84457 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Études de cas dans 22 pays VUE D’ENSEMBLE LA BANQUE MONDIALE Crédit photo : ©Andrea Borgarello / Banque Mondiale Crédit photo de couverture : Dasan Bobo/Banque Mondiale RÉDUIRE LA PAUVRETÉ ET INVESTIR DANS LE CAPITAL HUMAIN : LE NOUVEAU RÔLE DES FILETS SOCIAUX EN AFRIQUE Études de cas dans 22 pays La stratégie de protection sociale de la Banque mondiale pour l’Afrique de 2012 à 2022 met en lumière la nécessité d’établir une base factuelle solide pour étayer la préparation et la mise en œuvre de programmes de protection sociale sur ce continent (Banque mondiale, 2012a). Depuis 2009, la Banque mondiale a réalisé des évaluations approfondies des filets sociaux dans 22 pays d’Afrique subsaharienne. Les résultats de ces évaluations et d’autres études portant sur cette question ont récemment fait l’objet d’une synthèse régionale1 qui donne un aperçu de l’état actuel des programmes de protection sociale en Afrique et renseigne sur les moyens de renforcer ces programmes pour lutter plus efficacement contre la pauvreté et la vulnérabilité. Les filets sociaux: outils pour Message principal : L’examen de synthèse a permis de constater que les filets sociaux évoluent d’une la réduction de la pauvreté et manière positive en Afrique, où des programmes l’investissement consacré aux pauvres autonomes disparates sont graduellement Au cours des deux dernières décennies, la solide remplacés par de véritables systèmes de croissance économique de l’Afrique a ouvert la voie à la protection sociale. Jusqu’à récemment, réduction de la pauvreté. De 1995 à 2008, le pourcentage beaucoup de pays africains n’abordaient les de la population africaine vivant dans la pauvreté est enjeux de protection sociale qu’au coup par passé de 58 à 48 % (Banque mondiale, 2011). De hauts coup. Cependant, lorsque la crise économique niveaux de pauvreté persistent néanmoins, en particulier mondiale a commencé à mettre en péril les dans les zones rurales, et l’écart entre les catégories de progrès récents réalisés en matière de réduction revenus, mesuré à l’aune du capital humain et de l’accès de la pauvreté, les filets sociaux ont commencé à aux services sociaux de base, ne cesse de se creuser. Outre être considérés de plus en plus comme des outils le problème de la pauvreté chronique — situation où se essentiels pour la réduction de la pauvreté dans retrouvent les ménages qui n’arrivent pas à améliorer leurs la région. Les programmes d’aide alimentaire conditions de vie et à sortir de la pauvreté —, on déplore d’urgence se sont graduellement mutés en une grande vulnérabilité due aux chocs environnementaux interventions ponctuelles de filets sociaux, et économiques, aux difficultés personnelles et aux puis en dispositifs de protection réguliers et problèmes de gouvernance qui frappent souvent de prévisibles — par exemple, programmes ciblés de nombreux ménages. transferts monétaires ou programmes de travail Les filets sociaux (voir la définition dans l’encadré 1) contre rémunération. Certains pays comme le constituent un élément important des stratégies de Ghana, le Kenya, le Mozambique, le Rwanda et la développement conçues par les pays afin de réduire Tanzanie s’emploient désormais à amalgamer ces durablement la pauvreté. Au vu des niveaux élevés de programmes en systèmes nationaux. On travaille pauvreté chronique et de l’aggravation des inégalités, on à définir les stratégies nationales de protection estime que ces dispositifs, grâce à leurs interventions sociale qui serviront de point de départ à la mise ciblées qui procurent une aide régulière et fiable aux en place de dispositifs efficaces de protection ménages pauvres et aident les pauvres à s’engager dans sociale. Notre examen donne cependant à des activités productives et rémunératrices, pourraient conclure que nous sommes encore loin du but. contribuer à accélérer la réduction de la pauvreté. Les filets sociaux peuvent également faire œuvre utile, en 1 2 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique ENCADRÉ 1. Définitions Les filets sociaux sont des programmes de transferts non contributifs axés d’une manière ou d’une autre sur les popu- lations pauvres ou vulnérables (Grosh et al., 2008). Ils visent à stimuler — directement ou par le biais d’un effet de sub- stitution — la consommation de produits de base et de services essentiels par les ménages. Les populations pauvres et vulnérables auxquelles ils s’adressent sont des groupes de personnes incapables de satisfaire à leurs propres besoins essentiels ou qui risquent de basculer dans la pauvreté sous l’effet de chocs exogènes ou de problèmes socioéconomi- ques tels que l’âge, la maladie ou un handicap. Les filets sociaux sont des dispositifs non financés par des cotisations qui forment, avec les régimes d’assurance sociale et les législations sociales, un ensemble global de programmes contributifs ou non contributifs de protection sociale. périodes de crises, auprès de ceux qui ont basculé dans la faire des systèmes nationaux intégrés. Ce contexte par- pauvreté : ils peuvent les aider à élaborer des stratégies qui ticulier a aussi incité les pays à rationaliser les dépenses leur permettront de renforcer leur résistance aux chocs publiques afin de pouvoir offrir une aide plus adéquate et à éviter ainsi d’épuiser leurs ressources pendant les et mieux ciblée à leurs populations les plus pauvres. Les périodes difficiles. Les filets sociaux sont ainsi essentiels autorités publiques réagissaient ainsi aux preuves de plus pour atteindre les nouveaux objectifs de la Banque en plus abondantes montrant que les filets sociaux rédu- mondiale : mettre fin à la pauvreté extrême et promouvoir isent la pauvreté chronique et la vulnérabilité des popu- une prospérité partagée2. lations et aident à promouvoir une croissance inclusive. Avant que la crise économique mondiale et des ép- Les évaluations des incidences des programmes de pro- isodes de sécheresse répétés ne viennent contraindre tection sociale en Afrique montrent que les filets sociaux les pays à renforcer d’urgence leurs filets sociaux des aident les ménages à satisfaire à leurs besoins essentiels, à populations les plus pauvres, les enjeux de la protec- protéger leurs actifs et à investir dans le capital humain. tion sociale n’étaient abordés qu’au coup par coup en Des recherches effectuées récemment sur les aspects pro- Afrique. Au cours des quelques dernières années, la crise ductifs des programmes de transferts monétaires en Af- économique mondiale et les chocs des prix des combus- rique donnent en outre à penser que ces programmes, en tibles et des produits alimentaires ont poussé un certain favorisant les investissements productifs, peuvent à long nombre de pays à entreprendre la coordination de leurs terme avoir un effet positif sur le bien-être des popula- programmes disparates de protection sociale pour en tions (voir encadré 2). Études de cas dans 22 pays 3 ENCADRÉ 2. Les transferts monétaires peuvent-ils accroître la productivité des ménages africains ? La plupart des programmes de protection sociale mettent l’accent sur la réduction des niveaux actuels de pauvreté. Cependant, ils peuvent aussi avoir pour résultat d’accroître la productivité et de réduire la pauvreté à plus long terme. Les travaux publics sont jugés productifs même à court terme étant donné qu’en plus de fournir un revenu aux ménages défavorisés, ils constituent une source d’investissements de proximité. Les programmes de transferts monétaires (souvent conditionnels) peuvent aider les familles pauvres à investir dans le capital humain de leurs enfants, en permettant par exemple à ces derniers de fréquenter l’école plus régulièrement. Cependant, certains groupes de personnes très pauvres et indigentes, incapables de participer productivement à la société, utiliseront plutôt l’aide financière de ces programmes pour se procurer des aliments ou d’autres produits de première nécessité (volet « protection » des programmes). L’amélio- ration de la consommation pourra cependant être considérée comme productive en soi — par exemple, une meilleure nutrition favorise la croissance des enfants et améliore leurs perspectives de développement ; l’aide fournie aux per- sonnes âgées du Kenya et d’Afrique du Sud contribue à la scolarisation de leurs petits-enfants. L’amélioration de la productivité des ménages constitue un aspect de plus en plus important des filets de protection sociale en Afrique. Ce potentiel n’a pas encore été exploité à sa pleine valeur, mais les résultats de certaines évaluations d’impact et d’autres recherches réalisées dans un certain nombre de pays africains sont prometteurs. Les résultats initiaux de la présente étude donnent à conclure qu’un montant même minime de supplément de revenu régulier — même offert sans condi- tion — peut aider les ménages à diversifier leurs moyens de subsistance et à accroître leur consommation de « biens » (par exemple, investissement dans des actifs, dans le capital humain et le développement de petites entreprises) et à délaisser les stratégies contre-productives et les mécanismes négatifs d’adaptation (par exemple, tolérance de l’exploitation, em- plois dangereux ou vente d’actifs en périodes de difficultés). Les filets sociaux peuvent permettre aux ménages d’investir dans des activités plus productives et plus rentables. On observe également que les transferts monétaires stimulent l’écon- omie locale grâce à l’effet multiplicateur des dépenses des bénéficiaires sur les marchés locaux. Les filets sociaux sont nécessaires en Afrique à la ment nouveau, mais les autorités prennent graduellement fois pour améliorer la situation des pauvres et pour les conscience de la nécessité de protéger les populations aider à résister aux chocs. Les filets sociaux traditionnels pauvres et vulnérables pour les aider à faire face aux crises axés sur les familles et les collectivités s’inscrivent dans et à sortir de la pauvreté extrême. Cependant, les besoins une longue tradition en Afrique. Or, la prospérité gran- sont considérables, et les filets sociaux, pour avoir un effet dissante des pays risque de conduire à une aggravation optimal tout en restant abordables, doivent mettre l’ac- des inégalités et à une érosion des structures sociales sous cent sur les poches de pauvreté extrême et sur les groupes l’effet de chocs et de changements économiques et so- particulièrement vulnérables, et chercher non seulement ciaux. Dans la plupart des pays africains, les programmes à leur venir en aide, mais à leur offrir les moyens de sortir publics de protection sociale sont un concept relative- de la pauvreté à plus long terme. Crédit photo : Dasan Bobo/Banque Mondiale 4 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Enseignements tirés de l’application des filets sociaux dans 22 pays africains Les filets sociaux ont évolué d’une manière différente la pauvreté, et que plus de la moitié d’entre eux ont déjà d’un pays africain à l’autre sous l’effet de contextes préparé ou s’emploient à préparer une stratégie de protec- politico-économiques et socioculturels différents. Les tion sociale (figure 1). L’expérience de certains pays afri- politiques, l’approche et les dispositifs institutionnels qui cains comme le Rwanda montre qu’il est essentiel, pour régissent l’application des systèmes de protection sociale assurer la bonne application d’une telle stratégie, de se varient d’une région à l’autre du continent. Par exemple, doter d’un plan d’action concret dont les coûts seront soi- les pays à revenu intermédiaire d’Afrique australe gneusement déterminés. Par ailleurs, les progrès accom- disposent de systèmes publics solides fondés sur l’« équité plis dans le domaine des technologies de l’information et horizontale », tandis que les programmes en vigueur dans des communications permettent désormais aux pays Af- les États fragiles et les pays à faible revenu comme ceux ricains d’adopter plus rapidement les meilleures pratiques d’Afrique de l’Ouest tendent davantage à subir l’influence internationales ayant trait notamment à l’utilisation des des partenaires techniques et financiers. Les mesures de systèmes de gestion de l’information, du registre unique renforcement des filets sociaux doivent être conçues de des bénéficiaires et des systèmes de paiements. manière à tenir compte de ces facteurs contextuels. Malgré l’hétérogénéité qu’ils affichent d’un pays à FIGURE 1 : Plus de la moitié des pays ont préparé l’autre du continent, le rôle central que peuvent jouer ou s’emploient à préparer des stratégies de les filets sociaux dans les efforts de réduction de la pau- protection sociale (pourcentage des pays) vreté est de plus en plus reconnu. Les pays Africains sont de plus en plus nombreux à se doter de stratégies pour la mise en place de systèmes efficaces de protection sociale, et à faire de cet enjeu un élément plus prioritaire du pro- Stratégie de protection gramme de l’État. La présente étude montre que les trois 32% sociale opérationnelle quarts environ des pays examinés ont fait du filet sociaux 45% Stratégie de protection une composante de leur stratégie globale de réduction de sociale en préparation Stratégie de protection 23% sociale absente Malgré la manque de foyers institutionnels et organes de coordination solides pour la gestion de filets sociaux en Afrique, on relève néanmoins des exemples de dis- positifs de mise en œuvre efficaces. La responsabilité de l’application des programmes publics de protection sociale est en général partagée entre divers ministères — par ex- emple, le ministère d’Affaires sociales, le ministère de la Femme et la Famille, le ministère de l’Emploi, ou autres ministères multisectoriels — qui ne jouissent souvent pas d’un pouvoir décisionnel très étendu au sein de l’admin- istration publique. Cependant, le programme « Filet so- cial productif » (Productive Safety Net Program – PSNP) d’Éthiopie est un exemple de la façon dont les pays peuvent créer des dispositifs de mise en œuvre utiles engageant la participation de multiples ministères. Cela étant, en raison de la fragmentation de l’aide dispensée par les bailleurs, les pays à faible revenu doivent souvent composer avec une multiplicité de petits programmes isolés, mal coordonnés et privés du soutien actif d’un défenseur bien en vue sur la scène politique. Par exemple, le Libéria et Madagascar sont dotés de plus de cinq programmes de travaux publics distincts gérés par des partenaires techniques et financiers et par des organismes gouvernementaux différents. Crédit photo : © Andrea Borgarello / Banque Mondiale Études de cas dans 22 pays 5 Les résultats du présent examen montrent que peu courante en Afrique de l’Ouest (par exemple, au Bénin, au de pays africains ont réussi à se doter de systèmes de Burkina Faso, au Cameroun, au Mali et en Mauritanie). protection sociale bien planifiés capables de mettre en Les pays s’intéressent de plus en plus à l’expérience posi- œuvre une stratégie efficace de réduction de la pauvreté tive du programme PSNP éthiopien et de son élément de et de la vulnérabilité (figure 2). On observe au contraire une multiplicité d’interventions fragmentées, d’ordinaire financement des risques. pilotées par les partenaires et qui, globalement, ne ciblent pas réellement les populations pauvres. Dans les pays à FIGURE 3 : Divers types de programmes de faible revenu — par exemple, en Afrique de l’Ouest —, les protection sociale (pourcentage des pays) filets sociaux sont axés sur l’aide d’urgence et sur les en- jeux liés à l’approvisionnement en aliments. Rares sont les 100% programmes qui offrent une aide permanente aux nom- 90% 95% breuses victimes de pauvreté chronique, bien que de tels 91% programmes soient plus fréquents dans les pays à revenu 80% 82% intermédiaire (par exemple l’Afrique du Sud, le Botswana 77% 70% et le Swaziland) dotés de nombreux programmes d’aide 68% et de pensions sociales. Globalement, on constate que les 60% 59% 59% programmes les plus répandus sont les programmes d’ali- 50% 55% mentation scolaire, les programmes de travaux publics, les programmes d’aide en nature réguliers ou d’urgence, les 40% programmes de transferts catégoriques et les subventions 30% 36% générales (figure 3). Les programmes nationaux de trans- ferts monétaires axés sur les pauvres ne sont pas com- 20% muns, bien qu’une partie du nombre non négligeable de 10% 14% petits programmes en vigueur soient actuellement en voie d’être élargis. Par exemple, le Rwanda est en train d’élar- 0% Transferts catégoriques Alimentation Subventions générales Travaux publics Exemptions de frais Services sociaux Autres transferts en nature Programmes d'urgence Transferts monétaires axés sur les pauvres Micro-crédit gir la couverture du programme Vision 2020 Umurenge, et le Kenya a entrepris de fusionner cinq programmes de transferts monétaires en un seul programme national de protection sociale. FIGURE 2 : Les systèmes coordonnés de protection sociale ne sont pas communs (pourcentage des pays) FIGURE 4 : Populations visées par les programmes de filets sociaux (pourcentage des pays) 14% Pays dotés d'un système 100% de protection sociale 90% 95% Pays en voie de mettre en oeuvre un système 80% 36% de protection sociale 82% 50% 70% Pays dépourvus de système de protection 60% sociale 50% 40% 45% Dépourvus de filets de protection sociale axés sur le 30% développement à long terme, beaucoup de pays à faible 20% revenu et d’États fragiles continuent de réagir aux crises et aux catastrophes en recourant aux secours d’urgence 10% (figure 4). TCes mécanismes d’intervention d’urgence 0% ont tendance à être déficients, à manquer de souplesse et Pauvreté et Pauvreté temporaire/ Groupes nettement à être imprévisibles. On possède en outre très peu d’in- insécurité victimes de chocs/ vulnérables/ alimentaire insécurité groupes formations sur l’efficacité des programmes de distribution chroniques alimentaire spéciaux d’aliments et d’interventions d’urgence qui sont monnaie récurrente 6 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique La collecte de données de suivi plus complètes sur de mécanismes de ciblage et en combinent souvent plus les programmes africains de filets sociaux faciliterait d’un — 57 % des programmes combinent au moins deux l’évaluation de leur efficacité. En règle générale, l’efficac- méthodes. Les faits montrent que dans certains cas, le ci- ité de ces programmes est méconnue en Afrique, et l’ab- blage communautaire permet de déceler les ménages les sence de systèmes d’information et de données de base plus pauvres. La mesure de l’aptitude des programmes sur les programmes constitue une lacune importante. africains de filets sociaux à recenser et à cibler les popu- Beaucoup de pays manquent de statistiques administra- lations pauvres et vulnérables — en particulier les cas les tives précises sur le nombre de bénéficiaires et les niveaux plus extrêmes —, compte tenu du manque de données de prestation offerts par chacun de leurs programmes. Les et de l’insuffisance des moyens qui persistent, constitue données sur les programmes de distribution d’aliments — une des questions clés à évaluer. L’amélioration du ci- en situations d’urgence par exemple — font particulière- blage des bénéficiaires potentiels des programmes de fi- ment défaut. La masse d’informations tirées des évalua- lets sociaux dépend enfin de la viabilité politique de ces tions d’impact des programmes africains de filets sociaux programmes. s’accroît cependant rapidement. Beaucoup de pays s’em- ploient déjà, avec la collaboration de la Banque mondiale TABLEAU 1 : Les filets sociaux africains utilisent un large éventail de mécanismes de ciblage et d’autres partenaires techniques et financiers, à enrichir (pourcentage des programmes) leurs bases de données sur l’impact des programmes de filets sociaux. Méthode de ciblage Fréquence L’incidence des programmes actuels de filets so- Multiple 57 % ciaux sur les populations pauvres et vulnérables reste limitée, mais elle s’accroît dans certains pays. Ces pro- Géographique 49 % grammes ne bénéficient globalement qu’à une très mince Autociblage 32 % fraction du nombre total de personnes pauvres et vul- Communautaire/validé au niveau nérables dans chaque pays. Par exemple, on estime que 30 % communautaire le taux de couverture net de l’ensemble des programmes Catégorique 26 % de filets sociaux des populations pauvres du Bénin n’est Proxy means/means testing 20 % que d’environ 5 à 6 %. Au Kenya, les estimations don- nent à conclure que les transferts monétaires ne béné- Universel (excluant les subventions) 12 % ficiaient qu’à environ 9 % des pauvres en 2010, mais les autorités comptent élargir la portée de ce programme Grâce à de meilleures analyses des filets sociaux afin de pouvoir venir en aide à 17 % des pauvres d’ici réalisées en partie dans le cadre de projets d’évaluation, 2018. Les programmes universels de pensions sociales, plusieurs pays sont en voie d’améliorer l’efficacité de communs en Afrique australe et qui couvrent une large ces programmes. Notre étude donne à conclure que 36 proportion des personnes âgées, constituent l’exception % des pays examinés sont en voie d’élaborer un système à la règle. Cependant, la couverture des programmes ci- de protection sociale tandis que la moitié ont encore des blant la pauvreté reste limitée dans beaucoup de pays à progrès à accomplir (figure 2). Un certain nombre de pays revenu intermédiaire. Pour atteindre leurs buts à un coût s’emploient à accroître l’efficacité et la portée de leurs pro- raisonnable, les filets sociaux doivent être bien ciblés, grammes, dont certains sont déjà relativement bien ciblés fournir des services adéquats aux groupes qui en ont be- (par exemple, les programmes gérés par le Tanzania So- soin, et faire preuve d’assez de souplesse pour pouvoir cial Action Fund, le programme Livelihood Empowerment s’adapter à la conjoncture et réagir aux types de chocs against Poverty du Ghana et le Cash Transfer Program for auxquels sont aujourd’hui confrontés beaucoup de pays. Orphans and Vulnerable Children du Kenya) (encadré 3). Les programmes ciblés restent peu accessibles en Certains pays — par exemple, le Rwanda et la Tanzanie Afrique. Les programmes axés sur les pauvres sont rares —, commencent à se doter de programmes durables et in- et prennent principalement la forme de projets pilotes stitutionnalisés, appuyés par des ministères influents tels de petite envergure. Vingt pour cent seulement des pro- que ceux des Finances, de l’Économie ou du Plan. En ou- grammes examinés dans le cadre de la présente étude tre, de plus en plus de pays adoptent des systèmes et des utilisent une forme quelconque de ciblage par mesure programmes assez prévisibles et souples pour répondre directe des moyens (means testing, fondé sur la mesure aux situations de crise (par exemple, le Cameroun, la Ré- directe des revenus ou de la consommation) ou par es- publique du Congo, la Guinée, le Mali, le Mozambique, le timation du niveau de vie (proxy means testing) pour Niger et le Sénégal). Le PSNP éthiopien fait depuis long- cibler les pauvres (tableau 1). En pratique, les filets so- temps œuvre de pionnier à cet égard. ciaux en vigueur en Afrique utilisent un large éventail Les filets sociaux bien ciblés sont abordables en Études de cas dans 22 pays 7 ENCADRÉ 3 : Exemples de programmes africains de protection sociale Le programme « Filet social productif » (Productive Safety Net Program – PSNP) d’Éthiopie a été lancé en 2005 pour trans- former l’ancien système d’aide alimentaire en un filet social plus prévisible capable de générer des actifs productifs dans les collectivités pauvres. Il permet aux ménages en situation d’insécurité alimentaire qui comptent des membres aptes au travail (80 %) de gagner un revenu et de se procurer des aliments en participant à des travaux d’intérêt public à haute intensité de main-d’œuvre, et offre des transferts directs aux ménages dont les membres sont incapables de travailler (20 %). Les transferts annuels estimés par ménage correspondent à 40 % environ des besoins alimentaires des ménages bénéficiaires. Le PSNP touche plus de 7 millions de personnes, soit environ 10 % de la population, et veille à la mise en œuvre d’environ 34 000 petits projets par année. Les travaux publics réalisés dans le cadre du PSNP ont conduit à la remise en état de plus de 167 000 hectares de terres et de 275 000 kilomètres de remblais de pierres et de terre, ainsi qu’à la plantation de près de 900 millions de jeunes arbres qui con- tribueront à atténuer les effets des futures épisodes de sécheresse. Des évaluations rigoureuses de ce programme ont confirmé les bienfaits importants qu’il a apportés aux personnes pauvres en difficulté. Le programme du revenu de subsistance contre la pauvreté (Livelihood Empowerment against Poverty – LEAP) du Ghana verse des aides monétaires et offre l’accès à l’assurance-maladie aux ménages extrêmement pauvres du Ghana afin de réduire la pauvreté à court terme et d’encourager la valorisation des ressources humaines à long terme. L’admissibilité des ménages est fondée sur le degré de pauvreté et sur la présence, dans ces ménages, d’un membre appartenant à au moins une des catégories démographiques suivantes : parent seul ayant la garde d’un orphelin ou d’un enfant vulnérable ; personne âgée pauvre ; per- sonne gravement handicapée et incapable de travailler. Lancé à titre expérimental en mars 2008, le programme comptait en juin 2013 71 000 ménages inscrits. Les bénéficiaires reçoivent deux fois par mois des transferts monétaires qui totalisent entre 4 et 8 dollars par mois. Une évaluation d’impact est en cours de réalisation. On souhaite étendre le programme LEAP pour toucher 1 million de ménages au cours des trois prochaines années. Le programme de transferts monétaires pour les orphelins et les enfants vulnérables (Cash Transfer for Orphans and Vul- nerable Children – CT-OVC) du Kenya a été mis en œuvre pour répondre aux préoccupations suscitées par la situation des orphelins et des enfants vulnérables du pays, en particulier les orphelins du SIDA. Il a pour objectifs d’encourager le parrainage et le maintien des enfants dans leurs familles, ainsi que de promouvoir la valorisation du capital humain qu’ils représentent. Les ménages admissibles (pauvres ou comptant des orphelins ou des enfants vulnérables) reçoivent un montant mensuel forfaitaire de 21 dollars. En juin 2012, le programme bénéficiait à 150 000 ménages comptant au total 495 000 enfants orphelins ou vul- nérables, soit environ 24 % du nombre estimé de ménages de cette catégorie. Les évaluations d’impact ont permis d’observer une hausse sensible des dépenses consacrées à l’alimentation et aux services de santé par les ménages bénéficiaires. L’inci- dence du programme sur le taux de scolarisation se concentre au niveau secondaire, où ce taux a affiché un bond de 9 points de pourcentage. Les enfants des ménages bénéficiaires sont également moins exposés à redoubler une classe, et ont plus de chances de passer au niveau supérieur. Le programme Vision 2020 Umurenge (VUP) du Rwanda combine les travaux publics (50 %), les transferts monétaires (20 %) et l’octroi de microprêts (30 %) axés sur les ménages pauvres des circonscriptions les plus pauvres du pays. Gérés par le ministère des Collectivités locales, les travaux publics visent à améliorer la productivité des terres et l’irrigation — principalement par l’aménagement de terrasses, de fossés, de petits barrages et de boisés — ainsi qu’à construire des routes, des salles de classe et des dispensaires. Les salaires sont établis au niveau des districts et varient selon le type de projet, mais ils doivent être inférieurs ou égaux au taux en vigueur sur le marché pour des travaux semblables. En 2009, ils s’établissaient en moyenne à 1,50 dollar par jour. À compter de l’exercice 2010-11, les autorités ont consacré environ 0,7 % du budget national aux travaux publics réalisés dans le cadre du programme VUP, lesquels ont permis de créer 522 856 emplois, dont la moitié étaient occupés par des femmes. Ce chiffre correspond à environ 5 % de la population totale du pays. Les travaux publics du VUP ont permis de réduire la pauvreté extrême dans les zones visées par le programme. Le système des subsides aux indigents (Social Grants) mis en place en Afrique du Sud est le plus important programme de transferts monétaires d’Afrique subsaharienne. Il comporte divers types de subventions basées sur l’évaluation des moyens et qui ciblent les personnes âgées, les familles pauvres avec enfants, les familles d’accueil, les handicapés et les anciens combattants. Environ 15 millions de personnes bénéficient de ces subsides, soit environ 30 % de la population nationale. L’allocation pour en- fant à charge touche environ 10 millions de personnes, tandis que l’allocation de vieillesse, réservée aux personnes pauvres âgées de plus de 60 ans, bénéficie à environ 2 millions de personnes. Selon les données recueillies dans le cadre d’enquêtes menées auprès des ménages, les Social Grants représentent plus de 60 % du revenu des 20 % de la population constitués par les ménages les plus pauvres du pays, et les allocations pour enfant à charge représentent la plus grande part de ces subsides. Les enfants inscrits au régime d’allocations à leur naissance atteignent un niveau de scolarité sensiblement plus élevé et obtiennent de meil- leurs résultats aux tests de mathématiques que les enfants inscrits à l’âge de six ans. Ces effets sont particulièrement évidents chez les filles. L’inscription au régime d’allocations pour enfant à charge réduit le risque de morbidité de 9 points de pourcentage. Les principaux effets observés chez les adolescents sont une réduction de l’activité sexuelle et des grossesses, et une baisse de la consommation de drogues et d’alcool. Source : Banque mondiale (2012b) 8 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Afrique, en particulier s’il est possible de réduire oun, les estimations donnent à conclure que les sommes les subventions universelles ou catégoriques et de requises pour maintenir un filet social adéquat pour la réacheminer les sommes ainsi épargnées au profit moitié de la population souffrant de pauvreté chronique des personnes extrêmement pauvres et à des groupes ne représentent que 0,5 % du produit intérieur brut. particuliers de personnes vulnérables, et d’harmoniser les programmes fragmentés. Dans la plupart des pays • Les subventions générales sont des mécanismes coûteux africains, en particulier les pays à faible revenu, les de redistribution du revenu souvent inutiles pour les dépenses consacrées aux filets sociaux sont faibles pauvres — par exemple, les subventions aux carburants comparativement à celles observées dans les autres pays en vigueur au Cameroun, en Mauritanie et en Sierra du monde (tableau 2). Leone, et le programme de subventions aux facteurs de production agricole en Zambie. La rationalisation des • Dans les pays où les taux de pauvreté sont élevés et les programmes et des subventions mal ciblés peut permet- revenus de l’État faibles, il restera essentiel, tant à court tre d’augmenter les ressources budgétaires disponibles qu’à long terme, d’attirer les financements des bailleurs pour des filets sociaux plus efficaces et mieux ciblés. pour assurer la pérennité des programmes de protec- Par ailleurs, des filets sociaux capables de venir en aide tion sociale. Exception faite des programmes universels d’une manière efficace aux groupes les plus vulnérables comme les allocations de vieillesse et les subventions générales, les partenaires financent une part impor- de la société peuvent servir de mécanismes importants tante des filets sociaux en Afrique — par exemple, plus d’atténuation des risques aptes à faciliter la réforme de de 80 % des dépenses nettes de filets sociaux au Burkina coûteux programmes de subventions générales. Faso, au Libéria, au Mali et en Sierra Leone (tableau 2). • La multiplication des découvertes de ressources na- • Cependant, dans les pays à revenu intermédiaire, les turelles en Afrique (voir Banque mondiale, 2013) con- budgets publics sont en mesure d’apporter un soutien tribuera probablement à ménager un espace budgétaire suffisant pour les plus pauvres. Par exemple, au Camer- supplémentaire pour la mise en œuvre de filets sociaux. Crédit photo : Claudia Rodriguez Alas/Banque Mondiale Études de cas dans 22 pays 9 TABLEAU 2 : Coûts et financement des filets sociaux en Afrique Dépenses consacrées aux filets sociaux Pourcentage Pourcentage du   (pourcentage du PIB ; y compris les dépenses des dépenses Notes financement assuré par... de l’État et des bailleurs) totales Subventions de l’État l'État Subventions Subventions (subventions générales (subventions les Pays générales générales non Années non non bailleurs comprises seulement comprises) comprises comprises) Bénin 0,3 0,9 0,5 1,1 35 65 Moy. 2005-10 Moy. 2009/10- Botswana 3,7 3,7 0,0 9,5 100 0 2012/13 Burkina Faso 0,6 1,3 0,7 <1,0 20 80 Moy. 2005-09 Cameroun 0,2 1,6 1,4 1,5 23 77 Moy. 2008-10 Éthiopie 1,2a 1,2a 0,0 . 0 100 2009 Kenya 0,8 0,8 0,0 1,0 29 71 2010 Lesotho 4,6 4,6 0,0 8,0 2010/11 Libéria 1,5 1,5 0,0 4,4 6 94 Moy. 2008-11 Madagascar 1,1 1,1 0,0 5,0 . . 2010 Mali 0,5 0,5 0,1 . 40 60 Moy. 2006-09 Mauritanie 1,3 3,2 1,9 4,6 62 38 Moy. 2008-13 Maurice 4,4 5,2 0,8 9,0 . . 2008/09 Mozambique 1,7 3,1 1,4 . 38 62 2010 Niger . . . 1,0-5,0 33 67 Moy. 2001-06 Rwanda 1,1 1,1 0,0 . . . 2010/11 Sierra Leone 3,5 5,6 2,1 13,1 15 85 2011 Afrique du Sud 3,5 . . . . . 2010 Swaziland 2,1 2,1 0,0 . . . 2010/11 Tanzanie 0,3 0,3 0,0 1,0 . . 2011 Togo 0,5 1,3 0,8 1,8 25 75 Moy. 2008-10 Zambie 0,2 2,1 1,9 . 25 75 2010/11 Moyenne 1,7 2,2 0,6 4,4 32 68 . Moyenne des pays à 1,1 1,7 0,6 3,7 27,5 72,5 . faible revenu Moyenne des pays à 2,7 3,2 0,7 7,0 49,3 50,7 . revenu intermédiaire Moyenne des pays dotés de systèmes 3,9 4,5 0,4 9,3 100 0 . établis Moyenne des pays à systèmes en 1,5 1,7 0,2 2,8 28 72 . gestation Moyenne des pays à un stade précoce ou 1,0 2,1 1,0 4,5 26,4 73,6 . sans projet Les plus récentes Moyenne ECA 1,8b 1,8b . . . . : 2008-10 Moyenne LCR 1,1c 1,1c . . . . 2010 Moyenne MENA 0,7 6,4d . . . . Les plus récentes Sources: Évaluations des filets sociaux, Silva et al., 2013) ; Woolard et Leibbrandt, 2010 ; Banque mondiale, 2012b ; Banque mondiale, 2012c. Notes : Les totaux peuvent ne pas correspondre à leurs éléments, les chiffres ayant été arrondis. Les données sur les dépenses incluent les financements des partenaires, sauf pour le financement du budget général, mais excluent les financements par le secteur privé. a PSNP seulement, à l’exclusion des dépenses consacrées aux autres programmes de filets sociaux. b Dépenses publiques seulement, y compris les subventions dans de très rares cas, lorsque les données sont disponibles. Années les plus récentes : 2008-11. c Année 2010 pour 10 pays d’Amérique latine et des Caraïbes. d Dernière année disponible pour 11 pays de la région MENA. Les dépenses comprennent les subventions générales et les cartes de rationnement. ECA = Europe et Asie centrale LCR = Amérique latine et Caraïbes MENA = Moyen-Orient et Afrique du Nord 10 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Renforcement des filets sociaux en Afrique Il convient d’améliorer systématiquement les systèmes sur de petits projets pilotes — par exemple, le programme de collecte des données et de suivi à l’appui des de transferts monétaires mis en œuvre à Zomba (Malawi) programmes de filets sociaux partout en Afrique. ou le projet Bourse Maman, au Mali —, certains projets de Il est essentiel de disposer de données fondamentales plus grande envergure comme ceux réalisés en Éthiopie, au sur le nombre et les types de bénéficiaires, ainsi que Kenya et en Tanzanie font désormais l’objet d’évaluations. d’informations sur les résultats pour pouvoir améliorer la Il convient d’accorder la priorité aux efforts d’har- conception et la coordination des programmes, informer monisation et de coordination des programmes de fi- les décideurs et attirer les ressources financières et l’aide des lets sociaux en un système cohérent. Au sein d’un pays bailleurs. L’incidence des filets sociaux sur les indicateurs donné, un petit nombre de programmes bien coordonnés de la pauvreté et du bien-être, lorsqu’elle est connue, est et efficaces peuvent répondre aux besoins des popula- en général jugée positive, mais mitigée. Les évaluations tions les plus pauvres, comme on l’observe au Rwanda. En d’impact se font de plus en plus nombreuses, permettant outre, les autorités africaines, avec le soutien des parte- ainsi d’accumuler une masse de plus en plus considérable naires financiers internationaux, doivent poursuivre leur d’informations sur les programmes de filets sociaux en travail de préparation de stratégies de protection sociale Afrique. Bien que la plupart des évaluations d’impact permettant de lier, de consolider et d’harmoniser les pro- réalisées par le passé aient été réalisées à titre expérimental grammes, et mettre ces stratégies en œuvre. Crédit photo : ©Andrea Borgarello / Banque Mondiale Études de cas dans 22 pays 11 Les filets sociaux doivent pouvoir compter sur de solides outils opérationnels capables d’assurer leur mise en œuvre et leur suivi, ainsi que sur des institutions et des organes de coordination chargés de l’organisation et de la planification du travail. Les outils opérationnels de base — par exemple, bases de données des bénéficiaires, méth- odes de ciblage, systèmes de paiements et systèmes d’éval- uation et de suivi — procurent une plateforme qui permet aux programmes de répondre aux besoins des groupes visés. Il faudra redoubler d’efforts pour bien saisir le rôle que les programmes d’aide alimentaire existants et leurs infrastructures peuvent jouer dans le cadre des systèmes nouveaux et améliorés de filets sociaux en Afrique. Ces systèmes doivent être mis en place pendant les périodes de stabilité pour être prêts à intervenir rapide- ment en cas de crise. Leur mise en place prend du temps. La plupart des pays africains (y compris le Bénin, le Cam- eroun, la Mauritanie et la Sierra Leone) n’étaient pas en mesure de réagir efficacement aux récentes crises mon- diales et ont dû recourir à des subventions universelles Crédit photo : © Arne Hoel/Banque Mondiale coûteuses et inefficaces. Pour mieux cibler leurs programmes de filets so- ciaux, les pays africains devront probablement recourir à une combinaison de méthodes capables ensemble de recenser les ménages et les particuliers dans le besoin. Le choix de la méthode de ciblage dépendra des objectifs du programme et des capacités institutionnelles des agents d’exécution, et la méthode retenue devra être adaptée au profil de la pauvreté et à l’économie politique du pays en question. Les données sur les revenus et la consomma- tion des ménages ne sont souvent pas assez précises pour servir à elles seules au recensement des groupes les plus Il importe que chaque pays se penche plus avant sur démunis. Peu importe la méthode de ciblage choisie, il le rôle des filets sociaux dans le contexte des réformes importera d’en évaluer l’exactitude. des subventions et de l’utilisation des recettes tirées Il convient d’étendre l’application des programmes de l’exploitation des ressources minérales, en tenant bien ciblés qui donnent des résultats probants, et compte de l’économie politique qui le caractérise. Les de supprimer graduellement les programmes ineffi- pays africains qui s’emploient à rationaliser les dépenses caces. Tel que mentionné antérieurement, étant donné publiques pour mieux venir en aide aux éléments les plus l’omniprésence des problèmes de pauvreté et de vul- pauvres de leurs sociétés ont tout intérêt à se doter de fi- nérabilité en Afrique, les filets sociaux ne sont pas en lets sociaux efficaces. Il importe de prendre en compte les mesure de venir en aide à tous les pauvres et doivent caractéristiques de l’économie politique lorsqu’on cherche donc mettre l’accent sur les populations les plus pau- à faire des arbitrages entre des programmes rigoureuse- vres et les plus vulnérables pour avoir un effet optimal ment ciblés et d’autres investissements capables de venir tout en demeurant abordables. L’éparpillement observé en aide à un éventail plus large de bénéficiaires et de con- des ressources entre divers programmes d’intervention tribuer à l’amélioration des conditions sociales. À l’heure d’urgence nous oblige à conclure que ni les partenaires où les ressources minérales récemment découvertes pro- techniques et financiers, ni les pouvoirs publics ne par- curent à un nombre grandissant de pays africains une viennent en général à mettre l’accent sur les filets so- source nouvelle de prospérité3, il est particulièrement ciaux pour lutter contre la pauvreté chronique à long important d’établir un équilibre judicieux entre la part terme. Cependant, les choses commencent à changer. de cette nouvelle richesse qu’il convient de consacrer aux L’Éthiopie, le Kenya, le Mozambique, le Rwanda et la filets sociaux axés sur les plus démunis et celle qui doit Tanzanie s’emploient désormais à harmoniser leurs pro- servir à l’amélioration des services sociaux et à la mise sur grammes pour en accroître l’efficacité et en étendre la pied de systèmes de protection sociale viables à la fois au couverture. plan politique et au plan budgétaire. 12 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Traduire la vision en actes : enseignements utiles pour les pays Les pays doivent adopter le programme de réforme qui termédiaire où les subventions généraux constituent la convient le mieux à leur situation. Ce qui convient à l’un méthode principale de redistribution des revenus. ne convient pas nécessairement aux autres. Le choix de • Élaborer et mettre en œuvre une stratégie de développe- la démarche à privilégier dépendra des résultats d’une ment du filet social. Il s’agit de répartir clairement les analyse détaillée des besoins et des enjeux propres à responsabilités institutionnelles de la gestion des pro- chaque pays. Notre étude élabore une typologie des pays grammes et politiques de filets sociaux en définissant afin de traduire les enseignements tirés par les 22 pays les rôles et les responsabilités spécifiques de chacun examinés en recommandations pratiques pour les autres. des ministères ou organismes intéressés. Cette stratégie Les recommandations suivantes s’appliquent aux pays peut servir de point de départ à l’établissement d’une « à un stade précoce ou sans projet » selon la typologie solide base financière et politique de soutien du pro- adoptée dans la présente étude. Ces pays n’ont pas de sys- gramme. Elle devrait en outre être intégrée dans la tème national de protection sociale ni de plan définitif stratégie globale de réduction de la pauvreté mise en pour la mise en place d’un tel système4 ; se sont en général œuvre par le pays. des pays à faible revenu ou des États fragiles, mais cette • Créer les outils organisationnels principaux requis pour catégorie renferme également certains pays à revenu in- la bonne marche du programme — par exemple, un sys- Crédit photo : ©Arne Hoel/Banque Mondiale Études de cas dans 22 pays 13 tème de suivi de base, des mécanismes d’identification Les recommandations qui suivent s’appliquent aux et de ciblage, et un système de paiement en mesure de pays dont le système de filets sociaux est toujours « en canaliser les transferts venant des divers programmes gestation »5 (This group consists mainly of LICs but also nationaux vers les groupes pauvres et vulnérables visés. some MICs.) • Assurer la coordination des sources disparates d’aide des • Poursuivre la réforme des programmes d’aide alimen- partenaires techniques et financiers. L’élaboration des fi- taire d’urgence catégoriques, universels ou ponctuels lets sociaux adaptés à ce groupe de pays continuera de pour les rendre plus efficaces dans la lutte contre la dépendre du soutien des donateurs, à tout le moins à pauvreté. Le ciblage des pauvres est particulièrement moyen terme. Pour réussir, à plus long terme, à se doter important. Par exemple, les programmes de pensions de systèmes coordonnés de filets sociaux, les pays doi- sociales peuvent s’avérer plus rentables lorsqu’ils vent d’abord veiller à harmoniser le transfert des con- s’adressent uniquement aux personnes pauvres âgées cours financiers des partenaires et les formules appli- ou handicapées, et les subventions destinées aux or- quées à cette fin par ces derniers en application de la phelins et aux enfants vulnérables devraient être stratégie élaborée par les autorités, ainsi que le travail de réservées aux enfants venant de ménages pauvres et mise en place des systèmes sous-jacents. Dans les pays vulnérables. Il convient enfin de maintenir les efforts sortant d’un conflit, la mise en place par les autorités consacrés à la réaffectation des ressources des subven- d’un système de suivi des programmes des partenaires tions universelles et des programmes ponctuels d’in- peut servir de base pratique aux interventions de l’État tervention d’urgence à des filets sociaux mieux ciblés et améliorer l’adhésion au nouveau système dans un et axés sur le développement. contexte de faible capacité ou de fragilité. • Poursuivre les efforts d’élargissement d’un petit nombre • Élaborer un petit nombre de programmes de filets so- de programmes clés relativement bien ciblés. L’expéri- ciaux clés, fondés sur une analyse approfondie des beso- ence des 22 pays examinés donne à conclure qu’un ins des pays visés. Ces programmes devraient a) offrir petit nombre de programmes complémentaires et un appui régulier aux personnes vivant dans la pauvreté bien coordonnés suffit souvent à satisfaire aux besoins chronique ou extrême, et b) pouvoir être élargis ou ré- des pauvres. Le choix des programmes retenus variera duits au gré de l’évolution des situations d’urgence ou d’un pays à l’autre, mais ces programmes devraient of- des fluctuations saisonnières des revenus et de la con- frir une aide régulière aux familles et aux particuliers sommation pour prêter assistance aux ménages pauvres souffrant de pauvreté chronique et être assez souples ou vulnérables. Le choix des programmes retenus et de pour pouvoir être élargis ou réduits au besoin pour la manière de les mettre en œuvre devrait dépendre du offrir un appui à court terme ou répétée aux groupes profil de la pauvreté du pays, de l’expérience acquise de pauvres exposés à des chocs. Les programmes en dans le cadre des programmes pilotes et des résultats cours d’élargissement devraient faire l’objet d’une éval- des études de faisabilité. Il conviendra de déployer un uation continue qui permettra d’assurer aux groupes effort concerté pour élaborer des méthodes de ciblage vulnérables un appui adéquat. Il sera peut-être égale- rigoureuses afin de pouvoir faire en sorte, lorsque les ment utile de combiner à ces programmes de base des programmes sont jugés fonctionnels et que l’économie programmes et services complémentaires de moindre politique et les ressources budgétaires le permettent, envergure visant principalement à aider les bénéfici- de les transposer à l’échelle nationale. Cependant, il aires à s’engager dans des activités de production et n’est pas nécessaire de faire passer immédiatement ces de promotion — par exemple, investissements dans la programmes à une échelle supérieure. Les autres pro- santé et l’éducation des enfants. grammes existants plus petits devraient être renforcés, • Poursuivre le travail d’harmonisation et d’amalgama- en particulier pour permettre de recueillir les données tion des divers programmes de filets sociaux en vigueur. de suivi fondamentales qui permettront d’étayer les dé- Même les pays qui ont déjà préparé leur stratégie de cisions concernant leur évolution future. protection sociale ou de filets sociaux ont aussi besoin • Les pays qui offrent des subventions générales généreuses de préparer des plans d’action soigneusement chif- et qui sont dotés de programmes d’aide d’urgence frés. Au moment de mettre en œuvre les programmes devraient songer à réaffecter une partie du financement principaux, ces pays devraient poursuivre leurs efforts de ces programmes à des interventions mieux ciblées. Par d’harmonisation et de consolidation des objectifs et ailleurs, comme ces programmes ont tendance à don- des outils opérationnels de leurs divers programmes. ner de piètres résultats au plan du développement hu- Il conviendra également pour eux d’examiner les sys- main dans ce groupe de pays, les décideurs devraient tèmes d’enregistrement des bénéficiaires afin de ré- veiller à promouvoir les synergies entre les filets so- duire les risques de dédoublement. Il conviendra enfin ciaux et les interventions dans les domaines de la santé, de renforcer ou de construire des systèmes robustes de l’éducation et de la nutrition. d’information, de suivi et d’évaluation et de paiement. 14 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique • Coordonner les financements reçus des partenaires et risquent de ne pas recevoir un appui suffisant. Il est tout à l’assistance technique en une seule et unique « enveloppe fait possible, même en respectant les balises budgétaires » de financement. Comme on l’a déjà observé en Éthi- établies, d’affiner les mécanismes de ciblage utilisés par opie, ce genre de coordination peut éviter les dou- les programmes universels ou catégoriques pour fournir bles-emplois et optimiser l’efficacité, et représenter un appui adéquat aux particuliers et aux ménages les un premier pas concret vers la prise en charge par les plus pauvres de ces groupes. autorités publiques du financement du filets sociaux à moyen ou à long terme. Pour renforcer la viabilité • Poursuivre l’harmonisation et la consolidation des fi- du système, les pays doivent établir une enveloppe lets sociaux disparates. Tout comme les pays dont les de financement à moyen terme à partir de sources systèmes sont toujours en gestation, les pays dotés de intérieures. L’aide financière des partenaires et l’assis- systèmes établis doivent s’efforcer d’intégrer les pro- tance technique demeureront vraisemblablement im- grammes individuels en un système national. Ce travail portantes à court ou à moyen terme pour renforcer les exigera peut-être des décideurs qu’ils réduisent le nom- systèmes et élargir les programmes. bre des programmes existants en évaluant leur efficacité et leur impact par rapport à d’autres démarches de filets Les recommandations suivantes s’appliquent aux pays sociaux. « dotés de systèmes établis » de filets sociaux à l’échelle nationale6 ; il s’agit principalement de pays à revenu • Poursuivre le renforcement de l’efficacité des systèmes de intermédiaire. ciblage, de suivi et d’évaluation, des systèmes d’examen des plaintes et des systèmes de paiement. Il s’agit en particu- • Renforcer le système existant de protection sociale pour lier d’intégrer les outils de la technologie de l’informa- veiller à ce qu’il vienne en aide aux plus pauvres. Des tion pour assurer une meilleure gestion, l’obligation de lacunes peuvent persister même dans les pays dotés de rendre compte et la gouvernance des programmes et lier programmes bien établis, et certaines personnes ap- l’admissibilité aux programmes et les registres aux bases partenant aux groupes les plus pauvres et les plus exclus nationales d’identification. Crédit photo : Sarah Farhat/Banque Mondiale Études de cas dans 22 pays 15 Programme d’apprentissage Le programme d’apprentissage sur les filets sociaux La Banque mondiale contribue à ce programme d’ap- a besoin de systèmes de suivi et d’information prentissage en favorisant et en facilitant la production et solides, complétés par des analyses fondées sur des le partage des connaissances. Elle participe au développe- enquêtes représentatives au niveau national et sur des ment de nouvelles connaissances par le biais de nouveaux évaluations d’impact rigoureuses. Ces informations travaux d’analyse. À l’heure actuelle, plus d’une vingtaine de base essentielles, produites par les systèmes de suivi d’évaluations d’impact appuyées par la Banque mondiale des programmes, ne constituent en outre qu’une partie sont en cours d’exécution dans le secteur de la protection so- des informations nécessaires et doivent s’accompagner ciale en Afrique, et plusieurs autres sont en plan. Au-delà des d’autres types de données et d’analyses — par exemple, 22 évaluations réalisées dans le cadre de la présente étude, a) collecte et analyse de données réalisées dans le cadre d’autres évaluations réalisées à l’échelle nationale pourraient à l’avenir se pencher sur le secteur de la protection sociale, d’enquêtes représentatives visant à mesurer les effets et notamment sur les programmes contributifs d’assurance des filets sociaux sur les ménages, et b) évaluation des sociale et ceux axés sur le marché du travail. Il existe de incidences et mise à l’essai de divers mécanismes de nombreuses occasions d’apprentissage Sud-Sud au sein du prestation d’aide et de caractéristiques des programmes continent et à l’extérieur de ce dernier. La Banque mondiale afin de remédier aux connaissances manquantes et favorise déjà ce genre de partage des connaissances par le d’obtenir plus d’informations sur les mesures de filets biais du Forum annuel des savoirs Sud-Sud sur la protection sociaux qui donnent des résultats en Afrique. Au sociale et en appuyant des initiatives comme le cercle de pro- nombre des questions qui font déjà ou qui pourraient fessionnels (chercheurs et responsables de la mise en œuvre faire l’objet d’évaluations et de recherches en Afrique, des programmes) travaillant sur les programmes de trans- on peut mentionner la notion de productivité des filets ferts monétaires, et l’organisation de visites et de voyages sociaux, l’efficacité relative des transferts monétaires d’étude bilatéraux. Dix-neuf pays participent régulièrement conditionnels ou inconditionnels, et les synergies aux rencontres du cercle de professionnels travaillant sur les entre l’adaptation au changement climatique et la programmes de transferts monétaires en Afrique, et neuf protection sociale. autres se joindront bientôt à ce groupe. Crédit photo : Emily Weedon Chapman/Banque Mondiale 16 Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique Références Grosh, Margaret, Carlo del Ninno, Emil Tesliuc et Aze- dine Ouerghi (2008). For Protection and Promo- 1 Monchuk, Victoria (2013). The New Role of Safety Nets in tion: The Design and Implementation of Effective Africa for Poverty Reducation and Investing in the Poor: Safety Nets. Washington, D.C. : Banque mondiale. Experiences from 22 Countries. Banque mondiale, Wash- ington D.C. Les pays examinés sont les suivants : Bénin, Silva, Joana, Victoria Levin et Matteo Morgandi (2013). Botswana, Burkina Faso, Cameroun, Éthiopie, Ghana, Inclusion and Resilience: The Way Forward for So- Kenya, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, cial Safety Nets in the Middle East and North Africa. Mauritanie, Maurice, Mozambique, Niger, Rwanda, Sierra MENA Development Report. Washington, D.C. : Leone, Swaziland, Tanzanie, Togo et Zambie. Banque mondiale. 2 Lors des Réunions de printemps d’avril 2013, le Comité du développement a approuvé les nouveaux objectifs du Woolard, Ingrid et Murray Leibbrandt. (2010). The Evo- Groupe de la Banque mondiale : réduire à 3 % la part lution and Impact of Unconditional Cash Transfers de la population mondiale ayant une consommation in South Africa. Southern Africa Labour and Devel- journalière inférieure à 1,25 dollar (en parité de pou- opment Research Unit, Université du Cap (Afrique voir d’achat) par personne d’ici 2030, et promouvoir la prospérité partagée en portant une attention particulière du Sud). aux 40 % les plus pauvres de la population. Banque mondiale (2011). Africa’s Future and the World 3 On estime qu’au cours des 10 prochaines années, quelque Bank’s Support to It: Africa Regional Strategy. Ban- 30 pays d’Afrique subsaharienne dépendront des ressou- que mondiale, Washington, D.C. rces minérales (plus de 20 % des exportations), hormis les exportations de pétrole et de gaz (Banque mondiale, Banque mondiale (2012a). Managing Risk, Promoting 2013). Growth: Developing Systems for Social Protection 4 Ce sous-groupe des 22 pays visés par l’étude comprend les in Africa—The World Bank’s Africa Social Protec- pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Libéria, tion Strategy, 2012–2022. Washington, D.C. : Ban- Madagascar, Malawi, Mauritanie, Sierra Leone, Togo et que mondiale. Zambie. Certains pays peuvent changer de sous-groupe au fil du temps. Banque mondiale (2012b). Europe and Central Asia So- 5 Ce sous-groupe des 22 pays visés par l’étude comprend cial Protection Database. les pays suivants : Éthiopie, Ghana, Kenya, Lesotho, Mali, Banque mondiale (2012c). Latin America and the Carib- Mozambique, Niger, Rwanda, Swaziland et Tanzanie. bean Social Protection Database. Certains pays peuvent changer de sous-groupe au fil du temps. Banque mondiale (2013). Securing the Transformational 6 Ce sous-groupe des 22 pays visés par l’étude comprend Potential in Africa’s Mineral Resources. Présenta- les pays suivants : Botswana et Maurice. Certains pays tion PowerPoint, Banque mondiale, Washington, peuvent changer de sous-groupe au fil du temps. D.C., février. Crédit photo : Kavita Watsa/Banque Mondiale LA BANQUE MONDIALE