100144 NOTE D’ORIENTATION SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI DANS LES ZONES URBAINES DE TUNISIE1 SITUATION DU MARCHÉ DE L’EMPLOI DANS LES ZONES URBAINES DE TUNISIE En dépit de progrès constants dans le domaine de l’éducation et de l’accès aux services de base, particulièrement sensibles dans les zones urbaines et pour les ménages à revenu élevé, la Tunisie reste confrontée à des disparités régionales persistantes. Le pays a connu ces dix dernières années un chômage important qui, après une brève embellie due principalement aux recrutements dans le secteur public, n’a fait que s’aggraver à partir de 2009. En 2014, le taux de chômage s’élevait à 15,3 % (INS). S’il s’agit d’un enjeu considérable à l’échelle de toute la Tunisie, certains groupes de population et certaines régions du pays sont particulièrement concernés : les taux de chômage sont plus élevés dans les régions de l’intérieur, de même que chez les jeunes et les femmes. Cette note d’orientation met d’abord en évidence le secteur privé local. Deuxièmement il est important ces disparités entre les régions de l’intérieur et les de faciliter la mobilité géographique nationale et régions côtières, et entre les jeunes et les adultes. d’améliorer les liaisons locales entre les centres de Elle propose ensuite des recommandations visant à création d’emplois et les zones d’habitats périphériques. combler la fracture géographique et à améliorer la Finalement, il sera important d’améliorer les politiques situation des jeunes sur le marché de l’emploi. Il serait actives du marché de travail afin de mieux cibler, mieux d’abord nécessaire à favoriser la création d’emplois suivre et mieux évaluer les programmes pour l’emploi, dans les régions intérieurs, pour lequel il est également avec l’aide de l’ANETI et des partenariats public-privé nécessaire d’assouplir les contraintes qui entravent pour la fourniture des services de l’emploi. ÉTAT DES LIEUX DES INÉGALITÉS DISPARITÉS ENTRE LES RÉGIONS DE L’INTÉRIEUR ET LES RÉGIONS CÔTIÈRES POPULATION ACTIVE URBAINE TAUX D’ACTIVITÉ NATIONAL (50%) % des emplois informels dans le secteur privé Intérieur Régions côtières 50% 35 % 44 39% % 50% Moyenne Intérieur régions côtières Sud-Est Sud-Ouest nationale Taux d’activité des diplômés universitaires 65% 80% Tunis Dans l’intérieur, presque 40 % des emplois Sud-Est sont pourvu par le secteur public comparé à 25% dans les régions côtières SOURCE : Banque mondiale, à partir de l’enquête THSYUA (2012). 1. Cette note d’orientation est basée principalement sur l’étude de la Banque mondiale intitulée Combler la fracture géographique : Situation du marché de l’emploi dans les zones urbaines de Tunisie (septembre 2013), qui reprend les résultats d’une analyse de l’enquête ménage sur les jeunes Tunisiens dans les zones urbaines (THSYUA) engagée en 2012 par Projet Citoyen, un groupe composé de 70 étudiants et professeurs de diverses universités tunisiennes, dont notamment l’École supérieure de sciences économiques et commerciales de Tunis (ESSECT). Les recommandations s’inspirent d’autres études analytiques de la Banque mondiale : Angel-Urdinola D.F., ea, Building Effective Employment Programs for Unemployed youth in the Middle East and North Africa, Banque mondiale, 2013 ; Angel-Urdinola D.F., ea., Labor Policy to Promote Good Jobs in Tunisia, Revisiting Labor Regulation, Social Security, and Active Labor Market Programs, Banque mondiale, 2014. Les auteurs remercient les partenaires qui ont contribué à la rédaction des rapports dont est issue cette note de politique, en particulier les ministères et agences du Gouvernement Tunisien, les partenaires au développement et les collègues de la Banque mondiale. 2 NOTE D’ORIENTATION Sur le marché de l’emploi dans les zones urbaines de Tunisie 3 FIGURE 1: Taux régionaux du chômage urbain (%) Centre-ouest Sud-ouest 14.55% Nord-ouest 22.39% 12.87% Tunis 18.19% Sud-est Centre-est 13.1% Nord-est 9.88% 11.09% SOURCE : Banque mondiale, 2013. Des emplois en nombre limité dans le secteur privé. Les activités du secteur privé sont concentrées dans les régions du littoral ; la présence du secteur privé est plus faible dans les régions intérieures. Un taux d’emploi informel plus élevé. Les emplois dans le secteur privé sont également plus précaires dans les régions de l’intérieur de la Tunisie, où le secteur informel occupe une place plus importante (notamment dans le bâtiment et l’extraction minière) : 50 % des emplois du secteur privé relèvent du secteur informel dans l’intérieur du pays, contre 35 % sur la côte. FIGURE 2: Distribution régionale de l’emploi dans le secteur public et le secteur privé (formel et informel) 29% 27% 24 % 29 % 31% 24 % 36 % 31% 27% 47 % 21 % 25% 45 % 29 % 49 % 29 % 48 % 36 % 53 % 44 % 41% 39 % 26 % 27 % 26 % 24 % 19% Nord- Nord-est Tunis Centre- Centre-est Sud-ouest Sud-est Intérieur Côte ouest ouest SOURCE : Banque mondiale, 2013. Des choix d’études moins adaptés au secteur FIGURE 3: Taux de chômage en fonction du niveau d’instruction privé. Par rapport à leurs homologues du littoral, les diplômés universitaires de l’intérieur du pays sont plus susceptibles de faire des études de lettres et de sciences humaines, et ont moins tendance à étudier les sciences économiques et le droit (21 %) ou à poursuivre des études d’ingénieur (9 %). Ces choix peuvent s’expliquer par la pauvreté de l’offre d’emplois dans le secteur privé, sachant que l’enseignement supérieur pourvoit principalement aux besoins du secteur public. Un autre facteur important réside dans la mauvaise qualité de l’enseignement primaire et secondaire à l’intérieur du pays, qui défavorise les étudiants de ces régions en leur barrant de fait l’accès à des cursus universitaires plus sélectifs comme la médecine, l’ingénierie ou le droit. Des déplacements plus difficiles entre domicile et lieu de travail. L’accès aux transports en commun est nettement moins bon dans les régions intérieures. On estime, Nord-Ouest Nord-Est Tunis par exemple, que 87 % des ménages résidant à Tunis habitent à moins de 15 minutes à pied SOURCE : Banque mondiale, 2013. d’un arrêt de bus, contre 65 % dans le Centre- Ouest et seulement 54 % dans le Nord-Ouest. L E C A S PA RT I C U L I E R D E S J E UN ES S UR LE Les demandeurs d’emploi dans l’intérieur du pays auront plus de difficultés à se rendre sur POPULATION JEUNE ACTIVE URBAINE (15-29 ANS) les lieux de travail. Le manque de transports en commun est par ailleurs exacerbé par la rareté TAUX D’ACTIVITÉ NATIONAL (≈63 %) ou le prix des autres modes de transport. Régions côtières Intérieur 70% 51 Une mobilité géographique relativement 57% 45% réduite. En dépit de meilleures perspectives d’emploi dans les zones du littoral, les populations des régions intérieures migrent Jeunes % relativement peu, pour des raisons liées à leur Jeunes Adultes Adultes perception des coûts de déménagement, leur manque d’informations sur les emplois, leur accès limité aux bons réseaux ou encore leurs préjugés quant aux compétences requises Plus fortes variations en fonction de l’éducation chez pour être embauché sur la côte. les jeunes que chez les adultes Manque de relations ou manque Jeunes (15-22 ans) jeunes (15-22 ans) d’opportunités. Lorsqu’on les interroge sur de ménages pauvres de ménages plus riches leur difficulté principale à trouver un emploi, 42 % des chômeurs dans leur ensemble % des postes dans la fonction publique citent leur manque de relations et 36 % l’absence d’opportunités. Mais le fait d’avoir des relations est perçu comme un facteur nettement plus déterminant chez les habitants du littoral (46 %) que chez ceux de l’intérieur 33% Adultes du pays (33 %) ; on observe la situation inverse en ce qui concerne le manque d’opportunités, qui est cité par 43 % des chômeurs dans les 12 % Jeunes régions intérieures, contre 33 % sur la côte. SOURCE : Banque mondiale, à partir de l’enquête THSYUA (2012). 4 NOTE D’ORIENTATION Sur le marché de l’emploi dans les zones urbaines de Tunisie 5 0.40 0.35 0.30 0.25 0.20 En-deçà primaire 0.15 Primaire 0.10 1er cycle sec Secondaire 0.05 Études sup Form. pro 0.00 Centre-Ouest Centre-Est Sud-Ouest Sud-Est M A RCHÉ DE L’EMPLO I TAUX DE CHÔMAGE (>25 %) FIGURE 4: Taux de chômage chez les jeunes et les adultes Tunis : jeunes 5X Adultes RÉGIONS INTÉRIEURES 51% Intérieur Jeunes Enseignement 11 % Intérieur Adultes 9.9 % 35% Jeunes Supérieur Enseignement Adultes Supérieur Intérieur (35 %) Régions côtières RÉGIONS CÔTIÈRES 35% Jeunes 7.0 % Adultes 25% Jeunes Femmes 23 Jeunes % Adultes Hommes Jeunes SOURCE : Banque mondiale, 2013. Un changement de tendance dans les choix de insatisfaits de leur emploi (44 % à l’intérieur du pays et filières d’études. Les jeunes adultes, par rapport 38 % sur la côte) et citent le manque de revenu comme aux générations plus âgées, s’orientent moins raison principale de cette insatisfaction. souvent vers les études de lettres et de sciences humaines. Des opportunités de travail considérées comme limitées par le lieu de résidence. Les jeunes estiment Des emplois informels plus répandus chez les que le lieu où ils habitent influe sur les opportunités qui leur jeunes. Le taux d’emploi informel dans le secteur sont offertes. Aux yeux de plus des trois-quarts d’entre privé chez les jeunes (57 %) est supérieur à celui eux, leur difficulté à trouver un emploi est due au quartier observé chez les adultes (33 %). La moindre qualité où ils résident, cette proportion étant différente entre la des emplois des jeunes se reflète aussi dans le côte et l’intérieur (72 % contre 82 %). Dans le Sud-Ouest, manque de satisfaction au travail, plus marqué que 89 % des jeunes pensent qu’ils ont du mal à trouver un chez les adultes. Les jeunes se déclarent largement emploi du fait de leur lieu de résidence. DISPARITÉS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI POPULATION FÉMININE ACTIVE URBAINE LE TAUX D’ACTIVITÉ DES FEMMES LE TAUX DE CHÔMAGE DES (29 % EN MOYENNE): FEMMES (18 % EN MOYENNE) : Correspond à moins de la moitié de celui des hommes 71 % Est globalement supérieur à celui des hommes 10% Est encore plus faible dans les régions intérieuress 22% En particulier dans les régions de l’intérieur Varie très fortement entre les régions ; pour les hommes, le taux d’activité est similaire dans plusieurs régions. 26% Femmes 13% Est plus élevé pour les femmes dotées d’un diplôme d’enseignement supérieur 66 %; pas pour les hommes. Hommes Les femmes sont plus susceptibles de travailler dans le secteur public, surtout dans les régions de l’intérieur. Est plus élevé dans le Sud-Oues 40% Est multipliée par deux chez les femmes ayant fait des études supérieures ; mais pas pour les hommes. SOURCE : Banque mondiale, à partir de l’enquête THSYUA (2012). 6 NOTE D’ORIENTATION Sur le marché de l’emploi dans les zones urbaines de Tunisie 7 PERSPECTIVES ET RECOMMANDATIONS Les recommandations suivantes ont pour objectif de cibler les groupes de population marginalisés. Définies en termes généraux, elles doivent être affinées en fonction de critères de faisabilité et, le cas échéant, fondées sur les bonnes pratiques ayant fait leurs preuves en Tunisie ou au niveau international. COMBLER LA FRACTURE GÉOGRAPHIQUE DU MARCHÉ DE L’EMPLOI Assouplir la réglementation pour le secteur privé local. Une caractéristique importante du secteur privé tunisien réside dans les écarts de performance entre les entreprises orientées vers le marché intérieur et celles orientées vers l’exportation, celles-ci fournissant une part importante des emplois salariés. Cette différence de performance s’explique par les avantages fiscaux accordés aux entreprises « offshore », qui font également l’objet de réglementations plus souples. En égalisant les règles du jeu, ce qui exige de réduire les distorsions et de desserrer les contraintes exercées sur les entreprises orientées vers le marché locales, on pourra dynamiser le secteur privé tunisien et stimuler son potentiel de création d’emplois. Favoriser la création d’emplois dans les L’accès à des modes de transport sûrs et régions intérieures. Alors que le littoral offrira fiables peut contribuer considérablement inévitablement des avantages économiques à améliorer la participation à la vie active, naturels qui le rendent attractif pour une surtout pour les femmes, ainsi qu’à étendre le grande variété d’activités économiques, bassin d’opportunités d’emploi. des efforts pourraient être déployés en vue de promouvoir la création d’emplois dans les régions intérieures. Une piste consiste AMÉLIORER LES POLITIQUES à promouvoir des secteurs d’activité qui ACTIVES DU MARCHÉ DU ne dépendent pas d’un accès physique à la TRAVAIL côte, comme par exemple les technologies Les programmes actifs pour l’emploi se de l’information et de la communication. Ces trouvent depuis plusieurs décennies au cœur réformes doivent, reposer sur une évaluation de la politique tunisienne du marché du travail. des expériences menées précédemment Ces programmes consistent le plus souvent en dans le domaine de la création d’emplois au des subventions salariales pour promouvoir niveau local, afin d’améliorer l’efficacité et le l’insertion des primo-demandeurs diplômés du rendement des programmes. supérieur, un soutien à l’entrepreneuriat et des programmes régionaux de travaux publics. Faciliter la mobilité géographique. Les Ils sont toutefois confrontés à des difficultés données disponibles montrent qu’en dépit des structurelles, liées notamment à des carences différences marquées de la situation de l’emploi au niveau de la gouvernance, de la cohérence entre l’intérieur du pays et le littoral, les flux de et du suivi-évaluation. population au départ des régions intérieures restent relativement limités. Des expériences Les recommandations suivantes sont sont actuellement menées pour déterminer essentielles pour améliorer l’efficacité des les moyens qui permettraient de faire tomber programmes pour l’emploi en Tunisie. Certaines les obstacles à la mobilité géographique. Elles d’entre elles ciblent spécifiquement les groupes consistent notamment à informer davantage de population marginalisés, tandis que d’autres la population et à alléger leurs contraintes ne les visent pas explicitement, mais sont financières par des programmes de transferts conçues pour les affecter positivement. monétaires ou de prêts. Mettre en place un cadre de suivi et Améliorer les liaisons locales. Les liaisons d’évaluation pour améliorer l’efficacité entre les centres de création d’emplois et le rendement des programmes dans le noyau métropolitain et les secteurs pour l’emploi. Le suivi des bénéficiaires périphériques pourraient être améliorées par représentet aujourd’hui un défi important. le renforcement des transports en commun. Une fois que les bénéficiaires sont enregistrés dans un programme, il n’existe pas de respecter leurs critères d’attribution du point mécanismes permettant de suivre leur statut. de vue des employeurs et des bénéficiaires. Le gouvernement pourrait mettre en place des mécanismes d’assurance de la qualité et Mieux cibler les programmes pour une stratégie de suivi-évaluation basée sur l’emploi des jeunes. Les trois principaux les résultats afin d’augmenter l’efficacité et le programmes destinés à faciliter l’insertion des rendement des programmes et d’améliorer jeunes sur le marché de l’emploi2 sont ciblés l’utilisation des ressources publiques. Il peut sur les diplômés du supérieur. Les réformes tirer parti de son expérience en introduisant concernant les programmes pour l’emploi des systèmes de suivi-évaluation à des des jeunes devraient cibler les différentes programmes récents. catégories de jeunes vulnérables et tendre vers la mise en place de subventions flexibles Développer des partenariats public-privé destinées à ces groupes spécifiques et conçues pour la fourniture des services de l’emploi. pour mieux répondre aux caractéristiques des Le gouvernement a pris l’engagement de employés et d’employeurs. réformer ses politiques actives du marché du travail. Ces réformes s’attachent à juste titre à Améliorer la performance de l’ANETI impliquer le secteur privé dans la conception et en introduisant un système d’incitation. la mise en œuvre des dispositifs de formation Un élément clé de la réforme réside dans et de développement des compétences. la rémunération au résultat des conseillers de l’ANETI. La mise en place d’un système Réexaminer les subventions salariales biométrique qui contrôle sur le long terme les pour l’insertion professionnelle des jeunes. résultats des demandeurs d’emploi peut aider Il est nécessaire d’améliorer leur ciblage, de à mesurer les effets des interventions. revoir les formules de prestations et de faire 2. Le programme Amal qui fournissait un soutien financier mensuel (aujourd’hui suspendu), le Service civil volontaire (SCV) et le Stage d’initiation à la vie professionnelle (SIVP).