95213 NOTE D'INFORMATION Comprendre les coûts et la viabilité des produits de microfinance conformes à la charia L a finance islamique est un secteur en plein essor. On compte en effet plus de 1 000 institutions de finance islamique dont les actifs combinés dépassent pour pouvoir offrir ces produits sont-ils en train de freiner le développement durable du secteur de la microfinance conforme à la charia ? 1 300 milliards de dollars (Reuters 2013). Toutefois, le développement de la microfinance conforme Cette Note Focus explore ces questions en analysant aux principes de la charia a été beaucoup moins deux études de cas portant sur les produits dynamique. Depuis 2006, le nombre de prestataires (la mousharaka et le salam) de deux prestataires de de services offrant des produits de microfinance services financiers opérant dans différents marchés conformes à la charia a doublé, bien que par rapport (la Banque Al Baraka en Algérie et la Fondation Wasil à une base très faible, et le nombre de clients ayant au Pakistan). Ces études de cas examinent les coûts recours à ces produits a quadruplé (El-Zoghbi et opérationnels associés à ces deux produits et Tarazi 2013). Pourtant, les clients qui investissent formulent des prévisions de croissance pour évaluer dans des produits de microfinance conformes à la dans quelle mesure ce type de produits peut être charia représentent moins de 1 % du nombre de viable1. Ces cas reflètent des initiatives très récentes clients de la microfinance traditionnelle. Les coûts visant à diffuser des produits conformes à la charia élevés associés à l’offre de produits respectueux et qui ont pour l’instant une portée limitée mais de la charia, en particulier pour les mécanismes qui figurent cependant parmi les rares initiatives de partage des pertes et des bénéfices comme la mondiales de ce type. mousharaka ou la moudaraba, sont souvent cités pour expliquer le manque de diversité des produits et de Les deux innovations présentées ici, de la Banque popularité auprès des clients. Quels sont donc les Al Baraka et de la Fondation Wasil, offrent un aperçu coûts liés à l’offre de ces produits et peuvent-ils être de la façon dont d’autres prestataires de services proposés de manière rentable par les prestataires financiers pourraient diversifier leur portefeuille de services financiers  ? Les structures de coûts et de produits conformes à la charia pour servir plus les modèles économiques sous-jacents nécessaires de clients. Après l’examen de ces études de cas, cette Note formule des conclusions préliminaires sur la façon dont les prestataires de services Encadré 1. Aperçu des produits pourraient incorporer certains enseignements tirés conformes à la charia par ces institutions financières pour mieux servir • L'ijara est une sorte de contrat de location. leurs marchés. • La moudaraba est un financement de fiducie dans le cadre duquel une partie fait fonction de prestataire de services financiers et apporte le financement, Des produits qui ont et l’autre fournit l’expertise en gestion pour exécuter le projet. Les profits sont répartis en fonction d’un ratio encore une portée limitée : préétabli, mais les éventuelles pertes financières sont la mousharaka et le salam entièrement assumées par le prestataire, le gestionnaire perdant pour sa part du temps et des efforts. Plusieurs produits conformes à la charia sont proposés • La mourabaha est un contrat de vente « à prix majoré ». aujourd’hui, mais le plus répandu est la mourabaha • La mousharaka est un contrat de participation au qui est essentiellement une opération d’achat et de capital d'une entreprise en vertu duquel les parties partagent les bénéfices ou les pertes en fonction d'un revente dont le prix est majoré d’une marge fixe. ratio prédéterminé. Ce produit est celui qui ressemble le plus à un produit • Le prêt Qard-Hassan est un prêt ne portant pas intérêt. de microfinance conventionnel, et il est donc celui qui Le prêteur ne peut pas exiger son remboursement. a été le plus largement adopté par les prestataires • Le salam est un paiement anticipé sur livraison future de services financiers qui cherchent à atteindre les qui est utilisé dans le monde agricole et qui permet musulmans pratiquants pauvres. Toutefois, dans N° 101, aux agriculteurs de financer la mise en production en échange de la récolte à venir. certains marchés, la mourabaha n'est pas toujours février 2015 considérée comme un produit « authentique » étant Mayada El-Zoghbi et Kaylene Alvarez 1 Étant donné que nous ne nous penchons pas sur la demande, ce type d’analyse reste hypothétique ; elle part du principe que la demande existera pour les produits proposés et que l’institution pourra étendre son offre de manière rentable. Dans les deux cas examinés ici, les produits sont relativement nouveaux et leur portée reste limitée. Nous nous basons donc sur des prévisions pour comprendre l’évolution future en termes d’expansion et de portée. À ce jour, aucun prestataire de services financiers ne propose ce type de produits à grande échelle. 2 Figure 1. Nombre de clients actifs, par type de produit 800 000 700 000 Nombre de clients actifs 600 000 500 000 400 000 300 000 200 000 100 000 0 Mourabaha Qard-Hassan Mousharaka/ Salam Autres Moudaraba Type de produits Source : Enquête du CGAP sur la microfinance islamique, 2011. donné que le modèle de tarification est souvent préétabli et d’un accord de partage des pertes et perçu comme un intérêt camouflé. Ce type de profits, sous réserve de la performance de l’entreprise. produit est déjà répandu et les structures et coûts opérationnels sont donc proches de ceux de la La portée des produits basés sur les échanges comme microfinance conventionnelle2, nous n’avons donc le salam, qui est utilisé par moins de 25 000 clients pas axé nos recherches sur celui-ci. (El-Zoghbi and Tarazi 2013), est elle aussi limitée. Le salam respecte les principes de l’Islam, car il s’agit Le deuxième produit le plus répandu est le prêt d'un investissement dans une activité productive et le Qard-Hassan. En raison de ses caractéristiques de bailleur de fonds partage les risques liés à l'activité. prêt de bienveillance, le prêt Qard-Hassan repose Ces contrats s’adressent plus particulièrement sur une forme de subvention ou de donation et il n’est aux pauvres en zone rurale, l’un des principaux donc pas commercialement viable. Certains prestataires segments de clientèle mal desservis. Le salam est de services financiers choisissent de proposer essentiellement un contrat de vente avec une livraison ce type de produits, mais ils le font principalement différée des biens, qui est souvent utilisé dans le dans le cadre de leurs activités de responsabilité monde agricole comme une forme de paiement sociale et pas de leurs activités commerciales. anticipé sur livraison future de récoltes, permettant ainsi aux agriculteurs de financer l’achat des intrants L’étude du CGAP sur l’offre de produits de pour la mise en production. Le type de récolte, le microfinance conformes à la charia révèle que les montant et la date de livraison de la récolte prévue mécanismes de partage des pertes et profits, comme doivent être convenus à l’avance. la mousharaka et la moudaraba, ont une portée limitée et ne sont proposés qu'à moins de 9  500  clients (El-Zoghbi et Tarazi 2013). Pourtant, ce type de Le cas de la mousharaka produits fait partie des contrats de finance islamique décroissante les plus recommandés par les spécialistes du droit islamique qui y voient les contrats financiers les plus Comme nous l’avons indiqué, une mousharaka est respectueux des principes de la charia. La présente un accord d’investissement avec participation au Note se concentre sur la mousharaka décroissante, capital et partage des pertes et profits conclu par un mécanisme de partage des pertes et profits dans un propriétaire d'entreprise et un prestataire de le cadre duquel le prestataire de services financiers services financiers, et qui résulte en une propriété et le client détiennent conjointement une entreprise commune. Les deux parties impliquées partagent les et le prestataire transfère progressivement sa pertes et profits en fonction d’un ratio prédéterminé, participation au client sur la base d’un calendrier qui est basé sur la participation au capital, et selon 2 Veuillez noter que la façon dont la mourabaha est proposée par les prestataires de services financiers peut varier, certains d’entre eux ayant recours à des bons et d’autres agissant en tant que grossiste. La majorité des prestataires offrant la mourabaha utilisent un système de bons qui leur permet de garder des coûts opérationnels proche de ou légèrement supérieurs à ceux associés à l'octroi d'un prêt en espèces. 3 Al Baraka d’Algérie a été créée en 1991 et compte Encadré 2. Trouver les bons indicateurs aujourd’hui 20 succursales dans tout le pays. La comparaison entre les produits compatibles avec La BAB offre une large gamme de produits conformes la charia et les prêts conventionnels est trompeuse. à la charia qui s’adressent à la fois aux particuliers et aux professionnels. Toutefois, les produits de En dehors de la mourabaha et du prêt Qard-Hassan, microfinance conformes à la charia sont relativement qui sont des titres de créance, la plupart des autres produits conformes à la charia sont des instruments nouveaux au sein du groupe BAB. d’investissement. Par conséquent, un grand nombre d’indicateurs, d’indices de références et de normes Le département des produits de microfinance en applicables au secteur de la microfinance traditionnelle Algérie fonctionne indépendamment du reste des ne s’appliquent pas à celui des produits respectueux opérations commerciales de la BAB et concentre de la charia. Des données comme celles sur les prêts ses activités sur Ghardaïa, une ville de près de non productifs sont souvent utilisées pour calculer le 100  000  habitants proche du désert du Sahara. pourcentage d’un portefeuille qui n’est pas performant, Ghardaïa abrite une importante communauté mais elles ne sont pas pertinentes pour les instruments mozabite, un groupe musulman connu pour sa ferveur d’investissement qui s’accompagnent d’une série d’indicateurs de performance et de risque différents. religieuse et son sens de la communauté. Les leaders de la communauté mozabite, qu’on appelle des Si la mousharaka est comparable aux prêts conven- notables, jouent un rôle important dans la gestion tionnels accordés par les banques aux petites et des affaires de la communauté et leur adhésion moyennes entreprises (PME) en termes d'objectif, elle est indispensable au succès de la mousharaka s'approche plus d’une participation au capital en termes décroissante, car ce sont eux qui certifient de façon de modalités et d'obligations contractuelles. Le salam est une alternative au prêt in fine conventionnel pour informelle les compétences et la réputation d’un le secteur agricole et sa structure est très similaire entrepreneur. En septembre 2014, la BAB comptait à celle des contrats à terme sur matières premières. 54 contrats de mousharaka décroissante en cours pour une valeur d’investissement totale de 150 000 dollars. un calendrier fixé pour une période déterminée. Caractéristiques du produit Ce ratio peut être variable pour tenir compte de la cyclicité de l’activité3. La mousharaka décroissante proposée par la BAB cherche à offrir une solution de financement aux Avec la mousharaka décroissante, la participation au micro, petites et moyennes entreprises dans divers capital par le prestataire de services financiers prend secteurs parmi lesquels le commerce, la distribution, généralement la forme d’une contribution en espèces les épiceries, les boulangeries, les garages à l’achat d’un actif ou au fonds de roulement. Il est automobiles et la ferronnerie. Les investissements essentiel que le contrat précise clairement l'utilisation de la BAB s’élèvent en moyenne à 6 250  dollars qui sera faite de l’argent. Par la suite, le propriétaire (soit 116  % du produit intérieur brut par habitant). de l’entreprise rachète progressivement la part du Les contrats portent sur des périodes pouvant aller prestataire. Le terme «  décroissante  » fait référence jusqu’à 36 mois. Ce produit n’est pas actuellement à la réduction progressive de la participation du utilisé dans le secteur agricole bien que les entreprises prestataire de services financiers. Étant donné que agricoles de transformation soient éligibles. Pour le ratio et le calendrier des rachats sont définis au pouvoir bénéficier d’une mousharaka décroissante, moment de la signature du contrat, le calendrier de un client doit être en activité depuis au moins un rachats se base sur une estimation des profits. Dans la an, même de manière informelle, être bénéficiaire pratique, le rachat des parts se base sur les bénéfices et disposer de stocks. Les clients sont généralement réels et la durée du contrat est réévaluée en fonction des entreprises individuelles comptant jusqu’à de la performance de l’entreprise. À la fin du contrat, trois employés informels et souvent irréguliers. la propriété de l’actif ou du fonds de roulement est transférée intégralement du prestataire de services Pour conclure un contrat, les clients doivent avoir financiers au client. une entreprise enregistrée. Si l’activité du client est informelle, la BAB aidera le client à immatriculer son La Banque Al Baraka (BAB), une banque commerciale entreprise pendant le processus de souscription. islamique basée à Bahreïn, propose exclusivement Ce produit ne comporte aucune commission de des produits conformes à la charia. La Banque souscription, de décaissement ou de traitement. 3 La moudaraba est une variante de ce mécanisme de partage des pertes et profits dans le cadre de laquelle le prestataire de services financiers apporte les fonds pour investir dans une entreprise et reçoit en échange une commission de gestion variable pendant la période du contrat pour l’utilisation du capital ; cette commission variable est calculée en fonction des bénéfices générées par l’entreprise. 4 Un notable doit se porter «  garant moral  » pour supérieurs à ceux des titres de créance et doivent chaque client et attester de ses compétences, de être couverts grâce à une sélection prudente des son caractère, de son intégrité et de son engagement clients et des techniques d'atténuation des risques à honorer les modalités du contrat. appropriées. Ainsi, le temps consacré à la gestion des mousharakas décroissantes représente un important La BAB accorde l’investissement au client par le facteur de coûts. Le personnel chargé d'identifier et de biais d’un compte bancaire BAB dont l’ouverture gérer les relations clients doit travailler en étroite est obligatoire pour les clients souscrivant à une collaboration avec les leaders communautaires, mousharaka décroissante. De même, les versements les notables, pour évaluer la réputation des clients dus à la BAB sont directement prélevés sur le potentiels. Il doit également évaluer la position compte BAB du client conformément à un accord de financière de l’entreprise. Généralement, les clients partage des bénéfices. Pendant la durée du contrat, de la BAB n’ont aucune compétence en comptabilité les clients sont tenus de conserver un solde minimum et le personnel de la banque doit donc créer des d’environ 12,50 dollars sur leur compte. états financiers pro forma pour analyser l’activité. Chaque trimestre et environ une semaine avant le Un membre du personnel gère la relation avec paiement de rachat du client, la BAB organise une chaque client ayant souscrit une mousharaka réunion avec ce dernier pour passer en revue les décroissante auprès de la BAB par le biais de relevés financiers, la performance de l’entreprise et réunions trimestrielles avec le client pour examiner les calculs de bénéfices, afin de finaliser le montant les registres de l'entreprise et confirmer sa rentabilité du rachat des parts de la BAB. Si les bénéfices sont avant de traiter le rachat. inférieurs aux attentes, la BAB recevra un paiement réduit sur la base du ratio de partage des bénéfices Comme dans la microfinance traditionnelle, prédéfini. La BAB collaborera également avec le l’acquisition de nouveaux clients prend beaucoup client pour tenter d’améliorer ses opérations et sa plus de temps que le renouvellement de contrats rentabilité. Toutefois, en cas de pertes, les principes existants. En moyenne, le délai entre l’arrivée d’un de la charia interdisent à la BAB de forcer les clients nouveau client et l’approbation d’un contrat est à rembourser4. La BAB bénéficie d’une protection d’environ trois jours-personnes et demi à quatre contre les pertes grâce à une garantie de portefeuille jours-personnes, soit nettement plus que dans la accordée par une banque européenne. microfinance ou le financement des PME où ce délai est généralement de moins d'un jour-personne. Facteurs de coûts et risques Une fois le contrat signé, un membre du personnel consacre au moins une demi-journée par mois au L’analyse des charges d’exploitation courantes pour suivi de la relation sur site et par téléphone. Au vu les mousharakas décroissantes de la BAB révèle de cette répartition du temps, chaque membre que trois principaux facteurs de coûts influencent la du personnel ne peut émettre au maximum de rentabilité de ces produits : i) les coûts d’exploitation, sa capacité que cinq contrats de mousharaka dont la plupart se rapportent à la gestion de décroissante par mois, le nombre de nouveaux clients la relation client  ; ii)  les coûts de financement  ; acquis chaque mois diminuant progressivement à et iii) les risques d’exploitation. Il convient de noter mesure que son temps est de plus en plus consacré que cette analyse n'a pas porté sur la phase de mise au suivi des relations existantes. Par conséquent, en place de cette ligne d'activité qui a sans doute un membre du personnel s’assurant du suivi ne entraîné d'importants coûts liés à la formation du peut traiter au maximum que 41 clients existants personnel, à la conception et au test des produits, par mois. Pour renforcer sa portée, l’organisation et à la certification de conformité à la charia. doit recruter beaucoup plus de personnel, ce qui Coûts d’exploitation. Les coûts les plus importants fait augmenter toutes ses charges opérationnelles. liés aux opérations bancaires conformes à la charia En résumé, contrairement à la microfinance de la BAB sont associés à la mise en place et à la conventionnelle, les économies d’échelle sont gestion des relations avec les clients. Ce type de limitées avec la mousharaka décroissante. produits comporte les mêmes risques que tout En d’autres termes, la majorité des coûts (76 %) autre investissement en capital : les risques sont est fixe et non variable. 4 Dans certains cas, la BAB peut s’adresser aux notables en dernier recours afin d’aider le client à améliorer sa performance commerciale. 5 Coûts de financement. Les coûts de financement est relativement limitée puisqu’elle ne gère que pour la mousharaka correspondent au taux 54 contrats. La BAB a déclaré qu’elle couvrait LIBOR + 3 %5. La BAB peut emprunter des fonds à actuellement l’ensemble de ses charges d’exploitation, des taux raisonnables sur les marchés internationaux mais elle ne tient pas compte de certains coûts qui et peut utiliser sa propre base d'actifs ; elle applique sont généralement associés à ce type d’activité, un spread minime à l'unité de microfinance conforme comme les frais indirects du siège ou le coût de la à la charia pour le décaissement aux clients. En raison garantie du portefeuille. Pour déterminer si ce modèle du faible niveau historique du LIBOR et du spread peut franchir le seuil de rentabilité, le CGAP a examiné interne minime appliqué par la BAB au département la structure de coût existante de l’opération, formulé de microfinance conforme à la charia, les coûts de des prévisions selon plusieurs scénarios de croissance financement sont plus faibles qu’ils ne pourraient et ajouté des estimations pour les autres frais l’être. À mesure que le portefeuille s’élargit et que que la BAB n’associe pas actuellement au produit. la banque trouve d’autres sources de capitaux, L’analyse révèle que la taille de la BAB devrait être les coûts de financement devraient représenter un multipliée par 10 avant qu’elle puisse commencer pourcentage croissant des charges totales. à couvrir ses charges d’exploitation6. Certains gains d’efficacité pourraient être obtenus en modifiant Bien qu’aucune institution ne puisse contrôler le modèle opérationnel, notamment en réduisant les coûts de financement, il est important qu’un le temps et les efforts consacrés à analyser des prestataire de services financiers en tienne entreprises aussi petites. Toutefois, la nature du compte lorsqu'il choisit son modèle opérationnel produit confirme l’hypothèse selon laquelle le coût et financier. Souvent, les prestataires de services d’exploitation lié à un produit de partage des pertes financiers conformes à la charia n'ont pas accès à et profits laisse moins d’opportunités de réaliser des sources de capitaux elles-mêmes compatibles des économies d’échelle. avec la charia. Tant qu'il n’existera pas un écosystème complet de capitaux conformes à la charia, la plupart des prestataires offrant des services financiers Le cas du salam conformes à la charia devront emprunter auprès de Le salam est un titre de créance conforme à la charia sources conventionnelles. qui prend la forme d’un contrat d’achat anticipé et Gérer les risques opérationnels. Les participations qui est principalement utilisé dans le secteur agricole. au capital sont, par nature, plus risquées que la dette. Le type de récolte, le montant et la date de livraison La BAB a structuré sa mousharaka décroissante de de la récolte prévue doivent être convenus à l’avance manière à répliquer un produit de dette, mais elle et stipulés dans le contrat. Ces contrats permettent comporte toutefois plus de risques pour la banque. aux agriculteurs de financer l’achat d’intrants, Afin de couvrir ces risques, l’organisation doit comme des semences, pour la mise en production. consacrer du temps et des efforts à la gestion de la En échange du paiement anticipé, l’agriculteur relation client étant donné qu’il s’agit du principal accepte de vendre sa récolte au prestataire de mécanisme dont elle dispose pour réduire les risques services financiers à un tarif prédéfini. Dans certains de ce type de financement. Par ailleurs, la BAB a contrats salam, le prestataire de services financiers obtenu une garantie de portefeuille. Le coût exact de conclu un accord séparé avec l’agriculteur dans le cette garantie est inconnu, mais il est estimé à 5 % du cadre duquel ce dernier accepte de vendre sa récolte portefeuille sur la base des garanties appliquées aux pour le compte du prestataire et de partager le portefeuilles de dettes dans la région. Toutefois, une produit de cette vente avec lui. Conformément à la étude du CGAP montre que ce type de garantie n’est charia, il est également acceptable pour un prestataire pas habituel et qu’il pourrait ne pas être accessible de services financiers de demander à un agriculteur à d’autres institutions financières dans d’autres pays. de contracter une assurance-récoltes avant de conclure un contrat salam. Analyse de rentabilité La Fondation Wasil a été créée en 1992 sous le nom La portée de l’activité existante de la BAB dans le de Center for Women's Cooperative Development domaine de la microfinance conforme à la charia (CWCD) et elle se concentre sur les besoins en 5 Dans le cadre de l’analyse, les coûts de financement ont été calculés à un taux de 3,5 %. 6 Les projections financières du CGAP indiquent que, lorsque les opérations de la BAB sont étendues à plus de 500 clients actifs, l’activité de microfinance conforme à la charia peut couvrir ses coûts d’exploitation. 6 microfinance des clients pauvres. En 2010, Wasil a En juin 2013, Wasil comptait un peu plus de pris la décision de proposer uniquement des produits 4 000  clients actifs. Le salam représentait un de microfinance conformes à la charia. La fondation portefeuille de près de 100 000 dollars, soit près de ne travaille qu’avec des clients qui vivent sous le seuil 10 % de l’ensemble du portefeuille de Wasil. de pauvreté, qui est défini comme moins de 1 dollar par jour, et qui sont pour la plupart en zone rurale. Caractéristiques du produit Selon Wasil, les produits de microfinance conformes à Le salam a été lancé par une succursale en 2008, la charia sont mieux adaptés aux besoins des pauvres, avec huit contrats portant sur l’achat d’un total de car le prestataire de services financiers et le client 22 tonnes de blé. En 2009, Wasil comptait 29 contrats ont pour objectif de créer un patrimoine ensemble, de ce type. Le produit a été étendu pour inclure les ce qui renforce les chances de réussite de la relation. récoltes de riz en 20117. Il y a aujourd’hui environ Wasil compte près de 90  employés dont 30  % 344 contrats salam, dont 258 portent sur du blé et le travaillent au siège de la fondation à Lahore, au reste sur du riz. Pendant la saison de culture du blé Pakistan. Elle compte 16 succursales au Punjab, où ce 2012-2013 (novembre à juin)8, le montant moyen d’un produit est actuellement distribué. contrat salam se situait entre 550 et 650 dollars pour En tant que spécialiste de la microfinance, Wasil 2 200 kg de blé. finance uniquement des agriculteurs possédant En moyenne, Wasil stocke du blé pendant deux moins de cinq hectares de terres et se concentre à trois mois dans des entrepôts loués à cet effet9. principalement sur les producteurs de blé. Les clients livrent leur blé aux bureaux de Wasil qui Le Gouvernement pakistanais achète généralement le transfère ensuite dans un entrepôt pour le stocker. du blé auprès de grands producteurs, excluant Une commission par sac est stipulée dans chaque ainsi les agriculteurs dont la production est limitée. contrat pour couvrir les frais directement liés au Wasil joue le rôle d’intermédiaire en regroupant les transport du blé de la succursale à l’entrepôt. récoltes des petits exploitants. Chaque succursale de Les récoltes sont accumulées jusqu’à ce que Wasil Wasil utilise un salam pour négocier un prix d’achat détermine que le volume cumulé et les prix du marché auprès de groupes d’agriculteurs en respectant justifient une vente en gros. la fourchette établie par le siège. Elle regroupe la production de ces derniers une fois récoltée et la vend Wasil propose généralement des contrats portant en gros au gouvernement. Ceci permet à l’institution sur environ un tiers ou deux tiers du montant total de de dégager une modeste marge bénéficiaire tout en la récolte dans la limite de 720 dollars. La fondation permettant aux agriculteurs d'avoir accès à un marché ne formule pas de contrat d'achat anticipé sur dont ils seraient autrement exclus. l'ensemble de la récolte d'un agriculteur afin que celui-ci puisse utiliser le reste pour nourrir sa famille Dans le cadre du salam de Wasil, l’obligation ou qu'il puisse le vendre ou l’échanger sur un autre contractuelle de l’agriculteur s’arrête à la livraison marché. Wasil ne peut pas préciser dans le contrat sur de sa récolte. Wasil assume le risque de stockage quelle partie de la récolte (terrain spécifique) porte et de vente. En échange, la fondation regroupe les le salam, mais uniquement la variété, le montant, la récoltes de différents clients et les vend en gros date de livraison et le prix. aux moulins pour un prix supérieur à celui que les agriculteurs seraient en mesure d’obtenir seuls. En théorie, les profits pouvant être réalisés sur un Wasil ne demande pas pour l’instant à ses clients contrat salam sont illimités (bien que Wasil plafonne de contracter une assurance-récoltes. Par ailleurs, la ses propres bénéfices comme nous l'avons indiqué). fondation a plafonné sa marge bénéficiaire à 30 %, En revanche, Wasil assume tous les risques en cas quel que soit le prix de vente des récoltes, et elle de baisse du prix du blé ou de pertes de récoltes10. reverse à ses clients tout profit au-delà de cette Afin de s’assurer qu’il vient en aide aux plus limite. D’autre part, Wasil assume tous les risques démunis, Wasil exige que ses clients ne bénéficient associés à la vente des récoltes. d’aucun autre produit financier formel proposé par 7 Wasil a piloté des contrats salam sur le coton, mais a rencontré des problèmes de stockage (pourriture) et de fluctuation des prix. Le maïs a également été testé, mais il n’y avait pas de ressources pour poursuivre le projet en raison de problèmes de stockage (besoin de surveillance et de contrôle du climat). 8 La saison de culture du riz au Pakistan s’écoule de juillet à décembre et la récolte commence en septembre. 9 Le riz sèche rapidement, ce qui réduit son poids, et Wasil le stocke donc pour un maximum de 10 à 15 jours. 10 Les risques de Wasil sont en partie limités par le prix de gros défini par le gouvernement. 7 une autre institution11. Lorsque c’est possible, tous à l’agriculteur que revient la responsabilité de livrer les clients font l’objet d’une évaluation de crédit sur les produits de la récolte à Wasil. Wasil vérifie alors la base des informations contenues dans la base de que les stipulations du contrat ont été respectées en données de microfinance du Pakistan (appelée CID). termes de type de culture et de rendement avant de Chaque client est également soumis à une vérification dégager le client de ses obligations contractuelles. physique et à une évaluation des terres utilisées pour les récoltes. Coûts de financement. Les coûts de financement de Wasil sont élevés et représentent en moyenne Facteurs de coûts et risques 11 % pour le portefeuille. En fait, Wasil estime que ce niveau n’est pas viable et qu’il devrait trouver une L’analyse des charges d’exploitation courantes pour autre source de financement pour son portefeuille le salam de Wasil révèle que trois principaux facteurs de produits conformes à la charia. Toutefois, en ce de coûts influencent la rentabilité de ce produit  : qui concerne les coûts, Wasil doit refléter les coûts i)  les coûts d’exploitation qui, dans ce cas, se de financement basés sur les prix du marché par rapportent principalement à la gestion de la relation le biais de ses ajustements comptables. À l’heure client ; ii) les coûts de financement ; et iii) les coûts actuelle, Wasil est entièrement financé par le associés à la gestion des risques opérationnels. Pakistan Poverty Alleviation Fund (PPAF) grâce à Comme pour la BAB, l’étude n’a pas analysé les un prêt conventionnel que la fondation utilise pour frais de mise en place associés à la conversion de soutenir son portefeuille de produits conformes à Wasil en prestataire de services financiers proposant la charia. Historiquement, les coûts de financement uniquement des produits conformes à la charia, correspondent au taux KIBOR (Karachi Inter Bank ni les frais de formation et de recherche associés à Official Rate)12. Le financement du PPAF est structuré l'identification des matières premières à couvrir. comme un prêt conventionnel avec des versements trimestriels à montant égal. Wasil a accès à ces Coûts d’exploitation. C’est le processus pour établir fonds sans avoir à constituer de garantie pendant une et gérer les relations avec les clients et avec les durée de 12 mois. La fondation a réussi à négocier associations d’agriculteurs qui représente le plus grand avec le PPAF un délai de remboursement de 20 mois, coût. Wasil passe par les leaders communautaires et avec un calendrier de paiements correspondant les organisations d’agriculteurs pour trouver des clients à la saison des cultures salam de six mois pour la potentiels, et ce sont ces leaders ou organisations partie du prêt utilisé pour financer les clients salam. qui servent d'agents pour diffuser les informations Comme pour la BAB, la source de financement de sur le salam aux clients potentiels. Au sein de chaque Wasil n’est pas encore conforme à la charia. communauté ou organisation d’agriculteurs on trouve un Numberdar, c’est-à-dire une personne qui sait Gérer les risques opérationnels. Comme pour tout compter (même si elle ne sait pas lire) et qui a fait autre contrat à terme sur matières premières, les preuve de sa capacité à comprendre des principes risques du salam sont en grande partie associés à commerciaux, des contrats, les rendements agricoles des facteurs externes. Les catastrophes naturelles et les principes du salam. Le Numberdar travaille avec ou des conditions météorologiques difficiles les clients potentiels pour s’assurer qu’ils comprennent peuvent avoir un énorme impact sur les récoltes. le salam et aide Wasil à évaluer les agriculteurs qui Une caractéristique unique aux contrats salam est pourrait être de bons candidats pour un contrat salam que Wasil assume les risques liés à la fluctuation des réussi. Pendant la saison des cultures, Wasil surveille prix sur le marché au comptant. Étant donné que le les agriculteurs et les récoltes pour s’assurer que prix d’achat pour le contrat salam est fixé à l’avance, toutes les mesures nécessaires sont prises pour que Wasil n'est pas protégé en cas de baisse des prix. les récoltes répondent aux spécifications du contrat. Par ailleurs, la fondation s’impose un plafond de La fondation vérifie entre autres les applications marge brute de 30 % sur le prix du blé vendu. Wasil d'engrais, l’irrigation et les traitements antiparasitaires. est soumis à tout changement de la politique agricole Au moment de la récolte, un représentant de Wasil est domestique concernant le prix du blé. Parallèlement, présent pour s'assurer que toutes les plantes cultivées une diversification dans d'autres produits semble sont bien récoltées afin de satisfaire aux exigences de difficile étant donné les coûts associés au stockage volume du contrat. Une fois la récolte terminée, c’est d'autres types de récolte. 11 Dans certains cas, les agriculteurs sont autorisés à prendre part à un programme de prêt pour l’achat d’un tracteur auprès de la Pakistan Agricultural Development Bank. 12 Le KIBOR est un taux variable comparable au LIBOR et utilisé au Pakistan pour le marché domestique et les instruments financiers libellés en roupies pakistanaises. 8 Analyse de rentabilité financiers en partenariat avec des agriculteurs ou des micro et petites entreprises qui ne sont pas habituées Comme pour l’analyse de la BAB ci-dessus, le CGAP à tenir une comptabilité en bonne et due forme. a formulé une prévision de croissance afin d’évaluer quand le projet pourrait devenir rentable au vu de Malgré des coûts opérationnels élevés, le salam la structure de coûts actuelle. Contrairement à la permet de plus grandes économies d'échelle que mousharaka, les coûts du salam sont liés à la quantité la mousharaka décroissante. Bien que les deux de blé ou de riz sur laquelle porte le contrat, qui est produits s’accompagnent de charges opérationnelles calculée en maund13. À mesure que la quantité de élevées et de risques importants associés au potentiel blé ou de riz couverte par les contrats augmente, échec des investissements sous-jacents, les modèles Wasil devra faire face à une augmentation des coûts opérationnels requis pour pouvoir proposer ces de stockage, de transport, de supervision et autres. produits possèdent des structures de coûts très Même avec des niveaux de production faibles, différentes. Pour la mousharaka, 76 % des coûts seulement 10 000 maund par exemple, le produit peut sont fixes contre seulement 22 % pour le salam. générer des bénéfices pour l’institution financière Par conséquent, le potentiel de croissance de la (en se basant sur des charges opérationnelles mousharaka décroissante est relativement limité équivalentes à celles de Wasil). La taille moyenne par rapport au salam qui peut bénéficier plus du contrat salam est nettement inférieure à celle facilement d’économies d’échelle. de la mousharaka (530 dollars contre 6 250 dollars), Les caractéristiques d’échelle et de viabilité diffèrent mais l’institution bénéficie d’économies d’échelle pour chaque produit. Dans le cas de la mousharaka et peut par conséquent couvrir ses frais bien plus décroissante, les efforts nécessaires pour évaluer la rapidement qu’avec une mousharaka décroissante. rentabilité potentielle d’un client sont importants et En d’autres termes, les frais fixes associés à ce les mesures visant à compenser les risques, comme produit sont relativement faibles (seulement 22 %), le temps passé à se renseigner sur l’entreprise et son ce qui donne une grande flexibilité au prestataire propriétaire, sont couteuses, ce qui limite les avantages de services financiers pour se développer et profiter liés à une distribution à grande échelle. D’un autre d’économies d’échelle. côté, une fois qu'un prestataire de services financiers a acquis les connaissances et les instruments de Quels enseignements couverture pour réduire les risques météorologiques les prestataires de services et liés aux récoltes, les avantages liés à une diffusion à financiers peuvent-ils tirer grande échelle du salam sont nombreux. Par ailleurs, étant donné le mandat des prestataires de services de ces études de cas ? financiers conformes à la charia dans les zones rurales, la demande de salam devrait rester élevée parmi leurs Une connaissance technique approfondie des clients, comme en atteste la forte augmentation du secteurs sous-jacents à financer est indispensable. portefeuille de Wasil. Grâce à une clientèle élargie La mousharaka décroissante et le salam nécessitent et à un cycle de financement prévisible (indexé aux tous deux un niveau particulièrement élevé de récoltes et aux cycles de production), la viabilité connaissances techniques de la part de l'institution potentielle pourrait être plus importante. financière. Un suivi vigilant et un niveau élevé de transparence sont nécessaires pour vérifier la Il existe peut-être un compromis entre la philosophie performance par rapport au niveau de partage des islamique d’un investissement qui donne la priorité risques ou à l’objectif qui ont été définis dans le contrat, au développement et au partage des risques d'un en particulier dans le cas de la mousharaka. Le salam côté, et la génération de rendements de l'autre. nécessite quant à lui des connaissances solides et des Les deux institutions évoquées dans ce rapport connexions avec les acteurs des chaînes de valeur se concentrent clairement sur leurs missions de agricoles. Cette vigilance accrue et les connaissances développement. Elles ont introduit des produits nécessaires pour comprendre l’économie réelle se financiers conformes à la charia avec des modèles traduisent par d’importantes charges opérationnelles, d’activité reflétant la philosophie islamique qui prône en particulier pour les prestataires de services des programmes de financement justes et le partage 13 1 maund = 32,7 kg. 9 Figure 2. Catégories de produits et modèles économiques Produits liés à Produits d’investissement la vente/commerce • Mourabaha (vente à prix majoré) • Moudaraba (financement de fiducie) • Salam (achat anticipé) • Mourabaha (partenariat) • Ijara (location) Grossiste Capital-risque des gains ou des pertes. Ainsi, la volonté de Wasil limitée. Par conséquent, les opportunités d’analyser d’aider les agriculteurs pauvres l’a poussé à plafonner le retour sur investissement sous-jacent de leurs sa propre marge bénéficiaire. D’autres prestataires de différentes cibles de placement étaient limitées. services financiers trouveront sans doute des moyens À mesure que les institutions se développent, elles d’améliorer la rentabilité, de réduire le risque et de doivent envisager la rentabilité de chaque classe réduire les coûts opérationnels14, mais il est possible d’investissement (p. ex. le riz, le blé, le maïs ou le que la quête de rendement fasse perdre leur essence soja dans le cas du salam) et gérer leur portefeuille à ces modèles opérationnels. d’investissement afin que le retour sur investissement Les modèles opérationnels traditionnels des pres- de l’ensemble du portefeuille reste relativement tataires de services financiers ne sont pas adaptés solide. aux produits conformes à la charia. On peut globa- lement répartir les produits conformes à la charia Prochaines étapes en deux catégories : les produits liés à la vente/ au commerce et les produits d’investissement. Les enseignements tirés de l’expérience de la Chaque catégorie de produits nécessite idéalement BAB et de Wasil montrent que les institutions qui un modèle opérationnel différent. Les produits liés proposent des services conformes à la charia peuvent à la vente/au commerce nécessitent un modèle le faire de manière rentable, mais que d’importants qui s’apparente plus à celui des grossistes que des investissements initiaux sont nécessaires. Le principal prestataires de services financiers traditionnels, investissement porte sur l’institution elle-même  : tandis que les produits d’investissement nécessitent les prestataires de services financiers ont besoin un modèle qui ressemble plus à celui des fonds de de former leur personnel, de mettre en place de capital-risque qu’à celui d’une banque traditionnelle15. nouveaux modèles opérationnels, de connaître les Il est indispensable de comprendre le retour sur secteurs qu’ils souhaitent desservir et, dans le cas investissement pour chaque catégorie de cible de du salam, d’avoir accès à l’infrastructure et aux placement. Les deux cas présentés concernent de contacts nécessaires pour stocker et vendre les jeunes institutions ayant une portée relativement matières premières qu’ils achètent. Engager ce type 14 Par exemple, certaines institutions fixent des normes de performance par secteur d’activité et tablent sur des rendements proportionnels à ces normes, quelle que soit la performance réelle de l’entreprise dans laquelle elles investissent. 15 Certains prestataires de services financiers proposent des mourabaha en utilisant des bons plutôt que de s’engager directement dans des services de vente en gros. Selon le pays et la perception des principes de la charia, cette méthode peut être considérée comme non-conforme à la charia par les musulmans pratiquants. 10 d’investissements constitue une décision sérieuse évidence mener à la conclusion qu’ils préfèrent les qui ne doit pas être prise à la légère. premiers. Pourtant, cette préférence ne se reflètera pas forcément dans leurs choix lorsque ces deux Les prestataires de services financiers doivent savoir types de produits leurs sont proposés côte à côte. s’ils sont prêts à endosser des risques opérationnels Il faut beaucoup plus de travail et d'investissement et à accepter le potentiel d’extension limité que pour bien comprendre tous les facteurs qui influencent présente certains de ces produits et modèles la demande. opérationnels conformes à la charia. Les deux types de produits financiers conformes à la charia couverts Au final, pour que les prestataires de services dans ce document sont axés sur des investissements financiers conformes à la charia prospèrent, ils productifs, ce qui limite naturellement la taille du devront faire preuve de viabilité financière pour marché qui peut être desservi. Pour répondre aux attirer les investissements et se développer. besoins de lissage de la consommation des pauvres, Dans le monde de la microfinance conventionnelle, les prestataires de services financiers conformes à la il a fallu créer tout un écosystème de services avant charia sont limités à des produits financiers comme de voir les prestataires prospérer  : indicateurs de le prêt Qard-Hassan qui nécessite des subventions et performance standardisés, plateforme pour pouvoir ne contribue pas à la viabilité financière de l’institution. accéder à ces indicateurs (MIX Market), création de véhicules d’investissement dédiés à ce segment, etc. Les prestataires de services financiers qui choisissent Un écosystème similaire devra être créé pour que d’introduire une « gamme islamique » plutôt que de le secteur des produits de microfinance conformes rendre l’ensemble de leurs opérations conformes à la à la charia décolle. En attendant, il se limitera charia pourront peut-être équilibrer les coûts et les probablement à la créativité et au dynamisme risques tout en développant leurs opérations pour des fondateurs et des gérants des prestataires de atteindre une échelle importante en finançant une services financiers qui croient en leur mission. partie des frais supplémentaires de cette gamme grâce à leurs opérations traditionnelles. Cette approche Méthodologie nécessite des études supplémentaires étant donné que les réglementations, la perception par les clients Pour calculer et analyser les coûts des deux et d’autres considérations qui ne sont pas abordées institutions, l’étude a utilisé la méthode de l’imputation dans ce rapport doivent être explorées. traditionnelle des coûts16. Comme pour tout exercice de calcul de coûts, l’imputation des coûts est l’un Avant de se lancer sur le marché des produits des principaux facteurs de rentabilité. Lorsque c’était conformes à la charia, il convient de bien comprendre possible, les données ont été examinées en utilisant la demande pour ce type de produits. Chaque les catégories du plan comptable. La BAB et Wasil prestataire de services financiers se doit de connaître utilisent du personnel qui est presque exclusivement la demande avant de tester et de déployer un nouveau dédié à ces produits, du moins dans certaines produit financier, mais ce besoin est d’autant plus succursales, ce qui a permis dans plusieurs cas de prononcé pour les produits conformes à la charia calculer les coûts directs. Les ressources du siège, que ces derniers nécessitent des changements de certaines succursales, régionales et partagées ont fondamentaux et significatifs par rapport aux modèles été imputées en utilisant la méthodologie adoptée opérationnels classiques de ces prestataires. Avant de respectivement par chaque institution. faire les investissements institutionnels nécessaires, il serait prudent de bien comprendre les besoins, Le CGAP a effectué des visites sur site afin d’examiner les préférences et les comportements des clients le modèle opérationnel, de découvrir les stratégies potentiels. En général, la plupart des études portant de sensibilisation de la clientèle, de comprendre sur la demande pour les services financiers conformes les caractéristiques des produits, de consulter le à la charia sont réalisées à l’aide de techniques qui processus des contrats, de rencontrer des clients et ne tiennent pas vraiment compte de ce qui influence d'organiser des réunions détaillées sur les coûts et les le choix des consommateurs. Demander à des charges. Par ailleurs, des documents et des données musulmans s’ils préfèrent les produits conformes à la contextuels ont été réunis à l’avance et chaque visite charia ou les produits conventionnels devrait de toute a fait l’objet d’un suivi à distance. 16 Les deux méthodes de calcul du coût des produits les plus fréquemment utilisées dans le domaine de la microfinance conventionnelle sont l’imputation traditionnelle des coûts et le calcul des coûts par activité. Cette dernière, bien qu'elle soit plus précise, est complexe et souvent peu pratique pour les organisations financières qui ne tiennent pas une comptabilité rigoureuse et qui ne disposent pas de flux de traitement et de centres de coûts précis. Voir Helms et Grace (2004). 11 Bibliographie Karim, Nimrah et Mohammed Khaled. 2011. “Taking Islamic Microfinance to Scale.“ CGAP blog. 23 février. El-Zoghbi, Mayada et Michael Tarazi. 2013. «  Évolutions en matière d’intégration financière conforme aux principes de la charia.  » Khaled, Mohammed. 2011. “Building a Successful Note Focus n° 84. Washington, D.C. : CGAP, mars. Business Model for Islamic Microfinance.“ Présentation. New York : MFCNY, 21 octobre. Helms, Brigit et Lorna Grace. 2004. Outil de calcul du coût des produits en microfinance. En collaboration ———. 2011. “Why Has Islamic Microfinance Not avec MicroSave et Bankakademie. Série Outil Reached Scale Yet?“ CGAP blog. 9 mars. technique n° 6, Washington, D.C. : CGAP, juin. Reuters. 2013. “Islamic Finance Development Karim, Nimrah, Michael Tarazi et Xavier Reille. 2008. Report 2013.“ Reuters. “Islamic Microfinance: An Emerging Market Niche.“ Note Focus n° 49. Washington, D.C. : CGAP, août. N° 101, février 2015 N’hésitez pas à partager cette Note Focus avec vos collègues ou à nous demander des exemplaires supplémentaires du présent numéro ou d’autres numéros de la série. Les lecteurs sont invités à nous faire part de leurs commentaires sur cet article. Toutes les publications du CGAP sont disponibles sur son site web : www.cgap.org. CGAP 1818 H Street, NW MSN P3-300 Washington, DC 20433 États-Unis. Tél : 202-473-9594 Fax : 202-522-3744 Cette Note Focus a été rédigée par Mayada El-Zoghbi, spécialiste et aux versions préliminaires de cette présente Note Focus. principale du secteur financier au CGAP, et Kaylene Alvarez. Ils tiennent également à remercier Samer Badawi, Olga Tomilova, Courriel : Les auteurs tiennent à remercier Nadine Chehade et Michael Tarazi Matthias Range et Greg Chen pour leurs commentaires et cgap@worldbank.org pour leurs précieuses contributions au processus de recherche corrections. © CGAP, 2015 Suggestion de référencement bibliographique : El-Zoghbi, Mayada et Kaylene Alvarez. 2015. « Comprendre les coûts et la viabilité des produits de microfinance conformes à la charia. » Note Focus n° 101. Washington, D.C. : CGAP, février. version imprimée : ISBN 978-1-62696-064-0 epub : ISBN 978-1-62696-066-4 pdf : ISBN 978-1-62696-065-7 mobi : ISBN 978-1-62696-067-1 Ministry of Foreign Affairs of the Netherlands AFRICAN DEVELOPMENT BANK GROUP