69518 v2 DOCUMENT DE LA BANQUE MONDIALE UNIQUEMENT POUR USAGE OFFICIEL ROYAUME DU MAROC ETUDE « MARCHÉS FONCIERS POUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE AU MAROC » VOLUME II – LA SÉCURISATION FONCIÈRE AU MAROC Vers une sécurisation renforcée, unifiée et universelle du foncier au Maroc : réhabilitation de la Moulkiya et innovations dans l’immatriculation en milieu rural. Octobre 2007 Secteur Financier et Secteur Privé Groupe Développement Economique et Social Région Moyen-Orient et Afrique du Nord EQUIVALENTS MONETAIRES (Au 30 juillet 2007) Unité monétaire : Dirham marocain (DH) Taux de change : 1 $EU = 8.1262 DH POIDS ET MESURES Le système métrique est utilisé dans ce rapport EXERCICE BUDGETAIRE 1er juillet – 30 juin ABRÉVIATIONS ANCFCC Agence Nationale de la Conservation Foncière, du Cadastre et de la Cartographie CF Conservation Foncière DAF Direction des Affaires Foncières DAR Direction des Affaires Rurales Département du Cadastre National DRS Défense et Restauration des Sols GFI Groupements Fonciers d’Indivisaires IGR Impôt Général sur le Revenu NI Non Immatriculés PMVB Périmètre de Mise en Valeur du bour RGA Direction Générale du Génie Rural Recensement Général Agricole SAU Superficie agricole utile SOGETA Sociétés d’Etat TE Taxe d’Edilité TPI Tribunaux de Première Instance Vice-présidente : Daniela Gressani Directeur du département et économiste en : Mustapha K. Nabli chef Directrice p.i. du département Maghreb : Cécile Fruman Responsable sectorielle : Zoubida Allaoua Chargé de Projet : Najy Benhassine i ROYAUME DU MAROC ETUDE « MARCHÉS FONCIERS POUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE AU MAROC » VOLUME II – LA SÉCURISATION FONCIÈRE AU MAROC Vers une sécurisation renforcée, unifiée et universelle du foncier au Maroc : réhabilitation de la Moulkiya et innovations dans l’immatriculation en milieu rural. TABLE DE MATIÈRES AVANT-PROPOS iv CHAPITRE I FORCES ET FAIBLESSES DU SYSTÈME TRADITIONNEL DE LA MOULKIYA. 1 I.1 Sa force: une institution de grande proximité ...............................................................................1 I.2 Faiblesses de la Moulkiya .............................................................................................................1 I.3 Renforcement et amélioration du Régime de la Moulkiya............................................................5 CHAPITRE II L’IMMATRICULATION DES TITRES FONCIERS. 11 II.1 Etat des Lieux de l’Immatriculation............................................................................................12 II.2 Progrès de l’immatriculation foncière.........................................................................................14 II.3 Evolution de la demande de titres et de la capacité de l’agence à y répondre ............................17 II.4 Les causes des blocages ..............................................................................................................23 II.5 Aspects juridiques de l’immatriculation - oppositions et contentieux judiciaire ........................25 II.6 Aspects financiers de l’immatriculation ....................................................................................28 II.7 Améliorations et réformes de l’immatriculation .........................................................................31 CHAPITRE III SPÉCIFICITÉS DE L’IMMATRICULATION EN MILIEU RURAL 34 CHAPITRE IV LES OPÉRATIONS D’IMMATRICULATION D’ENSEMBLE ...........................................40 CHAPITRE V VERS UNE STRATÉGIE GLOBALE DE SÉCURISATION FONCIÈRE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE 44 Encadrés Encadré 1.1: Incertitude du droit applicable sur les propriétés melk...........................................................2 Encadré 2.1: Le projet de Code des Droits Réels (extrait de l’exposé des motifs). ....................................6 Figures Figure 1 : Milieu urbain : évolution des immatriculations par rapport aux réquisitions .............................19 Figure 2 : Milieu rural : évolution des immatriculations par rapport aux réquisitions................................19 Figure 3 : Evolution des réquisitions et des instances d’immatriculation (1997-2006) ..............................22 Figure 4 : Evolution du traitement des réquisitions depuis 10 ans..............................................................24 ii Tableaux Tableau 1 : Titres fonciers d’immatriculation établis depuis 1915 à 1996, et de 1997 à 2006 13 Tableau 2 : Part relative des titres fonciers urbains et ruraux 13 Tableau 3 : Taille des parcelles en zones urbaines et rurales 14 Tableau 4 : Etat de l’immatriculation du melk et des autres statuts fonciers 14 Tableau 5 : Etat de la sécurisation de la propriété foncière urbaine et rurale au Maroc 15 Tableau 6 : Titres fonciers cumulatifs, période 2004-2006 16 Tableau 7 : Nombre de titres fonciers issus des morcellements et des nouvelles immatriculations (cumulatif au 31 déc. 2006) 17 Tableau 8 : Nombre de titres issus annuellement : morcellement et nouvelles immatriculations (2001-2006) 17 Tableau 9 : Evolution des réquisitions déposées (nombre et indice de croissance) 18 Tableau 10 : Evolution des titres fonciers d'immatriculation établis 18 Tableau 11 : Rendement de l'immatriculation depuis 1915, détails 1997-2006 (nombre de titres/nombre de réquisitions) 20 Tableau 12 : Rendement des opérations d'immatriculation sur deux ans (1997-2006) 21 Tableau 13 : Répartition des dossiers dans les phases d’instance 24 Tableau 14 : Evolution des réquisitions traitées, période 2004-2006 27 Tableau 15 : Coût moyen estimé de l’immatriculation facultative d’une parcelle (urbain et rural confondu) 28 Tableau 16 : Coûts/subventions de l’immatriculation volontaire 29 Tableau 17 : Evolution des recettes réalisées par l’ANCFCC (2004-2006) 30 Tableau 18 : Evolution des droits d’enregistrement 2004-2006 30 Tableau 19 : Droits d’enregistrement ( 2006) 31 Tableau 20 : Etat d’avancement de l'apurement des terres collectives 34 Tableau 21 : Progrès de l’immatriculation depuis 1915 : réquisitions, titres d’immatriculation, titres de morcellements 35 Tableau 22 : Progrès de l’immatriculation (1915-2006) 36 Tableau 23 : Estimation de la demande d’immatriculation ordinaire 37 Tableau 24 : Coût de l’immatriculation en pourcentage de la valeur du terrain 38 Tableau 25 : Coût par parcelle de l’immatriculation d’ensemble 41 Tableau 26 : Rendement comparé de l’immatriculation d’ensemble et de l’immatriculation ordinaire (après deux années) 43 Tableau 27 : Synthèse des principales réformes juridiques engagées par l’Etat marocain sur l’immatriculation et la moulkiya 45 Annexe Tableau A- 1 : Réquisitions déposées depuis 1915, détails 1997-2006 (Nombre de dossiers d’immatriculation) 49 Tableau A- 2 : Titres fonciers obtenus depuis 1915, détails 1997-2006 (Nombre de titres) 50 Tableau A- 3 : Evolution du traitement des réquisitions depuis 10 ans 51 Tableau A- 4 : Ventilation des réquisitions traitées : transmises au tribunal, annulées, titrées ou en instance 52 Tableau A- 5 : Les affaires jugées, civiles et immobilières, entre 1997 et 2002 53 iii LEXIQUE Adoul Notaires de droit musulman Dahir Décret Royal Guich Terres collectives concédées à des tribus pour services rendus au Souverain Habous Biens offerts par un individu au profit d’une œuvre pieuse ou charitable Intifaã Droit de jouissance Manfaa Usufruit Melk Statut foncier donnant à son détenteur un droit de pleine propriété Moulkiya Acte adoulaire affirmant le fait de la possession régulière sur la base de témoignages Raqaba Propriété éminente iv AVANT-PROPOS Le Volume I de cette étude a passé en revue les différents régimes fonciers existants et les divers intervenants dans l’organisation et la gestion du foncier. Il a analysé la dualité du régime de sécurisation foncière, avec d’une part le régime traditionel issu du droit musulman et le régime de l’immatricualtion « moderne » et les problèmes que cette dualité pose. Ce volume a présenté également la question de l’indivision, fortement prévalente au Maroc, notemment en zones rurales. Enfin, un dernier chapitre était consacré aux spécificités du foncier en zone rurale, où les problèmes structurels du marché foncier marocain sont encore plus pervasifs et visibles qu’en zone urbaine . Le Volume II offre une analyse plus détaillée de la question de la sécurisation foncière au Maroc. Il rappelle les fondements du régime traditionnel issu du droit musulman, en analyse les forces et les faiblesses et les raisons pour lesquelles il convient de l’améliorer plutôt que de l’écarter. Les réformes envisagées pour l‘améliorer sont présentées. Une grande partie du Volume II est ensuite consacrée à une analyse de la situation de l’immatriculation, les progrès réalisés et les contraintes recontrées notamment en milieu rural. Les performances de l’Agence Nationale de la Conservation Foncière et du Cadastre (ANFCC) depuis sa création jusqu’à nos jours sont examinées, ainsi que les coûts de l’immatriculation. Les réformes en cours de la procédure d’immatriculation sont présentées. Enfin, les spécificités du monde rural en ce qui concerne l’immatriculation « moderne » sont analysées dans le détail. Le Volume II conclut sur un certain nombre de propositions qui s’appuient sur les réformes en cours. Les actions proposées visent, d’une part, à améliorer la performance de l’immatriculation, notamment en milieu rural où une nouvelle approche d’immatriculation groupée est proposée. D’autre part, il est recommandé d’accélérer les mesures en vue de l’amélioration du système traditionnel, de manière à renforcer la sécurisation des terres non immatriculées et d’établir des passerelles entre les deux systèmes. Pluiseurs analyses et recommendations présentées ici, sont appuyées par les résultats de l’enquête que résume le Volume III de cette étude. Ce deuxième volume a été rédigé par une équipe composée de Najy Benhassine, Marie-Hélène Collion et Isabelle Girardot-Berg (consultante, auteur d’une première version du rapport). Y a contribué M. Nédjib Bouderbala (consultant). Nous remercions Mme Zoubida Allaoua, responsable sectorielle à la Banque Mondiale, pour les nombreuses suggestions qu’elle a apporté à une première version de ce rapport. -1- CHAPITRE I FORCES ET FAIBLESSES DU SYSTÈME TRADITIONNEL DE LA MOULKIYA. I.1 Sa force: une institution de grande proximité 1. Le système de sécurisation du melk n’est pas fondé sur des mesures matérielles mais repose entièrement sur la valeur des témoignages. Il a pu, sous cette forme, être utile pendant des siècles dans une société aux caractères bien identifiés : o Les transactions foncières y étaient peu nombreuses, se passaient dans un milieu restreint (en général dans les limites d’un territoire villageois) entre partenaires se connaissant et informés sur la localisation et la valeur des biens fonciers à vendre. o Les témoignages y étaient sous le contrôle de l’interconnaissance villageoise et de personnes connues et respectées pour leur probité, Cadis et Adoul. 2. Ce système de preuve testimonial continue de bénéficier d’un atout majeur : les communautés qui vivent dans sa familiarité depuis des temps immémoriaux le connaissent bien et continuent à lui faire confiance parce qu’elles ont le sentiment de pouvoir en maîtriser le fonctionnement. I.2 Faiblesses de la Moulkiya a. L’incertitude du droit applicable : 3. Jusqu’à la fin du Protectorat, le statut personnel (famille, succession) et le droit des biens n’ont eu, comme source, que le droit musulman de rite malékite, non codifié. Ce qui constitue une référence à un domaine législatif potentiel immense affecté par d’importantes variations doctrinales. Au moment de l’indépendance le législateur a voulu sortir de cette incertitude des sources. Il a certes maintenu comme inspiration générale de son droit privé le droit musulman malékite mais il a entrepris de le codifier. C’est ainsi qu’ont été adoptés et publiés au Bulletin Officiel du Royaume, les deux premiers livres du Code du Statut personnel, promulgués le 22 novembre 1957 et le 3 avril 1958 sous le titre de Moudawana. Un troisième livre portant sur les biens (en particulier sur le melk non immatriculé) devait être à son tour adopté et promulgué. Il ne l’a jamais été. Il en résulte que le droit immobilier concernant le melk non immatriculé continue à relever du droit musulman malékite non codifié. « C’est dire, comme l’écrit le professeur Jallal Essaid, que nos tribunaux sont toujours mis dans l’obligation de puiser directement dans les opinions doctrinales, parfois controversées du rite malékite ». L’incertitude du droit applicable, comme l’indique Rachid Filali-Meknassi, n’a donc pas été résolue. 2 Encadré 1.1: Incertitude du droit applicable sur les propriétés melk. L’application du droit musulman ou melk (non immatriculé) ne se conçoit que dans le cas des règles qu’il connaît. S’agissant essentiellement de règles de l’école malékite de droit, la doctrine demeure éparpillée et sans regroupement thématique. Elle ne traite pas le détail des questions, ce qui oblige à recourir en permanence aux pratiques. Des droits aussi fondamentaux que la propriété sont abordés par la doctrine à travers des problèmes annexes de preuve de la possession et la procédure de revendication. D’ailleurs, on continue de nos jours de discuter la distinction entre la propriété et la possession dans le Fikh. Ces considérations interdisent, bien entendu, toute tentative de donner un aperçu rapide sur le contenu de ce droit. Source : Rachid Filali-Meknassi. Le melk et le droit applicable aux immeubles non immatriculés. In Code Agraire Marocain 1991. (Dir Négib Bouderbala et Rachid Filali-Meknassi) b. L’imprécision de l’identification matérielle des biens fonciers 4. La localisation des parcelles, la détermination de leurs limites et la mesure de leur superficie résultent de simples descriptions des témoins recueillies par les adoul, le plus souvent sans déplacement et mesures sur le terrain. Par exemple la localisation est indiquée de façon approximative (en bordure de la route de Souk el Had), les limites ne sont guère précises.1 c. la preuve par témoignage en crise 5. Dans les dispositions du droit musulman de rite malékite, non codifié, la sécurisation foncière repose presque exclusivement sur la preuve par témoignage. Ce système de preuve, qui repose sur un certain nombre de conditions bien précises, a longtemps été validé par la pratique sociale, mais est entré, de nos jours, dans une crise grave. Lorsque les ventes, locations ou autres opérations immobilières se passent entre voisins et habitants du même village ces témoignages, contrôlés étroitement par la proximité et l’interconnaissance, apportent des garanties suffisantes d’exactitude. Ce n’est plus aujourd’hui le cas car les transactions se produisent sur un marché plus large et ont besoin de garanties stables dépassant le cadre local. 6. Le rôle du cadi et des adoul. La valeur de la preuve a de tous temps reposé sur le Cadi et son prétoire (Mahkama). Le cadi est un homme pieux et savant. Il est juge unique mais dans le fonctionnement de sa justice entrent deux éléments, son conseil (Shura) et ses témoins privilégiés, les adoul. Dans la shura peuvent figurer des muftis, éminents porteurs du savoir religieux, qui délivrent des réponses doctrinales (Fetwa, fatawi) qui sont consultatives et ne s’imposent pas au Cadi. Ces réponses savantes sont parfois réunies en recueils par des docteurs renommés (Le Mi’yar de Wancharisi par exemple) qui servent de référence aux décisions politiques et judiciaires. Dans un système normatif ne comportant pas de pouvoir législatif organisé, ces compilations revêtaient une grande importance. 7. Les adoul, témoins du Cadi, doivent être des hommes justes ayant une instruction religieuse, présentant les qualités de probité et de moralité réunies dans le terme ‘adala 1 Introduction à l’étude du droit ; L’immatriculation foncière en 300 questions –réponses (prendre la référence dans la boîte). 3 (honorabilité). Ils dressent les actes adoulaires en particuliers la moulkiya. Mais leur rôle va bien au-delà. Ils tiennent le greffe de la mahkama et ont des attributions extrajudiciaires : notariat, gestion des biens des mineurs et absents, comptabilité des habous.2 8. Dans ce système on voit bien que la valeur du contenu d’un acte, une moulkiya par exemple, dépend de la sincérité des déclarations des propriétaires présumés, de la rigueur et de la probité de l’adel qui la reçoit et la rédige et de l’efficacité du contrôle exercé par le cadi sur l’acte de Moulkiya avant de le valider. Ce système a pu être fonctionnel dans un contexte de marché foncier très peu actif et très local, et dans une ambiance très marquée par la morale religieuse et le contrôle des croyants sur les rapports sociaux. d. Le problème du témoignage 9. Pour les observateurs critiques3 du système d’enregistrement de la moulkiya il n’y a guère de limites à l’imagination des falsificateurs et les fraudes commises sont innombrables :Les adoul jouent un rôle passif d’enregistrement des déclarations des témoins et ne procèdent pas à des enquêtes pour vérifier les déclarations. Les témoins sont souvent soudoyés. La profession de faux témoins prospère dans la proximité des mahkamas. Des actes faux sont fabriqués en grand nombre. Par exemple : o le même terrain peut être revendu jusqu’à six fois par le même escroc qui n’en est même pas propriétaire sur la foi d’une fausse moulkiya. o Un indivisaire peut vendre frauduleusement la totalité de la propriété indivise sans passer par les formes prescrites par le droit musulman (la procédure de la safqa) en spoliant tous les autres co-indivisaires. o L’établissement du titre peut être rédigé sur des feuillets ajoutés bout à bout, en laissant la possibilité d’adjonctions frauduleuses postérieures à l’établissement du titre. La moulkiya est d’autant moins contrôlable qu’elle n’est pas reproduite dans un registre public. 10. Ces dysfonctionnements graves ont été très largement reconnus et il n’est guère contestable qu’ils ont mis à mal la crédibilité de la moulkiya. Au moment où se pose à nouveau la question d’une réforme de cette forme d’enregistrement de la propriété, il est utile de s’interroger sur les raisons de sa détérioration et sur sa capacité réelle à être réhabilitée. e. La confrontation avec le nouvel ordre légal introduit par la colonisation 11. C’est la confrontation avec le nouveau système légal et les nouveaux rapports économiques introduits par la colonisation qui disqualifient l’ancien système et le rendent largement inopérant. L’Etat indépendant, au nom de la modernisation, a maintenu et accentué cette tendance. 2 Louis Milliot. Introduction à l’étude du droit musulman. Paris 1970. 3 Louis Milliot Op. cit. ; Jallal Essaid (op.cit) ; Direction de la Conservation Foncière et du Cadastre (Op cit.). 4 12. Après 1912 les cadis et adoul voient leur domaine d’intervention se rétrécir et le droit musulman, qu’ils avaient la charge d’appliquer et de défendre, devenir un droit d’exception. Le Maroc indépendant qui procède par la loi de 1965 à l’unification du droit et des institutions judiciaires, maintient l’application du droit musulman mais dans le seul domaine de la famille et de la propriété immobilière non immatriculée. Dans tous les autres domaines, c’est le droit moderne introduit par le protectorat qui sera rendu applicable devant les tribunaux unifiés de droit commun. 13. Pour les institutions judiciaires l’évolution est la même4. Le tribunal du cadi qui était le tribunal de droit commun avant 1912 devient, dans l’organisation judiciaire du protectorat, l’une des quatre sections de la justice chérifienne distincte de la justice française qui occupe le devant de la scène judiciaire et accapare le domaine législatif moderne et en particulier le contentieux de la propriété immatriculée. 14. Après l’indépendance, dans la grande loi du 26 janvier 1965 unifiant les tribunaux, le tribunal du cadi est absorbé par le tribunal du Sadad, tout en bas de la hiérarchie judiciaire. Et c’est le dahir du 15 juillet 1974 qui institue la situation toujours en vigueur : le cadi taoudik, contrôleur des adoul, est une composante du Tribunal de Première Instance. Les recours sur les décisions en matière immobilière non immatriculée sont portés, en appel, devant la Cour d’Appel (Section du statut personnel familial et successoral) et en cassation devant la Cour Suprême (Chambre du statut personnel et successoral). 15. Or, l’évolution au cours du siècle qui vient de s’écouler a consisté en une érosion permanente du rôle social et judiciaire des cadi et adoul, et à un abaissement constant de leur statut. Ils étaient, avant 1912, les garants d’un droit noble, légitimé par la religion et par l’histoire, bénéficiant d’un rang social élevé et de la considération de la société. Ils ont désormais des raisons de se sentir réduits à un rôle moindre. La compétence judiciaire moderne est maintenant incarnée par les magistrats des tribunaux modernes. On peut comprendre que cette réduction de leur statut social ne les encourage pas toujours à se battre pour le respect du droit. 16. En conclusion, la sécurité apportée par la moulkiya repose sur le contrôle par les groupes locaux. Avec l’élargissement du marché du foncier au-delà des structures villageoises traditionnelles, ce contrôle est mis à mal, d’où une sécurité moindre que par le passé des terres melk non immatriculées. Le melk non immatriculé est de plus fragilisé par les contestations portant sur les limites, sur la nature ou sur l’étendue des droits et charges qui les affectent. Le manque de référence géographique, le recours aux témoins, parfois de complaisance, la falsification des actes de propriété en sont les causes principales. Le régime de la moulkiya, n’offrant pas de garantie absolue des droits de propriété est inadapté à la grande majorité de l’immobilier urbain, commercial et industriel, ainsi qu’à certains type d’agriculture. 4 Omar Azziman. Les institutions judiciaires. La grande encyclopédie du Maroc. Volume Institutions. Rabat 1986. 5 I.3 Renforcement et amélioration du Régime de la Moulkiya a. Pourquoi envisager une amélioration du régime de la moulkiya ? 17. Jusqu’à une époque récente, pensant que le système traditionnel de la moulkiya était amené à disparaître, le Gouvernement a négligé de le moderniser. Cependant, la moulkiya présente un aventage considérable : comme souligné plus haut, les communautés lui font confiance ; elles en comprennent le fonctionnement. Ce n’est pas toujours le cas pour la procédure d’immatriculation dite « moderne » qui garde, pour beaucoup, une certaine opacité. Sa complexité et la bureaucratie qui l’entoure rebutent, d’autant que, en zone rurale en particulier, plus de 70% des propriétaire sont encore illétrés. De plus, comme on le verra plus loin, l’introduction de l’immatriculation est loin d’avoir tout réglé. Du fait du rythme insuffisant des immatriculations, et compte tenu des difficultés de l’immatriculation en milieu rural,, il n’est pas envisageable à moyen terme d’étendre l’immatriculation aux zones à faible potentiel agroécologique. Le système de la moulkiya restera le seul à répondre pendant une longue période de transition aux besoins de sécurisation de la propriété foncière rurale. Il semble donc préférable, au moins pendant une période de transition, de procéder à sa réforme plutôt qu’à sa mise à l’écart radicale. Enfin parce que le système moderne continuera à dépendre des documents de propriété traditionnels pour la première immatriculation, il est important de rendre la moulkiya plus fiable comme document attestant la propriété. Conscients des faiblesses du régime traditionnel, les Ministères de la Justice et de l’Intérieur ont introduit ou sont entrain d’introduire plusieurs améliorations que l’on examine ci-après. b. Le Projet de loi sur les droits réels immobiliers 18. Depuis 2000, le gouvernement s’est donc engagé dans une série de réformes visant à améliorer le système traditionnel. Le Ministère de la Justice a chargé une commission, qui a travaillé en coordination étroite avec l’Agence Nationale de la Conservation Foncière. Ce travail a pour but de mettre en place une législation visant à unifier et codifier les règles du droit musulman, exclure les actes sous seing privé, et incorporer les deux immatriculations (sous droit musulman et sous droit moderne) dans un seul code. Ainsi un Projet de Loi sur les Droits Réels Immobiliers a été formulé, présentement au niveau du Secrétariat Général du Gouvernement. Ce Projet reprend les points clés du Dahir de 1915 sur les immeubles immatriculés, et y ajoute un deuxième livre qui unifie la jurisprudence du non immatriculé. 19. La préparation de ce code répond à une préoccupation déjà ancienne : élaborer le troisième livre prévu pour compléter les deux premiers (Droit de la famille et droit des successions) de la Moudawana (Code du statut personnel 1957-1958). Ce troisième livre devait porter sur le droit immobilier et s’inspirer, comme les deux premiers, du droit musulman malékite non codifié. Le projet de code des droits réels, qui est à un niveau d’élaboration avancé, a été conçu pour combler ce vide, comme l’indique le début de son exposé des motifs 6 Encadré 2.1: Le projet de Code des Droits Réels (extrait de l’exposé des motifs). Le projet a pour objectif de combler une lacune du système juridique marocain, l’absence d’un texte de lois sur les droits réels relatifs aux biens fonciers non immatriculés. Le Royaume de Maroc a publié tout au long du XXème siècle, des lois diverses mais n’a pas produit un texte unique concernant la propriété foncière immatriculée et non immatriculée. La législation adoptée concernait surtout l’immatriculation de la propriété foncière et une loi sur les droits réels en 1915. Lorsqu’ils avaient affaire à la propriété non immatriculée les tribunaux avaient recours au droit musulman et à la jurisprudence. La multiplicité des références et l’absence d’un référentiel unique entravait l’action de la justice. Il s’est avéré que le texte de 1915 n’avait pas étudié les droits réels musulmans mais les avait seulement cités laissant à la tradition le soin d’en préciser le contenu. C’est pourquoi on a pensé à rassembler les textes du fiqh et de la jurisprudence connus dans le domaine foncier non immatriculé pour en faire un code. Il est nécessaire d’unifier les concepts pour que la dualité ne s’aggrave pas dans un domaine où tout recommande l’unification et la simplification. C’est dans cet esprit que ce code a été élaboré pour que les droits réels fassent l’objet d’un seul texte de loi portant sur l’immatriculé et le non immatriculé. c. Les apports de ce projet de code 20. Le premier apport, et qui n’est pas le moindre, est formel. Ce projet permet de réduire l’incertitude quand au droit applicable. C’est une avancée incontestable dans le sens souhaité avec constance par le Gouvernement, d’une unification progressive du droit applicable. Ainsi disparaît de façon définitive toute référence hasardeuse au droit musulman immobilier non codifié. Il aborde en particulier la question centrale de l’authentification des actes, point sur lequel les réponses divergent le plus. 21. Le projet de code maintient les deux procédures, celle qui conduit au titre foncier immatriculé et celle qui conduit à la moulkiya. Mais il procède à la modernisation de cette dernière en intégrant la transformation du statut et du rôle des adoul introduite par les deux dahirs de 1982 et 2006 (Voir ci-dessous). Un point apparaît comme particulièrement important. La possession reste, à certaines conditions du droit musulman (durée reconnue à titre de propriétaire) la base de la propriété. Mais cette propriété ne peut être opposable aux tiers qu’à partir de la date de dépôt de la réquisition d’immatriculation concernant cet immeuble. (Art 3). Cette disposition entraîne pour conséquence que la sécurisation, même lorsqu’il s’agit de celle de la moulkiya, est désormais liée au processus de l’immatriculation. En effet, le dépôt, fortement recommandé sinon quasi obligatoire, a pour objet d’orienter les candidats à la sécurisation de leurs biens vers le système d’immatriculation par les titres fonciers. En ce sens, la réforme introduit une passerelle entre la moulkiya et l’immatriculation. Cette transition existait déjà dans le cadre de la « moulkiya spéciale »5. 5 La moulkiya spéciale est une moulkiya envoyée directement par le magistrat (Cadi taoudik) à la Conservation en vue de l’immatriculation. Dans ce cas, elle bénéficie de droits d’enregistrement réduits, fixés à 25 drh/ha pour une parcelle de 0 à 5 ha ; et à 50drh/ha au-delà 7 22. Il en résulte qu’existeraient, après l’adoption du code, deux types de sécurisation de la propriété : Le titre foncier, totalement inamovible, et la moulkiya ayant fait l’objet d’un dépôt de réquisition qui serait opposable aux tiers jusqu’à preuve contraire devant le tribunal. d. Amélioration de la procédure d’obtention de la Moulkiya 23. La procédure aujourd’hui en vigueur améliore à la fois la publicité de la demande de moulkiya, et aussi la localisation et les limites des propriétés concernées, jusqu’à récemment deux des points faibles de l’acte traditionnel. La nouvelle procédure comprend les étapes ci- après : o Plan de situation de la parcelle : Le propriétaire engage un ingénieur géomètre topographe, qui effectue le levé des limites, détermine la superficie, et prépare un plan cadastral. o Demande déposée auprès du caid : C’est le caid qui fait la vérification. Celle-ci est double : o Enquête par le mouqqadem (i.e. le représentant du caid au niveau du douar). Celui-ci qui connaît bien le village enquête auprès des voisins afin de déterminer comment le requérant a obtenu la terre, et il dresse un rapport. o Le caid consulte les autres parties concernées, qui sur la base du plan cadastral (le plus souvent) ou d’une vérification de terrain certifie que la terre n’est pas sous leur juridiction (e.g. DAR pour les terres collectives, DPA pour les terres de réforme agraire, Eaux et Forêts pour le domaine forestier, CF/Cadastre pour l’immatriculé etc.). S’il n’y a pas de conflit, le caid prépare le certificat administratif qui est signé par le Gouverneur. Ce certificat administratif est affiché pendant 15 jours dans la/les communes concernées. o Acte Adoulaire :Muni du rapport du mouqqadem et du certificat administratif, le requérant fait appel à deux adoul. Douze témoins sont convoqués. La réception et la rédaction des témoignages sont réglementés6 (Dahir …). Sur la foi des témoignages un des deux adoul prépare l’acte de moulkiya, consigne dans son carnet les témoignages et autres faits importants, et détermine la valeur de la propriété. o Droits d’enregistrement :Le requérant, en personne ou par l’intermédiaire de l’adel) paie les droits d’enregistrement et de timbres (5.5% de la valeur du terrain plus un droit fixe de timbre) o Authentification par le cadi taoudik et enregistrement: L’acte de moulkiya avec la quittance du paiement des droits, passe alors chez le cadi taoudik (juge chargé de l’authentification des actes) pour vérification que toutes les formalités ont bien été respectées. Après vérification, le greffier du Tribunal recopie intégralement le contenu de l’acte dans le Registre de la propriété. L’acte reçoit un numéro d’ordre (celui du 6 « La réception des témoignages est faite obligatoirement par deux adoul simultanément, dans un seul et unique document, sans aucune rupture, ni espace blanc, ni corrections ou réservations. Tout le témoignage est signé par les deux adoul et daté avec la date de la rédaction/réception. » 8 registre). Après contrôle, le cadi taoudik signe l’acte et le Registre en même temps (le requérant doit obligatoirement avoir acquitté les frais d’adoul et de greffier avant signature par le cadi). Les deux adoul signent à leur tour et enregistre l’acte sur son carnet. Dûment enregistré, l’acte authentifié est officiel. Il peut être retrouvé par son numéro d’ordre dans le registre, dont une copie peut être obtenue. o sSi la propriété est co-indivise, suite à un héritage par exemple, les adoul calculent les parts respectives des ayant droits qui sont inscrites dans l’acte. o Enfin les actes de vente préparés par les adoul sont de même vérifiés et authentifiés par le cadi et inscrit dans le Registre de la propriété. Sur l’acte de vente on retrouve le numéro de l’acte précédent et par le Registre on peut ainsi remonter l’historique de la parcelle. 24. Ainsi, avec ce nouveau système d’enregistrement, la procédure de la moulkiya, est d’ores et déjà considérablement améliorée. o Publicité insuffisante : le certificat administratif (afin d’éviter toute superposition avec des terres sous autres statuts) et l’enquête par le Mouqqadem améliorent clairement la publicité donnée à la demande de moulkiya. o Imprécision de l’identification matérielle des biens fonciers. Le propriétaire doit engager un ingénieur géomètre topographe, qui effectue le levé des limites, détermine la superficie, et prépare un plan cadastral. Cependant, les coordonnées du plan cadastral ne sont pas à ce jour reportées dans le Registre, ce qui reste une faiblesse dans le nouveau système. e. La réforme du statut des adoul 25. La réforme la plus importante pour la gestion des biens immobiliers non immatriculés est celle qui porte sur la profession des adoul. De fait, aucune réforme de leur institution, n’est envisageable avec réalisme si elle ne passe pas, au préalable, par la restauration de leur statut, le respect de leur rôle et la réhabilitation de leur compétence. C’est ce qu’a entrepris le Ministère de la Justice. Cette réforme a été adoptée en deux étapes dont la dernière est si récente (2 mars 2006) qu’il parait encore prématuré d’en apprécier les résultats. 26. Un premier dahir a été publié le 6 mai 1982 relatif à l’organisation de la profession des adoul et à la réception et la rédaction des témoignages. Le second, en date du 2 mars 2006, modifie et complète celui de 1982. Ce dernier dahir a comme principale nouveauté la création de l’Ordre National des Adoul. L’un et l’autre ont été publiés au BO en langue arabe et aucune traduction officielle n’a parue en français. 27. L’esprit profond de ces textes, qui est exprimé de façon explicite dans le long exposé des motifs du dahir de 2006, est multiple. Ces dahirs sont, en premier lieu, un hommage rendu à la fonction séculaire de l‘adel, qui fait partie d’une haute tradition inscrite dans une légitimité politique et religieuse. Les adoul sont une institution hautement reconnue par le Fikh et ils ont enregistré des siècles durant la Beiâa, l’acte d’allégeance aux Sultans et aux Rois. Mais ces textes, lorsqu’ils expriment également une volonté forte de rationalisation moderniste et de 9 moralisation d’une profession, signalent que l’exercice de cette profession n’a pas toujours été satisfaisant et que des progrès restent à faire pour qu’il réponde aux besoins nouveaux de l’économie et de la société. 28. Dans le domaine qui nous intéresse, celui de la sécurisation foncière, ces deux textes apportent des réponses positives sur trois questions décisives, le niveau requis de compétence des adoul, la moralisation de la profession et la sécurisation des actes adoulaires. 29. L’élévation du niveau de compétence requis des adoul. Les adoul sont recrutés sur concours et le niveau exigé pour se présenter qui était en 1982 le bac d’enseignement religieux secondaire a été porté , en 2006, à la licence en droit. De même, le niveau des candidats dispensés du concours est passé de la licence en 1982 au doctorat en 2006. La professionnalisation de l’adel est complétée par l’exigence supplémentaire d’un stage couronné par un examen professionnel auquel il doit être admis pour être officiellement nommé adel. On constate donc une élévation incontestable du niveau légal requis de formation. Cependant cette amélioration est plus valable pour l’avenir que pour le présent, puisque, dans leur majorité, les adoul en activité au moment de l’adoption des textes, sont maintenus dans leur poste. 30. La moralisation de la profession. Certaines des conditions d’adhésion à la profession (art 2) portent sur la moralité du candidat : casier judiciaire vierge, jamais condamné à la prison même en sursis, pas de délit financier ni de faillite. La fonction d’adel est incompatible avec celles de fonctionnaire, de magistrat, d’avocat, d’agent immobilier, de conseillers juridiques, de commerçant et en général de toute activité générant des revenus à l’exception des activités scientifiques et religieuses. L’adel, au moment d’entrer dans ses fonctions, prête un serment solennel devant la Cour d’appel au cours duquel il jure devant Dieu d’accomplir ses taches avec dévouement, honnêteté et en préservant la confidentialité des transactions. L’adel est tenu sur chaque affaire de tenir un dossier complet dont les pièces sont communicables par copie légalisée. Il est responsable de tous les actes qu’il a signé pendant cinq ans à partir de la date d’enregistrement dans le registre du Cadi. Les sanctions, en cas du manquement de l’adel à ses devoirs légaux sont prévus par le texte (Art 16 à 21 du dahir de 1982). Enfin l’Ordre National des Adoul, créé par le texte de 2006 se voit confier un rôle important de moralisation et de discipline à l’égard de ses membres. Il est chargé par le dahir (art 53) de sauvegarder la tradition de la profession et sa déontologie et de contrôler les adoul sur leurs devoirs. 31. La sécurisation des actes adoulaires. C’est l’objectif final de la réforme et le résultat escompté de toutes les transformations proposées. La compétence et la probité des adoul sont des moyens pour parvenir à cette fin, l’authentification des actes. Mais il existe également des procédures précises de rédaction de présentation et de conservation des documents qui contribuent à leur sécurité. On en citera quelques unes qui figurent dans les deux dahirs: 32. La signature permanente et authentique de l’adel et sa version paraphée est déposée chez le cadi taoudik et inscrite à son registre. La réception des témoignages est faite par deux adoul simultanément. Le témoignage est rédigé sous la responsabilité des deux adoul dans un seul et unique document, sans aucune rupture ou espace blanc ou correction ou insertion. Le cadi taoudik authentifie l’acte en vérifiant sa conformité aux règles de réception et de rédaction. Il le 10 signe et l’acte ne devient définitif et officiel qu’une fois signé par le cadi. L’acte est inscrit dans le registre centralisé conservé à la mahkama. 33. Si ces procédures sont respectées, elles sont de nature à réduire les fraudes et falsifications signalées plus haut et rendre aux actes la crédibilité nécessaire aux transactions. La réforme du statut des adoul et la création de leur ordre national sont susceptibles de restaurer la considération du public à l’égard d’une profession qui en a bien besoin pour participer à la réforme et s’y inscrire avec dynamisme. Encore faut il que les textes portant la réforme bénéficient des moyens et de la volonté politique nécessaires à leur application. 11 CHAPITRE II L’IMMATRICULATION DES TITRES FONCIERS. 34. Le régime moderne de l’immatriculation foncière a été introduit par Décret Royal en 1913 (Dahir du 12 août 1913 sur l’immatriculation des immeubles) mais il n’a pu être appliqué qu’après le Dahir du 1er juin 1915 fixant la législation applicable aux immeubles immatriculés et la création de la première Conservation foncière en 1915 également. A l’époque du Protectorat, le pays était divisé entre Zone Sud française et Zone Nord sous l’emprise de l’Espagne. Dans la Zone Nord, l’enregistrement de la propriété était régi par le Dahir Khalifien du 14 juin 1914 instituant dans les territoires soumis au protectorat espagnol un « enregistrement des actes de moulkiya et l’établissement de titres par le Servicio de la Propiedad ». Dans ce régime, le secrétariat du greffe, le « Registrador », faisait office de conservateur de la propriété foncière, mais, à la différence de l’immatriculation, ne prévoyait pas de topographie, et offrait donc une procédure moins complète que l’immatriculation. Les titres « registradores » ressemblent à la « moulkiya », acte adoulaire qui présume la propriété mais ne donne pas un droit de propriété définitif et incontestable. Le régime de 1913 a été étendu à la zone Nord par le décret Royal du 24 octobre 1966 « rendant applicable dans l’ancienne zone de protectorat espagnol le régime de l’immatriculation en vigueur en Zone Sud et instituant une procédure spéciale d’abornement des immeubles ayant fait l’objet de titres fonciers. 35. L’immatriculation est un mode d’enregistrement et de publicité des droits qui peuvent eux-mêmes être variés. Ce régime se superpose donc aux statuts juridiques. Ainsi, les terres collectives et habous tout comme le melk et les terres du domaine privé peuvent être immatriculées. De fait, l’immatriculation n’est pas contraire au droit coutumier ou au droit musulman. 36. Dérivé du système Torrens, qui a fait ses preuves dans de nombreux pays7, l’immatriculation délivre un titre foncier définitif et inattaquable. L’immatriculation ne procure donc pas seulement un titre de propriété, mais il assainit ce titre. En conséquence, tout acheteur potentiel d’un bien immobilier peut consulter le livre foncier et s’y fier totalement, sans risque de contestation ultérieure du titre qu’il acquiert. Et s’il arrive que les droits de l’un des opposants à l’immatriculation aient été gravement lésés par la décision d’immatriculation, et que cette injustice ait été reconnue, il n’a aucun droit à la restauration de ses droits sur le bien immobilier mais seulement à des dommages et intérêts. 37. Par rapport au système de la moulkiya qui peut être entaché d’erreurs et d’ambiguïtés, il est certain que le titre foncier produit une sécurité absolue à son détenteur. L’immatriculation est un cheminement complexe qui permet une fois pour toute de purger tous les droits antérieurs et d’identifier précisément la (ou les) parcelles afférentes à chaque propriété. L’immatriculation foncière (IF) et les titres fonciers qui en résultent offrent des atouts déterminants pour une sécurisation utile au développement économique. Tout d’abord, la purge des droits des tiers permet d’identifier un propriétaire exclusif définitivement libre de toute contestation de ses droits, rendant ainsi le droit du propriétaire inattaquable, tout en supprimant la nécessité après l’immatriculation de recourir aux titres antérieurs. Ensuite, le levé topographique et l’enregistrement des coordonnées individualisent, localisent et fixent la superficie et les limites 7 Par exemple Suisse, Australie, Nouvelle Zélande, Ecosse, Kenya, Liban, Syrie, Tunisie et Algérie. 12 intangibles de la propriété. La qualité des dossiers d’immatriculation préparés la Conservation Foncière, y compris leur composante cadastrale, est d’un très haut niveau et la protection des droits fonciers se compare favorablement, sous ce rapport, avec n’importe quel autre système de protection des droits fonciers d’autres pays8. 38. Ces avantages ont des conséquences économiques importantes. La possession d’un titre foncier rend possibles le crédit et l’investissement et permettent l’échange des biens fonciers sur un marché plus large. Pour des biens fonciers représentant un potentiel économique significatif, ces avantages sont décisifs et irremplaçables. Il n’est donc pas surprenant que l’IF se soit largement répandue en zones urbaines ainsi qu’en zones de fort potentiel agricole. II.1 Etat des Lieux de l’Immatriculation 39. Il est important de noter que l’unité pour l’immatriculation et par voie de conséquence l’obtention du titre foncier est la parcelle9. Une propriété urbaine typique sera en générale d’un seul tenant (une seule parcelle) et sera sujette à des morcellements ultérieurs (lotissement, appartements individuels etc.). Au contraire, une propriété/exploitation agricole typique aura plusieurs parcelles culturales (6 en moyenne) et aussi plusieurs parcelles foncières (2,5 en moyenne10). 40. Depuis 1915, les immatriculations ont produit un total de quelques 400,000 titres fonciers, dont 71% sont en zones rurales, et 29% en zones urbaines (Tableau 1). Les immatriculations rurales représentent 97% de la superficie immatriculée, du fait que la taille des parcelles rurales ést en moyenne bien supérieure à celle des parcelles urbaines (Tableau 2), mais cette différence de taille de parcelle tend à se réduire. En effet, les propriétés agricoles qui sont immatriculées à présent sont de plus en plus petites. De 12 ha environ en moyenne sur la période 1915-1998, elles sont de 4,5 ha récemment 1999-2006 (Tableau 3). Ceci est dû en partie au fait que durant le Protectorat (1915-1956), ce sont surtout les larges propriétés des colons qui ont été immatriculées. 8 Intelec, Résumé du Rapport de la Phase 2, p.5. 9 Juridiquement « l’immatriculation « ne peut s’appliquer qu’`a un immeuble composé d’une seule parcelle ou de parcelles faisant corps ». En pratique, en zones rurales, l’Agence, pour satisfaire les demandeurs acceptent de considérer comme étant une seule parcelle, des parcelles relativement proches les unes des autres, même si elles ne sont pas contigues. D’où la différence entre le nombre de parcelles culturales ou agronomiques (6 en moyenne par exploitation), et de parcelles foncières (2,5 en moyenne). 10 Estimation Intélec 13 Tableau 1 : Titres fonciers d’immatriculation établis depuis 1915 à 1996, et de 1997 à 2006 Années Milieu Urbain Milieu Rural Total Nombre Sup en ha Nombre Sup en ha Nombre Sup en ha 1915-1996 68,588 34,495 193537 2389924 262,125 2,424,408 1997 3,453 948 5,735 14,594 9,188 15,542 1998 2,976 1,203 5,020 38,793 7,996 39,996 1999 3,288 1,042 4,538 18,160 7,826 19,202 2000 3,193 1,569 4,045 12,200 7,238 13,769 2001 6,134 3,035 8,689 20,124 14,823 23,159 2002 5,720 4,473 9,166 78,269 14,886 82,743 2003 5,821 2,150 9,512 28,488 15,333 30,638 2004 4,827 1,363 9,682 33,684 14,509 35,057 2005 4,966 9,357 14,597 69,168 19,563 78,525 2006 5,946 19,264 19,864 52,693 25,810 71,957 Total 114,912 78,899 284,385 2,756,097 399,297 2,834,996 Pourcentage 28.8% 2.8% 71.2% 97.2% 100% 100% Source : Statistiques de l’ANCFCC Tableau 2 : Part relative des titres fonciers urbains et ruraux Années Pourcentage en nombre Pourcentage en superficie Titres fonciers Titres fonciers Urbaine Rurale urbains ruraux Moyenne 1915-2006 29% 71% 2.8% 97.2% Moyenne 1999-2006 36% 64% 11.0% 89.0% Source : Statistiques de l’ANCFCC 14 Tableau 3 : Taille des parcelles en zones urbaines et rurales Années Taille moyenne parcelle Urbaine Rurale 1915-1998 0,49ha 11.96ha 1999 0,32ha 4.00ha 2000 0,49ha 3.02ha 2001 0,49ha 2.32ha 2002 0,78ha 8.54ha 2003 0,37ha 2.99ha 2004 0,28ha 3.48ha 2005 1,88ha 4.74ha 2006 3.24ha 2.65ha Moyenne (1999-2006) 1.12ha 4.53ha Source : Calculs faits à partir des Statistiques de l’ANCFCC 41. Que représentent ces réalisations au regard des besoins du pays ? Du fait d’une grande incertitude sur le nombre de parcelles totales, il est difficile de faire cette estimation. Néanmoins l’étude Intélec en donne une approximation. D’après cette analyse, seules 9% des parcelles melk auraient un titre. Pour l’ensemble des terres, tous statuts confondus, le taux de réalisation serait de 8% (chiffres 2002) (Tableau 4). Tableau 4 : Etat de l’immatriculation du melk et des autres statuts fonciers Parcelles Melk Tous statuts Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Immatriculées 375.257 9% 380.128 8% Non immatriculées 3.835.269 91% 4.158.959 92% Total 4.210.526 100% 4.542.634 100% Source : Etude Intélec, Tableau 3.1, page 23. II.2 Progrès de l’immatriculation foncière 42. Bien que 92 ans après leur introduction, les immatriculations n’aient produit que quelques 400,000 titres (fin 2006), le nombre de propriétés sécurisées est en fait beaucoup plus élevé, surtout en milieu urbain. En effet, les titres de propriété, qui garantissent la sécurité foncière, proviennent non seulement des immatriculations mais aussi du morcellement de titres existants (lotissement, copropriété, vente partielle, division suite aux héritages etc.), qui donne 15 lieu à de nouveaux titres, mais sur des parcelles déjà immatriculées, et donc déjà purgées de toute contestation. Ce sont des opérations beaucoup plus légères et aussi beaucoup plus nombreuses. Moins coûteuse en termes de temps et de personnel, la délivrance de titres suite aux morcellements est une opération rapide et rentable pour l’Agence. Elle est très fréquente en milieu urbain du fait de nombreux lotissements et immeubles d’appartements. 43. Ainsi suite au morcellement des parcelles, les titres issus de l’immatriculation ont à leur tour engendré quelques 2,1 million de titres supplémentaires. Ainsi ce sont au moins deux millions de propriétaires, soit cinq fois plus que le nombre des immatriculations, qui ont reçu un titre et ont donc vu leurs droits garantis. Comparé au nombre d’unités familiales (utilisé comme proxi du nombre de propriétés), il en ressort ci-dessous qu’environ deux tiers des propriétés marocaines auraient un titre de propriété en zones urbaines et moins de dix pour cent en zones rurales (Tableaux 5 et 6). Tableau 5 : Etat de la sécurisation de la propriété foncière urbaine et rurale au Maroc Milieu urbain et Milieu rural Milieux urbain et rural péri-urbain a. Nombre de propriétés32 3 millions 2 millions 5 millions b. Nombre de parcelles par 1 2.5 propriété c. Nombre total de parcelles 3 millions 5 millions 8 millions (bxc) d. Nombre de titres fonciers, 2.039 millions 0,445 millions 2,484 millions dont : - Issus de l’immatriculation 0,115 millions 0,284 millions 0,399 millions - Issus du morcellement 1,924 millions 0,161 millions 2.085 millions e. Pourcentage de parcelles 68% 9% 31% sécurisées (e/d) Source : Rapport Intélec et statistiques de l’ANCFCC 44. Ainsi, 31% des parcelles du pays auraient reçu un titre à ce jour. Cette moyenne cacherait des différences importantes entre zones urbaines (plus ou moins 80%33), zones périurbaines (environ 50%33) et zones rurales34 (9%). 32 Le nombre d’unités familiales est utilisé comme proxi du nombre de propriétés 33 D’après Intélec 34 Les chiffres du rural sont à rapprocher de ceux du groupe de travail sur la politique foncière agricole mis en place en juin 2000. Pour celui-ci, 200.000 des quelques 2 millions de propriétés rurales avaient été immatriculées avant cette date, soit 10%. 34 Les chiffres pour les zones rurales corroborent ceux du groupe de travail sur la politique foncière agricole mis en place en juin 2000. Pour celui-ci, 200.000 des quelques 2 millions de propriétés rurales avaient été immatriculées avant cette date, soit 10%. 16 Tableau 6 : Titres fonciers cumulatifs, période 2004-2006 Titres fonciers 2004 2005 2006 Titres fonciers immatriculation 353924 373487 399297 Titres fonciers morcellement 1809390 1949839 2085572 Titres fonciers urbain immatriculation 104000 108966 114912 Titres fonciers urbain morcellement 1660619 1794295 1924413 Titres fonciers rural immatriculation 249924 264521 284385 Titres fonciers rural morcellement 148771 155544 161159 Source : Statistiques de l’ANCFCC 45. Le nombre de titres fonciers engendrés par le morcellement est donc bien supérieur à ceux du seul processus de l’immatriculation : 5 fois plus de titres suite aux morcellements sur l’ensemble de la période et 7 à 8 fois plus dans les dernières années. Néanmoins, il apparaît une dichotomie fondamentale entre l’urbain et le rural. C’est en effet essentiellement dans l’urbain (95%) que ce phénomène a lieu. De fait, en milieu urbain, une proportion élevée des titres fonciers provient du morcellement de titres existants. Ainsi, la procédure d’immatriculation en zones urbaines, aussi lourde et coûteuse soit-elle, a été et demeurera largement compensée par l’émission subséquente de titres fonciers supplémentaires, chaque immatriculation ayant donné lieu en moyenne à 17 titres supplémentaires sur l’ensemble de la période d’immatriculation (1915-2006). Il est dores et déjà évident que la rentabilité de l’opération d’immatriculation est très supérieure dans l’urbain, compte tenu de ce phénomène qui vient par ailleurs se superposer à la plus grande valeur des propriétés ainsi sécurisées. 46. Il en est tout autrement en zones rurales, où une immatriculation n’a produit, suite au morcellement que 0.6 titre foncier supplémentaire, en moyenne. On ne peut donc guère compter sur les morcellements ultérieurs pour compenser les coûts élevés de l’immatriculation dans ces zones, où par ailleurs l’immatriculation est encore plus coûteuse (du moins avec les techniques actuelles), du fait d’un accès souvent plus difficile et de la dispersion des propriétés agricoles en plusieurs parcelles (Tableaux 7 et 8). 17 Tableau 7 : Nombre de titres fonciers issus des morcellements et des nouvelles immatriculations (cumulatif au 31 déc. 2006) Titres fonciers (Période 1915-2006) Milieu Urbain Milieu Rural Total 1a. Titres fonciers suite aux immatriculations 114.912 284.385 399.297 1b. Titres fonciers suite aux morcellements 1.924.431 161.159 2.085.590 2. Nombre moyen de titres fonciers issus du 17 0.6 5 morcellement de titres fonciers Source : Statistiques de l’ANCFCC Tableau 8 : Nombre de titres issus annuellement : morcellement et nouvelles immatriculations (2001-2006) Années 2001 2002 2003 2004 2005 2006 1. Titres fonciers suite aux 14.823 14.886 15.333 14.509 19.563 25.810 immatriculations 2a. Titres fonciers suite aux 111.242 118.052 140.635 119.318 140.449 135.733 morcellements (total) 2b. Titres fonciers suite aux 105.165 112.378 133.195 114.773 133.676 130.118 morcellements (urbains) 3. Part de l’urbain dans les titres 94% 95% 95% 96% 95% 96% fonciers suite aux morcellements. (2b/2a) 5. Nombre moyen de titres fonciers 7.5 7.9 9.2 8.2 7.2 5.2 fonciers issus du morcellement de titres fonciers (2a./1.) Source : Statistiques de l’ANCFCC 47. Conclusion : L’absence de titres fonciers modernes, concerne une proportion assez large des biens fonciers en milieu urbain (un tiers) et représente le cas général en milieu rural (90%). II.3 Evolution de la demande de titres et de la capacité de l’agence à y répondre 48. La demande de sécurisation est appréciée à travers l’évolution du nombre des réquisitions déposées. Celles-ci sont en forte augmentation, ayant triplé en moyenne sur les quatre dernières décennies. Ici encore, la différence est notable entre l’urbain et le rural, avec une croissance du nombre de réquisitions deux fois plus forte dans le premier cas (Tableau 9 et et Tableau A-1 en Annexe). Il faut aussi remarquer que la demande du rural est quelque peu faussée par les immatriculations d’ensemble, qui ne procédant pas d’une démarche volontaire et étant gratuites ne reflètent pas strictement la demande. 49. Il est probable néanmoins que la demande exprimée est en fait inférieure à la demande réelle, du fait historiquement d’une capacité insuffisante de l’Agence à répondre aux besoins. Cette insuffisance est matérialisée par un rendement faible des opérations d’immatriculation (particulièrement dans le rural) et de l’accumulation de retards, parfois depuis des dizaines 18 d’années. Le rendement des procédures d’immatriculation est mesuré par le rapport entre le nombre des réquisitions déposées et celui des titres fonciers établis chaque année (Tableau 10 et Tableau A-2 en Annexe) . Si le nombre des réquisitions déposées est durablement en excès par rapport au nombre des titres fonciers établis, il en résulte un retard des procédures d’immatriculation et un nombre de dossiers en instance qui va grandissant. L’évolution du décalage entre nombre de réquisitions déposées et nombre de titres établis est illustré dans la Figure 1 pour l’urbain et la Figure 2 pour le rural. Tableau 9 : Evolution des réquisitions déposées (nombre et indice de croissance) Réquisitions Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne Déposées 1967-76 1977-86 1987-96 1997-2006 Milieu urbain 691 2,227 4,097 5,178 Indice 100 322 593 749 Milieu rural 5,782 7,038 12,915 22,202 Indice 100 122 223 384 Source : ANCFCC Tableau 10 : Evolution des titres fonciers d'immatriculation établis Titres Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne établis 1967-76 1977-86 1987-96 1997-2006 Milieu urbain 441 833 1,941 4,632 Indice 100 189 441 1051 Milieu rural 2,551 4,447 4,215 9,085 Indice 100 174 165 356 Source : Statistiques de l’ANCFCC 19 Figure 1 : Milieu urbain : évolution des immatriculations par rapport aux réquisitions Milieu Urbain: Evolution des immatriculations Réquisitions Titres fonciers 9,000 8,000 7,000 6,000 5,000 4,000 3,000 2,000 1,000 0 67 69 71 73 75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 Figure 2 : Milieu rural : évolution des immatriculations par rapport aux réquisitions Milieu rural: Evolution des immatriculations Réquisitions Titres fonciers 30,000 25,000 20,000 15,000 10,000 5,000 0 67 69 71 73 75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 Source : Statistiques de l’ANCFCC 20 50. Le rendement global ne dépasse jamais 50%, c'est-à-dire qu’au moins jusque récemment, il ne s’établissait en moyenne, dans le meilleur des cas, qu’un titre pour 2 réquisitions déposées par an. C’est le domaine rural qui tire la performance vers le bas : le rendement y est inférieur 41% (Tableau 11). Il est particulièrement faible dans les zones d’immatriculation d’ensemble (25%) et celles de remembrement (35%). Tableau 11 : Rendement de l'immatriculation depuis 1915, détails 1997-2006 (nombre de titres/nombre de réquisitions) Milieu rural Milieu urbain Total 1915-1996 47% 62% 50% 1997 21% 74% 29% 1998 34% 74% 42% 1999 31% 75% 41% 2000 19% 66% 27% 2001 41% 107% 55% 2002 35% 119% 49% 2003 49% 118% 63% 2004 35% 92% 44% 2005 79% 95% 83% 2006 64% 76% 66% 1997-2006 41% 89% 50% Note : Les chiffres pour le rural prennent en compte l’immatriculation d’ensemble, le remembrement et l’immatriculation volontaire. Pour l’urbain, il n’y a que l’immatriculation volontaire. Source : Statistiques de l’ANCFCC 51. Comme le nombre de réquisitions augmente fortement chaque année, le rendement effectif est en fait meilleur qu’il n’apparaît. En effet, la procédure d’immatriculation durant environ deux années, il est sans doute plus exact de comparer les titres obtenus en l’année N avec les réquisitions déposées en année N-2 (Tableau 12). D’après ce tableau, le rendement effectif des procédures d’immatriculation en milieu urbain est excellent, à 99% en moyenne. En revanche, le rendement en milieu rural reste très bas, à 44%. - 21 - Tableau 12 : Rendement des opérations d'immatriculation sur deux ans (1997-2006) Milieu Milieu urbain rural Total Année N Réquisitions Titres de Rendement Réquisitions Titres de Rendement Réquisitions Titres de Rendement de l'année de l'année l'année de l'année l'année N-2 l'année N N-2 N N-2 N 2006 5256 5946 1.13 27700 19864 0.72 32956 25,810 0.78 2005 4922 4966 1.01 19283 14597 0.76 24205 19563 0.81 2004 4823 4827 1.00 25828 9652 0.37 30651 14509 0.47 2003 5728 5821 1.02 21257 9512 0.45 26985 15333 0.57 2002 4856 5720 1.18 21608 9166 0.42 26464 14886 0.56 2001 4366 6134 1.40 14804 8689 0.59 19170 14823 0.77 2000 4032 3193 0.79 14889 4045 0.27 18921 7238 0.38 1999 4688 3288 0.70 27244 4538 0.17 31932 7826 0.25 1998 3910 2976 0.76 22238 5020 0.23 26148 7996 0.31 1997 4116 3453 0.84 12801 5735 0.45 16917 9188 0.54 Moyenne 4670 4632 0.99 20765 9082 0.44 25435 13717 0.54 Note : Le rendement est calculé sur deux ans, en tenant compte du fait qu'il faut deux ans pour compléter le processus depuis le dépôt de la réquisition jusqu'à l'obtention du titre. Source : Statistiques de l’ANCFCC 22 52. Les nouvelles instances correspondent à la différence entre les réquisitions déposées et la somme des réquisitions transmises au tribunal, des réquisitions annulées et des titres fonciers établis. 53. De fait par le passé l’Etat n’a pas été en mesure de répondre à la demande et les retards se sont accumulés. Le problème n’est pas de nature financière car l’Agence génère des revenus importants. Le système en place n’arrive tout simplement pas à traiter toutes les réquisitions. Les retards se sont accumulés depuis longtemps, y compris en milieu urbain en période de forte croissance des réquisitions, mais avant tout, comme on l’a vu, avec un décalage croissant en milieu rural. Fin 1970, le gouvernement instaura des procédures plus rapides d’immatriculation d’ensemble pour certaines zones rurales à aménager. Néanmoins, le problème global a perduré. Les dossiers en instance n’ont cessé d’augmenter au fil du temps, avec pour la seule période 1997-2006, une augmentation cumulative d’instances de 93.000 dossiers (voir Figure 3). Ainsi en 2006, le nombre cumulatif de dossiers en instance d’immatriculation était de 356,000, c'est-à- dire presque autant (90%) que toutes les immatriculations réalisées pendant les 90 dernières années : 399,000 (Voir Tableau A-3 en Annexe), Ce chiffre est également à rapprocher des 27.000 demandes d’immatriculation annuelles (en moyenne depuis 10 ans), donnant lieu à quelques 14.000 titres. Au rythme des titres émis en 2006 (soit 26,000 titres), il faudrait une quinzaine d’années pour résorber les seules instances (sans aucune nouvelle immatriculation). Figure 3 : Evolution des réquisitions et des instances d’immatriculation (1997-2006) Evolution des réquisitions et des instances d'immatriculation (1997-2006) 900,000 800,000 700,000 Nb de dossiers d’immatriculation 600,000 500,000 Réquisitions en instance Réquisitions cumulatives 400,000 Titres cumulatifs 300,000 200,000 100,000 0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Source : Statistiques de l’ANCFCC 23 II.4 Les causes des blocages 54. Une fois immatriculée, une propriété donne au détenteur du titre des droits inattaquables. Il est donc inévitable que le processus de purge des droits et de détermination juridique des limites de chaque parcelle fasse l’objet de la plus grande prudence, résultant en de multiples étapes et des délais assez longs. Il est ainsi reconnu que les titres fonciers établis par l’ANCFCC s’appuient sur des dossiers d’immatriculation foncière de très grande qualité. La procédure de l’immatriculation est décrite ci-après. 55. Procédure d’immatriculation volontaire : i. Demande (ou réquisition) d’immatriculation déposée à la CF, accompagnée de l’acte de propriété et toute autre pièce justificative, et du paiement des droits d’immatriculation foncière. ii. Publicité. Afin d’assurer la transparence de la réquisition et du processus qui va suivre, la réquisition est publié au Bulletin Officiel et affiché aux sièges du Tribunal de Première Instance et de l’autorité locale. iii. Bornage, défini par l’Agence comme « la phase la plus importante de la procédure d’immatriculation foncière. Il s’agit à la fois d’une opération topographique, d’un acte de publicité et d’une enquête juridique : a. Le bornage est un acte de publicité parce qu’il constitue un événement local qui se déroule en présence de toutes les personnes concernées ou susceptibles de l’être. b. Le bornage est une enquête juridique réalisée par le topographe qui, en tant que délégué du Conservateur, interroge les requérants, riverains, titulaires de droits réels et bénéficiaires de servitudes et enregistre leurs déclarations ou revendications. c. Le bornage est une opération topographique au cours de laquelle un géomètre établit l’état physique de la propriété, en identifiant notamment son emplacement, sa superficie, sa consistance et ses limites. Pendant l’opération de bornage, le géomètre placera les bornes, selon les indications du requérant, pour délimiter le périmètre de la propriété et préciser les parties revendiquées s’il y a lieu. Il dressera ensuite un croquis de bornage « provisoire »et un procès verbal, avant de lever le plan de bornage « définitif » de la propriété. ». iv. Avis de clôture du bornage. Après réception du procès-verbal et du plan de bornage, le CF publie au Bulletin Officiel un avis de clôture du bornage. v. Immatriculation. En l’absence d’oppositions ou après le règlement des oppositions, le Conservateur procède à l’immatriculation et établit le titre foncier au nom du propriétaire. 56. On pourrait penser que le rendement faible de l’immatriculation foncière et par voie de conséquence l’accumulation de dossiers en instance est dû à des blocages au niveau des tribunaux suite à des oppositions. Ce n’est pas le cas : comme le montre la Figure 4, les dossiers en instance au niveau des tribunaux ne représentent que 5% du total (Tableau A-4 en Annexe). 24 Figure 4 : Evolution du traitement des réquisitions depuis 10 ans Evolution du Traitement des Réquisitions depuis 10 ans 45,000 40,000 35,000 30,000 25,000 Réquisitions Nouvelles instances Titres fonciers établis 20,000 Réquisitions annulées Transmises au tribunal 15,000 10,000 5,000 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 -5,000 Source : Statistiques de l’ANCFCC Tableau 13 : Répartition des dossiers dans les phases d’instance Phases d’instance 31/12/03 Pourcentage 31/12/06 Pourcentage En cours de 66.223 20% 63,184 18% publication/homologation Non bornées ou bornages 100.259 30% 74,225 21% négatifs Bornées, plans non remis 51.662 15% 64,269 18% Plans remis, avis de clôture 39.477 12% 50,529 14% non publiés Plans remis avis de clôture 57.222 17% 50,226 14% publiés En instance au tribunal 16.503 5% 19,213 5% Total 331.346 100% 355,846 100% Accroissement +7.4% Source : Statistiques de l’ANCFCC 25 57. Le Tableau 13 ci-dessus montre les instances au niveau de chacune des phases de la procédure. On constate que 95% des dossiers en instance se trouvent bloqués aux différentes étapes de l’immatriculation, montrant que les difficultés sont sévères au niveau même de l’Agence. La complexité et la lourdeur de la procédure sont en partie en cause. 58. Au vu du faible rendement passé, l’Agence s’est engagée dans un processus d’allègement des procédures, de réduction des délais maximums autorisés par la réglementation et d’application plus strictes de ces délais. De même, que l’utilisation de technologies avancées de levés et la généralisation du traitement électronique de l’information permettront d’importants gains de productivité. Mais il reste beaucoup à faire. II.5 Aspects juridiques de l’immatriculation - oppositions et contentieux judiciaire 59. Compétence des tribunaux pour le foncier. Il n’y a pas de tribunaux spécialisés pour le foncier, ni de « chambre foncière ». En revanche, les tribunaux abritent des « sections » qui remplissent la même fonction qu’une chambre spécialisée. Ces sections sont créées à la discrétion du président de chaque tribunal. Il s’agit en fait d’une question d’organisation interne des tribunaux, qui dépend du nombre de dossiers traités par un tribunal donné. La création d’une section traitant du foncier au sein d’un tribunal ne requiert donc pas a priori l’adoption d’un texte, quel que ce soit le niveau (instance, appel, cassation). De même, une loi ne serait pas non plus nécessaire pour créer une « chambre ». Au niveau de la Cour Suprême, le texte de loi de 1957 prévoit une section foncière au sein de la Chambre du statut personnel pour les propriétés non immatriculées soumises au droit musulman (rite malikite) 11. Par ailleurs, les litiges ayant trait au foncier peuvent également être portés devant les juridictions pénales, en correctionnelle, lorsqu’il y a des questions d’abus de confiance. 60. Faudrait-il mettre en place des tribunaux du foncier ? A l’instar des tribunaux de commerce, la mise en place de tribunaux spécialisés pour traiter le contentieux lié au foncier, et à l’immatriculation foncière en particulier, pourrait être envisagée. Ceci étant, il convient de se poser la question de la valeur ajoutée qu’entraînerait la création d’un nouveau type de juridiction; si l’on excepte la spécialisation des magistrats et le désengorgement (ou la diminution du volume du contentieux en instance) des tribunaux de droit commun, qui seraient des atouts plaidant en faveur de la création d’un nouveau type de juridiction, encore faudrait-il que le temps de traitement des dossiers en soit lui aussi amélioré. 61. Recours aux mécanismes alternatifs de règlement des litiges. Le recours à un mécanisme alternatif de règlement des litiges suppose, en principe et au préalable, que les parties aient prévu cette possibilité dans le cadre d’un contrat, ce qui est rarement le cas. Culturellement, la tendance aujourd’hui est d’avoir davantage confiance en la justice. Il existe cependant déjà un certain nombre d’exemples qui rejoignent la notion de mécanisme alternatif de règlement des 11 Le droit musulman est basé sur quatre rites. Le Maroc suit le rite malikite. Les opinions sont connues mais non codifiées ou unifiées proprement dit ; comme pour les textes codifiés, elles font l’objet d’interprétation et donc de plusieurs écoles, ce qui ne facilite pas la tâche des tribunaux ni de la Cour Suprême. 26 litiges. Dans la tradition musulmane, un cheikh ou un syndic représentant un corps de métier officiait fréquemment pour parvenir à une médiation. Pour les biens non immatriculés, le notable de la tribu, fort de son autorité morale, était traditionnellement chargé de concilier les parties. Cette possibilité existe toujours pour les terres collectives (cf. Dahir 1919 modifié par la suite) : les délégués sont chargés de trancher des questions de jouissance des terres, et peuvent recourir au conseil de tutelle abrité par le Ministère de l’Intérieur. Enfin, il existe déjà des associations de « conciliateurs » : quand un jugement ordonne une expertise au foncier, l’expert, sur la base de la mission qui lui est donnée par le tribunal, aura d’abord pour mission de concilier les parties. 62. La possibilité d’avoir recours aux modes alternatifs de règlement des litiges gagnerait à être vulgarisée, et en tous cas, suscite l’intérêt de nombreuses personnes rencontrées dans le cadre de cette Etude. A cet égard, l’on pourrait concevoir que l’Agence foncière (et/ou les chambres de commerce ?) mette, par exemple, à disposition une liste de magistrats retraités spécialisés auxquels il pourrait être fait recours pour rapprocher les parties et régler un différend. L’on pourrait également envisager que le recours à la médiation soit obligatoire avant de porter une affaire en justice devant les tribunaux, à l’instar des litiges en droit du travail par exemple. 63. Spécialisation des professions. De l’avis de la Cour Suprême, les magistrats sont vus comme étant suffisamment spécialisés même s’ils gagnent toujours à poursuivre une formation continue à l’Institut Supérieur de la Magistrature. L’on pourrait concevoir des séances de formation au sein de l’Agence foncière également pour davantage exposer les magistrats aux cas pratiques gérés par celle-ci. De l’avis de cette même Cour, il y aurait lieu, en revanche, de spécialiser davantage les avocats, étant donné que ce domaine du droit est très « pointu » et complexe, mêlant jurisprudence, doctrine, doctrine islamique etc. Concernant les notaires, nommés par Dahir de sa Majesté, ceux-ci sont généralement considérés comme étant relativement bien qualifiés. Il y a eu des tentatives d’unifier les professions de notaires et d’adoul (à l’instar de la distinction notaire/clerc de notaire par exemple). Les conservateurs doivent en principe avoir une formation juridique, car, en vertu du Dahir de 1913, ils engagent leur responsabilité personnelle en cas d’oublis, d’erreurs, etc (articles 72,94, 97 et 98) ainsi que celle de l’Etat (articles 60- 64 et 66). (Il convient de noter que la responsabilité de l’Agence foncière n’est pas engagée12. Celle-ci est aujourd’hui un établissement public mais dont la responsabilité repose sur l’Etat13). Le copiste assiste l’adoul, en tant que « scribe » ou archiviste. 12 L’article 100 du dahir de 1913 prévoit un fonds d’assurance, alimenté par les taxes, subrogé à la place du conservateur fautif : l’avocat qui assigne le conservateur doit pouvoir appeler en cause ce fonds. Ce fonds, auparavant au sein du Ministère de l’agriculture, a suivi l’Agence dans ses nouveaux statuts, et est utilisé pour régler certaines dépenses de travaux pour les conservations foncières. 13 Même si les conservateurs n’ont pas un statut de fonctionnaire, il est toujours possible de recourir contre l’Etat pour une faute commise par un fonctionnaire. L’article 100 du dahir de 1913 prévoit un fonds d’assurance, alimenté par les taxes, subrogé à la place du conservateur fautif : l’avocat qui assigne le conservateur doit pouvoir appeler en cause ce fonds. Ce fonds, auparavant au sein du Ministère de l’agriculture, a suivi l’Agence foncière dans ses nouveaux statuts, et est utilisé pour régler certaines dépenses de travaux pour les conservations foncières. 27 64. Oppositions et conetntieux. Les oppositions et contentieux judiciaires ont été examinés à partir des statistiques fournies par le ministère de la justice. Elles concernent les affaires jugées par les cours d’appel pendant quelques années puis, à partir de 1997, celles des tribunaux de première instance. Elles ne présentent pas les précisions qui permettraient de faire des distinctions décisives pour notre objet entre le rural et l’urbain, entre l’immatriculé et le non immatriculé. Elles ne permettent que de mesurer l’évolution entre 1997 et 2002 des affaires civiles et immobilières. Le contentieux des affaires immobilières évolue de façon à peu prés équivalente à celui des affaires civiles au sein duquel il occupe une place à peu prés négligeable (rarement plus que 1,6%, voir Tableau A-5 en Annexe) 65. Le contentieux judiciaire lié au foncier n’apparaît pas aujourd’hui comme particulièrement lourd ou souffrant de retards excessifs. Le contentieux relatif au foncier pour l’année 2004 au niveau de la Cour Suprême a été réglé. Pour un nombre de 3 millions d’affaires portées devant les tribunaux civils d’instance, 12-13% font l’objet d’appel et, sur ce pourcentage, environ 13% sont portées devant la Cour Suprême (Voir Tableau 14). Il n’y a pas de « mouvement » régulier du volume d’affaires lié au foncier porté devant cette Cour : en février 2006, il y en a eu 43, et en mai 2006, 68. Au niveau des tribunaux d’instance et d’appel, il y aurait quelques 20.000 dossiers en attente. D’après la Direction des Affaires civiles du Ministère de la Justice, les chiffres au niveau des seuls Tribunaux d’instance (excluant les appels) se présenteraient comme suit : • Melk immatriculé : cumul des dossiers en instance en fin d’année 2005 (5285). • Melk non immatriculé : cumul des dossiers en instance en fin d’année 2005 (8428). Tableau 14 : Evolution des réquisitions traitées, période 2004-2006 Devenir des 2004 2005 2006 Total % réquisitions Transmission au tribunal 1,458 2,239 1,875 5,572 7.8% Annulation 2,245 2,826 2,694 7,765 10.9% Apurement 13,931 19,073 25,083 58,087 81.3% Total 17,634 24,138 29,652 71,424 100.0% Source : ANCFCC 66. Il faut faire mention particulière des oppositions abusives, qui visent à contester la légalité d’une demande d’immatriculation alors qu’elles ne sont pas justifiées. Elles sont susceptibles de retarder substantiellement la procédure d’immatriculation, voire de la bloquer pour plusieurs années. Le projet de loi modifiant le Dahir de 1913 vise à rendre pénales les oppositions abusives et à rendre impossibles les oppositions émises hors délai. 28 II.6 Aspects financiers de l’immatriculation 67. Sans accès à une comptabilité analytique, il n’est pas possible de chiffrer précisément le coût de l’immatriculation. Néanmoins, Intélec l’a estimée (Tableau 15). Elle est coûteuse. A quelques 7.500 Dh par parcelle, la moyenne nationale marocaine serait plusieurs fois la norme internationale de 1.000 Dh par parcelle.14 Cette moyenne déjà excessive pour l’urbain parait exorbitante pour le rural agricole, quand on sait qu’une propriété/exploitation agricole contient en moyenne 2.5 parcelles foncières. Tableau 15 : Coût moyen estimé de l’immatriculation facultative d’une parcelle (urbain et rural confondu) Opération (par parcelle) Montant (drh) Commentaires Immatriculation sur inscription Chaîne foncière 4.603 Fondé sur 15.000 titres fonciers par année et 50% des efforts de la Conservation Foncière Chaîne cadastrale 2.929 Fondé sur 13.934 bornages par année et 30% des efforts du Cadastre Total 7.532 Source : Étude de mise en place cadastre général, Intélec Géomatique, rapport phase 2, p.73 68. Etant donné le niveau des coûts réels, il n’est pas surprenant que seule une fraction en soit facturée au requérant, et ce au travers des divers droits fonciers de l’Agence. Au départ donc, l’immatriculation est très largement subventionnée (Tableau 16). A titre d’exemple, cette subvention implicite s’élève à environ 2/3 du coût supporté par l’ANCFCC pour les propriétés urbaines de moindre valeur. Pour les parcelles de 1 ha et moins, la subvention est de 87%. 14 Intélec rapport phase 2, p.70 29 Tableau 16 : Coûts/subventions de l’immatriculation volontaire Parcelles Urbaine Rurale Superficie 2 ares 10 ares 5ha 1ha Valeur 100.000 drh 500.000 drh 100.000 drh 20.000 drh Droit de publicité 450 450 450 450 Droit ad valorem 750 750 750 300 1.5%15 Droit ad valorem 2% 1000 9000 1000 0 16 Droit de superficie 90 450 225 45 Droit d’établissement 75 75 75 75 du duplicata Droit fixe 75 75 75 75 Total facturé (drh) 2440 10.800 2.575 945 Total en % valeur 2.4% 2.2% 2.5% 4.7% terrain Coût Moyen* de l’IF (7530) (7530) (7530) (7530) supporté par l‘Agence Subvention Implicite 5090 -3270 4955 6585 par l’Agence Taux de subvention au +67% -43% +66% +87% niveau de l’Agence Droits 5000 25000 5000 1000 d’enregistrement (5%) Subvention nette +90 -21730 -45 +5585 * Coût moyen sous estime certainement le coût plus élevé des parcelles rurales, du fait de problèmes d’accès et de la complexité des parcelles. Source : calculs basés sur la base des chiffres cités dans l’étude INTELEC. 69. Ainsi pour les requérants, l’immatriculation facultative ne paraît pas vraiment onéreuse (2% à 2.5 % de la valeur des propriétés) – mais pour beaucoup des requérants ce montant reste bien sûr excessif. Ceci est vrai surtout pour les très petites propriétés rurales. Pour celles-ci : (moins d’1ha), le coût peut atteindre 5% et plus de la valeur du terrain à immatriculer, malgré une très large subvention, du fait des coûts fixes. Mais encore faut-il noter que ces coûts ne prennent pas en compte ni le temps du propriétaire, ni celui des démarches, ni ses frais de justice éventuels. Néanmoins, pour les propriétés urbaines et les propriétés agricoles larges et moyennes, le facteur limitant ne semble pas avoir été le coût de l’opération, mais bien plutôt la capacité de l’Etat via l’ANCFCC à répondre à la demande. 15 Droit ad valorem : 1,5% jusqu’à 50.000 drh ; 2% au-delà. 16 45 drh/ha pour une propriété rurale et 45 drh par are pour une propriété urbaine 30 70. Malgré les coûts élevés, les immatriculations, au moins en zones urbaines, n’en restent pas moins une très bonne opération pour l’Agence. En effet chaque titre a un effet démultiplicateur de revenus. D’abord, comme il a été signalé, un titre issu de l’immatriculation produit de multiples nouveaux titres à moindre frais car issus du morcellement, opération peu coûteuse mais également porteuse de revenus car assujettie aux droits fonciers. Ensuite, il y a les inscriptions subséquentes et payantes (inscriptions des mutations, transactions, hypothèques, mainlevées etc.). Ainsi, les revenus les plus importants de l’Agence proviennent de la Conservation Foncière (CF) qui en 2006 a traité 39,000 demandes d’immatriculation ; 136.000 affaires subséquentes à l’immatriculation (lotissements, copropriétés etc.) qui donnent lieu à de nouveaux titres. Enfin, elle a reçu quelques 425.000 inscriptions (hypothèques, mainlevées, mutations), qui dans 89% des cas concernent l’urbain. L’Agence, malgré un petit tiers seulement des parcelles du pays immatriculées à ce jour, a vu ses revenus augmenter rapidement (de 400 million de Dh en 1993 à plus d’un milliard en 2003 et plus de deux milliards en 2006), reversant à l’Etat des sommes importantes (plus de 300 millions de Dh en 2003) (Tableau 17). Tableau 17 : Evolution des recettes réalisées par l’ANCFCC (2004-2006) Année 2004 2005 2006 Montant (DH) 1,198,805,174 1,559,626,436 2,101,586,806 Var. (%) +30.10% +34.75% Source : Statistiques de l’ANCFCC 71. Outre les surplus de l’Agence foncière, l’Etat reçoit également les droits d’enregistrement sur tous les actes fonciers (Voir Tableau 18 et Tableau 19 pour le détail des différents droits en 2006). Pour l’Etat, dans son ensemble, l’opération d’immatriculation est une source nette de revenus pour les parcelles de grande valeur. En revanche, c’est une opération neutre pour les petites parcelles urbaines et les parcelles agricoles moyennes. Pour les petites parcelles agricoles (moins de 1 ha), la subvention est considérable. Encore faut-il se rappeler qu’une propriété agricole est généralement constituée de plusieurs parcelles, ce qui rend d’autant plus coûteux l’immatriculation de la propriété toute entière. Tableau 18 : Evolution des droits d’enregistrement 2004-2006 Milieu urbain Milieu rural Total Année Valeur Valeur Valeur Valeur Valeur Nbre (million Nbre (million Nbre (million (%) (%) DH) DH) DH) 2004 268,467 128,375 93% 67,643 9,613 7% 336,110 137,988 2005 302,171 110,134 92% 70,418 9,142 8% 372,589 119,276 2006 342,044 130,251 89% 82,805 16,046 11% 424,849 146,296 % de croissance 27% 1% NA 22% 67% NA 26% 6% Source : Statistiques de l’ANCFCC 31 Tableau 19 : Droits d’enregistrement ( 2006) Milieu urbain Milieu rural Total Valeur Valeur Valeur Type d'inscription Nbre Nbre Nbre (million DH) (million DH) (million DH) Hypothèques 80,950 30,640 22,822 5,936 103,772 36,576 Mainlevées 43,129 27,329 11,122 2,379 54,251 29,708 Mutations onéreuses 150,756 68,135 25,336 6,911 176,092 75,046 Autres mutations 17,586 4,146 8,015 820 25,601 4,966 Autres contrats 49,623 NA 15,510 NA 65,133 NA TOTAL DES INSCRIPTIONS 342,044 130,251 82,805 16,046 424,849 146,296 Source : Statistiques de l’ANCFCC II.7 Améliorations et réformes de l’immatriculation a. Les réformes des procédures 72. Bien qu’en termes de chiffres les réalisations restent aujourd’hui bien en deçà des besoins, les préalables pour une accélération significative du traitement des dossiers d’immatriculation, sont en cours d’approbation ou d’ores et déjà en place. En effet, l’Agence travaille depuis plusieurs années sur un certain nombre de mesures phares, dont les plus importantes sont: a. Un Projet de Loi modifiant la le Dahir de 1913 sur l’immatriculation des immeubles, afin notamment de : o Fixer les délais maximums à chaque étape clé de l’immatriculation (processus complet réduit à environ 8 mois). En accélérant les étapes, l’objectif serait de traiter 80.000 réquisitions par an (au lieu d’un maximum de 30.000 actuellement); la faisabilité de ces objectifs reste à démontrer. o Limiter les oppositions abusives en les rendant passibles de poursuites ; o Rendre obligatoire l’immatriculation dans les périmètres d’immatriculation d’ensemble. b. La mise en œuvre d’une stratégie pour résorber les réquisitions en instance, basée sur la séparation des nouvelles réquisitions (à partir du 1er janvier 2005) des réquisitions passées ; et la mise en place dans au moins 20CFs d’équipes spécialisées, comprenant des Conservateurs chevronnés, dont la mission est de résorber les instances sous trois ans. D’ores et déjà 126.000 parcelles en instance de bornage ont été bornées, ouvrant la voie à 32 la résolution d’autant de réquisitions : soit leur immatriculation ; soit leur annulation s’il y a vice de forme par exemple ; soit en cas de litige, leur transmission à la Justice. c. L’établissement de chambres foncières spécialisées dont les juges seraient formés par l’Agence est envisagée pour traiter des seules questions de l’immatriculation foncière, et ce afin d’éviter l’engorgement des tribunaux que ne manquera pas d’amener une accélération du traitement des instances; auxquelles il faudrait ajouter l’instauration de mécanismes de médiation/conciliation pour accélérer la résolution des conflits. d. L’ouverture de nouveaux services régionaux de la conservation foncière et du cadastre. e. Projet administration en ligne17 : l’ANCFCC a entamé récemment un vaste programme pour réorganiser et adapter son système d’information aux exigences de l’ère de l’internet et du �e-government�. Le but recherché est d’avoir un Système d’Information Intégré de manière à aboutir dans un avenir très proche, à un guichet unique pour l’ensemble des attributions de l’Agence. Il s’agit de mettre en ligne les données détenues par les différents services. A moyen terme, ce sont la réduction des coûts et la simplification des procédures qui sont recherchées, évitant ainsi à ses clients déplacements et attentes inutiles. Trois systèmes sont en cours d’installation: o e-Foncier dédié à la conservation foncière, permettant la consultation en ligne des données juridiques et foncières, ainsi que les images des documents archivés des dossiers fonciers (acte, mention, hypothèque, etc..) o e-Cadastre dédié au cadastre, permettant la consultation en ligne des plans des propriétés foncières, des documents techniques (mappes, croquis de levé, etc…), ainsi que les coordonnées des bornes cadastrales et les procès verbaux de bornage. o e-Carto offrant la possibilité de consulter le font cartographique national. o Programmes d’immatriculation d’ensemble sur trois secteurs d’environ 500.000 ha chacun sont programmés pour une exécution d’ici 2010, avec des appuis extérieurs (Espagne, Autriche et Corée) dont le succès dépendra de la faisabilité des améliorations envisagées pour le cadastre. Ce calendrier parait ambitieux. f. Nouvelle approche cadastrale. La réalisation du cadastre à grande échelle ne pourra se faire qu’en fixant les coordonnées géographiques des parcelles sans levé sur le terrain : enquête juridique et parcellaire avec pose de balises ; photographies aériennes ; et restitution. g. Immatriculation des statuts particuliers. L’Agence a mis en œuvre un programme afin de multiplier par quatre le rythme d’immatriculation des terres des Eaux et Forêts. 17 L’Administration en ligne à l’ANCFCC, M. El Makhchouni, M. El Batane and Mme Lycer, Maroc 33 73. Cet ensemble de mesures est assez remarquable car il cible très étroitement les points faibles de la capacité de l’Agence et de ses procédures. Il démontre un dynamisme certain au sein d’une institution autrefois peu performante malgré des ressources financières longtemps plus que suffisantes. Bien adapté aux zones à bon potentiel économique et en particulier aux zones urbaines, cet ensemble ne prend sans doute pas assez en compte la dichotomie de situation entre milieu urbain de propriétés denses et de forte valeur, et milieu rural de propriétés dispersées et de faible valeur relative, ainsi que les contraintes de tous ordres, économiques, sociaux et culturels, encore fortes dans ces zones souvent restées traditionnelles. b. Le rôle du conservateur foncier 74. Une question échappe cependant, par sa dimension, à la stricte législation, c’est celle de la responsabilité décisive du conservateur dans l’établissement des titres fonciers. Tous les observateurs s’accordent sur l’importance des pouvoirs légaux du Conservateur. Ce sont des pouvoirs quasi juridictionnels. Il peut ne pas radier une réquisition rejetée par le tribunal et ne pas accorder le titre après un jugement positif de la justice. « La décision du conservateur d’immatriculer l’immeuble n’est pas motivée; elle n’est susceptible d’aucun recours…On a pu dire qu’à cet égard, le Conservateur de la propriété foncière est l’autorité dont le pouvoir est, au Maroc, le plus absolu (après celui du Roi en période d’Etat d’exception) puisqu’il décide en dernier ressort et sans donner de motifs ce que ne peut pas faire même la Cour Suprême ».(Pr Decroux). 75. Les pouvoirs considérables du conservateur devraient donc le mettre en position de prendre des décisions audacieuses et rapides et d’impulser l’ensemble du processus d’immatriculation. Or l’encombrement de la phase administrative, l’accumulation des instances et les délais pour aboutir au titre foncier semblent indiquer qu’il ne joue pas vraiment le rôle qui devrait être le sien. Il ne validerait sans attendre que les titres fonciers sur lesquels il n’y aurait pas de ferme opposition. Ce seraient justement le poids de ces pouvoirs sans réel contrôle, la crainte de l’erreur toujours possible dans le cadre de l’exercice solitaire de la décision, et l’absence d’une couverture par une assurance efficace, qui l’inciteraient à une prudence excessive. Dans ces conditions il faudrait envisager une réforme de son statut qui lui permettrait de motiver ses décisions pour le protéger contre son propre arbitraire et qui mettrait en place un efficace fonds d’assurance pour l’aider à exercer sa responsabilité sans prise de risque excessif. 34 CHAPITRE III SPÉCIFICITÉS DE L’IMMATRICULATION EN MILIEU RURAL 76. L’immatriculation en milieu rural se heurte à un certain nombre de difficultés : d’abord la question de l’assainissement juridique des terres sous statuts particuliers (collectives, guich, habous et terres de la réforme agraire) et les difficultés d’immatriculation du melk non encore immatriculé. Du côté de la demande, on constate que les ruraux sont relativement peu motivés à déposer des demandes d’immatriculation. Enfin du côté de l’offre, en plus des lenteurs de la procédure d’immatriculation et de l’accumulation des dossiers en instance, on constate une concurrence exercée par l’immatriculation en milieu urbain au détriment de celle en milieu rural. a. L’assainissement juridique des terres de type collectif et des lots de réforme agraire 77. Cet assainissement est en cours, suivant deux procédures : (i) les terres collectives de superficie supérieures à 500 ha font l’objet de délimitation administrative (Dahir du 18 février 1924), menée par les services spécialisés du Ministère de l’Intérieur à titre gratuit (sauf coût des topographes) ; (ii) les terres collectives dont la superficie est inférieure à 500 ha. Pour celles-ci, la tutelle fait appel à l’immatriculation (à un coût pour les collectivités, de 645 dhs de frais fixes plus 7500 dhs/ha dans le rural et 15000dhs/ha dans l’urbain et le périurbain). Le Tableau 20 présente les progrès de l’assainissement juridique des terres colectives. Tableau 20 : Etat d’avancement de l'apurement des terres collectives Catégorie de terr e selon le degré d’apurement Superficie (ha) Pourcentage Terres immatriculées 191.000 2% Terres pour lesquelles réquisition d’immatriculation a été 306.000 3% déposée Terres délimitées 821.000 8% Terres dont la délimitation est en cours d’homologation 2.468.000 25% Terres présumées collectives recensées 1.044.000 11% Terres présumées collectives non recensées 5.000.000 51% Objectif d’assainissement des terres collectives 9.830.000 100% Total Terres Collectives Présumées 12.000.000 Source : Aspect Juridique et Réglementaire des Collectivités Ethniques et du Patrimoine Collectif Direction des Affaires Rurales 78. Sur 2017 lots de la réforme agraire distribués avant 1966, seuls 119 ont été immatriculés au nom de leur bénéficiaire18. Sur 20.805 lots distribués après 1966, environ 7.000 soit 56% ont été immatriculés. 18 Minagri 1 p.39 35 b. Les défis de l’immatriculation du melk non encore immatriculé 79. Après une relative stagnation (environ 9000 titres fonciers par an sur la période 2001- 2004, les immatriculations se sont accélérées ces dernières années, passant à quelques 15.000 en 2005 et 20.000 en 2006. Au total, selon les chiffres de l’Agence de Conservation Foncière, le Maroc a pu immatriculer 284.000 parcelles depuis 1915, pour 2,8 millions d’hectares soit environ 32% de la superficies agricole (SAU) totale. A partir de ces parcelles immatriculées, 160.000 titres supplémentaires correspondant à 0.9 million d’hectares soit 10% de la SAU déjà immatriculée, ont été produits à la suite de morcellement. Le milieu rural compte donc à ce jour 445.000 titres fonciers (Voir Tableau 21). Tableau 21 : Progrès de l’immatriculation depuis 1915 : réquisitions, titres d’immatriculation, titres de morcellements19 Période 1915-2006 Nombre de parcelles % des parcelles Réquisitions Déposées 635.249 17.7% Titres fonciers immatriculation 284.385 7.9% Titres fonciers morcellements 161.159 4.5% Source : Statistiques de l’ANCFCC 80. Notons que ces chiffres basés sur le nombre d’exploitations et d’une estimation moyenne de 2,5 parcelles par exploitation surestiment sans doute le taux d’immatriculation. Ils sont à rapprocher du calcul fait au Tableau 2.4, qui n’est pas strictement agricole, qui lui indique un taux d’immatriculation de 9%, mais basé sur une période s’arrêtant en 2002. Vue la grande incertitude sur le nombre total de parcelles rurales, il est sans doute prudent d’adopter un chiffre d’environ 10 % de parcelles immatriculées en milieu rural, tout en reconnaissant que ce chiffre même s’il pêche par inexactitude, donne un ordre de grandeur utile à la réflexion. 81. La performance de l’immatriculation en zone rurale à ce jour doit être relativisée. L’unité de mesure qui compte ce n’est pas l’unité de surface (hectare) mais la parcelle puisque, qu’elle soit petite ou grande, ce sont les mêmes démarches, les mêmes délais et aussi approximativement les mêmes coûts qui sont nécessaires pour mener à bien l’immatriculation de chaque unité. Si l’on veut mesurer l’ampleur de ce qui reste à faire pour généraliser le titre foncier c’est donc la part en nombre de parcelles non titrées qui est significative. Malgré l’ampleur du travail réalisé en termes de superficie (32%), il reste qu’environ 90% des parcelles melk n’ont pas de titre. 82. Circonstance aggravante, les parcelles déjà immatriculées sont beaucoup plus grandes (8.4 ha) que celles restant à immatriculer (1.6 ha). Or, la superficie moyenne des propriétés immatriculées n’a cessé de se réduire depuis le début de l’immatriculation. Sur la durée du protectorat (1916-1956) la moyenne reste de 31,7 ha. Par la suite, la superficie moyenne 19 Calculs sur la base du nombre d’exploitations du Tableau 4.1. Un titre foncier par parcelle foncière. Nombre de parcelles estimé dans l’hypothèse de 2,5 parcelles foncières en moyenne par exploitation (soit 3.579.250 parcelles). 36 diminue considérablement : elle se situe aux environs de 4,4 ha ces dix dernières années (Voir Tableau 22). On estime que la superficie moyenne des parcelles restant à immatriculer est de 1,6 ha. On peut donc s’attendre à ce que le coût à l’hectare déjà élévé, augmente, si l’ANCCF ne parvient pas à comprimer ses coûts. Tableau 22 : Progrès de l’immatriculation (1915-2006) I. Nbre total II. Superf III.Nbre IV.Superf/an V.Superf titres fonciers totale (ha) titres (ha) moyenne par fonciers/an titres fonciers 1916-1926 2,805 266,648 255 24,241 95.1 1927-1936 20,949 892,266 2,095 89,227 42.6 1937-1946 14,185 411,069 1,419 41,107 29.0 1947-1956 22,296 339,376 2,230 33,938 15.2 1957-1966 19,227 126,569 1,923 12,657 6.6 1967-1976 25,509 116,565 2,551 11,657 4.6 1977-1986 44,468 127,254 4,447 12,725 2.9 1987-1996 42,146 110,659 4,215 11,066 2.6 1997-2006 70,984 313,480 7,887 34,831 4.4 Source : Statistique des réquisitions et titres fonciers entre 1915 et 2006. ANCFCC. 83. De plus, la situation d’indivision est une source de complications et de coûts supplémentaires qu’il convient de ne pas sous estimer. Le service de la Conservation Foncière, dans le cadre d’une immatriculation, a à faire un travail considérable pour déterminer avec précision les quote-parts indivises de chacun dans le titre. La cascade des décès rend parfois ce calcul totalement hors de proportion avec les intérêts en cause : ainsi la Conservation Foncière de Khemisset, a-t-elle fait état de propriétés indivises de 15 ares avec 24 personnes dont le coût du traitement est sans aucune mesure avec le temps passé. 84. On est conduit à déduire que la partie la partie de l’immatriculation déjà réalisée a porté sur le plus facile : parcelles et donc propriétés de bonnes dimensions et à fort potentiel économique. La tâche qui reste à accomplir est extrêmement lourde: les 9/10ème des parcelles à traiter sont de plus en plus petites et chargées d’héritiers indivis. Enfin de compte, l’immatriculation est-elle le bon outil pour la très petite propriété indivise ? c. Des ruraux peu motivés à déposer des réquisitions 85. Le dépôt des réquisitions peut être considéré comme un signe de l’intérêt des populations pour la sécurisation par le titre, à condition de ne retenir que la réquisition ordinaire car elle seule est à la fois, individuelle, volontaire et payante. Ceux qui prennent le risque d’adopter une procédure dont ils connaissent la durée, les risques de contentieux et de rejet, et le prix, peuvent être présumés motivés pour une sécurisation par le titre. On constate (Tableau 23), une augmentation de la demande de réquisitions facultatives sur les derniers 10 ans, mais la progression est lente. Il est probable que la progression de la demande du fait de l’augmentation 37 du besoin de sécurisation, liée à la montée d’exploitations agricoles nouvelles, plus dépendantes du marché et du crédit, est freinée par le faible rendement de l’immatriculation. Tableau 23 : Estimation de la demande d’immatriculation ordinaire Années Réquisitions Total des % des ordinaires réquisitions réquisitions 1915-2006 413.234 1997 9.402 27.244 34,5% 1998 9.700 14.889 65,1% 1999 10.157 14.804 68,6% 2000 11.523 21.608 53,3% 2001 13.643 21.257 64,2% 2002 14.763 25.828 57,2% 2003 11.920 19.283 61,8% 2004 11.480 27.700 41,4% 2005 11.771 18.367 64,1% 2006 18.119 31.035 58,4% Total 97-06 122.478 222.015 55,2% Total 15-06 635.249 Moy.97-06 22.202 Moy.15.06 6.905 Source : calculs basés sur les statistiques de l’ANCFCC 86. De même, il est probable que le coût de l’immatriculation, en particulier pour les petites propriétés, soit un autre facteur dissuasif. Pour les parcelles de moins de 5 ha, il représente un pourcentage du prix du terrain plus élevé dans le rural que dans l’urbain (Voir Tableau 24). Même si on peut raisonnablement présumer que l’immatriculation élève la valeur du bien foncier, le prix à payer, pour un gain hypothétique, reste trop élevé et décourage sans doute les propriétaires non encore pourvus de titres fonciers. 38 Tableau 24 : Coût de l’immatriculation en pourcentage de la valeur du terrain Parcelles Urbaine Rurale Superficie 2 ares 10 ares 5ha 1ha 0.5ha Valeur 100.000 drh 500.000 drh 100.000 drh 20.000 drh 10.000 drh Droits de la CF (drh) 2.440 10.800 2.575 945 773 Droits CF en % valeur terrain 2,4% 2,2% 2,5% 4,7% 7,8% Droits d’enregistrement 5000 25000 5000 1000 500 Total des droits 7440 35800 7575 1945 1273 Total en % valeur terrain 7.4% 7.2% 7.6% 9.7% 12.7% Source : calculs basés sur le Tableau 16. 87. L’effet dissuasif du coût se traduit également par un défaut de mise à jour qui affecte 40% des titres régulièrement inscrits. Il s’agit le plus souvent de la non inscription d’un événement (un décès par exemple) qui affecte la liste des propriétaires indivis et la quotité de leurs parts. Ce défaut rend impossible tout partage entre les héritiers, toute vente globale ou partielle et même toute sortie d’indivision. Le bien est totalement immobilisé. d. La concurrence de l’immatriculation urbaine 88. L’expansion urbaine rapide entraîne une demande d’immatriculation forte, exigeant un meilleur rendement de l’Agence. Cette demande s’exprime surtout à travers les demandes de morcellement, opération plus aisée et rentable que l’immatriculation de départ. En effet, comme on l’a vu dans la Partie II, l’établissement des titres fonciers issus du morcellement représente la charge d’activité principale de l’administration foncière et cette activité concerne avant tout le milieu urbain (96% des titres issus du morcellement). Il n’est donc pas surprenant que, pour l’essentiel, les ressources humaines, financières et techniques des Conservations Foncières soient mobilisées pour répondre à la demande des villes. Et que, par voie de conséquence, l’immatriculation rurale n’apparaisse pas comme une forte priorité, d’autant qu’elle est beaucoup moins rentable pour l’Agence, dans la mesure où les titres en milieur rural donne lieu à peu d’opérations subséquentes rémunératrices, comparé à l’urbain.20 89. Toutefois, on ne peut à la fois demander à l’Agence foncière de rechercher la rentabilité et l’autonomie financière et lui reprocher, de privilégier les activités dans lesquelles la demande est la plus forte et la plus rémunératrice. Une politique de relance de l’immatriculation dans le domaine rural devrait conduire à la soustraire à la concurrence avec l’immatriculation urbaine, c'est-à-dire à découpler les deux missions en affectant à la sécurisation dans le rural des équipes et des budgets spécifiques. 20 Taleb Bensouda Koraîchi,, haut fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture, intervenant dans le cadre du Symposium de la Banque Mondiale à Barcelone (22-25 septembre 1986) sur « la gestion foncière au Maroc et en Tunisie » signale sans ambiguïté les effets de cette compétition : «Cette intéressante procédure (l’immatriculation d’ensemble)… fut abandonnée pour laisser la priorité à l’immatriculation régulière dans les zones urbaines où la demande était sans cesse croissante, suite à l’urbanisation accrue qu’a connue le Maroc dans les années 70 ». 39 90. Pour conclure il apparaît clairement que les obstacles à l’extension de l’immatriculation sont tels que sa généralisation en zones rurales semble inaccessible dans un horizon proche. L’immatriculation a bien fonctionné en milieu rural pour la grande propriété, principalement coloniale, avec des exploitations à forte concentration de capital et valeur ajoutée élevée. Elle a fonctionné également pour les entrepreneurs demandeurs, pour lesquels l’accès au titre est un moyen d’accéder à l’investissement et aux transactions. Ce qui pose problème dans le cas du Maroc rural ce n’est pas l’immatriculation lorsqu’elle se cantonne aux conditions qui lui conviennent, c’est l’idée même de généralisation qui va nécessairement englober des espaces pour lesquels ces conditions ne sont pas réunies. 40 CHAPITRE IV LES OPÉRATIONS D’IMMATRICULATION D’ENSEMBLE 91. L’immatriculation d’ensemble (IE) est une forme particulière de l’immatriculation ordinaire prévue par le dahir de 1913, dont elle partage l’esprit et une grande partie des dispositions. Elle est régie par le dahir N° 1.69.174 qui fait partie du grand code des investissements agricole du 25 juillet 1969. Elle s’inscrit donc dans l’orientation volontariste et interventionniste du code et de la période. Le code avait pour objet de réunir les instruments d’une intervention forte de l’Etat, principalement dans les grands périmètres d’irrigation pour y intensifier la production. La sécurisation de la propriété par le titre foncier était considérée comme une condition de l’intensification. La progression de l’immatriculation ordinaire était jugée trop lente et l’adoption de cette nouvelle procédure avait pour objectif évident d’accélérer l’établissement des titres fonciers, comme l’exprime un cadre du ministère de l’Agriculture déjà cité : « Afin d’accélérer l’immatriculation des terres agricoles…un dahir a été promulgué le 25 juillet 1969 pour instaurer la procédure d’immatriculation d’ensemble. Cette intéressante procédure qui a permis d’immatriculer jusqu’en 1972 une superficie de 111.274 ha, fut abandonnée pour laisser la priorité à l’immatriculation régulière dans les zones urbaines ou la demande était sans cesse croissante, suite à l’urbanisation accrue qu’a connue le Maroc dans les années 7021 ». a. Les caractéristiques de la procédure d’immatriculation d’ensemble : 92. L’immatriculation d’ensemble diffère de la procédure précédente par le fait qu’elle adopte une approche systématique, destinée à couvrir la totalité d’une zone choisie et non plus une approche ponctuelle à la demande d’un requérant. Les opérations sont groupées, ce qui permet de gagner du temps et de réduire les coûts. Elles sont gratuites, sauf pour les inscriptions d’oppositions, ce qui est destiné à décourager les opposants. 93. L’immatriculation d’ensemble comprend un certain nombre d’étapes préliminaires, à savoir : o Le choix du secteur sur la base de critères tels que le faible pourcentage d’immatriculations et le potentiel économique important. o La délimitation du secteur sur fond cartographique o La vulgarisation de l’opération auprès des autorités locales. o La sensibilisation des bénéficiaires. o La réalisation de la couverture aérienne. o L’appel d’offres pour la réalisation de l’immatriculation : les travaux de levé et l’établissement des plans cadastraux sont confiés au secteur privé. 94. Une fois l’arrêté d’ouverture du secteur publié, les opérations groupées démarrent selon les étapes décrites ci-après : 21 Taleb Bensouda Koraîchi ; Barcelone 22-25 septembre 1986. 41 o Enquêtes parcellaires : après les avoir identifié sur les photos aériennes (travail de bureau), l’enquêteur procède à la délimitation des parcelles en présence des propriétaires, des riverains et des représentants de l’autorité locale, puis à la matérialisation par des bornes. Tout est documenté et transmis au Cadastre pour contrôle. o Enquêtes juridiques : identification des propriétaires effectifs des parcelles et des titulaires des droits réels ; recueil des actes ou à défaut établissement d’actes notariés ; recueil des oppositions ; établissement des demandes (réquisitions) d’immatriculation en présence des intéressés. Les documents d’enquêtes et les réquisitions sont déposés à la CF pour contrôle et traitement. o Etablissement des plans: les travaux de levé sont effectués et les plans cadastraux déposés au Cadastre pour contrôle. o Bornage : Après publication de l’état parcellaire au BO, un programme de bornage est établi pour l’ensemble du secteur, notifié au caid et au tribunal pour affichage et les propriétaires sont convoqués. Etant donné que, suite aux enquêtes parcellaires et juridiques le délégué du conservateur possède déjà les éléments pour procéder au bornage, cette opération peut être faite en l’absence des propriétaires. Les PV de bornage sont transmis à la CF pour contrôle et clôture du secteur. o Clôture : un avis de clôture de l’ensemble du secteur est publié au BO. Deux mois après la publication de l’avis, le Conservateur procède à l’immatriculation des réquisitions non litigieuses. Celles contestées sont transmises au tribunal. 95. Le coût de cette opération, selon un estimation approximative réalisée par Intélec, serait de 5403 dirham, soit 72% du coût de l’immatriculation ordinaire (7532 Dh par parcelle), les économies provenant du travail groupé des topographes recrutés par marché (Voir Tableau 25). Tableau 25 : Coût par parcelle de l’immatriculation d’ensemble Opération (par parcelle) Montant (drh) Commentaires Immatriculation d’ensemble Chaîne foncière 4.603 Estimation n’intégrant pas les économies d’échelle Chaîne cadastrale 800 En tenant compte des marchés confiés aux ingénieurs géomètres topographes Total 5.403 Source : estimation Intélec 96. Le texte de 1969 sur l’IE, contrairement à celui de 1962 sur le remembrement n’institue pas l’obligation d’immatriculer. Certes, avoir institué une procédure non autoritaire est à mettre au compte de la líbéralisation. Mais l’existence de parcelles dont les propriétaires ne demandent pas l’immatriculation au milieu des zones d’immatriculation d’ensemble représente un désavantage technique considérable. Pour atténuer cet effet négatif le texte de 1969 a créé une incitation à l’immatriculation. Les opérations d’immatriculation d’ensemble ne sont gratuites 42 qu’à condition que les réquisitions d’immatriculation soient souscrites dans un délai d’un an à compter de la date de publication au Bulletin Officiel (article 3). b. L’immatriculation d’ensemble a-t-elle permis une accélération de l’établissement des titres fonciers ? 97. C’est en fait la question la plus importante puisque cette accélération est le motif principal d’adoption de cette nouvelle procédure. Ces résultats montrent que cette nouvelle procédure ne fait pas mieux que la procédure d’immatriculation volontaire, au contraire. o Les titres fonciers des zones d’immatriculation d’ensemble ne représentent, en moyenne sur 10 ans (1997-2006) que 8,8% de la totalité des titres établis. Cependant la performance s’est nettement améliorée au cours du second quinquennat. Elle passe de 363 titres fonciers /an entre 1997 et 2001 à 1937 entre 2002 et 2006. o Le rendement de l’IE (Rapport titres fonciers établis aux réquisitions déposées, calculé sur les 5 dernières années, qui sont les plus performantes, n’est que de 29%, un résultat bien inférieur à celui de l’immatriculation volontaire (64%) (Voir Tableau 26).. L’IE ne produit en moyenne qu’un seul titre foncier pour 3 réquisitions déposées. Il en résulte une montée des réquisitions de l’immatriculation d’ensemble en instance qui passent de 9732 en 1997 à 41066 en 2006. Il est à noter que les rendements tendent à s’améliorer (rendement moyen de 54% pour la période 99-06 comparé à 44% pour la période 97-06). 98. Créée pour suppléer aux lenteurs et aux faiblesses de l’immatriculation volontaire, elle n’a pas atteint cet objectif. L’IE n’est donc pas susceptible de prendre le relais de l’immatriculation volontaire pour relancer la production des titres fonciers. 43 Tableau 26 : Rendement comparé de l’immatriculation d’ensemble et de l’immatriculation ordinaire (après deux années) Milieu rural Rendement Immatriculation Immatriculation (après 2 annés*) d’ensemble Remembrement facultative Sous-total 1997 NA NA NA 45% 1998 NA NA NA 23% 1999 NA 4% 40% 17% 2000 NA 8% 36% 27% 2001 NA 34% 63% 59% 2002 12% 31% 63% 42% 2003 7% 256% 51% 45% 2004 25% 38% 43% 37% 2005 87% 61% 77% 76% 2006 34% 116% 92% 72% Rendement après 2 an* (1999-2006) 29% 73% 64% 54% Rendement après 2 ans* (1997-2006) NA NA NA 44% Rendement même année ** (1997-2006) 25% 35% 50% 41% Notes : * Titres délivrés en année N comparés aux réquisitions reçues en année N-2 ** Titres délivrés en année N, comparés aux réquisitions reçues la même année Source : calculs basés sur les statistiques de l’ANCFCC 44 CHAPITRE V VERS UNE STRATÉGIE GLOBALE DE SÉCURISATION FONCIÈRE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE Vers une stratégie globale de sécurisation foncière : propositions sur la base des réformes engagées (Voir Tableau 27). 99. L’immatriculation de la propriété foncière restera l’instrument le plus efficace d’une sécurisation pour le développement économique. Mais on ne peut envisager de faire de sa généralisation une priorité du fait de sa complexité, de ses délais et de ses coûts. Il faut donc la conserver dans sa forme actuelle, payante et volontaire, même si des subventions peuvent être envisagées dans certaines zones ou dans le cas de demandes groupées d’agriculteurs (voir ci- dessous). Elle ne manquera pas de s’étendre au fur et à mesure que les propriétés-exploitations atteindront le seuil économique qui rend le titre foncier attractif et financièrement accessible. Il convient donc de prendre les mesures qui s’imposent pour améliorer les procédures de l’immatriculation par : 100. Réduction des délais d’obtention du titre foncier. Cette réduction peut être obtenue de deux façons : (i) En diminuant les délais de la procédure purement administrative gérée par l’ANCFCC. Il faudra pour cela renforcer les moyens des Conservations foncières et donner aux conservateurs les moyens de décider plus vite sans encourir de risques excessifs. Il est en effet possible que les décisions des conservateurs soient rendues plus hésitantes par le poids énorme de leurs responsabilités légales (voir plus-haut). (ii) En réduisant les contentieux (encourager les solutions amiables et transactionnelles) et le nombre des recours aux tribunaux. Ces recours sont, on l’a vu, quantitativement peu nombreux. Pour les cas ou la phase judiciaire ne peut être évitée, améliorer le rendement de la justice en créant des tribunaux immobiliers spécialisés, en renforçant les effectifs, la qualification et l’indépendance de droit et de fait des personnels (juges et auxiliaires de justice) 101. Au niveau de la procédure, il s’agirait de o Réduire les délais de mise à jour des inscriptions sur les livres fonciers par tous les moyens efficaces possibles : établir une taxe d’enregistrement des inscriptions dont le niveau croit avec le retard (par exemple inscription d’un décès) ; rendre plus coûteuse toute opération sur le bien (vente, location, inscription d’hypothèque) en cas de défaut d’inscription 45 Tableau 27 : Synthès es principales réformes juridiques engagées par l’Etat marocain sur l’immatriculation et la moulkiya Catégorie Texte Problématique Réforme du Cadre Législatif De loi Disposition clé Texte y afférent Institution Initial responsable Immatriculation Dahir du Rendre la procédure Ouverture de zones Projet de loi modifiant et complétant le ANCFCC 12 août d’immatriculation d’immatriculation Dahir sur l’immatriculation des immeubles 1913 plus opérationnelle et obligatoire ; efficace afin d’en Fixation des délais élargir la couverture qui s’imposent à la et résorber les Conservation nombreuses Foncière ; réquisitions en Pénalisation des instance demandes d’immatriculation et oppositions abusives. Droits réels Dahir Unifier et codifier le Projet de loi sur les droits réels immobiliers Ministère de la 1915 droit musulman ; Justice incorporer les deux régimes (non immatriculés et immatriculés) dans un seul code. Recourir à un acte authentique unifié Réforme du Dahir du Réglementer la Création de l’Ordre Dahir du 2 mai 2006 réglementant la Ministère de la témoignage 6 mai profession des adouls National des profession des adouls Justice 1982 ADOULS Elévation du niveau requis de formation des adouls Sécurisation des actes adoulaires - 46 - o Rendre effective la responsabilité du Conservateur pour protéger les titulaires de droits fonciers contre les risques d’erreur ou de faute de sa part car son pouvoir dans l’attribution du Titre est énorme et sans contrôle suffisant. Mais, à l’inverse, il est nécessaire de protéger les décisions du Conservateur en cas d’erreur par une assurance appropriée afin de lui restituer une capacité de décision plus grande et plus rapide. o Découpler les services et le financement de l’immatriculation dans le rural et dans l’urbain, de façon à libérer l’immatriculation rurale de la concurrence puissante de la demande urbaine. 102. Cependant, toutes les réformes ayant pour objet d’améliorer l’efficacité de l’immatriculation et d’en réduire le coût ne doivent avoir pour conséquence de réduire la sécurité du titre. L’immatriculation est le pole d’excellence de la sécurisation. Il doit le rester, quitte à laisser à d’autres formes plus légères le soin d’assurer une sécurité relative, plus expéditive et moins coûteuse. a. L’immatriculation d’ensemble n’est pas une solution aux difficultés de l’immatriculation ordinaire. 103. Pourtant, en bonne logique, les réductions de durée et de coût, qui résultent des économies réalisées par le regroupement, dans le temps et dans l’espace, des opérations de l’immatriculation d’ensemble, devraient les rendre bien plus performantes que l’immatriculation ordinaire. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’immatriculation d’ensemble ne peut prendre efficacement le relais de l’immatriculation volontaire dans la recherche de la généralisation du titre foncier à tout le territoire. 104. L’immatriculation d’ensemble pourrait garder son utilité dans des zones de forte concentration d’exploitations à haut potentiel. Dans ces situations, les économies d’échelle, couplées à des améliorations techniques, pourraient la justifier. Mais dans ce cas, la gratuité n’est sans doute pas nécessaire. 105. La solution optimale pour l’Etat serait de mettre en place une politique de facilitation d’accès aux droits de propriété, fondée sur le ciblage des exploitants qui ont besoin d’un titre parce qu’ils souhaitent investir et valoriser leur terre, mais qui sont découragés par la lourdeur de la procédure et par les frais qui leur paraissent prohibitifs. L’enquête réalisée dont les résultats sont présentés dans le Volume III de cette étude montre en effet que l’impact de la distribution massive de titres dans le cadre d’opération d’immatriculation d’ensemble est limité, même à Sefrou, voire négligeable (Meknès). Par contre, les exploitants qui ont fait la démarche volontaire de demander un titre, investissent nettement plus que ceux qui n’ont pas fait cette démarche. L’Etat devrait donc faciliter le processus d’acquisition des titres pour ces personnes en renforçant les capacités de l’Agence (ANCFCC) afin de réduire les délais de la procédure, et peut être d’envisager une subvention pour l’acquisition des titres, afin d’en réduire le coût. Une telle subvention (qui pourrait être financée par les opérations d’immatriculation en zones urbaines et semi-urbaines, qui sont très rentables) constituerait un meilleur usage des financements de l’Etat (que l’immatriculation d’ensemble) dans la mesure où elle s’adressera à - 47 - des agriculteurs qui veulent un titre pour investir, au lieu de distribuer des titres à ceux qui ne sont pas en mesure de les utiliser pour améliorer leurs revenus. En somme, il s’agit de basculer d’une logique de distribution ponctuelle fondée sur un ciblage géographique (opération d’immatriculation d’ensemble) à une logique de distribution régulière fondée sur un ciblage des demandeurs motivés. 106. Afin de profiter des avantages de l’opération d’immatriculation d’ensemble (rendement croissant) tout en surmontant sa principale limite (absence de ciblage pertinent), il serait intéressant d’expérimenter une nouvelle procédure d’immatriculation. Celle-ci consisterait à réduire les frais d’immatriculation pour des groupes d’agriculteurs voisins qui manifesteraient collectivement leur volonté d’obtenir un titre de propriété. Les frais d’immatriculation seraient ainsi décroissants avec la taille du groupe soumettant conjointement leurs demandes. Cette procédure d’immatriculation volontaire groupée présenterait de nombreux avantages : tout d’abord, elle permettrait d’identifier les agriculteurs véritablement motivés par la possession d’un titre ; ensuite, son caractère groupée serait à l’origine d’économies d’échelle, comme dans le cas des opérations d’immatriculations d’ensemble ; enfin, elle suppose que le groupe d’agriculteurs entre dans une logique coopérative, et règle en amont les conflits potentiels avant de s’adresser à la conservation foncière. Ceci aurait pour conséquence de fluidifier la procédure d’immatriculation à travers une réduction des délais et des coûts. b. La sécurisation par la réforme de la moulkiya: une priorité. 107. La sécurisation du melk non immatriculé passe par une réforme des institutions qui revaloriserait le statut des principaux agents et rationaliserait l’inscription et la conservation des preuves. C’est ce que le gouvernement a commencé à faire avec les dahirs sur le statut des adouls et avec le projet de code des droits réels, non encore adopté (voir Volume I). Si les textes sont appliqués avec rigueur la fonction d’Adel sera soumise : • à une organisation stricte du recrutement et de la profession (Création d’un ordre national des adoul), • à des règles précises de procédure concernant, la rédaction des textes, leur validation par le cadi, leur conservation centralisée, • à une exigence forte de probité assortie de sanctions. 108. La preuve testimoniale pourra alors retrouver la crédibilité nécessaire à la sûreté des actes adoulaires. En plus du renforcement de la fonction des adoul, le nouveau système d’enregistrement de la moulkiya aboutira à une meilleure précision de la localisation et des limites des parcelles et à une amélioration de la publicité faire autour de cet acte. Ainsi une sécurisation sans immatriculation pourra être envisagée. 109. En effet, au lieu de mettre l’accent sur la déposition de la réquisition d’immatriculation et de considérer la moulkiya réformée uniquement considérée comme une passerelle vers l’immatriculation, la nouvelle disposition du proposé dans le projet de Code pourrait utilement créer un système de sécurité à deux niveaux, avec un système de sécurisation intermédiaire entre l’ancienne moulkiya et le titre foncier. - 48 - • Un niveau de forte sécurisation offrant le maximum de garantie (titre inattaquable, purge des doits) qui est donné par le système de l’immatriculation existant et qui resterait facultatif et payant. • Un niveau de moindre garantie (simple publication avec opposabilité aux tiers) qui devrait satisfaire aux exigences les plus courantes mais qui serait obligatoire dans le cadre de toute formalité touchant un immeuble ; son coût devra être modéré. Le choix entre ces deux niveaux serait laissé à l’initiative de l’usager. 110. La condition impérative pour obtenir une opposabilité aux tiers dans le régime intermédiaire est d’obliger les rédacteurs de l’acte à publier à la conservation foncière tout acte modifiant le statut juridique des parcelles préalablement cadastrées. Cette publicité n’entraîne nullement la preuve du droit dont le fondement est laissé à l’appréciation souveraine des tribunaux. Elle n’a d’autre objet que d’informer le public et de rendre les actes opposables aux tiers. La conservation foncière devrait pouvoir gérer conjointement les deux systèmes de l’immatriculation et de la simple publication et être responsable à la fois de la délivrance des titres de propriété immatriculés et des titres de propriété publiés 111. Cette proposition a de multiples avantages. Elle permettrait de : • créer un niveau intermédiaire de sécurisation, plus simple, moins coûteux plus adapté à l’immense majorité des propriétaires melk non immatriculés qui sont de faibles dimensions et de revenus modestes ; et • poursuivre l’objectif national d’unification des régimes fonciers en élargissant la compétence de la conservation foncière et en généralisant le cadastre national. 112. Ainsi ce niveau de sécurisation intermédiaire, s’il était intégré au système musulman par les biais de l’acte rédigé par les adoul, pourrait jouer un rôle actif dans la sécurisation du melk non immatriculé. Il le jouerait d’autant mieux qu’il dépasserait la forme technique de sa formulation pour mieux tenir compte des conditions sociales en associant plus activement les institutions et la population. Par exemple les institutions modernisées (Cadi et adoul) auraient la capacité de délivrer les titres publiés quitte à ce que ceux-ci soient ensuite inscrits sur un registre tenu dans les conservations foncières. - 49 - ANNEXE Tableau A- 1 : Réquisitions déposées depuis 1915, détails 1997-2006 (Nombre de dossiers d’immatriculation) Milieu rural Milieu urbain Total Immatricule Immatricule Immatricule d’ensemble Remembrement facultative Sous-total facultative 1915-1996 413,234 109,779 523,013 1997 0 17,842 9,402 27,244 4,688 31,932 1998 0 5,189 9,700 14,889 4,032 18,921 1999 0 4,647 10,157 14,804 4,366 19,170 2000 6,256 3,829 11,523 21,608 4,856 26,464 2001 6,781 833 13,643 21,257 5,728 26,985 2002 6,860 4,205 14,763 25,828 4,823 30,651 2003 3,641 3,722 11,920 19,283 4,922 24,205 2004 11,713 4,507 11,480 27,700 5,256 32,956 2005 5,037 1,559 11,771 18,367 5,252 23,619 2006 7,041 5,875 18,119 31,035 7,855 38,890 Total 97-06 47,329 52,208 122,478 222,015 51,778 273,793 Total 15-06 635,249 161,557 796,806 Source : Statistiques de l’ANCFCC - 50 - Tableau A- 2 : Titres fonciers obtenus depuis 1915, détails 1997-2006 (Nombre de titres) Milieu Milieu rural urbain Total Immatricule Immatricule Sous- Immatricule d’ensemble Remembrement facultative total facultative 1915-1996 193,537 68,588 262,125 1997 365 1,589 3,781 5,735 3,453 9,188 1998 511 1,533 2,986 5,020 2,976 7,996 1999 134 652 3,752 4,538 3,288 7,826 2000 86 441 3,518 4,045 3,193 7,238 2001 721 1,582 6,386 8,689 6,134 14,823 2002 762 1,182 7,225 9,166 5,720 14,886 2003 476 2,132 6,904 9,512 5,821 15,333 2004 1,722 1,580 6,380 9,682 4,827 14,509 2005 3,152 2,272 9,173 14,597 4,966 19,563 2006 4,029 5,233 10,602 19,864 5,946 25,810 Total 97-06 11,958 18,196 60,707 90,848 46,324 137,172 Total 15-06 284,385 114,912 399,297 Source : Statistiques de l’ANCFCC - 51 - Tableau A- 3 : Evolution du traitement des réquisitions depuis 10 ans Réquisitions Transmises au Réquisitions titres fonciers Nouvelles Réquisitions Année déposées tribunal annulées établis instances en instance 257,611 1997 31,932 1,943 1,882 9,188 18,919 276,530 1998 18,921 1,244 879 7,996 8,802 285,332 1999 19,170 1,320 2,884 7,826 7,140 292,472 2000 26,464 998 526 7,238 17,702 310,174 2001 26,985 1,793 1,989 14,823 8,380 318,554 2002 30,651 1,691 4,792 14,889 9,279 327,833 2003 24,205 1,682 1,423 15,333 5,767 333,600 2004 32,956 1,458 2,245 14,509 14,744 348,344 2005 23,619 2,239 2,826 19,563 -1,009 347,335 2006 38,890 1,875 2,694 25,810 8,511 355,846 Note: Pour l'année 1997, les réquisitions en instance fournies (263,146) diffèrent des réquisitions calculées Source : Statistiques de l’ANCFCC - 52 - Tableau A- 4 : Ventilation des réquisitions traitées : transmises au tribunal, annulées, titrées ou en instance (cumul jusqu’à 1996, puis de 1997 à 2006) Réquisitions Transmises au Réquisitions titres fonciers Nouvelles Réquisitions en Réquisitions Titres Année déposées tribunal annulées établis instances instance cumulatives cumulatifs 1996 257,611 523,013 262,122 1997 31,932 1,943 1,882 9,188 18,919 276,530 554,945 271,310 1998 18,921 1,244 879 7,996 8,802 285,332 573,866 279,306 1999 19,170 1,320 2,884 7,826 7,140 292,472 593,036 287,132 2000 26,464 998 526 7,238 17,702 310,174 619,500 294,370 2001 26,985 1,793 1,989 14,823 8,380 318,554 646,485 309,193 2002 30,651 1,691 4,792 14,889 9,279 327,833 677,136 324,082 2003 24,205 1,682 1,423 15,333 5,767 333,600 701,341 339,415 2004 32,956 1,458 2,245 14,509 14,744 348,344 734,297 353,924 2005 23,619 2,239 2,826 19,563 -1,009 347,335 757,916 373,487 2006 38,890 1,875 2,694 25,810 8,511 355,846 796,806 399,297 Moyenne 27,379 1,624 2,214 13,718 9,824 Pourcent 100 6 8 50 36 Note: Pour l'année 1997, les réquisitions en instance fournies (263,146) diffèrent des réquisitions calculées (source : ANCFCC) Source : Statistiques de l’ANCFCC - 53 - Tableau A- 5 : Les affaires jugées, civiles et immobilières, entre 1997 et 2002 Années 1997 1998 1999 2000 2001 2002 Nbre d’affaires civiles jugées 491632 483399 537789 544046 550638 669888 Nbre d’affaires immob jugées 8062 7296 8439 9001 15053 11125 Part des aff immob / aff civiles 1,6% 1,5% 1,6% 1,6% 2,7% 1,6% Evolution des aff immob 100 90,5 104,6 111,6 186,7 137 Evolution des aff civiles 100 98 109 111 112 136 Source : Annuaire Statistique National - 54 -