42001 Ce que l'Afrique doit faire pour stimuler la croissance et créer plus d'emplois bien rémunérés Des décennies de stagnation de la croissance économique ont freiné les efforts de réduction de la pauvreté en Afrique. La croissance n'a pas entraîné la création de suffisamment d'emplois bien rémunérés qui auraient permis d'augmenter le revenu du nombre croissant de travailleurs africains. La faible demande de main-d'oeuvre du secteur formel résulte d'une variété de contraintes sur les salaires, l'éducation et l'investissement, telles que le manque de flexibilité des salaires entre secteurs, la pénurie de travailleurs dotés des compétences appropriées--compétences qui requièrent une éducation postsecondaire, la faible productivité de la main-d'oeuvre, un environnement défavorable à l'investissement et la mauvaise qualité des infrastructures dans la majorité des pays africains. L'Afrique ne pourra accélérer sa croissance économique et créer suffisamment d'emplois dans le secteur formel pour réduire la pauvreté qu'en accroissant sa compétitivité à l'échelle internationale et en exportant davantage. Un changement d'orientation politique peut permettre d'assouplir ces contraintes en adaptant les réglementations du marché du travail afin de permettre aux entreprises d'ajuster les taux de salaire en réponse aux brusques variations de la demande et de la productivité, en accroissant le nombre d'écoles secondaires et de diplômés du supérieur dotés de compétences adaptées ainsi qu'en en stimulant les innovations dans les institutions financières, les tribunaux et les services commerciaux afin de promouvoir les investissements dans les nouvelles technologies et dans les marchés d'exportation à fort potentiel. Ce document a été élaboré par Melissa Sekkel, Vandana Chandra et Louise Fox à partir de deux autres: Patterns of Labor Demand par Geeta Kingdon, Justin Sandefur et Francis Teal et Climate for Regional Job Creation par Marcel Fafchamps et Måns Söderbom. Les auteurs sont membres du Centre pour l'étude des économies africaines de l'Université d'Oxford. Le document a été édité par l'équipe de Bruce Ross-Larson à la section Développement des Communications. 1 Table des matières 1. Le contexte économique de la création d'emplois en Afrique Tendances du marché du travail Liens entre salaires, croissance et pauvreté Le problème du faible niveau de la demande en main-d'oeuvre et l'importance des exportations dans la création d'emplois La capacité des industries et du secteur manufacturier à augmenter les salaires 2. Contraintes liées à la croissance par les exportations et emplois bien rémunérés Contraintes liées aux salaires Le manque de flexibilité Des différences importantes entre les secteurs et entre les entreprises Contraintes liées à l'éducation De forts rendements seulement aux niveaux d'éducation élevés La faible demande de travailleurs qualifiés La mauvaise qualité des écoles La faible pertinence des compétences Contraintes liées aux investissements Un environnement réglementaire peu favorable Des infrastructures inadaptées Des coûts d'entrée prohibitifs Un manque d'efficacité des coûts de production Un risque élevé Les contraintes de crédit 3. Les perspectives Incidence sur les politiques générales Travaux de recherche futurs Tableaux 1. Indicateurs de l'environnement réglementaire dans divers pays africains 2. Indicateurs d'infrastructures dans quelques pays africains, 1996­2000 3. Demande et réception de crédit par des sociétés dans quelques pays africains, par taille de société Figures 1. Les emplois non agricoles au Ghana, en Tanzanie et en Ouganda ont augmenté dans les années 90 2. La croissance économique a contribué à la hausse des salaires des travailleurs industriels non qualifiés dans le monde, mais moins en Afrique. 3. La corrélation entre la taille relative de l'industrie et du secteur manufacturier et le revenu par habitant est positive 4. Les salaires réels ont varié de manière irrégulière dans les secteurs manufacturiers au cours des années 90 au Ghana et en Tanzanie. 5. La rémunération des ouvriers non qualifiés demeure plus élevée en Afrique qu'en Asie de l'Est ou du Sud. 2 6. Les employés dotés de compétences semblables gagnent plus dans les grandes entreprises. 7. Les travailleurs des industries manufacturières membres de syndicats gagnent plus que ceux qui n'appartiennent à aucun syndicat. 8. L'éducation ne produit de rendements importants dans le secteur privé qu'après le cycle secondaire. 9. Le manque de compétence constitue une contrainte en Afrique, mais il existe des obstacles plus sérieux comme la corruption et les taux élevés d'impôt. 10. L'investissement privé dans les projets d'infrastructure en Afrique a augmenté au cours des années 1990. 11. Entrer et rester sur le marché d'exportation dope la productivité totale des facteurs. 12. Entrer puis sortir du marché de l'exportation n'a pas d'effet à long terme sur la productivité totale des facteurs. Encadré 1. Le renforcement des exportations par la création de zones franches: l'expérience réussie de Madagascar 3 1. Le contexte économique de la création d'emplois en Afrique Deux facteurs clés sont à l'origine des problèmes auxquels les économies de l'Afrique subsaharienne ont été confrontées dans les années 90. Premièrement la croissance économique s'y est continûment révélée plus faible que dans le reste du monde. Bien qu'elle soit passée de négative dans les années 80 à positive dans les années 90, la croissance économique pour l'ensemble de l'Afrique demeurait encore inférieure à 0,2 pour cent par an en moyenne. Le faible niveau de croissance reste la norme depuis les années 60. Par conséquent, sur les quatre dernières décennies, les économies de l'Afrique subsaharienne n'ont connu qu'une croissance de 0,3 pour cent par an, soit un dixième de la moyenne mondiale. Deuxièmement, la croissance de la population africaine a été bien plus rapide que celle de l'économie et de la demande main-d'oeuvre qui sont restées faibles. Le stock de capital par habitant a chuté en moyenne d'un pour cent par an dans les années 90. Les implications sont alarmantes: sans stimulation des investissements et baisse rapide des salaires réels, la demande de main-d'oeuvre stagnera et le chômage augmentera. Où les nouveaux venus sur le marché du travail trouveront-ils des emplois si les salaires ne sont pas ajustés? Quelles sont les implications pour le nombre croissant de jeunes diplômés du secondaire au moment où ils commencent à chercher du travail? Quelles sont les implications des baisses de salaires, si elles ont réellement lieu, sur la consommation des ménages et sur la pauvreté? Nous nous proposons de répondre à ces questions non pas à partir de moyenne de l'Afrique subsaharienne, mais en portant notre attention sur un groupe de pays africains dont les performances sont parmi les meilleures. Leurs expériences fourniront des enseignements sur la manière dont on peut les reproduire et les améliorer davantage. En 1970, par exemple, les économies du Botswana, de l'Ile Maurice, de l'Afrique du Sud et de la Zambie avaient toutes des revenus par habitant entre 1 000 et 7 000 $ (évalués en parité de pouvoir d'achat en dollar américain). A la fin des années 90, le revenu du Botswana avait augmenté de 1 000 à 7 000 $ quand celui de l'Afrique du Sud avait stagné sur les trois décennies. La Zambie, qui au début de la période avait un revenu identique à celui de la Botswana, a connu une baisse régulière dans les années 70 et 80, ne parvenant qu'à de modestes redressements dans les années 90. Un succès spectaculaire enregistré au cours de cette période a été celui de la performance de l'économie mauricienne dont le revenu par habitant a quadruplé en trente ans. En 1970, le revenu de l'Ile Maurice ne représentait que la moitié du celui de l'Afrique du Sud ; à la fin des années 90, il en atteignait le double. Pourquoi l'Ile Maurice et le Botswana ont-ils connu une plus grande réussite que les autres pays d'Afrique subsaharienne? Un aspect clé de leur succès a été leur capacité à assurer une augmentation très rapide des exportations. La valeur des exportations par habitant de l'Ile Maurice en prix de 1995 était de 500 dollars en 1970 et de plus de 2 000 dollars à la fin des années 90. Jusqu'au début des années 90, le Botswana connaissait également de bons résultats malgré un net recul depuis lors. Alors que l'économie du 1 Botswana est restée dépendante des ressources naturelles, principalement du diamant, l'Ile Maurice a diversifié sa base d'exportation, d'abord en développant les produits manufacturés et plus récemment les services tels que le tourisme. Ce mouvement s'est accompagné d'une forte augmentation de la demande de main-d'oeuvre, pour la plupart féminine et un accroissement substantiel des salaires réels. Dans cette étude, nous cherchons à démontrer comment la demande de main-d'oeuvre a évolué en Afrique au cours des deux dernières décennies, à suggérer des explications aux résultats observés, et à donner un aperçu des politiques qui doivent être envisagées pour qu'une demande croissante de main-d'oeuvre contribue à réduire la pauvreté. Tendances du marché du travail Comment la main-d'oeuvre africaine est-elle répartie entre secteurs et lesquels, si tant est qu'il y en ait, contribuent-ils à la croissance de l'emploi? Des enquêtes ménages et des enquêtes menées sur la population active dans les années 90 fournissent une vue d'ensemble de la répartition des emplois par secteur dans trois économies africaines : le Ghana, la Tanzanie et l'Ouganda. Des traits communs se dégagent (figure 1). 1. Le niveau d'emploi salarié a augmenté en termes absolus, mais il n'est pas parvenu à suivre le rythme de la population active. Dans les trois pays, le nombre d'emplois formels salariés s'est accru dans les années 90. Le secteur privé a été le moteur principal de cette tendance très progressive à la création d'emplois, la proportion des employés salariés du secteur public étant en baisse dans les trois pays. Cependant, l'expansion du secteur formel a été dépassée par la croissance démographique ou la croissance de la population active, impliquant que la proportion de travailleurs dans les emplois formels salariés est restée constante ou a diminué. 2. La part du secteur informel dans l`emploi total s'est accrue rapidement. Dans les trois pays, le nombre absolu de travailleurs indépendants a augmenté de manière substantielle, indiquant un accroissement de la place du secteur informel dans la population active.1 Le secteur informel dans ces pays a absorbé l'excédent de main- d'oeuvre pendant une période de croissance de la population active.2 3. Le secteur informel est étendu et le chômage faible. Le chômage et le secteur informel peuvent être interprétés comme des signes d'un excédent de main-d'oeuvre disponible résultant en partie d'une distorsion des salaires dans le secteur formel. En 1998/99 au Ghana, la part des emplois indépendants non agricoles s'élevait à de plus de 27 pour cent. Le différentiel salarial entre secteur formel et informel atteignait 60,3 pour cent au Cameroun et 40,9 pour cent en Côte d'Ivoire. 1Les emplois indépendants non agricoles sont considérés comme synonymes du secteur informel urbain ici. Cela est inexact pour au moins deux catégories de travailleurs: les entrepreneurs et les commerçants du secteur formel, qui représentent une petite partie du total, et les professions libérales à hauts revenus tels que les avocats, les prestataires indépendants de services financiers et les médecins. La prise en compte de ces deux groupes suggère que les données relatives aux revenus des travailleurs indépendants surestiment les revenus dans le secteur informel. L'attention accordée aux emplois salariés dans les sections suivantes est seulement motivée par une volonté d'identifier les opportunités de gains importants de revenus plutôt que par une préférence de l'emploi salarié sur l'emploi indépendant ou activités informelles en tant que telles. 2Ceci correspond aux résultats récents fournis par Calvés et Schoumaker (2004) qui enregistrent une tendance croissante des nouveaux venus sur le marché du travail à se tourner vers le secteur informel. 2 Figure 1. Les emplois non agricoles au Ghana, en Tanzanie et en Ouganda ont augmenté dans les années 90. Ghana Tanzanie Ouganda Zone Urbaine d'Ethiopie Afrique de Sud Emploi public Emploi salarié privé Emploi indépendant Chômage Liens entre salaires, croissance et pauvreté Les revenus provenant des salaires dans le secteur privé peuvent croître de deux manières: · Les salaires d'un emploi donné peuvent augmenter avec le temps, en réponse soit à l'amélioration de la productivité du travailleur soit aux sources extérieures de pressions salariales; c'est-à-dire que le taux de salaire peut augmenter. · Ou les salaires d'un emploi donné (le taux du salaire) peuvent rester constants ou même décroître avec le temps ; mais les revenus salariaux des ménages peuvent augmenter avec l'expansion de l'emploi et l'entrée d'un nombre grandissant de travailleurs dans des emplois à revenus élevés dans le secteur formel. Dans quelle mesure la croissance économique, pour les pays et périodes concernées, s'est-elle accompagnée d'une augmentation des salaires réels pour les travailleurs non qualifiés en Afrique ? En considérant exclusivement les activités entrant dans la catégorie du travail industriel non qualifié, on trouve une relativement bonne corrélation, à l'échelle mondiale, entre croissance du PIB par habitant et augmentations des salaires réels, mais le lien est plus faible en Afrique. 3 Figure 2. La croissance économique a contribué à la hausse des salaires des travailleurs industriels non qualifiés dans le monde, mais moins en Afrique. A. Evolution des salaires réels et du PIB par habitant dans les pays à l'échelle mondiale B. Evolution des salaires réels et du PIB par habitant dans les pays africains Real Wage Changes and per Capita GDP Growth ARG .4 KOR CHN KOR COM HNDBOLSLEBDI MDG BGD LKA CIV PHLHNDBGD ISLPRT NGA AUS BFA PRT CHN TUN RWA LKACYP HKG LCA .2 MLI ZMBNORIND TUNISLSGP BGDHKG CYPURY GBRHKGLCA BELMUS AUT FINMUS JPN s COM CAF FIN MLIPHL VCTFIN ZMBGBR BOL ITAAUS NORDNKSYRSGP MUS URYBEL USA SYC KOR BRB SWE THA gena ARG ZMB COM NZLGABVENAUT HKGGBRNLDNOR GBRURY CAF AUT NLDAUTMUSSGP SGPCYP BEN CUB SWEDNK AUS BFA BRB BELBOLHUNINDJPNIND ITA LKANOR ITA AUS USA TTO TGOTUN TCD LKAGAB ITAKORPRT MWI Ch 0 CMR NICFIN ISLSWE PHLUSAUSACYP DOM BRB e CAFRUSMDG COM SLECMRROMJPNBEL BRBNER NZL CRI JPN MEX BGD IND FJI TTOBEN RWA ag TUR ISL GAB W PRTMEX al 2-. TCD BDIROM SLE Re HND HND RUSPNG DZADZA 4-. TGO ZMBARG SYC 6-. CIV VEN -.4 -.2 0 .2 .4 per Capita GDP Growth Real Wage Changes and per Capita GDP Growth Africa Only .4 MDGCIV COM SLEBDI NGA BFA RWA .2 MLI MUS COMCAF ZMB ZMB MUS s MLI SYCMUS COM MUS ge ZMB GAB CAF BEN BFA an GAB 0 TGOTCD MWI CMR SLE NER Ch CMR ega CAF MDG RWABENCOM GAB W 2-. TCD BDI SLE al Re 4-. TGO ZMB SYC 6-. CIV -.3 -.2 -.1 0 .1 .2 per Capita GDP Growth Source: Enquêtes d'Octobre du Bureau international du travail menée par Freeman et Oostendorp (2000). Note: Sur la base des comptes nationaux avec des données, comparables à l'échelle internationale, sur les salaires par catégorie d'activités. 4 On s'attend à ce que le lien entre hausse des salaires réels et croissance du PIB soit plus marqué dans les économies dont la croissance s'est accompagnée d'une utilisation intensive en main-d'oeuvre non qualifiée. La faiblesse de la corrélation en Afrique reflète-t- elle le fait que la croissance africaine, là où elle a effectivement eu lieu, n'a pas pris cette forme? Le ralentissement des augmentations de salaire constitue-t-il une condition préalable au développement et à la croissance industrielle? A notre connaissance aucun travail de recherche n'a été entrepris sur ces points. Une question liée aux précédentes se pose: dans quelle mesure la croissance et les augmentations de salaires réels se traduisent-elles en réduction de la pauvreté? Les recommandations politiques formulées par la Banque Mondiale et d'autres organisations internationales ont en particulier mis l'accent sur la nécessité d'une croissance économique plus générale afin de réaliser l'objectif plus spécifique de réduction de la pauvreté (Dollar et Kraay 2002). En portant notre attention ici sur l'Afrique, nous notons que les implications de la croissance pour les démunis dépendent en grande partie de l'impact de la croissance sur les revenus ruraux. Un véhicule de cet impact, remarquable par son absence dans les données que nous avons étudiées, est la migration de travailleurs ruraux vers les emplois urbains dans les secteurs de l'exportation. Si les salaires étaient plus élevés dans ces emplois, alors les salaires moyens augmenteraient, de même que l`emploi et les revenus. L'effet sur la pauvreté pourrait alors s'avérer important. Le problème du faible niveau de la demande de main-d'oeuvre et l'importance des exportations dans la création d'emplois La faiblesse généralisée de la demande de main-d'oeuvre dans le secteur formel constitue l'un des problèmes majeurs des marchés du travail en Afrique, la création d'emplois étant incapable de suivre le rythme de croissance de la population active. Dans presque toutes les économies africaines, le marché du travail s'est principalement développé dans le secteur informel à bas salaires, non lié à l'exportation. Cette croissance n'a pas produit le type d'emplois qui pourrait réduire rapidement la pauvreté. Pour créer des emplois bien rémunérés, il faut développer l'exportation de produits manufacturés. Les exportations sont essentielles pour la croissance économique en Afrique parce que la plupart des marchés nationaux sont petits et la demande en produits manufacturés est faible. La valeur ajoutée de la plus grande économie de l'Afrique subsaharienne, le Nigeria, est moins importante que celle de la Norvège; les économies proches de la médiane de l'Afrique subsaharienne (le Botswana, la Zambie) sont 40 pour cent plus petites que celle du Luxembourg. En outre, parmi les pays les moins développés, l'effet d'Engel (le changement des préférences vis-à-vis des produits de base au fur et à mesure que le revenu augmente) favorise la satisfaction des besoins essentiels de subsistance par rapport à la demande de produits manufacturés sophistiqués (Tybout 2000). Pour toutes ces raisons, l'industrie africaine doit orienter une part importante de sa production vers l'exportation si elle veut promouvoir le développement, créer de nouveaux emplois et réduire la pauvreté. 5 L'exportation constitue la voie la plus prometteuse pour la croissance et le développement en Afrique pour différentes raisons: · la relation empirique entre les exportations et la croissance semble incontestable (même si on comprend peu les fondements de cette relation). · L'Afrique représente actuellement une toute petite fraction du commerce mondial, ce qui implique que son potentiel de développement est important. · L'expérience du Ghana et de l'Ouganda suggère que le rétablissement des exportations peut rapidement générer des recettes substantielles. · Le potentiel d'exportation dans le secteur industriel, notamment manufacturier, est élevé. En outre, les investissements dans ce secteur accroissent la demande en main- d'oeuvre non qualifiée et ont par conséquent un impact plus direct sur la pauvreté. D'autres preuves des effets positifs des exportations proviennent d'études de cas individuels. L'Ile Maurice a connu un succès spectaculaire grâce aux exportations. Madagascar a également augmenté son PIB par habitant en empruntant la même voie (Encadré 1). Encadré 1. Le renforcement des exportations par la création de zones franches: l'expérience réussie de Madagascar Les exportations de Madagascar ont augmenté de manière substantielle au cours des dernières années, en grande partie grâce à deux types d'interventions politiques. Le premier a été la création, en décembre 1989, d'une zone franche d'exportation (ZFE) dans laquelle les entreprises disposent d`avantages, tels que des trêves fiscales de 2 à 15 ans pour l`impôt sur les sociétés (et payent un montant fixe de 10 pour cent par la suite), des exonérations de droits de douane et de taxes à l'importation ainsi qu'une liberté d'accès et de mouvements de devises. Pour pouvoir bénéficier de la ZFE, les entreprises doivent exporter au moins 95 pour cent de leur production. Le deuxième type d'intervention politique a consisté en la signature d'accords internationaux sur les préférences commerciales, tels que la Africa Growth and Opportunity Act (« Loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique ») avec les Etats-Unis et l'accord « Tout-Sauf-les- Armes » avec l'Union européenne. Ces initiatives ont donné aux pays en développement les plus pauvres un accès élargi aux marchés des pays développés. Suite à ces interventions, les recettes d'exportation, les investissements étrangers et l'emploi dans la ZFE de Madagascar ont connu une augmentation spectaculaire. Dès 2001, environ 190 entreprises opéraient dans la ZFE, employant directement approximativement 110 000 personnes, soit environ la moitié de tous les emplois du secteur secondaire (Banque mondiale 2004a). On a estimé à 300 000 les emplois indirects de la ZFE (Razafindrakoto et Roubaud 2002). Les investissements étrangers directs nets sont passés de 14 millions de dollars américains en 1997 à 112 millions en 2001. Entre 1996 et 2001, le secteur de la ZFE a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 22 pour cent et les exportations de la ZFE représentaient environ 40 pour cent des exportations totales en 2001. Les détracteurs de la ZFE soutiennent qu'elle ne profite pas au gouvernement malgache, les entreprises ne payant pas d'impôt. En outre, ces dernières constituent une concurrence déloyale pour les entreprises locales, exploitent la main-d'oeuvre locale et sont peu intégrées dans l'économie nationale. (Razafindrakoto et Roubaud 2002; Kusago et Tzannatos 1998). Cependant, 6 les salaires et les conditions de travail sont significativement meilleures que dans les autres secteurs (Roubaud et Randrianasolo 2004.et Razafindrakoto et Roubaud 2002). La création de la ZFE constitue une expérience réussie à Madagascar. Cependant, des améliorations doivent être apportées afin de maintenir la croissance. Au nombre de celles-ci figurent l'accroissement de la compétitivité par l'augmentation de la productivité de la main- d'oeuvre, la réduction du coût des installations industrielles, la baisse des coûts de transport, l'amélioration du fonctionnement des services de douane et l'intégration verticale le long de la chaîne des valeurs (Banque mondiale 2004a). Le développement des exportations de produits manufacturés exige des entreprises relativement grandes, utilisant plus de travail relatif au capital ainsi que des connaissances techniques pour exploiter les opportunités d'exportation. Certains pays africains ont réussi à stimuler leurs exportations, mais les réussites sont restées trop rares pour améliorer le bien- être de la majorité des Africains. L'emploi a augmenté dans le secteur privé formel mais pas aussi vite que la main-d'oeuvre. Le salariat dans le secteur privé constitue la voie la plus sure vers une sécurité de revenus pour les familles africaines. Le défi de la demande de main- d'oeuvre en Afrique subsaharienne doit être perçu comme celui de développer les opportunités d'emplois dans le secteur formel. La capacité des industries et du secteur manufacturier à augmenter les salaires On a reconnu depuis longtemps que le secteur industriel des pays en développement peut jouer le rôle de moteur à la modernisation, de créateur d'emplois qualifiés et générer des effets positifs en chaîne (Tybout 2000). La preuve historique en est incontestable: la croissance de la production industrielle a été un élément clé dans la transformation réussie de la majorité des économies qui ont connu une augmentation durable de leur revenu par habitant (l'exemple le plus récent est celui des pays nouvellement industrialisés). De la capacité du secteur industriel à se développer dépend le rythme de création d'emplois. L'examen de la part de la valeur ajoutée de l'industrie dans le PIB de 12 pays africains révèle plusieurs éléments importants.3 Tout d'abord, il existe une hétérogénéité substantielle entre les pays dans la densité de l'industrie. Le Botswana présentait de loin la plus grande contribution de l'industrie à la valeur ajoutée totale en 2002 (48 pour cent) -- plus de 20 points de plus que l'Afrique subsaharienne ou la moyenne mondiale. A l'inverse, l'industrie ne représentait que 13 pour cent de la valeur ajoutée à Madagascar en 2002. La part de l'industrie est relativement élevée dans l'Ile Maurice et en Afrique du Sud et relativement faible au Kenya et en Tanzanie. La densité industrielle semble être plus élevée dans les pays à relativement hauts revenus, une question sur laquelle nous reviendrons plus loin. 3 Au nombre des industries, on compte l'exploitation minière, l'industrie manufacturière, la construction, l'électricité, l'eau et le gaz. Les pays étudiés sont le Botswana, le Cameroun, le Ghana, le Kenya, Madagascar, l'Ile Maurice, le Mozambique, le Nigeria, l'Afrique du Sud, la Tanzanie, l'Ouganda et la Zambie. 7 Deuxièmement, la part de l'industrie dans le PIB est très volatile dans certains pays et remarquablement stable dans d'autres. Les pays qui dépendent fortement de la transformation des ressources naturelles sont exposés aux fluctuations des prix et de la demande sur le marché mondial. Troisièmement, alors que la part de l'industrie a diminué dans la plupart des pays au cours de la dernière décennie, le Ghana et l'Ouganda ont connu un accroissement à long terme de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale. Madagascar et le Mozambique semblaient être à un tournant décisif. La performance industrielle de l'Afrique a été particulièrement faible au cours des dernières décennies.4 En 2001 la part moyenne de la valeur ajoutée de l'industrie dans le PIB pour l'Afrique subsaharienne était approximativement inférieure de cinq points à celle de la moyenne mondiale. L'hétérogénéité est grande cependant, avec la part la plus élevée des produits manufacturés dans la valeur ajoutée totale (l'Ile Maurice, à 23 pour cent) au-dessus de la moyenne mondiale et la part la plus faible (le Nigeria, à 4 pour cent seulement) bien en dessous. La part du Botswana s'élève seulement à de 5 pour cent, confirmant le fait que son secteur industriel est principalement composé d'activités non manufacturières (exploitation minière surtout). Les pays varient beaucoup dans la taille relative de leurs secteurs industriels et manufacturiers. Cette proportion affecte-t-elle le revenu? La taille relative des secteurs industriels et manufacturiers est corrélée de façon positive au revenu par habitant (figure 3). L'échantillon est très petit et la corrélation ne peut pas être interprétée comme une indication de cause à effet. Néanmoins, il est remarquable qu'une part non négligeable de la variation dans le revenu par habitant dans cet ensemble de pays est systématiquement liée à la variation de taille des secteurs mentionnés: le R-carré est de 0,43 pour la régression relative à l'industrie et de 0,24 pour la régression relative au secteur manufacturier (si on exclut le Botswana de l'échantillon, le R-carré dans la dernière régression s'élève à 0,69). 4Bien que les parts moyennes de l'industrie manufacturière soient faibles et en déclin dans la majorité des pays figurant dans l'échantillon, elle est en progression dans certains. En Ouganda, elle est passée de 6 pour cent en 1990 à 10 pour cent en 2002; à Madagascar et au Mozambique, la part est passée de 8 pour cent en 1994 à plus de 11 pour cent en 2002. 8 Figure 3. La corrélation entre la taille relative de l'industrie et du secteur manufacturier et le revenu par habitant est positive lny Fitted values 10 Mauritiu South Af 9 Botswana 8 Cameroon Ghana Uganda 7 Keny a Mozambiq Zambia Nigeria Madagasc Tanzania 6 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Industry VAD / GDP lny Fitted values 10 South Af Mauritiu 9 Botswana 8 GhanaCameroon Uganda 7 Mozambiq Keny a Nigeria Zambia Madagasc Tanzania 6 0 5 10 15 20 25 30 Manufacturing VAD / GDP Note: Les valeurs ajustées dans la partie supérieure du tableau sont basées sur une régression dans laquelle le coefficient de la pente est estimé à 0,07, le résultat du test de Student vaut 2,75 et le R-carré est de 0,43. Dans la partie inférieure du tableau, le coefficient de la pente est estimé à 0,10, le résultat du test de Student vaut 1,80 et le R-carré est de 0,24. 9 2. Contraintes liées à la croissance par les exportations et emplois bien rémunérés Les marchés du travail dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne ne sont pas parvenus à créer suffisamment d'emplois bien rémunérés dans les années 90. Il en a résulté une hausse du chômage déclaré ou un accroissement rapide du secteur informel. Est-ce dû au manque de flexibilité du marché du travail? L'ajustement des salaires réels au fil du temps à l'excès de main-d'oeuvre ou aux chocs macroéconomiques n-a-t-il pu se produire?5 Les salaires n'ont- ils pas été affectés par les niveaux élevés de chômage? Ou le problème résidait-il dans une faible productivité des travailleurs ou un écart entre les compétences des diplômés et les besoins des employeurs? Les contraintes pesant sur la croissance économique ont-elles réellement constitué un obstacle à la croissance du nombre d`emplois bien rémunérés? Cette partie présente trois types de contraintes freinant la croissance par les exportations et la création d'emplois: les contraintes salariales, les contraintes liées à l'éducation et contraintes relatives aux investissements. Contraintes salariales Les deux contraintes liées aux salaires sur les marchés du travail en Afrique concernent d'abord la flexibilité permettant d'ajuster les salaires au fil du temps pour tenir compte des changements intervenus dans l'offre et dans la demande de main-d'oeuvre et ensuite l'écart entre les niveaux de salaires des différents secteurs (en particulier entre le secteur formel et le secteur informel) et des différentes sortes d'entreprises (en particulier entre les grandes et les petites). Le manque de flexibilité Dans un marché du travail flexible présentant un taux élevé de chômage déclaré, les salaires réels agrégés diminuent au fil du temps. Les opinions diffèrent quant à qualifier les marchés du travail africains comme flexibles dans ce sens. Analysant l'expérience kenyane suite aux deux chocs pétroliers, à la sécheresse aiguë de 1984 et aux programmes de stabilisation qui ont suivi, Milne et Neizert (1994) concluent que les salaires étaient flexibles: « Dans la phase d'ajustement, les salaires réels ont chuté dans tous les secteurs modernes, mais la baisse a été plus prononcée dans le secteur public. En effet, les taux de salaires réels semblent avoir subi la plus grande partie de l'ajustement, car il ne semble pas qu'il y ait eu des changements majeurs dans le taux de chômage en zone urbaine » (p. 454). Par ailleurs, Beaudry et Sowa (1994) notent que les différentiels de salaires entre les secteurs au Ghana ont répondu relativement rapidement aux changements dans les demandes suscitées par l'ajustement structurel (des services vers l'agriculture et l'industrie) et « qu'un 5La nécessité d'une flexibilité à la baisse des salaires réels afin d'assurer le plein-emploi suite aux réductions de budget et autres demandes de réductions a été un aspect crucial des programmes d'ajustement structurel comme l'ont noté Horton, Mazumdar et Kanbur (1994). 10 marché du travail flexible a probablement contribué à apporter les améliorations macroéconomiques observées au Ghana dans les années 80 » (p. 402). Rama (2000) conclut que les salaires dans les économies de la zone du franc CFA ont montré des signes de rigidité, dans la mesure où leur évolution a suivi celle des salaires du secteur public et de l'indice des prix à la consommation. Il pense qu'entre 1985 et 1993, les salaires dans ces pays sont restés considérablement plus élevés que ne justifiaient le niveau de développement, l'urbanisation, l'industrialisation ou la densité du capital humain. Krishnan, Dercon et Selassie (1998) montrent qu'en Ethiopie, les salaires réels dans le marché du travail en zone urbaine sont restés étonnamment insensibles à la pression à la baisse exercée par les reformes économiques malgré des taux élevés de chômage. Les changements de salaires réels ont été irréguliers dans les secteurs manufacturiers du Ghana et de la Tanzanie au cours des années 90 (figure 4). Les salaires du secteur manufacturier au Ghana ont chuté de 30 pour cent entre 1990 et 1995, avant d'enregistrer une hausse pour terminer la décennie légèrement en dessous de leur niveau de 1992. Aucune explication n'a été offerte à ce tour de montagnes russes dans les salaires réels. En Tanzanie, le secteur manufacturier a connu une croissance rapide avec des salaires plafonnant à 40 pour cent au-dessus de leur niveau de 1992 en 2000. Figure 4. Les salaires réels ont varié de manière irrégulière dans les secteurs manufacturiers au cours des années 90 au Ghana et en Tanzanie. A. Les salaires réels du secteur B. Les salaires réels du secteur manufacturier au Ghana, 1992­99 manufacturier en Tanzanie, 1992­2000 Tanzania: Changes in Real Wages 1992-2000 Ghana: Changes in Real Wages 1992-1999 50 10 40 0 30 age ent -10 Percentage20 ercP -20 10 0 -30 1993 1995 1997 1998 1999 2000 Real wages are defined as total earnings deflated by the consumer price index 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 NB: All years are relative to 1992 Real wages are defined as total earnings deflated by the consumer price index NB: All years are relative to 1991 Note: On définit les salaires réels comme le revenu total ajusté par l'indice des prix à la consommation. L'année de référence pour le Ghana est 1991; celle de la Tanzanie 1992. Source: Les marchés du travail en Afrique se sont ainsi révélés étonnamment flexibles, avec des salaires augmentant et chutant de manière irrégulière au cours de la dernière décennie. Le fait qu'on ait observé des variations importantes dans les salaires réels dans le secteur manufacturier suggère qu'une modélisation des résultats ne peut en aucune manière postuler l'existence d'un salaire réel fixe. Il n'est pas impossible que les travailleurs puissent résister 11 au sein des entreprises aux pressions visant à la baisse les salaires à long terme. Au Ghana, ces baisses sont survenues dans le contexte d'un taux d'inflation très variable. Il se peut que l'évolution des salaires réels ne reflète pas tant une flexibilité à la baisse face à une offre excédentaire, qu'une mauvaise fixation des salaires nominaux par les travailleurs qui ne peuvent prédire avec précision le taux d'inflation. Des séries temporelles sur une plus longue période permettraient de confirmer ou d'infirmer cette proposition. Des comparaisons effectuées entre l'Afrique et d'autres régions révèlent que les salaires moyens africains restent supérieurs à ceux de l'Asie de l'Est, et ce bien qu'ils aient baissé en Afrique au cours des années 90. Par ailleurs, l'écart s'est creusé davantage pendant les années 90 (Freeman et Oostendorp 2000) (figure 5).Ces données suggèrent que les salaires moyens en Afrique subsaharienne restent élevés par rapport à ceux de leurs compétiteurs en Asie de l'Est. Figure 5. La rémunération des ouvriers non qualifiés demeure plus élevée en Afrique qu'en Asie de l'Est ou du Sud. 250 200 gea W 150 $SU 1990-92 1996-99 hly 100 ont M 50 0 East Asia & Latin America South Asia Africa Pacific Note: Les données sont basées sur la population moyenne pondérée, ce qui garantit la prise en compte de la place prépondérante de la Chine en Asie de l'Est. Source: Freeman et Oostendorp (2000), OWW Database. Des différences importantes entre les secteurs et entre les entreprises Dans quelle mesure la distinction entre secteurs formels et informels ou entre grandes et petites entreprises est-elle importante pour comprendre le schéma des différentiels de salaires dans les marchés du travail africain? Le secteur informel renvoie à un large éventail d'activités allant des emplois urbains indépendants au salariat au sein de petites structures en passant par les entreprises familiales. 12 Lachaud (1995) a estimé que le différentiel de salaire en faveur du secteur formel atteint 60,3 pour cent pour le Cameroun, 57,1 pour cent pour le Burkina Faso, 40,9 pour cent pour la Côte d'Ivoire et 9,6 pour cent pour le Mali (la technique appliquée tient compte des différences de caractéristiques individuelles, afin que les différentiels de salaire entre secteurs formels et informels ne reflètent pas uniquement une différence de compétences requises dans chaque secteur). Miller et Vallée (1995) et Vallée et Thomas (1994) confirment ces ordres de grandeur pour le Cameroun; Vijverberg et van der Gaag (1993) les confirment pour la Côte d'Ivoire. Kingdon et Knight (2004) trouvent que 50 à 64 pour cent de l'important différentiel de revenus entre les secteurs formels et informels existant en Afrique du Sud demeure après avoir pris en compte les caractéristiques individuelles. Une approche étroitement liée consiste en la comparaison des salaires de travailleurs semblables dans des établissements de diverses tailles. La taille de l'entreprise peut fournir une base de comparaison plus précise que la distinction entre le formel et l'informel qui n'est pas toujours établie de la même manière dans les études. La Figure 6 montre le différentiel de salaire entre un ouvrier présentant un ensemble donné de caractéristiques de capital humain et qui travaille pour une entreprise de 20 employés et un ouvrier similaire travaillant pour une entreprise de 100 employés. Elle révèle que les différences de salaires entre grandes et petites entreprises sont importantes pour les quatre pays étudiés. Ces différentiels dépassent de loin ceux observés dans les économies développées. Figure 6. Les employés ayant des compétences semblables gagnent plus dans les grandes entreprises. Figure 5 Ecart de6salariesdepar taille selonentreprises l'entreprise Figure Ecart salaires des la taille de % Différence de salairesde salairesentreprise de 20 employés etemployés100celle de 100 employés, % Différence entre une entre une entreprise de 20 celle de et employés, Contrôle des compétencesContrôle des compétences des travailleurs des travailleurs 4 40 0 3 35 5 3 30 0res res 2 25 5salai salai 2de 20 0 de 1 15 5Ecart Ecart 1% % 10 0 5 5 0 0 Ghana Nigeria Kenya Tanzanie Ghana Kenya Nigeria Tanzanie Note: La figure montre la différence en pourcentage de salaires entre des travailleurs ayant des compétences semblables dans les entreprises de 20 et de 100 employés. 13 Söderbom, Teal et Wambugu (à paraître) montrent que cet effet de taille résulte seulement en partie de compétences inobservées. En prenant en compte l'ensemble des caractéristiques ne variant pas au cours du temps des entreprises et des travailleurs, on montre que plus une entreprise est de grande taille plus les salaires seront élevés. Cet effet de la taille de la firme sur les salaires est compatible avec un grand nombre d'explications, telles que des aspects d'efficacité et de négociation de salaires. Plusieurs de ces explications sont examinées ci-dessous. Dans leur analyse des écarts salariaux au Cameroun, Thomas et Vallée (1996) fournissent la liste de six causes possibles de la segmentation du marché de l'emploi en Afrique (c'est-à-dire, les salaires élevés du secteur formel qui ne s'expliquent pas par les compétences et la productivité des travailleurs): · Des syndicats peuvent être présents dans le secteur formel. · Les salaires minima et les autres réglementations sur le travail peuvent imposer des niveaux de salaires dans le secteur formel. · Les rentes de monopole peuvent s'accumulent dans un secteur formel où les entreprises seraient protégées de la concurrence par la structure réglementaire; ces rentes peuvent être partagées avec les employés grâce à un processus de négociation. · La productivité peut être plus élevée dans le secteur formel parce que seuls les gestionnaires les plus capables d'en supporter les coûts d'enregistrement peuvent y trouver un profit. · Parce que le taux de remplacement du personnel et le contrôle de son travail sont généralement élevés dans les entreprises de grande taille, celles du secteur formel peuvent payer un salaire d'efficience à leurs employés afin de les retenir et d'accroître la productivité. · Les entreprises peuvent faire de la discrimination sur la base de critères tels que le genre ou le groupe ethnique qui ne sont pas liés à la productivité. La source des écarts salariaux et de la segmentation du marché de l'emploi engendre des débats délicats en raison des implications de politique. Si les salaires du secteur formel reflètent simplement un capital humain et une productivité plus importants des travailleurs qui obtiennent des emplois formels, le manque de demande de main-d'oeuvre du secteur formel dans plusieurs économies africaines pourra être attribué à une pénurie de travailleurs qualifiés. Si les hauts salaires du secteur formel sont imputables aux syndicats ou aux réglementations gouvernementales, la stimulation de la demande de main-d'oeuvre ne nécessitera pas un accroissement des compétences mais des reformes des institutions du marché de l'emploi. Quelques facteurs -- les effets des syndicats, des taux de salaire minimum, des restrictions en matière de recrutement et de licenciement, des recherche de rentes, des structures organisationnelles et des salaires d'efficience--sont examinés ci- dessous. En somme, le coût du travail plus élevé auquel sont confrontées les grandes entreprises exportatrices par rapport à leurs concurrentes plus petites du secteur informel constitue une source d'allocation inefficace des ressources. Plus important encore, cet écart pose un obstacle majeur à une croissance par les exportations sur le continent. 14 Les syndicats. Les syndicats pourraient influer sur deux dimensions distinctes de la flexibilité de la main-d'oeuvre: les ajustements de salaire au fil du temps et la segmentation de la main- d'oeuvre entre les secteurs. Dans son analyse du mauvais alignement des salaires dans les pays du CFA, Rama (2000) constate que « les syndicats du secteur privé [...] semblaient avoir contribué plus à la modération qu'à la dérive des salaires. Les salaires des travailleurs syndiqués apparaissaient généralement plus faibles que ceux de travailleurs aux compétences semblables mais non syndiqués, ce qui reflète probablement la nature « subordonnée » du mouvement. » Son observation se fonde sur sa revue des études évaluant les avantages salariaux des syndicats, études dont plusieurs font état de différentiels négatifs de salaires pour les syndicats dans les pays du CFA. La présence de syndicats peut-elle expliquer la segmentation du marché de l'emploi entre les entreprises et entre les secteurs? Schultz et Mwabu (1998) suggèrent que les différentiels de salaires entre syndiqués et non syndiqués se sont accrus sensiblement entre 1995 et 1999 en faveur des premiers. Même après correction pour le poids de l'industrie, ce différentiel atteignait encore en 1999 54 pour cent, un niveau bien plus élevé que dans les pays de l'OCDE. Après avoir pris en compte la taille des entreprises, Blunch et Verner (2004) ne trouvent aucun effet de salaire significatif dû à la syndicalisation des travailleurs dans l'ensemble, bien qu'ils mettent en évidence un différentiel de 34 pour cent pour les travailleurs du dernier décile. Les travaux de recherche menés à partir d'enquêtes effectuées en Afrique dans le secteur manufacturier montrent que les différentiels de salaires entre syndiqués et non syndiqués y sont très importants en comparaison de données internationales (figure 7). Ces résultats suggèrent que les syndicats jouent un rôle important dans l'explication des différences de salaires entre travailleurs aux mêmes niveaux de capital humain. L'identification systématique de l'effet des syndicats est complexe néanmoins et d'autres recherches dans ce domaine sont nécessaires afin de démêler des facteurs potentiellement corrélés tels que le statut syndical, le taux de couverture de la réglementation, la taille des entreprises, les compétences des travailleurs et l'intensité capitalistique. Figure 7. Les travailleurs de l'industrie manufacturière membres de syndicats gagnent plus que ceux qui n'appartiennent à aucun syndicat. 15 Figure 7 Union Premia for Production Workers in Manufacturing 60 49 m 50 iu me 40 32 34 Pr 28 No Controls e 30 2221 23 Controlling for Skills 20 Wag 13 14 %10 3 0 na ia Gha Kenya Niger nzania Africa Ta S. Figure 7 Différentiel de salaires entre syndiqués et non syndiqués pour les travailleurs de l'industrie manufacturière % Différentiels de salaire Aucune correction Correction pour les compétences Ghana Kenya Nigeria Tanzanie Afrique du Sud La pertinence d'un salaire minimum. De nombreux gouvernements africains ont utilisé le salaire minimum pour augmenter les salaires urbains aussitôt après l'indépendance. Sa pertinence dans la fixation des salaires a considérablement diminué au cours des dernières décennies. Les salaires minima ont généralement été flexibles en Afrique, avec des périodes de baisse du salaire réel plus nombreuses que celles de hausse pour un sous-ensemble de pays. Pour ce qui est des pays de la zone CFA, Rama (2000) constate que les salaires minima ont été flexibles à la baisse et ne peuvent ainsi pas expliquer le mauvais alignement des salaires dans les années 90. Restrictions en matière de recrutement et de licenciement. Non seulement les réglementations sur le marché du travail provoquent la rigidité des salaires, mais elles peuvent également conduire à l'inflexibilité dans l'emploi. Les réglementations relatives à la sécurité d'emploi qui limitent la liberté des entreprises à licencier des travailleurs pendant une récession économique transforment la main-d'oeuvre en investissement à long terme. Fallon et Lucas (1993) ne notent aucun effet significatif de la législation sur la rapidité de l'ajustement, les salaires ou le nombre d'heures travaillées en Inde et au Zimbabwe. L'impact majeur semble plutôt concerner le niveau de demande de main-d'oeuvre, les nouvelles 16 réglementations réduisant le nombre de travailleurs employés dans une part assez importante des industries étudiées. Il est important de garder à l'esprit que ces moyennes masquent de grandes disparités dans les conditions du marché du travail auxquelles sont confrontées les entreprises selon leur taille, structure de propriété et lieu d'opération. Au Ghana, les plus grandes entreprises sont généralement gênées par la réglementation en général et par les restrictions relatives au licenciement en particulier. Salaires d'efficience, structure organisationnelle, recherche de rentes. Dans les modèles de salaires d'efficience, une relation entre les salaires et l'effort fourni ou la productivité peut s'établir pour différentes raisons, telles que la peur accrue d'être licencié lorsque les salaires sont élevés (Shapiro et Stiglitz 1974) ou un niveau de nutrition et de santé plus élevé chez les travailleurs mieux rémunérés (Dasgupta et Ray 1986). Le poids des salaires d'efficience peut suggérer que la gestion de la main-d'oeuvre dans les entreprises africaines y est plus difficile qu'ailleurs. Fafchamps et Söderbom (2004) constatent que l'élasticité du salaire à l'effort est d'environ 0,45, beaucoup plus bas que celle de 0,74 au Maroc. De plus, les hauts salaires observés dans les entreprises du secteur formel ne résultent pas nécessairement des institutions du marché de l'emploi, mais peuvent au contraire être inhérente à la structure organisationnelle des entreprises, ce qui par conséquent romprait le lien entre la « flexibilité » du travail et la création d'emplois. Les modèles de recherche de rentes attribuent les écarts salariaux aux processus de négociation. Un effet de partage de rentes sur les salaires a été mis en évidence dans de nombreux pays, tels que le Ghana (Teal 1996) et le Zimbabwe (Velenchik 1997). En outre, Blanchflower et al (1994) indiquent que la négociation joue un rôle important même en l'absence des syndicats. Contraintes liées l'éducation Le faible niveau de compétence constitue sans doute une caractéristique essentielle du marché du travail en Afrique et l'explication principale des bas salaires. La part de personnes éduquées dans le nombre total de travailleurs en Afrique est inférieure à celle affichée dans toute autre région au monde. En 1990, seulement 25 pour cent de la population africaine de15 ans et plus avait terminé l'école primaire (à titre de comparaison, ces chiffres s'élèvent à 32 pour cent en Asie du Sud et 85 pour cent en Asie de l'Est). Au niveau du secondaire, la différence est encore plus importante: en 1990, seulement 4 pour cent de la population africaine d'au moins15 ans avait terminé le cycle secondaire (contre 10 pour cent en Asie du Sud et 50 pour cent en Asie de l'Est ; Söderbom et Teal 2003). De forts rendements seulement aux niveaux d'éducation élevés Bien que les niveaux de compétences en Afrique soient relativement faibles selon les normes internationales, une pénurie de compétences--et par conséquent l'existence d'un différentiel de salaire-- ne se révèlera que si la demande de compétences excède la disponibilité de celles-ci. Les différentiels de salaire liés aux compétences peuvent être 17 étudiés à partir de deux perspectives complémentaires: les revenus supplémentaires obtenus par les travailleurs qualifiés et la contribution des compétences des travailleurs à la productivité de l'entreprise. Pour la plupart des personnes en Afrique subsaharienne, investir dans l'éducation ne devient rentable qu'aux plus hauts niveaux d'éducation. D'après certaines études, les primes de compétence payées aux individus se concentrent sur une partie de l'éventail des compétences. Appleton, Hoddinott et MacKinnon (1996) en concluent que les rendements économiques de l'éducation augmentent avec le niveau de celle-ci.6 Ces éléments confirment l'idée selon laquelle l'offre de compétences correspondant à un niveau d'éducation primaire est plus grande que la demande en Afrique On observe le même schéma d'augmentation des rendements économiques dans les données relatives aux travailleurs manufacturiers collectées par le Programme régional pour le développement des entreprises et le Centre pour l'étude des économies africaines (figure 8). Les rendements économiques sont convexes dans chaque pays, en particulier au Kenya et au Nigeria, où les plus hauts niveaux de formation obtiennent des rendements élevés dans le marché de l'emploi manufacturier. Le rendement en termes de salaire pour les six premières années de scolarisation est presque nul dans secteur privé. 6Parmi les études qui mettent en évidence des rendements croissant avec le niveau d'éducation figurent van der Gaag et Vijverberg (1989) pour la Côte d'Ivoire; Moll (1992) et Fallon et Lucas (1996) pour l'Afrique du Sud; Mazumdar (1994) pour le Kenya, la Zambie et le Zimbabwe; Jensen et Westergaard-Nielsen (1996) pour la Zambie; Velenchik (1994) pour le Zimbabwe; et Söderbom et al pour (2003) pour le Kenya et la Tanzanie. Schultz (2004) rapporte que la majorité des rendements annuels de l'éducation primaire ne comportent qu'un chiffre et augmentent de façon continue pour presque chaque sous-groupe. 18 Figure 8. L'éducation ne produit de rendements importants dans le secteur privé qu'après le cycle secondaire Figure 9. Rendement de l'éducation par pays $EU/mois Années d'éducation Ghana Tanzanie Nigeria Kenya Quelles sont les implications politiques du consensus émergeant autour du fait que les rendements privés de l'éducation en Afrique sont faibles dans les premières années de scolarisation et augmentent avec le niveau de formation? D'abord, cet élément montre que le marché du capital humain est au central dans l'explication des salaires des travailleurs percevant les revenus les plus élevés. Cependant, aux faibles niveaux compétences observés parmi les ouvriers, les différences de compétence semblent peut déterminantes dans l'explication des écarts de salaires. Il ne faut pas en conclure que le développement de l'éducation ne constitue pas un facteur important dans l'accroissement général de la productivité et des salaires. En revanche, les différences de niveaux d'éducation ne peuvent pas expliquer les différentiels de coûts de la main-d'oeuvre entre les entreprises. Deuxièmement, les politiques posant l'éducation primaire comme une priorité dans les pays pauvres postulent souvent que la courbe représentant les revenus par rapport aux années d'études sera concave, avec des rendements fortement croissants aux niveaux d'éducation de base. La preuve de la convexité de la courbe et des faibles rendements des premières années de scolarisation affaiblit cette recommandation. Il ne s'agit pas d'en 19 conclure que les pays pauvres doivent investir moins dans l'éducation primaire. Une littérature abondante documente les avantages non pécuniaires de l'éducation primaire dans les pays en développement, en particulier pour les filles. En outre, ce n'est qu'avec une bonne éducation primaire que les étudiants pourront avancer vers les niveaux d'éducation associés aux rendements économiques élevés--celui qui satisfait les demandes exprimées par les entreprises manufacturières. La convexité, cependant, suggère que les politiques conçues pour inciter les enfants, qui autrement n'auraient pas ou peu d'éducation, à obtenir ne serait- ce qu'un niveau d'éducation un peu plus élevé auront un petit effet agrégé sur le revenu et la pauvreté. L'un des mystères dans la littérature sur le développement est la raison pour laquelle l'expansion de l'éducation en Afrique au cours des deux dernières décennies a généré si peu de croissance alors que les rendements économiques moyens de l'éducation semblent élevés. La convexité des rendements économiques de l'éducation concilie ces résultats si, comme c'est probablement le cas, l'expansion de l'éducation a concerné des segments relativement plats de la fonction de revenu. La faible demande de travailleurs qualifiés Comme la demande de main-d'oeuvre, celle de compétences est une demande indirecte déterminée par les choix de production des entreprises. L'analyse des niveaux de production des entreprises constitue la manière la plus directe d'établir la présence d'une pénurie de compétences en Afrique. Les compétences des travailleurs peuvent être traitées comme des intrants dont le rendement est directement comparable à celui d'autres facteurs, tels que le capital physique. Cette approche est adoptée par Bigsten et al (2000) qui estiment les fonctions de production des entreprises en utilisant des données de panel recueillies dans les secteurs manufacturiers du Cameroun, du Ghana, du Kenya, de la Zambie et du Zimbabwe. Ils trouvent des taux de rendement moyens de l'éducation de seulement 5 pour cent dans les fonctions production. Ce résultat est quelque peu inférieur à la moyenne de 9 pour cent qu'ils obtiennent en estimant des équations de Mincer à l'échelle individuelle. Mais le taux de rendement de l'éducation reste dans tous les cas bien inférieur à celui du capital physique qui atteint environ 30 pour cent dans ces cinq pays. Teal (2000) constate que la demande de main-d'oeuvre qualifiée dans les entreprises ghanéennes est en baisse, un résultat compatibles avec les faibles niveaux d'investissement avérés de ces entreprises. La mauvaise qualité des écoles La discussion sur les rendements de l'éducation suppose implicitement qu'une année d'école supplémentaire permet l'acquisition de compétences additionnelles ou de capital humain. En fait, la qualité de l'éducation varie de manière spectaculaire selon les pays et selon les écoles au sein-même des pays et des régions. Des études réalisées à l'échelle macroéconomiques, telles que celle de Hanushek et Kimbo (2000), révèlent que la qualité de l'éducation, mesurée notamment par les résultats obtenus lors de tests standardisés, peuvent être directement liées à la croissance économique des pays. En utilisant des données sur le 20 Ghana, Glewwe (1996) estime que les rendements, pour les salariés, d'une amélioration de la qualité des écoles s'établissent autour de 24 à 29 pour cent. La faible pertinence des compétences Les compétences ne constituent qu'une des dimensions de la productivité et de la compétitivité de la main-d'oeuvre. Eifert et Ramachandran (2004) notent que dans presque tous les pays africains étudiés, les entreprises présentent les contraintes liées aux compétences comme les obstacles les moins sérieux auxquels ils sont confrontés, après l'accès à des infrastructures fiables, les coûts financiers, et le poids de la fiscalité (figure 9). Ainsi, si l'adaptation des compétences constitue un moyen d'améliorer la productivité, il ne convient pas de se focaliser exclusivement sur elles. En outre, obtenir des gains de productivité en augmentant les compétences ne conduira pas nécessairement à accroître la demande en travailleurs peu qualifiés. Figure 9. Le manque de compétence constitue une contrainte en Afrique, mais il existe des obstacles plus sérieux --tels que la corruption et les taux élevés d'impôts Figure 10. Major Obstacles Facing African Firms 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Eritrea Ethiopia a Keny que a ani ambi Tanz Uganda Zambia Moz Skills Cost of Finance Tax Rates Electricity Corruption Figure 10. Principaux obstacles auxquels sont confrontées les entreprises africaines Erythrée Ethiopie Kenya Mozambique Tanzanie Ouganda Zambie Compétences Coût du financement Taux d'imposition Electricité Corruption 21 Contraintes liées aux investissements Au cours des dernières années, l'étude du rôle du climat d'investissement a suscité un intérêt accru7 (Batra, Kaufmann et Stone 2003). Un mauvais climat d'investissement peut freiner la création d'emplois en affaiblissant les rendements des investissements, dissuadant ainsi les entreprises de financer des projets potentiellement générateurs de nouveaux emplois. Cette partie examine trois pays à revenu intermédiaire (le Botswana, l'Ile Maurice et l'Afrique du Sud) et neuf pays à faible revenu (le Cameroun, le Ghana, le Kenya, Madagascar, la Mozambique, le Nigeria, la Tanzanie, l'Ouganda et la Zambie). Parmi ces pays, on trouve des réussites spectaculaires ainsi que des performances économiques médiocres, des économies relativement larges et de très petites, certains ont connu des troubles politiques et d'autres une longue stabilité politique, dans certains des changements économiques et politiques rapides sont en cours et dans d'autres le statu quo est fermement établi. Cette partie s'appuie principalement sur des données récoltées au niveau des entreprises, disponibles pour environ la moitié de ces pays. La raison en est simple: étudier l'entreprise est la meilleure manière d'identifier les contraintes liées aux investissements et les obstacles majeurs à la création d'emplois. Un environnement réglementaire peu favorable Trois indicateurs traduisent l'état de l'environnement réglementaire: la protection des investisseurs, l'exécution des contrats et l'accès au crédit (tableau 1). La première mesure met l'accent sur la communication d'informations financières et relatives à la propriété aux investisseurs actuels et potentiels. L'index varie de 0 à 7, les valeurs les plus grandes correspondant à un plus haut degré de communication8 . Le résultat moyen pour l'Afrique Sub-Saharienne est de 2.1--beaucoup plus bas que la moyenne de 5.6 dans les pays de l'Organisation pour le développement et la coopération économiques (OCDE). La communication d'informations semble être particulièrement faible au Cameroun, en Tanzanie et en Zambie. Le Nigeria et l'Afrique du Sud ont étrangement de meilleurs résultats que la moyenne de l'OCDE. 7La constitution et l'amélioration des données sur la qualité du climat d'investissement constitue un domaine très actif de recherche. Voir le site internet du Service consultatif des investissements étrangers (FIAS) sur : www.fias.net/investment_climate.html. 8La méthodologie est présentée dans Djankov et al (à paraître). 22 Tableau 1. Les indicateurs de l'environnement réglementaire dans quelques pays africains Communication d'informations financières et relatives Nombre de jours Coût de la constitution à la propriété aux nécessaires pour d'une garantie investisseurs actuels et résoudre les litiges (part du revenu par Pays potentiels relatifs aux contrats habitant) Afrique du sud 6 277 2,3 Botswana 5 154 2,0 Cameroun 1 585 87,6 Ghana 2 200 37,9 Kenya 2 360 3,3 Madagascar 1 280 39,0 Mozambique 2 580 5,0 Nigeria 6 730 20,7 Uganda 2 209 11,9 Tanzanie 1 242 21,3 Zambie 1 274 19,2 Région Afrique sub- saharienne 2,1 434 41,8 OECD 5,6 229 5,2 La deuxième variable mesure le nombre de jours requis pour résoudre un litige commercial au tribunal, compté à partir du moment où le plaignant saisit la justice jusqu'au règlement ou paiement (voir Djankov et al 2003). Cet indicateur varie fortement à l'intérieur de l'échantillon et la moyenne de l'Afrique sub-saharienne est pratiquement deux fois plus élevée que la moyenne de l'OCDE. Bigsten et al (2000) montrent que les entreprises africaines évitent les tribunaux pour la résolution des litiges, s'appuyant d'abord sur la négociation. Les grandes entreprises n'intentent un procès que lorsque les négociations ont échoué. La troisième variable du tableau 1 renvoie au coût de la constitution d`une garantie pour obtenir des prêts formels, exprimé comme un pourcentage du revenu par habitant (plus il est élevé, moins le crédit formel est accessible). Cet indicateur prend en compte les lois en matière de garanties et d'insolvabilité et les résultats d'une enquête sur les lois relatives aux transactions garanties. Les coûts incluent les taxes, les frais de notaire et les impôts liés à l'établissement d'un droit de garantie et à son enregistrement dans le registre des garanties (lorsque ce registre existe). La moyenne de l'Afrique subsaharienne est de huit fois celle de l'OCDE, révélant ainsi que l'accès au crédit formel est en fait associé à des coûts élevés. 23 Des infrastructures inadaptées Les infrastructures comprennent une gamme de services importants pour les échanges tels que le transport, les télécommunications, l'élimination des ordures et l'approvisionnement en électricité et en eau. Malgré un indice élevé des dépenses publiques par rapport au PIB dans la majorité des pays africains, les infrastructures africaines demeurent faibles (Collier et Gunning 1999). Les coûts de transport sont considérablement plus élevés que dans d'autres régions ; les coûts d'électricité sont élevés et l'approvisionnement en eau est moins fiable. Comme on peut le constater dans le tableau 2, il existe une grande diversité dans la qualité des infrastructures entre les pays, comme le révèle la comparaison entre l'Ile Maurice et l'Ouganda. Tableau 2. Indicateurs d'infrastructures dans quelques pays africains, 1996­2000 Transmission Voies Pourcentage d'énergie bitumées (en Source d'entreprises électrique et Lignes pourcentage d'eau Lignes de classant répartition téléphoniq Routes du total des traitée(en chemins de l'infrastructur des pertes (en ues goudronnées routes pourcentage fer e comme un pourcentage principales (kilomètres de la (kilomètres obstacle de la (pour 1000 par million population y par million moyen ou Pays production) habitants) d'habitants) ayant accès) d'habitants) majeur Afrique du Sud 8 116 1 709 20 86 515 14 Botswana -- 66 3 119 54 95 -- 29 Cameroun 20 6 301 13 58 67 91 Ghana 23 7 556 27 73 49 58 Kenya 20 10 270 12 57 88 94 Madagascar -- 3 403 12 47 -- 85 Ile Maurice -- 205 1 578 96 100 -- -- Mozambique 24 5 339 19 57 -- -- Nigeria 37 4 452 28 62 28 98 Ouganda 3 80 7 52 11 70 Tanzanie 15 4 117 4 68 81 88 Zambie 2 8 3 139 62 64 129 76 Région OCDE 6 569 12 279 88 -- 375 22 Afrique Sub- 11 13 369 14 58 -- 66 saharienne -- Non disponible. Note: Les données des six premières colonnes correspondent à des valeurs moyennes couvrant la période de 1996 à 2000. Source: Calculé à partir des données de la Banque mondiale (2004b). Les données de la colonne de droite sont tirées de Batra, Kaufmann et Stone (2003). 24 La pauvreté des infrastructures pourrait constituer l'explication principale de la faible performance économique des pays africains au cours des dernières décennies.9 Les industries sont de grandes utilisatrices des services d'infrastructure. De ce fait, ce secteur a du particulièrement souffrir de la faiblesse des infrastructures. Les entreprises africaines considèrent les infrastructures comme l'une des contraintes les plus importantes (Batra, Kaufmann et Stone 2003). Les entreprises réagissent à l'insuffisance d'infrastructures en visant le marché local et en utilisant les intrants fournis localement. Ainsi, la capacité des entreprises à exporter peut être entravée par l'insuffisance d'infrastructures. Oshikoya (1994) montre à l'échelle macroéconomique que les infrastructures sont importantes pour la performance économique en Afrique. Il constate que l'investissement du secteur public a un effet positif sur l'ensemble des investissements privés dans sept pays. Latreille et Varoudakis (1997) soutiennent quant à eux que le manque d'investissement public dans les infrastructures explique en grande partie la tendance à la baisse de la productivité totale des facteurs de production au Sénégal. Lee et Anas (1992) suggèrent que des infrastructures publiques non fiables et inaccessibles augmentent les coûts unitaires des entreprises manufacturières au Nigeria. En 2001 le secteur privé a investi environ 4,6 milliards de dollars dans les infrastructures en Afrique subsaharienne--soit la somme modique de 8 dollars par habitant --et la plupart de cette dépense concerne l'Afrique du Sud. Néanmoins, la tendance est positive (figure 10). Les investissements privés dans les infrastructures se sont focalisés sur les télécommunications, un secteur où il a été mis fin au monopole des opérateurs d'état et où des agréments de téléphone mobiles ont été accordés à des opérateurs privés qui approvisionnent désormais un marché en pleine croissance. 9 Des régressions transversales révèlent une forte corrélation entre la disponibilité de certains types d'infrastructure (télécommunications, énergie, voies bitumées, accès à l'eau potable) et le revenu par habitant (Easterly et Rebelo 1993; Easterly et Levine 1995; Canning 1998). Une étude microéconomique dans quatre pays asiatiques (Bangladesh, Chine, Inde et Pakistan) fournie par Dollar, Hallward-Driemeier et Mengistae (2003) montrent que la productivité totale des facteurs est liée à différents indicateurs du climat d'investissement en estimant le coût monétaire ou en termes de temps créé par différents goulots d'étranglement. 25 Figure 10. L'investissement privé dans les projets d'infrastructure en Afrique a augmenté au cours des années 1990. 5.0 4.5 4.0 3.5 SDU 3.0 Afrique du Sud 2.5 Reste de la région 2.0 Milliards 1.5 1.0 0.5 - 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 Des coûts d'entrée prohibitifs Entrer pour la première fois sur le marché de l'exportation peut être coûteux (Roberts et Tybout 1997). Il se peut qu'il soit nécessaire, par exemple, de créer un département commercial pour vérifier les circuits de distribution et satisfaire les commandes d'exportation. Il semble probable que la qualité du climat d'investissement ait une influence sur l'importance des coûts d'entrée, mais aucune preuve empirique solide ne soutient cette assertion. Roberts et Tybout affirment qu'une preuve indirecte de l'existence de coûts d'entrée élevés peut être obtenue en déterminant si le choix d'exporter aujourd'hui dépend d'un choix antérieur. Ce test repose sur l'idée qu'en l'absence de coûts d'entrée, les entreprises entreront et sortiront du marché d'exportation, indépendamment du fait qu'elles aient exporté par le passé ou non. Toutefois, si les coûts d'entrées sont élevés, les entreprises qui ont déjà subi ces coûts (et qui ainsi n'auront plus à les subir) seront plus disposées à exporter dans les périodes ultérieures que les entreprises qui n'ont pas payé ces coûts. Testant leur théorie, Roberts et Tybout obtiennent de solides résultats montrant que les anciens exportateurs sont plus susceptibles d'exporter que ceux qui n'ont jamais exporté, ce qui suggère la présence de coûts fixes importants. Bigsten et al (2004a) constatent que le statut d'ancien exportateur a un impact considérable sur la propension à exporter. L'importance de cet effet est grande: pour l'entreprise moyenne qui a exporté par le passé, la probabilité d'exporter dans le présent est d'environ 0,57 alors que la probabilité d'exporter d'une entreprise semblable qui n'exportait pas auparavant est de 0,18. Cette conclusion a au moins deux implications politiques majeures. Premièrement, si les entreprises peuvent être encouragées à s'engager dans un marché d'exportation (par des incitations, par exemple), elles pourraient exporter pendant un certain temps. Ensuite, les coûts d'entrée élevés suggèrent que certaines entreprises compétitives sur le plan international n'exportent pas. La réduction ou l'élimination des coûts d'entrée leur permettrait d'accéder à des marchés plus importants. 26 Un manque d'efficacité des coûts de production L'efficacité des coûts de production constitue un second facteur déterminant dans le choix d'exportation de l'entreprise. Clerides, Lach et Tybout (1998) notent que les entreprises ayant des coûts marginaux en dessous de certains seuils choisissent d'exporter alors que celles ayant des coûts marginaux au dessus de ces seuils n'exportent pas. Ils prédisent que des entreprises relativement efficaces s'auto-sélectionneront pour entrer dans le marché de l'exportation. Cependant en Afrique, la preuve d'une telle auto-sélection reste relativement faible. Bigsten et al (2004a) suggèrent que la causalité va dans la direction opposée, c'est-à-dire de l'exportation à l'efficacité. D'un point de vue politique, le fait que les entreprises des pays en développement tirent ou non des enseignements de l'exportation constitue un enjeu majeur. Si un apprentissage apparaît, l'écart de compétitivité pourrait être réduit de manière endogène par le développement du commerce international. Bigsten et al (2004a) ont obtenu une preuve relativement solide de l'existence d'effets d'apprentissage. Ils notent en particulier que l'exportation conduit à une augmentation de la productivité totale des facteurs de 7 pour cent au cours des périodes ultérieures (figure 11). A la longue, si l'entreprise continue à exporter, la productivité totale des facteurs augmentera de 8 pour cent. Il est probable que cet effet positif sur la productivité stimule l'investissement. Si l'entreprise arrête d'exporter après une seule période, les gains en productivité apportés par cette brève incursion dans le marché d'exportation auront complètement disparu après six ans (figure 12). Une explication possible à l'effet de l'apprentissage de l'exportation en Afrique est que les bénéfices potentiels de l'exportation sont énormes en raison des restrictions commerciales sévères du passé et du fossé technologique par rapport aux pays développés. Figure 11. Entrer et rester sur le marché de l'exportation dope la productivité totale des facteurs. 0.08 0.07 0.06 TFP 0.05 ge tana 0.04 Av 0.03 0.02 0.01 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Période (années) Source: Les calculs des auteurs sont basés sur les résultats de Bigsten et al (2004a). 27 Figure 12. Entrer puis sortir du marché de l'exportation n'a pas d'effet à long terme sur la productivité totale des facteurs. 0.08 0.07 0.06 TFP 0.05 ge tana 0.04 0.03 Av 0.02 0.01 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Période (années) Source: Les calculs des auteurs sont basés sur les résultats de Bigsten et al (2004a). Un risque élevé L'Afrique est une région à risque pour les investisseurs. Une source d'incertitude est le risque de défaut de paiement des entreprises, tel qu'évalué par la Coface, le souscripteur français de crédit d'exportation.10 La catégorie C indique « qu'un environnement politique et économique très instable pourrait provoquer la détérioration des habitudes de paiement déjà mauvaises. » La catégorie D indique que « le profil à risque élevé de l'environnement économique et politique d'un pays aggravera davantage les habitudes de paiement généralement très mauvaises. » Soixante dix pour cent des 54 pays africains évalués dans l'étude tombent dans la catégorie C ou D, de loin la proportion la plus forte par rapport à n'importe quelle autre région du monde, et le risque de cessation de paiement des entreprises en Afrique est plus élevé que dans le reste du monde. L'indice de l'Investisseur Institutionnel relatif au risque de non paiement révèle une histoire similaire : entre 1979 et 1996, l'Afrique était la région la plus risquée au monde (Collier et Pattillo 2000). Comment le haut niveau de risque en Afrique affecte-t-il le comportement des investisseurs ? Les théories de l'investissement dans l'incertain soulignent que parce que les dépenses en capital sont fixes ou sont irréversibles, les entreprises confrontées à un niveau élevé de risque peuvent adopter une approche attentiste vis-à-vis des nouveaux projets d'investissement. Les modèles d'investissement sous contrainte d'irréversibilité prédisent que les investissements seront plus lents à répondre aux chocs de la demande si l'incertitude est grande. La recherche empirique soutient fortement cette hypothèse. Collier et Pattillo (2000) révèlent que la part de l'investissement privé dans le PIB correspond négativement au risque mesuré par l'indice de l'Investisseur Institutionnel. 10Pour les détails sur la méthodologie de classement, voir http://www.trading-safely.com. 28 D'autres études telles qu'Aizenman et Marion (1999), Pattillo (1998) et Darku (2001) prouvent directement que l'incertitude a un impact négatif sur l'investissement. Une grande incertitude conduit à l'intégration d'une forte prime de risque dans le taux de retour sur investissement requis, suggérant que les entreprises manufacturières africaines subissent de forts coûts d'opportunité en termes de capital. Bigsten et al (1999) confirment cette affirmation. Utilisant des données du Programme régional pour le développement des entreprises sur l'environnement au Cameroun, au Ghana, au Kenya et au Zimbabwe au début et au milieu des années 90, ils rapportent que les rendements moyens sur le capital sont beaucoup plus élevés que ceux de pays plus développés. Alors que les taux d'investissement moyens sont ­ de façon marquante ­ très proches dans tous les pays, les taux de rendement du capital sont beaucoup plus élevés en Afrique qu'en Europe. Les auteurs en concluent que le coût du capital est relativement élevé en Afrique, un résultat qui est compatible avec l'effet négatif de l'incertitude sur l'investissement. La réduction de l'incertitude ou le développement d'un marché d'occasion pour le capital fixe peut par conséquent augmenter les investissements. Fafchamps et Oostendorp (2002) affirment que l'incertitude expliquerait de façon plausible pourquoi les investissements sont restés faibles au Zimbabwe malgré les changements introduits par le programme d'ajustement structurel dans le pays. Les contraintes de crédit Les économistes étudiant les questions de développement ont longtemps soutenu que le mauvais fonctionnement des marchés de crédit freine la croissance. Les marchés africains de crédit sont les moins développés au monde. Les entreprises qui ont des projets d'investissement rentables sont souvent incapables d'obtenir des financements extérieurs à leurs projets. La faiblesse des marchés du crédit africains s'explique le plus souvent par l'imperfection des informations imprécises, l'exécution difficile des contrats et le manque de concurrence entre prêteurs. Bien que les marchés du crédit africains soient en effet faibles, les contraintes ne sont saturées que si les entreprises veulent investir. S'il n'existe pas d'opportunités d'investissement rentables, les contraintes de crédit ne peuvent entraver l'investissement. Si ces opportunités sont rares en Afrique, une reforme du marché de crédit n'augmentera pas sensiblement l'investissement à court terme. Bigsten et al (2003) suggèrent que les demandes de prêts formels des industriels africains sont faibles: moins de 20 pour cent des entreprises de l'échantillon avaient déposé une demande de prêt formel au cours de l'année précédente. La majeure partie de ceux-ci ont effectivement obtenu le prêt. Les petites entreprises étaient moins susceptibles que les grandes de demander des prêts et de voir leur demande approuvée. (Table 3). 29 Tableau 3. Demande et obtention de crédit par des entreprises dans divers pays africains, par taille de société (Pourcentage de toutes les entreprises par catégorie) N'ont pas demandé de Ont demandé mais Ont demandé et ont Taille de l'entreprise prêt n'ont pas obtenu de obtenu un prêt prêt Micro 92 6 2 Petite 82 11 7 Moyenne 80 9 11 Large 75 5 20 Toutes 82 8 10 Note: Les données proviennent d'enquêtes effectuées au Burundi, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Kenya et au Zimbabwe. Source: Bigsten et (2003). Bien entendu, il se peut qu'une entreprise subisse une contrainte de crédit même si elle ne demande pas de prêt. Consciente qu'il existe des contraintes relatives au crédit, l'entreprise peut décider de ne pas demander de prêt pour éviter d'en subir les coûts de transactions. Disposant d'informations concernant les raisons pour lesquelles certaines entreprises n'avaient pas déposé de demande de prêt, Bigsten et al (2003) identifient trois groupes d'entreprises: celles qui ne demandent pas de prêt (55 pour cent de toutes les entreprises), celles qui en demandent et connaissent des contraintes (33 pour cent) et celles qui en demandent mais ne subissent aucune contrainte (12 percent). Il existe une grande disparité selon la taille des entreprises. Environ deux tiers des micros entreprises et seulement 10 pour cent des grosses entreprises font état de contraintes de crédit. Environ deux tiers de ces grandes entreprises et un tiers des micro-entreprises choisissent de ne pas participer au marché de crédit. L'idée selon laquelle les entreprises les plus petites connaissent des contraintes dans l'accès au crédit est renforcée par les résultats de régressions qui indiquent que, en prenant en compte d'autres facteurs importants tels que la rentabilité escomptée ou l'endettement, les chances de succès d'une demande de prêt varient selon la taille d'une entreprise, un résultat compatible à la fois avec l'existence d'un biais de sélection de la part des banques ou des coûts des transactions plus élevés pour les banques. L'effet d'échelle est important : pour qu'une micro entreprise ait les mêmes chances qu'un grande entreprise d'obtention un prêt, son rendement du capital fixe doit être supérieur à celui d'une grande entreprise de plus de 200 points. Habyarimana (2003) estime que pendant les trois années suivant la crise bancaire, le taux de croissance moyen annuel de l'emploi des entreprises ayant perdu une relation avec un établissement bancaire était de 2,3-4-0 plus bas que celui des entreprises n'ayant pas été touchées, après prise en compte des effets fixes par secteur, année et entreprise. Les entreprises affectées par la crise bancaire étaient également plus susceptibles de signaler des contraintes de crédit, ce qui suggère que la perte d'une relation bancaire freine l'investissement. Le tableau général qui ressort de la littérature est que le crédit peut ne pas avoir été une contrainte réelle pour l'investissement au sein de l'industrie africaine, probablement parce qu'au cours de cette période peu d'entreprises pouvaient identifier des opportunités d'investissement. Il ne faut pas en conclure que la reforme du système financier 30 mise en oeuvre dans plusieurs pays africains dans les années 90 ait été inutile. Lorsque les entreprises se développeront, le recours aux emprunts formels augmentera et les reformes financières pourraient s'avérer plus bénéfiques, aboutissant à des investissements plus importants et à davantage d'emplois. Cependant rétrospectivement, on aurait dû donner la priorité à la facilitation des exportations et à la croissance de la productivité plutôt qu'au crédit. Ceci est un exemple de l'importance de bien déterminer les priorités des reformes. 3. Perspectives Les efforts de réduction de la pauvreté en Afrique ont été freinés par des décennies de stagnation de la croissance économique avec pour corollaire la création de peu d'emplois bien rémunérés permettant d'augmenter le revenu du nombre croissant de travailleurs africains. La faible demande de main-d'oeuvre du secteur formel est due à une variété de contraintes sur les salaires, l'éducation et l'investissement, tels que le manque de flexibilité des salaires entre secteurs, le manque de travailleurs dotés des compétences appropriées-- compétences qui nécessitent une formation postsecondaire, la faible productivité de la main- d'oeuvre, un environnement défavorable à l'investissement et la mauvaise qualité des infrastructures dans la majorité des pays africains. L'Afrique ne pourra accélérer sa croissance économique et créer suffisamment d'emplois dans le secteur formel pour réduire la pauvreté qu'en devenant plus compétitive à l'échelle internationale et en exportant davantage. Pour ce faire, les entreprises africaines doivent accroître leur productivité. Incidence sur les politiques générales Les gouvernements africains pourraient élaborer des politiques particulières pour permettre aux entreprises d'accroître leur productivité, de devenir plus compétitives et par conséquent d'augmenter le nombre d'emplois dans le secteur formel: · Assouplir les réglementations du marché du travail pour permettre aux entreprises de modifier les taux salariaux en réponse aux chocs de la demande et de la productivité. Réduire la rigidité des salaires aiderait à créer davantage d'empois et à combler les écarts de salaires entre secteurs et entre entreprises. · Améliorer le climat d'investissement et les infrastructures. Toute réforme du secteur privé africain devra passer par une stimulation des investissements : · Reformer les institutions du marché, telles que les lois, les tribunaux, les organisations commerciales et industrielles, les groupes d'intérêt, afin d'assurer un meilleur contrôle de la qualité et une meilleure compétitivité des produits, protéger les droits de propriété et améliorer l'exécution des contrats. · Encourager les innovations au sein des institutions financières, non seulement des banques commerciales, mais également des assurances et des banques d'affaire en permettant par exemple la location-vente d'équipement et de véhicules ou en encourageant davantage l'utilisation des lettres de crédit, des obligations de sociétés et des instruments de couverture pour fournir des formes alternatives de services financiers. 31 · Améliorer les services commerciaux et industriels, tel que l'offre d'entrepôts, de transport, de commodités, d'audit, de marketing, de prospection de marché, de promotion des exportations, de conception de produits et de maintenance. · Se concentrer sur la région du pays qui a les plus fortes potentialités. Cibler les efforts de croissance sur un secteur et une région particulière permet de réaliser des économies et augmente les chances de succès, puisque le seuil de compétitivité requis pour les exportations peut être plus facilement atteint que si les ressources sont disséminées dans une multitude de secteurs et d'emplacements. · Investir dans les secteurs manufacturiers et agricoles fournisseurs potentiels pour les marchés d'exportation. Les retombées du dynamisme de ces secteurs sur d'autres seraient significatives dans la plupart des pays. · Adopter de nouvelles technologies et orienter les investissements vers de nouveaux marchés d'exportation. Encourager une orientation de l'économie vers les marchés extérieurs afin d'améliorer sa compétitivité à l'échelle internationale doit constituer une composante clé de la politique industrielle africaine. En résumé, les économies africaines doivent poursuivre des politiques qui renforcent les compétences de la main-d'oeuvre et compléter ces mesures par des politiques susceptibles de stimuler la demande de ces compétences, notamment l'amélioration du climat d'investissement et l'alignement des salaires sur la productivité. La liste des tâches qui attend l'Afrique est longue et peut sembler décourageante. La bonne nouvelle est que ces reformes ne doivent pas nécessairement être adoptées en même temps. Le plus sensé dans un premier temps serait de réduire les coûts de production locaux afin de rendre les entreprises africaines compétitives à l'échelle internationale, ce que quelques reformes doivent pouvoir accomplir. Il est essentiel que l'Afrique s'appuie sur ses points forts et assouplisse les contraintes en matière de salaires, d'éducation et d'investissement qui entravent la croissance. Les entreprises manufacturières africaines ont le potentiel de réussir sur les marchés internationaux. Au cours des dernières années, alors que beaucoup d'entreprises n'ont connu qu'un succès limité, certaines ont atteint de très bons résultats. Il s'agit d'entreprises proposant de nouveaux produits, en adoptant une démarche commerciale efficace et au fait des technologies de pointe. Ces entreprises sont souvent exportatrices. Les politiques s'appuyant sur des mesures incitatives et augmentant l'offre de moyens aux entreprises afin de promouvoir l'exportation sont les plus susceptibles de renforcer la compétitivité et de générer plus d'emplois mieux rétribués dans le secteur formel. Par contre, le maintien d'un statu quo dans lequel les entreprises se contentent de fournir au marché domestique des produits de base peu chers, ne permettra pas de créer le nombre d'emplois nécessaires afin d'éradiquer la pauvreté. Travaux de recherches futurs L'augmentation rapide du nombre d'enquêtes réalisées auprès d'entreprises et de ménages, accessibles aux chercheurs, au cours de la dernière décennie a amélioré la compréhension des marchés du travail africains. Cependant, des lacunes restent à combler. Les questions suivantes sont autant de pistes à explorer pour les recherches futures: 32 · Pourquoi les salaires sont-ils étroitement liés à la taille des entreprises en Afrique? Les salaires d'efficience et les négociations salariales ont été mis en avant pour expliquer cette corrélation. Déterminer laquelle de ces explications est correcte a d'importantes implications politiques. · Comment et quand les salaires s'ajustent-ils en réponse à l'excès de main-d'oeuvre? Dans un premier temps, les recherches doivent examiner le degré de flexibilité d'autres marchés du travail africains. · Quels sont les déterminants microéconomiques d'un ajustement flexible des salaires? Les salaires réels chutent-ils pour des emplois donnés ou les réductions de salaires observées reflètent-elles une évolution de la composition de l'entreprise? Les salaires chutent-ils pour les employés en poste ou les ajustements de salaires surviennent-ils seulement à la marge pour les nouveaux emplois? Répondre à ces questions demandera l'analyse de données de panel sur les travailleurs et les entreprises sur de longues périodes. · Qu'est ce qui détermine le différentiel de salaire entre syndiqués et non syndiqués? Pourquoi ces différentiels varient-ils tant d'un pays à l'autre et comment évoluent-ils au fil du temps? Répondre à ces questions demandera une analyse empirique isolant les caractéristiques individuelles des travailleurs des effets liés aux entreprises et aux syndicats. Ceci nécessitera des données reliant entreprises et travailleurs sur plusieurs périodes, et dans lesquelles un suivi des personnes restant dans un emploi donné ou changeant d'entreprises sera assuré. · Quelles sont les dynamiques des rendements des compétences? Certains éléments montrent que les rendements des compétences évoluent. Les données établies à l'échelle des entreprises suggèrent une convexité croissante des rendements des compétences lorsque ceux-ci sont construits à partir d'équations de Mincer. Ceci reflète-t-il des rendements décroissants en bas de la distribution ou un accroissement rapide en haut de la distribution? Les informations sont limitées sur ce point qui est crucial pour comprendre comment une offre accrue de main-d'oeuvre qualifiée peut interagir avec la demande. De faibles investissements conduiront probablement à une augmentation limitée de la demande de main-d'oeuvre qualifiée. Il existe d'autres dimensions à ces compétences, mais on sait peu comment elles ont évolué. Les données collectées récemment sur les marchés du travail devraient permettre de mener des études sur ces points. · Comment l'environnement économique affecte-t-il la performance des entreprises? Quels aspects du climat d'investissement constituent les plus gros obstacles? Quelle est l'importance de ces obstacles par rapport aux autres facteurs tels que les coûts de la main- d'oeuvre? Les problèmes de mesure et de méthodologie, tels que l'écart entre les mesures objectives et subjectives, doivent être analysés. 33 REFERENCES Appleton, S., J. Hoddinott et J. Mackinnon. 1996. "Education and health in sub-Saharan Africa." Journal of International Development, 8(3):307-339. Beaudry, P. et N. K. Sowa. 1994. "Ghana." In Susan Horton et al, eds. Labor Markets in an Era of Adjustment, Vol. 2. EDI Development Studies. Washington D.C.: World Bank. Bigsten, Arne et al. 2000. "Rates of Return on Physical et Human Capital in Africa's Manufacturing Sector." Economic Development and Cultural Change 48(4): 801-27. ------. 2004. "Do African manufacturing firms learn from exporting?" The Journal of Development Studies, 40(3): 115-141. Blanchflower, David et Andrew Oswald. 1995. The Wage Curve. Cambridge: MIT Press. Blanchflower, David, Andrew Oswald et Peter Sanfey. 1996. "Wages, Profits, and Rent-Sharing." Quarterly Journal of Economics, 111(1): 227-51. Blunch, Niels-Hugo et Dorte Verner. 2004. "Asymmetries in the Union Wage Premium in Ghana." World Bank Economic Review, 18(2): 237-252. Dasgupta, Partha et Debraj Ray. 1986. "Inequality as a Determinant of Malnutrition and Unemployment: Theory." Economic Journal, 96(384): 1011-34. Djankov, S., R. La Porta, F. Lopez-de-Silanes et A. Shleifer, (2003), "Courts," Quarterly Journal of Economics, n°118, p. 457-522. Fafchamps, Marcel et Mans Söderbom. "Wages and Labor Management in African Manufacturing." CSAE Working Paper WPS/2004-02. Fallon, Peter et Robert Lucas. 1993. "Job security regulations and the dynamic demand for industrial labor in India et Zimbabwe." Journal of Development Economics 40: 241-275. ------. 1996. "South African labour markets: Adjustment and inequalities." Draft. Poverty and Social Policy Department, World Bank. Freeman, Richard et Remco Oostendorp. 2000. "Wages around the World: Pay Across Occupations et Countries." NBER Working Paper No.8058. Glewwe, Paul. 1996. "The relevance of standard estimates of rates of return to schooling for education policy: A critical assessment." Journal of Development Economics, v.51: 267-90. 34 Hanushek, Erica et Dennis Kimko. 2000. "Schooling, Labor Force Quality, and the Growth of Nations." American Economic Review, 90(5): 1184-1208. Horton, Susan, Dipak Mazumdar et Ravi Kanbur. 1994. "Overview," in Labor Markets in an Era of Adjustment, Vol. 1. Washington D.C.: World Bank. ------. 2004. "Unemployment in South Africa: the nature of the beast." World Development, 32(3): 391-408. Krishnan, Pramila, Stefan Dercon et Tesfaye Gebre Selassie. 1998. "The urban labour market during structural adjustment: Ethiopia 1990-1997." Centre for the Study of African Economies, Working Paper 98-09, Oxford University. Lachaud, Jean Pierre. 1995. "Public-Private Wage Differentials in French-Speaking Africa: A Comparative Analysis." Labour, 9(2): 295-341. Mazumdar, Dipak. "Wages in Africa." Mimeo, Africa Chief Economist's Office, World Bank. Milne, William et Monica Neitzert. 1994. "Kenya." In Susan Horton et al, eds. Labor Markets in an Era of Adjustment, Vol. 2. EDI Development Studies. Washington D.C.: World Bank. Moll, P. G. 1992. "Quality of education and the rise in returns to schooling in South Africa, 1975 ­ 1985." Economics of Education Review, 11(1). Rama, Martín. 2000. "Wage Misalignment in CFA Countries: Are Labor Market Policies to Blame?" Journal of African Economies 9(4): 475­511. Schultz, Paul. 2004. "Evidence of Returns to Schooling in Africa from Household Surveys: Monitoring and Restructuring the Market for Education." Journal of African Economies, forthcoming. Schultz, Paul et Germano Mwabu. 1998. "Labor unions and the distribution of wages and employment in South Africa." Industrial and Labor Relations Review, 51(4): 680-703. Söderbom, Måns et Francis Teal. 2003. "Openness and Human Capital as Sources of Productivity Growth: An Empirical Investigation" CSAE Working paper 2003-06 35 Söderbom, Måns, Francis Teal et Anthony Wambugu. (à paraître) "Unobserved Heterogeneity and the Relation between Earnings and Firm Size: Evidence from Two Developing Countries" Economic Letters. Söderbom, Måns, Francis Teal, Anthony Wambugu et Godius Kahyarara, The Dynamics of Returns to Education in Kenyan and Tanzanian Manufacturing, CSAE WPS/2003-17 Teal, Francis. 1996. "The size and sources of economic rents in a developing country manufacturing labour market." Economic Journal, 106: 963-76. ------. 2000. "Real wages and the demand for skilled and unskilled male labour in Ghana's manufacturing sector: 1991--1995." Journal of Development Economics 61: 447--461. Thomas, Mark et Luc Vallée. 1996. "Labour market segmentation in Cameroonian manufacturing." Journal of Development Studies, 32(6): 876-98. van der Gaag, J. et W. Vijverberg. 1989. "Wage determinants in Côte d'Ivoire." Living Standards Measurement Study Working Paper No. 33. Washington, D.C.: World Bank. Velenchik, Ann. 1997. "Market power, firm performance and real wage growth in Zimbabwean manufacturing." World Development 25(5), p. 749-762. Vijverberg, W. et J. van der Gaag. 1990. "Testing for labor market duality: the private sector wage in Côte d'Ivoire." LSMS Working Paper No. 66, Washington D.C. : World Bank 36 Cette document été commandée par la Banque Mondiale dans le cadre du projet « Création d'em- plois, normes fondamentales du travail et réduction de la pauvreté en Afrique ». Ce projet a bénéficié du financement généreux du Ministère Fédéral Allemand pour la Coopération Economique et le Déve- loppement (BMZ) ainsi que de la participation du BMZ et de l'Organisation Internationale du Travail à son comité de pilotage. Les résultats, interprétations et conclusions exprimés dans la présente publication reflètent exclusive- ment les vues du ou des auteur(s) et ne peuvent être attribuées en aucune façon à la Banque Mondia- le, aux organisations qui lui sont affiliées, au conseil d'administration ou aux pays membres.