de la stabilisation des prix. Keynes considérait que des fluctuations rapides et importantes des cours mondiaux des produits de base étaient | "l'un des pires fléaux du commerce international" (Kanbur 1985), mais des ouvrages et articles récents mettent en doute la nécessité de I stabiliser les prix, du point de vue du producteur aussi bien que du consommateur. Ainsi, Newbery et Stiglitz (1981) considèrent que la stabilisation des prix risque d'accroître les fluctuations des revenus. * 7/ Dans le cas du Kenya, Pinckney estime qu'une politique des prix autorisant des fluctuations correspondant à un écart type de 5 Z par rapport aux prix objectifs coûterait annuellement 3,5 à 6 millions de dollars de moins qu'une politique de stabilité absolue des prix (Pinckney 1986). l - 28 - En outre, il se peut que les effets de la stabilisation des prix s'inversent à la longue : par exemple, la stabilisation peut stimuler un - certain type de production jusqu'au moment où les revenus provenant de celle-ci commencent à diminuer, ce qui ne serait pas arrivé si la stratégie de diversification de la production avait été adoptée pour amortir les risques liés à l'instabilité des prix. Newbery et Stiglitz soulignent aussi - et Berhman est d'accord avec eux sur ce point - qu'il faut bien faire une distinction entre les effets que la stabilisation des prix exerce sur la distribution des revenus et ceux qu'elle exerce sur l'efficacité de l'économie, et qu'il peut être préférable de suivre une politique visant à stabiliser la consommation et les revenus ou à améliorer le système financier et le fonctionnement des marchés à terme des produits de base plutôt qu'une politique de stabilisation des prix (Berhman 1987). En outre, l'instabilité des revenus due aux fluctuations du volume de la production peut être plus accusée que l'instabilité des revenus résultant des fluctuations des prix (Wahab 1985). Les avantages que les consommateurs et les producteurs peuvent tirer des fluctuations des prix sont fonction du rapport entre la variance de l'offre et de celle de la demande, de la validité des hypothèses formulées quant aux avantages de la réduction des risques, du degré de log-linéarité des perturbations et de la mesure dans laquelle elles sont exacerbées par des effets multiplicateurs (Gilbert 1986, p. 635). Certains auteurs considèrent que la stabilisation des prix se solde par un avantage net pour les consommateurs, mais se montrent très prudents quand il s'agit de chiffrer les avantages qu'elle pou.rait éventuellement procurer aux producteurs. Il y a d'ailleurs lieu de -29- penser que le coût du stockage régulateur excède les avantages résultant d'une plus grande stabilité des prix. Les consommateurs, en particulier ceux qui appartiennent aux couches les plus pauvres de la population et consacrent jusqu'à 60 Z de leur revenu aux dépenses d'alimentation, sont parmi ceux qui peuvent I bénéficier directement des interventions des pouvoirs publics visant à stabiliser les prix. De fortes fluctuations des prix des produits alimentaires peuvent avoir des effets politiques désastreux, et la question du régime des prix de ces produits mérite d'être traitée séparément. Nous nous bornerons ici à noter que l'effet de revenu négatif exercé par les augmentations des prix des produits alimentaires sont importants, et sont plus marqués pour ceux qui appartiennent aux groupes à faible revenu que pour les autres, parce qu'ils consacrent une part plus importante de leur budget aux dépenses alimentaires. Il en est ainsi même dans les campagnes 8/. Les différentes contributions à l'étude MADIA montrent que les ménages ruraux sont contraints de couvrir par des achats une part de plus en plus importante de leurs besoins I alimentaires, du fait que la pression démographique tend à réduire les superficies cultivées (Lele, Christiansen, Kadiresan 1989; Lele et Stone 1989). La stabilisation des prix est donc aussi un moyen de stabilisation des revenus, et les pouvoirs publics continueront I 8/ C'est la raison pour laquelle les petits exploitants tendent à donner la priorité à la production alimentaire destinée à l'autoconsommation (par exemple en optant, pour leurs cultures vivrières, I pour une formule de polyculture privilégiant la régularité des récoltes par rapport aux rendements, en échelonnant les dates de plantation et en plantant des variétés tardives pour réduire les risques de mauvaise récolte, et en donnant la préférence à des variétés résistant à la sécheresse). Bien que les produits exportables (thé et café au Kenya, coton en Afrique de l'Ouest, par exemple) leur garantissent des revenus plus élevés et plus stables, les familles rurales ont tendance à réserver I une partie importante de la superficie de leurs terres à la culture de produits de plus grande valeur. - 30 - "d'encadrer" les prix pour des raisons politiques et sociales, comme ils l'ont fait dans les pays d'Afrique de l'Est par l'intermédiaire d'organismes para-publics, et dans les pays d'Afrique de l'Ouest en infléchissant leur politique commerciale en ce qui concerne le riz. L'expérience des pays couverts par l'étude MADIA confirme à bien des égards le bien-fondé des doutes émis quant à l'efficacité et aux avantages des systèmes de stabilisation des prix. Néanmoins, la stabilisation des prix reste ardemment défendue dans ces pays, pour des raisons sociales et politiques et parce qu'elle est considérée comme nécessaire au développement. Les systèmes de stabilisation actuellement en vigueur dans de nombreux pays d'Afrique sub-saharienne pourraient être remplacés par un régime comportant des prix minima de soutien fixés à un faible niveau, avec versement de primes complémentaires variables financées par prélèvement sur d'éventuels surprofits (afin d'isoler en partie le système de stabilisation des chutes brutales des prix internationaux), et un organisme de stabilisation géré par les agents économiques eux-mêmes, sans intervention des pouvoirs publics (comme c'est le cas dans certains pays d'Amérique latine). Il faut bien voir que les pertes que peuvent subir les organismes para-publics de commercialisation sont partie intégrante d'un mécanisme de stabilisation des prix. Or, comme les gouvernements et les donateurs ne tiennent pas explicitement compte, lorsqu'ils définissent la structure financière des organismes para-publics, des coûts que peuvent normalement entraîner des mesures de stabilisation des prix d'une année sur l'autre, ces organismes rencontrent, du fait de ces pertes, des difficultés de trésorerie qui les empêchent d'acheminer à temps les intrants dgricoles et les contraignent à payer en retard ou à ne payer que partiellement les produits qu'ils achètent l'année suivante. Dans quelle mesure un -31 - pays peut-il se permettre de pratiquer une politique de stabilisation des prix, étant donné que le coût d'une telle politique est fonction du rapport entre le volume stocké et le volume commercialisé, et dépend aussi des prix-planchers et des prix-plafonds d'intervention? Telle est la question centrale à laquelle devront répondre les responsables de la politique économique. Importance relative des investissements Il est possible de réaliser des économies d'échelle sur le traitement et la commercialisation des produits agricoles d'exportation, et il faut souvent consacrer de gros investissements à la mise en place d'installations de traitement, qui devront être utilisées à pleine capacité, ainsi que des moyens de transport et de communication grâce auxquels les intrants pourront être acheminés et les récoltes collectées dans les délais requis. Dans de nombreux pays africains, ces activités ne peuvent être laissées au secteur privé faute à la fois d'initiative et de capitaux, ce qui a amené des personnalités politiques comme le Président Banda, au Malawi, à jouer le rôle d'initiateur. Bien que l'esprit d'entreprise s'y soit considérablement développé, le Malawi ne possède pas encore des milieux d'affaires très influents. Au Nigéria, en revanche, l'esprit d'entreprise est très développé, et l'on peut se demander pourquoi le secteur privé n'a pas investi dans la modernisation du traitement de l'huile de palmiste ou l'entretien des routes; les investissements privés se sont peut-être portés tout simplement sur des activités plus rentables. Il faut des investissements publics dans les transports, l'électrification, les communications, etc. Il est amplement prouvé que les investissements d'infrastructure facilitent le développement en accroissant la mobilité des facteurs, en améliorant l'information sur - 32 - les marchés et en réduisant les coûts et les risques de transport. Cependant, en dépit des avantages que présente le développement de l'infrastructure des transports, de nombreux pays africains sous- investissent dans ce domaine, et négligent en particulier l'entretien, parce que : 1) les avantages de ces investissements ne se manifestent qu'à longue échéance et sont difficiles à mesurer; 2) la relation entre le développement des marchés et l'amélioration des réseaux de transport est mal comprise; 3) la concentration du pouvoir dans les administrations centrales prive les collectivités locales des moyens administratifs et financiers nécessaires à l'entretien des routes (voir Lele, Oyejide, Bindlish et Bumb 1989). Les carences des marchés financiers Le développement insuffisant des marchés des capitaux freine fortement l'essor de la production. Dans de vastes régions à régime pluvial irrégulier, la co-variance des risques accroît la probabilité de cessation de remboursement et réduit les perspectives de développement des marchés financiers privés dans de nombreux secteurs semi-arides, notamment parce que la faible productivité moyenne de la main-d'oeuvre a pour corollaire un faible taux d'accumulation de surplus financiers. Des difficultés de trésorerie survenant à des moments critiques entravent les achats d'engrais et l'embauche de main-d'oeuvre supplémentaire pour la préparation des terres, le désherbage et la récolte. Alors qu'en Asie, le crédit rural non institutionnalisé couvre 60 à 70 Z des besoins de financement des exploitations rurales, les transferts intersaisonniers de capitaux d'une famille à l'autre, qui facilitent les achats d'intrants, sont relativement peu pratiqués en Afrique. De même, les contrats d'embauche de main-d'oeuvre agricole offrent moins de souplesse en Afrique qu'en Asie, et ne permettent donc -33 - pas aux exploitants de se protéger en partie des risques liés aux insuffisances du marché des capitaux. Depuis l'accession à l'indépendance, les marchés des capitaux se sont développés et perfectionnés plus rapidement dans certains pays (comme le Kenya) que dans d'autres (tels que la Tanzanie et le Malawi). Or, la plupart des gouvernements africains, soutenus en cela par les donateurs, se sont appliqués à mettre en place, généralement par l'intermédiaire d'organismes para-publics, des systèmes qui étaient censés se substituer au marché libre des capitaux, au lieu de consacrer leurs ressources à l'instauration des conditions nécessaires au développement d'un secteur privé compétitif. Cependant, lorsque la méfiance est devenue l'attitude dominante à l'égard du secteur public, les pays africains se sont lancés dans la privatisation avec une hâte qui ne laissait place ni à une libéralisation progressive, ni à l'évaluation de l'efficacité du secteur public pour l'accomplissement de certaines fonctions, ni non plus à une réflexion sur le rôle du secteur public sur les marchés financiers (voir par exemple Lele, Christiansen et Kadiresan 1989). LES INTERVENTIONS DES POUVOIRS PUBLICS DANS LA COMMERCIALISATION LES LECONS DE L'EXPERIENCE Dans la présente section, nous nous attacherons à évaluer l'action des organismes publics de commercialisation; nous tendrons en particulier de mesurer la gravité et à déterminer les causes de leur inefficacité, et de tirer de cette analyse des enseignements utiles pour la définition des orientations futures. I I I - 34 - Les coûts de commercialisation Une des critiques les plus fréquemment exprimées par les partisans de la libéralisation à l'égard des organismes para-publics est que leurs coûts de commercialisation sont excessifs. Il faut à cet égard bien faire une distinction entre les problèmes qui tiennent à la situation financière, ou à la mauvaise gestion, de ces organismes, et ceux qui sont la conséquence d'interventions politiques. Il est difficile de déterminer avec précision les coûts de commercialisation (entendus ici comme la différence entre le prix à la production et le prix total de vente sur le marché intérieur ou à l'exportation), du fait que les données sont incomplètes, souvent peu fiables, et généralement présentées sous une forme qui ne permet pas les comparaisons entre pays 9/. De plus, rares sont les pays africains qui disposent, au sujet des entreprises de commercialisation compétitives du secteur privé, de données qui permettraient de déterminer les coûts minima de la commercialisation, et donc d'établir dans quelle mesure les coûts des organismes para-publics de commercialisation sont imputables à des déséconomies évitables. 9/ Bien que le volume de l'aide qu'ils accordent aux organismes para-publics soit considérable, les donateurs ne se sont guère préoccupés de collecter des données qui faciliteraient un diagnostic quant à l'origine et aux causes de l'inefficacité de ces organismes. La Banque mondiale s'est néanmoins attachée à remédier à cette carence en Tanzanie, en dotant des moyens requis l'Office de développement de la commercialisation, qui est chargé de conseiller le gouvernement sur la politique des prix et le développement de la commercialisation. -35 - M Tableau 2 Frais de commercialisation par tonne pour les céréales achetées par les Offices de commercialisation au Malawi, au Konya et en Tanzanie, 1972/73-1985/86 (Chiffres calculés en dollars E.-U. sur la base des taux de change effectifs réels) Malawi Konya Tanzanie Prix payé Frais d- Prix payé Frais de Prix payé Frais de aux petits commer- aux petits commer- aux petits commer- exploitants cialisation exploitants cialisation exploitants cialisation Année (S E.-U.) (%) (S E.-U.) (X) (l E.-U.) (%) (S E.-U.) (X) (S E.-U.) (%) (SE.-U.) (%) I 1972/73 120 es S6 32 ND ND ND ND ND ND ND ND 1973/74 115 69 79 41 ND ND ND ND ND ND ND ND 1974/75 129 e0 87 40 ND ND ND ND ND ND ND ND I s975/76 208 60 138 40 ND ND ND ND ND ND ND ND 1976/77 163 57 125 43 ND ND NO NO NO ND ND ND 1977/78 182 54 16e 46 ND ND ND ND ND ND ND ND 1978/79 198 s7 151 43 ND ND ND ND ND ND ND ND I 1979/80 221 48 238 62 ND ND ND ND ND ND ND ND 1980/81 192 46 232 ES 94 68 90 32 ND ND ND ND 1981/82 148 4S 180 ES 66 73 61 27 ND ND ND ND 1982/83 133 E3 118 47 30 68 60 32 44 59 244 41 1983/84 116 52 105 48 38 58 99 42 72 71 189 29 I 1984/85 120 56 95 44 65 62 162 38 26 60 221 40 1985/88 145 61 91 39 89 66 97 34 ND ND ND ND Sources Malawi, ADMARC (1972-1987), sauf les frais de commercialisation pour 1974/75-1978/79, établis d'après les statistiques de la Banque mondiale (1986a). Pour le Kenya, Coopers and Lybrand (1987). Pour la Tanzanie, Banque mondiale (1986b). Taux de change effectifs réels P. Seka/MADIA. Il est généralement admis que ces coûts ont tendance à être plus I importants en Afrique qu'en Asie parce que les coûts unitaires de transport sont plus élevés et les distances plus grandes (voir par exemple Lele, Christiansen et Kadiresan 1989). La plupart des auteurs considèrent que les salaires du secteur public sont élevés en Afrique, mais des études récentes indiquent que cette opinion doit être nuancée I (Lindauer, Meesook, Suebsaeng 1988). En effet, s'il est vrai que les salaires sont plus élevés dans le secteur public pour les travailleurs non qualifiés, il tendent en revanche à être plus bas que dans le secteur privé pour la main-d'oeuvre qualifiée. Néanmoins, les frais normaux de commercialisation, d'entreposage et de traitement sont d'une * manière générale plus élevée dans le secteur public que dans le secteur privé. Kenya - 36 - Le cas des organismes para-publics de commercialisation du Kenya est le plus intéressant parce que leurs résultats font apparaître des succès aussi bien que des échecs. Parmi les exemples de succès, on peut citer celui d'un certain nombre d'organismes semi-autonomes (la Kenya Tea Development Authority [KTDA] et diverses coopératives de production de café et coopératives laitières, par exemple), qui ont notablement contribué au développement de la production des petites exploitations. D'autres coopératives et des organismes para-publics, en revanche, ont obtenu des résultats franchement médiocres 10/. C'est la KTDA qui a obtenu les résultats les plus spectaculaires, et les causes de son succès méritent d'être analysées. Parmi les organismes africains de commercialisation des produits agricoles, la KTDA est de ceux qui ont le mieux réussi et qui ont été le plus fréquemment étudiés (Paul 1982, p. 60-62). Etant donné que le thé exige un traitement avant d'être commercialisé, et que pour développer la capacité de traitement, il fallait un approvisionnement assuré en matières premières, l'idée d'accorder un monopole à la KTDA pouvait se défendre. Les entreprises privées ne tenaient guère à investir dans des unités de traitement desservant les petites plantations, car il fallait installer ces unités à proximité des plantations afin d'éviter une perte de qualité en cours de traitement (Lele et Meyers 1987). (Des arguments semblables, notamment la nécessité d'assurer l'approvisionnement et le 10/ Voir Lele, van de Walle et Gbetibouo pour une analyse des problèmes rencontrés par le Cotton Lint and Seed Marketing Board (CLSMB), au Kenya. Les médiocres résultats obtenus par le CLSMB sont imputables à de multiples facteurs, et en premier lieu à ce que, politiquement, les producteurs de coton n'ont jamais fait le poids face aux producteurs de thé et de café. Bien que le Gouvernement kényen ait abondamment manifesté sa volonté de soutenir les coopératives, certains auteurs estiment que depuis quelque temps, sans pour autant remettre en cause le principe de son soutien aux coopératives, il privilégie les intérêts de certains groupes économiques particulièrement puissants (Wolf 1986, p. 50). -37- I traitement, ont été avancés pour défendre la position monopolistique de l'organisme responsable du traitement du café.) Lamb et Muller (1982) considèrent pour leur part que le fonctionnement de la KTDA n'offre pas un modèle de développement rural ou d'organisation des entreprises publiques aisément transposable dans d'autres pays, mais ils signalent I quatre caractéristiques de la KTDA dont d'autres pays pourraient s'inspirer. Premièrement, la KTDA a réussi à conserver son autonomie, grâce principalement à sa santé financière, à la forte influence politique acquise par les producteurs de thé, et accessoirement à l'intérêt que lui ont porté les organismes extérieurs de financement. Deuxièmement, la KTDA a exercé un contrôle rigoureux sur l'utilisation de ses ressources, veillant à ce que celles-ci soient affectées à des activités essentielles à chaque étape du développement. "A cet égard, le cas de la KTDA tranche nettement sur de nombreuses autres tentatives de développement industriel, où la tendance à l'inflation bureaucratique a eu simultanément pour effet d'hypertrophier les administrations et de paralyser des fonctions essentielles par défaut de ressources' (Lamb et I Muller 1982, p. 57). Troisièmement, la KTDA s'est dotée d'un système efficace de responsabilisation englobant tous les aspects de ses activités. Ce système garantissait des évaluations réalistes des résultats potentiels et fournissait au personnel de la KTDA les incitations nécessaires. Enfin, la KTDA a pu offrir aux producteurs I l'incitation économique nécessaire en rattachant directement les prix à la production aux prix sur le marché mondial. Cette indexation a aussi incité les planteurs à améliorer la qualité de leur production (Lamb et Muller 1982). Beaucoup moins heureux que la KTDA, le National Cereals and | Produce Board (NCPB) a connu des déboires qui méritent d'être analysés, I - 38 - car ils sont analogues à ceux rencontrés par des organismes similaires au Malawi et en Tanzanie, ce qui donne à penser que les mêmes problèmes se posent dans les différents pays en ce qui concerne la stabilisation des prix pendant et entre les campagnes. Au Kenya, les questions touchant la commercialisation du maïs et le rôle qu'y joue le gouvernement sont très fortement politisées. La plupart des nombreuses commissions d'enquête créées au fil des ans ont recommandé au gouvernement d'abolir le monopole d'Etat sur la commercialisation du maïs et de ramener le rôle de l'Etat à celui d'acheteur et vendeur de dernier recours. Le Gouvernement kényan, qui jusqu'à ces dernières années n'avait pratiquement pas tenu compte de cette recommandation, autorise maintenant les mouvements interdistricts de céréales et a accordé aux minotiers le droit d'acheter directement du maïs sur le marché. Ces mesures ont été prises à la suite d'une forte hausse des coûts de commercialisation dans les années 80, et en particulier des coûts de financement (voir tableau 3). I - 39- I Tableau 3 : Gestion financière du NCPB, 1980-1986 Coûts de Découverts et Prêts de la Organismes financement prêts bancaires CSFC publics * (milliers de (milliers de (milliers de (milliers de Année shillings kényens) shillings kényens) shillings kényens shillings kényens) I 1980/81 75 000 85 734 711 333 224 843 1981/82 119 000 140 285 1 316 273 229 627 1982/83 209 000 303 638 1 316 921 252 371 1983/84 197 000 144 743 1 345 677 165 933 1984/85 320 000 200 561 1 235 677 120 869 1985/86 371 000 262 015 2 235 677 31 050 *' Source : Coopers and Lybrand (1987). U Note : La CSFC (Cereals and Sugar Finance Corporation) est un organisme public de financement. Le déficit total du NCPB a augmenté de plus de 100 Z en cinq ans, passant de 312 millions de shillings kényens pour la campagne 1980/81 à I 647 millions de shillings kényens pour la campagne 1985/86. Comme dans d'autres pays, cependant, les causes de ces déficits sont multiples. Ils tiennent en partie au gonflement des stocks résultant de récoltes exceptionnelles, et à l'augmentation des frais généraux (frais indirects d'administration). Selon un rapport de Coopers and Lybrand Associates, la forte augmentation des frais généraux ne peut s'expliquer, pour aucune des années considérées sauf 1985, ni par l'augmentation du chiffre d'affaires, ni par la hausse générale des prix; elle résulte sans doute d'une mauvaise gestion, et notamment d'un contrôle insuffisant des dépenses (Coopers and Lybrand 1987, annexe 8, p. 5). Ainsi, en dépit d'un relèvement de la marge par sac, qui est passée de 40,25 shillings kényens en 1980 à 133,55 shillings kényens en 1986 (Coopers and Lybrand 1987, annexe 8), les déficits du NCPB ont fortement | augmenté. - 40 - Une étude plus complète des entreprises publiques kényannes (Grosh 1988), qui a porté sur 38 entreprises para-publiques, dont le NCPB, montre que nombre d'entre elles ont été mal gérées. Cependant, Grosh considère que la solution aux problèmes que rencontrent de nombreuses entreprises publiques ne réside ni dans la privatisation à grande échelle préconisée par les donateurs, ni dans le renforcement du contrôle de la direction de ces entreprises que préconisent les gouvernements. Elle parvient à plusieurs conclusions qui concordent avec nos propres observations, et sont de nature à faciliter la compréhension des facteurs qui déterminent les résultats des entreprises para-publiques, et pas seulement au Kenya. Tout d'abord, les résultats obtenus par les entreprises publiques kényannes sont très divers, et certaines ont remarquablement réussi alors que d'autres ont lamentablement échoué. Si l'on en juge selon des critères de rentabilité et d'efficacité, la moitié environ des entreprises publiques kényennes ont obtenu de bons résultats depuis l'indépendance 11/. Deuxièmement, "les entreprises qui ont tenté de subventionner leurs clients ou leurs fournisseurs se sont généralement heurtées à des problèmes financiers. Leur mauvaise situation financière les a ensuite - rendues inefficaces' (Grosh 1988, p. 48). Cette constatation donne à penser qu'il faut que les organismes de commercialisation disposent de moyens de financement suffisants pour pouvoir faire face au coût des 11/ Grosh évalue les résultats obtenus par les entreprises publiques selon quatre critères : 1) le taux de rentabilité financière; 2) l'efficacité, que dénotent la qualité des services fournis, de faibles coûts unitaires à la marge, une affectation rationnelle des ressources et une rémunération suffisante du personnel; 3) des prix avantageux pour les consommateurs, c'est-à-dire raisonnables par rapport aux coûts d'option qui, dans le cas des biens exportables, correspondent aux prix d'équivalence sur le marché international; 4) la rémunération des - fournisseurs, mesurée elle aussi en comparant les prix effectivement payés aux coûts d'option (Grosh 1988, p. 40 à 45). I -~~~~~~~~~~~~~41- l | subventions que peut comporter un système de stabilisation du prix des céréales. Troisièmement, nombre des problèmes rencontrés par les entreprises publiques se sont manifestés à partir de 1978, et sont imputables au climat économique déplorable qui règne depuis une dizaine d'années. Une des principales raisons pour lesquelles ces entreprises I ont du mal à survivre dans un tel climat est qu'elles souffrent d'un manque chronique de fonds propre, d'où des coûts de financement souvent excessifs. En outre, des pénuries de devises freinent les importations de biens d'équipement, ce qui nuit à l'efficacité des entreprises publiques. Quatrièmement, les entreprises publiques sont souvent tenues I de faire des investissements ou de fournir des services répondant à des impératifs de distribution plutôt qu'à des impératifs de rentabilité. (Lele, van de Walle et Gbetibouo (1989) ont fait une observation semblable au sujet des organismes para-publics de commercialisation du coton des pays d'Afrique de l'Ouest.) | Malawi Au Malawi, les circuits de commercialisation du secteur privé fonctionnent mal, essentiellement à cause des restrictions imposées par les pouvoirs publics sur les activités des négociants indiens, qui n'ont pas le droit d'habiter ou de travailler dans les campagnes, et du manque d'expérience et de capitaux des autochtones. Outre qu'il a un secteur privé peu développé, le Malawi, à la différence du Kenya, ne possède pas I un réseau efficace d'organismes bénévoles, étrangers ou non, opérant localement. De même, les institutions locales, qui défendent les intérêts des familles rurales à faible revenu, sont très insuffisamment développées, parce que les pouvoirs publics n'ont rien fait pour encourager les initiatives telles que celle qui, au Kenya, a abouti au I lancement du projet Harambee. Le gouvernement, pour combler les vides - 42 - laissés par un secteur privé aussi peu actif, a développé les activités de l'ADMARC (organismes public de commercialisation), avec une aide financière substantielle des donateurs. Comme le montre la figure 1, les coûts nominaux à la tonne des activités de commercialisation de 1'ADMARC ont augmenté régulièrement durant la période 1973-1987; cependant, ils n'ont augmenté que légèrement en termes réels. Les coûts totaux de commercialisation de l'ADMARC se sont établis en moyenne, pour la période 1972/73-1978/79, à 85,73 kwachas par tonne. Pour la période 1980/81-1986/87, ils ont atteint 172,89 kwachas, soit une augmentation d'environ 102 Z (voir figure 2 et tableau 2) 12/. Entre 1980 et 1986, le déflateur du PIB a augmenté d'environ 100 Z. Durant la même période, les frais de transport, les salaires et les taux d'intérêt ont aussi fortement augmenté. 12/ En ajoutant les coûts totaux de commercialisation au total des sommes payées aux producteurs, on obtient le total des dépenses de l'ADMARC. Les coûts directs comprennent les frais afférents aux opérations de vente et d'achat et les charges directes inscrites aux comptes commerciaux de l'ADMARC. Ces charges comprennent les frais de transport, d'emballage et d'entreposage, les frais de vente aux enchères, les assurances, le coût du marketing, ainsi que les frais de calibrage, d'égrenage, de mouture et de fumigation, plus les coûts de distribution des semences. Les dépenses d'administration comprennent les dépenses du siège de l'ADMARC, notamment les charges salariales et les frais de voyage du personnel, les honoraires versés à des cabinets d'avocats et autres honoraires, les loyers et les frais d'assurance. Les coûts de financement comprennent les intérêts sur les emprunts à long terme et sur les découverts en banque. -43 - I Figure 1 Coûts à la tonne des activités de commercialisation de l'ADMARC I 1972/73-1986/87 *0 o *O CoÛts totaux (J .I-J :- 40 N îîiî *I74 ses 'g qg* ¶fls g7 g us - o ui isai 11 ¶00 'm us Figure 2 Coûts des activités de commercialisation de l'ADMARC r (J< Coûts directs o O Coûts totaux Coûts de financement 11,3 iI74 1111 *0 1071 *nI ¶01 *M@ *n1 lUi ION ¶00 *uS *MI 01 L'augmentation des frais de transport s'explique par la dévaluation de la monnaie et l'insécurité croissante des itinéraires empruntés pour acheminer les exportations. L'augmentation des charges salariales s'explique essentiellement par un relèvement des effectifs. L'effectif moyen des cadres du siège de l'ADMARC est passé de 428 pour la période 1980/81-1982/83 à 742 pour la période 1985/86-1987/88, et I celui du personnel subalterne est passé dans le même temps de 0 à 1 224. Toujours pendant la même période, l'effectif moyen du personnel hors siège a augmenté de 58 Z, passant de 16 095 à 24 089; or, durant la I - 44 - période considérée, le volume des achats n'a augmenté en moyenne que de 5 Z par an (Deloitte, Haskins et Sells 1987, annexe 3). L'augmentation des coûts de financement appelle aussi certains commentaires. Pour la période 1979/80-1986/87, le montant moyen à la tonne des coûts de financement a atteint 26,87 kwachas malawiens, alors qu'il n'était que de 9,68 kwachas pour la période 1972/73-1978/79 (voir appendice 5). Le tableau 4 illustre l'augmentation régulière, durant la période 1978/79-1986/87, du montant des découverts et du montant des charges au titre du service des intérêts 13/. L'augmentation de ces dernières tient principalement au relèvement des prix à la production, qui a entraîné une réduction du volume des liquidités. Pour certains produits agricoles, ce relèvement a été décidé dans le cadre de l'ajustement structurel. Plus encore que l'augmentation des charges au titre du service des intérêts, ce sont peut-être les problèmes de - liquidités qui ont retardé et limité les achats de produits agricoles de l'ADMARC, qui a ainsi perdu la confiance dont elle jouissait auprès des producteurs en tant qu'acheteur de dernier recours 14/. Ces problèmes n'avaient pas été prévus, ce qui semble indiquer que pour évaluer convenablement la situation financière d'une entreprise para-publique, il faut élargir le champ de l'analyse à des questions qui ne sont habituellement pas examinées. 13/ Pour la période 1978-79-1980/81, le montant moyen des découverts bancaires de l'ADMARC avait été de 2,5 millions de kwachas malawiens, soit 12,6 kwachas par tonne d'achats, mais il a atteint 21,2 millions de kwachas, ou 64 kwachas par tonne d'achats pour la période 1984/85-1986/87. 14/ Les problèmes rencontrés par l'ADMARC à cet égard ont gravement ébranlé la confiance des exploitants dans l'organisme para-public de commercialisation, ce qui ne les a certainement pas encouragés à s'en remettre au marché pour leur approvisionnement alimentaire. Pour une analyse de l'incidence des retards dans les achats de 1'ADMARC, voir R.R. Nathan Associates (1987). -45 - L'augmentation de l'effectif des salariés, rapportée à l'évolution du tonnage des achats, paraît être excessive, mais elle résulte en partie de l'effort fait par l'ADMARC pour accroître le nombre des marchés saisonniers afin de réduire la part des frais de transport dans le coût des intrants achetés, d'offrir davantage de points de vente pour I l'écoulement de la production et de faciliter l'approvisionnement en produits alimentaires des familles dont la production pour autoconsomation ne couvre pas entièrement les besoins. Cependant, dans la pratique, l'implantation de ces marchés nouveaux a été influencée par des facteurs politiques. Actuellement, 75 à 80 Z des ruraux habitent à | moins de 8 km d'un marché saisonnier, et les zones desservies par ces marchés se recoupent sans doute largement du fait que leur emplacement a été décidé en fonction de considérations politiques. A terme, la mise en place d'un réseau efficace d'organismes commerciaux et d'institutions locales, et notamment d'organismes bénévoles, doit garantir la régularité des approvisionnements en intrants et en produits alimentaires. Cependant, les donateurs ne s'intéressent activement à * ces questions que depuis peu. En tout état de cause, il faudra au moins 10 ans pour qu'un réseau institutionnel efficace se développe, à supposer que la mise en place d'un tel réseau soit jugée politiquement souhaitable et soit efficacement soutenue par les donateurs. En attendant, les organismes tels que l'ADMARC auront un rôle utile à I jouer, consistant à fournir les exploitants en engrais et à assurer l'approvisionnement alimentaire des campagnes, activités dont les avantages sont difficilement mesurables. La question de savoir s'il appartient ou non aux pouvoirs publics d'assumer ces fonctions importe relativement peu; il faudra surtout s'attacher à réduire les coûts de I I - 46 - fonctionnement de ces organismes en attendant que d'autres institutions puissent prendre la relève. Tableau 4 Evolution des dépenses de I'ADMARC et du rapport entre ces dépenses et le volume des achats pendant la période 1978/79-1986/87 Frais de Charges Emprunts i Charges Campagne vente directes long terme Découverts financières 1978/79 (milliers de kwachas malawiens) 3 189 12 916 4 106 - 2 996 (kwachas malawiens par tonne) 14 s8 18 13 1979/80 (milliers de kwachas malawiens) 3 S28 17 707 4 821 979 4 246 (kwachas malawiens par tonne) 19 97 28 6 23 1980/81 (milliers de kwachas malawiens) 3 584 20 114 6 874 6419 6 530 (kwachas malawiens par tonne) 19 106 31 33 34 1981/82 (milliers de kwachas malawiens) 3 469 19 114 6 363 6 714 e 236 (kwachas malawiens par tonne) 16 89 29 26 29 1982/83 (milliers de kwachas malawiens) 2 416 18 899 6 768 14 002 9 269 (kwachas malawiens par tonne) 8 62 22 46 31 1983/84 (milliers de kwachas malawiens) 6 746 21 524 6 624 8 308 6 782 (kwachas malawiens par tonne) 23 73 23 28 23 1984/85 (milliers de kwachas malawiens) 10 107 33 376 8 901 18 828 6 464 (kwachas malawiens par tonne) 27 88 24 60 17 1985/86 (milliers de kwachas malawiens) 8 672 33 786 9 091 29 172 4 054 (kwachas malawiens par tonne) 23 90 24 78 il 1986/87 (milliers de kwachas malawiens) 10 272 37 961 il 906 16 721 il 591 (kwachas malawiens par tonne) 42 167 49 65 48 Source ADMARC (1972-1987). Tanzanie Divers aspects de la politique gouvernementale ont nui à l'efficacité des entreprises para-publiques tanzaniennes. Par exemple, les prix à la production des produits agricoles d'exportation étaient habituellement établis sur une base résiduelle, c'est-à-dire que les producteurs touchaient la différence entre le prix de vente et un montant destiné à couvrir les charges d'exploitation des entreprises para-publiques. Dans le cas du maïs, la National Milling Corporation (NMC) était censée pratiquer des prix qui encouragent la production sans toutefois être excessifs pour les consommateurs. Cependant, ces prix ne I 47- i tenaient guère compte des coûts de commercialisation et de traitement. Par exemple, entre 1972/75 et 1978/81, alors que le prix à la production du maïs a augmenté de 24 Z, la marge destinée à couvrir le coût de la transformation du mals en sembe a diminué d'environ 55 Z et le prix officiel à la consommation du mals a été réduit de 23 Z (Banque mondiale I 1983). Les prix de détail fixés par le gouvernement pour la campagne 1981/82 étaient même inférieurs au prix de revient de NMC pour les céréales de choix, les denrées essentielles en période de sécheresse et les légumineuses (Banque mondiale 1983; Bryceson 1985; Kaberuka 1984). Le gouvernement ne se bornait pas à fixer les prix, il nommait également les dirigeants des entreprises para-publiques. "Le fait que le Ministère de l'agriculture et la Présidence exercent conjointement le pouvoir de nomination et de supervision des dirigeants des entreprises para-publiques est une cause non moins importante de la mauvaise gestion des entreprises publiques. Le Président du Conseil d'administration est nommé par le I Président de la République, tandis que les membres du Conseil sont désignés par le Ministre de l'agriculture. Le Directeur général de l'entreprise para-publique occupe, dans la hiérarchie bureaucratique, un rang qui équivaut à peu près à celui de secrétaire principal au ministère. Le ministère n'a pas le pouvoir de révoquer un directeur général, même s'il commet des erreurs de gestion flagrantes; il ne peut que faire des recommandations au Conseil d'administration ou au Président. De plus, le choix d'un directeur général par le pouvoir central semble souvent répondre à des critères autres que le sens des I affaires ou les talents de gestionnaire. Comme c'est la Présidence qui nomme les présidents-directeurs généraux de toutes les entreprises para-publiques, au nombre d'environ 400, son I emprise sur la direction de ces entreprises va bien au-delà des limites considérées comme raisonnables dans un système de gestion relativement sain. Il ne faut donc pas s'étonner que le contrôle qui doit s'exercer quotidiennement pour garantir l'efficacité de I la gestion dans le secteur industriel fasse défaut, et que des décisions importantes, dont peut dépendre l'avenir même de l'entreprise ... restent en suspens pendant des années." (Banque mondiale 1983, p. 84 et 85). On a expliqué l'inefficacité de la gestion courante des I entreprises para-publiques, et notamment leurs difficultés financières | et leur mauvais rendement, par le manque d'autorité de leurs dirigeants, les compétences techniques très insuffisantes de leur personnel, I - 48 - l'absence de concurrence, une politique des prix imposée de l'extérieur, et l'obligation dans laquelle se trouvaient ces entreprises, par ordre du gouvernement, de fournir toute une gamme de services sociaux à leurs salariés - enseignement, soins médicaux, transports jusqu'au lieu de travail et pour les déplacements privés, services de restauration, économats, ateliers de mécanique, sports d'équipe, etc. 15/. Sous l'effet des ingérences de l'Etat, la productivité des entreprises para- - publiques a diminué sensiblement entre 1974 et 1981. Pendant cette période, le volume de la production agricole commercialisée par des entreprises para-publiques a augmenté de 18 Z, et l'effectif du personnel de ces entreprises s'est gonflé de 37 Z, ce qui dénote une baisse de 14 Z de la productivité de la main-d'oeuvre. La NMC avait réussi à accroître notablement la productivité de la main-d'oeuvre entre 1974/75 et 1977/78, mais le volume traité par cette entreprise a fortement baissé entre 1977/78 et 1980/81; à la fin de cette période, elle traitait un volume réduit de moitié avec un personnel dont l'effectif était inchangé. Entre 1974 et 1981, deux entreprises para- publiques seulement ont réduit leurs effectifs. Pendant la même période, le volume total des produits traités ou commercialisés par les entreprises para-publiques a diminué de 17 Z, mais l'effectif global du personnel de ces entreprises n'a diminué que de 1 Z (voir figure 3). Ces facteurs d'inefficacité expliquent pourquoi la plupart des entreprises para-publiques du secteur agricole ont accumulé de lourdes pertes. Pour la campagne 1980/81, seules les entreprises para-publiques spécialisées dans la commercialisation du café et du sucre ont fait des 15/ Les projets de développement de la production d'huile de palmiste réalisés au Cameroun comportaient une gamme analogue de services sociaux destinés non seulement aux salariés, mais à tous les habitants des localités concernées (Lele, van de Walle, Gbetibouo 1989). -49 - bénéfices; les neuf autres ont accusé des pertes se chiffrant au total à 692 millions de.shillings tanzaniens (84 millions de dollars E.-U.), soit 21 Z de la valeur des produits qu'elles avaient traités. Les pertes Figure 3 : Evolution de la production, du nombre de salariés et de productivité des entreprises para-publiques tanzaniennes, 1974-1981 840 Différence en pourcentage N" B0. I ,$ I0 40 PRODUCTION NOMBRE DE SALARIES PRODUCTIVITE enregistrées par la NMC représentent plus des deux tiers de ce total, et 31 Z de son chiffre d'affaires. A la fin de la période considérée, les découverts des entreprises para-publiques avaient atteint un total de 5 127 000 000 shillings tanzaniens, et représentaient 80 Z du montant total des préts de la National Bank of Commerce, seule banque commerciale du pays. Il importe de souligner que les dépenses d'administration résultant de l'augmentation du nombre de salariés, quoiqu'excessives, n'ont contribué que dans une modeste mesure aux pertes globales des entreprises para-publiques : dans le cas de la NMC, elles ne I - 50 - représentaient, à la date considérée, que 1 Z du chiffre d'affaires. Pour la campagne 1980/81, les coûts de financement et la différence entre le prix de vente et le prix de revient (prix d'achat plus frais de transport et frais de traitement) expliquent les pertes à raison de 97 Z. Ainsi, une réduction des dépenses d'administration, même importante, n'aurait guère d'incidence sur le montant des pertes. Tableau 6 Prix des arachides i la production et marges de l'Office de commercialisation au Senégal, 1968/69-1983/84 Prix nets i la production 1/ Marges de l'Office de commercialisation % du prix Prix de vente 2/ Campagne (F/kg) de vente (F/kg) % du prix de vente (F/kg) 1968/69 18,50 87 % 8,30 33 X 24,80 I 1969/70 18,50 54 X 13,85 46 X 30,35 1970/71 17,60 46 X 20,74 64 X 38,34 1971/72 22,00 64 X 12,12 38 X 34,12 1972/73 22,00 s3 X 19,90 47 X 41,90 1973/74 25,50 61 X 16,40 39 X 41,90 * 1974/75 40,00 76 X 12,61 24 X 62,61 * 1975/78 40,00 es X 13,00 25 X 53,00 1976/77 40,00 72 % 15,80 28 X 55,80 1977/78 40,00 73 X 14,90 27 X 54,90 1978/79 40,00 71 X 16,00 29 X 56,00 1979/80 43,00 es X 20,10 32 X 63,10 1980/81 45,00 54 X 38,00 46 X 83,00 1981/82 60,00 68 X 28,00 32 X 88,00 1982/83 60,00 67 X 30,00 33 X 90,00 | 1983/84 50,00 S1 X 48,50 49 X 98,s0 Source Jammeh (1987). - Notes 1/ Les chiffres cités sont des chiffres officiels. Le prix effectivement payé i l'exploitant est * fortement réduit une fois que l'organisme para-public a opéré les retenues prévues pour tenir compte du déchet *W et des impuretés. 2/ Il s'agit des prix payés par les usines de traitement i l'Office de commercialisation. I Sénégal Au Sénégal, la pluviosité faible et irrégulière et la diminution de la hauteur annuelle de précipitations ont entraîné la stagnation de * la production d'arachides, tandis que les superficies consacrées à la culture du sorgho et du millet augmentaient sous l'effet de la pression démographique. Lele, Christiansen et Kadiresan (1989) ont montré les effets catastrophiques que la suppression, en 1980, de l'ONCAD (entreprise para-publique de commercialisation) a eus sur le réseau de I distribution des intrants et sur l'écoulement de la production dans la région particulièrement importante où est concentrée la culture de l'arachide. Les effets du démantèlement du réseau de distribution des intrants ont été aggravés encore par la répugnance des fournisseurs du secteur privé à vendre des intrants à crédit, alors que les usines de pressage du secteur privé absorbaient une part importante de la I - 52 - production d'arachides. La valeur commerciale de l'huile d'arachides a augmenté plus rapidement que les prix offerts aux producteurs d'arachides par les entreprises de traitement (notamment la SONOCOS) qui ont remplacé l'ONCAD. Le gouvernement a éliminé au milieu des années 60 les négociants libanais, et créé l'OCA, et plus tard l'ONCAD, offices intégrés verticalement qui fournissaient des intrants à crédit et achetaient la production. Ces deux organismes ont rencontré des difficultés du fait des fortes variations du taux de recouvrement de leurs prêts, et aussi de l'extrême instabilité de leurs marges de commercialisation sur les arachides achetées à de petits exploitants (voir tableau 5). Les coûts de commercialisation excessifs qui caractérisaient l'ONCAD étaient dus à une mauvaise gestion et à la corruption, l'une et l'autre entraînant une rapide expansion du nombre de salariés (Jammeh 1988). Par exemple, entre 1966 et 1968, l'effectif des salariés à plein temps de l'ONCAD a triplé, passant de 400-500 à 1 800. Ce gonflement des effectifs s'est poursuivi, le nombre des salariés atteignant 2 097 en 1974 et 2 964 en 1979. Durant cette période, les charges salariales ont représenté plus de la moitié des dépenses d'exploitation de l'Office. Ce gonflement excessif des effectifs n'était justifié ni par l'expansion des activités de commercialisation de l'ONCAD, ni par l'augmentation du volume des transactions. Il résultait simplement de pressions politiques. Cette augmentation des charges d'exploitation a eu pour effet (voir tableau 5) de faire progresser régulièrement les marges de commercialisation par kilo, de la campagne 1969/70 à la campagne 1973/74, après quoi les marges ont amorcé un déclin qui s'est poursuivi jusqu'en 1978. -53- Le Gouvernement sénégalais a opté pour une forte diversification de la production.agricole afin d'éliminer les risques auxquels il était I exposé en étant tributaire uniquement de la production d'arachides. Les investissements ont augmenté aussi bien dans l'agriculture que dans l'industrie, le bAtiment et les travaux publics. Les investissements agricoles, se détournant de la culture des arachides, se sont portés sur d'autres cultures, sur des projets de développement rural, sur des I projets d'irrigation et sur le traitement des arachides. C'est ainsi que la capacité totale des usines de traitement est passée de 695 000 tonnes en 1976 à 895 000 tonnes en 1987, cependant que le taux d'utilisation de la capacité tombait de 95,5 Z à 59,2 Z (voir figure 4). g Figure 4 : Capacité des usines de traitement des arachides au Sénégal et taux d'utilisation de cette capacité, 1976-87 I Milliers de tonnes M. 200 | ~~~~~~~~~~~~fs» *n qu e igu vsu *ui *mu mu " esB ion 'mu' ez Capacité utilisée 5 Capacité totale i C'est pendant la période durant laquelle des négociants privés pouvaient entrer en concurrence avec des coopératives que les coûts de commercialisation ont atteint leur niveau le plus bas (Jammeh 1988). Il faut signaler aussi que certaines pratiques de l'office para-public, qui - 54 - avait une position monopolistique, exerçaient un effet dissuasif sur les producteurs. C'était le cas, par exemple, du système particulièrement laborieux de recouvrement des prêts consentis pour l'achat d'intrants. Ces pratiques avaient pour effet de retarder notablement le règlement du montant des achats des coopératives, ce qui incitait les producteurs à chercher d'autres débouchés, même s'ils étaient moins avantageux. Enfin, de multiples abus et irrégularités entravaient le fonctionnement du système de distribution d'intrants géré par l'Office : livraison tardive ou partielle d'intrants dont la qualité avait souvent pris un coup, détournement d'intrants indispensables vers le marché parallèle, qui enrichissait quelques profiteurs, distribution déséquilibrée favorisant la région où est concentrée la production d'arachides, et "arrosage" de la clientèle politique. Dans certains cas, les intrants demandés par les dirigeants des coopératives étaient facturés aux membres de celles-ci sans que les produits en question quittent jamais les entrepôts. Ainsi, s'il est indéniable que les difficultés de l'Office tenaient à son inefficacité, il est vrai aussi que celle-ci résultait de pratiques dont bon nombre n'étaient pas imputables à l'organisme para-public. On ignore, faute de données, dans quelle mesure les charges salariales supplémentaires résultant du gonflement des effectifs, le non-recouvrement de certaines créances et les variations imprévisibles des volumes commercialisés ont contribué aux difficultés financières de l'ONCAD. Cependant, il ressort clairement de la vague récente de privatisations (dont il sera question plus loin) que si l'on peut compter sur le secteur privé pour la commercialisation de la production, la question essentielle est celle de la mise en place d'un système intégré de distribution qui, sans être en position monopolistique, -55- I puisse garantir le remboursement des prêts consentis pour l'achat d'intrants, étant donné que les négociants du secteur privé ne sont généralement guère disposés à faire crédit aux acheteurs d'intrants, et que les producteurs n'ont pas les moyens d'acheter les intrants au comptant. I Ainsi donc, les quatre pays considérés fournissent l'exemple de g situations où l'intervention des pouvoirs publics a contribué à l'inefficacité des entreprises para-publiques. La solution, cependant, ne réside pas exclusivement dans la privatisation. Il faut aussi renforcer les entreprises para-publiques, ce qui implique au minimum | i) qu'elles soient rendues plus indépendantes du pouvoir central; et ii) qu'elles puissent accorder des subventions non déguisées, au nom des pouvoirs publics, selon des critères et moyennant des coûts explicites. Des réformes en ce sens permettraient aux entreprises para-publiques de fonctionner plus efficacement, de mieux concurrencer le secteur privé, et de se charger, au nom des pouvoirs publics de certaines fonctions de développement (stabilisation des prix par exemple), moyennant un coût I explicite. g L'instabilité des institutions agricoles La qualité de l'infrastructure institutionnelle est une condition cruciale de l'amélioration des résultats et de la productivité des exploitations agricoles, et en particulier des petites I exploitations 16/. L'instabilité des institutions agricoles a contribué à faire perdre aux agriculteurs la confiance qu'ils pouvaient avoir en elles, et a se tourner ailleurs pour leur approvisionnement en facteurs 16/ Pour plus de détails sur le rôle des institutions dans le secteur agricole, voir Lele, van de Walle et Gbetibouo (1989); Lele, Christiansen et Kadiresan (1989); Jammeh et Lele (1989); et Lele et al. (1989). I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 56 - de production et pour l'écoulement de leur production. C'est ce que montrent l'exemple de la Tanzanie et celui du Sénégal. En Tanzanie, les organismes de commercialisation ont, depuis l'indépendance, fait l'objet d'une série presque continue de réformes visant pour la plupart à renforcer l'emprise du pouvoir central sur la production agricole et la commercialisation des produits agricoles. Comme l'a montré Candler (1986), le système de commercialisation des produits agricoles a été profondément remanié pratiquement chaque année entre 1961 et le début des années 80. Après l'accession de la Tanzanie à l'indépendance en 1961, les coopératives se sont rapidement multipliées, avec la bénédiction des pouvoirs publics qui voyaient en elles un moyen de contrecarrer la domination des négociants d'origine asiatique. En 1963, le gouvernement a créé le National Agricultural Production Board (NAPB), office chargé de coordonner la commercialisation par les coopératives de la production céréalière. En 1966, les achats de maïs du NAPB venaient presque exclusivement de coopératives (Bryceson 1985, p. 56). La Déclaration d'Arusha, proclamée en 1967, ayant préconisé le remplacement des coopératives de commercialisation, taxées de capitalisme, par des sociétés coopératives polyvalentes, le gouvernement promulgua l'année suivante des directives dont l'application a eu pour effet de dessaisir les conseils d'administration des coopératives de leurs pouvoirs de direction au profit de gérants nommés par les pouvoirs publics. Cette réforme s'inscrivait dans le cadre d'une politique tendant à renforcer l'emprise des pouvoirs publics sur la commercialisation, afin notamment de dégager des recettes publiques supplémentaires, fonction qui devint particulièrement importante après l'abolition de la taxe directe en 1969; cette politique aboutit à la création de nouvelles institutions _ 57 - agricoles. En 1971, la décision fut prise de traiter les villages Ujamaa comme des coopératives polyvalentes, ce qui aggrava la confusion qui régnait quant au rôle des coopératives existantes. Durant les cinq années qui suivirent, de multiples décisions modifièrent profondément la nature des coopératives; l'aboutissement de cette évolution fut qu'en 1976, toutes les fédérations de coopératives furent supprimées et remplacées par des coopératives de village et des entreprises para- publiques de commercialisation des produits agricoles (Candler, 1986, p. 6 à 10). Cependant, la NMC ne tarda pas à susciter un mécontentement de plus en plus vif, à cause principalement des aléas climatiques, qui entraînaient d'énormes fluctuations du volume commercialisé annuellement, de la fréquence des cas de non-règlement ou de règlement tardif des achats, des pertes financières considérables essuyées par l'organisme public parce qu'il était tenu de vendre à des prix inférieurs à ses coûts, du déchet à l'entreposage (jusqu'à 30 Z selon certains), et de la corruption. Comme l'organisme para-public accumulait des pertes considérables - financées par des découverts auprès de la National Bank of Commerce (NBC) - d'un montant tel qu'ils pouvaient être considérés comme menaçant la stabilité financière de cette banque, et comme le fonctionnement laissait toujours beaucoup à désirer, une commission, constituée en 1980, fut chargée d'étudier la situation; c'est à la suite de cette étude que la décision fut prise, en 1982, de rétablir les coopératives. Depuis 1986, les coopératives ont repris leurs activités, les organismes para-publics de commercialisation des produits agricoles ont été remplacés par des conseils de commercialisation, et le secteur privé s'est vu accorder un rôle plus important. l - 58 - Les vicissitudes du système de commercialisation du coton fournissent un autre exemple de l'instabilité des institutions agricoles tanzaniennes. En 1955 fut créé le Cotton Lint and Seed Marketing Board (CLSMB), qui devait coordonner les activités du secteur cotonnier et commercialiser les graines de coton et le coton-fibre, tandis que l'égrenage et le raffinage de l'huile étaient dévolus aux coopératives; ce système a beaucoup contribué à la prospérité des petits producteurs - de coton pendant les années 50 et 60. Le CLSMB a été remplacé en 1973 par la Tanzania Cotton Authority (TCA), qui a centralisé toutes les activités du secteur cotonnier et, après la dissolution des coopératives en 1976, a assumé l'ensemble de leurs fonctions. En 1984, la TCA a confié l'exploitation d'un certain nombre d'usines d'égrenage et de pressage à l'association régionale des exploitants agricoles, dont les actionnaires étaient des villageois Ujamaa. En 1985, la TCA a été -- remplacée par le Tanzania Cotton Marketing Board (TCMB), qui toutefois n'était plus censé s'occuper de l'égrenage et de la commercialisation primaire, fonctions confiées aux coopératives nouvellement rétablies (Lele, van de Walle et Gbetibouo 1988, p. 35). Ces réorganisations successives ont forcément semé une confusion totale dans l'esprit des exploitants agricoles, qui ne savaient plus à quel organisme ils étaient censés s'adresser, et elles ont aussi entraîné des retards dans le paiement des achats aux producteurs. En outre, l'attribution à des organismes différents des fonctions de crédit, de distribution des intrants et d'achats de la production explique en partie pourquoi les taux de remboursement des prêts étaient extrêmement faibles, ce qui aggravait les difficultés financières des organismes agricoles para-publics. Plus récemment (1986-87), '... d'excellentes conditions météorologiques et l'évolution encourageante de la politique agricole, notamment le relèvement I ~~~~~~~~~~~- 59 - des prix à la production encouragé par le programme d'ajustement, ont permis de réaliser une récolte exceptionnelle... Cependant, des facteurs institutionnels ont entravé l'écoulement de cette I production record. On a dit que le TCMB n'avait même pas pu acheter les deux tiers des récoltes, faute de fonds, et à cause aussi de problèmes de transport et des carences des I coopératives..." (Lele, van de Walle et Gbetibouo 1988, p. 35 et 36). Au Sénégal, diverses réformes institutionnelles, dont la principale a porté sur le mode de prestation des services fournis aux exploitants, ont nui à la prospérité des exploitations spécialisées dans la culture de l'arachide. En ce qui concerne la prestation des services I destinés aux exploitants, le cas du Sénégal rappelle celui de la Tanzanie, en ce sens que les réformes ont découragé les négociants du secteur privé, auxquels s'est substitué un organisme para-public (1'ONCAD). L'ONCAD s'est trouvé financièrement en difficulté lorsque le gouvernement lui a ordonné d'accorder, sans contrepartie, des remises de dettes aux exploitants touchés par la sécheresse. Par ailleurs, le gonflement des effectifs de l'ONCAD, sous l'effet de pressions politiques, et la mauvaise gestion de ses finances ont rendu moins fiables ses services de distribution d'intrants. Lorsque l'ONCAD a été dissous en 1980, le programme de crédit aux petits exploitants a été I supprimé; il n'a pas été remplacé depuis par un programme d'envergure I comparable. En Tanzanie comme au Sénégal, l'instabilité des institutions agricoles a manifestement ébranlé la confiance des petits exploitants dans les pouvoirs publics, et contribué à rendre aléatoire l'approvisionnement en matières premières des entreprises para-publiques et des agro-industries. Pour les entreprises para-publiques, il en est résulté une pénurie de capital circulant, une augmentation des charges au titre du service des intérêts, des problèmes de trésorerie et des taux d'utilisation insuffisants de leur capacité de traitement. Ce sont I - 60 - ces difficultés qui ont attiré l'attention des donateurs soucieux d'améliorer le fonctionnement des institutions agricoles. Dans bien des cas, la solution a consisté à restructurer les entreprises para- publiques, à privatiser plusieurs des fonctions auparavant dévolues aux offices de commercialisation (par exemple la distribution des intrants et la commercialisation de la production), et à éliminer ou à restreindre d'autres fonctions exercées par ces offices (par exemple, veiller à la sécurité alimentaire de la population et intervenir sur le marché en tant qu'acheteur/vendeur de dernier recours). Les leçons de l'expérience Les entreprises para-publiques, avec tous leurs problèmes, ont- elles vraiment un rôle à jouer? Dans une étude de la Banque mondiale sur l'expérience acquise par les pays en développement en matière de commercialisation des produits agricoles, on peut lire notamment les observations suivantes 'Il ne faut pas que le désenchantement qui se manifeste actuellement à l'égard des entreprises para-publiques fasse oublier le rôle important qu'elles ont joué dans les pays en développement d'Afrique et d'Asie. Elles ont dominé le marché des produits agricoles d'exportation et joué le rôle principal dans la commercialisation à grande échelle des céréales; il ne faut pas oublier non plus que ces entreprises étaient souvent un héritage de l'ère coloniale. Des minorités ethniques ont parfois utilisé les entreprises para-publiques pour établir leur domination sur le système de commercialisation - auquel cas il est vraisemblable que des considérations politiques l'ont emporté sur le souci d'efficacité. Dans d'autres cas, les pouvoirs publics semblent avoir jugé qu'il était plus facile de remplacer un système de commercialisation oligopolistique par un autre que de réformer le - système existant. Dans d'autres cas encore, ils ont vu dans les entreprises para-publiques le moyen de conserver la 'maitrise' de l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires. Ils se sont montrés peu disposés à laisser au secteur privé le soin d'assumer cette fonction essentielle, et en particulier de constituer des stocks régulateurs." (Banque mondiale 1988, p. 7 et 8). L'étude de l'USAID consacrée aux problèmes des entreprises para- pub14ques résume ainsi le débat sur le rôle de ces entreprises -61 - "Certains économistes soutiennent que les entreprises para- publiques du secteur agricole sont l'instrument d'une ingérence injustifiée des pouvoirs publics pour la commercialisation des I intrants et de la production agricoles, et qu'il faut par conséquent les dissoudre pour laisser place à une économie du laisser-faire. D'autres, prenant en considération les fluctuations de la production, les insuffisances des systèmes de distribution et de commercialisation, le caractère arbitraire et le manque de suite de la politique agricole, et l'instabilité politique qui caractérisent de nombreux pays en développement, I font valoir que les risques que courent les entreprises sont tels que l'initiative privée ne peut suffire à organiser des marchés efficaces, et que les entreprises para-publiques sont là pour I combler le vide ainsi laissé. Ils soutiennent que les entreprises para-publiques ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises, et que leur problème tient à la manière dont elles sont gérées et au rôle qui leur est assigné, en particulier celui de servir les intérêts d'individus à la recherche d'avantages personnels." (Keene, Monk et al., 1984, p. 12). Les responsables de la politique économique ont une tâche beaucoup plus difficile s'ils partagent le second de ces points de vue. Au lieu I d'encourager simplement la privatisation, il leur faut en effet chercher des solutions au problème des ingérences politiques dans la gestion des entreprises para-publiques afin de faire en sorte que la concurrence s'exerce entre différentes formes d'institutions. Nous reviendrons sur ce sujet après avoir analysé l'expérience acquise par les pays couverts I par l'étude MADIA en ce qui concerne les coopératives. LES COOPERATIVES L'importance accordée aux coopératives de commercialisation des produits agricoles dans les tentatives récentes de réorientation des politiques agricoles tient à ce que, comme nous l'avons vu plus haut, I elles offrent au problème de la commercialisation une solution qui vient au second rang des préférences de nombreux donateurs et de nombreux gouvernements. L'idée que les uns et les autres se font ainsi du rôle des coopératives, sans être complètement erronée, dénote néanmoins une aberration qui explique nombre des difficultés auxquelles sont en proie I tant de coopératives dans les pays couverts par l'étude MADIA. Comme - 62 - dans le cas des entreprises para-publiques, l'expérience montre que si les coopératives échouent si souvent, c'est parce que les pouvoirs publics s'ingèrent dans leur gestion et dans leur fonctionnement; l'expérience montre aussi que les effets de ces ingérences dépendent non seulement de leur ampleur, mais aussi de la forme qu'elles revêtent. Les ingérences des pouvoirs publics dans les activités des coopératives sont motivées par les mêmes préoccupations que leurs interventions dans les activités des entreprises para-publiques de commercialisation volonté de contrôler les circuits de commercialisation, de s'assurer la maîtrise de l'affectation des ressources financières, et d'exercer une emprise politique. Ainsi, s'il est vrai que le soutien des pouvoirs publics est généralement indispensable au succès des coopératives, les interventions de ceux-ci, telles qu'elles sont habituellement conçues, ont en fait pour résultat de décourager la participation de la paysannerie et d'en réduire les avantages à néant 17/. 17/ Il est difficile de donner des coopératives une définition de portée universelle. L'Organisation internationale du Travail (OIT) cite la définition suivante, quelque peu étroite : "... association de personnes qui unissent volontairement leurs efforts pour réaliser un but commun en constituant une organisation gérée démocratiquement, qui apportent une part équitable du capital requis, et qui partagent équitablement les risques et les bénéfices de l'entreprise à laquelle les membres participent activement.' (OIT 1988, p. 15). Le 23e Congrès de l'Alliance internationale des coopératives, tenu en 1966, a adopté six principes auxquels sont censés obéir les coopératives, le respect des quatre premiers étant une condition nécessaire à l'adhésion à l'Alliance ri) l'adhésion à une coopérative doit être libre et non discriminatoire; ii) tous les membres doivent avoir le même droit de vote (une voix pour chaque membre); iii) la rémunération du capital social doit être modérée ou nulle; iv) les bénéfices d'exploitation doivent être équitablement répartis entre les membres; v) une coopérative doit constituer des provisions pour l'éducation de ses membres, de ses cadres, de ses employés et du public; vi) les coopératives doivent collaborer entre elles." (OIT 1988, p. 19). -63- | Si les interventions des pouvoirs publics entravent l'instauration des conditions nécessaires au succès des coopératives, c'est qu'elles dépassent les limites du nécessaire pour tomber dans l'excès. "Il est une conception plus large de la coopération ... qui admet l'existence d'interactions entre le pouvoir économique et le pouvoir socio-politique, interactions qui expliquent pourquoi des réformes structurelles ou une mobilisation politique sont souvent I nécessaires pour que les coopératives soient à même de procurer des avantages aux couches les plus pauvres de la population. Selon cette conception, même en présence de telles réformes et innovations, et a fortiori en leur absence, il est inévitable qu'une phase caractérisée par des pratiques paternalistes et des interventions extérieures dans la direction, la gestion et les finances des coopératives précède une évolution vers des coopératives fortes et plus autonomes.' (Lele 1981, p. 58). g Une coopérative dont la gestion et la direction sont centralisées au point que l'Etat exerce sur elle une emprise suffisante pour dissiper toute crainte quant aux atteintes qu'elle pourrait porter à la puissance publique est en règle générale incapable de répondre aux besoins de ses membres, si ceux-ci savent ce qu'ils veulent et sont actifs. Il faut donc dire que les coopératives ont les meilleures chances de réussir lorsque le pouvoir politique est sûr de ses assises, et donc disposé à tolérer l'existence de groupes défendant des intérêts divergents et, en même temps, à fournir aux coopératives une assistance technique et une aide à la formation 18/. 18/ Au sujet de l'incidence des interventions des pouvoirs publics I sur le fonctionnement des coopératives, l'OIT a fait les observations suivantes : "Il est avéré que les coopératives font de plus en plus fréquemment l'objet d'interventions des pouvoirs publics, et que dans certains pays, elles sont entièrement aux mains de l'Etat. Le danger de cette tendance, c'est que les coopératives I nouvellement créées risquent, au lieu de s'occuper des problèmes de leurs membres, de suivre la politique que leur dictent les pouvoirs publics : autrement dit, les coopératives risquent de I devenir l'instrument des pouvoirs publics plutôt que l'expression d'un effort collectif." (OIT 1988, p. 27). - 64 - De tous les pays couverts par l'étude MADIA, le Kenya est celui qui a le plus encouragé les coopératives en mettant en place un système très décentralisé qui permet aux producteurs de définir leurs intérêts et qui tient compte de ces intérêts (Alila 1985), de sorte que les coopératives représentent environ la moitié des petits exploitants agricoles. Les coopératives de traitement et de commercialisation du café sont de beaucoup les plus actives; elles comptent la moitié de l'effectif total des membres de coopératives agricoles, et leur chiffre d'affaires global est égal à 71 Z du chiffre d'affaires de l'ensemble des coopératives agricoles (Lele et Meyers 1987). L'expérience semble montrer que les coopératives spécialisées dans les produits agricoles d'exportation réussissent mieux que celles spécialisées dans les produits des cultures vivrières, parce que de nombreux produits agricoles d'exportation exigent d'être traités et ne peuvent ni être autoconsommés, ni être écoulés facilement sur les marchés ruraux, ce qui facilite la mise en place d'un système centralisé de commercialisation. De plus, il y a place pour des économies d'échelle dans le traitement, généralement à forte valeur ajoutée, des produits agricoles qui ne peuvent être commercialisés à l'état brut. Au Kenya, les produits agricoles importants autres que le café qui sont commercialisés par des coopératives sont des produits de rapport, à l'exception du lait (considéré comme relevant de la production vivrière). Des groupes d'intérêts très divers continuent néanmoins de militer pour le développement des coopératives spécialisées dans les produits des cultures vivrières en dépit de leur succès limité. Jusqu'L' présent, les coopératives ne commercialisent qu'un faible volume de produits des cultures vivrières, exception faite du maïs dans certaines régions i - 65- * excédentaires. En Afrique, il est rare que les coopératives g fonctionnent efficacement lorsque les produits qu'elles commercialisent sont pondéreux et n'ont qu'une faible valeur (cas du maïs), ou exigent un traitement complexe et coûteux (cas du coton et du sucre). En Tanzanie, avant l'indépendance et immédiatement après, les I autorités ont encouragé le développement des coopératives au niveau local, et ces dernières ont acquis une telle influence politique qu'elles en sont venues à battre en brèche l'autorité du parti au pouvoir - le TANV d'abord, et le CCM ensuite 19/. Cependant, leur influence politique finit par être perçue comme une menace par les I autorités en place, ce qui amena le gouvernement à accroître son emprise sur le mouvement coopératif. Dès lors qu'elles n'étaient plus dirigées par leurs membres, les coopératives défendaient leurs intérêts moins efficacement. Pour plusieurs raisons, et notamment une nouvelle philosophie politique et les accusations selon lesquelles les coopératives étaient de plus en plus sujettes à la corruption, le gouvernement décida en 1976 de les dissoudre et de les remplacer par des I organismes para-publics et, dans le cadre de sa politique de g villagisation, par de petites sociétés de village (Bryceson 1985; FAO 1987). Cette réforme eut des conséquences désastreuses sur la production agricole, ce qui amena le Parlement, en 1982, à rétablir les coopératives. I S'il est incontestable que les interventions abusives des pouvoirs publics dans leur exploitation ont nui aux coopératives au début des années 70, rien ne garantit leur succès dans leur nouvelle incarnation. 1 19/ L'une des raisons pour lesquelles l'Etat a continué de soutenir les coopératives après l'accession de la Tanzanie à l'indépendance est qu'il voyait dans l'essor du mouvement coopératif ur. moyen d'éliminer les négociants asiatiques du secteur rural (Bryceson n.d., p. 5). - 66 - L'attitude du gouvernement est, à court terme, plus favorable que par le passé; cependant, il apparaît aussi que le gouvernement, dans une perspective plus éloignée, considère les coopératives comme un instrument de sa politique sociale, ce qui explique par exemple pourquoi l'adhésion aux coopératives est obligatoire et non pas facultative. En outre, plusieurs facteurs techniques risquent d'amenuiser les chances de succès des coopératives. Par exemple, après une éclipse de dix ans, les coopératives n'étaient guère préparées à assumer la responsabilité de la commercialisation des produits agricoles; étant donné la situation économique précaire du secteur agricole, les coopératives auront du mal à rester financièrement viables; il semble que certaines coopératives aient un personnel pléthorique; enfin, les coopératives ne bénéficient que d'une assistance technique modeste (FAO 1987, p. 17 et 18). Hanak et Loft (1987) ont procédé à une comparaison des résultats obtenus par les coopératives au Kenya et en Tanzanie, qui a le grand mérite de faire mieux comprendre les conditions du succès des coopératives. Ces deux auteurs font observer qu'au lendemain de l'accession à l'indépendance, le mouvement coopératif, au niveau local, était plus développé en Tanzanie qu'au Kenya, parce que les petits exploitants avaient le droit de pratiquer des cultures d'exportation en Tanzanie, alors qu'au Kenya, ces cultures étaient la prérogative des grands propriétaires. Par la suite, cependant, les autorités kényennes se montrèrent plus tolérantes à l'égard des coopératives que le Gouvernement tanzanien. Hanak et Loft considèrent que l'action menêe par les pays développés, dans le cadre de l'aide au développement, pour améliorer la gestion et les résultats des coopératives cotonniLres en Tanzanie a été d'une efficacité spectaculaire, efficacité qui met en évidence le contraste entre les résultats obtenus par les coopératives g -~~~~~~~~~~~~~67- dans les régions cotonnières et ceux qu'elles ont obtenus dans les autres régions du pays. Si les coopératives n'ont pas connu le même succès en Tanzanie qu'au Kenya, c'est parce que les pouvoirs publics n'ont pas joué le même rôle dans les deux pays. Les Gouvernements kényen et tanzanien et les pays nordiques s'accordaient à voir dans les coopératives un type d'institution qui méritait en soi d'être défendu. Les autorités tanzaniennes comme les autorités kényennes s'employèrent donc à soutenir les coopératives en difficulté, et mirent en place un système de réglementation. Le Gouvernement kényen décida toutefois de miser sur les coopératives qui réussisaient déjà le mieux, alors que le Gouvernement tanzanien s'attacha à maintenir en activité de nombreuses coopératives qui fonctionnaient mal. Portés par un courant favorable au soutien à la Tanzanie, les pays nordiques, pour leur part, persistèrent à aider ces canards boiteux, en dépit du fait que "les mesures prises en 1976 par le Gouvernement tanzanien étaient manifestement contraires aux principes énoncés dans la charte de l'Alliance internationale des coopératives". Au Kenya, en revanche, l'attitude des pouvoirs publics, déterminés à faire porter leur action d'abord sur les régions agricoles retardataires, a contribué de façon déterminante à l'amélioration de la qualité de la gestion des sociétés et unions spécialisées dans la commercialisation du café, des produits laitiers et du pyrèthre (Hanak et Loft 1987). Les résultats de la collaboration entre les pays nordiques et les coopératives, qui se poursuit depuis 20 ans, ne sont guère concluants, sauf dans les régions productrices de café et de produits laitiers. Selon Hanak et Loft, les pays développés, dans leurs évaluations, sont souvent passés à côté d'une question fondamentale, celle de savoir si l - 68 - les coopératives constituent un type d'institution viable lorsque l'agriculture repose sur des bases précaires, lorsque les produits sont pondéreux et de faible valeur et cultivés dans des zones dispersées, ou lorsque les produits exigent un traitement complexe et coûteux, conditions rencontrées dans la plupart des régions semi-arides. Hanak et Loft concluent que "les pays développés, à moins qu'ils ne remettent explicitement en question le postulat selon lequel les coopératives offrent partout une solution viable, risquent fort de continuer de faire porter leur action future sur des régions où les coopératives n'ont aucune chance de succès" (Hanak et Loft 1987). L'expérience du Cameroun montre aussi que certaines coopératives réussissent très bien alors que d'autres obtiennent de très mauvais résultats. Il y a actuellement au Cameroun 500 coopératives qui ont dûment déposé leurs statuts; elles comptent environ 400 000 membres, pour la plupart producteurs de cacao et de café. A ces coopératives agricoles s'ajoutent environ 230 (chiffre de 1987) coopératives d'épargne et de crédit (sociétés de crédit mutuel) comptant 62 000 membres; ce sont les coopératives de ce type qui réussissent le mieux au Cameroun. Le facteur qui semble expliquer pourquoi certaines coopératives réussissent là où d'autres échouent est le degré d'intervention de l'Etat. "Tout se passe comme s'il y avait corrélation négative entre le soutien que les pouvoirs publics apportent aux coopératives et les résultats obtenus par ces dernières; en effet, les coopératives auxquelles les pouvoirs publics s'intéressent de très près obtiennent de très mauvais résultats, alors que celles qui sont presque à l'abri de l'intervention des pouvoirs publics (souvent parce qu'elles font partie de fédérations qui jouent efficacement le rôle d'organisme tampon) obtiennent de bons résultats" (témoignage recueilli par les auteurs). Les sociétés de crédit mutuel, dont la première a été fondée en 1963, se sont développées dans des régions où existaient déjà des tontines -69 - I (associations non institutionnalisées d'épargne et de crédit). Les sociétés de crédit mutuel ont donc donné une forme structurée à une institution déjà bien établie (tontines) selon des modalités avantageuses pour les membres. Par exemple, une coopérative nouvellement créée, pour devenir membre de la Ligue des sociétés de * crédit mutuel (fédération qui fournit aux coopératives des services de gestion, de formation, d'audit et d'assurances) doit avoir à fonctionner pendant un certain temps sous la forme d'une association d'épargne, ce qui lui permet de gagner la confiance de ses membres. Bien que les sociétés de crédit soient des coopératives à part entière ayant déposé I leurs statuts auprès des autorités compétentes, elles n'ont que rarement à se soumettre à des contraintes réglementaires ou à des contrôles exercés par les organismes publics chargés de la tutelle des | coopératives ou par l'organe central de contrôle du système bancaire. La présence d'une fédération efficace, qui supervise le fonctionnement I des sociétés membres et leur fournit un appui technique, et aussi l'absence d'ingérences politiques, expliquent pour l'essentiel le succès des sociétés de crédit mutuel. Ce succès contraste avec les déboires des coopératives de commercialisation du cacao des provinces du centre et du sud du Cameroun, coopératives sur lesquelles les pouvoirs publics exercent une très forte emprise, allant jusqu'à nommer par exemple leurs dirigeants et cadres supérieurs, qui sont des fonctionnaires détachés. D'une manière générale, le gouvernement semble considérer les coopératives de commercialisation comme des organismes para-publics et se réserve le droit d'approuver le budget de chacune d'entre elles. En dépit de tentatives de réforme, cette tendance interventionniste persiste. I I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 70 - Avant l'accession du Cameroun à l'indépendance, il existait dans le pays un mouvement coopératif autonome fort actif qui, en 1960, regroupait 217 coopératives locales et grandes coopératives de commercialisation du cacao. En 1963, la plupart de ces coopératives ont été dissoutes parce que (selon une certaine source) leur autonomie était perçue comme une menace pour l'autorité de l'Etat (GTZ 1986, p. 10). Dix ans plus tard, une série de réformes visant les coopératives a été lancée par "le gouvernement central. Ces réformes étaient conçues de façon essentiellement autoritaire, et étaient censées, selon le ministère compétent, répondre à la nécessité d'implanter rapidement des coopératives sur tous les marchés primaires du cacao afin de mettre les producteurs à l'abri des manipulations du marché auxquelles pouvaient se livrer les acheteurs de cacao du secteur privé' (GTZ 1986, p. 11). Ces réformes ont offert aux exploitants la possibilité de prendre le contrôle des organismes locaux de commercialisation, mais l'Etat a continué d'avoir la haute main sur l'exploitation et la gestion des coopératives. Si les pouvoirs publics ont maintenu leur emprise sur les coopératives, et notamment continué d'y pourvoir de nombreux postes de responsabilité en détachant des fonctionnaires, c'est parce qu'ils n'ont pas su faire la distinction entre les modes d'organisation qui peuvent légitimement être imposés par l'Etat parce qu'ils répondent aux impératifs du développement, et ceux qui sont de nature à encourager la participation volontaire des familles rurales et des collectivités locales. Une étude récente sur la situation d'un échantillon de coopératives de commercialisation du cacao (GTZ 1986, p. 17) conclut que la structure du système actuel est défectueuse sur des points essentiels, ce que montrent bien les difficultés financières des coopératives - dont 11, sur les 15 étudiées, étaient techniquement en -71- faillite. Les auteurs de cette étude attribuent en partie l'échec des coopératives de commercialisation du cacao à des carences de leur système de financement, au gonflement des coûts entraîné par une mauvaise gestion, et aux mauvaises directives de gestion données par les organismes publics de tutelle. Mais il est probable que le vrai problème, c'est que les membres de ces coopératives n'ont ni la volonté, ni les moyens d'en infléchir la gestion. Par exemple, la taille excessive des coopératives rend la communication difficile et fait que les membres ne se sentent pas vraiment solidaires 20/. Autre problème, lié à celui de la taille : l'absence d'un échelon intermédiaire entre des coopératives fortement centralisées et les villages - qui constituent naturellement l'unité administrative et fonctionnelle de base. La centralisation des fonctions administratives des coopératives décourage l'esprit d'initiative chez les membres. Cette centralisation a notamment pour conséquence que les coopératives "sont essentiellement la chose de leur équipe dirigeante, laquelle, de par sa composition, est à peu de choses près l'émanation de la puissance publique" (GTZ 1986, p. 58). Pour ce qui est de l'intervention de l'Etat dans le fonctionnement des coopératives, le cas du Sénégal est assez semblable; le Gouvernement sénégalais a tour à tour encouragé le développement d'un mouvement coopératif autonome et tenté d'établir son emprise sur les coopératives en multipliant les interventions. La législation sur les coopératives adoptée en 1960 s'inscrivait dans le prolongement des tentatives faites par les autorités françaises, avant l'accession du pays à l'indépendance, pour mettre en place un réseau de coopératives agricoles 20/ Une société de crédit mutuel compte en moyenne 268 membres alors qu'une coopérative de commercialisation du cacao en compte environ 800. i~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 72 - d'envergure nationale. Le nouveau programme, dont le Premier Ministre d'alors, M. Dia, se fit personnellement le champion, avait pour but de donner véritablement l'impression aux membres des coopératives que celles-ci leur appartenaient, de faire en sorte que la commercialisation et le crédit échappent complètement aux négociants et organismes du secteur privé, et d'empêcher les marabouts d'établir leur emprise sur les nouvelles institutions" (Waterbury 1986, p. 81). Cependant, le programme était contraire aux intérêts de tant de groupements ruraux - des marabouts en particulier - qu'il contribua à la chute de M. Dia. Léopold Senghor déclara par la suite que ce programme procédait d'une "mentalité de boy-scout". Après 1974, les marabouts, les membres des partis politiques, les agents vulgarisateurs et les dirigeants de l'ONCAD conclurent des arrangements locaux, si bien que les coopératives tombèrent sous l'emprise des notables locaux. Le caractère des coopératives avait changé, mais le gouvernement continuait d'encourager le développement de cette forme d'institution; en 1970, il y avait 1 870 coopératives, dont plus de la moitié (1 060) dans la région productrice d'arachides. Soumises jusqu'à la fin des années 70 à la tutelle de l'ONCAD, et gérées par les pouvoirs publics, les coopératives devinrent de simples rouages de la bureaucratie agricole, ce qui ne manqua pas de nuire à leur image et à leurs résultats. La dissolution de l'ONCAD, la politisation croissante des coopératives, la corruption de leurs dirigeants et les pressions exercées par les donateurs incitèrent le gouvernement à procéder à une réforme des coopératives agricoles. Comme précédemment, les mesures de réforme préconisées par les donateurs et certains organes de l'administration sénégalaise reposaient sur l'idée qu'il fallait '... trouver un type d'institution dont les membres se fassent mutuellement -73 - I confiance, pratiquent l'autodiscipline afin de faire échec aux profiteurs, se sentent directement responsables de la conduite de leurs affaires et de la production, et soient prêts à demander des comptes aux instances du système coopératif" (Waterbury 1986, p. 82). Comme on pouvait s'y attendre, cependant, ce système coopératif dérangeait I plusieurs groupes d'intérêts, à commencer par les marabouts. Aussi fallait-il truver un compromis. La formule retenue alors prévoyait la mise en place de coopératives de plus grande taille (dans la région de Sine-Saloum, le nombre moyen de membres passa de 200 à 1 730); il n'était pas prévu de changement majeur en ce qui concerne le personnel des coopératives et le rôle des notables dans leur direction devait rester à peu près le même; enfin, il n'était pas prévu de faire E participer la base à l'organisation des nouvelles coopératives. Aussi ne faut-il pas s'attendre à ce que les coopératives nouvellement créées réussissent mieux que celles qui les ont précédées. I l I I I I I - 74 - Les leçons de l'expérience De la manière dont ont fonctionné jusqu'à présent les coopératives de commercialisation dans les pays couverts par l'étude MADIA, on peut tirer deux conclusions. Premièrement, pour que les coopératives soient réellement utiles à leurs membres, c'est-à-dire constituent des institutions de commercialisation efficaces, il leur faut le soutien des pouvoirs publics sans qu'il dégénère en interventionnisme. A en juger par les résultats souvent décevants obtenus par les coopératives, il est difficile d'obtenir le dosage idéal. Le soutien des pouvoirs publics doit consister à fournir une assistance en matière de gestion, à offrir des services de perfectionnement des cadres et à veiller à ce que les coopératives respectent leurs statuts. Le danger de voir le soutien dégénérer en interventionnisme dépend de la manière dont les objectifs des coopératives sont définis et des moyens employés pour les atteindre. Lorsqu'un gouvernement cherche à établir son emprise sur la gestion des coopératives parce qu'il les considère comme des instruments de sa politique, il les détourne de leur vocation, et elles deviennent généralement moins utiles à leurs membres. Deuxièmement, étant donné les conditions générales de leur succès (succès aux yeux de leurs membres), les coopératives ne se sont guère armées pour se lancer rapidement dans des activités qui complètent celles des offices de commercialisation ou des entreprises privées, et encore moins pour se substituer aux uns ou aux autres. Une politique tendant à conférer aux pouvoirs publics la maîtrise des fonctions de commercialisation en remplaçant les offices de commercialisation par des coopératives a peu de chances de succès. -75 - I LES REFORMES DE LA COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES APERCU GENERAL ET ANALYSES DE CAS Les réformes dont sont convenus les donateurs et les gouvernements africains, principalement dans la perspective de l'octroi par la Banque mondiale, avec le concours d'autres donateurs, de prêts à l'ajustement | structurel et sectoriel, prévoient de nombreuses mesures visant la politique des prix et la politique de commercialisation, et notamment la réorganisation des organismes para-publics de commercialisation. Il n'est pas possible d'entrer ici dans le détail de ces réformes pour chacun des pays couverts par l'étude MADIA, mais un rapide survol permettra de se faire une idée du sens dans lequel vont leurs dispositions principales. I L'un des objectifs principaux des programmes d'ajustement consistait à relever les prix à la production, en modifiant au besoin le taux de change (comme l'ont fait le Nigéria et la Tanzanie) et en modifiant également les prix réglementés, principalement pour les produits agricoles d'exportation (voir tableau 1) (comme ils font partie de la zone franc, le Sénégal et le Cameroun n'ont pas pu modifier le taux de change de leurs monnaies). Les programmes d'ajustement prévoient aussi de réduire le rôle du secteur public dans la commercialisation des produits agricoles. Les donateurs (Banque mondiale et USAID principalement) se sont aussi préoccupés de la | fixation des prix et de la commercialisation des intrants, et particulièrement des règles auxquelles obéissent l'importation et la i I I - 76 - distribution des engrais et l'octroi de subventions à l'achat d'engrais (voir tableaux 6 et 7) 21/. Il a été démontré ailleurs que ce sont les préoccupations inspirées par les déficits budgétaires (Lele, Christiansen et Kadiresan 1989; Banque mondiale 1986b), l'inefficacité des subventions, qui ne profitent pas à ceux qui sont censés en bénéficier, et la croissance du secteur public qui ont motivé le lancement de programmes d'élimination des subventions 22/. Dans cette optique relativement étroite, on ne s'est pas préoccupé d'analyser en quoi les subventions à l'achat d'engrais pouvaient contribuer à rendre l'agriculture plus intensive en Afrique, et on ne s'est pas demandé non plus si le secteur privé pourrait rapidement se substituer au secteur public. D'une analyse de ces questions plus vastes (Lele, Christiansen et Kadiresan 1989), il ressort qu'il y a plusieurs moyens de généraliser l'emploi des engrais. Des subventions à l'achat d'engrais peuvent se justifier dans des cas particuliers, où la demande d'engrais est limitée soit par la faible rentabilité des exploitations, soit par l'insuffisance des revenus des agriculteurs, et où le marché ne fonctionne manifestement pas comme il devrait. Les subventions sont d'autant plus efficaces qu'elles s'accompagnent d'une atténuation des restrictions de l'offre résultant du fonctionnement imparfait du marché (du fait par exemple d'un manque de devises étrangères ou de l'absence de marchés financiers). 21/ Pour des données détaillées sur le montant des subventions à l'achat d'engrais, la part des dépenses publiques qui vont à ces subventions, et le coût des engrais par rapport au prix des produits dans les pays couverts par l'étude MADIA, voir Lele, Christiansen et Kadiresan, 1989. 22/ Parmi les pays couverts par l'étude MADIA, le Nigéria, pour ce qui est du coût des subventions à l'achat d'engrais, représente un cas extrême : en 1985, ces subventions ont coûté au Trésor public 240,9 millions de dollars, soit 32,1 Z du budget de l'agriculture et 3,7 Z du budget total de l'Etat (Lele, Christiansen et Kadiresan 1989). I _-77 I Les mesures prises dans le cadre de la réorientation des politiques de commercialisation des produits agricoles comprennent la restructuration des institutions chargées de la commercialisation des intrants et de la production, l'effacement du rôle du secteur public dans la commercialisation et la promotion des activités du secteur privé (voir tableaux 6 et 7) 23/. L'accent continue d'être mis sur ces éléments, bien que les études consacrées à la structure et au fonctionnement des marchés dans le secteur agricole privé en Afrique soient relativement rares. Actuellement, il n'existe en règle générale de tels marchés que pour les produits des cultures vivrières, parce que la distribution et la commercialisation des produits agricoles d'exportation sont aux mains des pouvoirs publics. Même lorsque les entreprises privées peuvent participer librement à la commercialisation et au traitement des produits agricoles (comme c'est le cas au Nigéria pour le coton et le caoutchouc), les acheteurs agréés sont souvent, semble-t-il, en position concurrentielle défavorable. I I I I 23/ Van de Walle (1989) a procédé à une excellente analyse des I ouvrages et articles consacrés à ce sujet et à l'évolution des questions relatives à la privatisation. - 78 - Tableau 6 : Réformes de la politique des prix et de la politique de commercialisation des produits agricoles : Sénégal, Cameroun et Nigéria Sénégal Prix à la production Relèvement des prix à la production pour les arachides et les céréales. Relèvement du prix du riz importé afin d'encourager la production intérieure. Prix des intrants : Remplacement des subventions à l'achat d'engrais versées par la SONAR par des subventions limitées financées par l'aide extérieure, qui devaient être progressivement éliminées avant la fin de 1989. Obligation de fixer les prix régionaux des engrais en fonction des frais de transport. Institutions Dissolution, en 1988, de l'organisme para-public chargé de la commercialisation des semences (arachides) et des engrais (la SONAR); commercialisation des arachides confiée aux entreprises de broyage, à des négociants privés et à des coopératives. Réduction des stocks de semences et réduction du volume distribué gratuitement. Elimination des obstacles administratifs à la commercialisation des céréales sur le marché intérieur. Privatisation Après la dissolution de la SONAR, transfert des fonctions de commercialisation au secteur privé et aux coopératives. Cameroun Prix à la production Dans le cadre du programme d'élimination des subventions à l'achat d'engrais, relèvement par le gouvernement du prix à la production du café. Prix des intrants Elimination progressive avant la fin de 1992 des subventions à l'achat d'engrais dont bénéficient les producteurs de café. Institutions Dissolution de plusieurs entreprises para- publiques (la SEMRY par exemple), ou redéfinition de leur rôle; promotion des coopératives. Privatisation Dans le cadre du train de réformes concernant les engrais, privatisation de l'importation et de la distribution des engrais. I -~~~~~~~~~~~~~79 - I Nigéria Prix à la production Parallèlement à la suppression des offices de commercialisation, relèvement du prix à la production pour les produits agricoles * d'exportation. Prix des intrants Les tentatives faites pour éliminer les subventions à l'achat d'engrais ont donné quelques résultats; cependant, depuis quelques temps, les achats d'engrais sont de nouveau subventionnés du fait de la surévaluation de la monnaie. Institutions Suppression des offices de commercialisation des produits agricoles d'exportation. Privatisation Les entreprises publiques participent davantage à la commercialisation des produits agricoles d'exportation, et il est prévu d'encourager les entreprises privées à se lancer dans le commerce des engrais. Tableau 7 : Réformes de la politique des prix et de la politique de commercialisation des produits agricoles : Malawi, Kenya et Tanzanie Malawi Prix à la production Relèvement des prix à la production pour les petits exploitants (sauf dans le cas du tabac). Prix des intrants Lancement d'un programme d'élimination des subventions à l'achat d'engrais, qui n'est pas * encore parvenu à son terme. Institutions Réforme de l'entreprise para-publique de commercialisation (ADMARC) en vue d'en accroître l'efficacité et de la spécialiser davantage dans les produits des petites exploitations. Privatisation Pour certains produits, les petits exploitants sont encouragés à s'adresser à des négociants privés pour écouler leur production. Il est prévu de privatiser la distribution des engrais. Kenya | Prix à la production Les prix à la production payés aux petits exploitants ayant été maintenus à un niveau voisin de celui des prix sur les marchés internationaux, les recommandations ont porté sur d'autres points. I I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 80 - Prix des intrants Les achats d'intrants ne sont plus subventionnés depuis le milieu des années 70; la réglementation des marges de distribution et de manutention en vigueur pour certaines catégories de produits a été assouplie. Institutions Mise en oeuvre d'un programme de réforme des entreprises para-publiques et poursuite de la restructuration du programme d'investissements publics et de dépenses intéressant les entreprises para-publiques; augmentation du volume du crédit dont peuvent bénéficier les petits exploitants. Privatisation Libéralisation et privatisation en vue de rationaliser l'importation et la distribution des engrais. Tanzanie Prix à la production Relèvement substantiel des prix officiels à la production pour les produits alimentaires et les produits agricoles d'exportation. Prix des intrants Les subventions à l'achat d'engrais ont été officiellement supprimées en 1984, mais les prix demeurent en fait subventionnés, d'autant que la monnaie est surévaluée. Institutions La National Milling Corporation (NMC) a désormais uniquement pour rôle de contribuer à la sécurité alimentaire; des coopératives agricoles sont apparues. Privatisation Les entreprises privées sont encouragées à participer davantage à la commercialisation des produits agricoles. Des mesures ont été prises également pour améliorer le cadre juridique et institutionnel dans lequel fonctionnent les entreprises du secteur privé, et des efforts sont faits pour améliorer le crédit, l'information et l'infrastructure des transports. Etant donné que les donateurs ont longtemps soutenu vigoureusement la croissance du secteur public, le fait que l'on cherche actuellement à promouvoir le secteur privé sans s'être assuré au préalable que les conditions indispensables au succès des entreprises privées sont réunies témoigne d'une grave lacune du processus de réforme. De nombreux problèmes se posent du fait -81 - que les domaines sur lesquels doit porter la privatisation n'ont pas été précisés en détail dans les accords conclus avec les gouvernements. En outre, le secteur privé a une capacité limitée d'utilisation des ressources extérieurs, et dans la plupart des cas, les représentants des donateurs n'ont pas l'expérience pratique et les connaissances requises pour renforcer le secteur privé. Ils sont portés à croire que le secteur privé est suffisamment fort et dynamique et capable de résoudre rapidement les problèmes que soulève la commercialisation des produits agricoles. Le programme d'ajustement du secteur agricole mis en oeuvre au Kenya [Agricultural Sector Adjustment Operation (ASAO)] illustre certaines des difficultés que soulève l'application des accords d'ajustement structurel visant à réformer le système de commercialisation et les entreprises para-publiques de commercialisation. La restructuration des entreprises para-publiques prévue par l'ASAO suppose que soient réunies de nombreuses conditions principales et subsidiaires, et les résultats que vise le programme sont depuis plus de dix ans un sujet de dissensions entre les donateurs et le Gouvernement kényen (Lele et Meyers 1987). Ces difficultés tiennent en partie à ce que les donateurs ont limité le champ de leurs analyses en les fondant sur des critères technocratiques ou des critères de rationalité économique étroits, et n'ont guère étudié directement les facteurs politiques qui influent sur les décisions. Des travaux réalisés récemment dans le cadre de l'étude MADIA (sur le coton et le sucre au Kenya, et les engrais en général) fournissent des exemples des raisons politiques pour lesquelles les gouvernements agissent de telle ou telle façon. Ces travaux montrent jusqu'à quel degré de détail il I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 82 - faut pousser l'analyse, question par question, et pays par pays. Les exemples qui suivent illustrent cette nécessité. Au Malawi, les mesures de réforme visant l'ADMARC, entreprise para-publique chargée de commercialiser la production des petites exploitations, ont consisté essentiellement à obliger l'entreprise à se dessaisir d'actifs n'ayant pas de rapport avec la petite agriculture, et à lui imposer de fonctionner comme une entreprise commerciale (condition dont se sont émus les pouvoirs publics comme les dirigeants de l'ADMARC, qui craignent que l'entreprise si elle s'y soumet, ne puisse plus s'acquitter aussi efficacement de sa fonction de stabilisation des prix et de son rôle d'acheteur/vendeur de dernier recours). En outre, la privatisation de la commercialisation des céréales était censée offrir aux agriculteurs la possibilité d'utiliser un second circuit de commercialisation, et est censée aussi réduire le coût des opérations d'achat. La première campagne de commercialisation à laquelle des négociants du secteur privé ont participé en vertu de la réforme (1987), bien qu'elle ait coïncidé avec un afflux massif de réfugiés, et donc une poussée de la demande de mais, s'est déroulée sans heurts 24/. Il faudra néanmoins régler plusieurs questions avant de proclamer le succès de la privatisation. Du fait de l'accroissement de la demande de maïs, le prix du marché a très largement dépassé le prix officiel, de sorte que le volume des achats de 1'ADMARC est tombé à un niveau très inférieur à celui des années précédentes. Bien que le volume de ses achats ait été un peu plus important en 1988, il n'est pas certain, dans de telles circonstances, que l'ADMARC puisse continuer de remplir sa mission, qui est de garantir la sécurité alimentaire du pays. 24/ Voir Christiansen et Stackhouse (1989); Lele (1989b), Bowbrick (1988). I -~~~~~~~~~~~~~~83- I De plus, les deux problèmes les plus graves auxquels se heurtent I les négociants du secteur privé - difficultés de transport et manque de moyens de crédits - n'ont pas encore été résolus. S'ils ne disposent pas de moyens de transport fiables et s'ils ne peuvent compter sur des moyens de crédit, les négociants du secteur privé seront loin d'obtenir I les résultats attendus, et tomberont probablement sous la domination d'une poignée d'entreprises qui, elles, n'ont pas de difficultés de transport ou de crédit. Enfin, la privatisation de la commercialisation des céréales au Malawi - et celle, probable, de la commercialisation des engrais - contraignent 1'ADMARC à fonctionner comme une entreprise I commerciale (c'est-à-dire à éviter les pertes), alors pourtant qu'elle continue de remplir certaines fonctions de développement qu'elle ne peut financer qu'à perte, sans pouvoir espérer être remboursée par l'Etat. Par exemple, 1'ADMARC est supposée garantir la sécurité alimentaire du Malawi en conservant des stocks régulateurs (Strategic Grain Reserve); or, les prix qu'elle est supposée payer aux producteurs ne comprennent pas la marge de taxation qui lui permettrait de couvrir le coût de ses I fonctions touchant la sécurité alimentaire et la stabilisation des prix 25/. Si l'ADMARC est suffisamment capitalisée et reçoit régulièrement du Trésor public des allocations de fond qui la dédommagent pour les fonctions qu'elle dit financer à perte, rien ne doit que des problèmes semblables ne se poseront pas dans d'autres pays d'Afrique de l'Est. I Il faut en dernier lieu signaler que dans le cadre du programme de i libéralisation, 6 Z environ des marchés saisonniers ont été fermés. La Banque mondiale espérait que près de 200 marchés seraient fermés en I 25/ L'ADMARC avait l'habitude de financer ses pertes sur la commercialisation du maïs avec une partie des bénéfices réalisés sur les ventes de tabac et d'arachides. Le relèvement récent des prix à la I production de ces produits l'empêche désormais de recourir à ce mode de financement. I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 84 - 1987/88, mais elle a finalement accepté que ce chiffre soit ramené à environ 125. Actuellement, de 75 à 80 Z des ruraux habitent à moins de huit kilomètres d'un marché saisonnier. La question de la fermeture des marchés saisonniers, qui sont politiquement importants, a été âprement débattue. On ne s'étonnera pas que dès la campagne 1989/90, les fermetures de marchés ont été plus que compensées par l'apparition de marchés nouveaux ouverts par l'ADMARC. On peut dire en résumé que la privatisation de la commercialisation de la production des petites exploitations est dans l'ensemble un succès, bien qu'au début, les résultats obtenus par les négociants du secteur privé se soient quelque peu ressentis de la rapidité de la mise en oeuvre de la réforme, et que l'expansion de leurs activités soit entravée par le manque de liquidités et de véhicules (Christiansen et Stackhouse 1989). En Tanzanie, diverses mesures de réforme du système de commercialisation ont été prises depuis 1984, notamment le rétablissement des coopératives, la suppression des offices d'achat des produits agricoles (1984), l'assouplissement de l'attitude des pouvoirs publics envers les négociants du secteur privé (qui s'est manifesté par exemple par la suppression des restrictions sur les achats et les transports de céréales alimentaires), l'attribution d'un rôle plus précis et plus restreint à l'organisme para-public de commercialisation des céréales (NMC), et la légalisation des transactions d'achat et de vente entre des entreprises privées et la NMC, les associations de coopératives, les sociétés primaires et les exploitants agricoles (Scarborough 1989). Il ressort d'une première évaluation que ces mesures ont eu un effet extrêmement positif, comme on pouvait s'y attendre dans un pays où le secteur agricole fonctionnait bien en deçà -85 - de son potentiel de production. Cependant, une fois que les répercussions de ce premier train de réformes auront été totalement assimilées, la Tanzanie se trouvera en butte à nombre des problèmes de distribution des rôles entre le secteur privé et le secteur public qui se posent déjà dans d'autres pays où l'éclipse de la croissance n'a pas été aussi sensible qu'en Tanzanie. Par exemple, les négociants sont un peu partout handicapés par le manque de moyens de crédit, le défaut d'informations et l'insuffisance des moyens de transport. Une augmentation de la production, même minime, entraîne de graves difficultés d'acheminement de la production commercialisée. En Tanzanie, les pouvoirs publics ne s'occupent pas autant que dans d'autres pays (Malawi par exemple) de renforcer les moyens dont dispose le secteur privé pour s'acquitter efficacement de ces fonctions (diffusion d'informations sur les marchés, crédits aux négociants, amélioration des transports). Au Sénégal, des mesures de réforme ont été prises pour améliorer le climat économique grâce à la libéralisation des marchés des intrants et des produits agricoles. Bien que l'Etat n'ait entrepris que récemment d'accroître le rôle du secteur privé dans la commercialisation des engrais et de l'arachide, certains signes indiquent que des distorsions se produisent sur le marché libre. A la suite de la dissolution de l'entreprise para-publique de commercialisation (ONCAD) en 1980, ce sont les entreprises de broyage qui ont assumé la fonction de commercialisation, notamment la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (SONACOS), tandis que la gestion du fonds de semences était confiée à la Société nationrle d'approvisionnement du monde rural (SONAR). Les coopératives devinrent des agents de la SONACOS, jouant un rôle d'intermédiaire entre les I - 86 - exploitants et les entreprises de broyage. En 1986, les pertes financières essuyées par les entreprises de broyage et le développement du marché parallèle des arachides amenèrent les donateurs à faire pression sur les autorités sénégalaises pour qu'elles confient la commercialisation à trois catégories d'agents : les coopératives, les entreprises de broyage et les négociants privés, ce qui fut fait. Cependant, la SONACOS continua à assurer la régulation du système et de financer la commercialisation, en dépit du fait que les coopératives étaient désormais libres d'exercer des activités commerciales et de vendre au détail. Les détracteurs des réformes affirment que le marché est toujours aux mains des entreprises de broyage, et que la SONACOS demeure la seule source de financement (Jammeh 1987). Par exemple, la production d'arachides, dont la commercialisation sur le marché intérieur était assurée par près de 2 500 coopératives, est maintenant écoulée par un nombre de plus en plus restreint de centrales d'achat (elles étaient au nombre de 750 pour la campagne 1988/89). Par ailleurs, on reproche aux organismes privés de commercialisation (organismes privés stockeurs) d'être en position de monopsone vis-à-vis des exploitants (EIU 1989). Le Gouvernement sénégalais s'est aussi attaché à privatiser la distribution des engrais, essentiellement parce qu'il s'inquiétait de la corruption et des mauvais résultats qui caractérisaient les organismes para-publics de commercialisation. Des mesures prises parallèlement (élimination des subventions et contraction du crédit) et des variations de plus en plus prononcées des conditions météorologiques ont contribué à rendre l'utilisation des engrais moins attrayante. Aussi les entreprises privées n'ont-elles guère montré d'empressement à effectuer les investissements nécessaires à leur participation à la -87 - commercialisation des engrais. Le secteur privé se tenant ainsi sur l'expectative, et les pouvoirs publics étant incapables de jouer le rôle de vendeur de dernier recours par suite de difficultés financières, la distribution des engrais s'est détériorée, ce qui explique en partie la baisse de la consommation d'engrais (Lele, Christiansen et Kadiresan 1988). Quant à la privatisation de la commercialisation des céréales, dans laquelle les négociants du secteur privé se sont vu accorder un rôle plus actif, elle s'est révélée être un succès dans la région productrice d'arachides. Le succès est moins net ailleurs, notamment en Casamance, où le commerce est moins développé. En tout état de cause, la stabilisation des prix des céréales demeurera une question importante au Sénégal. Au Nigéria, les mesures de réforme ont été axées sur la privatisation de la commercialisation des produits agricoles d'exportation, la commercialisation des produits des cultures vivrières étant déjà en grande partie aux mains du secteur privé. (Selon Lele, (1989), les tentatives d'intervention des pouvoirs publics sur les marchés des céréales n'ont pas donné grand-chose, parce que les prix de soutien étaient bien inférieurs aux prix du marché et que le secteur public n'a guère les moyens d'administrer des programmes de soutien des prix.) Les offices de commercialisation des produits agricoles d'exportation ont été supprimés à la fin de 1986, dans le cadre du programme d'ajustement structurel; l'Etat avait auparavant le monopole de la commercialisation de ces produits. La privatisation du commerce des produits agricoles d'exportation et la dévaluation de la monnaie décidée en octobre 1986 ont entraîné une forte hausse des prix de ces I I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 88 - produits 261. Cependant, la privatisation a aussi fait surgir des problèmes de contrôle de qualité, qui font que le cacao nigérian est maintenant vendu au rabais. Selon des acheteurs de cacao établis sur la place de Londres, la mauvaise qualité du cacao proposé par les exportateurs nigérians uniquement soucieux de réaliser des bénéfices à court terme constitue un problème grave pour le Nigéria. La privatisation des achats d'engrais et de la distribution des engrais fait l'objet d'une controverse entre la Banque mondiale et le Gouvernement nigérian depuis plusieurs années. Le problème tient à ce que les prix des engrais sont fortement subventionnés, ce qui a interdit pratiquement au secteur privé de se lancer dans leur commercialisation. Il est maintenant question de privatiser les sociétés qui approvisionnent les ADP (organismes fonctionnant dans les différents Etats de la Fédération), qui jouaient jusqu'à présent le rôle de grossistes. Il est proposé aussi de privatiser le commerce de détail des engrais en encourageant des commerçants du secteur privé et des coopératives agricoles à se lancer dans ce type d'activité. Cependant, les coopératives ne sont guère dynamiques au Nigéria, et le secteur privé n'a pas encore réagi. En résumé, on peut dire que les leçons qui se dégagent des tentatives de privatisation et de libéralisation des pays couverts par l'étude MADIA concordent avec celles que l'on peut tirer de l'expérience d'autres pays en développement : la mesure dans laquelle le secteur privé est à même de participer efficacement à la commercialisation des produits agricoles dépend des conditions dans lesquelles les entreprises 26/ Par exemple, le prix à la production du cacao a augmenté de 180 Z, passant de 1 600 naira par tonne métrique en 1986 à 4 500 naira au lendemain de la dévaluation. A la mi-1988, il avait atteint 6 500 naira par tonne, et il était de 12 000 naira à la fin de 1988. -89- commerciales doivent fonctionner. Or, ces conditions dépendent précisément d'un bon nombre d'éléments dont l'absence a servi, dans le passé, à justifier les interventions des pouvoirs publics. Ces conditions sont : i) l'existence d'entreprises capables d'assumer les risques de la commercialisation; ii) l'existence de marchés où s'exercent la concurrence; iii) l'existence d'une infrastructure adéquate, notamment de réseaux de transport et de communication permettant la circulation efficace des informations et des biens et répondant aux besoins des prestataires de services; iv) l'existence, pour les intrants et pour la production agricole, de marchés dont les mécanismes fonctionnent bien, grâce notamment aux services financiers nécessaires; v) la sécurité alimentaire. Malheureusement, le secteur public, qui n'a pas confiance dans les marchés privés et craint la domination de certains groupes ethniques, est porté à remplacer le secteur privé, au lieu de le compléter. Il en résulte, dans la plupart des cas, un défaut de concurrence entre prestataires de services de commercialisation, qui contribue à l'inefficacité des systèmes de commercialisation. Cette inefficacité, et le changement d'attitude des donateurs à l'égard du secteur public, ont suscité des réformes tendant à encourager une participation plus active du secteur privé à la commercialisation. Cependant, on ne s'est guère attaché à créer des conditions propices au fonctionnement des entreprises privées. Le libre jeu des forces du marché ne garantit pas automatiquement que les prix deviendront compétitifs, que les économies d'échelle qu'autorise la commercialisation de certains produits agricoles seront effectivement réalisées, que la sécurité alimentaire sera assurée, que les intrants seront distribués à temps ou que les produits trouveront des débouchés. I I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 90 - RECAPITULATION, CONCLUSIONS ET SUGGESTIONS Les interventions du secteur public dans la commercialisation des produits agricoles dépendent certes étroitement de la structure de la production et des exigences de son traitement, mais les modalités de ces interventions sont souvent dictées par des considérations politiques. De nombreux pays africains ont hérité de l'époque coloniale un système de commercialisation dont la conception, à bien des égards, servait les intérêts des colons, qu'ils soient agriculteurs ou commerçants. Pendant la période coloniale, les pouvoirs publics sont intervenus sur les marchés agricoles pour mettre de l'ordre dans un système de commercialisation apparemment anarchique, dégager une rente économique pour les sociétés de commerce et les grands domaines appartenant aux Européens, et procurer des recettes au Trésor public. Afin de conserver les avantages inhérents aux systèmes de commercialisation dominés par l'Etat, de nombreux pays africains ont maintenu, après leur accession à l'indépendance, les offices de commercialisation et les entreprises para-publiques que leur avaient légués les puissances coloniales; une nouvelle classe politique a simplement pris la relève, décidant de l'orientation de la politique de commercialisation et établissant son emprise sur les institutions commerciales. Dans ces conditions, les pouvoirs publics en sont venus de plus en plus à considérer leurs interventions sur le marché comme un moyen d'assurer la sécurité alimentaire, de s'acquitter de leurs fonctions de développement, de stimuler la production agricole, de garder la haute main sur des productions politiquement très importantes, et de distribuer des faveurs à leur clientèle politique. Les ingérences des pouvoirs publics dans le fonctionnement des offices de commercialisation et des coopératives ont souvent nui à -91- l'efficacité de ces organismes. Contrairement à ce que beaucoup semblent penser, l'échec des entreprises para-publiques est dû à des causes qui ne leur sont pas intrinsèques et sur lesquelles elles n'ont souvent pas prise (pressions exercées par le gouvernement sur les entreprises para-publiques pour qu'elles créent des emplois en surnombre destinés à sa clientèle politique, ou pour qu'elles s'acquittent sans contrepartie de fonctions de développement, par exemple). Nombre des réformes de la commercialisation des produits agricoles entreprises par les pays africains depuis 1980 mettent l'accent sur la nécessité d'améliorer les résultats des entreprises para-publiques en les restructurant, en leur faisant appliquer des critères de gestion davantage axés sur la rentabilité, et en les privatisant. La réorientation exige dans bien des cas la privatisation d'une partie ou de la totalité des organismes concernés et, pour les organismes qui restent dans le secteur public, la réduction ou l'élimination des pertes. Comme une forte présence du secteur public a contribué de façon déterminante au maintien de l'emprise de l'Etat sur des fonctions de commercialisation jugées essentielles, les gouvernements de la plupart des pays africains hésitent à aller au-delà d'une participation sélective et étroitement réglementée du secteur privé à la commercialisation des produits agricoles. Etant donné l'importance du rôle que jouent les entreprises para-publiques, voire les coopératives, en tant qu'instrument du pouvoir politique et économique de l'Etat, il est peu probable qu'elles renonceront totalement à leur droit d'intervention sur les marchés agricoles. Quoi qu'on puisse penser de leur politisation, il faut admettre que les organismes de commercialisation ont des fonctions économiques importantes à jouer : i) réduire les risques que comporte l'agriculture I - 92 - pratiquée à petite échelle; ii) contribuer à la stabilité des prix en garantissant des débouchés pour la production et l'approvisionnement en intrants; iii) dégager des recettes pour le Trésor public; iv) financer, pour le développement des installations de traitement, de gros investissements que le secteur privé ne veut pas ou ne peut pas effectuer; vi) tenter d'éliminer les obstacles résultant du développement insuffisant des marchés financiers; vii) stimuler la demande d'intrants; viii) veiller à l'approvisionnement en denrées alimentaires et en intrants agricoles des familles à faible revenu des régions les plus reculées, qui risqueraient autrement d'être totalement laissées pour compte. La nécessité d'un pluralisme institutionnel propre à favoriser la concurrence ressort clairement d'un bilan des interventions des secteurs publics dans la commercialisation des produits agricoles dans les pays couverts par l'étude MADIA. L'entrée en scène d'entreprises privées est certes de nature à stimuler la concurrence, et il est évident qu'elles sont à même de s'acquitter de certaines tâches plus efficacement que des entreprises para-publiques; cependant, le secteur privé ne peut fonctionner efficacement que si certaines conditions sont réunies, et c'est aux pouvoirs publics d'y veiller. Pour créer ces conditions, il faut : i) favoriser le développement d'une pépinière de chefs d'entreprise capables de prendre des risques; ii) encourager le libre accès aux marchés; iii) mettre en place une infrastructure adéquate et des réseaux de transports et de communications permettant la circulation efficace des marchandises; iv) favoriser la mise en place de marchés financiers efficaces qui puissent soutenir les marchés des produits de base. -93- Pour ce qui est du rôle des coopératives, l'expérience des pays couverts par l'étude MADIA indique que le succès des coopératives dépend de deux conditions souvent contradictoires. La première est l'indépendance, qui permet aux coopératives de défendre efficacement les intérêts de leurs membres; les pouvoirs publics craignent souvent l'influence politique que peuvent avoir des coopératives indépendantes, et répugnent donc à encourager le mouvement coopératif à la base. La seconde est le soutien de l'Etat, qui permet aux coopératives de s'acquitter efficacement, sur le plan de l'organisation, sur le plan technologique et sur le plan financier, des tâches complexes que comporte la gestion d'une coopérative moderne. Ce besoin de soutien ne signifie pas, bien évidemment, que les coopératives puissent être gérées sous la tutelle des pouvoirs publics et être utilisées comme si elles étaient des entreprises para-publiques; elles ne peuvent en effet accomplir leur vocation qu'avec une participation active et démocratique de la base. En Afrique, la privatisation n'a pas été précédée d'un renforcement du secteur privé ou de la mise en place d'un cadre juridique ou institutionnel (par exemple normalisation des poids et mesures, mise en place d'un système de collecte et de diffusion d'informations sur les marchés, mise en place d'un système de crédit commercial à la disposition des négociants, des transporteurs, des grossistes et des détaillants). Pour favoriser la décentralisation des pouvoirs économiques et politiques, il est indispensable que les donateurs accordent au secteur privé une assistance à long terme, judicieusement conçue, portant sur les transports, les communications, l'information et le crédit. Le facteur temps jouera un rôle déterminant dans la mise en place de systèmes de commercialisation efficaces et I - 94 - c'est de lui que dépendra le rôle du secteur privé, qui ou bien sera véritablement compétitif, ou bien remplacera simplement les oligopoles du secteur public tout en continuant de servir les mêmes intérêts acquis. Jusqu'à présent, les donateurs ont fait preuve d'une certaine naLveté quant à l'ampleur possible et au rythme du processus de privatisation, d'autant que ce dernier se heurte à des intérêts acquis dans des organismes du secteur public qui étaient auparavant soutenus par ces mêmes donateurs. Au vu de ces observations, les donateurs devraient se rendre compte que, s'ils n'ont pas tort de voir dans les entreprises para- publiques des organismes inefficaces et politisés, ils ne sauraient se contenter de patronner des réformes dont les auteurs pêchent par optimisme en comptant que le secteur privé répondra à la majeure partie des besoins de commercialisation du secteur agricole. Il importe d'élaborer des politiques qui, tout en continuant à encourager le secteur privé, tendent à dépolitiser les entreprises para-publiques de manière à concilier une concurrence plus vive avec les exigences du développement. Il faut à cette fin définir le rôle qui doit revenir au secteur public, en précisant quels sont les cas où le soutien des pouvoirs publics et un cadre réglementaire sont nécessaires pour que la concurrence puisse jouer, et les cas où l'Etat doit intervenir pour fournir des services que le secteur privé ne veut ou ne peut pas fournir. En Afrique, la croissance du secteur public et le développement exigent que les pouvoirs publics continuent d'aider les exploitants agricoles à assumer les risques inhérents à l'agriculture pluviale telle qu'elle est pratiquée dans le continent, de faire en sorte que le secteur agricole dispose des capitaux et des intrants techniques dont il a besoin, et de jouer le rôle d'acheteur et vendeur I 95- de dernier recours tout en veillant à protéger les consommateurs, en particulier ceux appartenant aux groupes les plus défavorisés, contre des fluctuations excessives des prix. Toute stratégie d'ensemble visant le secteur agricole devra nécessairement prévoir des interventions limitées sur les marchés. Selon toute probabilité, les progrès seront lents; les donateurs, s'ils veulent contribuer utilement à la mise en place d'institutions et de systèmes de commercialisation adaptés, mettant à contribution le secteur privé aussi bien que le secteur public, doivent tenir compte des différences considérables qui existent entre les pays africains et entre les diverses régions de ces pays. I' I' I l I l I I I I I~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ - 96 - REFERENCES ADMARC. Various dates. "Annual Accounts and Report for the Year Ended 3lst March." Blantyre, Malawi: Ministry of Agriculture, 1972-1987. Adams, D.W. 1978. "Mobilizing Household Savings Through Rural Financial Markets." Economic Development and Cultural Change 26, No. 3