ÉVIDENCE De l’ empirique à la formulation de POLITIQUES En savoir plus sur ce qui fonctionne, pour de meilleurs programmes et politiques août 2016 Rapport An L’éducation entrepreneuriale peut-elle améliorer les opportunités d’emploi des diplômés universitaires ? L’éducation est habituellement considérée comme une voie indépendants, et aidé les étudiants à acquérir des compétences pour améliorer les opportunités économiques des populations, entrepreneuriales à court terme. Cependant, l’impact n’a pas Le marché mais cela n’a pas toujours été le cas dans de nombreux pays en été soutenu quatre ans après l’obtention du diplôme pour la COMPÉTENCES ET ÉDUCATION développement. première cohorte de participants. Les résultats ont montré que Comme le souligne le World l’accès au capital est un défi majeur pour de nombreux entre- Development Report 2013 (rap- preneurs potentiels. Alors que les gouvernements des pays de port annuel de la Banque mondi- la région sont aux prises avec un taux de chômage élevé chez ale sur le développement 2013), les jeunes instruits et qualifiés, les leçons tirées de cette évalu- le décalage entre les compétences ation aideront les décideurs, responsables politiques et experts et aspirations des diplômés uni- en développement à façonner des programmes qui livreront des versitaires et la réalité du marché impacts plus durables. de l’emploi limite non seulement le développement économique d’un pays, mais peut également affecter la cohésion sociale. Au Afin de mettre en œuvre des travaux d’évaluation d’impact, un appui financier a été reçu de la part du fonds fiduciaire de la Banque mon- Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’accès aux études su- diale destiné à promouvoir les petites et moyennes entreprises di- périeures a augmenté rapidement durant les dernières décen- rigées par des femmes (en anglais: “WLSME trust fund”, financé par nies, tout comme le taux de chômage chez les jeunes adultes. l’Agence américaine pour le développement international) et le Fonds Le chômage et le sous-emploi sont considérés comme des d’Évaluation d’Impact Stratégique de la Banque mondiale (SIEF*). éléments déclencheurs du Printemps Arabe, qui a commencé En effet, un premier travail a été mené conjointement par la Banque avec la « Révolution de jasmin » en Tunisie début 2011. Avant Mondiale et l’Observatoire national de l’emploi et des qualifications même le début du Printemps Arabe, de nombreux pays de la (ONEQ) pour évaluer l‘impact du programme à court terme, soit un an région et d’ailleurs avaient reconnu l’importance d’améliorer les après la fin de la formation. Les résultats ont été publiés par Premand, P., opportunités d’emploi pour leurs citoyens. Ces gouvernements Brodmann, S., Almeida, R., Grun, R., & Barouni, M. (2016): Entrepreneur- restent confrontés au défi de déterminer quels programmes ship Training and Entry into Self-Employment among University Gradu- ates, World Development 77, 311-327. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j. fonctionnent et dans quelles situations. worlddev.2015.08.028. La Banque mondiale est déterminée à aider les pays à répondre aux besoins de leur population en termes d’emploi, Un deuxième travail a été également élaboré par la Banque mondiale et ce qui fait partie des Objectifs du Développement Durable des l’ONEQ, mais afin d’évaluer, cette fois-ci, l’impact à long terme. L’équipe Nations Unies. En Tunisie, la Banque mondiale a travaillé avec de la Banque mondiale ayant conduit l’évaluation d’impact à long terme comprenait Jumana Alaref, Stefanie Brodmann et Patrick Premand. le gouvernement pour évaluer un programme d’éducation en- L’équipe de l’ONEQ comprenait Nihel Khchine, Ezzedine Mosbah, Kefi trepreneuriale et d’accompagnement à l’élaboration de plans Rahmani et Walid Troudi sous la supervision de Fakher Zaibi. Quant aux d’affaires destiné aux étudiants universitaires. Les résultats de données quantitatives, elles ont été recueillies par l’institut ISTIS. Mar- l’évaluation montrent que le programme – actuellement dans wen Hkiri et Zied Uelhazi ont supervisé la collecte de données. sa 7e année – a facilité l’insertion des diplômés dans les emplois Contexte Le Gouvernement tunisien reconnaît depuis longtemps le du Nord, le taux de chômage chez les jeunes en Tunisie est décalage entre les attentes des diplômés universitaires, de particulièrement élevé et continue d’augmenter. En effet, les plus en plus nombreux, et les emplois disponibles. Le taux jeunes instruits ont un taux de chômage plus élevé que leurs de chômage national est estimé à environ 15 pour cent mais, homologues moins scolarisés et ils sont également moins comme dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique susceptibles de démarrer leur propre activité. Afin d’accroître les opportunités d’emploi parmi les diplômés, Plusieurs ministères et agences ont contribué à le gouvernement a introduit des changements dans le cursus de li- l’élaboration et à la mise en œuvre de ce programme, à cence appliquée (premier cycle universitaire) à travers une voie spé- savoir : le ministère de l’Emploi et de la Formation profes- cialement dédiée à l’entrepreneuriat. Les étudiants dans leur dernier sionnelle (MEFP), le ministère de l’Enseignement supéri- semestre pouvaient ainsi recevoir une éducation à l’entrepreneuriat eur et de la Recherche scientifique (MESRS), le ministère et un accompagnement personnalisé dans l’élaboration d’un plan de l’Industrie (ancien ministère de l’Industrie et de la d’affaires. Le programme, qui est encore en cours, a débuté lors de Technologie), l’Agence nationale pour l’Emploi et le Tra- l’année scolaire 2009/10, et les étudiants éligibles pour la première vail indépendant (ANETI) et l’Agence de promotion de cohorte, appartenant aux 12 universités publiques du pays, y ont l’Industrie (API). participé au cours de leur second semestre, début février 2010. Évaluation COMPÉTENCES ET ÉDUCATION Les 18 682 étudiants en troisième année, qui est la dernière 2010 à juin 2010, date à laquelle ils ont reçu leur diplôme. année de licence appliquée, étaient admissibles au pro- Environ 67 pour cent des étudiants ont terminé la première gramme durant sa première vague. Neuf pour cent, soit partie, qui incluait des formations à l’entrepreneuriat dé- 1 702 étudiants, s’y sont inscrits. Certains ont postulé en livrées par les agences publiques d’emploi, et 59 pour cent pair, d’où un nombre total de 1 506 projets inscrits. Deux ont complété à la fois les formations à l’entrepreneuriat et tiers des candidats étaient des femmes, reflétant leur taux des séances de coaching. Une première enquête de suivi a d’inscription à l’université. été collectée entre avril et juin 2011, quelques mois après Comme le programme ne pouvait couvrir que la la révolution tunisienne. Les entretiens comprenaient des moitié des candidats environ, l’équipe d’évaluation a af- questions sur l’emploi, les compétences entrepreneuriales et fecté aléatoirement une moitié des étudiants au programme comportementales, ainsi que les aspirations personnelles et d’éducation entrepreneuriale, alors que l’autre moitié a les attitudes des jeunes. Une deuxième enquête de suivi a poursuivi le cursus universitaire classique. La sélection aléa- été collectée entre mars et juin 2014, environ 4 ans après toire a été réalisée au niveau des projets et l’échantillonnage l’obtention du diplôme. Quatre-vingt-cinq pour cent des était stratifié par genre et par filière d’étude. Le groupe ex- individus de l’échantillon original ont été recontactés — et périmental comptait 856 étudiants et le groupe témoin 846. le taux de réponse était similaire dans les groupes de traite- Les étudiants ont suivi la voie entrepreneuriale de février ment et de contrôle. Résultats Les impacts du programme sont restés de courte les genres ont disparu, et les participants hommes n’étaient pas durée. Bien que les étudiants qui étaient affectés à la plus susceptibles que les participantes femmes d’occuper un em- voie entrepreneuriale étaient plus susceptibles d’être ploi indépendant au moment de l’enquête de suivi à long terme. occupés dans des emplois indépendants un an après l’obtention de leur diplôme, aucun impact sur l’emploi Les participantes et participants étaient plus indépendant n’a été observé après quatre ans. susceptibles d’avoir eu une idée de projet et de l’avoir réalisée à un moment donné dans le passé — mais Dans la première enquête de suivi, qui a eu lieu environ un an leur taux de réussite a été le même que ceux qui après l’obtention du diplôme, les étudiants affectés à la voie en- n’avaient pas participé au programme. trepreneuriale étaient environ trois points de pourcentage plus susceptibles d’occuper des emplois indépendants que ceux du La voie entrepreneuriale a conduit à plus d’idées de projet et plus groupe témoin. Trois ans plus tard, cette différence s’était estom- de tentatives de réaliser ces projets. En 2014, 67 pour cent des pée, et aucun impact durable sur l’emploi indépendant n’a été participants ont déclaré avoir eu une idée de projet auparavant, observé. À court terme, il y avait des différences entre les genres comparé à 58 pour cent dans le groupe témoin. Dans l’ensemble, dans l’impact du programme: les participants hommes étaient 28 pour cent des participants ont essayé de réaliser ces idées à un plus susceptibles d’être en emploi indépendant après l’obtention moment dans le passé, comparé à 19 pour cent dans le groupe du diplôme. Cependant, au cours du temps les différences entre témoin. Bien qu’ils étaient plus entreprenants, leurs idées de projet ne se sont pas concrétisées à un taux plus élevé que dans le groupe Les réseaux d’affaires des participants n’étaient témoin. Même si le programme a entrainé une augmentation des pas plus vastes au bout de quatre ans, même s’ils idées de projet, les tentatives de mise en œuvre des projets n’ont pas étaient un peu mieux informés de la façon de de- davantage abouti. mander un crédit à une banque. Le contenu du programme était conforme aux Après un an, les participants au programme étaient plus sus- bonnes pratiques en éducation entrepreneuriale et ceptibles de connaître un entrepreneur ou un banquier, mais cherchait à donner aux étudiants ce dont ils avaient après quatre ans, ce réseau semblait s’être réduit aussi, ne lais- besoin pour développer des plans d’affaires réussis. sant plus de réelle différence entre les deux groupes. Ceux de Toutefois, il n’a pas entrainé la concrétisation durable la voie entrepreneuriale comprenaient un peu mieux com- des plans d’affaires. ment demander un crédit. Malgré tout, les participants au programme sont tout aussi sceptiques que le groupe témoin Le programme avait deux parties. La première consistait en quant à leur capacité à obtenir un crédit. une formation à l’entrepreneuriat organisée par les agences publiques d’emploi, qui visait à offrir aux étudiants les com- pétences en affaires, en comportement et en réseautage pour bien démarrer un projet. Les étudiants ont été formés dans le développement d’idées de projets, la rédaction d’un plan d’affaires et la gestion de projet. Ensuite, ils ont présenté leur plan d’affaires à des banquiers et des experts pour obtenir des commentaires et conseils. Les étudiants ont reçu une forma- tion et disposaient de temps pour faire des recherches sur la mise en œuvre, l’estimation des coûts financiers et la con- struction de réseaux. Dans la deuxième phase, les étudiants ont été affectés à un coach du secteur privé et ont été super- visés par un professeur de l’université pour finaliser leur plan d’affaires. Les étudiants avaient l’opportunité de participer à huit séances de coaching. Après l’obtention de leur diplôme, les étudiants pouvaient entrer leur plan d’affaires dans une compétition pour obtenir un financement de démarrage, qu’un petit nombre de diplômés ont obtenu. Quatre ans plus tard, cependant, les diplômés de la voie entrepreneuriale n’étaient pas plus susceptibles que les autres anciens étudiants d’avoir un projet actif. ••• Le programme a stimulé les connaissances 62 pour cent des personnes interrogées entrepreneuriales des étudiants à court terme, avec ont déclaré que le plus grand obstacle à quelques gains plus modestes persistants à long la réalisation de leur rêve de projet était l’incapacité de le financer. terme. Un des objectifs immédiats du programme était d’offrir aux ••• étudiants le savoir-faire technique et commercial dont ils au- raient besoin pour devenir des entrepreneurs et développer les Les participants au programme ont fait face à compétences comportementales nécessaires. Après un an, 77 des obstacles pour obtenir du crédit et accéder à pour cent des participants ont déclaré savoir comment rédiger des fonds de démarrage, ce qui a probablement un plan d’affaires, comparé à 45 pour cent dans le groupe té- contribué à leur inhabilité à mettre en place ou à moin. Ce chiffre a diminué à 60 pour cent dans le groupe de maintenir leurs projets. traitement après quatre ans. Cependant, et bien que quelques connaissances soient restées, il n’y avait aucun impact sur Les participants étaient plus susceptibles de préparer un l’esprit entrepreneurial des participants : la plupart des étudi- plan d’affaires avant d’essayer de mettre en place leur projet, ants qui avaient eu une idée de projet l’avaient abandonnée et et comme mentionné précédemment, ont maintenu une les participants n’avaient pas plus d’idées de projet comparé à partie de leurs connaissances en entrepreneuriat jusqu’à ceux du groupe témoin. Le programme a eu des effets mitigés quatre ans après l’obtention de leur diplôme. Cependant, sur les dimensions entrepreneuriales et de personnalité à court les résultats globaux de l’étude offrent de fortes indications terme, sans effets durables à long terme. que les compétences ne constituent pas l’obstacle principal auquel font face ces jeunes entrepreneurs potentiels. En effet, Bien que les participants aient déclaré être plus au cours de l’enquête de suivi, de nombreux participants optimistes par rapport au futur un an après la fin du ont rapporté des difficultés d’accès au financement, et 62 programme, cet optimisme s’est aussi estompé dans pour cent des personnes interrogées ont mentionné que le long terme. le plus grand obstacle dans la réalisation de leur rêve de projet était l’incapacité de l’autofinancer. D’autres défis À court terme, les diplômés de la voie entrepreneuriale étaient rapportés incluent l’accès limité au financement externe et plus optimistes sur leurs perspectives d’emploi et plus suscep- des procédures bureaucratiques compliquées. Les femmes tibles de sentir qu’ils avançaient dans la vie, comparé à ceux ont déclaré devoir affronter des obstacles additionnels, dans le groupe témoin. Mais après quatre ans, les différences comme la pression sociale et les difficultés de concilier la entre le groupe témoin et le groupe de traitement avaient en vie professionnelle et personnelle. grande partie disparu. COMPÉTENCES ET ÉDUCATION Conclusion L’évaluation de l’impact à long terme du programme fournit coaching ou à des services d’incubation pourraient aussi con- des informations importantes sur le défi d’offrir une éduca- tribuer à ce que les gains à court terme soient soutenus dans tion entrepreneuriale efficace. Comme le montrent les résul- le long terme. En effet, l’accès au capital — et non seulement tats, un accès limité au capital reste un défi majeur pour de les compétences — est souvent l’obstacle principal pour les nombreux entrepreneurs potentiels. Les décideurs et respon- jeunes entrepreneurs potentiels lorsqu’il s’agit de créer un fu- sables politiques peuvent y répondre directement en allégeant tur meilleur pour eux et leurs proches. Alors que les décideurs les processus d’obtention de crédits bancaires, en octroyant des et responsables politiques continuent à chercher des approches financements aux jeunes diplômés ou en cherchant de nou- innovantes pour répondre à la demande d’emplois, les résultats velles approches pour éliminer les obstacles pour les jeunes de l’évaluation soulignent le besoin de continuer à chercher des qui cherchent à obtenir du crédit. Un appui supplémentaire programmes efficaces qui répondent aux besoins globaux des après l’obtention du diplôme, comme par exemple l’accès au jeunes qui aspirent à l’entrepreneuriat. (*) Le fonds stratégique d’évaluation d’impact (SIEF) de la Banque mondiale soutient et diffuse la recherche évaluant l’impact des projets de développement dans la lutte contre la pauvreté. L’objectif est de recueillir et de bâtir l’évidence empirique qui peut aider les gouvernements et les organisations de développement dans la conception et la mise en œuvre des politiques les plus appropriées et efficaces pour améliorer l’éducation, la santé et les opportunités d’emploi dans les pays en développement. Pour plus d’informations, voir : http://www.worldbank.org/sief La série de notes « De l’expérience à la Politique » est produite par le Fonds d’Évaluation d’Impact Stratégique de la Banque mondiale, avec l’appui généreux de DFID, le Département du développement international du gouvernement britannique. LA BANQUE MONDIALE, RÉSEAU POUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN 1818 H STREET, NW WASHINGTON, DC 20433 Produit par le Bureau de Économiste en Chef, Réseau pour le Développement Humain, Communications/Aliza Marcus amarcus@worldbank.org Pour plus d’informations sur cette étude, contacter Patrick Premand : ppremand@worldbank.org Rapport Annuel sur :