92767 rAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LA RÉGION MENA Emplois ou Privilèges Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Emplois ou Privilèges rAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LA RÉGION MENA Emplois ou Privilèges Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Marc Schiffbauer Abdoulaye Sy Sahar Hussain Hania Sahnoun Philip Keefer © 2015 International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; site web : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 17 16 15 14 Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs ex- térieurs. Les observations, interprétations et opinions qui sont exprimées dans cet ouvrage ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux- ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données contenues dans cette étude. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un terri- toire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Rien de ce qui figure dans ce rapport ne constitue une limite ou une renonciation à l’un quelconque des privilèges et immunités de la Banque mondiale, et ne peut être interprété comme telle. Tous lesdits privilèges et immunités de la Banque mondiale sont expressément réservés. Droits et licences L’utilisation de cet ouvrage est soumise aux conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 IGO license (CC BY 3.0 IGO) http://creativecommons.org/licenses/by/3.0/igo. Conformément aux termes de la licence Creative Commons Attribution (paternité), il est possible de copier, distribuer, transmettre et adapter le contenu de l’ouvrage, notamment à des fins commerciales, sous réserve du respect des conditions suivantes : Mention de la source — L’ouvrage doit être cité de la manière suivante : Schiffbauer, Marc, Abdoulaye Sy, Sahar Hussain, Hania Sahnoun et Philip Keefer. 2015. Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Washington : Banque mondiale. doi: 10.1596/978-1-4648-0405-2. Licence: Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO Traductions — Si une traduction de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source de l’ouvrage le déni de responsabilité suivant : Cette traduction n’a pas été réalisée par la Banque mondiale et ne doit pas être considérée comme une traduction officielle de cette dernière. 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Table des matières Remerciements xi À propos des auteurs et contributeurs xiii Sigles et abréviations xvii Aperçu général xix Introduction 1 Notes 5 1 Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 9 La croissance de l’activité économique a été modérée et celle des emplois faible 10 Les moteurs de la création d’emplois : ce sont les entreprises jeunes et les entreprises productives qui créent le plus d’emplois 22 La région MENA a besoin d’un plus important vivier d’entreprises jeunes et productives 33 Notes 43 Bibliographie 45 2 Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 49 La mobilisation des IDE dans le secteur des services a stimulé la croissance de l’emploi dans les entreprises jordaniennes 51 Le droit des affaires entrave la croissance de l’emploi dans les jeunes entreprises marocaines 61 En République arabe d’Égypte, les subventions à l’énergie découragent la croissance des secteurs d’activité à forte intensité de main-d’œuvre 64 L’application discriminatoire des politiques fait obstacle à l’établissement de règles de jeu équitables dans la région MENA 68 Notes 77 Bibliographie 79 v vi Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 3 Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 81 Les politiques industrielles dans la région MENA ont donné peu de résultats et fait l’objet d’une mainmise fréquente 84 Quelle a été la démarche des pays qui ont connu du succès ? – Le cas de la République de Corée 92 Les recettes d’Asie de l’Est sont plus difficiles à appliquer qu’on ne le pense généralement 96 Notes 98 Bibliographie 99 4 Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 101 Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie 103 Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA 131 Comment expliquer l’impact différent des connexions politiques sur la concurrence dans la région MENA et en Asie de l’Est ? 140 Notes 142 Bibliographie 147 Enseignements à tirer sur le plan des politiques publiques 149 Annexe A  Croissance économique et transformation structurelle 153 Annexe B  Recensements et enquêtes auprès des entreprises : pays, périodes et secteurs couverts 165 Annexe C  Part de l’emploi dans les grandes entreprises publiques et étrangères 169 Annexe D  Croissance de l’emploi durant le cycle de vie des entreprises : secteur manufacturier 171 Annexe E  Afflux d’IDE et emploi en Jordanie : analyse de régression 173 Annexe F  Qualité de l’environnement des affaires et emplois au Maroc : données, méthodes et principales constatations 175 Annexe G  Connexions politiques et croissance du secteur privé en République arabe d’Égypte 179 Table des matières vii Encadrés 1.1 La transformation structurelle au Maroc est-elle biaisée dans sa dimension genre ? 16 1.2 Qui crée le plus d’emplois ? 25 1.3 Dynamique des entreprises et croissance de la productivité au Maroc 41 2.1 L’IDE est souvent freiné dans le secteur de services des pays de la région MENA 54 2.2 Les entraves à la mobilité réduisent la concurrence et la croissance de l’emploi en Cisjordanie 58 2.3 La mauvaise allocation du capital en République arabe d’Égypte 67 3.1 Défaillance des marchés et politiques industrielles 82 3.2 Les pays du Conseil de coopération du Golfe font-ils exception ? 90 4.1 Les entreprises Ben Ali ont-elles dicté les amendements à la Loi sur l’investissement dans les années 2000 ? 119 4.2 Relations politiques et favoritisme en République du Yémen 129 4.3 Le cas de la République islamique d’Iran : des privatisations sans secteur privé 136 Figures 1.1 Décomposition de la croissance du PIB par habitant dans la région MENA et les pays en développement d’autres régions 11 1.2 Changements structurels par région et au sein des pays de la région MENA, 2000–2005 14 1.3 Corrélation entre les démarrages et les fermetures d’entreprises dans les secteurs (niveau de classification à deux chiffres) 15 E1.1.1 Réallocation de la main-d’œuvre entre les secteurs, par sexe 2000–2011 17 1.4 Évolution démographique et composition de la population en âge de travailler 18 1.5 Part de l’emploi, par taille d’entreprises 19 1.6 Répartition de l’emploi entre les secteurs, hors agriculture 19 1.7 Évolution de la part de l’emploi dans les moyennes et grandes entreprises, en pourcentage 20 1.8 Transition en termes d’emplois, par taille d’entreprises 22 1.9 Incidence des gazelles dans tous les secteurs et le secteur manufacturier 23 1.10 Part des gazelles et des autres entreprises dans la création d’emplois pour l’ensemble des secteurs et le secteur manufacturier 23 1.11 Création nette d’emplois, par taille et par âge des entreprises 26 1.12 Création nette d’emplois, par taille des entreprises, avant et après ajustement en fonction de l’âge des entreprises 28 1.13 Création nette d’emplois, par âge des entreprises, après ajustement en fonction de la taille des entreprises 29 1.14 La croissance de l’emploi culmine dans les quatre à cinq années suivant la création de l’entreprise 30 1.15 Croissance de l’emploi durant le cycle de vie de l’entreprise, tous secteurs confondus hors agriculture 31 viii Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 1.16 Caractéristiques des gazelles en République arabe d’Égypte, au Liban et au Maroc 32 1.17 Densité de création de sociétés à responsabilité limitée dans le secteur formel selon les régions et les pays, 2004–2012 34 1.18 Taux de rotation des entreprises dans différents pays 35 1.19 Taux de survie après cinq ans d’activité 36 1.20 Part des jeunes sociétés immatriculées moyennes ou grandes dans l’emploi total 36 1.21 Répartition de l’emploi, par taille et âge des entreprises, dans l’ensemble des sociétés immatriculées, hors agriculture : République arabe d’Égypte et Turquie, 2006 37 1.22 Croissance de la productivité du travail durant le cycle de vie des sociétés de transformation 38 1.23 Écart entre la productivité du travail pondérée et non pondérée 40 1.24 Productivité par taille des entreprises en Tunisie, au Liban et en Turquie 40 E1.3.1 Décomposition de la croissance de la productivité des entreprises dans le secteur manufacturier du Maroc, 1996–2006 42 2.1 Part des flux d’IDE, par secteur pour quelques pays de la région MENA, 2003–2010 53 E2.1.1 Indice de restrictions des échanges de services, par secteur et par région 54 E2.1.2 Restrictions sur les échanges de services de transport dans la région MENA, 2008 55 E2.2.1 Les restrictions à la mobilité réduisent les taux nets de créations d’entreprises, la croissance de l’emploi et la croissance de la production locale 60 2.2 Répartition de l’emploi, par intensité d’énergie, par taille et par âge 65 2.3 Part de l’emploi, par intensité en facteurs du secteur, en République arabe d’Égypte (2006) et en Turquie (2010) 66 E2.3.1 Productivité du secteur manufacturier et du secteur minier, par taille 67 2.4 Application incertaine des politiques réglementaires dans la région MENA 69 2.5 Variabilité du nombre de jours nécessaires à diverses procédures réglementaires selon les entreprises, pour quelques pays de la région MENA 72 3.1 Évolution des tarifs moyens (pondérés) et des mesures non tarifaires sur les importations, 1995–2010 87 4.1 Évolution des différences de bénéfice net entre les entreprises privilégiées et les autres, 2003–2011 110 4.2 Les critères d’autorisation et les restrictions à l’IDE protègent les entreprises politiquement connectées en Tunisie 112 4.3 Proportion d’entreprises politiquement connectées dans les secteurs à intensité énergétique forte et faible en République arabe d’Égypte 115 4.4 Les grandes entreprises des industries connectées ont plus de chance de s’implanter dans une zone industrielle 117 4.5 Les pays de la région MENA instaurent souvent des obstacles non tarifaires 132 Table des matières ix 4.6 Transparency International : Indice de corruption dans le secteur de la défense 133 4.7 Perceptions de la corruption dans les pouvoirs publics et le milieu des affaires, Moyen-Orient et Afrique du Nord, 2011 138 4.8 Indicateurs de la gouvernance dans le monde 139 A.1 Décomposition de la croissance du PIB réel par habitant 154 A.2 Changement structurel à long terme dans quatre pays de la région MENA 155 A.3 Changement structurel par secteur, 2000–2005 156 A.4 L’espace-produit 161 A.5 Espace-produit dans certaines régions, 1976-1978 et 2007-2009 162 C.1 Nombre d’entreprises et d’emplois dans les établissements étrangers, privés nationaux ou publics 169 D.1 Secteur manufacturier : croissance de l’emploi durant le cycle de vie de l’entreprise 171 CARTE E2.2.1 Restrictions de la mobilité des entreprises en Cisjordanie, 2006 et 2011 59 Tableaux 1.1 Matrice de transition de l’emploi 21 1.2 Secteurs ayant les plus forts taux de croissance de l’emploi dans différents pays 27 1.3 Les entreprises productives créent davantage d’emplois 32 2.1 Moyennes et dispersion des jours d’attente imposés aux entreprises pour l’obtention de services réglementaires 70 2.2 Proportion d’entreprises réfutant l’affirmation selon laquelle l’application des règles est « systématique et prévisible » 73 2.3 Ampleur des mesures engagées par les entreprises pour influencer la mise en œuvre des politiques, pour tous les types d’entreprises de la région MENA 74 2.4 Plus la mise en œuvre des politiques est incertaine, plus les directeurs d’entreprise consacrent du temps aux interactions avec les pouvoirs publics 75 2.5 L’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques freine l’innovation et la croissance des entreprises en Jordanie et en République arabe d’Égypte 76 3.1 Coût de la politique industrielle du Maroc, 2010 89 4.1 Nombre d’entreprises bénéficiant de connexions politiques, par secteur d’activité 107 4.2 Différences intrasectorielles : Entreprises politiquement connectées et autres entreprises 109 4.3 Entreprises politiquement connectées et ensemble des entreprises protégées par des barrières non tarifaires au commerce en République d’Égypte 113 4.4 Relations avec le gouvernement et concurrence dans les secteurs comptant des entreprises politiquement connectées par rapport aux secteurs libres de connexions politiques en République arabe d’Égypte 116 x Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord E4.1.1 Corrélation entre les nouveaux obstacles à la création d’entreprises et la présence d’entreprises Ben Ali 120 4.5 Dynamique des entreprises dans les secteurs où opèrent des entreprises politiquement connectées par opposition aux secteurs sans connexions politiques en République arabe d’Égypte 125 4.6 Sous-indice du risque de corruption financière : cession d’actifs et liens avec le milieu des affaires dans les pays de la région MENA 135 A.1 Estimations de la part du travail et des productivités marginales à l’aide de données harmonisées d’enquêtes sur les ménages de la Banque mondiale (I2D2) 158 A.2 Taux de croissance de la productivité du travail dans le secteur manufacturier 159 E.1 Effets des externalités des IDE sur l’emploi, par caractéristiques des entreprises 173 F.1 Liste des variables relatives aux politiques réglementaires 177 F.2 Régression de la croissance de l’emploi avec les coefficients des variables relatives aux politiques publiques et à l’environnement des affaires 177 G.1 Recul de la croissance de l’emploi après l’entrée des entreprises connectées politiquement dans des secteurs initialement libres de connexions politiques 180 G.2 Entrée des entreprises connectées politiquement dans des secteurs initialement libres de connexions politiques, 1997–2006 180 Remerciements Le présent rapport a été établi par une équipe composée de Marc Schiffbauer (chef d’équipe du projet), Abdoulaye Sy, Sahar Hussain, Hania Sahnoun et Philip Keefer. En outre, les personnes dont les noms suivent ont apporté leur contribution à ses différents chapitres : Ishac Diwan (chapitre 4), Doerte Doemeland (chapitre 1), Bob Rijkers (chapitres 1 et 4), Dalia Al Kadi (chapitre 1), Izak Atiyas (chapitre 1), Ozan Bakis (chapitre 1), Michael Lamla (chapitre 2), et Michael Gasiorek (chapitre 2). Jamal Haider, Hassen Arouri, Huy Nguyen, Karim Badr, Anna Raggl, Yeon Soo Kim et Caroline Duclos y ont également contribué. Clifton Wiens a assuré la relecture et la correction du rapport. Aladdin El-Gendy a produit l’image de la couverture du rapport. Muna Abeid Salim, Séraphine Nsabimana et Faythe Agnes Calandra ont apporté le soutien administratif nécessaire. Le rapport a été établi sous la direction de Bernard Funck. Ce rapport a bénéficié des orientations générales données par Shantayanan Devarajan, économiste en chef de la région MENA à la Banque mondiale, Caroline Freund et Manuela Ferro. L’équipe tient à remercier Najy Benhassine (chef de pratique, pôle Commerce et compétitivité, Banque mondiale), Hafez Ghanem (attaché supérieur de recherche, Brookings Institution) et Adeel Malik (chargé de recherche en économie, Université d’Oxford) pour leurs précieux commentaires. Le rapport a également bénéficié des observations et des conseils de Kevin Carey, Ahmed Kouchouk, Tara Vishwanath, Célestin Monga, Daniel Lederman, Mary Hallward-Driemeier, Jorge Araujo, Nikola Spatafora, Aaditya Mattoo, Ana Fernandes, Peter Mousley, Simon Bell et Randa Akeel. L’équipe souhaite exprimer sa gratitude à toutes les institutions de recherche et de statistique de la région qui ont facilité l’accès aux données et ont travaillé en collaboration avec elle, notamment l’Institut national de la statistique en Tunisie ; le ministère du Plan et de la Coopération internationale et le Département des statistiques en Jordanie ; l’Agence centrale de la mobilisation publique et des statistiques (CAPMAS) en République arabe d’Égypte ; et l’équipe chargée du Forum pour la recherche économique, notamment Ahmed Galal (directeur général) et Hoda Selim (économiste). xi xii Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord L’équipe remercie également Antonio Nucifora, Éric Le Borgne, Orhan Niksic, Sibel Kulaksiz, Umar Serajuddin, Nour Jalal Nasser Eddin, Nada Choueiri, Amir Mokhtar Althibah et le département Lutte contre la pauvreté et gestion économique dans son ensemble pour leur appui au dialogue avec les pays et pour leur collaboration lors de la préparation des divers travaux d’analyse sur les pays parallèlement au présent rapport régional. À propos des auteurs et contributeurs Marc Schiffbauer est économiste senior et membre de l’équipe chargée d’éta- blir le Rapport sur le développement dans le monde 2016 qui a pour thème l’internet au service du développement. En septembre 2009, il a été engagé à la Banque mondiale, dans l’unité Lutte contre la pauvreté et gestion écono- mique de la région Europe de l’Est et Asie centrale ainsi que dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Il a précédemment travaillé à l’Institut de recherche économique et sociale de Dublin (Irlande) et, à titre de consultant, pour la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international sur des questions relatives à la croissance économique, la productivité des entreprises et la concur- rence. M. Schiffbauer est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Bonn (Allemagne) et a été, pendant un an, chercheur invité à l’université Pompeu Fabra à Barcelone et à l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Abdoulaye Sy est économiste au pôle Macroéconomie et finances publiques de la Banque mondiale et travaille actuellement dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord où il est l’économiste-pays pour la République islamique d’Iran et Djibouti. En septembre 2011, M. Sy a été engagé à la Banque mondiale au titre du Programme de jeunes cadres de l’institution, d’abord en qualité d’éco- nomiste au sein du département Développement durable de la région Amérique latine et Caraïbes, puis au sein de l’unité Lutte contre la pauvreté et gestion économique de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’agriculture et des ressources de l’Université de Californie à Berkeley et de diplômes de maîtrise en sciences et économie de l’École polytechnique, de l’École d’économie de Paris (PSE) et de l’École natio- nale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE). Sahar Hussain a été engagée en février 2013 à la Banque mondiale en qualité d’économiste dans l’unité Lutte contre la pauvreté et gestion économique de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Avant cela, elle a travaillé pour le Centre égyptien d’études économiques au Caire en qualité d’économiste chargée des questions relatives à l’économie des transitions, aux politiques de la concur- rence et aux subventions énergétiques. Elle a aussi été consultante économique à la Commission de planification du Pakistan. Mme Hussain est titulaire d’une maîtrise en économie du développement et analyse des politiques de l’Université de Nottingham et d’une licence de la London School of Economics. xiii xiv Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Hania Sahnoun est économiste et consultante. Elle a rejoint l’équipe chargée d’établir le Rapport sur le développement dans le monde 2016 consacré à l’inter- net au service du développement. Elle est consultante de la Banque mondiale depuis 2004. Mme Sahnoun détient un diplôme d’études supérieures en écono- mie de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne en France. Philip Keefer est conseiller principal dans le Département des institutions de développement de la Banque interaméricaine de développement. Il était précédemment économiste-chercheur principal du Groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale. Au regard de son expérience dans des pays tels que le Bangladesh, le Bénin, le Brésil, l’Indonésie, le Mexique, le Pérou, le Pakistan et la République dominicaine, ses travaux portent essentiellement sur les facteurs déterminants des incitations politiques pour la promotion du dévelop- pement économique. Les résultats de ses recherches sur des questions comme l’impact de la précarité des droits de propriété sur la croissance, les effets de la crédibilité politique sur les politiques publiques, les sources de crédibilité politique dans les démocraties et les autocraties, et l’influence des partis politiques sur les conflits, les cycles budgétaires politiques et la réforme du secteur public, ont été publiés dans des revues telles que le Quarterly Journal of Economics et l’American Political Science Review. Ishac Diwan est actuellement chargé de recherches à Paris Sciences et Lettres. Il a enseigné à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard et à l’Université de New York. Il a occupé plusieurs fonctions à la Banque mondiale  — au sein du Centre de recherche, au département Moyen-Orient et à l’Institut de la Banque mondiale — et à Addis-Abeba puis à Accra où il était directeur des opérations pour des pays d’Afrique de l’Est et de l’Ouest respectivement. Dans le cadre de ses travaux actuels, il s’intéresse notamment aux stratégies de crois- sance, à l’économie politique du développement du secteur privé et à l’analyse des opinions publiques, en accordant une attention toute particulière à l’Afrique et au Moyen-Orient. Il dirige le programme Transformation économique et politique du Forum de recherche économique. Doerte Doemeland est économiste senior au pôle Macroéconomie et finances publiques de la Banque mondiale, fonction qu’il exerçait précédemment dans le Groupe de recherche sur le développement de l’institution. Au regard de son expérience acquise dans de nombreux pays tels que l’Albanie, la Bulgarie, le Malawi, le Mexique, le Nigéria, l’Ouganda, le Sénégal, la Tunisie, et l’Uruguay, son travail de recherche porte essentiellement sur les facteurs déter- minants de la croissance économique et de la lutte contre la pauvreté découlant du commerce et de la concurrence, des changements structurels ou de la crois- sance de la productivité. Dalia Al Kadi est économiste au pôle Macroéconomie et finances publiques de la Banque mondiale. Elle a rejoint l’unité Lutte contre la pauvreté et gestion économique de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en février 2013. Avant de travailler à la Banque mondiale, Dalia était chef de projet au Conseil exécutif à Abu Dhabi, où elle conseillait le gouvernement sur les politiques et stratégies économiques. Elle a également été consultante en gestion pour À propos des auteurs et contributeurs xv McKinsey & Company, fournissant des conseils aux clients dans les domaines des services bancaires, des télécommunications et du secteur public au Moyen- Orient et au Pakistan. Mme Al Kadi détient une maîtrise en développement international de l’université Harvard. Bob Rijkers est économiste au sein de l’unité Commerce et intégration inter- nationale du Groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale. Il s’intéresse aux questions liées à l’économie politique, au commerce et au marché du travail. Il est titulaire d’une licence en sciences et en sciences sociales de l’University College Utrecht de l’Université d’Utrecht, d’une maîtrise et d’un doctorat en économie de l’Université d’Oxford. Sigles et abréviations CAPMAS Agence centrale de la mobilisation publique et des statistiques CCG Conseil de Coopération du Golfe EAP Région Asie de l’Est et Pacifique ECA Région Europe et Asie centrale ICA Évaluation du climat de l’investissement IDE Investissement direct étranger IPC Indice de perception de la corruption LAC Région Amérique latine et Caraïbes MENA Région Moyen-Orient et Afrique du Nord OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OSS Organisme de sécurité sociale PIB Produit intérieur brut PPA Parité de pouvoir d’achat PTF Productivité totale des facteurs TI Transparency International TIC Technologies de l’information et de la communication WBES Enquête auprès des entreprises de la Banque mondiale WDI Indicateurs du développement dans le monde WITS World Integrated Trade Solution xvii Aperçu général Alors qu’ils s’emploient à stimuler une croissance plus forte du secteur privé et à créer plus d’emplois, les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) doivent faire un choix crucial : promouvoir la concurrence, placer tous les entrepreneurs sur un pied d’égalité et démanteler le système actuel de privi- lèges dont bénéficient les entreprises ayant des connexions politiques ou alors maintenir le statu quo actuel au risque d’entretenir la faible création d’emplois. Le présent rapport montre que les politiques publiques qui entravent la concur- rence et fixent des règles de jeu inéquitables foisonnent dans la région MENA et constituent un obstacle majeur à la croissance du secteur privé et à la création d’emplois. Ces politiques revêtent des formes différentes d’un pays et d’un secteur à un autre, mais elles ont plusieurs caractéristiques communes : elles restreignent le libre accès au marché intérieur, excluent certaines entreprises des programmes publics, augmentent les lourdeurs réglementaires et accrois- sent l’incertitude pour les entreprises qui n’ont pas de connexions politiques, préservent certaines entreprises et certains secteurs de la concurrence étran- gère, et créent des incitations qui dissuadent les entreprises nationales d’entrer en compétition avec d’autres entreprises sur les marchés internationaux. Le rapport montre que ces politiques publiques profitent souvent à un petit nombre d’entreprises privilégiées ayant de très fortes connexions politiques et que lesdites politiques se perpétuent en dépit de ce qu’elles coûtent manifes- tement à la société. Les millions de travailleurs et de consommateurs et la majorité des entrepreneurs qui supportent l’essentiel de ce coût n’ont pas souvent conscience de l’impact négatif des politiques en question sur l’emploi et les perspectives économiques auxquelles ils aspirent. Cela limite le champ du débat critique interne sur l’avenir économique des pays de la région MENA et circonscrit le dialogue nécessaire à toute réforme du système. Les marchés du travail dans la région MENA affichent des résultats insuffisants depuis de longue date. Des segments importants de la population ont ainsi été laissés en marge de l’économie, suscitant un sentiment d’exclu- sion. La région dispose d’un grand réservoir de ressources humaines inexploi- tées et présente certains des taux de chômage les plus élevés au monde chez les diplômés universitaires et les jeunes, et les plus faibles taux de participation des femmes à la vie active. Les stratégies axées sur la croissance de l’emploi dans le secteur public se sont révélées peu viables, et le secteur privé crée trop peu xix xx Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord L’impact des privilèges sur les politiques, la concurrence et l’emploi Les constatations de ce rapport mettent en • Une entreprise dont le directeur général a des évidence certains des effets économiques des relations dans les milieux politiques réduit privilèges accordés à des entreprises ayant des de 51 jours son délai moyen d’attente d’un connexions politiques : permis de construction dans une branche d’activité. • En République arabe d’Égypte, 71 % des entreprises ayant des connexions politiques, • Les entreprises dans des branches d’activité mais seulement 4 % de l’ensemble des ayant au moins un directeur général qui a des entreprises, vendent des produits qui relations politiques sont inspectées par les sont protégés par au moins trois barrières services fiscaux 4,6 fois par an contre 5,7 fois techniques à l’importation. par an pour les entreprises intervenant dans des secteurs où aucun directeur général n’a des • En Tunisie, 64 % des entreprises ayant des relations dans les milieux politiques. En outre, connexions politiques interviennent dans des secteurs soumis à des restrictions sur la fréquence des inspections par les municipa- les investissements directs étrangers (IDE), lités est d’environ 20 % plus élevée pour les contre 36 % seulement des entreprises entreprises actives dans des branches d’activité n’entretenant pas ce type de relations. n’ayant pas des connexions politiques. • En Égypte, 45 % de l’ensemble des entreprises • La dispersion entre les entreprises des inspec- ayant des connexions politiques mènent des tions rapportées est beaucoup plus élevée dans activités dans des branches d’activité largement les secteurs proches du régime. Cela indique subventionnées et à forte intensité d’énergie, que les entreprises ayant des connexions telles que la cimenterie ou l’aciérie, contre politiques font l’objet de très peu d’inspec- seulement 8 % de la totalité des entreprises. tions, tandis que les autres entreprises sont inspectées fréquemment. • En Tunisie, 64 % des entreprises ayant des connexions politiques interviennent dans • L’entrée de nouvelles entreprises dans des des secteurs où une licence exclusive est secteurs ayant des connexions politiques est exigée pour mener des activités, contre 45 % d’environ 28 % plus faible que l’entrée dans seulement des entreprises n’ayant pas de liens les autres secteurs. de cette nature. • En Égypte, la croissance de l’emploi diminue • Les entreprises intervenant dans des branches d’environ 1,4 point de pourcentage par an d’activité sous influence politique (soit au lorsque les entreprises ayant des connexions moins une entreprise proche du régime) ont politiques font leur entrée dans de nouveaux 11 à 14 % de chances de plus d’avoir obtenu secteurs qui auparavant étaient libres de toute des terres de l’État. influence politique. d’emplois pour absorber la main-d’œuvre croissante. Les emplois de qualité dans le secteur privé — ceux qui sont bien rémunérés, formalisés par un contrat et donnent lieu à des prestations de sécurité sociale — sont très peu nombreux, ce qui pousse de plus en plus de travailleurs à chercher un emploi dans des activités de subsistance non productives, souvent dans l’économie informelle. Cette situation contribue à une frustration généralisée suscitée par l’absence Aperçu général xxi de perspectives d’avenir et dont les soulèvements du Printemps arabe étaient une expression fort éloquente. De précédents rapports de la Banque mondiale ont établi un lien entre les résultats en matière d’emploi dans la région MENA à des facteurs agissant sur l’offre, aux politiques du marché du travail et à des données qualitatives probantes indiquant une faible concurrence qui résulte des privilèges accordés aux entre- prises ayant des connexions politiques. Le présent rapport a pour point de départ deux précédents rapports régionaux de la Banque mondiale. Le premier, intitulé Jobs for Shared Prosperity (Des emplois pour une prospérité partagée) (2013a), analyse la façon dont les facteurs agissant du côté de l’offre, tels que l’éducation et la formation, et les politiques du marché du travail influent sur les résultats en matière d’emploi dans la région MENA. Ce rapport conclut toutefois que les facteurs associés à l’offre n’expliquent que partiellement les résultats sur le plan de l’emploi dans la région, et il souligne l’importance d’une analyse des facteurs agissant du côté de la demande pour expliquer la faible création d’emplois dans le secteur privé. Le deuxième rapport, intitulé From Privilege to Competition: Unlocking the Private-Led Growth in the Middle East and North Africa (2009) (Des privilèges à la concurrence : renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord) fournit d’importantes données qualitatives concrètes qui montrent que la mainmise sur les politiques publiques dans les pays de la région MENA donne lieu à des privi- lèges qui ne profitent qu’à quelques entreprises ayant des connexions politiques, ce qui au bout du compte freine la concurrence et le développement du secteur privé. Ce rapport fait valoir que les privilèges accordés à des entreprises ayant des connexions politiques dans les pays de la région MENA se sont traduits en politiques publiques, à l’instar des acquisitions foncières subventionnées et des prêts bancaires dirigés, qui ont entravé la concurrence et faussé les règles du jeu. Les auteurs de ce rapport qui a été publié avant le Printemps arabe se sont appuyés sur toutes les informations disponibles à l’époque, mais n’avaient pas accès à tout l’éventail de données nécessaires pour élucider le lien possible entre le niveau global de création d’emplois dans la région MENA, l’absence de règles de jeu équitables et l’absence de concurrence du fait du système de privilèges qui est en place et de la mainmise sur les politiques publiques dans de nombreux pays et secteurs de la région. Le présent rapport comble cette lacune en analysant les facteurs qui, du côté de la demande, pèsent sur une création plus rapide d’emplois dans les pays de la région MENA, et le lien qu’il peut y avoir avec une faible concur- rence et des privilèges accordés à certaines entreprises. Il entend apporter des réponses aux questions suivantes : quels sont les types d’entreprises qui créent plus d’emplois dans la région MENA ? Sont-elles différentes des entre- prises créatrices d’emplois dans d’autres régions ? Quelles sont les politiques menées dans la région MENA qui empêchent le secteur privé de créer davan- tage d’emplois ? Comment ces politiques affectent-elles la concurrence ? Dans quelle mesure ces politiques sont-elles liées aux privilèges dont bénéficient les entreprises ayant des connexions politiques ? Ce rapport entend aborder ces questions en s’appuyant sur de nouvelles sources de données devenues disponibles après le Printemps arabe. Tout d’abord, le rapport rassemble des bases de données sur les recensements xxii Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord d’entreprises dans plusieurs pays de la région MENA. Ces bases de données renferment une panoplie de caractéristiques des entreprises et d’indicateurs de performance. Il s’agit là d’une riche source d’informations qui sont nécessaires pour déterminer les moteurs de la création d’emplois vue sous le prisme des entreprises. Ensuite, le rapport associe ces informations à d’autres sources de données pour analyser comment certaines politiques influent sur la concur- rence et les principes fondamentaux de la création d’emplois. Enfin, le rapport fusionne ces données avec de nouvelles informations détaillées qui ont fait surface dans le sillage du Printemps arabe concernant les relations entre l’État et les entreprises. Plus précisément, le rapport se fonde sur deux nouvelles bases de données qui identifient les entreprises de premier rang qui entretenaient des liens avec les régimes de Moubarak et de Ben Ali en République arabe d’Égypte et en Tunisie, respectivement. Ces données uniques sont utilisées pour analyser les méthodes et le degré de mainmise des entreprises connectées politiquement sur les politiques publiques. Le rapport fournit ensuite, pour la première fois, des données quantitatives concrètes qui montrent que ces privilèges entravent la concurrence, la dynamique des entreprises et la création d’emplois. Cinq grandes constatations se dégagent du rapport. Premièrement, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant dans la région MENA au cours des deux dernières décennies a été modéré et avait pour moteur l’évolution démographique, tandis que la croissance de la productivité a été faible. Le taux de croissance du PIB réel par habitant a oscillé autour de 2 % durant ces deux décennies, soit environ 2 et 3 % de moins qu’en Asie du Sud et de l’Est, respectivement, mais un taux comparable à ceux d’autres régions en développement. L’évolution démographique, qui se traduit par une augmentation de la proportion de la population en âge de travailler, a été à l’origine d’environ 50 % de la croissance du PIB réel par habitant au cours des 20 dernières années, soit une contribution considérablement plus importante que dans toute autre région. En revanche, la croissance de la productivité globale a été faible dans la région MENA par rapport aux autres régions en développe- ment. La plupart des pays de la région ont connu un changement structurel dû à une contraction de la part de la main-d’œuvre dans l’agriculture. La croissance de la productivité globale a été toutefois impulsée pour l’essentiel par la crois- sance de la productivité au sein même des secteurs, dont le taux reste inférieur à celui des autres régions en développement. Les avantages économiques tirés de l’évolution démographique actuelle auraient pu être beaucoup plus importants si les pays de la région MENA avaient été en mesure d’absorber leur main-d’œuvre qui augmente rapidement dans des activités à forte productivité. Au lieu de cela, peu d’emplois ont été créés, et ce dans le secteur informel, et le chômage et l’inactivité ont atteint des niveaux très élevés au cours de cette période. Dans le droit fil de cette tendance, l’analyse des données de recensement des entre- prises montre que la plupart des travailleurs dans la région MENA sont employés dans de petites activités à faible productivité. Deuxièmement, le rapport cherche à déterminer si les moteurs de la création d’emplois — les types d’entreprises qui créent plus d’emplois — dans les pays de la région MENA diffèrent de ceux observés dans les pays émergents à croissance rapide ou même dans les pays à revenu élevé dans d’autres régions. Il montre que tel n’est pas le cas : les jeunes entreprises et Aperçu général xxiii les entreprises les plus productives connaissent une croissance plus rapide et créent plus d’emplois dans la région MENA comme ailleurs. Par exemple, les données de recensement des entreprises montrent que les micro-startups — entreprises de moins de cinq ans et comptant moins de cinq employés — représentaient 92 % des emplois nets créés en Tunisie entre 1996 et 2010 et 177 % des emplois nets créés au Liban entre 2005 et 2010. En outre, les jeunes entreprises, toutes tailles confondues, ont contribué positivement à la création d’emplois nets dans ces deux pays alors que l’emploi dans les entreprises plus âgées s’est globalement contracté. Toutefois, les secteurs privés des pays de la région MENA ont été caractérisés par un faible roulement des entreprises (création et fermeture d’entreprises) et une croissance lente de la productivité, ce qui amenuise finalement le vivier d’entreprises jeunes et productives. À titre d’exemple, pour chaque 10 000 personnes en âge de travailler, seulement six sociétés à responsabilité limitée (SARL) en moyenne ont été créées chaque année dans les pays de la région MENA entre 2009 et 2012 ; en revanche, au regard des données disponibles, la moyenne de l’ensemble des 91 pays en développement était de 20 SARL créées pour 10 000 personnes en âge de travailler, tandis que le Chili et la Bulgarie affichaient jusqu’à 40 et 80 SARL respectivement. En outre, nous constatons que la croissance de la productivité dans la région MENA est freinée par une conjugaison de la lenteur de la crois- sance de la productivité au sein des entreprises et d’une répartition inadéquate de la main-d’œuvre et du capital entre les entreprises. Par exemple, après 35 ans de fonctionnement, la productivité des entreprises en Tunisie et en Égypte augmente à peine, alors que celle des entreprises en Inde, au Mexique et en Turquie double ou triple pratiquement sur le même cycle de vie. Troisièmement, diverses politiques poursuivies dans les pays de la région MENA entravent la concurrence et sapent les principes fondamentaux de la création d’emplois en pesant sur le démarrage et la croissance des entreprises. Le rapport présente quatre études de cas qui démontrent comment les différentes politiques menées dans les pays de la région MENA limitent la concurrence et se traduisent par des niveaux plus faibles de création-fermeture d’entreprises, de croissance de la productivité et de création d’emplois. La première étude de cas montre comment l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) en Jordanie a conduit à une éviction partielle de vieilles petites entreprises locales actives dans le même secteur, mais a eu des retombées positives sur l’emploi chez les prestataires de services locaux et les jeunes entreprises. Les entreprises manufac- turières locales (fournisseurs) n’ont pas bénéficié des retombées des IDE, ce qui pourrait traduire une faible concurrence dans le secteur conjuguée à l’absence de programmes bien pensés et efficaces d’assistance technique aux fournisseurs. Dans l’ensemble, les constatations laissent penser que la suppression des restric- tions imposées sur l’IDE dans le secteur des services en Jordanie devrait pouvoir contribuer à la croissance de l’emploi dans les entreprises locales. Dans la deuxième étude de cas, nous montrons comment plusieurs aspects de l’environ- nement des affaires au Maroc influent sur la croissance de l’emploi et affectent les jeunes entreprises de manière disproportionnée. Les constatations laissent supposer qu’une concurrence plus ouverte, un traitement égal et prévisible par les services fiscaux, la réduction de la corruption et la diminution des obsta- cles dans le système judiciaire, et un coût de financement plus bas relèveraient xxiv Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord la croissance de l’emploi dans les jeunes entreprises. La troisième étude de cas examine comment d’importantes subventions énergétiques ciblant l’industrie lourde en Égypte (équivalent à 2,9 % du PIB, soit 7,4 milliards de dollars en 2010) nuisent à la concurrence et à la création d’emplois. Une licence délivrée par l’État est nécessaire pour exploiter des industries à forte intensité énergé- tique (comme les aciéries et les cimenteries), ce qui limite l’entrée de nouvelles entreprises dans cette branche d’activité, l’égalité d’accès pour tous les entre- preneurs et la concurrence. En outre, les subventions énergétiques profitant aux industries énergivores, elles découragent les activités à plus forte intensité de main-d’œuvre et empêchent l’économie d’exploiter pleinement son avantage comparatif. Dans la dernière étude de cas, nous montrons que de nombreuses entreprises de la région MENA mentionnent « l’incertitude liée aux politiques publiques » comme obstacle « grave » ou « majeur » à la croissance, et que cela reflète l’idée que les entreprises se font de « l’incertitude de l’application des politiques publiques » découlant de pratiques discriminatoires. L’application très variée des politiques publiques limite la concurrence et l’innovation dans un certain nombre de pays de la région MENA. Les résultats montrent que l’application discriminatoire des politiques publiques a un impact négatif sur la croissance de la productivité et le dynamisme du secteur privé (en particulier sur l’entrée de nouvelles entreprises) dans la région MENA. Quatrièmement, les politiques industrielles appliquées par le passé dans la région MENA ne récompensaient pas les entreprises en fonction des résultats, pas plus qu’elles ne protégeaient ni ne favorisaient la concurrence. Les efforts déployés pour stimuler la croissance et les emplois du secteur privé dans la région MENA ont souvent revêtu la forme de politiques industrielles actives. Peu d’éléments concrets attestent toutefois de leur succès, alors qu’on note plusieurs cas de mainmise de quelques entreprises proches du régime sur les politiques publiques. Le rapport examine l’impact de ces politiques industrielles durant les deux dernières décennies et les compare avec l’expérience de pays d’Asie de l’Est. Cette comparaison fait ressortir plusieurs différences fonda- mentales dans la conception et l’application des politiques. Les différences en question sous-tendent le succès des politiques industrielles menées dans les pays d’Asie de l’Est par rapport aux pays de la région MENA. Premièrement, les pays d’Asie de l’Est sont apparemment parvenus à un consensus plus large sur une vision et des objectifs stratégiques communs au niveau national, et ils ont accordé une plus grande attention aux nouvelles activités économiques dans les secteurs où les défaillances du marché étaient plus susceptibles de compro- mettre le développement industriel. Deuxièmement, la politique industrielle menée en Asie de l’Est était axée sur les résultats, et des systèmes d’évalua- tion ont été mis en place pour évaluer les résultats des politiques publiques et les performances des fonctionnaires. Troisièmement, en assujettissant l’aide des pouvoirs publics à des résultats mesurables et vérifiables, les politiques industrielles poursuivies en Asie de l’Est ont garanti un accès égal à toutes les entreprises, tandis que dans la région MENA ces politiques ont souvent donné lieu à des privilèges pour un nombre limité d’entreprises. Quatrièmement, la politique industrielle en Asie de l’Est favorisait et protégeait la concurrence dans le marché intérieur et prévoyait des incitations pour encourager les entre- prises à entrer en compétition sur les marchés internationaux. Les pays d’Asie Aperçu général xxv de l’Est ont investi massivement dans le capital humain et l’amélioration des infrastructures complémentaires, et ils ont entrepris de profondes réformes du secteur public qui ont débouché sur une administration publique compétente et fondée sur le mérite. Cinquièmement, le rapport fournit des éléments concrets qui prouvent de manière directe que les politiques menées dans la région MENA sont souvent influencées par quelques entreprises ayant des connexions politiques. Cela a donné lieu à un cadre d’intervention des pouvoirs publics qui a créé des privi- lèges au lieu d’établir des règles de jeu équitables, et cela a aussi miné la crois- sance du secteur privé et la création d’emplois. Nous montrons que ces privilèges ont préservé les entreprises de la concurrence nationale et internationale et ont permis de subventionner leurs opérations au moyen d’un accès préférentiel et parfois exclusif à des intrants peu onéreux (électricité, terres, etc.). Utilisant le cadre théorique proposé par Aghion et al. (2001)1, nous cherchons à déter- miner comment ces politiques sont susceptibles de limiter la concurrence, de saper l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs, et d’entraîner de faibles niveaux d’efficacité, d’innovation et de création d’emplois. Exposant comment cela a été le cas sous le régime de Moubarak en Égypte et de Ben Ali en Tunisie, le rapport fournit des données qualitatives prouvant l’existence de mécanismes similaires dans d’autres pays de la région MENA. Par exemple, nous consta- tons que seule une poignée d’entreprises ayant des connexions politiques ont reçu la majeure partie des généreuses subventions énergétiques destinées aux industries en Égypte. En outre, les obstacles à l’entrée et au commerce en Égypte et en Tunisie ont tenu les entreprises ayant des connexions politiques à l’abri de la concurrence et ont biaisé les incitations qui leur étaient desti- nées afin qu’elles produisent pour le marché intérieur. Ces politiques sont, d’une manière générale, toujours en place dans les deux pays. Elles incluent des licences exclusives d’exploitation qui créent des monopoles dans des secteurs rentables des services, l’accès inégal à la terre ou une application discrimina- toire des règles et des règlementations d’une entreprise à une autre dans le même secteur. Par ailleurs, le rapport fait valoir que la concentration des entre- prises ayant des connexions politiques dans les principaux secteurs de services (non échangeables) dans la région MENA — qui abaisse la performance de ces secteurs et augmente le prix relatif des biens et services non échangeables par rapport aux biens et services échangeables — contribue à la surévaluation du taux de change sous l’effet du phénomène des maillons faibles (weak links)2. Le rapport fournit des données quantitatives concrètes qui prouvent que le traitement préférentiel réservé aux entreprises politiquement connectées réduit la croissance globale de l’emploi en Égypte. Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA. Les indicateurs de gouvernance et de corruption en particulier sont plus élevés dans la région MENA que dans d’autres régions, surtout en ce qui concerne la corruption dans le secteur de la défense suite à la participation de l’armée dans les affaires. Plusieurs enseignements au plan des politiques sont à tirer des conclusions de ce rapport. Le rapport suggère que les efforts déployés par les pays de la région MENA pour créer plus d’emplois devraient non seulement inclure des xxvi Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord politiques agissant sur l’offre — éducation, traitements, formation profession- nelle — mais aussi englober d’importantes réformes pour stimuler la demande de main-d’œuvre. Les constations du rapport attirent l’attention sur une feuille de route pour la création de plus d’emplois dans la région MENA dans quatre domaines majeurs d’intervention des pouvoirs publics. Selon le contexte du pays, d’autres domaines d’intervention plus spécifiques devront également être envisagés :  remièrement, les autorités de la région MENA devraient revoir les politiques • P qui compromettent indûment la concurrence et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs. Ces politiques comprennent les subventions énergé- tiques aux industries, les licences exclusives exigées pour mener des activités dans des secteurs spécifiques, les obstacles juridiques à l’IDE et les barrières commerciales — y compris les mesures non tarifaires, les obstacles adminis- tratifs à l’entrée et à la croissance des entreprises, et les obstacles à l’accès à la justice, à la terre ou aux zones industrielles. Un certain nombre de politiques ne sont pas analysées dans ce rapport, mais elles sont potentiellement tout aussi importantes pour mettre toutes les entreprises sur un pied d’égalité et devraient également être envisagées dans les cas spécifiques de pays. Ces autres politiques concernent notamment les barrières à l’entrée et à la sortie découlant de lois d’embauche et de licenciement restrictives, les lois complexes relatives aux faillites, etc. De plus, les constatations de ce rapport laissent supposer que si les pouvoirs publics de la région MENA veulent poursuivre des programmes de développement du secteur privé ciblant spécifiquement certains types d’entreprises, ils seraient bien inspirés de privilégier, comme principal critère de ciblage, l’âge de l’entreprise ou sa capacité à innover et non sa taille, étant donné que ce sont les startups et les entreprises plus productives qui créent la plupart des emplois dans la région.  euxièmement, les décideurs devraient réduire les marges de manœuvre • D dans l’application discrétionnaire des politiques publiques et veiller à ce que les lois et règlements s’appliquent uniformément à toutes les entreprises. Il s’agit notamment de s’assurer que les lois et règlements sont clairement formulés, que l’application des politiques est rendue moins complexe, et que les politiques sont conçues et appliquées par une administration forte, compétente et responsable. Cette dernière peut être soutenue en fondant les recrutements et les promotions en son sein sur le mérite, celui-ci étant jugé sur la base des contributions potentielles ou réelles à la réalisation des objectifs légitimes des politiques publiques.  roisièmement, si les autorités de la région MENA veulent poursuivre des • T politiques de développement dirigées par l’État, elles seraient bien avisées d’éviter les erreurs du passé et de s’assurer que ces nouvelles politiques industrielles — et la structure administrative chargée de leur applica- tion — minimisent les possibilités de leur détournement par des entreprises, favorisent la concurrence et lient étroitement l’aide à des résultats mesurables et vérifiables. Aperçu général xxvii  n aspect essentiel de ce programme de réformes est la création d’insti- • U tutions chargées de promouvoir et protéger la concurrence et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs. Ces institutions incluent, entre autres, une administration publique forte, bien organisée et hautement compétente nécessaire pour mettre en œuvre des réformes cruciales, à l’instar d’une loi efficace sur la concurrence ; une autorité indépendante de la concurrence ; des lois adaptées relatives à la passation des marchés et leur mise en application ; et un pouvoir judiciaire indépendant.  n autre aspect, non moins important, consiste à assurer la transparence et • U l’ouverture dans l’élaboration des politiques, avec un mécanisme qui facilite et encourage la participation des citoyens. Ces derniers devraient avoir accès à l’information sur les lois et règlements envisagés et ratifiés, être en mesure de contribuer à la conception et à l’évaluation des politiques, avoir conscience des intérêts qu’ont les politiciens dans les entreprises qui bénéficient des politiques publiques, et avoir une connaissance totale des bénéficiaires de subventions, d’appels d’offres, de transactions sur les terres domaniales, de privatisations, etc.  e rapport propose un guide à la prise de décision qui résume ce qui • C précède, des mesures que les autorités peuvent utiliser comme un cadre lors de la conception et de l’application des politiques. Le guide à la prise de décision vise à maximiser les chances de succès compte tenu des incertitudes inhérentes aux politiques, et à maximiser l’impact positif des politiques sur la croissance et les emplois en minimisant le risque de détournement de ces mêmes politiques. Notes   1. Le modèle proposé par Aghion et al. (2001) démontre que la concurrence loyale entre entreprises du secteur privé placées sur un pied d’égalité stimule la croissance économique. Dans ce modèle, la concurrence augmente les incitations pour les entreprises à adopter de nouvelles technologies afin de réduire les coûts et échapper à la concurrence (au moins temporairement). Toutefois, si quelques entreprises (en collusion) bénéficient d’avantages exogènes importants sur le plan des coûts, face auxquels les concurrents du même secteur ne peuvent pas faire le poids, alors toutes les entreprises du secteur seront peu encouragées à adopter de nouvelles technolo- gies et la croissance du secteur s’en trouvera affaiblie. Dans ce cas, les entreprises bénéficiant de cet avantage à l’égard des coûts sont peu incitées à investir dans l’innovation, car elles ne subissent pas les pressions de la concurrence pour réduire davantage leurs coûts ; les entreprises qui sont à la traîne sont trop distancées pour combler leur déficit en matière de coûts et utilisent plutôt les technologies de production anciennes, en se concentrant sur certains créneaux du marché local pour survivre. La croissance globale progresse dans les secteurs qui se caractérisent par des structures de marché favorisant une concurrence sur un pied d’égalité.   2. Voir Jones (2011) pour un exposé sur la notion de maillons faibles. Introduction Le présent rapport fait valoir que les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) doivent faire un choix crucial dans leur quête d’une croissance plus forte du secteur privé et leur volonté de créer plus d’emplois : promouvoir la concurrence, placer tous les entrepreneurs sur un pied d’égalité et déman- teler le système actuel de privilèges dont bénéficient les entreprises ayant des connexions politiques ou alors maintenir le statu quo au risque d’entretenir une faible création d’emplois. Le rapport montre que les politiques publiques qui entravent la concurrence dans la région MENA pèsent également sur le dévelop- pement du secteur privé et la création d’emplois. Ces politiques revêtent des formes différentes d’un pays et d’un secteur à l’autre, mais elles ont plusieurs caractéristiques communes : elles restreignent le libre accès au marché intérieur, excluent effectivement certaines entreprises des programmes publics, augmen- tent les lourdeurs réglementaires et accroissent l’incertitude pour les entre- prises non privilégiées, préservent certaines entreprises et certains secteurs de la concurrence étrangère, et créent des incitations qui dissuadent les entreprises nationales d’entrer en compétition avec d’autres entreprises sur les marchés internationaux. Ces politiques profitent souvent à un petit nombre d’entre- prises privilégiées ayant de très fortes connexions politiques et se perpétuent en dépit de ce qu’elles coûtent manifestement à la société. En outre, les millions de travailleurs et de consommateurs qui supportent l’essentiel de ce coût n’ont pas souvent conscience des effets néfastes des politiques en question sur l’emploi et les perspectives économiques auxquelles ils aspirent, ce qui limite les possibilités d’engager le débat nécessaire à un dialogue interne sur les politiques publiques et à la réforme du système. Les marchés du travail dans la région MENA affichent un équilibre précaire depuis de longue date. La région dispose d’un important réservoir de ressources humaines inexploitées et présente certains des taux de chômage des jeunes les plus élevés au monde, et les plus faibles taux de participation des femmes à la vie active. Les emplois de qualité dans le secteur privé, c’est-à-dire ceux qui sont bien rémunérés, formalisés par un contrat et donnent lieu à des prestations de sécurité sociale, sont très rares. Les stratégies qui consistent à accroître l’emploi dans le secteur public se sont avérées peu viables. D’un autre côté, la création d’emplois dans le secteur privé a été trop faible pour absorber la main-d’œuvre qui ne cesse de croître, ce qui pousse de plus en plus de travailleurs à rechercher un emploi dans 1 2 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord des activités de subsistance non productives, souvent dans l’économie informelle. Les soulèvements du Printemps arabe ont été une expression fort éloquente du manque de perspectives d’emploi et d’un sentiment généralisé d’exclusion. Un récent rapport régional phare montre comment les facteurs agissant sur l’offre de main-d’œuvre et les législations du travail influent sur l’emploi dans la région MENA. Le rapport Banque mondiale (2013a) montre que la parti- cipation au marché du travail est faible, surtout chez les femmes. Le chômage reste obstinément plus élevé que dans d’autres régions et touche majoritaire- ment les jeunes. Dans certains pays, tels que la République arabe d’Égypte et la Tunisie, les personnes très instruites sont plus susceptibles d’être au chômage (voir aussi Banque mondiale, 2014a). Trop souvent, l’accès aux rares emplois de qualité dépend plus de circonstances qui échappent à l’individu que de son mérite. La majorité des personnes occupées ont un emploi de faible qualité, caractérisé par une rémunération et une productivité faibles, et l’absence d’un contrat de travail formel ou de prestations de sécurité sociale. Le manque d’emplois de qualité dans le secteur privé se reflète également dans la petite taille des entreprises formelles. Ce rapport fait valoir qu’un défi majeur qui se pose à la région MENA dans l’amélioration du marché du travail et la création de plus d’emplois consiste à « changer les règles du jeu afin de créer un secteur privé dynamique qui tire parti de l’ensemble du capital humain de la région ». Le rapport met en évidence le rôle central de la promotion de la concurrence dans la stimulation de la croissance du secteur privé. Cependant, il existe peu de données probantes sur les facteurs d’économie politique qui perpétuent et/ou accentuent le manque de concurrence dans la région ou sur le type de distorsions des politiques qui affaiblissent la concurrence et sur la manière dont ces distor- sions affectent finalement la création d’emplois. Ce rapport entend combler ces lacunes. Il cherche à apporter des réponses aux questions suivantes : quels sont les types d’entreprises qui créent plus d’emplois dans la région MENA ? Sont-ils différents de ceux observés dans d’autres régions ? Quelles sont les politiques menées dans la région MENA qui empêchent le secteur privé de créer davantage d’emplois ? Comment ces politiques affectent-elles la concurrence et la création d’emplois ? Dans quelle mesure ces politiques sont-elles liées aux privilèges dont bénéficient les entre- prises ayant des connexions politiques ? Une étude précédente a également établi un lien entre les résultats en matière d’emploi dans la région MENA et des données quantitatives concrètes attestant des privilèges accordés à des entreprises bien précises et de la faiblesse de la concurrence. Le rapport Banque mondial (2009) développe l’argumentaire selon lequel l’accaparement par des entreprises ayant des connexions politiques des privilèges auxquels les politiques publiques donnent lieu entrave la concurrence et, partant, la croissance dans la région MENA. Il fournit une masse de données empiriques qualitatives qui décrivent le manque de concurrence dû aux privi- lèges dans la région MENA. Il s’est appuyé sur toutes les données disponibles à l’époque — avant le Printemps arabe — pour établir le coût des privilèges et de l’insuffisance de la concurrence. Il expose plusieurs dispositifs de politiques pertinents pour démontrer comment les privilèges ont éliminé la concurrence, de l’accès au crédit et à la terre jusqu’à la politique industrielle. Se fondant sur des données de l’après-Printemps arabe, le présent rapport porte plus loin les Introduction 3 conclusions du rapport Banque mondiale (2009) en examinant les liens possibles entre les privilèges et les politiques qui entravent la concurrence. En outre, il fournit pour la première fois des données quantitatives concrètes qui montrent de manière directe que les privilèges pèsent sur la concurrence, la dynamique des entreprises et la création d’emplois. Diverses études proposent plusieurs autres explications notables à la faible création d’emplois par le secteur privé dans la région MENA. Ces explications se concentrent souvent sur l’idée d’une malédiction des ressources naturelles. Le rapport Banque mondial (2012a) examine comment et dans quelle mesure la surévaluation des taux de change réels a eu des effets du syndrome hollandais qui limitent la diversification et la croissance dans la région MENA. La surévalua- tion des taux de change réels peut provenir soit de revenus tirés des ressources naturelles soit des maillons faibles, où une performance insuffisante dans les services intérieurs non échangeables fait augmenter les prix relatifs des biens (et services) échangeables. Le rapport Banque mondiale (2012a) montre égale- ment comment l’instabilité des prix des matières premières entraîne l’instabi- lité des taux de change budgétaires et réels dans la région MENA. Même les pays pauvres en ressources pétrolières sont sensibles aux variations des cours du pétrole parce qu’une grande partie de leur économie est tributaire des envois de fonds provenant du revenu des travailleurs établis à l’étranger, de l’aide, des recettes du tourisme, et/ou des investissements (dans l’immobilier) provenant des pays riches en pétrole (Dahi et Demir 2008). Des études antérieures font également valoir que l’adoption d’un régime de taux de change fixe ou apparié à une autre devise pour mettre les économies riches en pétrole à l’abri de l’ins- tabilité des cours du pétrole a entraîné une surévaluation du taux de change réel, et donc des pertes de compétitivité dans la région (Nabli et Veganzones- Varoudakis 2002 ; Banque mondiale 2012a). D’autres explications incluent les faibles taux d’investissement privé, les investissements en capital plutôt que les industries à forte intensité de main-d’œuvre en raison des distorsions liées aux subventions énergétiques (Lin et Monga 2010), la complexité des réglemen- tations commerciales et relatives aux entreprises (Malik 2013), ou le manque d’accès au financement (Banque mondiale 2011b). Le présent rapport fournit des données qui prouvent que les privilèges accor- dés aux entreprises politiquement connectées sont associés à bon nombre de distorsions des politiques qui, selon des études, affaiblissent la croissance du secteur privé et la création d’emplois. Le rapport fait sien l’argumentation des études Banque mondiale (2009) et Malik (2013), et présente de nouvelles données à l’appui de cette thèse. Nous apportons des données quantitatives concrètes qui montrent de manière directe que les généreuses subventions énergétiques allouées aux industries en Égypte ont profité à une poignée d’entreprises ayant des connexions politiques. De plus, nous apportons la preuve que des régle- mentations lourdes régissant les activités des entreprises, y compris les barrières à l’entrée et au commerce, ne protègent que quelques entreprises connectées politiquement en Égypte et en Tunisie. De même, ce rapport met en avant des données qui relient l’inégalité d’accès au crédit et à la terre et une application incohérente des règles et règlements commerciaux, d’une part, à la présence d’entreprises ayant des connexions politiques, d’autre part, en Égypte. En outre, nous arguons que la surévaluation des taux de change réels due aux maillons 4 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord faibles, tout au moins en partie, trouve son origine dans la concentration des entreprises politiquement connectées dans les principaux secteurs de services (échangeables) dans la région MENA. Ce rapport met également en évidence les interactions dynamiques entre les insuffisances de la conception des politiques industrielles bien intentionnées et le détournement des mêmes politiques dans la région MENA. Nous employons un riche ensemble de techniques et de nouvelles données disponibles pour examiner les moteurs de la création d’emplois dans la région MENA, et la manière dont les privilèges peuvent entraver la croissance de l’emploi. Le rapport réunit la base de données de recensement d’entreprises la plus exhaustive jamais constituée jusqu’ici pour la région. Cela nous permet de mesurer les caractéristiques exactes de la demande de main-d’œuvre des entre- prises et son évolution, et cela donne aussi des estimations représentatives fiables de la création globale d’emplois et des déterminants de la croissance de la produc- tivité1. Des études universitaires récentes, fondées sur des données comparables de recensement des entreprises provenant d’autres régions, fournissent une base de comparaison et donnent de nouvelles perspectives importantes sur la dynamique et les caractéristiques spécifiques des entreprises qui stimulent la création d’emplois (voir, entre autres, Haltiwanger et al. 2011 ; Hsieh et Klenow 2012 ; Bartelsman et al. 2014). Ces toutes dernières techniques de pointe sont appliquées pour présenter de nouveaux faits empiriques stylisés sur les moteurs de la création d’emplois dans la région MENA, en s’appuyant sur les données nouvellement disponibles du recensement des entreprises. En outre, à la suite du Printemps arabe et des changements de régime en Égypte et en Tunisie, deux nouvelles bases de données ont été constituées qui identifient les entreprises ayant des liens politiques avec les régimes de Moubarak et Ben Ali ou leurs proches collaborateurs2. Ces deux bases de données uniques nous permettent de quantifier dans quelle mesure les connexions politiques conduisent à des privilèges tirés des politiques qui faussent aussi bien la concurrence que la dynamique des entreprises en matière de création d’emplois. Plusieurs constatations se dégagent :  remièrement, la croissance du PIB dans la région MENA au cours des deux • P dernières décennies a été modérée et essentiellement tirée par l’évolution démographique et structurelle, tandis qu’au sein même des secteurs, la pro- ductivité a été lente et à la traîne par rapport à toutes les autres régions en développement (chapitre 1). Si l’évolution démographique (augmentation de la population en âge de travailler) a contribué positivement à la croissance, la région MENA n’en a pas tiré tous les fruits associés à la croissance, les niveaux de chômage et d’inactivité étant restés élevés. De plus, la plupart des travail- leurs sont employés dans de petites activités à faible productivité.  euxièmement, la croissance de l’emploi dans la région MENA est faible parce • D qu’il n’y a pas assez de startups et d’entreprises productives (chapitre 1). Nous cherchons à déterminer si les moteurs de la création d’emplois dans les pays de la région MENA diffèrent de ceux observés dans les pays émergents à crois- sance rapide et les pays à revenu élevé dans d’autres régions. Tel n’est pas le cas : les jeunes entreprises et les entreprises les plus productives sont les moteurs de la croissance dans le secteur privé dans la région MENA comme ailleurs. Introduction 5 Toutefois, dans la région MENA, la réserve de jeunes entreprises est trop maigre et la croissance de la productivité trop lente pour accélérer la création d’emplois. Le faible nombre de jeunes entreprises est dû à l’insuffisance des entrées et de la croissance des nouvelles entreprises. La croissance de la produc- tivité est freinée par la lenteur de la croissance de la productivité au sein des entreprises et par une répartition inadéquate de la main-d’œuvre et du capital entre les entreprises.  roisièmement, un bon nombre des politiques en place minent la concurrence, • T établissent des règles de jeu inéquitables et limitent l’émergence et l’essor de jeunes entreprises et d’entreprises productives (chapitre 2). Nous illustrons comment différentes politiques — qu’il s’agisse des subventions et des obstacles à l’investissement direct étranger (IDE) dans les secteurs des services énergé- tiques ou de l’environnement réglementaire et de sa mise en œuvre — déter- minent et, dans la plupart des cas, réduisent la croissance du secteur privé et la création d’emplois. Ce chapitre montre comment ces politiques ont conduit systématiquement à une baisse de la concurrence, créé des inégalités de chances entre les entrepreneurs, entraîné une entrée ou une croissance faibles des nou- velles entreprises, et affaibli la croissance de la productivité.  uatrièmement, les défaillances dans la conception et la mise en œuvre des • Q politiques industrielles passées dans la région MENA ont donné lieu à des poli- tiques taillées à la mesure de certaines entreprises et n’ont pas favorisé la per- formance et la concurrence (chapitre 3). Le chapitre examine les politiques industrielles appliquées dans un certain nombre de pays de la région MENA au cours des deux dernières décennies et les compare avec l’expérience des pays d’Asie de l’Est, en analysant les différences dans la conception et l’application. Le chapitre montre en quoi le succès des politiques industrielles dans les pays d’Asie de l’Est est lié à plusieurs facteurs, dont les plus cruciaux sont les sui- vants : un accent mis sur les nouvelles activités économiques dans des secteurs où les défaillances du marché sont plus susceptibles d’avoir une influence contrai- gnante sur le développement industriel ; la mise en œuvre de politiques davan- tage axées sur la performance ; un système d’évaluation permettant d’apprécier aussi bien la performance des politiques que celle des fonctionnaires ; la promo- tion et la protection de la concurrence ; et l’égalité d’accès pour toutes les entre- prises en fonction de leurs performances.  nfin, le rapport montre combien parmi ces politiques ont bénéficié à une poi- • E gnée d’entreprises connectées politiquement tout en freinant la concurrence, en faussant les règles du jeu et en empêchant la croissance globale de l’emploi (chapitre 4). De nouvelles bases de données concernant les entreprises de pre- mier rang ayant des connexions politiques en Égypte et en Tunisie, qui sont devenues disponibles après le Printemps arabe, nous permettent, pour la pre- mière fois, de dégager des données quantitatives probantes sur la façon dont les privilèges accordés aux entreprises dénaturent les réglementations, la concur- rence et la croissance de l’emploi dans la région. Ensemble, ces résultats mettent en lumière l’ensemble des canaux de transmission microéconomiques, allant des privilèges politiques à la distorsion de la concurrence et de la dynamique des entreprises, qui freinent la croissance globale de l’emploi. En outre, le rapport 6 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord fournit des données quantitatives concrètes qui prouvent que la présence d’en- treprises politiquement connectées réduit la croissance globale de l’emploi en limitant les possibilités de croissance de la majorité des entreprises n’ayant pas de connexions politiques en Égypte. Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA. Les résultats empiriques et les mécanismes de ce rapport trouvent leurs racines dans le cadre théorique d’Aghion et al. (2001), qui démontre que la concurrence loyale entre entreprises du secteur privé placées sur un pied d’éga- lité stimule la croissance économique. Les auteurs montrent que la concurrence incite davantage les entreprises à investir dans l’adoption de nouvelles technolo- gies afin de réduire leurs coûts et de distancer la concurrence (du moins pendant un certain temps)3. Toutefois, si quelques leaders du marché (travaillant en collusion) bénéficient d’avantages exogènes importants sur le plan des coûts, face auxquels les concurrents du même secteur ne peuvent pas faire le poids, alors toutes les entreprises du secteur seront peu encouragées à adopter de nouvelles technologies et la croissance du secteur s’en trouvera affaiblie. Les leaders du marché sont peu incités à investir dans l’innovation, car ils ne subissent pas les pressions de la concurrence pour réduire leurs coûts ; les entreprises qui sont à la traîne sont trop distancées pour combler leur déficit en matière de coûts et utilisent plutôt des technologies de production anciennes, en se concentrant sur certains créneaux du marché local pour survivre. En revanche, la croissance globale progresse dans les secteurs qui se caractérisent par des structures de marché favorisant une concurrence sur un pied d’égalité. Ensemble, nos résul- tats empiriques montrent qu’une concurrence accrue et un traitement équitable sont nécessaires pour stimuler la croissance de l’emploi dans la région MENA. Ce rapport est étroitement lié à un rapport parallèle qui fournit des données concrètes à l’échelle des entreprises sur la dynamique et les performances en matière d’exportation et d’importation dans la région MENA (Banque mondiale, 2014b). Mis ensemble, les deux rapports donnent une image globale des tendances macroéconomiques et de leurs causes microéconomiques empiriques sous-jacentes dans les pays de la région MENA, qu’il s’agisse des exportations, des importations, de la croissance de la productivité ou de la création d’emplois. Le présent rapport pour sa part met l’accent sur les pays en développement importateurs de pétrole de la région MENA. L’essentiel de l’analyse exclut les pays du Golfe et d’autres grands pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région. Cela ne signifie pas pour autant que les questions soulevées dans ce rapport ne sont pas pertinentes pour ces pays. En lisant ce rapport, il est toutefois important de garder à l’esprit que les caractéristiques de la dynamique des entreprises et de la création d’emplois, et les politiques spécifiques qui faussent cette dynamique dans les pays exportateurs de pétrole de la région MENA pourraient bien être diffé- rentes. Néanmoins, les privilèges et la mainmise sur les politiques par les entre- prises ayant des relations avec des dirigeants politiques ou des monarques sont une source de préoccupation majeure, car ils conduisent à des politiques qui faussent les règles du jeu dans tous les pays de la région. De ce point de vue, les principales conclusions et les enseignements à tirer au plan des politiques publiques présentés dans ce rapport sont pertinents pour la région dans son ensemble. Introduction 7 Le rapport est organisé en quatre chapitres et s’articule comme suit :  e chapitre 1 analyse la dynamique et les facteurs déterminants de la création • L d’emplois et cherche à déterminer si les moteurs de création d’emplois dans la région MENA sont similaires à ceux des pays en développement à crois- sance rapide et des pays à revenu élevé dans d’autres régions.  e chapitre 2 montre comment différentes politiques menées dans les pays de • L la région MENA déterminent la concurrence dans le secteur privé et, partant, la dynamique des entreprises en matière de création d’emplois identifiée dans le chapitre 1. Le rapport analyse l’effet de diverses distorsions des politiques sur la dynamique des entreprises et la création d’emplois à travers la région, qu’il s’agisse des subventions énergétiques aux industries en Égypte, des res- trictions sur les IDE dans le secteur des services en Jordanie, des restrictions (de mobilité) sur l’accès au marché en Cisjordanie, du lien entre la bureaucra- tie et la croissance de l’emploi au Maroc, ou de l’impact d’une application incohérente des réglementations dans toute la région.  e chapitre 3 expose les politiques industrielles menées par le passé dans la • L région MENA et compare l’expérience de cette dernière avec celle des pays d’Asie de l’Est, montrant que les différences portent sur l’objectif, la concep- tion et l’application des politiques.  e chapitre 4 analyse comment les privilèges accordés aux entreprises politi- • L quement connectées donnent lieu à des distorsions des politiques, qui sapent la concurrence et brident la croissance du secteur privé et de l’emploi dans la région MENA. Il s’appuie sur de nouvelles bases de données qui identifient les entreprises de premier rang ayant des connexions politiques en Égypte et en Tunisie pour quantifier, pour la première fois, non seulement leur impact sur les distorsions des réglementations et des politiques, mais aussi leur impact sur la croissance de l’emploi. Ce chapitre présente et examine également des données qualitatives sur les relations entre l’État et les entreprises dans d’autres pays.  e rapport conclut en présentant les enseignements à tirer sur le plan des • L politiques des diverses constatations et met en évidence les domaines précis où des réformes devraient être menées afin d’établir une feuille de route pour la croissance du secteur privé et de l’emploi dans la région MENA. Notes   1. La plupart des analyses sur la création d’emplois dans la région MENA est basée sur des données d’enquêtes portant sur de petits échantillons qui ne couvrent qu’une partie de l’économie, incluant souvent à peine quelques établissements plus impor- tants du secteur formel. Par exemple, l’Enquête auprès des entreprises de la Banque mondiale (WBES) ne s’intéresse qu’à quelques entreprises formelles. Outre les pro- blèmes d’échantillonnage, qui se posent particulièrement avec acuité pour les pays de la région MENA, la plus grande enquête menée en République arabe d’Égypte, par exemple, ne couvrait qu’environ 1 100 établissements sur les 2 400 000 recensés en 2006. En outre, les 1 100 établissements qui ont été interrogés comptaient au moins 8 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord cinq employés, alors que 91 % de l’ensemble des établissements en Égypte avaient moins de cinq employés en 2006.   2. À notre connaissance, des données d’une richesse comparable sur les entreprises ayant des connexions politiques dans différents secteurs économiques n’ont été utili- sées que pour l’Indonésie dans les études menées jusqu’ici.   3. Le cadre est étroitement lié à Parente et Prescott (2002). Sa validité a été éprouvée de manière empirique en estimant l’impact d’une concurrence accrue sur le marché des produits sur la croissance (Aghion et al. 2006, 2009) ainsi que sur la dérégulation de l’entrée en Inde (Aghion et al. 2008). CHAPITRE 1 Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre Au cours des deux dernières décennies, la croissance du PIB par habitant dans la région MENA a été modérée et tirée par l’évolution démographique plutôt que par la productivité du travail, et elle n’a pas donné lieu à la création d’un nombre suffi- sant d’emplois formels dans le secteur privé. Les retombées économiques de l’évolution démographique actuelle auraient pu être plus importantes si les pays de la région avaient été en mesure d’absorber dans le secteur formel une main-d’œuvre en augmentation rapide. Cette main-d’œuvre reste au contraire très largement inactive par suite de l’insuffisance d’emplois formels dans le privé. Pourquoi y a-t-il eu si peu d’emplois créés dans ce secteur ? Les auteurs tentent d’abord de déterminer si les moteurs de la création d’emplois dans la région MENA diffèrent de ceux des pays émergents à croissance rapide ou des pays à revenu élevé d’autres régions du monde. Il n’y a pas de différence : ce sont les entreprises jeunes et les entreprises les plus productives qui sont à l’origine de la plupart des nouveaux emplois dans cette région comme ailleurs. En revanche, le secteur privé des pays de la région MENA se caractérise par un faible taux de rotation des entreprises — création et cessation d’activité — et une lente croissance de la productivité, ce qui limite le vivier d’entreprises jeunes et productives. Ce chapitre examine la nature de la demande de main-d’œuvre dans les entre- prises privées des pays de la région MENA, et analyse les facteurs susceptibles de déterminer l’expansion du secteur privé et de l’emploi. Il examine d’abord brièvement la croissance économique et ses moteurs dans la région. Durant les deux dernières décennies, la région semble avoir enregistré une croissance modérée, sous l’effet des changements démographiques, tandis que la producti- vité ne s’est guère améliorée par rapport à celle d’autres pays en développement. Pendant cette même période, les créations d’emplois n’ont pas suffi à absorber l’augmentation du nombre de personnes en âge de travailler, ce qui s’est traduit par des taux élevés de chômage, d’inactivité et d’emploi informel. Les causes de la faible création d’emplois pendant ces deux décennies sont ensuite exami- nées. L’analyse révèle que les déterminants de la croissance de l’emploi dans les pays de la région MENA ne sont pas différents de ceux des pays émergents à revenu élevé ou à croissance rapide d’autres régions : ici comme ailleurs, ce sont les entreprises jeunes et les entreprises les plus productives qui créent le plus d’emplois. De l’avis des auteurs, le faible taux de rotation et la lente croissance 9 10 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de la productivité limitent le bassin d’entreprises jeunes et productives et font obstacle à une création plus rapide d’emplois. L’analyse repose sur de récentes données de recensement des entreprises, qui sont essentielles pour mettre en évidence les moteurs de la création d’emplois dans la région. Ces moteurs sont analysés sous l’angle de l’entreprise, sur la base de données uniques recueillies auprès d’entreprises de six pays de la région (Égypte, Tunisie, Maroc, Jordanie, Liban, Cisjordanie et Gaza), et de Turquie, qui sert de pays de référence1. À notre connaissance, c’est la première fois que ces données de recensement sont utilisées à des fins de recherche, à l’exception de celles concernant le Maroc2. Signalons toutefois des différences importantes d’un pays à l’autre pour ce qui est du type de recensement, de la couverture des variables et des années considérées. Ainsi, les données concernant l’Égypte couvrent plus de 2 millions d’entreprises, tous secteurs d’activité confondus, en 1996 et 2006, et comprennent en outre une plus petite base de données en panel pour le secteur manufacturier regroupant toutes les entreprises qui comptaient au moins 10 employés, en 2007 et 2011. Pour la Turquie, le recen- sement porte sur plus de 2 400 000 entreprises pour la période écoulée entre 2005 et 2010. En Tunisie, en Jordanie, au Liban, en Cisjordanie et à Gaza, les données sont présentées en listes couvrant l’ensemble des secteurs, soit entre 100 000 et 600 000 entités économiques, selon le pays et l’année. Au Maroc, la liste de données regroupe toutes les sociétés ayant un effectif d’au moins 10 employés ainsi que certaines entreprises de plus petite taille pour la période 1996-2006. Les différences de couverture d’un pays à l’autre ont été soigneuse- ment prises en compte, et sont rappelées dans l’exposé de l’analyse. En outre, les mêmes méthodes et définitions sont utilisées dans chaque pays pour calculer les taux d’entrée et de sortie, la productivité des entreprises, et d’autres éléments. Un résumé détaillé des données de recensement disponibles est présenté à l’annexe B. Le chapitre est structuré comme suit. La première section examine la perfor- mance des pays de la région MENA en termes de croissance et de création d’emplois. La deuxième démontre que les mécanismes fondamentaux de la création d’emplois sont les mêmes dans cette région qu’ailleurs, à savoir que les entreprises jeunes et les entreprises les plus productives sont porteuses d’emplois. La troisième section montre que le faible taux de rotation et la lente croissance de la productivité restreignent le vivier d’entreprises jeunes et productives, entravant ainsi la croissance de l’emploi dans la région MENA3. La croissance de l’activité économique a été modérée et celle des emplois faible Dans la région MENA, les vingt dernières années ont été caractérisées par une croissance modérée, portée par l’évolution démographique (augmentation de la population d’âge actif) tandis que la croissance de la productivité est restée globalement faible. La croissance du PIB réel par habitant a tourné autour de 2 % durant les deux décennies écoulées, soit environ 2 % à 3 % de moins qu’en Asie de l’Est et du Sud, tout en restant comparable aux taux de croissance par habitant des Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 11 autres pays en développement. Après une stagnation économique prolongée dans les années 80, la croissance a rebondi dans les années 90 lorsque les gouver- nements ont abandonné les modèles d’économie planifiée au profit d’une crois- sance tirée par le secteur privé et l’intégration des échanges. Entre 1991 et 2012, la croissance du PIB réel par habitant s’est établie en moyenne à 2,2 % en termes constants (figure 1.1), soit environ 2 % à 3 % de moins qu’en Asie du Sud et de l’Est, mais néanmoins comparable, voire légèrement supérieure à celle des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Europe de l’Est, d’Asie centrale et d’Afrique subsaharienne. Cette croissance plutôt satisfaisante n’a pas seule- ment été portée par les pays exportateurs de pétrole à revenu élevé. En effet, la croissance du PIB réel par habitant était comparable dans les différents pays en développement de la région, avec une moyenne de 2,1 % entre 1991 et 2009, suivie d’une accélération à 2,6 % entre 2000 et 2009. Figure 1.1 Décomposition de la croissance du PIB par habitant dans la région MENA et les pays en développement d’autres régions a. Ensemble des pays, 1991-2012 b. Ensemble des pays, 2000–2012 5,0 6,0 4,0 5,0 3,0 4,0 Pourcentage Pourcentage 2,0 3,0 1,0 2,0 0 1,0 0 –1,0 –1,0 –2,0 MENA EAP LAC ECA SSA Asie du MENA EAP LAC ECA SSA Asie du Sud Sud c. Pays en développement, 1991–2009 d. Pays en développement, 2000–2009 8,0 10,0 6,0 8,0 4,0 6,0 Pourcentage Pourcentage 2,0 4,0 0 2,0 –2,0 0 –4,0 –2,0 MENA EAP LAC ECA SSA Asie du MENA* EAP LAC ECA SSA Asie du Sud Sud Évolution démographique Évolution de l’emploi Évolution de la productivité du travail Croissance du PIB par habitant Source : Calculs fondés sur la base de données Indicateurs du développement dans le monde. Note : Les pays membres du CCG ne sont pas compris dans les pays en développement de la région MENA (données manquantes pour le Qatar). 12 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Les changements démographiques sont à l’origine d’environ 50 % de la croissance globale du PIB réel par habitant pendant les 20 dernières années, soit beaucoup plus que dans n’importe quelle autre région. Ces changements sont mesurés par l’évolution de la population en âge de travailler en proportion de la population totale. La région MENA occupe le deuxième rang mondial pour ce qui est du taux de croissance démographique, qui était de 2 % en moyenne entre 1990 et 2012, seule l’Afrique subsaharienne se plaçant avant elle, avec 2,7 % de taux de croissance démographique. Conjugués à un recul rapide de la mortalité, les taux de fécondité élevés ont provoqué une forte augmenta- tion de la population en âge de travailler en proportion de la population totale (figure 1.1, gauche), avec une progression rapide de la main-d’œuvre potentielle disponible dans la région. Bien que ce profil démographique soit souvent pointé du doigt pour expliquer le fort taux de chômage des jeunes, la taille relative de la main-d’œuvre est un facteur déterminant de la récente performance de la région en termes de croissance économique. La croissance globale de la productivité du travail est restée plus faible dans les pays de la région MENA que dans les autres pays en développement. La figure 1.1 montre que sur les 20 dernières années, l’évolution de la produc- tivité du travail explique environ 50 % de la croissance du PIB dans les pays en développement de la région, générant ainsi 1 % de la croissance annuelle du PIB réel par habitant. Dans cette région, la croissance de la productivité est très inférieure à celle d’autres pays en développement où elle était à l’origine d’envi- ron 4,5 % de la croissance annuelle du PIB réel par habitant en Asie de l’Est, de 4 % en Asie du Sud-Est et d’environ 2 % en Europe, en Asie centrale et en Afrique subsaharienne. Pour l’ensemble de la région MENA, la croissance par habitant a augmenté durant les périodes 1995–2000 et 2000–2005 sous l’effet de l’accélération de la croissance démographique. Dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), la productivité du travail n’a joué aucun rôle dans la croissance économique des 15 dernières années. En revanche, dans les pays en développement de la région MENA, la croissance de la productivité s’est établie en moyenne à 1,3 % au cours de la dernière décennie, principalement en raison de la croissance enregistrée dans les pays non exportateurs de pétrole. Dans la région MENA, la productivité a fortement augmenté du fait d’un redéploiement de la main-d’œuvre entre les secteurs, mais la croissance de la productivité intrasectorielle a été la plus faible de toutes les régions Le redéploiement de la main-d’œuvre des secteurs à productivité marginale vers les secteurs très productifs peut jouer un rôle déterminant dans la crois- sance globale de la productivité. L’un des principaux enseignements de l’éco- nomie du développement est que la croissance est tirée par un redéploiement structurel vers les secteurs de la fabrication et des services, au détriment du secteur de l’agriculture. Cette réorientation sectorielle se reflète généralement dans les schémas d’emploi où la main-d’œuvre augmente progressivement dans les secteurs non agricoles, tandis que l’emploi dans l’agriculture est en recul (Kuznets 1996). À mesure que la main-d’œuvre s’oriente vers le secteur industriel généralement plus productif, la productivité globale s’améliore et les revenus augmentent (Duarte et Restuccia 2010 ; Herrendorf, Rogerson, et Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 13 Valentinyi 2013)4. La hausse des revenus déclenche une poussée de la demande de services. Dans nombre de pays, la part du secteur des services dans le PIB s’accroît de façon quasi linéaire avec le niveau de revenu. De plus, Eichengreen et Gupta (2011) ont montré que dans les pays de l’OCDE, la productivité du travail dans le secteur des services, en proportion de la productivité moyenne du travail, a tendance à d’abord augmenter jusqu’au niveau de revenus inférieurs, puis à décliner dans une fourchette intermédiaire, avant de s’accroître de nouveau. La seconde augmentation est très probablement due à l’essor des services modernes (services aux entreprises, télécommunications, finance et autres). Dans de nombreux pays en développement à croissance rapide, notam- ment en Asie, le redéploiement des travailleurs des secteurs à faible productivité vers les secteurs très productifs a eu un effet positif sur la croissance durant les 20 dernières années (Duarte et Restuccia 2010 ; Rodrik et McMillan 2012). Hormis l’Arabie saoudite, tous les pays de l’échantillon pour la région MENA ont enregistré des gains de productivité globale du fait du redéploiement de la main-d’œuvre entre les secteurs entre 2000 et 2005. Exprimée en évolution de la production par travailleur, la croissance de la productivité du travail peut être décomposée entre les changements intrasectoriels et les redéploiements inter- sectoriels ou changements structurels (figure A.3 de l’annexe A). Nous notons que les résultats suivants reposent sur la mesure de la productivité moyenne du travail, et non sur la productivité marginale5. Pour apprécier la robustesse des résultats, nous calculons aussi de manière approximative la productivité sectorielle marginale d’après des données harmonisées sur les salaires extraites d’enquêtes sur les ménages réalisées en Égypte et en Tunisie (Banque mondiale, base de données I2D2). On constate ainsi que les écarts entre les productivités marginales, mesurés par les salaires moyens payés dans les différents secteurs d’activité, sont plus faibles que ceux mesurés au moyen de la valeur ajoutée par travailleur, bien que les différences intersectorielles restent importantes (voir le tableau A.1 à l’annexe A). Les redéploiements de main-d’œuvre (c’est-à-dire les transformations structurelles) contribuaient le plus à la croissance globale de la productivité en République arabe syrienne et en Égypte (figure 1.2a). En Syrie où l’on observe les transformations structurelles les plus rapides de la région, le redéploiement de la main-d’œuvre représentait environ 1,8 point de pourcentage de la croissance de la productivité globale, qui s’établissait à 2,7 %. En Égypte, elle correspondait à un point de pourcentage de cette croissance qui était négative (−2,2 %) compte tenu de la faible amélioration de la productivité intrasectorielle. La contribution négative en Arabie saoudite tient à l’afflux de travailleurs étrangers dont beaucoup sont recrutés en vue d’activités de services à faible valeur ajoutée. En Tunisie, la contribution du redéploiement de la main-d’œuvre à la croissance (c.-à-d. les changements structurels) a diminué après la fin d’une vague de privatisations intervenue en 2005. Néanmoins, la croissance de la productivité au sein des secteurs est la plus faible de toutes les régions. La figure 1.2a montre que dans les sept pays de la région, l’amélioration de la productivité globale a été plus faible que dans tous les pays en développement, en raison de la faible croissance de la producti- vité intrasectorielle. La figure 1.2b montre que la moyenne régionale masque d’importantes variations entre les sept pays considérés. L’Égypte affiche depuis 14 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.2 Changements structurels par région et au sein des pays de la région MENA, 2000–2005 a. Région b. Pays de la région MENA LAC Rép. arabe d’Égypte Arabie Saoudite Pays à revenu élevé Cisjordanie et Gaza MENA Tunisie Afrique Jordanie République arabe syrienne Asie Maroc –0,02 0 0,02 0,04 –0,04 –0,02 0 0,02 0,04 0,06 Intra Changements structurels Source : Calculs de la Banque mondiale ; voir la source des données à l’annexe A. 1982 une croissance négative de la productivité intrasectorielle, principale- ment due au déclin de la productivité du travail dans l’exploitation minière, la fabrication et le commerce de gros et de détail. Cette croissance a également été négative en Arabie saoudite, en Cisjordanie et à Gaza entre 2000 et 2005. En Cisjordanie et à Gaza, la productivité du travail a chuté dans l’agriculture, le commerce de gros et de détail, les transports et la communication. La Jordanie et le Maroc ont enregistré une forte hausse de la productivité intrasectorielle. En Jordanie, elle était impulsée par l’industrie manufacturière (au travers de suppressions d’emplois), les transports, les communications et la finance (où l’on a attiré de nouveaux travailleurs) ; au Maroc, elle a été portée par l’agri- culture, l’exploitation minière et les services communautaires, sociaux, person- nels et publics. En Tunisie, le capital humain joue pour beaucoup dans la productivité du travail, bien que l’analyse révèle un niveau considérable d’un mauvais redéploie- ment de la main-d’œuvre. Faute de données, il n’a pas été possible de déter- miner la part du capital humain dans la décomposition de la croissance des autres pays de la région MENA. Plusieurs d’entre eux ont enregistré de nets progrès dans les niveaux d’instruction au cours des deux dernières décennies. Pour mieux comprendre l’effet de ces avancées récentes sur la redistribution du capital humain entre les différents secteurs d’activité tunisiens, nous avons reproduit l’analyse des changements structurels pour les années 2005-2010 au moyen de données de production par unité de capital humain 6. La prise en compte du relèvement des niveaux d’instruction de la population active conduit à nuancer certains des constats précédents. Ainsi, alors que l’agriculture et la fonction publique employaient 18 % des actifs en 2005, la part du capital humain imputé était de 12 % pour l’agriculture, mais de 27 % pour le secteur public. La productivité du capital humain dans l’agriculture affichait même une crois- sance négative, ce qui implique que l’augmentation du capital humain était Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 15 supérieure à la croissance globale de l’emploi. De manière générale, la crois- sance du capital humain dépassait d’environ 50 % celle de l’emploi, et expli- quait donc une part importante de l’amélioration de la productivité du travail. En outre, la productivité ajustée révèle de très mauvaises allocations du capital humain. En 2009, 75 % de la main-d’œuvre tunisienne étaient employés dans des secteurs ayant une productivité inférieure à la moyenne, 24 % dans les seules administrations publiques et 12 % dans des programmes de travaux publics. Les données de recensements d’entreprises dans la région MENA indiquent systématiquement que les taux de rotation des entreprises sont dictés par des changements structurels plutôt que par des destructions créatrices. Une méthode élaborée par Bartelsman, Haltiwanger et Scarpetta (2004) permet de déterminer dans quelle mesure le renouvellement des entreprises résulte de changements structurels (redéploiement des ressources entre secteurs) ou de destructions créatrices (redéploiement des ressources entre les entreprises d’un même secteur). La corrélation entre les taux d’entrée et de sortie dans différents secteurs devrait être négative dans le premier cas, et positive dans le second (en raison des entrées de nouvelles entreprises et des sorties d’entreprises anciennes au sein d’un même secteur à deux chiffres). Il ressort de la figure 1.3 que les pays plus avancés affichent de plus fortes corrélations positives intra- sectorielles, ce qui indique que les entités sectorielles de ces pays ont convergé et que les destructions créatrices sont le principal moteur du taux de rotation. Figure 1.3 Corrélation entre les démarrages et les fermetures d’entreprises dans les secteurs (niveau de classification à deux chiffres) États-Unis d’Amérique Hongrie Turquie, secteur manufacturier (B) Turquie, tous les secteurs (b) Estonie Roumanie Mexique Cisjordanie et Gaza (tous les secteurs) Lettonie Maroc, secteur manufacturier (a) Portugal Tunisie, tous les secteurs –0,4 –0,2 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Les taux de création d’entreprises et de cessation d’activité sont pondérés par l’emploi ; les coefficients de corrélation sont très éloignés de 0 au niveau de 10 % en Tunisie, en Estonie, en Turquie, en Hongrie et aux États-Unis ; a) démarrages/fermetures d’entreprises de plus de 10 employés ; b) créations/fermetures d’entre- prises de plus de 20 employés. Les corrélations sont mesurées entre 2005 et 2010 en Turquie, 1996–2006 au Maroc, 2004–2012 en Cisjordanie et à Gaza, et durant les années 90 pour tous les autres pays. 16 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord À l’inverse, les corrélations sont généralement plus faibles dans les pays moins avancés. Le Maroc, la Tunisie, la Cisjordanie et Gaza présentent les corrélations les moins nettes, signe que les ajustements sectoriels résultant des changements structurels sont toujours à l’œuvre. Il est ressorti de l’analyse que la productivité globale a moins augmenté dans la région MENA que dans les autres pays en développement durant les 20 dernières années. Quelle a été l’évolution du marché du travail et surtout de la demande de main-d’œuvre pendant cette période ? encadré 1.1 La transformation structurelle au Maroc est-elle biaisée dans sa dimension genre ? Dans l’exposé ci-après, les changements relatifs tantes similarités. Les secteurs à forte produc- de l’emploi dans les différents secteurs d’acti- tivité — communication, finance et immobilier vité sont ventilés par sexe afin d’établir dans — ont amélioré leur part dans l’emploi pour les quelle mesure les évolutions structurelles au deux sexes, mais les créations d’emplois dans Maroc augmentent la probabilité de l’emploi ces secteurs sont proportionnellement très peu des femmes et/ou des hommes dans les secteurs nombreuses et ont majoritairement profité aux très productifs. Cette analyse est fondée sur citadins instruits des deux sexes. Ces secteurs des travaux de la Banque mondiale (2014d). fournissant globalement peu d’emplois, un La figure B1.1.1 représente la productivité nombre assez restreint de travailleurs a pu relative du travail dans différents secteurs par tirer profit de cette tendance. En revanche, rapport au changement de la part de l’emploi les tendances de l’emploi sont très différentes dans ce secteur. La taille des cercles figure la pour la majorité des femmes non instruites taille du secteur. Les secteurs situés au-dessus de des zones rurales. Environ 60 % des rurales la ligne pointillée (horizontale) ont une produc- en activité travaillent dans l’agriculture ; plus tivité du travail supérieure à la moyenne, tandis de 77 % d’entre elles sont employées comme que ceux situés à gauche de la ligne pointillée aides familiales et elles sont 44 % à travailler (verticale) ont amélioré leur part dans l’emploi. à mi-temps. Cette part a même légèrement Le panneau de gauche illustre les changements augmenté, passant de 59 % en 2000 à 61 % en dans la part de la main-d’œuvre féminine (sur 2011 (figure B1.1.1, gauche). À l’inverse, elle a l’axe des abscisses), celui de droite représentant reculé pour les hommes (figure B1.1.1, droite). cette évolution pour la main-d’œuvre masculine Étant donné que le secteur agricole est de loin (sur l’axe des ordonnées). le plus gros employeur du Maroc (39 % de la Les résultats montrent que l’évolution main-d’œuvre totale en 2011), cette tendance structurelle n’a pas profité de la même manière de l’emploi pèse plus que n’importe quelle aux deux sexes. La figure B1.1.1 compare autre. Notons que la part globale du travail le redéploiement (modification des parts de dans l’agriculture a encore chuté puisque la main-d’œuvre) des femmes et des hommes dans participation de la main-d’œuvre masculine est les différents secteurs. On constate d’impor- 2,8 fois supérieure à celle des femmes. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 17 encadré 1.1  Suite Figure E1.1.1 Réallocation de la main-d’œuvre entre les secteurs, par sexe 2000–2011 a. Femmes, 2000–2011 b. Hommes, 2000–2011 Log (productivité sectorielle/productivité moyenne) Log (productivité sectorielle/productivité moyenne) 12 12 pu pu 10 comm 10 comm 8 8 fire fire 6 min 6 min 4 4 2 g mf e 2 mf g e mc mc mm mm mo tn mt motn os f c tch a a hmftd c 0 0 os –2 –2 –6 –4 –2 0 2 –10 –5 0 5 Évolution de la situation de l’emploi Évolution de la situation de l’emploi beta = 0,399 ; Test t = 0,70 beta = 0,065 ; Test t = 0,19 Note : D’après la Banque mondiale (2014d). Secteurs : a (agriculture), f (pêche), min (industries extractives), mf (manufacture, alimentation), mt (manufacture, textiles), mc (manufacture, produits chimiques), mm (manufacture, machines et électricité), mo (manufacture, autres), pu (services d’utilité publique), c (construction), td (commerce), h (hôtellerie et restauration), tn (transports), comm (communications), fire (finance, assurance, immobilier et services aux entreprises), g (gouvernement), e (éducation et santé), os (autres services). La région MENA a obtenu des résultats médiocres sur le plan de l’emploi. Pour la plupart, les travailleurs sont employés dans de petites activités peu productives, une structure d’emploi qui a perduré et s’est même légèrement aggravée au cours de la dernière décennie. Le marché du travail n’a pas été en mesure d’absorber la rapide poussée de la population active. La part des employés du secteur formel dans la popula- tion en âge de travailler est très inférieure à celle des autres régions à revenu intermédiaire telles que l’Amérique latine et les Caraïbes (LAC) ou l’Europe de l’Est et l’Asie centrale (ECA) (­ figure 1.4). Alors que la proportion mesurée de la main-d’œuvre informelle est moindre que dans la région LAC, la part des individus en âge de travailler qui sortent de la population active est bien plus importante, notamment chez les femmes. Dans la région MENA, moins d’un quart des femmes en âge de travailler étaient employées en 2012 (voir également Banque mondiale 2014a). Les petits métiers sont la principale source d’emplois dans la région, en dépit de différences notables d’un pays à l’autre. La figure 1.5 illustre la répartition de l’emploi par catégorie de taille d’entreprises dans les pays de la région. Les microentreprises comptant moins de cinq employés constituent l’essentiel de l’emploi privé en Égypte, en Cisjordanie et à Gaza, avec près de 60 % des emplois. Cette part est très inférieure en Jordanie (40 %), en Tunisie (37 %) et en Turquie où elle est la plus faible (34 %). A contrario, la Tunisie (36 %)7 et la Jordanie (33 %) ont la plus forte concentration de travailleurs employés dans de grandes sociétés8, alors que la part des travailleurs dans des entreprises 18 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.4 Évolution démographique et composition de la population en âge de travailler a. Évolution démographique b. Population en âge de travailler 75 60 Pourcentage de la population totale Population en âge de travailler (en % de la population totale) 70 50 40 65 30 60 20 55 10 50 0 Travailleurs Travailleurs Chômeurs Personnes 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 formels informels sans activité ECA EAP LAC MENA LAC ECA SAR MENA SSA Source : a. Calculs fondés sur la base de données Indicateurs du développement dans le monde. b. Banque mondiale 2013, d’après la base de données ICMT de l’OIT. de taille intermédiaire est la plus importante en Turquie (29 %) où elle est aussi supérieure à la proportion d’employés dans de grandes sociétés (26 %). Dans ces cinq pays, la part de l’emploi dans des établissements ayant un effectif d’au moins 1 000 employés est inférieure à 10 %, un tableau très contrasté par rapport à la situation de l’emploi dans les pays à revenu élevé. Aux États-Unis d’Amérique par exemple, 48 % des actifs travaillent dans des entreprises de plus de 10 000 agents. La figure 1.5 montre ainsi que la petite entreprise est une importante source de travail dans les pays de la région. La forte propor- tion d’emplois dans les microentreprises est inquiétante dans la mesure où les établissements employant moins de 10 personnes appartiennent en toute proba- bilité au secteur informel (Banque mondiale 2011a). Cette informalité est aussi associée à une productivité plus faible que celle d’autres régions ayant atteint un stade de développement comparable. La concentration du travail dans la microentreprise reflète également la structure sectorielle de la région, où l’emploi réside principalement dans les services peu productifs. La plupart de ces services relèvent probablement de l’économie de subsistance plutôt que d’un dynamique secteur informel. Dans la figure 1.6, qui illustre la répartition sectorielle de l’emploi, les secteurs écono- miques sont classés de manière approximative en fonction de leur part dans l’emploi formel. Le secteur privé est principalement source de petits métiers, souvent dans des activités de services peu productives. En Égypte, en Cisjordanie et à Gaza, quelque 40 % des emplois proviennent de ces filières. À titre d’exemple, la taille moyenne des entreprises dans le commerce de détail est inférieure à 2 % dans l’ensemble des pays, et varie de 1,2 % en Tunisie à 1,9 % en Égypte. En outre, une enquête sur la population active réalisée en Égypte (Enquête par panel sur le marché du travail égyptien) a montré que 70 % de l’emploi dans le commerce de détail est de nature informelle, c’est-à-dire sans contrat formel Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 19 Figure 1.5 Part de l’emploi, par taille d’entreprises 60 40 Pourcentage 20 Turquie 0 Tunisie Jordanie cro Cisjordanie et Gaza Mi s tite Pe es Rép. arabe d’Égypte nn ye es Mo nd Gra Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Le graphique illustre la part de l’emploi par taille d’entreprises selon la classification suivante : micro- entreprises : moins de cinq employés ; petites entreprises : de 5 à 9 employés ; moyennes entreprises : de 10 à 99 employés ; grandes entreprises : plus de 100 employés. Période couverte par pays : Turquie (2006) ; Tunisie (1996–2010) ; Jordanie (2006) ; Égypte (2006) ; Palestine (2004, 2007, 2012). Les parts de l’emploi en Tunisie sont basées sur des données concernant les entreprises et sur des données d’immatriculation pour les autres pays. Le Liban n’est pas inclus, les données de recensement étant limitées aux entreprises ayant une identité fiscale. Figure 1.6 Répartition de l’emploi entre les secteurs, hors agriculture Rép. arabe d’Égypte Cisjordanie et Gaza Jordanie Turquie Liban Tunisie 0 20 40 60 80 100 Pourcentage Industries extractives Transformation Bâtiment et services d’utilité publique Autres services Automobiles, commerce et réparation Hôtels et restaurants Services personnels Commerce de détail Source : Calculs fondés sur des données de recensement. 20 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ou couverture sociale (Banque mondiale 2014a). Le commerce de détail, les services personnels, l’hôtellerie et la restauration représentent toujours 28 % en Jordanie. Au Liban et en Tunisie, les services aux entreprises (qui sont inclus dans les autres services) sont la principale source d’emplois. En moyenne, les sociétés spécialisées dans les services aux entreprises sont de taille à peine plus importante que celle des entreprises de détail dans tous les pays de la région. La concentration de l’emploi dans les petites et microentreprises a légère- ment diminué durant les dernières années bien que dans certains pays, elle reste supérieure aux niveaux de la fin des années 90. La part de l’emploi dans les grandes et moyennes entreprises s’est légèrement accrue dans les pays impor- tateurs de pétrole à revenu intermédiaire (sauf en Égypte) entre 2005 et 2012, mais bien plus lentement qu’en Turquie. Comme l’illustre la figure 1.7, cette proportion a augmenté de près de 10 % en Turquie vers la fin des années 2000, mais de moins de 5 % dans les pays de la région MENA. En Égypte et en Tunisie, la part de l’emploi dans les grandes sociétés a décliné sur un horizon temporel plus long, témoignant d’une stagnation de l’emploi dans le secteur formel avant le déclenchement de la crise récente. La figure 1.7 montre qu’en Égypte, l’emploi a fléchi de sept points de pourcentage (de 23 % à 16 %) entre 1996 et 2006. En revanche, la prédominance des petits métiers dans les microentreprises de moins de 10 employés s’est renforcée au fil du temps (de 62 % en 1996 à 72 % en 2006)9. Figure 1.7 Évolution de la part de l’emploi dans les moyennes et grandes entreprises, en pourcentage Turquie, 2005–2010 Liban, 2005–2010 Cisjordanie et Gaza, 2004–2012 Jordanie, 2006–2011 Tunisie, 1996–2010 Rép. arabe d’Égypte, 1996–2006 –10 –5 0 5 10 Pourcentage Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Sont considérées comme moyennes et grandes entreprises les sociétés immatriculées employant plus de 10 personnes. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 21 La croissance de l’emploi est restée modeste dans la plupart des entreprises de la région MENA ; quelques entreprises connaissant un essor rapide sont à l’origine d’une forte proportion des créations d’emplois Les petites entreprises ne se sont pas développées. Les microentreprises de moins de 10 employés ne sont quasiment jamais passées à la catégorie de taille supérieure. Ce constat est illustré par le cas de la Tunisie dans le tableau 1.1 qui résume la probabilité d’une transition — ou de la sortie — des entreprises d’une catégorie de taille à l’autre pendant la période 2007-2011. Ainsi, sur l’ensemble des entreprises à une personne que comptait la Tunisie en 2007, 22 % avaient disparu en 2011, 76 % ne s’étaient pas développées et seulement 2 % d’entre elles avaient recruté au moins un employé. Le tableau 1.1 montre que les microentreprises ayant un effectif de moins de 10 personnes n’évoluent quasi- ment jamais avec le temps. Il indique surtout que la probabilité d’une augmen- tation des effectifs des microentreprises non agricoles au-delà de 10 salariés sur une période de quatre à cinq ans est de 2 % en Cisjordanie et à Gaza (6 % pour la seule Cisjordanie), 3 % en Tunisie et 12 % au Liban. C’est un constat saisissant et conforme à des conclusions de la Banque mondiale (2014a) qui avait établi que la plupart des microentreprises de la région MENA étaient informelles et que leurs chances d’intégrer le secteur formel étaient extrêmement faibles. Pour les entreprises manufacturières de taille moyenne, la probabilité de devenir une grande entreprise sous quatre ans est faible dans tous les pays de la région. Comme le montre la figure 1.8 (panneau de droite), pour des entreprises de 20 à 49 employés, cette probabilité s’établit à 13,5 % en Turquie, 11,9 % en Égypte et au Maroc, 10,7 % en Cisjordanie et à Gaza, et 9,8 % en Jordanie. Quelques entreprises à croissance rapide, que l’on appelle les « gazelles », sont à l’origine d’une grosse part des créations d’emplois dans la région. Les gazelles sont des entreprises qui ont doublé leur effectif sur quatre ans10. L’analyse porte uniquement sur les entreprises qui employaient plus de TableAU 1.1 Matrice de transition de l’emploi En pourcentage Tunisie Transitions 2007–2011 Situation en 2011 Situation Cessations Entreprises Grandes en 2007 d’activité unipersonnelles Microentreprises PME entreprises Unipersonnelles 22 76 2 0 0 Microentreprises 9 21 67 3 0 PME 6 11 16 64 4 Grandes 6 11 3 15 65 entreprises Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Microentreprises  : 2–9 employés  ; PME  : 10–99 employés  ; Grandes entreprises  : ≥100 employés. Les caractères gras désignent une stagnation (pas de développement des effectifs), les rouges des suppressions (d’emplois ou d’entreprises) et les oranges une expan- sion (croissance de l’emploi). 22 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.8 Transition en termes d’emplois, par taille d’entreprises a. Entreprises de 2 à 9 employés (tous secteurs) b. Entreprises de 20 à 49 employés (secteur manufacturier) 100 14 80 13 12 Pourcentage Pourcentage 60 11 40 10 20 9 0 8 Liban, Tunisie, Cisjordanie Turquie, Rép. arabe Maroc, Cisjordanie Jordanie, 2005–2010 2007–2011 et Gaza, 2006–2010 d’Égypte, 1996-2006 et Gaza, 2006–2011 2007–2011 2007–2011 2007–2012 Augmentation Maintien de Suppression d’emplois de l’effectif >10 l’effectif (2–9) ou fermeture (<2) Probabilité de croissance à >50 employés Source : Calculs fondés sur des données de recensement d’entreprises. Note : En raison de limites inhérentes aux données, la probabilité de transition pour la Jordanie concerne les seuls opérateurs en place, à l’exclusion des nouvelles entreprises et des cessations d’activité. 10 personnes durant l’année de référence11. La figure 1.9 indique la prévalence des gazelles dans les pays de la région, les États-Unis d’Amérique et la Turquie. Pour la région MENA, c’est le Liban qui abrite la plus forte proportion de gazelles (5,6 %), la Tunisie et la Turquie suivant de près, tandis que la Jordanie enregistre la plus faible proportion (1,4 %). Ces entreprises représentent toute- fois une grosse part de la croissance de l’emploi dans la région. La figure 1.10 illustre la part respective des gazelles et des autres entreprises, les premières représentant environ 64 % et 42 % de la création nette d’emplois en Jordanie et en Tunisie respectivement. A contrario, la création d’emplois en Turquie était davantage répartie sur l’ensemble des entreprises, la part revenant aux gazelles étant de 15 % seulement. Au Maroc, ces entreprises sont à l’origine de toutes les créations nettes d’emplois dans le secteur manufacturier, compensant ainsi les suppressions d’emplois dans toutes les autres entreprises de fabrication du secteur formel. En Égypte, la création nette d’emplois dans les industries de transformation a été négative entre 2007 et 2011, reflétant les nombreuses suppressions d’emplois dans les entreprises à croissance faible ou nulle, tandis qu’en Jordanie, ce chiffre est positif dans la mesure où ces entreprises ont créé davantage d’emplois (60 %) que les gazelles (40 %). Les moteurs de la création d’emplois : ce sont les entreprises jeunes et les entreprises productives qui créent le plus d’emplois Comme on l’a vu dans la section précédente, la région MENA a affiché des résultats médiocres sur le plan de l’emploi et de la productivité globale au cours des vingt dernières années. Par ailleurs, la plupart des travailleurs sont employés Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 23 Figure 1.9 Incidence des gazelles dans tous les secteurs et le secteur manufacturier a. Tous les secteurs b. Secteur manufacturier 7 7 6 6 5 5 Pourcentage Pourcentage 4 4 3 3 2 2 1 1 0 0 011 012 201 0 011 0 201 4–20 08 011 201 1 006 06 –2 07 –2 5– 06 –2 5– 0 06–2 7– 03–2 , 20 , 20 e, 200 , 20 200 ,2 0 , 20 200 , 20 dan ie za qui isie an, nis dan ie ypt e, roc Jor e t Ga Tur Tun Lib ts-U Jor ’Ég Ma nie Éta d ord a abe Cisj . ar Rép Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Par gazelles, on entend les entreprises qui employaient au moins 10 personnes durant l’année de référence et qui ont doublé leur effectif sur quatre ans. Les données pour la Turquie concernent uniquement les entreprises ayant un effectif minimum de 20 employés. Figure 1.10 Part des gazelles et des autres entreprises dans la création d’emplois pour l’ensemble des secteurs et le secteur manufacturier a. Tous les secteurs b. Secteur manufacturier 200 150 100 150 50 100 0 Pourcentage Pourcentage 50 –50 –100 0 –150 –50 –200 –100 –250 1 1 0 8 6 te, 011 201 201 201 200 200 gyp –2 6– 6– 5– 4– 3– d’É –2011 6 , 200 200 200 200 200 e ab 7 20 0 isie ie, qui e, nis , roc , . ar 200 ie, Tun dan Tur ts-U Ma Rép dan Jor Éta J o r Gazelles Autres entreprises Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Par gazelles, on entend les entreprises qui employaient au moins 10 personnes durant l’année de référence et qui ont doublé leur effectif sur quatre ans. Les données pour la Turquie concernent uniquement les entreprises ayant un effectif minimum de 20 employés. 24 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord dans de petits métiers peu productifs. Il est important de comprendre les facteurs à l’origine de cette faible performance au niveau microéconomique. La présente section vise à clarifier la situation en répondant aux questions suivantes : quels types d’entreprises sont à l’origine de la création d’emplois dans les pays de la région ? Ces facteurs déterminants à l’échelle microéconomique sont-ils diffé- rents de ceux qui prévalent dans des pays (à croissance rapide) d’autres régions ? L’analyse des données de recensements d’entreprises démontre que ce sont les jeunes entreprises et les entreprises plus productives qui créent le plus d’emplois dans la région MENA, tout comme dans les pays à croissance rapide et les pays à revenu élevé Dans d’autres régions, tout porte à croire que ce sont les entreprises les plus jeunes et les plus productives qui créent davantage d’emplois. L’âge, la taille et la productivité sont des facteurs déterminants de la croissance de l’emploi au sein des entreprises. Il est essentiel de comprendre l’importance relative de ces différents facteurs pour déterminer la combinaison de politiques suscep- tibles de stimuler la croissance du secteur privé. Des études de plus en plus nombreuses sont consacrées à ces questions (encadré 1.2). Ainsi, Haltiwanger, Jarmin et Miranda (2010) ont constaté qu’aux États-Unis, la croissance nette de l’emploi est corrélée à l’âge des entreprises et non à leur taille. Les études publiées montrent en outre que la productivité est une caractéristique impor- tante de la croissance de l’entreprise dans les pays en développement (voir par exemple Berman et Machin 2004 ; Vivarelli 2012). D’autres études soulignent l’importance de l’expansion des entreprises au cours de leur durée d’existence ; selon Hsieh et Klenow (2012), les entreprises américaines augmentent leur taille (nombre de salariés) et leur productivité par un facteur de 8 durant leur période d’existence (dans les 35 premières années). Par comparaison, les entre- prises mexicaines doublent leur effectif et les entreprises indiennes ne recrutent pas davantage pendant la même période (en revanche, toutes deux doublent presque leur productivité). Les caractéristiques de la croissance de l’emploi sont-elles différentes dans les pays de la région MENA ? Dans la région MENA, les jeunes entreprises sont au premier plan de la création d’emplois. Ce sont les très petites startups qui créent le plus d’emplois. Ces constats sont illustrés à la figure 1.11, où la création d’emplois est présentée en fonction de la taille et de l’âge de l’entreprise en Tunisie et au Liban. Dans ces deux pays, presque tous les nouveaux emplois proviennent de jeunes entre- prises en début d’activité, c’est-à-dire dans les quatre premières années suivant leur établissement. Dans ces deux pays, ce sont principalement les très petites startups d’un à quatre employés qui recrutent le plus. À titre d’exemple, elles étaient à l’origine d’environ 66 000 emplois au Liban entre 2005 et 2010, soit 177 % de la création nette d’emplois. La seconde place (12 000 emplois) revient aux nouvelles entreprises de grande taille ayant un effectif de 200 à 999 salariés, soit 92 % de la création nette d’emplois. La performance globale masque toutefois d’importantes disparités dans les caractéristiques sectorielles de la création d’emplois dans les différents pays. Dans tous les pays de la région MENA pour lesquels des données sont Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 25 encadré 1.2 Qui crée le plus d’emplois ? Les jeunes entreprises sont un moteur de leur effectif, tandis que les entreprises indiennes création d’emplois. Il existe une littérature ne recrutent pas davantage d’employés durant abondante et toujours plus importante ratta- la même période (dans ces deux pays, elles chant la croissance de l’emploi à la dynamique doublent globalement leur productivité) a. Là des entreprises. Les études concluent générale- encore, cette étude souligne l’importance de ment que les entreprises les plus jeunes et les l’âge des entreprises, un facteur déterminant de plus petites présentent des taux de croissance leur potentiel de création d’emplois. de l’emploi plus élevés que les grandes sociétés Dans le bassin de jeunes entreprises, établies de longue date (par exemple Mansfield quelques sociétés en expansion rapide semblent 1962 ; Hall 1987 ; Hart et Oulton 1996 ; être à l’origine de la plupart des nouveaux Ayyagari, Demirguc-Kunt et Maksimovic emplois créés dans les pays à revenu élevé. 2011). De même, Davidson et Delmar (2006) Un nouveau courant d’études rattachant la montrent que pour l’essentiel, les entreprises croissance de l’emploi à la dynamique des jeunes et de petite taille ont une croissance entreprises avance que quelques entreprises organique, tandis que dans les grandes socié- en développement rapide, souvent appelées tés déjà anciennes, la croissance de l’emploi les gazelles, sont le principal moteur de la fait principalement suite à des acquisitions. création d’emplois (par exemple Bottazzi et Apportant leur écho au débat sur la taille des Secchi 2007). En d’autres termes, une poignée entreprises et la création d’emplois, Hsieh et d’entreprises connaît une période de croissance Olken (2014) montrent que les grandes entre- accélérée de l’emploi, tandis que la plupart des prises ont une moyenne plus élevée de produits autres sociétés se développent à peine. Selon du capital et du travail, suggérant que c’est des études empiriques réalisées dans différents la croissance des grandes entreprises qui est pays développés, 5 à 10 % des entreprises sont à entravée, et non celle des petites. Haltiwanger, l’origine de 50 à 80 % de l’ensemble des créations Jarmin et Miranda (2010) modulent ces constats d’emplois (par exemple, Acs, Parsons et Tracy en soulignant que la croissance nette de l’emploi 2008 ; Coad et Hoelzl 2010). Ces entreprises est associée à l’âge des entreprises et non à leur en plein essor existent dans tous les secteurs taille aux États-Unis, ce qui implique que les d’activité ; elles sont généralement jeunes, plus jeunes entreprises, start-ups en tête, sont le innovantes et prennent davantage de risques moteur de la création d’emplois. Comme elles (Bars et al. 2006 ; Goedhuys et Sleuwaegen sont généralement de petite taille, les données 2009 ; Henrekson et Johansson 2010). révèlent aussi une corrélation positive simple La plupart des études microéconomiques entre la taille de l’entreprise et la croissance constatent une relation positive entre la produc- nette de l’emploi. Par ailleurs, Hsieh et Klenow tivité et la création d’emplois (van Reenen (2012) corroborent l’importance de la crois- 1997 ; Blanchflower et Burgess 1998 ; Piva et sance en fonction de l’âge des entreprises. Ces Vivarelli 2004 ; Coad et Hoelzl 2010 ; Vivarelli auteurs montrent que les entreprises améri- 2012). De ce point de vue, il est utile de faire la caines augmentent leur effectif et leur produc- distinction entre l’innovation dans les produits tivité par un facteur de huit au cours de leur et dans les procédés. On constate générale- existence (sur leurs 35 premières années). À ment que l’innovation dans les produits accroît l’inverse, les entreprises mexicaines doublent la demande de main-d’œuvre et donc l’emploi 26 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord encadré 1.2  Suite au niveau de l’entreprise. L’innovation dans main-d’œuvre spécialisée, une tendance les procédés est rattachée à une croissance de appelée « évolution technologique favorisant la productivité qui, a contrario, pourrait venir les qualifications » dans les études publiées (par compenser la main-d’œuvre. De fait, les conclu- exemple, Berman et Machin 2004). Pour Conte sions concernant l’innovation dans les procédés et Vivarelli (2010), Hanson et Harrison (1999) sont moins marquées et pointent même parfois et Fuentes et Gilchrist (2005), cette évolution vers des suppressions d’emplois, surtout à court technologique importée favorisant les quali- terme (par exemple, Hall, Lotti et Mairesse fications est un important déterminant de la 2008 ; Harrison et al. 2008). récente augmentation de la demande relative Dans les pays en développement, les études de main-d’œuvre spécialisée dans les pays en suggèrent que l’adoption de technologies étran- développement. gères augmente la demande de main-d’œuvre, Ces constats mettent donc en évidence une notamment spécialisée. Dans ces pays, l’inno- relation positive entre la productivité et l’emploi vation dans les produits et les procédés prend dans les pays en développement. L’innovation, respectivement la forme d’une diversification qui prend la forme d’une diversification dans de dans de nouveaux produits et de l’adoption de nouveaux produits ou de l’adoption de techno- technologies (ou de structures organisation- logies étrangères par les pays en développement, nelles) étrangères. Dans les deux cas, on aboutit a elle aussi pour effet d’accroître la demande à une poussée de la demande de main-d’œuvre. de main-d’œuvre, ce qui aboutit à une relation L’adoption de technologies étrangères a positive entre productivité et croissance de aussi pour effet d’accroître la demande de l’emploi dans ces pays. Note : a. Le fait que les établissements anciens d’Inde et du Mexique soient de petite taille n’a probablement pas d’incidence notable sur les résultats d’ensemble si seulement quelques-uns de ces établissements survivent. Les auteurs montrent cependant que les taux de cessa- tion d’activité dans ces deux pays ne sont généralement pas plus élevés qu’aux États-Unis. Figure 1.11 Création nette d’emplois, par taille et par âge des entreprises a. Tunisie, 1996–2010 b. Liban, 2005–2010 500 000 60 000 400 000 50 000 Création nette d’emplois Création nette d’emplois 40 000 300 000 30 000 200 000 20 000 100 000 10 000 0 0 20 20– –100 000 10– –29 –100 000 10– 29 0– 14 0– 14 1–4 1–4 5–9 5–9 4 4 9 9 9 9 9 10–1 9 10–1 20–4 20–4 199 199 50–9 999 50–9 e e 999 00 00 Âg Âg 100– ≥1 0 100– ≥1 0 200– 200– Taille Taille Emplois créés Suppressions d’emplois Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 27 disponibles, la création d’emplois est portée par le commerce de détail, les services aux entreprises et aux personnes et les services communautaires. Selon la Banque mondiale (2011a), les créations d’emplois dans les microentre- prises de ces secteurs relèvent souvent de l’économie informelle qui est moins productive dans la région MENA que dans d’autres pays en développement. Il ressort notamment du tableau 1.2 que nombre des nouveaux emplois dans des microentreprises concernent le commerce de détail et les services personnels, des filières où les entreprises informelles prédominent, avec en moyenne moins d’un employé. En Égypte, ces deux filières ont respectivement généré plus de 700 000 et 400 000 emplois entre 1996 et 2006, soit plus de 80 % de la création nette d’emplois. Les données livrées par l’Enquête par panel sur le marché du travail égyptien révèlent une persistance de cette tendance entre 2006 et 2012. Certains secteurs très productifs tels que l’immobilier, la finance, le tourisme, les TIC et la fabrication ont également contribué à la création d’emplois. En Jordanie, l’immobilier, la finance, la production chimique et pharmaceutique et le secteur alimentaire — des secteurs potentiellement très productifs — repré- sentaient 28 % de la création nette d’emplois entre 2006 et 2011, contreba- lançant ainsi légèrement les tendances de l’emploi dans le secteur informel (tableau 1.2). En Tunisie, 46 % de la création nette d’emplois entre 2006 et 2012 étaient concentrés dans l’immobilier, les services de transport, la fabrica- tion de biens d’équipement électrique (principalement câbles et interrupteurs), les produits alimentaires et les véhicules de transport. La Turquie présente un tableau sectoriel différent, 77 % de la croissance de l’emploi entre 2005 et 2010 concernant l’immobilier, les services aux entreprises, le bâtiment et la fabrication. Les TIC sont l’exemple d’un secteur émergent en plein essor, caractérisé par la constitution et l’expansion de nouvelles entreprises dans plusieurs pays de la région MENA. Citons le cas de la société Eskadenia (Banque mondiale 2009), créée par un couple jordanien qui a travaillé pour Ericsson en Chine, à Dubaï, au Liban et en Suède avant de décider de rentrer en Jordanie en 2000 pour lancer leur entreprise de logiciels qui est devenue l’une des plus grosses et des plus dynamiques du Moyen-Orient. Leur réseau de contacts internationaux établi TableAU 1.2 Secteurs ayant les plus forts taux de croissance de l’emploi dans différents pays République arabe d’Égypte Cisjordanie et Gaza Jordanie Tunisie Turquie 1996–2006 2004–2012 2006–2011 1996–2012 2005–2010 ∆ Emplois ∆ Emplois ∆ Emplois ∆ Emplois ∆ Emplois Secteur (%) Secteur (%) Secteur (%) Secteur (%) Secteur (%) Commerce 39 Commerce 26 Commerce 18 Immobilier, services 16 Immobilier, services 37 de détail de détail de détail aux entreprises aux entreprises Services aux 17 Services 9 Hôtellerie et 18 Biens d’équipement 12 Bâtiment 25 entreprises personnels restauration électrique Autres activités 12 Hôtellerie et 7 Santé, social 17 Commerce 12 Autres activités de 15 de restauration de détail transformation transformation Hôtellerie et 9 Services aux 7 Éducation 13 Transports 10 Hôtellerie et 10 restauration entreprises restauration Services 6 Finance 6 Services aux 12 Textiles 9 Aliments et 6 personnels entreprises boissons Source : Calculs fondés sur des données de recensement. 28 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sur 30 ans d’expérience à l’étranger leur a permis de s’implanter rapidement sur les marchés étrangers. Ne pouvant obtenir de capitaux d’amorçage en raison des fortes cautions exigées par les banques, les partenaires ont autofinancé la consti- tution de leur start-up. En 2008, Eskadenia employait une centaine d’ingénieurs et exportait 80 % de sa production vers des pays du Moyen-Orient, d’Europe de l’Est et d’Afrique du Nord. Même en tenant compte de l’hétérogénéité sectorielle, les jeunes entreprises demeurent le moteur de la création d’emplois dans les pays de la région MENA. Nous adoptons la méthode employée par Haltiwanger, Jarmin et Miranda (2010) aux États-Unis pour déterminer, après avoir tenu compte des effets sectoriels, si les jeunes entreprises créent davantage d’emplois, quelle que soit leur taille. La figure 1.12 présente le taux de création nette d’emplois par catégorie de taille d’entreprises. Elle montre le cœfficient estimé par régression de la croissance de l’emploi au sein des entreprises par rapport aux différentes catégories de taille d’entreprises (compte tenu des variables accessoires relatives au secteur et à l’année). Les lignes bleues pointillées montrent l’impact des différentes catégories de taille d’entreprises sur la croissance de l’emploi si l’on omet la répartition conjuguée de la taille et de l’âge des entreprises12. Cette figure révèle que la majorité des emplois créés au Liban et en Tunisie sont le fait de petites entreprises13. Toutefois, les résultats changent de façon spectaculaire si l’on tient compte de la distribution conjuguée de la taille et de l’âge des entreprises, ce qui montre que l’association entre la taille de l’entreprise et la croissance de Figure 1.12 Création nette d’emplois, par taille des entreprises, avant et après ajustement en fonction de l’âge des entreprises 0,10 0,05 0 –0,05 –0,10 –0,15 1 2 4 9 9 9 9 9 9 3– 5– –1 –4 –9 19 99 0– 0– 10 20 50 10 20 Taille des entreprises Tunisie, taille Liban, taille Tunisie, taille Turquie, taille + âge Liban, taille + âge Tunisie, taille + âge Note : Calculs fondés sur des données de recensement. La figure présente les résultats d’une régression pondé- rée de la création nette d’emplois, mesurée par le taux de croissance de Davis-Haltiwanger-Schuh, par rapport aux variables relatives à la taille des entreprises, après prise en compte des effets dus au secteur et à l’année. Elle trace les coefficients par rapport aux variables indicatrices représentant les différentes catégories de taille d’entreprises avant (ligne pointillée) et après (ligne pleine) ajustement en fonction de l’âge des entreprises. La catégorie exclue est celle des entreprises ayant un effectif d’au moins 1 000 employés. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 29 l’emploi est étroitement fonction de l’âge de l’entreprise. Un schéma semblable peut être observé dans les entreprises turques (seules les sociétés employant au moins 20 personnes peuvent être identifiées dans la durée). Face à ce constat, peut-on dire que ce sont systématiquement les jeunes entreprises qui créent des emplois, quelle que soit leur taille ? La figure 1.13 retrace la relation entre la création globale d’emplois et l’âge des entreprises (en tenant compte de la répartition conjuguée de la taille et de l’âge de l’entreprise). Les conclusions montrent qu’indépendamment de leur taille, ce sont les jeunes entreprises qui croissent le plus rapidement et créent le plus d’emplois, notamment pendant leurs quatre premières années d’activité. En étendant l’analyse à d’autres pays de la région MENA, la figure 1.14 illustre la croissance de l’emploi au sein des cohortes de nouvelles entreprises durant les 10 ans suivant leur entrée en exploitation. Cette figure confirme que la croissance de l’emploi est à son maximum durant les quatre à cinq premières années suivant la constitution de l’entreprise, et se stabilise par la suite. En Jordanie, les entreprises créées dans tous les secteurs d’activité non agricoles voient leur taille doubler dans les cinq ans suivant leur constitution, tandis qu’au Maroc, la taille des entreprises de transformation augmente de 1,7 fois. Les effets sont compa- rables aux taux de croissance des nouvelles entreprises du secteur manufacturier et de tous les autres secteurs durant les quatre premières années d’activité. Si les gouvernements des pays de la région souhaitent développer le secteur privé en se focalisant sur certains types d’entreprises, ils ont tout intérêt à prendre l’âge de l’entreprise comme critère de sélection. Les PME ont souvent été considérées comme la principale source de croissance de l’emploi, ce qui Figure 1.13 Création nette d’emplois, par âge des entreprises, après ajustement en fonction de la taille des entreprises 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0 –0,2 10 8 9 2 3 1 4 9 9 4 7 5 6 –1 –1 –2 10 15 20 Taille des entreprises Turquie Liban Tunisie Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : La figure illustre les résultats d’une régression pondérée de la création nette d’emplois, mesurée par le taux de croissance de Davis-Haltiwanger-Schuh, par rapport aux variables relatives à la taille et à l’âge des entreprises, après prise en compte des effets dus au secteur et à l’année. La catégorie exclue est celle des entreprises de plus de 30 ans. 30 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.14 La croissance de l’emploi culmine dans les quatre à cinq années suivant la création de l’entreprise 2,5 Emploi, index = 1 pour les entreprises d’âge 0 2,0 1,5 1,0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Années suivant la création Maroc (secteur manufacturier), 2000 Turquie, 2006 Turquie, 2006 Jordanie, 2006 Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : L’emploi est normalisé à 1 pour l’année de création (âge égal à 0). a) Pour le Maroc (secteur manufacturier), les entreprises ont un effectif de plus de 10 employés ; pour la Turquie (secteur manufacturier) et la Tunisie, l’effectif des entreprises est supérieur à 20 personnes. explique les nombreux programmes de soutien et d’accès au financement mis en place dans le passé au profit des petites entreprises des pays en développement. Les éléments réunis dans les pays de la région MENA mettent cependant en évidence le rôle capital de l’âge des entreprises plutôt que de leur taille, à savoir que ce sont les jeunes entreprises qui se révèlent être le moteur de la création d’emplois. Il y a donc matière à améliorer les programmes d’aide aux PME de ces pays, en les réorientant vers les startups et les entrepreneurs potentiels. La croissance moyenne de l’emploi durant la période d’existence des entre- prises est relativement faible dans la région MENA. Suivant la méthode utilisée par Hsieh et Klenow (2012), l’analyse montre la relation entre l’emploi et l’âge de création chez les entreprises qui ont survécu au regard des données transversales de recensement (figure 1.15)14. Le nombre pondéré moyen d’employés pour la cohorte la plus jeune (0-4 ans après l’entrée en activité) est normalisé à un. À la différence des résultats de Hsieh et Klenow (2012), les données permettent d’illustrer cette relation entre les entreprises privées de tous les secteurs d’acti- vité économique (non agricole), plutôt que pour le seul secteur manufacturier. La figure 1.15 montre qu’après 25 ans d’exploitation, les entreprises survivantes avaient grosso modo doublé leur effectif en République arabe d’Égypte, en Jordanie, en Tunisie et en Turquie, avec une croissance toujours plus forte dans les cohortes de jeunes entreprises. Par la suite, l’emploi au sein des cohortes d’entreprises les plus âgées (fondées avant 1980) était en recul en Égypte, mais en augmentation dans les autres pays, principalement en Turquie. Pour tous les pays de la région MENA, la relation entre l’emploi et l’âge de l’entreprise atteint son plus haut niveau dans le secteur manufacturier où l’on compte également la plus forte proportion d’entreprises formelles (figure D.1 de l’annexe D). Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 31 Figure 1.15 Croissance de l’emploi durant le cycle de vie de l’entreprise, tous secteurs confondus hors agriculture 12 Emploi, index = 1 pour les entreprises d’âge 0–4 10 8 6 4 2 0 0–4 5–9 10–14 15–19 20–24 25–29 30–34 35–39 ≥40 Groupe d’âge Tunisie Jordanie Turquie Rép. arabe d’Égypte Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : La figure illustre le nombre moyen d’employés pour les différentes cohortes d’âge pour toutes les sociétés privées immatriculées, hors agriculture (pondéré par la part de l’emploi des secteurs à quatre chiffres, selon la méthode de Hsieh et Klenow 2012). Le nombre moyen d’employés dans chaque cohorte d’âge a été normalisé à 1 pour la catégorie des entreprises les plus jeunes (0 à 4 ans). L’analyse repose sur des données de recense- ments réalisés en 2006 en Turquie et en République arabe d’Égypte, en 2012 pour la Tunisie et en 2011 pour la Jordanie. Les résultats concernant la Jordanie et la Tunisie sont semblables pour les autres années, à savoir 2006, 2010 ou 2012. Les entreprises les plus productives créent davantage d’emplois. Indépendamment de l’âge, la productivité ressort comme un facteur détermi- nant de la croissance de l’emploi dans les pays à revenu intermédiaire et à revenu élevé à croissance rapide. Nous avons établi que c’est aussi le cas dans les pays de la région MENA. Le tableau 1.3 résume les résultats des régressions des taux de création d’emplois sur les niveaux de productivité pour la période de référence (log), après avoir pris en compte les variables accessoires relatives à la taille, à l’âge et aux secteurs d’activité au niveau de la classification à deux chiffres15. Si l’on prend la valeur ajoutée par travailleur (log) comme mesure de productivité, on constate que les entreprises ayant une forte productivité du travail sont celles où la croissance de l’emploi sera la plus élevée16. Ce résultat vient aussi partiel- lement confirmer les destructions créatrices dans les pays de la région MENA, dans la mesure où les entreprises à forte productivité créent davantage d’emplois. Dans le droit-fil de l’analyse qui précède, les gazelles (entreprises à forte expansion) sont plus productives et plus jeunes que les autres entreprises de la région. À la figure 1.16, le panneau de gauche affiche les résultats des régres- sions de la productivité du travail (log) et de l’âge sur une variable indicatrice égale à un pour les gazelles. S’agissant du Liban et de l’Égypte, les deux pays pour lesquels des données sont disponibles, les gazelles sont nettement plus productives que les autres entreprises. De plus, les premières sont plus jeunes de 4,7 et 5,6 ans respectivement que les autres entreprises de ces deux pays. 32 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord TableAU 1.3 Les entreprises productives créent davantage d’emplois République arabe République arabe Liban Tunisie Turquie Cisjordanie et Gaza d’Égypte d’Égypte 2005–2010 1997–2012 2005–2010 2004–2012 2007–2011 2007–2011   (tous secteurs) (tous secteurs) (tous secteurs, 20+) (tous secteurs) (Fabrication 10+) (Fabrication 10+) Productivité du travail 0,039*** 0,029*** 0,007*** 0,022 0,007 Productivité totale 0,019*** des facteurs Ajustement en fonction de la taille et de l’âge des entreprises Oui Oui Oui Oui Oui Oui Nombre d’observations 141 061 129 516 176 665 3 075 7 925 7 988 R2 0,40 0,34 0,03 0,41 0,10 0,09 Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : La variable dépendante est le taux de croissance de Davis-Haltiwanger-Schuh. Les régressions sont pondérées par la taille moyenne des entre- prises par rapport à la période de croissance. La croissance de l’emploi est mesurée annuellement, et la productivité est mesurée au début de la période. Pour l’Égypte, les données comprennent les établissements manufacturiers et miniers ayant un effectif d’au moins 10 personnes ; pour la Turquie sont considérées les entreprises d’au moins 20 employés dans tous les secteurs d’activité. La productivité du travail est importante en Égypte, au niveau de 1 %, lorsque le taux de création d’emplois mesuré sur la période de quatre ans (2007–2011) est calculé par régression par rapport à la productivité initiale du travail en 2007. Seuil de signification : *** = 1 %. Figure 1.16 Caractéristiques des gazelles en République arabe d’Égypte, au Liban et au Maroc a. Productivité du travail et âge des entreprises en République arabe d’Égypte et au Liban Pays Productivité du travail (log) Âge Rép. arabe d’Égypte, 0,880*** –5,619** 2007–2011 Liban, 2005–2010 0,261*** –4,723*** **p < 0,05. ***p < 0,01. b. Les gazelles au Maroc, 2003–2006 12 10 Pourcentage d’entreprises 8 6 4 2 0 0–1 2–4 5–9 10–14 15–19 20–29 >29 Âge de l’entreprise (année) Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Par gazelles, on entend les entreprises qui employaient au moins 10 personnes durant l’année de référence et qui ont doublé leur effectif sur quatre ans. Les données pour la Turquie concernent uniquement les entreprises ayant un effectif minimum de 20 employés. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 33 Le panneau de droite de la figure 1.16 montre qu’au Maroc, les jeunes entre- prises de transformation sont des gazelles plutôt que des sociétés plus anciennes ; environ 34 % des gazelles ont quatre ans tout au plus, et environ 55 % d’entre elles ont moins de 10 ans. On constate également que des gazelles apparaissent dans tous les secteurs d’activité. En Tunisie par exemple, c’est dans les textiles, le bâtiment et l’immobilier qu’elles sont les plus nombreuses. En Jordanie, elles sont très présentes dans le secteur de la construction. Malgré tout, on trouve aussi des gazelles dans la plupart des autres filières de transformation ou dans le secteur des services des deux pays. La région MENA a besoin d’un plus important vivier d’entreprises jeunes et productives Comme l’a montré la section précédente, la création d’emplois est insuffisante dans les pays de la région MENA, mais les moteurs de la création d’emplois y sont les mêmes que dans les pays à croissance rapide et les pays à revenu élevé, à savoir que les entreprises les plus jeunes et les entreprises les plus produc- tives sont celles qui créent le plus d’emplois. Compte tenu de cette similitude des moteurs de l’emploi dans le secteur privé, pourquoi la création d’emplois a-t-elle été à ce point déficiente ? Dans les pays de la région MENA, le faible taux de rotation des entreprises (entrées et sorties des entreprises) et la croissance insuffisante de la productivité limitent le bassin d’entreprises jeunes et productives Les pays non membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) affichent les plus faibles taux de création d’entreprises formelles, ce qui limite le vivier de jeunes entreprises susceptibles de croître et de créer des emplois. Les pays de la région MENA comptent parmi ceux qui ont la plus faible densité de création d’entreprises, toutes régions confondues (figure 1.17, panneau de gauche). Par densité de création d’entreprises, on entend le nombre d’immatriculations de nouvelles sociétés à responsabilité limitée (SARL) pour 1 000 personnes en âge de travailler, ratio qui traduit donc l’entrée d’entreprises spécifiques dans le secteur formel. Dans les pays membres du CCG, ce ratio est plus élevé que dans les pays de la région MENA non membres du Conseil, mais reste relativement faible en comparaison des normes internationales. En outre, il a légèrement reculé entre 2004 et 2012. La densité de création d’entreprises est particulièrement faible en Algérie, en Iraq, en Égypte et en Syrie, avec moins de 0,5 nouvelle immatriculation de SARL pour 1 000 personnes en âge de travailler. Parmi les pays de la région, Oman avait le plus fort taux de création de SARL par habitant (figure 1.17, panneau de droite) entre 2009 et 2012. La densité de création d’entreprises y était cependant inférieure à la moyenne des 91 pays en développement (hors sociétés financières offshore) pour lesquels des données sont disponibles. Dans les pays non membres du CCG, les taux de création d’entreprises formelles par habitant étaient les plus élevés en Tunisie et au Maroc, et les plus faibles en Algérie, en Iraq, en Égypte et en Syrie. Les créations d’entreprises dans de 34 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.17 Densité de création de sociétés à responsabilité limitée dans le secteur formel selon les régions et les pays, 2004–2012 a. Régions 6 Nombre d’immatriculations de nouvelles sociétés à responsabilité limitée pour 1 000 personnes 5 4 en âge de travailler 3 2 1 0 OCDE ECA LAC CCG SSA EAP SAR MENA, hors CCG 2004–2006 2007–2009 2010–2012 b. Pays Nombre d’immatriculations de nouvelles sociétés à responsabilité 4,0 limitée pour 1 000 personnes en âge de travailler 3,5 3,0 Moyenne des 123 pays 2,5 2,0 Moyenne des 91 pays non membres de l’OCDE 1,5 1,0 0,5 0 rie Cro li e sil Me na Jor ue Th nie Alg e p. d’ q syr e ne e Co an Tu e Tu ie ie roc Sri e a ati d be ypt rbi bi éri nk i Ré be Ira nis rqu Ch Bré xiq an a ien Om lga Ma lom da La Gh Se ara Ég aïl Bu ara p. Ré Pays entrant dans l’étude Pays de la région MENA Source : Calculs, et Klapper et Love (2010). Note : La moyenne des 123 pays (91 pays non membres de l’OCDE) représente la densité moyenne de création d’entreprises dans tous les pays pour lesquels des données sont disponibles (hors sociétés financières offshore). nombreux pays à croissance rapide tels que la Serbie, le Brésil, la Croatie, le Chili et la Bulgarie sont deux à huit fois plus nombreuses qu’au Maroc et en Tunisie (où ces taux sont les plus élevés de tous les pays non membres du CCG dans la région MENA). Les taux de rotation des entreprises (taux d’entrées et de sorties des entre- prises) sont faibles dans les pays de la région MENA par rapport aux normes internationales. Un taux élevé de création d’entreprises galvanise l’expéri- mentation, mais augmente parallèlement la probabilité de faillites d’entre- prises marginales. Dès lors, on pourrait penser que les données témoignent d’une corrélation positive entre les taux de création et les taux de fermeture Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 35 Figure 1.18 Taux de rotation des entreprises dans différents pays 14 13 Taux de création d’entreprises (%) 12 Turquie (serv.) Hongrie (tous) 11 Colombie (man.) Russie (man.) 10 Tunisie (serv.) Turquie (man.) 9 Liban (serv.) 8 Tunisie (man.) 7 Maroc (man.) Liban (man.) 6 2 4 6 8 10 12 14 16 Taux de cessation d’activité (%) Pays hors région MENA MENA-secteur manufacturier MENA-services Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Les créations (fermetures) en Turquie impliquent que l’effectif de l’entreprise dépasse (chute en deçà de) 20 employés ; au Maroc et en Colombie, le seuil se situe à 10 employés. man.= secteur manufacturier ; serv. = services. d’entreprises. La figure 1.18 illustre ces deux taux dans le secteur manufacturier et le secteur des services pour tous les pays de la région MENA et quelques pays en développement d’autres régions. Dans l’ensemble, les taux bruts sont extrêmement faibles au regard des normes internationales. Pour les entreprises de transformation par exemple, ils sont d’environ 11 % et 12 % respectivement en Colombie, soit près de deux fois plus qu’au Maroc. En outre, le taux de rotation dans le secteur des services y est encore plus élevé que dans le secteur manufacturier, ce qui atteste du réel dynamisme du secteur des services, ainsi que de la plus petite taille et de la moindre productivité des entreprises. Même après prise en compte des effets liés aux cohortes, les taux de création d’entreprises dans les pays de la région MENA restent bas par rapport à un pays de référence tel que la Turquie. Les cohortes d’entreprises créées dans le secteur manufacturier tunisien et marocain au début des années 2000 ont très bien résisté pendant les cinq années consécutives à leur constitution, d’où de faibles taux de cessation d’activité. La figure 1.19 illustre les taux de survie d’entreprises dans les pays de la région MENA et en Turquie. Indépendamment des différentes périodes couvertes par les cohortes d’entreprises nouvelles d’un pays à l’autre, il faut signaler que la notion de cessation d’activité est définie différemment au Maroc et en Tunisie. La figure 1.19 met en évidence des taux de survie beaucoup plus forts en Tunisie qu’en Cisjordanie, à Gaza et en Jordanie. En d’autres termes, moins de jeunes entreprises sont contraintes de fermer après leurs cinq premières années d’activité, ce qui indique un faible taux de rotation en Tunisie. À l’inverse, environ 60 % des entreprises turques employant plus de 20 personnes en 2006 devaient, selon les estimations, réduire leur effectif à plus bas niveau avant 2011. 36 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 1.19 Taux de survie après cinq ans d’activité 100 90 80 Pourcentage 70 60 50 40 0 1 2 3 4 5 Maroc (secteur manufacturier), 2000 Tunisie, 2002 Cisjordanie et Gaza, 2007 Jordanie, 2006 Turquie, 2006 Turquie (secteur manufacturier), 2006 Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Pour le secteur manufacturier marocain, le taux de fermeture implique que l’effectif de l’entreprise chute en deçà de 10 employés ; pour le secteur manufacturier tunisien et turc, il implique un recul à moins de 20 employés. Pour la Jordanie et la Cisjordanie et Gaza, les taux de survie n’étaient disponibles que pour la cinquième année suivant la création de l’entreprise. Les taux pour les années 1 à 4 ont été estimés selon l’hypo- thèse d’une proportion analogue de fermetures d’entreprise pour chaque année. Figure 1.20 Part des jeunes sociétés immatriculées moyennes ou grandes dans l’emploi total 60 40 Pourcentage 30 20 10 Rép. arabe d’Égypte, 2006 Tunisie, 1996–2010 Jordanie, 2006 Turquie, 2005 Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : Moyennes et grandes entreprises : effectif d’au moins 10 employés ; jeunes entreprises : créées moins de 15 ans auparavant. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 37 La faible proportion d’emplois dans des sociétés jeunes de moyenne ou grande envergure met en évidence les difficultés dues à l’insuffisance de jeunes entreprises dans la région MENA. La figure 1.20 illustre la répartition de l’emploi par taille et par âge des sociétés en Égypte, en Jordanie, en Tunisie et en Turquie. On peut constater que la part de l’emploi dans des sociétés jeunes de moyenne ou grande taille (à savoir celles employant au moins 10 personnes et créées moins de 15 ans auparavant) est la plus élevée en Turquie, bien moindre en Jordanie et en Tunisie, et très faible en Égypte. Ces constats traduisent la conjugaison d’un faible taux de création d’entreprises et d’une croissance de l’emploi globalement atone dans la plupart des jeunes entreprises et soulignent Figure 1.21 Répartition de l’emploi, par taille et âge des entreprises, dans l’ensemble des sociétés immatriculées, hors agriculture : République arabe d’Égypte et Turquie, 2006 a. Rép. arabe d’Égypte 450 400 Répartition de l’emploi (en milliers) 350 300 250 200 150 20–29 100 9 50 6 3 Âge 0 0 Les entreprises 1 9 9 9 9 9 9 0 2 4 n’enregistrent pas 5– –1 –4 –9 19 99 00 3– 0– 0– 10 20 50 ≥1 Taille 10 20 de croissance avec l’âge Insu sance d’emplois dans les jeunes entreprises moyennes et grandes b. Turquie 450 400 Répartition de l’emploi (en milliers) 350 300 250 200 20–29 150 9 100 6 50 3 Âge 0 0 Les entreprises enregistrent une 1 2 4 9 9 9 9 9 9 00 3– 5– –1 –4 –9 19 99 0 0– 0– 10 20 50 ≥1 croissance avec l’âge 10 20 Taille Source : Calculs fondés sur des données de recensement. 38 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord les graves contraintes pesant sur la création d’entreprises et la croissance des startups dans la région MENA. C’est en Égypte que la pénurie de sociétés jeunes de taille moyenne à grande est la plus marquée. La figure 1.21 présente la répartition du nombre total de salariés par catégorie de taille et d’âge des entreprises en Égypte et en Turquie en 2006. Elle montre qu’en Égypte, l’emploi est concentré dans les microentre- prises, quel que soit leur âge, et dans les quelques très grands établissements anciens, ces derniers représentant moins de 300 000 emplois sur plus de 7 millions d’emplois disponibles dans les établissements économiques égyptiens en 2006. La concentration de l’emploi dans les petites entreprises établies de longue date laisse à penser qu’à la différence de la Turquie, les petits établissements égyptiens ne se développent pas au fil du temps. Par ailleurs, il y a lieu de s’inquiéter de la forte proportion d’emplois dans les vieilles entreprises égyptiennes. Le fait qu’elles ne se développent pas peut être délibéré (afin de ne pas être repérées par les pouvoirs publics et les gros concurrents) ou résulter d’une productivité insuffisante qui les exclurait du marché dans un contexte plus compétitif (grossir ou disparaître étant alors la dynamique d’évolution de l’entreprise). La croissance de la productivité est restée faible dans les entreprises des pays de la région MENA La productivité du travail dans les entreprises des pays de la région MENA s’accroît très peu au cours de leur cycle de vie, avec un léger mieux pour les cohortes d’entreprises les plus jeunes17. La figure 1.22 trace l’évolution de la Figure 1.22 Croissance de la productivité du travail durant le cycle de vie des sociétés de transformation 6 Productivité du travail, index = 1 pour les entreprises d’âge 0–4 5 États-Unis 4 3 Turquie 2 Mexique Inde 1 Tunisie 0 <5 5–9 10–14 15–19 20–24 25–29 30–34 35–39 ≥40 Groupe d’âge États-Unis, 1992–1997 Mexique, 1998–2003 Inde, 1990–1995 Rép. arabe d’Égypte, 2007–2011 Turquie, 2005–2010 Tunisie, 2009 Source : Calculs fondés sur des données de recensement ; données pour l’Inde, le Mexique et les États-Unis tirées de Hsieh et Klenow 2012. Note : La figure illustre la productivité moyenne du travail dans les différentes cohortes d’âge d’entreprises de transformation (pondérée par la part de l’emploi des secteurs à quatre chiffres, d’après Hsieh et Klenow 2012). Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 39 productivité par rapport à la durée de vie des sociétés. La productivité de la cohorte de jeunes entreprises a été normalisée à un pour s’assurer que la figure 1.14 rende effectivement compte de la productivité durant le cycle de vie. On constate que la productivité moyenne des sociétés établies aux États-Unis et, dans une moindre mesure en Turquie, augmente en fonction de l’âge. Après 35 ans d’activité, les entreprises américaines améliorent leur productivité de huit fois en moyenne, pour environ deux à trois fois au Mexique, en Inde et en Turquie. En revanche, cette progression est en moyenne à peine perceptible sur la durée d’existence des entreprises de Tunisie et d’Égypte. D’évidence, les entreprises de ces deux pays sont plus productives à leurs débuts, mais ces premiers gains de productivité disparaissent chez les cohortes d’entreprises plus anciennes18. Ainsi, les sociétés égyptiennes doublent leur productivité, avec un pic à 10 ans, tandis que celle de la cohorte d’entreprises toujours en activité 40 ans après leur création est seulement 1,4 fois supérieure en moyenne à la productivité de la cohorte des plus jeunes sociétés. De même, les entreprises tunisiennes n’améliorent pas leur productivité plus de 1,1 fois par rapport à la cohorte de jeunes entreprises. La productivité du travail peut s’améliorer en raison de la croissance au sein de l’entreprise ou d’un redéploiement des ressources entre les entreprises. Nous avons calculé la contribution de ces deux sources de croissance dans les pays de la région MENA d’après les données disponibles les plus récentes. Olley et Pakes (1996), entre autres auteurs, ont démontré que la manière dont les ressources sont réparties entre les différents secteurs d’activité a une incidence sur la croissance de la productivité. L’analyse présentée ci-après montre pourquoi les divergences dans la dynamique des entreprises entre la région MENA et les économies plus compétitives suggèrent une mauvaise allocation des ressources. L’allocation peu efficiente des ressources limite la croissance de la produc- tivité et de l’emploi. Dans les précédentes sections, nous avons présenté divers éléments témoignant d’un processus de destructions créatrices étant donné que les établissements à forte productivité créent le plus d’emplois. Ce constat met en évidence une dynamique favorisant l’allocation des ressources aux entreprises les plus productives. Nous avons quantifié le degré de mauvaise allocation des ressources entre les entreprises des pays de la région au moyen de la méthode de décomposition de la productivité d’Olley et Pakes (1996), puis comparé les résul- tats obtenus avec ceux de pays émergents d’autres régions. La figure 1.23 donne le terme de covariance d’Olley-Pakes, calculé comme étant la différence entre la productivité du travail, pondérée et non pondérée, des entreprises de transfor- mation19. Ce terme est une mesure succincte de la covariance transversale intra- sectorielle entre la taille et la productivité, qui indique dans quelle mesure les entreprises productives au sein des différents secteurs d’activité recrutent davan- tage de personnel20. Il ressort de la figure 1.23, que l’allocation des ressources est moins efficiente au Maroc et en Égypte qu’au Chili, en Colombie ou en Indonésie21. Ces résultats attestent d’une plus forte incidence de la mauvaise allocation des ressources (moins de destructions créatrices) dans les entreprises des pays de la région MENA que dans les autres pays en développement. Contrairement à la situation dans les pays en développement rapide, les grandes entreprises de la région MENA ne sont pas nécessairement plus productives, un constat qui confirme la faible efficience de l’allocation des ressources. Si la croissance des grandes entreprises est entravée (par les 40 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord coûts marginaux du travail et du capital), on pourrait s’attendre à des niveaux moyens plus élevés de valeur ajoutée par travailleur (et capital), étant donné que les produits moyens et marginaux du travail (ou du capital) évoluent en parallèle22. De même, les petites entreprises devraient afficher une plus forte productivité moyenne du travail si leur croissance était davantage freinée que celle des grandes entreprises (pour des niveaux donnés de valeur ajoutée par capital)23. Le panneau de gauche de la figure 1.24 illustre la producti- vité moyenne (en logarithme) du travail pour différentes catégories de taille Figure 1.23 Écart entre la productivité du travail pondérée et non pondérée 1,00 Écart entre productivité du travail pondérée et non pondérée 0,75 0,50 0,25 0 Maroc Rép. arabe Chili Colombie Indonésie d’Égypte Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Les données individuelles pour le Chili, la Colombie et l’Indonésie sont tirées de Bartelsman, Haltiwanger et Scarpetta 2004. Note : Les écarts de productivité du travail sont la moyenne pondérée (par part de l’emploi) des secteurs à deux chiffres. Les données se rapportent aux entreprises de tous les pays ayant un effectif d’au moins 10 employés. Figure 1.24 Productivité par taille des entreprises en Tunisie, au Liban et en Turquie a. Tunisie et Liban b. Turquie 1,2 1,2 3 Productivité totale des facteurs index = 1 pour les âges 1–19 index = 1 pour les âges 1–2 Productivité du travail, Productivité du travail, 1,1 1,1 2 1,0 1,0 1 0,9 0,9 0 1–2 3–5 6–9 10–49 50–99 ≥100 1–19 20–49 50–99 100–249 250–499 500+ Taille de l’entreprise Taille de l’entreprise Productivité du travail (log) en Tunisie Productivité du travail (log) en Turquie Productivité du travail (log) au Liban Productivité totale des facteurs (log) en Turquie Source : Calculs fondés sur des données de recensement. Note : La productivité du travail est la valeur ajoutée moyenne par employé, et la productivité moyenne totale des facteurs est pondérée par la valeur ajoutée. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 41 ENCADRÉ 1.3 Dynamique des entreprises et croissance de la productivité au Maroc La décomposition de la productivité montre que les créations nettes d’emplois et l’amélioration de l’efficience de l’allocation des ressources ont grandement contribué à la croissance de la produc- tivité globale du secteur manufacturier marocain entre 1996 et 2006. Toutefois, la contribution des entreprises survivantes (les opérateurs en place) à la croissance de la productivité globale était quasiment nulle. Nous avons utilisé la méthode proposée par Foster et al. (2001) pour décomposer la croissance de la productivité au moyen de l’équation suivantea : ∆pst = ∑θ i ∈C is, t −1 ∆pis + ∑ ∆θ i ∈C is, t (pi, t −1 − ps, t −1 ) + ∑ ∆θ i ∈C is, t ∆pit + ∑θ i ∈C is, t (p i, t − ps, t −1 ) − ∑θ i ∈S is, t −1 (pi, t −1 − ps, t −1 ) Où p désigne la productivité ; θ renvoie à la part de l’entreprise dans la production sectorielle totale (en termes de revenus) ; et les indices t, s, i, C, N et S se rapportent respectivement au temps, au secteur, à l’entreprise, aux entreprises survivantes, aux entreprises nouvellement créées, et aux cessations d’activité. Le premier terme du côté droit de l’équation (1) renvoie à l’effet interne. Il représente les effets des restructurations internes découlant d’une évolution de la productivité des entreprises survivantes. Le deuxième terme illustre les effets intermédiaires pour les entre- prises survivantes. Ce terme est positif lorsque les entreprises survivantes augmentent leurs parts de marché avec une productivité supérieure à la moyenne durant la période précédente (t−1). Le troisième terme est un terme supplémentaire de covariance qui est positif lorsque la part du marché s’accroît (chute) dans les établissements ayant une productivité en hausse (en baisse). La décomposition de BHC conjugue ces deux termes en calculant l’effet intermédiaire comme étant la somme des changements de parts du marché, pondérée par la productivité en fin de période (période t). Les deux derniers termes représentent respectivement les contributions des créations d’entreprises et des cessations d’activité. Ils sont positifs dans les cas de créations (ferme- tures) d’entreprises ayant une productivité supérieure (inférieure) à la moyenne. Les résultats sont résumés à la figure B1.3.1.b L’effet interne est très instable, présentant une grande oscillation autour d’une moyenne de zéro, ce qui suggère que les entreprises survivantes ne contribuent pas systématiquement à la croissance de la productivité globale. En outre, l’absence de tendances à la hausse dans l’effet interne laisse à penser que les entreprises survivantes n’ont pas systématiquement amélioré leur efficacité technique (en adoptant des technologies plus pointues ou de meilleures pratiques de gestion, en formant leur personnel, etc.) entre 1996 et 2006. L’effet intermédiaire est négatif pour toute la période échantillonnée, mais augmente dans les années suivantes, suggérant des allocations plus efficaces des ressources dans le secteur manufacturier marocain, même s’il y a toujours matière à améliorer la situation. Entre 1998 et 2004, la croissance moyenne de la productivité résultant du taux net de création d’entreprises s’établissait à 0,03, soit environ 43 % de la croissance moyenne durant la même période. En outre, la contribution du taux net de création d’entreprises à la croissance de la productivité globale semble s’être accélérée 42 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ENCADRÉ 1.3  Suite entre 2000 et 2002. Cette contribution était la plus élevée dans le secteur des biens d’équipement électrique où le taux de création de grandes start-ups était le plus élevé de la période considérée. Figure E1.3.1 Décomposition de la croissance de la productivité des entreprises dans le secteur manufacturier du Maroc, 1996–2006 0,10 Contribution à la croissance de la productivité 0,05 0 –0,05 –0,10 –0,15 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Covar Interne Création nette Intermédiaire Source : Calculs basés sur des données de recensement des entreprises de transformation du Maroc. Note : La méthodologie fait l’objet d’un exposé détaillé dans l’annexe et dans Sy (2014). Notes : a. La décomposition est effectuée sur la base d’une période de trois ans par rapport à la contribution des créations d’entreprises à la croissance globale de la productivité. Voir Sy (2014) pour plus d’explications. b. La productivité ne peut être décomposée pour l’Égypte, la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza faute de données sur les créations d’entreprises ou leur production. Voir la section sur les données à l’annexe B pour plus de détails. d’entreprises au Liban et en Tunisie. Au Liban, cette productivité varie à peine d’une catégorie à l’autre. En Tunisie par contre, la productivité du travail est moindre dans la catégorie des grandes entreprises, ce qui laisse à penser que les petites entreprises ont plus de difficultés à se développer (pour des valeurs données de capital)24. Ces constats sont à l’opposé de la situation de la Turquie (figure 1.24b) où les grandes sociétés sont beaucoup plus productives (qu’il s’agisse de la productivité du travail ou de la productivité totale des facteurs). Ils divergent aussi des conclusions de Hsieh et Olken (2014) pour qui les grandes entreprises d’Inde, d’Indonésie et du Mexique ont plus de difficultés à se développer du fait que la valeur ajoutée moyenne, facteur travail et facteur capital, est plus élevée dans les grandes entreprises de ces pays. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 43 Notes 1. Pour autant que nous le sachions, les données de recensement d’entreprises, y compris les entreprises informelles de moins de cinq employés, tous secteurs d’activité confon- dus hors agriculture, n’ont été utilisées dans des travaux de recherche que pour quelques rares autres pays en développement d’autres régions, notamment l’Inde, l’Indonésie et le Mexique. 2. Les données ont été recueillies sur une période de plus d’un an. Pour la République arabe d’Égypte, la Tunisie et la Turquie, les bases de données complètes n’étaient disponibles qu’auprès des services nationaux de la statistique, au Caire, à Tunis et à Istanbul respectivement. 3. Les différentes méthodes utilisées et les analyses complémentaires propres à chaque pays font l’objet de présentations détaillées dans les ouvrages cités dans la bibliogra- phie, notamment Sy (2014) pour le Maroc ; Rijkers, et al. (2013) pour la Tunisie ; Al Kadi (2014) pour la Jordanie ; Hussain et Schiffbauer (2014) pour l’Égypte ; et Atiyas et Bakis (2014) pour la Turquie. 4. Dans un contexte de concurrence favorable sur le marché des intrants et des extrants, la main-d’œuvre devrait se déplacer vers le secteur ayant la plus forte producti- vité marginale (c’est-à-dire les salaires), ce qui aurait pour effet d’égaliser les taux marginaux entre les différents secteurs au fil du temps. Les défaillances, distorsions et rigidités des marchés (résultant par exemple de réglementations du marché des produits ou du travail) font obstacle à l’ajustement complet des salaires et des flux de main-d’œuvre, créant ainsi un fossé entre les productivités marginales dans les différents secteurs. Même s’il est difficile de mesurer l’impact de ces distorsions, elles sont probablement plus préjudiciables dans les pays en développement. Herrendorf et Valentinyi (2012) par exemple font état d’importantes disparités sectorielles de la productivité totale des facteurs par rapport aux États-Unis dans l’agriculture, la transformation et les services. En outre, les écarts sectoriels de cette productivité par rapport aux États‑Unis sont plus marqués dans l’agriculture et les services que dans la transformation. 5. En fait, selon les spécifications de la fonction de production de Cobb-Douglas, la productivité marginale du travail correspond à la productivité moyenne multipliée par la part du travail dans le PIB. De ce fait, des différences marquées dans les parts du travail — c’est-à-dire dans l’intensité du capital d’un secteur à l’autre — génèrent des écarts entre les niveaux de productivité marginale et moyenne du travail. Ainsi, dans les secteurs précédemment cités, il est probable que les services d’utilité publique et l’exploitation minière se caractérisent par de fortes intensités de capital susceptibles d’exagérer leurs productivités marginales mesurées lorsqu’elles sont rapprochées des valeurs moyennes. Selon McMillan et Rodrik (2011) toutefois, dans les autres secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, il est difficile de mettre en évidence l’existence d’un biais important. Nous prenons donc pour hypothèse dans l’analyse ci-après que les gros écarts de productivité moyenne entre les secteurs sont positivement corrélés avec les écarts sous-jacents et non observables des productivités marginales au sein de ces secteurs. Hsieh et Olken (2014) présentent aussi une discussion détaillée des conditions favorisant une évolution parallèle des produits moyens et marginaux du capital et de la main-d’œuvre. 6. Pour les années 2005 à 2010, nous disposons de données sur le nombre d’employés par secteur ayant des qualifications primaires, secondaires et tertiaires. Nous avons respectivement attribué 0, 6, 12 et 16 ans d’éducation aux travailleurs non qualifiés et aux employés ayant des qualifications primaires, secondaires et post-secondaires. Au moyen d’une équation type de Mincer et en prenant pour hypothèse un rendement de 10 % par année d’éducation, nous avons attribué à chaque employé un capital humain égal à e(1*ans). 44 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 7. Pour de plus amples informations, voir Banque mondiale (2014d). À la différence de tous les autres pays, l’emploi en Tunisie est réparti entre les entreprises plutôt que dans de grandes institutions, et la part de l’emploi dans ces institutions pourrait donc être légèrement exagérée. Notons cependant que ce biais est probablement minime étant donné qu’en Égypte par exemple, seulement 1 % des institutions n’étaient pas des sociétés, mais relevaient en 2006 d’entités de plus grande envergure. 8. En Jordanie et, dans une moindre mesure en Tunisie, la concentration assez marquée de l’emploi dans de grandes entreprises s’explique en partie par des flux plus importants d’investissement direct étranger (IDE), 19 % de toutes les grandes entreprises des deux pays étant étrangères. Ces entreprises représentaient respectivement 30 % et 19 % de l’emploi créé par les grandes entreprises de chaque pays (figure C.1 de l’annexe C). 9. Ces tendances sont conformes aux données de l’Enquête par panel sur le marché du travail égyptien, qui montrent une augmentation de la part de ressortissants égyptiens employés dans le secteur informel entre 1998 et 2006, de même qu’entre 2006 et 2012 : la part des emplois sans couverture sociale ni contrat de travail est passée de 53 % en 1998 à 61 % en 2012. Voir Banque mondiale (2014a). Le rapport met aussi en évidence une tendance à l’accroissement de l’emploi précaire dans tous les secteurs. On constate en outre une irrégularité croissante du travail dans la deuxième partie des années 2000. 10. Les États-Unis ont une définition plus restrictive des gazelles, à savoir des entreprises dont les ventes et les effectifs ont au moins doublé au cours de la même période de quatre ans (Spencer 2011). 11. Cette définition exclut les microentreprises qui ont augmenté leur effectif, de deux à quatre employés par exemple sur une période de quatre ans, en recrutant des membres de leur famille. 12. Les résultats sont fondés sur les régressions (Davis-Haltiwanger-Schuh) du taux de croissance de l’emploi, fondées sur les méthodes appliquées par Haltiwanger, Jarmin et Miranda (2010) aux États-Unis. Toutes les régressions tiennent compte des variables relatives aux secteurs à deux chiffres et à l’année. Les données de recense- ment couvrent l’ensemble des entreprises et des secteurs d’activité hors agriculture (comme celles concernant les États-Unis). De ce fait, les résultats mesurent le taux cumulé de création d’emplois. Le graphique trace les coefficients estimés des variables relatives à la taille des entreprises pour les deux régressions. La croissance de l’emploi est d’abord calculée par régression sur la base des variables concernant la taille des entreprises et des valeurs de contrôle uniquement (ligne pointillée bleue). Dans un deuxième temps, la régression est effectuée sur les mêmes termes ainsi que sur les variables relatives à l’âge des entreprises (ligne pleine rouge). 13. Les données de recensement des autres pays de la région MENA ne se prêtent pas à la méthode d’Haltiwanger. Pour la Cisjordanie et Gaza, l’âge des entreprises n’est pas fourni, tandis que les données concernant l’Égypte ne sont pas présentées en panels. Pour la Jordanie et le Maroc, seules les données concernant un sous-ensemble d’entre- prises (du secteur manufacturier) sont présentées en panels. 14. Notons que l’analyse montre la relation entre la moyenne de l’emploi en entreprise et l’âge d’après les données transversales de recensement, ce qui a pour effet d’amalgamer les différences de taille entre les cohortes à la naissance des entreprises et la croissance de l’emploi au sein d’une cohorte tout au long de son cycle de vie. De ce fait, si l’on interprète les résultats comme reflétant une dynamique qui s’inscrit dans la durée, on présuppose implicitement que les différences de taille relative entre les différentes cohortes d’âge ne varient pas avec le temps. 15. Les ordres de grandeur des coefficients pour la Turquie et l’Égypte ne peuvent être directement comparés. L’analyse repose sur un suivi dans le temps des mêmes entre- prises, à condition qu’elles aient un effectif d’au moins 20 employés et 10 employés respectivement. Trop faibles, trop tardives : croissance du secteur privé et demande de main-d’œuvre 45 16. Les coefficients correspondants sont tous statistiquement signifiants (au niveau de 1 %), sauf pour l’Égypte. Dans ce pays néanmoins, le capital des entreprises est également pris en compte, ce qui permet de calculer la mesure privilégiée, à savoir la productivité totale des facteurs, en appliquant la méthode de Caves, Christensen et Diwert (1982). 17. Là encore, l’analyse est fondée sur des données transversales de recensement, et il faut donc présupposer que les caractéristiques du cycle de vie des cohortes sont invariantes dans le temps. 18. Les résultats sont analogues pour les entreprises de transformation du Maroc, ce qui multiplie quasiment par trois leur productivité moyenne dans les cinq ans suivant leur création, alors que cette productivité est moindre dans les cinq années suivantes. Les résultats pour le Maroc ne sont pas présentés ici, car les données transversales pour ce pays incluent des entreprises de taille supérieure au seuil défini (à savoir plus de 10 employés). Notons que pour la Turquie, seules sont incluses dans les profils annuels les entreprises ayant un effectif de plus de 20 personnes et pour lesquelles les données sont présentées en panels. 19. Voir également Bartelsman, Haltiwanger et Scarpetta 2004 et 2013, ou Hsieh et Klenow (2014). 20. Les écarts de productivité du travail représentent la moyenne pondérée des filières à deux chiffres (pondérée par les parts de l’emploi). 21. Les données concernent les entreprises de plus de 10 employés dans tous les pays. 22. À titre d’exemple, Hsieh et Olken (2014) analysent les différences de productivité moyenne du travail en fonction de la taille des entreprises dans différents pays, et examinent les conditions favorisant une évolution parallèle des produits moyens et marginaux du travail. 23. Dans une économie efficiente, les forces exercées par la concurrence contribuent à un redéploiement des ressources en direction des entreprises les plus productives, ce qui égalise les productivités (marginales) entre les différentes catégories d’entreprises au fil du temps. Dans les pays en développement, il est plus probable que les entreprises aient du mal à se développer compte tenu des fortes possibilités de croissance (résultant de l’adoption de nouvelles technologies étrangères) et des insuffisances du marché (par exemple l’accès au financement, aux marchés) qui empêchent les entreprises de tirer parti de ces possibilités d’investissement. 24. La même analyse est réalisée pour les entreprises de transformation du Maroc et d’Égypte. Néanmoins, il n’existe pas de données fiables sur les entreprises de moins de 10 employés. Les constats portent à croire que les grandes entreprises marocaines sont plus productives, tandis qu’en Égypte, la productivité du travail est plus élevée et la productivité totale des facteurs est plus faible pour les catégories d’entreprises de grande taille. Bibliographie Acs, Z., J., W. Parsons, and S. Tracy. 2008. “High-Impact Firms: Gazelles Revisited.” Working Paper 328, SBA Office of Advocacy, Washington, DC. Aghion, P., R. Blundell, R. Griffith, P. Howitt, and S. Prantl. 2009. “The Effects of Entry on Incumbent Innovation and Productivity.” The Review of Economics and Statistics 91 (1): 20–32. Aghion, P., R. Burgess, S. Redding, and F. Zilibotti. 2008. “The Unequal Effects of Liberalization: Evidence from Dismantling the License Raj in India.” American Economic Review 98(4): 1397–412. Aghion, P., R. Burgess, S. Redding, and F. 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Ces études de cas portent sur différentes politiques publiques concernant notamment les subventions à l’énergie dans l’industrie, la lourdeur du droit des affaires, l’application inégale de la réglementation et les obstacles à l’investissement direct étranger. D’après le modèle de croissance de Schumpeter, les pays en croissance écono- mique rapide sont caractérisés par une dynamique spécifique de l’entreprise qui fait écho à des structures commerciales fondées sur une concurrence au coude à coude. Pour Aghion et al. (2001), les secteurs de ces pays affichent pour la plupart un taux élevé de rotation (entrée et sortie) des entreprises, une forte croissance de la productivité interne des entreprises et un faible degré de mauvaise allocation des ressources. Or, la dynamique d’entreprise mise en évidence au chapitre 1 s’apparente plutôt aux structures de marché dominées par quelques grandes sociétés qui bénéficient d’avantages importants (exogènes) en termes de coûts, alors que les microentreprises informelles — probablement très nombreuses — continuent d’appliquer des technologies dépassées pour occuper les niches commerciales locales. Selon le cadre de croissance de Schumpeter, les secteurs où les grandes sociétés profitent de distorsions politiques qui leur confèrent ces avantages exogènes devraient présenter diverses caractéristiques qui les distinguent d’autres secteurs où les entreprises dominantes n’ont pas ce type de privilèges. Aghion et al. (2001) notamment avancent que les secteurs dominés par des sociétés jouissant de gros avantages exclusifs liés aux coûts devraient connaître une moindre concurrence et moins de créations d’entreprise et de cessations d’acti- vité. Ils devraient aussi présenter une distribution plus asymétrique des entreprises, caractérisée par un gros opérateur privilégié, et un nombre potentiellement impor- tant de microentreprises petites et/ou informelles qui s’appuient toujours sur des technologies obsolètes pour servir les niches commerciales locales. 49 50 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Le faible taux de rotation des entreprises et de croissance de la productivité et la mauvaise allocation des ressources qui freinent la croissance de l’emploi dans la région MENA pointent tous vers un manque de concurrence. En outre, la création et l’expansion insuffisantes des jeunes entreprises réduisent le tissu de sociétés à même de concurrencer les opérateurs en place. Ces derniers ne subissent donc guère de pressions les contraignant à améliorer leur rentabilité ou, à défaut, à disparaître. Par ailleurs, dans le processus de destruction créatrice, les ressources sont redéployées au profit d’entreprises plus productives, soit par une croissance accrue de ces entreprises, ou au travers d’un plus fort roulement d’entreprises, les moins productives étant contraintes à disparaître. Le chapitre 1 montre que ce processus est entravé par les politiques appliquées dans la région MENA. Catalyseur du processus de destruction créatrice, la concurrence a été identi- fiée au chapitre 1 comme le principal moteur de la croissance de l’emploi à long terme dans la région MENA. Selon Bartelsman, Haltiwanger et Scarpetta (2004), dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, la seule menace de création d’entre- prises nouvelles est un vecteur de discipline qui contraint les opérateurs en place à intensifier l’innovation. Dans les pays de la région MENA pour lesquels des données sont disponibles, nous constatons aussi une corrélation positive entre les créations nettes d’entreprise et la croissance de la productivité des sociétés en place dans les secteurs industriels du niveau de classification à quatre chiffres. En d’autres termes, les secteurs les plus contestables — à savoir ceux qui subissent la concurrence des entreprises nouvelles — ont tendance à améliorer leur productivité plus rapidement que les autres. Dans ce chapitre sont présentées plusieurs études de cas qui montrent comment les politiques conduites dans la région MENA faussent la concurrence dans le secteur privé et, par conséquent, la dynamique des entreprises associée à une plus forte croissance de l’emploi. Alors que le chapitre 1 établissait que la dynamique des entreprises dans la région n’est pas caractérisée par une concur- rence serrée, telle que définie par Aghion et al. (2001), cette section identifie les politiques qui limitent la concurrence en générant d’importants avantages exogènes sur le plan des coûts du fait des privilèges accordés à quelques entre- prises dominantes. Le développement du vivier d’entreprises jeunes et productives — qui sont les moteurs de la création d’emplois — exige plus de concurrence et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs ; en d’autres termes, il faut éliminer les politiques publiques qui minent la compétition en faussant les conditions d’inter- vention. Développer la concurrence dans le secteur privé suppose une approche globale de la question étant donné que les règles du jeu peuvent être biaisées de plusieurs manières. Les études publiées mettent en évidence plusieurs mesures susceptibles de saper la juste concurrence dans les pays de la région, notamment les subventions à l’énergie, l’accès au financement et l’accès à la terre (Banque mondiale 2009, 2011). Les sections suivantes résument les principaux résultats d’études de cas qui avaient pour objet d’évaluer : a) les répercussions de l’IDE sur l’emploi en Jordanie (section intitulée « La mobilisation des IDE dans le secteur des services a stimulé la croissance de l’emploi dans les entreprises jordaniennes ») ; b) l’impact des entraves à la mobilité sur la dynamique des entreprises en Cisjordanie ; c) le lien Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 51 entre croissance de l’emploi et qualité de l’environnement des affaires au Maroc (section « Le droit des affaires entrave la croissance de l’emploi dans les jeunes entreprises marocaines ») ; d) l’impact des subventions à l’énergie sur l’emploi et la mauvaise allocation des ressources en République arabe d’Égypte (section « En République arabe d’Égypte les subventions à l’énergie découragent la crois- sance des secteurs d’activité à forte intensité de main-d’œuvre ») et ; e) comment l’application discrétionnaire des politiques par les pouvoirs publics entrave la concurrence et l’innovation (section intitulée « L’application discriminatoire des politiques fait obstacle à l’établissement de règles de jeu équitable dans la région MENA »). La mobilisation des IDE dans le secteur des services a stimulé la croissance de l’emploi dans les entreprises jordaniennes Nous montrons que les flux d’IDE en Jordanie ont conduit à une éviction partielle des entreprises dans le secteur bénéficiaire, mais qu’ils ont eu des retombées positives sur les sociétés des secteurs en amont et en aval. L’analyse établit que les répercussions de l’IDE sont fonction des caractéristiques spécifiques des fournisseurs nationaux, qui n’en tirent parti que s’ils offrent des services, et non des biens, ou s’il s’agit d’entreprises jeunes. La contraction de l’emploi dans les entreprises d’un même secteur est concentrée dans les sociétés anciennes et dans les petites entreprises. Les résultats montrent que l’IDE profite principalement au type d’entreprises nationales identifiées au chapitre 1 comme étant les moteurs de la croissance de l’emploi. Par ailleurs, les sociétés nationales de fabrication (fournisseurs) n’ont pas profité des effets d’externalité de l’IDE, ce qui reflète peut-être la conjugaison d’une faible concurrence au sein du secteur et l’absence de programmes d’accompagnement des fournisseurs techniques. Il ressort globalement de ces constats que la levée des restrictions persistantes à l’IDE dans le secteur jordanien des services devrait favoriser la croissance de l’emploi au sein des entreprises nationales. Les transferts de technologie fondés sur l’IDE au profit de fournisseurs natio- naux, de secteurs en aval ou d’entreprises concurrentes semblent avoir joué un rôle déterminant dans le processus d’adoption de technologies, d’évolution structurelle et de création d’emplois dans nombre de pays d’Asie de l’Est, notam- ment en Chine, en Inde et en Malaisie (Rodrik 2004, 2008 ; Sutton 2005). Les décideurs de nombreux pays en développement engagent des mesures d’incita- tion visant à attirer l’IDE, avec l’idée que ces flux seront porteurs de capitaux, de technologies nouvelles, de techniques de commercialisation et de compétences de gestion. L’IDE est en fait considéré comme un mécanisme pour favoriser les transferts de technologie vers les pays en développement (Keller 2004). Les technologies peuvent avoir des retombées positives lorsqu’elles sont copiées par les entreprises locales, par observation ou en recrutant des travailleurs formés dans des succursales étrangères. En outre, l’arrivée de sociétés étrangères modifie la structure marchande nationale, où elle a systématiquement pour effet d’intensifier la concurrence. Il a notamment été établi que l’IDE dans le secteur des services de base peut entraîner une amélioration de la qualité des services, ce qui profite aux entreprises utilisatrices (Arnold et al. 2012). 52 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Cette section vise à quantifier l’impact des flux d’IDE sur l’emploi en Jordanie en tenant compte à la fois des effets directs et indirects. Dans le droit fil de la méthode définie par Javorcik (2004)1, l’information sur les investis- seurs étrangers provient des recensements de sociétés réalisés en 2006 et 2011 dans le secteur manufacturier et dans le secteur des services. Les informations y sont présentées en panels (avec pondération des échantillons) pour un sous- ensemble de 15 500 entreprises immatriculées représentant 53 % de l’emploi total (d’après les données d’enquête sur la population active). Les sociétés où la part des intérêts étrangers était supérieure à 10 % représentaient 19 % des grandes entreprises en 2006, et 30 % de l’emploi total dans ces entreprises (voir la figure C.1 à l’annexe C). Les données extraites du recensement 2006 des sociétés sont associées à des données détaillées dans les tableaux d’entrée et de sortie pour quelque 80 secteurs à deux chiffres. On peut ainsi calculer approxi- mativement les liens entre les entreprises étrangères et les fournisseurs et utili- sateurs nationaux de biens intermédiaires et de services étrangers. On trouvera dans Lamla et Schiffbauer (2014) des informations plus précises sur les données et les méthodes, de même que des résultats supplémentaires et quelques tests de robustesse2. Cette approche permet de distinguer les effets d’externalité horizontaux sur les entreprises du même secteur des incidences verticales sur les fournisseurs nationaux (effets d’entraînement en amont) et les utilisateurs (effets d’entraîne- ment en aval). La distinction est importante, car les répercussions verticales sont plus probables : bien que les entreprises étrangères aient tout intérêt à prévenir les fuites technologiques au profit des concurrents locaux du même secteur, elles tirent parti de la diffusion des technologies auprès des fournisseurs du fait de l’amélioration de la qualité des intrants. En Lituanie et en Roumanie, Javorcik (2004), et Javorcik et Spatareanu (2011) ont constaté des retombées positives de l’IDE uniquement pour les fournisseurs nationaux de produits manufacturés (liens descendants). Les entreprises jordaniennes semblent plutôt bien placées pour engranger les retombées de l’IDE, sous forme de transferts de technologies étrangères qui augmentent la productivité et, au final, la croissance de l’emploi. La part de l’investissement étranger dans l’investissement total en Jordanie compte parmi les plus élevés : selon les Indicateurs du développement dans le monde, près de la moitié de l’investissement réalisé dans le pays en 2009 était d’origine étran- gère. De même, l’IDE représentait en moyenne 11 % du PIB entre 2000 et 2009, soit l’une des plus fortes proportions observées dans les pays émergents. La ventilation des flux d’IDE à la Jordanie entre 2003 et 2010 est présentée par secteur à la figure 2.1. Plus de la moitié de l’IDE total concerne l’immo- bilier, le secteur manufacturier représentant 30 % supplémentaires ; dans les autres secteurs, il est négligeable, soit seulement 10 % environ de l’IDE total. Ce schéma est comparable à celui des autres pays de la région MENA (hors IDE dans le secteur pétrolier), mais diffère sensiblement des fortes parts d’IDE dans le secteur manufacturier et les TIC en Inde, en Indonésie, en Chine et au Brésil. L’implantation de sociétés étrangères conduit à l’éviction des entreprises nationales, petites et anciennes, du même secteur. La création d’emploi chute dans les entreprises nationales offrant les mêmes produits ou services que les concurrents étrangers de la même filière du niveau de classification à quatre Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 53 Figure 2.1 Part des flux d’IDE, par secteur pour quelques pays de la région MENA, 2003–2010 Rép. arabe syrienne Rép. arabe d’Égypte Rép. Islamique d’Iran Iraq Jordanie Liban Turquie Chine Brésil Indonésie Inde 0 10 20 30 40 50 60 70 Pourcentage de l'IDE total Industries extractives Immobilier Hôtellerie et tourisme Technologies de l'information et des communications Services financiers et autres Chimie et machines Autres filières de transformation Source : Calculs fondés sur la base de données sur les marchés d’IDE. 54 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ENCADRÉ 2.1 L’IDE est souvent freiné dans le secteur de services des pays de la région MENA Dans cette région, les conditions imposées aux qu’une faible performance dans ce domaine sociétés étrangères désireuses de s’implanter peut générer des maillons faibles (weak links) et dans le secteur des services comptent parmi les infléchir la productivité des secteurs utilisateurs plus restrictives. Elles sont généralement encore (Jones 2011 ; Kremer 1993). Quand c’est le cas, plus strictes dans les pays membres du CCGa. l’arrivée d’entreprises étrangères peut amélio- Les conditions les plus rigoureuses concernent rer la performance et la croissance des secteurs les services professionnels (tels que la compta- utilisateurs en supprimant les maillons faibles de bilité, l’expertise-conseil et le juridique), l’économieb. les transports et la finance ; des restrictions La Jordanie restreint considérablement pèsent aussi sur les échanges de services dans les l’implantation de sociétés étrangères dans le télécommunications et le commerce de détail secteur des services de base. La figure B2.1.2 (figure B2.1.1). Cette protection partielle contre résume les restrictions imposées aux sociétés la concurrence étrangère a sans doute ralenti désireuses de pénétrer différents secteurs de la croissance de la productivité du secteur des services des pays de la région, ainsi que les services. Les services de base (banque, télécom- moyennes (régionales non pondérées) pour munications, transports) sont des intrants impor- les autres régions. Les pays sont classés en tants pour tous les autres secteurs, d’où l’idée fonction de leur degré de restrictivité vis-à-vis de Figure E2.1.1 Indice de restrictions des échanges de services, par secteur et par région 70 60 50 Indice, 0 à 100 40 30 20 10 0 Services nanciers Services professionnels Commerce de détail Télécommunications Transports GCC SAR MENA EAP AFR LAC ECA Source : Calculs fondés sur la base de données de la Banque mondiale sur les restrictions des échanges de services (Borchert, Gootiiz et Mattoo 2012). Note : L’indice de restrictions des échanges de services reflète les moyennes nationales simples. Plus l’indice est élevé, plus fortes sont les restrictions à l’implantation de sociétés étrangères : 0 implique une absence de restrictions ; 100 signifie que le secteur est hors d’accès des entreprises étrangères. L’indice va de 0 (absence de restrictions) à 100 (exclusion totale). Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 55 ENCADRÉ 2.1  Suite Figure E2.1.2 Restrictions sur les échanges de services de transport dans la région MENA, 2008 100 90 Indice de restrictions sur les échanges de services (100 = exclusion totale) 80 70 60 50 40 30 20 10 0 e ECA LAC roc en érie EAP dan ie Lib an isie ypt CCG d’Ir an Ma u Yém Alg Jor Tun d’Ég ue p. d abe miq Ré . ar . Isl a Rép Rép Transports Services professionnels Services nanciers Commerce de détail Télécommunications Source : Calculs fondés sur la base de données de la Banque mondiale sur les restrictions sur les échanges de services (Mattoo et al. 2012). Note : Plus l’indice est élevé, plus fortes sont les restrictions à l’implantation de sociétés étrangères : 0 implique une absence de restrictions ; 100 signifie que le secteur est hors d’accès des entreprises étrangères. l’implantation d’entreprises étrangères dans les ports regroupe les services aériens, terrestres, secteurs de services (du plus faible au plus fort). En maritimes et auxiliaires. L’indice révèle que 2008, les conditions dictées par la Jordanie étaient certaines de ces filières sont quasiment inacces- plus restrictives que celles imposées dans le pays sibles à la concurrence étrangère. Ainsi, à la diffé- moyen des régions Amérique latine et Caraïbes rence de la majorité des 81 pays côtiers de l’échan- (LAC), Europe de l’Est et Asie centrale (ECA) et tillon, la Jordanie limite l’accès des investisseurs Asie de l’Est et Pacifique (EAP). En Jordanie, les étrangers à tous les services portuaires auxiliaires services professionnels et les services de transport (manutention du fret, stockage, services d’agence étaient les moins verrouillés. Le secteur des trans- maritime et transitaires). Notes : a. Une nouvelle base de données (2008) de la Banque mondiale permet de comparer les restrictions sur les échanges de services dans cinq grands secteurs de services de 103 pays, dont 13 de la région MENA. Elle fournit des informations comparables d’un pays à l’autre dans les cinq secteurs suivants : télécommunications, finance, transports, commerce de détail et services professionnels. Les indicateurs portent sur les politiques et réglementations discriminatoires à l’égard des prestataires étrangers. L’application effective des politiques est reflétée dans certains cas, par exemple le degré de transparence et de responsabilité des procédures de délivrance de licences. Une description détaillée des données et de l’échantillon est fournie dans Borchert, Gootiiz et Mattoo (2012). b. Marotta, Ugarte et Baghdadi (2014) examinent dans quelle mesure les maillons faibles réduisent la productivité de l’économie tunisienne, et montrent que ces maillons faibles sont systématiquement associés à une moindre productivité par travailleur. Ils révèlent aussi une forte dimension spatiale dans la mesure où la probabilité de rencontrer des maillons faibles dans les intrants intermédiaires est plus élevée dans les régions de l’intérieur. Par ailleurs, les secteurs économiques plus exposés aux échanges internationaux risquent moins d’être déstabilisés par ces maillons faibles. 56 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord chiffres. Une compétition directe s’instaure avec les sociétés étrangères qui sont souvent plus productives et à même d’introduire des technologies plus pointues. En conséquence, les résultats témoignent tout au moins d’une éviction partielle de l’emploi dans les entreprises nationales au profit des sociétés étrangères3. Cet effet d’éviction n’intervient cependant que dans les entreprises nationales petites (moins de 30 employés) ou anciennes (créées avant 1990). En supposant que ces deux catégories d’opérateurs sont moins productives, ce constat confirme un effet concurrentiel : l’IDE n’est préjudiciable pour l’emploi que dans les entreprises nationales les moins productives qui régressent (perdent des parts de marché) ou disparaissent. Toutefois, l’arrivée de sociétés étrangères stimule la croissance des fournis- seurs nationaux récemment établis et/ou intervenant dans le secteur des services. Dans l’ensemble, l’analyse n’apporte aucun élément indiquant que la présence d’entreprises étrangères en 2006 a favorisé la croissance de l’emploi chez les fournisseurs nationaux (effets d’entraînement en amont) dans les cinq années suivantes (entre 2006 et 2011). La croissance de ces fournisseurs n’est pas plus marquée quand les biens ou services sont livrés aux secteurs caractérisés par une forte concentration initiale d’entreprises étrangères (en d’autres termes d’IDE). L’analyse démontre en revanche que l’existence d’effets d’entraînement en amont — résultant des retombées de l’IDE — dépend des caractéristiques spéci- fiques des fournisseurs nationaux. Ceux-ci ne se développent que s’ils offrent des services, et non des marchandises, ou s’il s’agit d’entreprises jeunes, créées après 1990. Ces résultats sont résumés au tableau E.1 de l’annexe E. Les prestataires nationaux de services aux secteurs caractérisés par une forte proportion initiale de sociétés étrangères enregistrent ultérieurement une plus forte croissance de l’emploi. De ce fait, la création d’emplois chez ces prestataires s’accroît forte- ment à moyen terme après l’arrivée d’entreprises étrangères. Ces constats signifient aussi que les jeunes sociétés entrées en activité après 1990 ont créé davantage d’emplois entre 2006 et 2011, quand elles approvisionnaient en biens ou en services des secteurs où les sociétés étrangères étaient très représentées en 2006. L’âge des fournisseurs joue donc un rôle — en ce sens que seules les entreprises jeunes créent des emplois — mais leur taille importe peu. La levée des restrictions persistantes à l’IDE dans le secteur jordanien des services devrait favoriser la croissance de l’emploi dans les entreprises nationales. Le type d’IDE joue également un rôle du point de vue des retombées sur l’emploi. L’IDE dans le secteur des services génère des emplois dans les entreprises natio- nales d’autres secteurs de services. Les prestataires nationaux qui offrent des services aux sociétés étrangères et utilisent aussi les services de ces dernières enregistrent à moyen terme une croissance beaucoup plus importante (colonnes 8–10 du tableau E.1 de l’annexe E). A contrario, l’IDE dans le secteur manufacturier ne contribue aucunement à la croissance des entreprises nationales des secteurs en amont ou en aval. En Jordanie, l’effet positif de l’IDE dans le secteur des services sur la croissance des entreprises qui utilisent ces services en aval est conforme à la théorie des maillons faibles (weak links). En fait, la figure B2.1.2 montre que l’IDE dans certains secteurs de services, comme les transports ou les services profession- nels, est freiné en Jordanie. Ces constats portent à croire que la levée des restric- tions stimulerait la croissance des entreprises nationales qui utilisent ces services ou offrent des services aux sociétés multinationales. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 57 L’IDE dans les secteurs de services a des retombées positives sur la crois- sance des prestataires nationaux et des jeunes fournisseurs et ces retombées perdurent, même après le départ des sociétés étrangères. En revanche, l’effet d’éviction des entreprises nationales du même secteur n’est que temporaire, et leur croissance redémarre dès lors que le concurrent étranger s’est retiré. Notons que les périodes couvertes par les données facilitent une nette identification empirique permettant de tester les effets asymétriques de l’arrivée (IDE) et du retrait (interruptions brutales) des sociétés étrangères. En d’autres termes, l’IDE dans les pays en développement a fortement chuté avec le départ de nombreuses sociétés étrangères en 2009 et 2010, après que la crise financière mondiale a conduit les multinationales à remanier leur portefeuille pour réduire leur exposi- tion aux investissements à haut risque. Les données montrent que la propor- tion moyenne pondérée des sociétés étrangères dans l’ensemble des sociétés est tombée de 2,3 % en 2006 à 1 % en 2011 (tandis que les sociétés étrangères ont chuté de 338 à 142). Si les premières incidences de l’IDE d’avant 2006 sur l’emploi sont réellement des retombées technologiques, l’effet sur la croissance des fournisseurs nationaux devrait perdurer. À l’inverse, si elles proviennent de répercussions temporaires sur la demande, la croissance de l’emploi chez les fournisseurs nationaux devrait s’interrompre avec le retrait des concurrents étrangers. Les résultats montrent que les effets positifs en amont de l’arrivée de sociétés étrangères sur les fournisseurs nationaux continuent de s’exercer même après le départ de ces sociétés. A contrario, le fléchissement initial de l’emploi chez les fournisseurs nationaux des mêmes secteurs après l’implantation de concurrents étrangers s’inverse au départ de ces derniers (effet d’externalité). Ces constats suggèrent que la création d’emplois chez les fournisseurs nationaux est due à des retombées technologiques permanentes et non à une stimulation temporaire de la demande. Par ailleurs, dès lors qu’un fournisseur national est à même d’approvisionner les sociétés étrangères en biens ou en services, il est aussi bien placé pour fournir d’autres entreprises en Jordanie ou à l’étranger. Attirer l’IDE est un puissant moyen de développer la concurrence et la crois- sance du secteur privé. Les résultats montrent que l’IDE profite principalement au type d’entreprises nationales identifiées au chapitre 1 comme étant celles à l’origine de la croissance de l’emploi. En Jordanie, l’IDE a eu un effet d’exter- nalité permanent sur la croissance des jeunes entreprises qui approvisionnent les sociétés étrangères. Comme les précédentes études l’ont établi, ces retombées sont produites par une présence étrangère verticale plutôt qu’horizontale. L’IDE stimule la croissance de l’emploi dans les entreprises jeunes et les prestataires de services, mais a parallèlement un effet d’éviction temporaire sur l’emploi chez les concurrents nationaux petits ou anciens du même secteur. Il y a toutefois lieu de s’inquiéter de l’absence de répercussions favorables sur les fournisseurs nationaux du secteur manufacturier jordanien. L’absence de répercussions favorables (effets d’externalité) sur les fournis- seurs nationaux du secteur manufacturier en Jordanie justifie une évaluation des mesures politiques ciblées engagées par d’autres pays en développement. Les résultats pour la Jordanie contredisent des résultats provenant d’autres pays en développement où l’IDE apparaît systématiquement comme le principal moteur de la croissance des fournisseurs nationaux de produits manufacturés (Javorcik 2004 ; Javorcik et Spatareanu 2011 ; Rodrik 2008 ; Sutton 2005). Le fait que 58 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ces effets soient absents chez les entreprises jordaniennes du secteur manufac- turier corrobore aussi les conclusions d’études de cas sur le secteur. L’industrie pharmaceutique par exemple regroupe plusieurs multinationales et de grands producteurs nationaux. Ce secteur semble néanmoins faiblement rattaché aux fournisseurs nationaux : 90 % des produits chimiques qui servent d’intrants au secteur sont importés. Seul le plus gros producteur national, HIKMA Pharmaceuticals, tire quelque avantage de la fourniture de produits chimiques. Les principales raisons invoquées sont les normes de qualité exigées ; les faibles économies d’échelle par rapport aux fournisseurs d’Asie de l’Est tels que l’Inde ; et les coûts de transport relativement faibles des produits chimiques. De même, d’autres intrants moins spécialisés comme les récipients en verre et les matériaux d’emballage sont souvent importés plutôt que fournis localement. En Turquie, en Malaisie, en Inde et en Chine, les politiques publiques ont privilégié les liens entre les multinationales et les fournisseurs nationaux en subventionnant les programmes de formation technique. Le Gouvernement turc par exemple a accompagné les producteurs de pièces détachées automobiles en facilitant la création de coentreprises et en organisant des programmes de formation pour combler l’écart technologique initial et permettre à ces produc- teurs d’approvisionner les multinationales du secteur automobile présentes dans le pays. Dès que les producteurs nationaux se sont révélés aptes à respecter les normes de qualité des multinationales, ils ont automatiquement obtenu leur accréditation qualité pour exporter vers les usines de ces multinationales dans d’autres pays. La Turquie est ainsi parvenue à développer son industrie des composants automobiles et fournisseur de biens intermédiaires allant des pneus aux pièces de moteurs automobiles à des multinationales telles que Ford, Mercedes, Peugeot et Isuzu. En Malaisie, les pouvoirs publics ont subventionné ENCADRÉ 2.2 Les entraves à la mobilité réduisent la concurrence et la croissance de l’emploi en Cisjordanie Les restrictions d’accès aux marchés faussent la que la distance économique. En Cisjordanie, concurrence entre les entreprises. La fragmen- les distances économiques peuvent être consi- tation des marchés augmente la position dérables compte tenu des restrictions imposées dominante de certaines entreprises sur le à la mobilité des entreprises. En altérant l’accès marché local, ce qui les protège de concur- aux marchés, ces restrictions font donc obsta- rents éventuels. La cherté des coûts de trans- cle à l’égalité des conditions d’intervention et port accroît la fragmentation des marchés à la dynamique des entreprises qui favorise la et, partant, le degré de concurrence entre les croissance de l’emploi. entreprises qui y opèrent. Les coûts de trans- Les obstacles politiques à l’accès aux marchés, port sont souvent dictés par la distance géogra- illustrés par les restrictions imposées par Israël phique entre les marchés. Cependant, l’aspect à la mobilité des entreprises de Cisjordanie, important ici n’est pas tant la distance physique créent des distorsions dans la dynamique des Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 59 ENCADRÉ 2.2  Suite entreprises associée à la croissance de l’emploi. postes de contrôle, remblais, tranchées ainsi Comme le montre la figure C.1, la contribution qu’un mur de séparation. des grandes entreprises privées de Cisjordanie et Dans cette section, nous examinons dans de Gaza à l’emploi total est marginale (environ quelle mesure ces restrictions d’accès aux 5 %), même au regard des normes régionales. marchés ont dicté les conditions de marche Les sociétés de Cisjordanie ont en outre peu et donc la dynamique des entreprises de de chances de survie et une faible croissance : Cisjordanie. L’analyse repose sur un indice des en 2007, la probabilité qu’une microentreprise entraves à la mobilité qui mesure les contraintes augmente son effectif au-delà de 10 employés en physiques que les entreprises doivent surmonter 2012 était de seulement 6 %. Cette stagnation pour atteindre leurs clients, leurs fournisseurs de la dynamique d’entreprise est déterminée et autres. L’indice compare la population que par des règles d’intervention façonnées par les l’on peut contacter en une période de temps politiques intérieures, mais aussi par les restric- donnée dans un monde avec ou sans entrave tions dictées aux entreprises du point de vue de à la mobilité. La carte B2.2.1 montre que les l’accès aux clients, aux fournisseurs et autres. Ces restrictions d’accès aux marchés ont diminué entraves à la mobilité ont été mises en place en entre 2006 et 1012. Cette section est fondée Cisjordanie dans le cadre du régime général de sur l’analyse de Blankespoor, van der Weide et « clôture » initialement instauré par Israël après Rijkers (2014) de la Banque mondiale (2014b). la première insurrection palestinienne. Elles Les restrictions à la mobilité réduisent le taux prennent diverses formes : barrages routiers, net de créations d’entreprise. Les taux bruts assez CARTE E2.2.1 Restrictions de la mobilité des entreprises en Cisjordanie, 2006 et 2011 a. 2006 b. 2011 mi200601 mi201201 0–0,200 0–0,200 0,201–0,400 0,201–0,400 0,401–0,600 0,401–0,600 0,601–0,800 0,601–0,800 0,801–1,000 0,801–1,000 Indice de mobilité calculé avec un indice d'accessibilité potentiellement négatif où a = 40 et b = 2 Indice de mobilité calculé avec un indice d'accessibilité potentiellement négatif où a = 40 et b = 2 60 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ENCADRÉ 2.2  Suite élevés de création et de fermeture d’entreprises faible croissance de la productivité des sociétés en Cisjordanie et à Gaza pourraient s’expliquer établies. par l’évolution des restrictions d’accès, condui- Les restrictions à la mobilité biaisent les sant ainsi à des remaniements plus fréquents de conditions de marche et nuisent ainsi à la crois- l’activité économique, par exemple les cessa- sance de l’emploi dans les centres économiques tions d’activité et les redémarrages d’entre- concernés. La figure B2.2.1 illustre l’impact prises dans différents endroits. La figure B2.2.1 des restrictions importantes à la mobilité sur trace les variations des taux d’entrée et de sortie la croissance de l’emploi dans divers lieux de d’entreprises entre 2007 et 2012 dans diffé- Cisjordanie. On constate que la croissance de rentes sous-régions de Cisjordanie par rapport l’emploi décline à mesure que s’intensifient les à l’indice moyen d’entraves à la mobilité pour entraves, ce qui prouve que les distorsions de ces mêmes lieux et pendant les mêmes périodes. l’exposition des entreprises à la concurrence On constate ainsi que les taux bruts d’entrée (par exemple l’accès aux marchés) réduisent la et de sortie sont généralement plus élevés croissance de l’emploi. dans les endroits caractérisés par de multiples Ce fléchissement de la dynamique d’entre- obstacles à l’accès aux marchés. Cette figure prise résultant des distorsions de l’accès aux illustre aussi l’effet négatif net de ces entraves marchés se traduit également par une moindre sur la création d’entreprise. La faiblesse des taux croissance de la production. L’activité écono- nets de démarrage d’activité engendre en aval mique locale est mesurée au moyen de l’éclai- une moindre compétition, faute de nouveaux rage nocturne (Henderson et al. 2012) pour concurrents, ce qui réduit d’autant les raisons l’ensemble de la Cisjordanie et pour quatre qui auraient pu inciter les sociétés en place à grands centres économiques touchés par ces améliorer leur efficience. Les faibles taux nets restrictions. Le net recul des restrictions à la de création d’entreprise induits par les restric- mobilité aux alentours de 2009 coïncide avec tions à la mobilité sont aussi corrélés à une une poussée de la production locale. Figure E2.2.1 Les restrictions à la mobilité réduisent les taux nets de créations d’entreprises, la croissance de l’emploi et la croissance de la production locale a. Créations d'entreprise et cessations d'activité b. Croissance de l'emploi contre restrictions à la mobilité, 2007–2012 0,6 Évolution de l'emploi log par lieu 0,4 0,4 0,35 0,3 Taux 0,2 0,25 0 0,2 –0,2 0,15 0,2 0,4 0,6 0,8 1 0,2 0,4 0,6 0,8 1 Indice moyen de restrictions à la mobilité Indice moyen de restrictions à la mobilité Créations d'entreprise Cessations d'activité Créations nettes IC 95 % Ajusté Source : Blankespoor, van der Weide et Rijkers (2014) dans Banque mondiale (2014b). Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 61 les programmes de formation des multinationales pour les fournisseurs natio- naux, tandis que la Chine et l’Inde ont dicté leurs exigences de contenu national aux multinationales des secteurs de l’électronique et de l’automobile (Rodrik 2004, 2008 ; Sutton 2005). Les programmes d’appui technique — comme celui administré par JEDCO au milieu des années 2000 — mis en place au profit d’entreprises jordaniennes susceptibles d’approvisionner les sociétés étrangères ont parfois connu de bons résultats. En dépit de ses ressources financières limitées, ce programme a enregistré quelques cas de réussite avant d’être finalement abandonné. Un accompagnement technique a par exemple été fourni à une entreprise locale de conditionnement pour l’aider à produire et livrer des emballages à Kentucky Fried Chicken (KFC) après son entrée sur le marché jordanien. Quelques années plus tard, KFC a fait de cette entreprise son principal fournisseur de matériaux d’emballage pour toutes ses implantations au Moyen-Orient. Le droit des affaires entrave la croissance de l’emploi dans les jeunes entreprises marocaines Nous montrons comment divers aspects du droit marocain des affaires freinent la croissance de l’emploi et pèsent de façon disproportionnée sur les jeunes entreprises. Selon nos constats, une concurrence accrue, une égalité de traitement de la part des autorités fiscales, un recul de la corruption, la levée des obstacles au niveau du système judiciaire et la baisse des coûts du capital stimuleraient la croissance de l’emploi dans les jeunes entreprises. Cette section examine dans quelle mesure les lourdeurs bureaucratiques de l’environnement réglementaire affectent la croissance de l’emploi dans le secteur manufacturier marocain. Depuis le début des années 90, le Maroc a engagé tout un train de réformes macroéconomiques, réglementaires et sociales pour favori- ser le bon fonctionnement des règles du marché. Malgré la croissance du PIB durant la dernière décennie, les créations d’emplois sont restées au point mort. Comme l’établissent les figures 1.17, 1.18, 1.19 ou encore 1.23, la dynamique des entreprises à l’origine de la création d’emplois est limitée dans le secteur manufacturier marocain. Dans cette section, nous rattachons cette dynamique à la complexité de la réglementation des affaires, qui entraîne des effets de distorsion de la concurrence dans le privé. Nous avons examiné empiriquement comment les caractéristiques de certaines entreprises se conjuguent aux obstacles dus au climat réglementaire, au financement et à la concurrence pour inhiber la création d’emplois dans les sociétés marocaines de transformation. Les données détaillées de l’analyse ci-après sont présentées dans le document correspondant de Gasiorek, Bottini et Lai Tong (2014)4. Notre démarche permet de tester l’hypothèse suivante : Les jeunes entre- prises ayant un fort potentiel de croissance sont-elles plus impactées que les autres entreprises dans un climat d’intervention faiblement compétitif ? Nous associons les données des recensements d’entreprises de transformation à des informations extraites des enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises marocaines5. Cette série d’enquêtes a ceci d’unique qu’elle utilise les mêmes 62 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord numéros d’immatriculation des sociétés que le recensement, ce qui permet d’exploiter des informations plus détaillées sur la croissance de l’emploi au sein des entreprises et sur les variables liées aux politiques réglementaires (pour ce qui est de la concurrence et du financement), et d’associer les données du recensement à celles de la Banque mondiale au niveau de l’entreprise. Une fois nettoyée, la base de données constitue un panel de 35 534 observations concer- nant 6 119 entreprises sur une période de neuf ans (1997–2006). Les variables relatives aux politiques réglementaires, au financement et à la concurrence sont énumérées de façon détaillée au tableau F.1. Les start-ups et les petites entreprises créent davantage d’emplois lorsqu’elles sont confrontées à une forte concurrence intérieure. Nous mesurons trois composantes différentes de la concurrence : le nombre de concurrents sur le marché intérieur, la concurrence déloyale du secteur informel et l’ampleur de la concurrence étrangère. Une forte proportion d’entreprises de transformation relève du secteur informel. Dans la mesure où elles travaillent sur le marché noir, échappant ainsi au contrôle des pouvoirs publics et à la fiscalité, ces entre- prises sont synonymes de « concurrence déloyale » pour les sociétés immatri- culées, ce qui peut avoir un effet préjudiciable sur la dynamique des entreprises. Nous avons mis en évidence une corrélation positive entre la forte concurrence intérieure (plus de concurrents) et la croissance de l’emploi dans les start-up (sociétés de moins de quatre ans) et les petites entreprises (ayant un effectif de moins de 15 personnes). La corrélation entre croissance de l’emploi et concur- rence intérieure est statistiquement nulle pour tous les autres types d’entreprises (plus grandes et plus âgées). De même, les start-up et les petites entreprises créent davantage d’emplois lorsqu’elles font état d’une compétition serrée de la part du secteur informel ; les entreprises d’âge intermédiaire et les grandes entreprises recrutent généralement moins quand elles sont confrontées à la concurrence du secteur informel. L’emploi se développe moins quand les entreprises témoignent d’une forte compétition étrangère. Cet effet est particulièrement ressenti par les grandes entreprises nationales ou celles établies de longue date. La croissance des start-ups s’accélère lorsque les autorités fiscales sont trans- parentes et prévisibles. La notion de « traitement fiscal équivalent » mesure le pourcentage d’entreprises qui sont d’avis que toutes les entreprises de leur secteur sont traitées de la même manière par les autorités. Elle indique donc que l’entreprise considère que le régime fiscal appliqué dans son secteur et sa sous-région est à la fois transparent et prévisible. Au-delà de leur phase de démarrage, les jeunes entreprises créent moins d’emplois quand elles se disent confrontées à la corruption dans leur secteur ou qu’elles se heurtent à de nombreux obstacles d’ordre judiciaire. Les indicateurs judiciaires sont des variables indicatrices qui reflètent les réponses des entreprises interrogées sur l’éventuel obstacle à leur croissance que constituent respecti- vement le système judiciaire et la dynamique de règlement des différends. Ces variables sont agrégées au niveau sectoriel pour donner la proportion d’entre- prises qui considèrent le système judiciaire comme une entrave. On constate que l’emploi s’accroît davantage dans les grandes entreprises et les start-up opérant dans des secteurs et des lieux où elles rencontrent des obstacles judiciaires plus marqués. Ce résultat reflète peut-être la position privilégiée de certaines grandes entreprises qui jouissent d’un meilleur accès aux services juridiques ; la corrélation Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 63 positive trouvée chez les start-ups pourrait résulter d’une auto-sélection, dans la mesure où les entreprises liées au régime en place sont en mesure de faire jouer leurs appuis personnels pour contourner les obstacles juridiques et pénétrer ainsi des régions et des secteurs sur lesquels le judiciaire exerce sa mainmise. À l’inverse, après leur phase de démarrage, les jeunes entreprises (de 4 à 10 ans) recrutent beaucoup moins quand elles doivent faire face à des procédures de justice ou de règlement des différends dans leur région et/ou secteur. On peut voir par ailleurs qu’après leur phase de démarrage, les entreprises petites et jeunes qui font état de corruption dans leurs activités affichent une plus faible croissance. Dans ces secteurs, les grandes entreprises se développent plus rapidement, ce qui témoigne des privilèges dont jouissent certaines d’entre elles. L’emploi se développe aussi plus lentement dans les jeunes entreprises qui opèrent dans des secteurs ou des endroits où elles doivent se débattre avec des lourdeurs administratives. Nous avons pris en compte les variables suivantes, toutes synonymes de tracasseries administratives pour démarrer et exploiter une entreprise : a) le nombre de jours nécessaires à l’obtention d’un permis de construire (attente de permis) ; b) le nombre de permis exigés chaque année pour poursuivre l’exploitation (contraintes administratives) ; et c) le nombre total de permis requis pour créer une nouvelle entreprise. On peut voir que les longs délais imposés pour l’obtention d’un permis de construire ont une incidence néfaste sur la croissance de l’emploi, quelle que soit la catégorie d’entreprises considérée. Les jeunes entreprises, au-delà de leur phase de démarrage, et les sociétés anciennes recrutent moins quand les conditions d’implantation dans leur secteur (ou sous-région) sont problématiques, c’est-à-dire soumises à l’obtention de nombreux permis. Les start-ups recrutent davantage quand elles interviennent dans des secteurs où les obstacles à la création d’entreprise sont nombreux, un constat qui laisse à penser que seuls les entrepreneurs les plus agressifs parviennent à pénétrer ces secteurs ou régions. En revanche, les start- ups développent moins leurs effectifs quand elles doivent assumer de nombreuses charges administratives dans leurs opérations. Les entrepreneurs de la région disent souvent que la lourdeur des charges administratives est un obstacle majeur à leur développement. Ces contraintes sont particulièrement bien illustrées par l’expérience du gérant d’un hôtel de la capitale. Il s’agit d’un petit hôtel de 40 lits, ayant un service de premier ordre, mais dépourvu de restaurant. Voici le récit du propriétaire au sujet des démarches accomplies pour tenter d’ouvrir son restaurant (Banque mondiale 2009) : Pour attirer plus de clients, surtout des visiteurs étrangers, il me fallait vraiment un restaurant. Le problème, c’est que notre réglementation exige une licence distincte pour un restaurant. Celle de l’hôtel ne suffit pas. J’ai fini par réussir à l’obtenir. J’ai investi 200 000 dollars dans des meubles et du matériel. Quand j’étais prêt à démarrer, toute l’affaire s’est effondrée : un fonctionnaire de l’un des quatre organismes de réglementation du tourisme est venu visiter l’hôtel ; il a déclaré que la licence pour le restaurant ne suffisait pas, et a exigé un gros dessous-de-table pour la délivrance d’une autre licence. J’ai refusé et décidé de quitter l’hôtellerie. Aujourd’hui, je loue mon bien à bail pour une durée prolongée, un domaine où j’ai affaire à un seul organisme de réglementation. 64 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord À l’exception des start-ups, les créations d’emplois sont moins nombreuses dans toutes les catégories d’entreprises qui font état de coûts de financement élevés. Les résultats montrent que la cherté des emprunts extérieurs réduit la croissance des entreprises, quelle que soit leur taille. Seules les start-ups parviennent à se développer face à la cherté des emprunts extérieurs, ce qui suggère qu’elles comptent sur d’autres sources de financement (autofinancement ou sources informelles). En outre, les entreprises grandes et anciennes disent recruter moins quand leur croissance est entravée par des difficultés d’accès au financement bancaire. Ces constats sont conformes aux résultats rapportés par Augier et al. (2012), à savoir que le manque d’accès aux financements extérieurs réduit la croissance de la productivité dans les sociétés marocaines de fabrication, grandes ou anciennes. Ces résultats permettent globalement d’affirmer que la complexité du droit marocain des affaires pèse principalement sur la catégorie des entreprises identi- fiées au chapitre 1 comme étant les moteurs de la création d’emplois, à savoir les start-ups et les jeunes entreprises. Il ressort de cette analyse que la lourdeur des charges administratives, le manque de transparence et de prévisibilité des autori- tés fiscales, les nombreux obstacles d’ordre judiciaire, la corruption générali- sée et la faible concurrence sur le marché intérieur limitent les possibilités de croissance des jeunes entreprises marocaines de transformation et, dans une moindre mesure, des petites manufactures. La période de croissance qu’a connue le Maroc pendant la dernière décennie, sans créations d’emplois concomitantes, semble s’expliquer par les obstacles qui minent la croissance des jeunes entre- prises, à savoir celles identifiées au chapitre 1 comme ayant le plus fort potentiel de croissance. En République arabe d’Égypte, les subventions à l’énergie découragent la croissance des secteurs d’activité à forte intensité de main-d’œuvre En Égypte, l’industrie lourde bénéficie d’importantes subventions à l’énergie ; en 2010, les subventions versées aux secteurs à forte intensité d’énergie représentaient 2,9 % du PIB, soit 7,4 milliards de dollars (ou près de la moitié de l’investissement public total cette année-là). Une licence d’État est exigée de toutes les sociétés intervenant dans des industries à forte consommation d’énergie, telles que les aciéries et les cimenteries, ce qui limite les perspectives de libre entrée sur le marché et de concurrence. En outre, les subventions à l’énergie influent sur le prix du travail par rapport au capital, ce qui a un effet dissuasif sur les activités nécessitant une forte main-d’œuvre et détourne l’économie des domaines où elle jouit d’un réel avantage comparatif. La mise en place des subventions à l’énergie a réduit les perspectives de libre entrée et de compétition sur le marché. Les subventions ont profité de manière disproportionnée à quelques grandes entreprises anciennes. S’implanter dans des industries à forte consommation d’énergie exige toujours un gros investis- sement fixe au démarrage, ce qui implique d’avoir accès aux terres et au crédit. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 65 De plus, toute société opérant dans les industries lourdes à fort coefficient d’énergie, telles que les aciéries et les cimenteries, doivent être titulaires d’une licence d’État, ce qui entrave la libre entrée et la concurrence sur le marché. Comme il s’agissait d’une licence annuelle renouvelable, délivrée par le ministère de l’Industrie et du Commerce ou le ministère de l’Investissement, certaines entreprises étaient parfois privées de subventions. La figure 2.2 illustre la répar- tition de l’emploi par taille ou par âge de l’entreprise ainsi que le degré de consommation énergétique des industries6. Notons que cet échantillon couvre toutes les entreprises recensées en 2006. Les grandes sociétés représentaient la moitié de l’emploi dans les industries à forte intensité énergétique, mais seule- ment environ 24 % et 23 % de l’emploi dans les industries ayant une consom- mation énergétique modérée à faible, respectivement. À l’inverse, l’emploi dans ces industries était concentré dans de petites sociétés qui employaient 57 % et 63 % respectivement des actifs de ces secteurs. Les disparités de la répartition de l’emploi dans les industries à forte consommation d’énergie sont encore plus frappantes si l’on distingue les sociétés par âge : les entreprises anciennes repré- sentaient alors 73 % de l’emploi dans ces industries, contre seulement 27 % pour les jeunes sociétés. La majoration impliquée du coût du travail — par rapport au capital — contribue aussi à expliquer pourquoi les grandes sociétés anciennes n’ont guère contribué à la création d’emplois. Figure 2.2 Répartition de l’emploi, par intensité d’énergie, par taille et par âge a. Intensité d'énergie et taille b. Âge 70 80 60 70 60 50 50 40 Pourcentage Pourcentage 40 30 30 20 20 10 10 0 0 Forte intensité Intensité énergétique Faible intensité Forte intensité Intensité énergétique Faible intensité énergétique modérée énergétique énergétique modérée énergétique Grandes entreprises Moyennes entreprises Petites entreprises Entreprises anciennes Jeunes entreprises Source : Calculs fondés sur les données de recensements d’entreprises. Note : Grandes entreprises : au moins 200 employés ; moyennes entreprises : effectif de 10 à 200 employés ; petites entreprises : moins de 10 employés. Les jeunes entreprises ont moins de 10 ans d’activité, les entreprises anciennes un minimum de 10 ans d’activité. 66 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Ces distorsions prélèvent un lourd tribut sur le travail ; le secteur industriel égyptien génère 1,4 million d’emplois de moins qu’en Turquie, pays qui consti- tue un bon point de référence étant donné que les deux pays ont une popula- tion comparable (74 millions pour la Turquie, contre 81 millions pour l’Égypte en 2012) alors que le PIB total (en dollars) est environ trois fois plus faible en Égypte. De surcroît, le secteur manufacturier turc s’est fortement développé pendant les 20 dernières années en tirant parti de son intégration dans les chaînes de valeur européennes. Cette différence de performance entre les secteurs manufacturiers des deux pays se reflète dans le nombre total d’emplois : le secteur industriel turc employait 4,8 millions de travailleurs en 2012, contre 3,4 millions en Égypte7. En dépit de l’avantage comparatif en coût de la main-d’œuvre dont dispose l’Égypte, la proportion d’emplois dans les filières de transformation à forte intensité de main-d’œuvre est inférieure à celle de la Turquie. La figure 2.3 trace le nombre d’emplois par intensité en facteurs d’après les données du recen- sement 2006 des entreprises égyptiennes. Elle montre qu’en Égypte, quelque 562 000 personnes travaillent dans des sociétés de transformation à forte inten- sité de main-d’œuvre, contre environ 886 000 en Turquie8. On peut s’étonner de cette proportion plus faible en Égypte étant donné que son moindre niveau de développement (le PIB par habitant y est environ 3,2 fois inférieur à celui de la Turquie) lui donne un avantage comparatif relatif dans les secteurs à forte inten- sité de main d’œuvre comme les fabriques de textile, de vêtements, de produits en cuir, de chaussures et d’articles en papier, la publication et l’imprimerie. Figure 2.3 Part de l’emploi, par intensité en facteurs du secteur, en République arabe d’Égypte (2006) et en Turquie (2010) 1 200 000 1 000 000 800 000 Nombre d'employés 600 000 400 000 200 000 0 Rép. arabe d'Égypte (2006) Turquie (2010) Intensité de capital Intensité de main-d’œuvre Ressources naturelles Source : Calculs fondés sur les données de recensements d’entreprises ; Hussain et Schiffbauer (2014). Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 67 ENCADRÉ 2.3 La mauvaise allocation du capital en République arabe d’Égypte Les grandes sociétés industrielles égyptiennes moyens et marginaux du travail et du capital sont plus intensives en capital, mais moins évoluent en parallèle (Hsieh et Olken 2014). La productives. Les petites entreprises de la région figure B2.3.1 montre que c’est effectivement le MENA n’ont guère accès au crédit (Banque cas en Égypte. Les grandes sociétés manufactu- mondiale 2011). Il y a donc tout lieu de s’attendre rières et minières ont une meilleure productivité à ce que la croissance des petites entreprises soit du travail et de fortes intensités du capital, mais plus entravée que celles des grandes, dans la une moindre valeur ajoutée par unité de capital. mesure où elles ne peuvent pas financer leurs Elles ont en outre une plus faible producti- projets d’investissement rentables. De même, vité totale des facteurs, mesure privilégiée de les petites entreprises ont moins accès aux terres, la productivité car elle permet de contrôler les aux zones industrielles ou aux subventions, ce différences d’intensité du capital entre les socié- qui permet aussi de penser que les coûts margi- tésa. En conséquence, les ratios capital/travail naux du capital sont plus importants pour elles nettement plus élevés des grandes entreprises que pour les grandes sociétés. Comme on l’a vu viennent surcompenser la faible productivité des au chapitre 1, si les petites entreprises ont plus facteurs et contribuent à stimuler la productivité de mal à se développer (coûts marginaux élevés du travail dans ces entreprises. du travail ou du capital), elles devraient afficher Ces résultats suggèrent que les petites des niveaux moyens plus élevés de valeur ajoutée entreprises égyptiennes sont entravées par le par travailleur et capital, puisque les produits manque de capital ; en d’autres termes, le capital Figure E2.3.1 Productivité du secteur manufacturier et du secteur minier, par taille 11 3,0 11 2,5 2,0 10 1,5 10 1,0 9 0,5 9 0 8 –0,5 10–19 20–49 50–99 100–199 200–999 ≥1 000 Productivité totale des facteurs log (axe de droite) Valeur ajoutée log/travailleur (axe de droite) Capital log par travailleur (axe de gauche) Valeur ajoutée log/capital (axe de gauche) Source : Calculs fondés sur le recensement industriel. 68 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ENCADRÉ 2.3  Suite disponible dans l’industrie est alloué à tort à fonction de la taille sont d’autant plus frappantes quelques grandes entreprises anciennes. Dans que les grandes sociétés sont systématiquement une économie efficiente, les forces exercées par plus productives dans les autres pays, ce qui la concurrence contribuent à un redéploiement reflète peut-être des convergences anciennes des ressources en direction des entreprises les puisque les entreprises les plus productives plus productives, ce qui égalise progressive- grossissent avant que les productivités margi- ment les productivités (marginales) entre les nales ne s’égalisent. Invoquant des données de différentes catégories d’entreprises. Aussi, le recensement des entreprises de transformation redéploiement du capital des grandes sociétés en Inde, en Indonésie et au Mexique, Hsieh et industrielles aux petites viendrait accroître la Olken (2014) par exemple avancent que ce sont productivité globale des entreprises égyptiennes. les grandes sociétés, et non les petites entreprises Ces erreurs d’allocation des ressources en qui voient leur croissance entravée. Note : a. La conjugaison d’une forte productivité du travail et d’une faible productivité totale des facteurs implique une forte intensité de capital, au moins pour les fonctions classiques de production. Dans le cas d’une fonction de production de Cobb-Douglas par exemple, la productivité log du travail est la somme pondérée de la productivité totale des facteurs log et de l’intensité du capital, où par exemple : ( ) log Ly L ) , Y est la production, L le travail, K le capital et a la part du travail dans la production. = log(TFP) + (1− α )log( K L’application discriminatoire des politiques fait obstacle à l’établissement de règles de jeu équitables dans la région MENA Pour les entreprises de la région MENA, l’incertitude qui caractérise les politiques d’inter- vention constitue un obstacle « grave », voire « majeur » à la croissance. Nous montrons que les entreprises qui dénoncent « l’incertitude des politiques » expriment surtout leurs craintes de « l’application incertaine des politiques » compte tenu des pratiques discrimi- natoires. De ce point de vue, les disparités observées dans les données sont considérables, et les entreprises consacrent un temps et des efforts considérables à influencer la mise en œuvre des politiques. L’analyse révèle aussi que cette incertitude mine la concurrence et l’innovation dans plusieurs pays de la région MENA, laissant supposer un impact poten- tiellement néfaste sur la croissance de la productivité et le dynamisme du secteur privé, notamment la constitution et la croissance de nouvelles entreprises. Dans la région MENA, les distorsions ne sont pas uniquement dues à la législa- tion, et peuvent aussi se manifester dans les inégalités d’application des règles et réglementations d’une entreprise à l’autre9. En dépit d’écarts importants entre les pays et régions, les indices macroéconomiques et les politiques commerciales de la plupart des pays de la région sont grosso modo les mêmes que pour d’autres pays à croissance rapide d’Asie de l’Est et d’Europe de l’Est. Selon la Banque mondiale (2009), les écarts entre les indicateurs macroéconomiques et les indicateurs de politique commerciale sont trop faibles pour expliquer la disparité des résul- tats de la région MENA et des pays en développement rapide d’autres régions. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 69 Le rapport en conclut qu’à quelques rares exceptions, le classement de la région est tout aussi « moyen » que celui de la Chine, de la Malaisie, de la Pologne, de la Thaïlande et de la Turquie. Par ailleurs, hormis quelques pays particuliè- rement restrictifs (l’Iraq, la République islamique d’Iran, Djibouti et, dans une moindre mesure, la République arabe syrienne, la Cisjordanie et Gaza), les indica- teurs du rapport Doing Business10 semblent indiquer que dans la plupart des pays de la région MENA, l’environnement des entreprises est comparable, sur le plan juridique, à celui des pays émergents d’autres régions qui connaissent une expan- sion rapide et dynamique, notamment si l’on fait abstraction des restrictions concernant l’accès aux financements et l’exécution judiciaire des contrats11. Dans la région MENA, une écrasante majorité des entreprises consultées considère que l’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques constitue un obstacle « grave », voire « majeur » à la croissance des entreprises. Plus de la moitié d’entre elles voient l’incertitude des politiques économiques et réglemen- taires comme une entrave à leur propre croissance, et elles sont près de 35 % à y voir un obstacle « grave » à « majeur » (figure 2.4). En dépit de certaines variations d’un pays à l’autre, l’incertitude des politiques demeure l’un des principaux freins à la croissance de la région, au côté de la concurrence du secteur informel, de l’accès aux financements et de l’incertitude macroéconomique. Ainsi, le premier obstacle à la croissance en Égypte réside dans la concurrence exercée par le Figure 2.4 Application incertaine des politiques réglementaires dans la région MENA Yémen, 2010 République arabe syrienne, 2009 Libye, 2009 Rép. arabe d’Égypte, 2008 Rép. arabe d’Égypte, 2007 Maroc, 2007 Tunisie, 2013 Liban, 2006 Liban, 2009 Jordanie, 2011 Jordanie, 2006 Algérie, 2007 Iraq, 2011 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Entreprises (%) Obstacle grave/majeur Obstacle modéré Obstacle mineur Source : Calculs fondés sur les enquêtes auprès des entreprises de 2006–2013. 70 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord secteur informel (plus de 19 % des entreprises consultées), immédiatement suivi par l’incertitude macroéconomique et l’incertitude des mesures réglementaires (13,5 % et 12,5 % respectivement). Bien que la plupart des autres freins — comme les infrastructures, l’incertitude macroéconomique ou l’accès aux financements — soient examinés dans les études sur la croissance économique, ce que l’on entend par « incertitude réglementaire » et la manière dont elle affecte la croissance de l’entreprise est bien moins évidente. Dans les sections ci-après, nous présentons des éléments attestant que l’aversion des entreprises de la région pour l’incertitude réglementaire tient principalement à l’application discriminatoire des politiques qui profite à quelques sociétés dotées de caractéristiques spécifiques, ce qui nuit à l’établissement de règles de jeu équitables et semblables pour tous. L’application disparate des politiques d’une entreprise à l’autre se traduit par des situations très différentes. L’un des moyens de comprendre l’incerti- tude réglementaire consiste à étudier la variabilité au niveau des entreprises. Nous avons passé en revue des données d’enquêtes réalisées auprès de 8 120 entreprises dans 11 pays de la région MENA12. Dans les enquêtes de la Banque mondiale, les entreprises évaluent sur le plan qualitatif et quantitatif les nombreux obstacles à leur croissance. L’analyse porte sur des données témoi- gnant de l’application disparate des politiques signalée par les entreprises, par exemple les délais de délivrance d’une licence d’exploitation ou d’un permis de construire ou de dédouanement de leurs marchandises. Le tableau 2.1 résume les TABLEAU 2.1 Moyennes et dispersion des jours d’attente imposés aux entreprises pour l’obtention de services réglementaires Nombre moyen de jours Coefficient de variation Licence Dédouane- Dédouane- Licence Permis Licence Dédouane- Dédouane- Licence Permis d’exploita- ment ment d’importa- de d’exploita- ment ment d’importa- de Pays tion d’imports d’exports tion construire tion d’imports d’exports tion construire Jordanie — — 2 — — — — 1,43 — — Rép. arabe d’Égypte — 9 7 33 200 1,21 1,55 2,26 2,37 Rép. arabe d’Égypte 282 9 6 59 346 2,89 1,22 1,05 1,47 1,93 Rép. du Yémen 13 — 8 24 48 2,84 — 1,43 2,51 1,54 Jordanie 10 9 4 5 37 2,59 1,50 0,94 2,14 1,75 Cisjordanie et Gaza 30 22 6 24 50 2,46 1,40 1,25 1,15 0,72 Tunisie 19 9 5 19 158 2,20 1,46 1,36 1,55 2,65 Maroc 4 4 2 2 61 1,87 1,46 1,32 0,61 1,72 Algérie 19 17 14 33 112 1,39 0,91 0,91 1,04 1,46 Liban 151 10 7 109 150 1,28 1,40 1,39 1,33 0,92 Rép. arabe syrienne 184 10 5 39 245 1,26 1,13 1,13 1,81 1,08 Libye 50 13 6 — 90 1,22 0,87 0,22 — 1,24 Liban 81 7 7 30 218 0,87 1,27 1,32 0,52 1,53 Iraq 30 21 11 21 36 0,72 0,89 0,41 0,98 0,56 Turquie 37 10 — 21 42 2,88 1,34 — 1,67 1,65 Chili 84 17 — 17 143 2,62 1,39 — 1,59 1,94 Croatie 26 2 — 12 182 1,69 1,25 — 1,27 1,25 Bulgarie 62 3 — 21 94 1,59 1,1 — 1,17 1,04 Indonésie 21 3 — 11 32 1,43 1,09 — 0,94 1,93 Inde 29 14 — 15 28 1,4 1,02 — 1,82 1,33 Brésil 83 15 — 43 139 1,14 1,1 — 1,25 1,31 Source : Enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises, années diverses comprises entre 2006 et 2011. Note : — = Cellules où les données disponibles sont insuffisantes en raison d’un faible taux de réponse à la question ou parce que l’information n’a pas été recueillie. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 71 moyennes et la dispersion du nombre de jours d’attente imposés aux entreprises des pays de la région MENA pour divers services réglementaires et différentes années entre 2006 et 2013. En dépit de différences entre les pays, les varia- tions internes sont plus importantes que celles constatées entre les pays. Ces fortes variations internes sont liées aux mesures engagées par les entreprises pour influencer l’issue de l’application des politiques, par exemple négocier avec des fonctionnaires ou payer des pots-de-vin. Les informations qualitatives appuient l’argument selon lequel l’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques constitue une sérieuse entrave à la crois- sance des entreprises. En 1998, un conglomérat familial diversifié de l’un des pays de la région a ouvert le premier supermarché d’une nouvelle chaîne ; en 2005, il comptait 18 magasins dans le pays. Voici la réponse d’un des direc- teurs de cette chaîne, interrogé sur les entraves à la conduite de leurs affaires (Banque mondiale 2009) : Nous aurions déjà créé plus de 50 magasins pour satisfaire une demande croissante si l’ouverture d’une succursale n’était pas un tel parcours du combattant. C’est de loin la plus grosse difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Nous devons traiter localement avec 11 organismes différents pour obtenir les autorisations nécessaires. En règle générale, on n’obtient qu’une autorisation temporaire qui permet de lancer l’exploitation, mais l’autorisation définitive peut prendre des mois, voire des années. Leurs licences temporaires doivent être renouvelées tous les six mois. Pour la plupart, les lois auxquelles nous sommes soumis remontent à plus de 50 ans, quand les supermarchés n’existaient pas, de sorte que leur application est presque totalement discrétionnaire. Par comparaison avec la plupart des autres pays émergents, les résultats d’enquêtes sur les entreprises de la région MENA révèlent des disparités bien supérieures dans la façon dont le droit des sociétés est appliqué par les fonction- naires. La durée moyenne de délivrance d’une licence d’exploitation, d’un permis de construire ou d’une licence d’importation est la plus importante en Égypte, en Syrie et au Liban. Ces résultats sont conformes aux indicateurs du rapport Doing Business, à savoir que le droit des sociétés est en moyenne plus restrictif en Syrie et en Égypte, et plus compétitif en Tunisie et en Jordanie13. Le tableau 2.1 met cependant en évidence d’importantes variations dans l’application des textes selon les entreprises dans tous les pays de la région : le coefficient de varia- tion du temps nécessaire à l’obtention des différents services réglementaires est généralement plus élevé dans les pays de la région MENA, surtout en Égypte, en Jordanie, en Tunisie, en République du Yémen et au Maroc, que dans les pays émergents d’autres régions14. Les fortes variations de l’application des politiques perdurent chez les entre- prises du même secteur. La figure 2.5 illustre les 90e, 50e et 10e percentiles de la distribution du nombre de jours imposés pour la délivrance d’une licence d’exploitation ou d’un permis de construire ou le dédouanement de marchan- dises, d’après les données de la plus récente enquête sur les entreprises de chacun des pays de la région. Là encore, les constats confirment que les variations d’une entreprise à l’autre dans un même pays sont très souvent plus importantes que 72 Délai nécessaire (jours) à la délivrance d'un permis de construire Délai nécessaire (jours) à la délivrance d'une licence d'exploitation Figure 2.5 Délai (jours) de dédouanement Yé Yé Yé 0 10 20 30 40 50 0 200 400 600 800 0 100 200 300 400 Cis me Cis Cis me jor da n ,2 jor me n, jor n ,2 01 da 20 da 01 nie et 0 nie 10 nie 0 G et et aza Ga Ga Ré ,2 za, za, pu 00 Ré 20 20 bli Tu 6 pu bli Tu 06 Tu 06 qu nis qu nis nis ea ie, ea ie, ie, rab 20 rab 20 20 es 13 es 13 13 yri yri en en n e, ne 2 00 ,2 00 Ma 9 9 Ma Ma roc roc roc ,2 ,2 ,2 00 00 00 7 7 7 Lib Lib Lib ye ye, ye, ,2 20 20 00 9 09 09 10e percentile Lib Lib Lib an an an ,2 ,2 ,2 00 00 00 6 6 6 Lib Lib Lib an an an ,2 ,2 ,2 00 00 00 9 9 9 50e percentile Jor Jor Jor c. Dédouanement da da da b. Permis de construire nie nie nie a. Licence d'exploitation ,2 ,2 ,2 01 01 01 Jor 1 Jor 1 Jor 1 da da da nie nie nie , 20 ,2 ,2 06 00 00 Ré 6 6 90e percentile p. Ira Ré Ré p. Ira p. Ira ara q, ara q, ara q, be 20 be 20 be 20 d’É 11 d’É 11 d’É 11 Source : Calculs fondés sur diverses enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises, 2006-2013. Ré gy Ré gy gy p. pte p. pte pte ara selon les entreprises, pour quelques pays de la région MENA ,2 ara ,2 ,2 be 00 be 00 00 d’É 8 d’É 8 8 gy gy pte pte ,2 ,2 00 00 Alg 7 Alg 7 Alg éri éri éri e, e, 2 e, 2 20 00 00 07 7 7 Variabilité du nombre de jours nécessaires à diverses procédures réglementaires Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 73 celles entre les pays. Parmi les 11 pays de la région, la Jordanie a le plus bas délai médian d’obtention d’une licence d’exploitation, soit un jour. D’autres pays ont de faibles délais médians — sept jours — comme la Tunisie et la République du Yémen. Même si les caractéristiques du secteur peuvent partiellement expliquer ces différences, cela ne change rien aux importantes inégalités d’application des politiques aux entreprises d’un même secteur. Ainsi, dans le secteur jordanien du textile et du vêtement, 10 % des sociétés obtiennent un permis de construire en cinq jours seulement, tandis que 80 % d’entre elles doivent attendre de 5 à 120 jours. Dans d’autres filières de transformation, l’entreprise médiane a attendu sept jours pour faire dédouaner des marchandises à l’importation, tandis que 40 % des autres entreprises ont attendu entre 7 et 21 jours. Les variations d’application des politiques entre les entreprises d’un même secteur peuvent en partie au moins s’expliquer par l’ampleur des tractations au niveau de l’entreprise, à savoir que les entreprises sont traitées différemment en fonction de certains de leurs attributs, comme l’identité des propriétaires (ce qui distingue l’entreprise lambda de celles ayant des liens avec le régime en place, voir le chapitre 4). Ces ententes font toute la différence, en ce sens que les entreprises parviennent ou non à influencer la façon dont les fonctionnaires appliqueront les politiques ; certaines des variations au niveau de l’entreprise peuvent donc traduire l’incerti- tude liée aux pressions exercées, en ce sens que certaines sociétés seront favori- sées et d’autres non (Hallward-Driemeier, Khun-Jush et Pritchett 2010). Le sentiment que les politiques donnent lieu à une application systématique et prévisible varie en fonction de la taille de l’entreprise et de son lieu d’implan- tation. Le tableau 2.2 montre la proportion d’entreprises qui ne voient rien de systématique ou de prévisible dans la façon dont les politiques sont mises en œuvre. En Égypte et en Jordanie, on constate de grandes disparités selon que les entre- prises opèrent dans les capitales du Caire et d’Amman ou en périphérie. Dans Tableau 2.2 Proportion d’entreprises réfutant l’affirmation selon laquelle l’application des règles est « systématique et prévisible » Rép. arabe Rép. du Rép. arabe Cisjordanie d’Égypte Liban, Jordanie, Maroc, Tunisie, Algérie, Yémen, syrienne, Iraq, et Gaza, 2008 2006 2006 2007 2013 2007 2010 2009 2011 2006 Petites (5 à 19 employés) 47 42 34 53 23 66 65 45 70 68 Moyennes (20 à 99 employés) 50 49 50 57 28 52 55 42 62 66 Grandes (plus de 100 employés) 45 39 43 67 27 51 67 44 54 55 Secteur alimentaire 53 49 40 56 25 59 45 44 62 56 Textiles et vêtements 48 56 51 68 26 62 59 46 86 75 Produits chimiques 41 44 67 63 18 48 88 35 54 67 Autres industries de 47 39 39 60 32 53 59 46 70 68 transformation Services nd 43 33 51 25 nd 67 43 67 68 Bâtiment et transport nd nd 44 59 nd 68 50 27 69 64 Capitale (ou grande ville) 51 41 62 54 21 60 58 59 34 60 Périphérie de la capitale 46 50 24 73 30 57 63 63 67 74 Source : Calculs fondés sur diverses enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises, 2006–2013. 74 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord la zone métropolitaine d’Amman, 62 % d’entre elles jugent l’application des politiques irrationnelle et imprévisible, contre seulement 24 % dans la périphérie. Pour la ville du Caire, la proportion est de 51 %, contre 46 % dans la périphérie. Ces différences locales ne sont pas observées dans les autres pays de la région MENA où c’est en moyenne le sentiment inverse qui domine, sauf en Algérie. Les disparités géographiques reflètent en partie les différences d’attitude ou d’accès aux pouvoirs publics (services municipaux). Les administrations compé- tentes pour le secteur des affaires sont majoritairement situées dans la capitale, d’où une facilité d’accès accrue pour les entreprises qui y sont implantées. Dans le cas de la Jordanie, il se pourrait que les entreprises établies à l’extérieur d’Amman soient moins gênées par la concurrence, d’où des coûts moins impor- tants liés à la variabilité des services réglementaires. Ces entreprises sont en moyenne plus petites, moins susceptibles d’exporter et majoritairement canton- nées au secteur des services. L’Égypte pourrait être dans la même situation de ce point de vue. Les PME ont moins tendance à se plaindre de l’imprévisibilité des mesures politiques en Algérie, en Égypte, en Iraq, au Liban, en Cisjordanie et à Gaza. Les entreprises de la région MENA prennent des mesures coûteuses pour influencer l’issue de l’application des politiques par les fonctionnaires. L’ampleur de ces mesures varie selon les entreprises d’un même pays. Le tableau 2.3 indique le temps moyen consacré par les directeurs d’entreprise à leurs entretiens avec les pouvoirs publics. Il révèle une augmentation du temps moyen quand l’applica- tion de la réglementation est incertaine. En République du Yémen par exemple, les directeurs d’entreprise passent en moyenne 35 % de leur temps à influencer TableAU 2.3 Ampleur des mesures engagées par les entreprises pour influencer la mise en œuvre des politiques, pour tous les types d’entreprises de la région MENA Pourcentage moyen du temps consacré par les directeurs d’entreprise aux négociations avec les pouvoirs publics Rép. arabe Rép. du Rép. arabe Cisjordanie Jordanie, Maroc, Liban, d’Égypte, Tunisie, Algérie, Yémen, syrienne, Iraq, et Gaza, Pays 2006 2007 2006 2008 2013 2007 2010 2009 2011 2006 Total 8,4 13,2 10,5 11,0 24,8 25,1 17,4 13,2 6,2 7,1 Entreprises de la capitale 12,7 7,7 13,4 8,4 36,0 21,2 21,5 13,2 5,0 6,4 Entreprises hors capitale 4,3 15,6 12,1 11,7 17,7 27,5 16,0 13,2 6,5 7,9 Petites (5 à 19 employés) 7,0 10,6 11,6 8,5 27,2 22,9 14,7 14,6 4,2 6,6 Moyennes (20 à 99 employés) 10,6 14,0 13,3 13,1 24,8 27,7 19,8 14,1 10,2 7,7 Grandes (plus de 100 employés) 6,8 13,3 13,3 10,9 22,1 27,9 24,3 9,7 8,3 8,5 Secteur alimentaire 10,1 11,9 13,3 11,6 21,0 26,9 19,1 15,0 6,8 7,8 Textiles et vêtements 7,1 9,0 12,8 12,7 22,1 24,7 14,2 8,8 1,6 6,2 Produits chimiques 7,9 12,2 11,1 11,0 20,5 23,8 37,5 11,8 4,4 8,4 Autres industries de 9,9 14,6 17,5 10,2 25,9 28,4 15,1 12,0 4,1 6,6 transformation Services 5,5 16,2 12,0 nd 29,1 21,2 22,4 16,8 7,7 7,4 Bâtiment et transport 12,2 21,3 nd nd nd 26,3 20,4 16,5 10,3 8,3 Source : Calculs fondés sur diverses enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises, 2006–2013. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 75 les politiques, l’effort engagé en ce sens étant particulièrement important pour ce qui est des entreprises chimiques. Les grandes sociétés semblent aussi consa- crer beaucoup de temps à influencer les politiques. En Tunisie, les entreprises du secteur des services, dont le tourisme et l’hôtellerie, passent généralement davantage de temps à traiter avec les fonctionnaires. Au Maroc et en Jordanie, ces tractations absorbent une grosse partie du temps des directeurs d’entreprises du bâtiment et des transports. Les sociétés ont plus tendance à prendre des mesures coûteuses quand l’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques augmente. Les différences d’accès aux services réglementaires tiennent peut-être au fait qu’un sous- ensemble de sociétés jouit d’un accès privilégié, par exemple les entreprises proches du pouvoir politique, ou à des différences de performance de la part des fonctionnaires chargés d’appliquer les politiques. L’analyse de régression met néanmoins en évidence une corrélation systématique entre l’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques et les mesures prises par les entreprises pour influencer leur application, ce qui porte à croire que l’application des textes par les fonctionnaires n’est pas aléatoire, mais discriminatoire. Nous avons regroupé les entreprises par lieu d’implantation, par secteur et par taille. Le coefficient de variation est calculé pour la variable permettant de mesurer le degré d’application systématique des politiques, telle que perçue par les entreprises de chaque groupe. Nous désignons cette variable « incertitude liée à la mise en œuvre des politiques ». Nous avons aussi calculé pour chaque groupe le temps moyen que les directeurs d’entreprise passent, par exemple, à discuter avec des fonctionnaires dans le but de les influencer (variable dépen- dante) ; cette variable est un paramètre indirect qui permet de quantifier les mesures prises par les entreprises pour infléchir l’application des politiques. Les résultats présentés au tableau 2.4 montrent que les directeurs d’entreprise des différents groupes passent davantage de temps à traiter avec les fonction- naires à mesure que s’accroît l’incertitude. Tableau 2.4 Plus la mise en œuvre des politiques est incertaine, plus les directeurs d’entreprise consacrent du temps aux interactions avec les pouvoirs publics Temps moyen (%) consacré par les directeurs d’entreprise aux interactions Variable dépendante avec les fonctionnaires Coefficient de variation des entreprises faisant état d’une 0,234** application systématique et prévisible des politiques (2,13) R2 0,331 Nombre de groupes d’entreprises (lieu d’implantation, 55 secteur, taille) Source : Banque mondiale (2012). Note : Chaque entrée reflète les résultats d’une régression incluant variables sectorielles et hétéroscédasticité des écarts-types robustes ; les valeurs-t sont présentées entre parenthèses. Le coefficient de corrélation entre le temps consacré aux négociations et les dessous-de-table signalés est de 0,305 (certains pays sont exclus). Seuil de signification : * = 10 % et ** = 5 %. 76 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord En Jordanie et en Égypte, l’application incertaine des politiques est corrélée à un moindre degré de concurrence, d’innovation et de croissance des entreprises. Selon les enquêtes réalisées par la Banque mondiale auprès des entreprises de ces deux pays, ce sont les écarts d’application des lois d’une entreprise à l’autre, et non les lois elles-mêmes, qui distinguent ces pays des pays émergents en dévelop- pement rapide d’autres régions. Par ailleurs, nous affirmons que l’application discriminatoire des politiques entrave le dynamisme économique — concurrence et innovation — autant que la croissance des entreprises. Le tableau 2.5 présente des constats empiriques pour la Jordanie et l’Égypte. On peut constater que l’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques a pour effet de réduire les TableAU 2.5 L’incertitude liée à la mise en œuvre des politiques freine l’innovation et la croissance des entreprises en Jordanie et en République arabe d’Égypte Jordanie Concurrence intérieure Concurrence poussant les coûts étrangère poussant Croissance de l’emploi, Probabilité à la baisse les coûts à la baisse 2003–2006 d’innovation Variables dépendantes (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Coefficient de variation des entreprises −1,01* 0,822 −,647** −,807 faisant état d’une application (−1,76) (0,75) (−2,24) (−,97) systématique et prévisible des politiques Différence des entreprises des 75e–25e −,155** −,072** −,206* percentiles faisant état d’une (−2,04) (−1,95) (−1,85) application systématique et prévisible des politiques R-carré 0,120 0,122 0,336 0,199 0,197 0,238 0,241 Nombre d’entreprises 467 467 419 436 436 487 487 République arabe d’Égypte Concurrence intérieure Concurrence poussant les coûts étrangère poussant Croissance de l’emploi, Probabilité à la baisse les coûts à la baisse 2003–2006 d’innovation Variables dépendantes (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Coefficient de variation des entreprises 0,025 0,060 −,111** −,787** faisant état d’une application (0,36) (1,00) (−2,57) (−2,96) systématique et prévisible des politiques Différence des entreprises des 75e–25e 0,013 −,002 −,090 percentiles faisant état d’une (0,53) (−0,09) (−1,04) application systématique et prévisible des politiques R-carré 0,031 0,031 0,043 0,420 0,418 0,109 0,106 Nombre d’entreprises 902 902 899 878 878 905 905 Source : Banque mondiale (2012) et Banque mondiale (2013). Note : Les résultats sont extraits de la Banque mondiale 2012 pour la Jordanie, et sont calculés pour la République arabe d’Égypte. Les résultats concer- nant la Jordanie sont basés sur des données économiques et sociales pour 2006, pour l’Égypte sur des données d’emploi dans le secteur manufacturier en 2007. Toutes les régressions incluent les variables sectorielles (sauf pour la spécification 1) et l’hétéroscédasticité des écarts-types robustes rassem- blés au niveau du groupe ; les valeurs-t sont indiquées entre parenthèses. La moyenne et l’écart type sont calculés pour les groupes d’entreprises, pour chaque groupe de lieu d’implantation, secteur, et taille. L’innovation est une variable binaire égale à 1 si l’entreprise a introduit un nouveau produit ou un nouveau procédé, ou si elle a obtenu une licence pour l’exploitation d’une technologie étrangère au cours des trois dernières années, ou une variable binaire nulle dans les autres cas (la moitié environ des entreprises de l’échantillon sont ainsi considérées innovantes). Seuil de signification : * = 10 % et ** = 5 %. Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 77 pressions perçues provenant de la concurrence interne15. En revanche, elle n’est pas corrélée aux pressions dues à la concurrence étrangère (spécification 3). Tous ces résultats fournissent un test indirect qui élimine le risque de corrélation falla- cieuse, étant donné que les variations — ou l’incertitude — de la mise en œuvre des politiques devraient avoir pour effet de réduire la concurrence interne, sans affecter la compétition liée aux importations. De plus, les constats empiriques concernant la Jordanie et l’Égypte montrent que plus un groupe d’entreprises (lieu, secteur ou taille) réfute l’affirmation selon laquelle les pouvoirs publics appliquent les politiques de manière « systématique et prévisible », plus faibles sont les chances de croissance de l’emploi et d’innovation dans ce groupe d’entreprises. Les résultats suggèrent que c’est l’application discriminatoire des politiques, et non les lois elles-mêmes, qui décourage la concurrence, l’innovation et la croissance de l’emploi en octroyant des privilèges à certaines entreprises. En d’autres termes, on peut s’attendre à ce que les entreprises qui présentent certaines caractéristiques ou engagent certaines mesures, soient celles qui bénéficieront d’une application rationnelle et systématique des services et des procédures. Cette situation peut engendrer une inégalité des conditions d’intervention et saper la compétitivité des entreprises de la région. Les données suggèrent que : a. Les caractéristiques des entreprises (taille, âge ou identité des propriétaires) et les mesures qu’elles prennent (pots-de-vin et pressions) ont une influence systématique sur la manière dont les politiques sont appliquées ; et, b. L’incertitude ainsi créée nuit à la concurrence, à l’innovation et à la création d’emplois. Notes   1. Les effets de l’IDE ont été mesurés sur l’emploi plutôt que sur la productivité, comme dans Javorcik (2004), compte tenu de l’absence de mesures fiables de production des entreprises. L’accent a été mis sur les impacts de la présence de sociétés étrangères sur la croissance de l’emploi à long terme en 2006 et jusqu’en 2011. Nous prenons donc pour hypothèse que les effets d’apprentissage sur cinq ans (retombées technologiques) chez les fournisseurs nationaux se traduisent par des créations d’emploi. Par ailleurs, contrairement à Javorcik (2004), nos données permettent de mesurer les effets d’externalité sur les entreprises du secteur manufacturier et du secteur des services.   2. Voir Marotta et al. (2014) pour les travaux connexes concernant la Tunisie.   3. Notons que l’effet net sur le bien-être pourrait tout de même rester positif, même en cas d’éviction totale, si les entreprises étrangères paient des salaires plus élevés.   4. Des informations plus détaillées et des analyses supplémentaires sont présentées dans le document correspondant de Gasiorek et al. (2014). On trouvera à l’annexe F de plus amples détails sur les sources de données et les méthodes ainsi qu’un tableau résumant les principaux résultats empiriques.   5. Le tableau F.2 de l’annexe F résume les résultats des régressions du taux global de création nette d’emplois selon les variables de l’environnement des affaires, qui sont classées comme suit : a) contexte réglementaire ; b) concurrence ; et c) accès au 78 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord financement. La première colonne indique les coefficients pour ces variables en l’absence d’interaction, tandis que les colonnes suivantes donnent les coefficients influencés par les politiques pour les différents « types » d’entreprises. Les variables concernant l’accès aux financements et la concurrence sont observées au niveau de l’entreprise (en conjuguant les données de recensement et les données des enquêtes de la Banque mondiale au niveau des entreprises) tandis que les variables réglemen- taires sont agrégées au niveau sectoriel.   6. La classification des industries par intensité énergétique forte, moyenne et faible est fondée sur un document de travail du Service des politiques de développement et de la recherche stratégique de l’ONUDI (2010) intitulé « Compilation of Energy Statistics for Economic Analysis » 01/2010. Les industries à forte intensité d’énergie représentent 22 % de l’ensemble des industries minières et manufacturières à quatre chiffres, les filières à intensité énergétique moyenne 37 %, et celles à faible intensité d’énergie 42 %.   7. Le nombre total de personnes employées dans l’industrie en République arabe d’Égypte est extrait de l’Enquête par panel sur le marché du travail égyptien et, pour la Turquie, de l’enquête annuelle sur la population active réalisée par Turkstat.   8. Les chiffres cités ici diffèrent de ceux de l’Enquête par panel sur le marché du travail égyptien pour l’emploi dans l’industrie en 2012, tels que mentionnés au paragraphe précédent, car le recensement a été réalisé en 2006 et ne couvre pas l’ensemble des travailleurs du secteur informel ou à temps partiel.   9. Cette section suit la méthodologie établie par Hallward-Driemeier et al. (2010).   10. Les indicateurs du rapport Doing Business mesurent la durée et les coûts des procédures légales pour une entreprise nationale représentative de la capitale ou pour le plus gros centre d’affaires du pays. Les aspects mesurés sont le coût de démarrage d’une entreprise, la délivrance d’un permis de construire, l’immatriculation des biens, l’obtention d’un crédit, la protection des investisseurs, le paiement des impôts, le commerce transfrontière, l’exécution des contrats, la clôture d’une entreprise et l’abonnement aux services de distribution d’électricité.   11. Les résultats des pays de la région MENA sont systématiquement inférieurs dans deux domaines : l’accès au financement et l’exécution des contrats. « L’accès au financement » mesure essentiellement les lois relatives à l’information sur le crédit, aux cautions et aux faillites. « L’exécution des contrats » mesure le nombre de procédures officielles, les délais et les coûts d’exécution pour le règlement d’un différend relatif à une vente de marchandises, de l’introduction d’instance au paiement effectif. Cette variable met donc en évidence les problèmes d’exécution plutôt que les difficultés d’ordre législatif.   12. Ces pays sont l’Algérie, la Cisjordanie et Gaza, l’Égypte, l’Iraq, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la République arabe syrienne, la République du Yémen et la Tunisie.   13. Pour certains services réglementaires, les comparaisons du temps d’attente moyen d’un pays à l’autre doivent être considérées avec prudence. Dans de nombreux pays, l’obtention — ou le renouvellement — d’une licence d’exploitation peut nécessiter d’autres inspections ou enregistrements (inspections sanitaires et sécurité), ce qui aurait pour effet de tirer les moyennes vers le haut. Toutefois, cette distorsion ne risque pas de survenir quand on compare la dispersion des temps d’attente d’un pays à l’autre, puisque le coefficient de variation corrige ces différences de niveau pour chaque pays.   14. Le coefficient de variation, défini comme le ratio de l’écart-type à la moyenne, est une mesure normalisée de la dispersion d’une distribution des probabilités. Il ne doit être utilisé que pour les mesures ayant des valeurs non négatives. Il est indépendant de l’unité dans laquelle la mesure a été prise (à l’inverse de l’écart-type qui ne peut être considéré que dans le contexte de la moyenne des données). Il convient donc d’utiliser Une dynamique faussée : l’impact des politiques sur la dynamique des entreprises et la croissance de l’emploi 79 le coefficient de variation plutôt que l’écart-type pour comparer des données présent- ant des moyennes très différentes.   15. La variable donnant une approximation de « l’application incertaine des politiques » est construite de la manière suivante : Les entreprises sont regroupées par lieu d’implantation, secteur et taille, ce qui donne 30 groupes (d’au moins cinq entreprises). Pour chaque groupe, on calcule le coefficient de variation de la perception d’application systématique des politiques. L’écart entre les 75e et 25e percentiles des perceptions est calculé de manière à offrir une mesure distincte de l’application incertaine des politiques. En outre, les variables de contrôle mesurant la taille initiale, le lieu d’implantation, l’âge, la situation vis-à-vis des exportations et l’effectif initial des entreprises sont toutes incluses dans les régressions. Les résultats pour les variables de contrôle sont conformes à ceux trouvés dans la littérature sur la croissance des entreprises (qui ne figurent pas dans le tableau). La probabilité d’innovation est estimée au moyen d’une régression par la méthode des probits, dans laquelle la variable dépendante est une variable binaire égale à 1 lorsqu’une entreprise a introduit un nouveau produit ou procédé ou a obtenu une licence pour une nouvelle technolo- gie au cours des trois années précédentes, ou une variable binaire nulle dans les autres cas. Environ 50 % et 42 % respectivement des entreprises jordaniennes et égypti- ennes sont donc considérés comme innovantes. Bibliographie Aghion, P., C. Harris, P. Howitt, and J. Vickers. 2001. “Competition, Imitation and Growth with Step-by-Step Innovation.” The Review of Economic Studies 68 (3): 467–92. Arnold, Jens, B. Javorcik, M. Lipscomb, and A. Mattoo. 2012. “Services Reform and Manufacturing Performance—Evidence From India.” Policy Research Working Paper 5948, World Bank, Washington, DC. Augier, Patricia, Dovis Marion, and Gasiorek, Michael. 2012. “The Business Environment and Moroccan Firm Productivity.” Economics of Transition Volume 20(2): 369–99. Bartelsman, Eric, J. Haltiwanger, and S. Scarpetta. 2004. “Microeconomic Evidence on Creative Destruction in Industrial and Developing Countries.” Working Paper, World Bank, Washington, DC. Blankespoor, B., R. van der Weide, and B. Rijkers. 2014. “How Valuable is Market Access? Evidence from the West Bank.” Mimeo, World Bank, Washington, DC. 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CHAPITRE 3 Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est Bien que les pays de la région MENA aient souvent eu recours à des politiques indus- trielles vigoureuses pour stimuler la croissance de l’emploi et du secteur privé, il existe peu d’éléments qui prouvent leur succès, mais de nombreux cas où seules quelques rares entreprises en ont bénéficié. Le présent chapitre passe en revue les politiques industrielles des dernières décennies et les compare à l’expérience des pays d’Asie de l’Est. Il met en évidence plusieurs différences cruciales de conception et d’application entre les deux régions, qui expliquent le succès des politiques menées en Asie de l’Est. Ces différences permettent de dresser la liste des principaux éléments qui font l’efficacité d’une politique industrielle : a) la vision et les objectifs stratégiques font l’objet d’un consensus national, et l’accent est mis sur les nouvelles activités économiques où les défaillances des marchés risquent davantage de compromettre le développement indus- triel ; b) les politiques sont rattachées à la performance et à des systèmes d’évaluation qui permettent d’apprécier l’efficacité des politiques autant que celle des fonctionnaires ; c) les politiques favorisent et garantissent la compétition et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs nationaux, et incitent les entreprises à entrer en concurrence sur les marchés internationaux. Plusieurs pays de la région MENA ont adopté de vigoureuses politiques industrielles pour remédier aux dysfonctionnements du climat des affaires et stimuler la croissance du secteur privé, la création d’emplois et la transforma- tion structurelle. Il a été établi dans les chapitres précédents que nombre des politiques appliquées dans ces pays ont pour effet de saper les fondamentaux de la création d’emplois au niveau de l’entreprise en réduisant la concurrence et en faussant les règles du jeu. Alors qu’il eut été plus efficace de s’attaquer directe- ment à ces obstacles, de nombreux pays ont préféré s’appuyer sur des politiques industrielles pour doper la croissance du secteur privé, la création d’emplois et la restructuration industrielle. Dans cette région comme dans nombre d’autres pays, les politiques industrielles sont souvent synonymes de subventions et d’allégements fiscaux suffisamment massifs pour compenser les insuffisances de l’environnement des affaires et stimuler l’investissement, la croissance et la création d’emplois. Les pays de la région MENA et plusieurs pays d’Asie de l’Est ont eu fréquemment recours à cette stratégie de rechange. Dans l’exposé 81 82 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui suit, nous examinons dans quelle mesure ces politiques industrielles ont porté leurs fruits et les facteurs expliquant la disparité des expériences d’une région à l’autre. Dans la région MENA, l’histoire des politiques industrielles remonte à plusieurs décennies, mais leur efficacité reste à prouver. Rares sont les obser- vateurs qui jugent l’expérience positive : en dépit de mesures agressives pour doper le développement industriel, la transformation structurelle et la création d’emplois, les résultats sont rares et peu concluants. Que devraient en conclure les décideurs de la région ? Faut-il désormais s’en remettre davantage aux forces du marché et limiter l’interventionnisme ou plutôt améliorer la qualité des interventions publiques ? La seconde option paraît nettement privilé- giée par les décideurs et les analystes au fait des remarquables succès des pays d’Asie de l’Est où les pouvoirs publics ont toujours joué un rôle déterminant (encadré 3.1)1. Établir en quoi l’application d’un train de politiques industrielles a permis une croissance qui ne serait pas apparue en leur absence pose des difficul- tés considérables au plan de l’analyse et des données. Un secteur a-t-il surgi et prospéré par suite de la mise en œuvre d’une politique industrielle ? Malgré l’existence de cette politique ? Surtout, les politiques industrielles ENCADRÉ 3.1 Défaillance des marchés et politiques industrielles Lorsque les forces du marché sont perturbées, dans un secteur. Par exemple, les entreprises l’État a un rôle à jouer dans la transformation n’ont parfois aucune information sur les coûts de structurelle. L’un des arguments souvent avancés production dans un nouveau secteur ou encore en faveur des politiques industrielles est l’échec sur la rentabilité d’un marché d’exportation. Les de la coordination, au sens où les entreprises ne ressources qu’elles investissent pour connaître prennent pas d’engagements quand la rentabilité ses coûts profitent à toutes les autres entreprises de leurs éventuels investissements est fonction dont elles n’ont tenu aucun compte (Hausmann de ceux des autres entreprisesa. Il est plus diffi- et Rodrik 2003). Les forces du marché sont donc cile de faire valoir cet argument lorsqu’il existe perturbées par les asymétries liées à l’informa- un marché mondial performant de produits tion sur le rendement économique des investis- complémentaires, ce qui tempère la nécessité sements, les problèmes de coordination entre d’une coordination des investissements au sein les entrepreneurs de filières complémentaires et du pays. Harrison et Rodriguez-Clare (2010) l’absence totale de marchés. résument les évolutions les plus récentes de cet Trois questions préoccupent les obser- argument. Les externalités liées aux appren- vateurs et les analystes des politiques indus- tissages et les retombées sur les connaissances trielles. Premièrement, les défaillances des ont des effets très positifs sur la productivité marchés peuvent-elles être identifiées à coup de toutes les entreprises, bien qu’aucune n’en sûr ? Il est en effet difficile de les distinguer des tienne compte lorsqu’elle décide de s’implanter dysfonctionnements des politiques publiques. Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 83 ENCADRÉ 3.1  Suite Certes, les politiques industrielles d’Asie de ou viser des objectifs potentiellement incom- l’Est n’avaient pas explicitement pour objet patibles avec la croissance notamment, mais de corriger les défaillances des marchés, mais pas seulement, les incitatifs qui donnent des dans certaines industries, elles semblent avoir avantages illimités à leurs partisans. compensé les obstacles bureaucratiques à la crois- La recherche établit clairement que les sance, comme les problèmes de gouvernance, les politiques industrielles visant à atténuer l’impact lourdeurs administratives et le risque politiqueb. des défaillances du marché doivent nécessaire- Deuxièmement, quelles sont les chances de ment être sélectives, mais il faut impérativement succès d’une politique industrielle quand on souligner que cette sélectivité doit s’opérer à sait la complexité des dimensions techniques et l’échelle des industries et des secteurs, et non des informations nécessaires à sa conception et au niveau des entreprisesd. Encore une fois, à son application ? Rodrik (2008) affirme que et par définition, les dysfonctionnements du seul un énergique dialogue public-privé permet marché portent préjudice à toutes les entreprises de surmonter les asymétries de l’information, et d’un même secteur, et non à certaines d’entre cite les résultats concluants obtenus en Asie de elles seulement. Enfin, les récents travaux de l’Est grâce aux conseils de délibération ou aux recherche d’Aghion et al. (2012) montrent que fonds de capital-risque. Or, ce dialogue ne peut les politiques industrielles peuvent promou- aboutir que si les obstacles à l’action collective des voir la croissance de la productivité quand entreprises sont levésc. Troisièmement, les gouver- elles favorisent la concurrence, ce qui a été nements veulent-ils vraiment régler le problème ? précisément le cas de la politique industrielle Ils préfèrent parfois privilégier d’autres fins chinoise. Note : a. Voir également Murphy, Vishny et Schleifer (1989). b. Dans les contextes à haut risque politique (comme nombre des pays d’Asie de l’Est où ils étaient très importants), les gouvernements ont du mal à attirer l’investissement privé. Ils peuvent alors s’appuyer sur les entreprises d’État, où la notion de risque politique n’entre pas en ligne de compte, ou offrir de grosses subventions aux entrepreneurs pour relever les taux de rendement à raison des risques. Comme l’exposé ci-dessous l’établit clairement, lorsque les investisseurs privés étaient confrontés à de gros risques politiques, la République de Corée a conjugué les deux stratégies. c. Quand la difficulté tient à l’identification de nouveaux marchés, il est probable qu’aucune des parties au dialogue n’est bien informée, et c’est précisément parce qu’elles n’ont pas connaissance des débouchés potentiels qu’il faut une politique industrielle. Lin et Monga (2010) soulignent que quelques entrepreneurs privés se sont parfois déjà implantés dans des filières rentables. Ces auteurs pensent alors que leur succès est formateur par lui-même. Le dialogue public-privé peut amener ces exemples au grand jour. d. Étant donné leur sélectivité caractéristique, les politiques industrielles se résument souvent, pour leurs détracteurs, à « choisir les gagnants ». Toutefois, les dysfonctionnements du marché concernent en général des activités économiques ou des secteurs particuliers. De ce fait, les politiques industrielles visant à corriger ces insuffisances sont nécessairement sélectives. ont-elles corrigé les défaillances du marché, ou simplement préservé certaines entreprises des distorsions induites dans d’autres domaines, par exemple les lourdeurs administratives, les infrastructures publiques, les marchés finan- ciers ou l’application de l’état de droit ? Étant donné les difficultés liées à l’absence de données, cette section suit une autre approche, fondée sur la comparaison directe des éléments des politiques industrielles conduites dans la région MENA et dans les pays d’Asie de l’Est, notamment en République de Corée. On y examine en plus de détails le cadre politique industriel de la République arabe d’Égypte et du Maroc, ainsi que certains aspects des stratégies 84 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord industrielles de la Jordanie, de la République arabe syrienne et de la Tunisie (« Les politiques industrielles dans la région MENA : Peu de résultats et des détournements nombreux »), pour le comparer à l’expérience des pays d’Asie de l’Est (« Les choix des pays performants : Le cas de la République de Corée » et « Les recettes d’Asie de l’Est sont plus difficiles à appliquer qu’on le pense généralement »). Les politiques industrielles dans la région MENA ont donné peu de résultats et fait l’objet d’une mainmise fréquente La politique industrielle de l’Égypte Après l’indépendance, l’État a investi dans l’industrie lourde et usé de son pouvoir de réglementation pour orienter l’investissement privé vers les secteurs privilégiés. Dans la région, les politiques industrielles les mieux connues sont celles de l’Égypte, qui est la plus grande puissance économique régionale. Depuis l’indépendance du pays en 1952, les politiques égyptiennes ont privilégié certains secteurs économiques. De 1956 à 1970, l’État a investi dans l’industrie lourde, autorisé l’octroi d’avantages fiscaux à certains investis- sements et fortement réglementé les opérations industrielles privées. Face à l’échec de la politique d’industrialisation impulsée par l’État, mais néanmoins peu encline à faire le deuil des entreprises publiques, l’Égypte a exploité ses pouvoirs réglementaires encore plus résolument entre 1970 et 1981 pour diriger l’investissement privé vers les secteurs qu’elle souhaitait privilégier, au détriment des autres (Loewe 2013). Entre 1981 et 1990, le principal ajustement de ce développement voulu par le gouvernement a été la spectaculaire expansion des intérêts commer- ciaux de l’armée. La réglementation des prix, la réglementation douanière et les politiques financières sont restées favorables aux entreprises d’État de 1981 à 1991. La dévaluation de la livre égyptienne, la déréglementation progres- sive des marchés intérieurs et certains allégements fiscaux dans le secteur manufacturier ont toutefois été bénéfiques pour le secteur privé lui aussi. L’investissement privé a augmenté d’environ 16 % en proportion de l’inves- tissement total entre 1960 et 1982, puis de 41 % entre 1983 et 1990 (Loayza et Honorati 2007). Pendant cette seconde période, l’expansion des intérêts commerciaux de l’armée a été considérable et très diversifiée : tourisme, bâtiment, électroménager, automobile, engrais, eaux minérales, olives et pain, les prises de participation étant largement financées par la vente de terres domaniales au Caire et sur le littoral (Loewe 2013). Dans les années 90, la crise budgétaire a imposé une réorientation des politiques industrielles. L’Égypte a instauré des conditions un peu plus favorables à l’investissement privé, mais pas au point de conduire les pouvoirs publics à rentabiliser la politique industrielle (c’est-à-dire identifier les dysfonctionnements du marché et prendre des mesures correctives). En dépit Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 85 du maintien des importantes concessions aux secteurs et entreprises privilégiés, tous les investisseurs privés ont bénéficié de l’assouplissement des conditions d’intervention, notamment sous la forme d’exonérations fiscales, de mesures de libéralisation du secteur financier et de déréglementation des prix des produits de base, et d’une réduction des obstacles au commerce et aux mouve- ments internationaux de capitaux (Loewe 2013). Durant la période 2001-2006, l’investissement privé a atteint 51 % de l’investissement total, une augmen- tation qui était partiellement due au fléchissement de l’investissement public (Loayza et Honorati 2007). En dépit de nombreux efforts, la restructuration économique escomptée ne s’est pas pleinement matérialisée. Selon Galal et El-Megharbel (2005), les politiques industrielles menées jusqu’en 1999 n’ont pas atteint leurs objectifs de restructuration. Ils examinent deux marqueurs de la transformation structu- relle : la diversification des produits et l’amélioration de la productivité totale des facteurs. De 1980 à 1999, la concentration des produits s’est au contraire intensifiée (soit une moindre variété), la productivité totale des facteurs s’est à peine améliorée et les secteurs industriels qui ont reçu le plus d’aide sont ceux dont la productivité s’est améliorée le moins2. Rien d’étonnant à cela selon eux : pendant cette période, les politiques ne ciblaient pas les activités nouvelles, ne subordonnaient pas l’aide aux entreprises à la concrétisation d’objectifs donnés — comme de bons résultats d’exportation — laissaient planer l’idée d’une pérennité de l’appui aux entreprises, et soutenaient des secteurs plutôt que des activités. La période 2004-2011 illustre bien le tournant radical vers une restructura- tion impulsée par le secteur privé, la croissance des exportations et la création d’emplois. En 2004-2005, le gouvernement a privatisé 87 entreprises d’État et réduit l’impôt sur le revenu pour ensuite simplifier les procédures douanières et les règles de création d’entreprises, tout en poursuivant la libéralisation du secteur financier. Les politiques paraissaient viser de nouveaux marchés (subventions à l’exportation) et de nouvelles technologies de production (subventions à la modernisation), et elles étaient aussi beaucoup plus étoffées. Néanmoins, de vastes pans de l’économie sont restés hors d’accès des intérêts étrangers, notamment l’aviation, les services d’ingénierie et l’industrie lourde (production énergétique, production d’acier et d’aluminium, bâtiment, assurances et engrais). C’est aussi pendant cette période que les hommes et femmes d’affaires ont été plus nombreux à faire jouer leurs contacts personnels directs dans les administrations publiques. Avant l’année 2000, les hommes et femmes d’affaires représentaient environ 8 % des représentants du parti au pouvoir ; entre 2004 et 2011, ils en constituaient 17 % et comptaient cinq ministres. Les hommes et femmes d’affaires représentent une minuscule fraction des entreprises égyptiennes auxquelles ils n’ont aucun compte à rendre au plan politique. Ils ont donc tout intérêt à exploiter leur position pour améliorer le climat d’inves- tissement de leurs propres entreprises, plutôt que celui du secteur privé en général. Comme ils viennent généralement de grandes sociétés, la proximité des liens qu’ils entretiennent avec l’administration centrale pourrait être à l’origine de la poussée de croissance enregistrée ces années-là. 86 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord La période 2004–2011 a été dominée par l’adoption de la Stratégie pour le développement industriel égyptien (EIDS), élaborée par le ministère du Commerce et de l’Industrie (MFTI). Cette stratégie reproduisait les conditions optimales pour le succès d’une politique industrielle (Loewe 2013). Elle était conçue de manière à corriger : les problèmes de coordination du capital humain, en formant les travailleurs et les entrepreneurs (constitution du Conseil de formation industrielle) ; l’assurance-qualité (avec la création du Conseil national pour la qualité) ; les marchés financiers (avec le Centre pour la modernisation industrielle) ; l’innovation et le transfert de technolo- gie (Centres pour les technologies et l’innovation) ; le manque d’information sur les débouchés commerciaux (Conseil de l’exportation et Banque pour le développement de l’exportation) ; et le manque de coordination en matière d’implantation des infrastructures et des usines (Agence de développement industriel). Pour Loewe (2013), cette stratégie, qui constituait une sensible amélioration par rapport aux politiques industrielles antérieures, a favorisé une poussée de l’IDE et des exportations entre 2004 et 2008. Son application a toutefois été caractérisée par l’opacité de l’octroi d’avan- tages aux entreprises privilégiées (Roll 2013) et par une absence d’évaluation de l’incidence réelle, des coûts et des retombées des subventions allouées en vertu de la stratégie. Ainsi, les flux totaux d’IDE en Égypte (et d’autres pays de la région MENA) sont principalement concentrés dans l’immobilier et le secteur minier qui représentent à eux deux 75 % de l’IDE total. La forte propor- tion des flux d’IDE dans l’immobilier, surtout de la part des pays du CCG, relativise l’ampleur du développement économique. En effet, l’accumulation de capital dans ce secteur a généralement de très faibles retombées techno- logiques et peu d’impact sur l’accroissement des capacités de production ou la création d’emplois au-delà des périodes de construction3. Par ailleurs, les effets de la stratégie sur d’autres aspects de la croissance du secteur privé et de la restructuration économique étaient plus ambigus. Les symptômes d’un dysfonctionnement du marché — recherche-développement limitée et coordi- nation insuffisante d’activités économiques complémentaires — se sont à peine modifiés avec la mise en œuvre de la stratégie. En 2004 par exemple, les dépenses totales de R&D étaient quasi imperceptibles, à 0,27 % du PIB ; en 2008, sa part avait fléchi à 0,23 %. Même si les activités engagées en son nom visaient à résoudre les difficultés de coordination, la stratégie n’a pas été appliquée de manière à identifier les défaillances du marché ou à les évaluer pour ensuite les corriger4. Le ciblage opaque des subventions et l’absence de suivi rigoureux de leur efficacité posent la question de l’octroi de privilèges à certaines entreprises. Comment expliquer les résultats mitigés de l’EIDS ? La cause la plus plausible de la poussée des exportations est tout simplement l’ampleur des subven- tions. Au titre de la stratégie, le gouvernement a effectué d’importants trans- ferts financiers au profit de certaines entreprises, notamment sous forme de subventions à l’exportation (jusqu’à 15 % de la valeur des marchandises) et à la modernisation (jusqu’à 95 % des coûts). Ces subventions étaient probablement suffisantes pour compenser les distorsions majeures du financement, du capital humain et de l’ingérence administrative résultant des politiques publiques. Elles étaient en outre assez importantes pour offrir des rentes de taille aux Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 87 entreprises bénéficiaires. Comme l’efficacité des subventions n’a jamais été rigoureusement évaluée, la façon dont des avantages ont été alloués à certaines entreprises justifie de parler de privilèges. Par exemple, lorsque les tarifs douaniers ont été réduits à la fin des années 90, l’Égypte a parallèlement relevé les obstacles techniques non tarifaires à l’importation5. Une nouvelle base de données de la Banque mondiale permet de mesurer ces obstacles dans différents pays. La figure 3.1 montre que les tarifs moyens pondérés sont tombés d’environ 16,5 % en 1995 à 8,7 % en 2009, mais que cette chute a été compensée par un accroissement progressif des mesures non tarifaires. Sur les 53 mesures non tarifaires en vigueur en Égypte en 2009, près de la moitié (24) ont été introduites ou modifiées aux alentours de l’année 2000, et 21 % entre 2005 et 2009. La plupart de ces mesures ont été prises par le ministère de l’Industrie et du Commerce qui était dirigé à l’époque par un homme d’affaires en vue. En conséquence, l’Égypte présentait en 2010 l’une des plus fortes incidences mondiales de mesures non tarifaires (Malouche, Reyes et Fouad 2013 ; voir également la figure 4.5). Même s’il y a eu quelques initiatives stratégiques bien conçues et efficace- ment appliquées — une hypothèse contestée — les règles édictées par l’Égypte n’ont globalement rien d’une politique industrielle efficace. De toute évidence, le jeu des relations politiques n’a pas servi les intérêts généraux de l’industrie égyptienne, mais assuré des avantages notables aux entreprises en lien avec les milieux politiques. Sur les 116 grandes entreprises égyptiennes cotées en bourse, Diwan et Chekir (2012) en ont recensé 22 liées au régime en place. Selon ces auteurs, la valeur des entreprises entretenant des liens avec le pouvoir Figure 3.1 Évolution des tarifs moyens (pondérés) et des mesures non tarifaires sur les importations, 1995–2010 17 60 Nombre de mesures non tarifaires/importations 16 55 15 50 Tarifs, en pourcentage 14 45 13 40 12 35 11 10 30 9 25 8 20 1995 1998 2001 2004 2007 2010 Tarifs moyens (pondérés) Nombre de mesures non tarifaires/importations Source : Base de données WITS. Note : Les taux correspondent au tarif de la nation la plus favorisée. Les données sur les mesures non tarifaires indiquent l’année où une mesure a été introduite ou la dernière année où elle a été notablement révisée. 88 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a chuté de 23 points de pourcentage après le Printemps arabe par rapport à celle des entreprises sans appui politique, ce qui signifie que 23 % du retour sur investissement escompté par les entreprises « connectées » étaient tributaires de leurs accointances politiques. La politique industrielle du Maroc Les spectaculaires fluctuations des taux de change ont complètement éclipsé l’impact des autres mesures de politique industrielle ciblant les exportations. La politique industrielle marocaine hésite depuis longtemps entre l’octroi d’avantages à certaines entreprises ou à tous les exportateurs. Dans les années 80, le Maroc a tenté de développer la production manufacturière au moyen de mesures tarifaires et de licences. Dans le même temps, la monnaie nationale a été considérablement dépréciée, d’environ 40 % en termes réels. Cette dépréciation est probablement la cause première de la forte hausse des exportations et de la production manufacturière enregistrée à cette époque (Achy 2013). Dans les années 90, le Gouvernement marocain a libéralisé les conditions d’exportation en réduisant les tarifs douaniers, les contrôles sur les marges bénéficiaires et d’autres exigences touchant aux licences d’exportation ; il a cessé d’accorder des crédits directs aux exportateurs et laissé plus de champ aux marchés en matière d’octroi de crédits. Le secteur manufacturier n’a pas progressé pendant cette période, pas plus que l’économie générale, ce qui tient probablement à l’appréciation simultanée des taux de change à hauteur de 22 %. Dans les années 2000, le gouvernement a commencé à appliquer des régimes sélectifs de promotion des investissements pour encourager la création d’emplois, la croissance des exportations et la transformation structurelle. Plusieurs programmes de promotion de l’investissement et de défiscalisation ont été lancés au début des années 2000 afin de stimuler l’inves- tissement et la restructuration, dont le plus important, le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, a accordé des subventions à l’investissement à hauteur d’environ 560 millions de dollars (4,5 milliards de dirhams), principalement aux fabricants de textile et aux fournisseurs de pièces automobiles. Dès le milieu des années 2000, nombre des dispositifs en place ont été remaniés pour s’inscrire dans une stratégie industrielle plus globale baptisée Plan Émergence. Ce plan visait à moderniser l’industrie et à promouvoir l’offshoring. Huit secteurs ont été sélectionnés dans un premier temps : l’agroalimentaire, les produits de la pêche, les textiles, l’automobile, l’aéronautique, l’électronique et les services offshore, surtout en français et en espagnol. Des subventions à l’investissement ont été accordées à des entre- prises étrangères et nationales. Là encore, comme dans le reste de la région, les dysfonctionnements du marché n’ont pas été analysés, pas plus que les effets d’efficience des subventions n’ont été évalués. Aucune réforme administrative de fond n’est venue étayer la politique indus- trielle marocaine. Un groupe d’entreprises bien placées et loyales au régime politique était autorisé à agir collectivement dans le cadre de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Lorsque leurs intérêts ont pâti de Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 89 Tableau 3.1 Coût de la politique industrielle du Maroc, 2010 Millions de dirhams marocains Mesure de la politique industrielle Coût estimé, 2010 Exonération de la taxe sur la valeur ajoutée/abattement fiscal 102 sur les équipements Exonérations fiscales aux exportateurs 2 502 Exonérations fiscales aux nouvelles entreprises basées à Tanger 697 et quelques autres localités Exonérations fiscales en cas d’implantation dans des zones franches 55 d’exportation Franchises douanières pour les importations de biens d’équipement 283 des gros investisseurs Franchises douanières pour l’industrie automobile 365 Fonds Hassan II pour le développement économique et social 900 Total 4 904 Source : D’après Achy 2013, tableau 6. Note : 1 USD = 8 dirhams marocains. la suppression des protections tarifaires, ces entreprises ont tenté de s’opposer aux réformes par l’intermédiaire de la CGEM, ce qui a poussé le gouvernement à ouvrir la Confédération aux petites et moyennes entreprises. Le gouverne- ment a aussi lancé une campagne anti-corruption axée sur certains milieux d’affaires (Achy 2013). Parallèlement, et comme dans le cas de l’Égypte, il a placé des représentants du monde des affaires au sein du corps législatif. De son côté, la CGEM élargie s’est mise à appeler publiquement et avec insistance à l’instauration de règles d’intervention équitables, tout en prenant son autono- mie par rapport à la puissance publique. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure cette autonomie a contribué à protéger les entreprises membres de la Confédération de l’évolution opportuniste des politiques publiques. La petite taille de ces programmes est l’une des raisons qui expliquent leurs retombées modestes. Aucune de ces mesures ne semble avoir eu d’effet perceptible de restructuration économique. Achy (2013) a répertorié toutes les subventions et ce qu’elles ont coûté. En 2010, elles représentaient environ 612 millions de dollars, soit moins de 0,7 % du PIB (voir le tableau 3.1). Bien qu’il ait été conçu pour corriger au mieux les défaillances du marché et mis en œuvre dans le respect des échéances fixées, le programme de politique indus- trielle du Maroc était bien plus modeste que ceux des pays d’Asie de l’Est en termes de dépenses. La politique industrielle de la Syrie, de la Jordanie et de la Tunisie Le 10e plan quinquennal de développement de la Syrie (2006–2010) visait à accélérer la croissance des exportations de produits manufacturés. Comme l’avait fait l’Égypte avec sa Stratégie pour le développement industriel, des agences de promotion de l’investissement et des exportations ont donc été créées, ainsi que des « villes industrielles » qui avaient pour objet de 90 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord favoriser le regroupement des sociétés de transformation. Avec la coopéra- tion de l’ONUDI, le gouvernement a lancé un programme de transformation et de modernisation industrielle ciblant en priorité les secteurs du textile et du vêtement. Ce programme ne résultait pas d’une analyse des dysfonction- nements du marché, pas plus que n’ont été évalués les gains d’efficience dus à l’allocation de subventions à ces secteurs plutôt qu’à d’autres, voire à une absence pure et simple d’aides publiques. Chahoud (2011) n’a guère trouvé d’éléments attestant une application généralisée de ces mesures durant cette période. Comme la Syrie, la Jordanie a adopté un train de programmes d’accompa- gnement industriel dont l’application a été éclatée entre plusieurs ministères. Une stratégie d’appui aux PME, élaborée par le ministère du Commerce et de l’Industrie, donnait pour mission au Conseil jordanien pour l’investissement d’améliorer le climat des affaires et, surtout, d’offrir des incitations fiscales aux investisseurs ; une Commission du développement et des zones franches a été créée et chargée de définir quatre zones régionales de développement et d’accorder des avantages notables, notamment fiscaux, aux filières industrielles ciblées. Même la Banque centrale a choisi de réduire le volume de réserves imposé aux banques privées, qui a été ramené au montant des prêts consentis aux PME. Le plus vaste programme lancé par la Jordanie est peut-être aussi le moins systématique de tous, à savoir les allégements fiscaux accordés par le Conseil des ministres à certaines entreprises et filières industrielles. Ces avantages sont caractérisés par une absence de transparence et de procédures d’évaluation et échappent à l’appareil bureaucratique qui aurait pu apprécier la contribution des entreprises bénéficiaires à la croissance ou à l’emploi. encadré 3.2 Les pays du Conseil de coopération du Golfe font-ils exception ? On trouve au sein du CCG certains cas qui pourraient s’apparenter à des réussites de la politique industrielle. L’un de ces succès concerne le développement du secteur énergétique. Au début des années 70, les pays du CCG étaient presque exclusivement axés sur la production de pétrole brut de différentes compagnies internationales ainsi que sur l’accès aux services et infrastructures essentiels qui demeuraient peu disponibles. Durant cette décennie, l’Arabie Saoudite a lancé une stratégie visant à développer ses propres capacités techniques de production pétrolière et à construire des raffineries de pétrole et des usines pétrochimiques. Deux projets parmi les plus ambitieux furent la création de deux villes industrielles à Jubail (sur le Golfe) et Yanbu (sur la mer Rouge). Ces villes sont administrées par une Commission royale constituée en 1975, qui est indépendante des structures administratives et jouit d’une totale autonomie en matière d’aménagement du territoire, de réglementation et d’investissement dans ces villes. Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 91 encadré 3.2  Suite L’objectif était de transformer le secteur énergétique en favorisant le regroupement des filières rattachées aux produits pétroliers et à la pétrochimie et des services logistiques connexes. Tous les grands producteurs des villes industrielles appartiennent à Saudi Arabian Aramco, Saudi Arabian Basic Industries (Sabic, une société pétrochimique créée par les pouvoirs publics) ou à des coentreprises constituées entre l’une ou l’autre de ces deux sociétés et des partenaires internationaux. Ces efforts ont doté l’Arabie Saoudite d’un secteur hydrocarbures diversifié, complété par ses ressources pétrolières massives en amont et une solide chaîne de valeur en aval. Bien sûr, cette capacité industrielle résulte de la décision d’alimenter l’industrie en intrants pétroliers et gaziers à un coût inférieur aux prix d’exportation. Cet avantage sur le plan des coûts ne peut être préservé que si ces entreprises engagent une commercialisation efficace, reposant sur une gestion professionnelle, libre de toute pression politique et exposée aux meilleures pratiques internationales en contraignant les investisseurs étrangers à des coentreprises (Hertog 2008). Si l’exemple de l’Arabie Saoudite peut s’expliquer par ses ressources énergétiques, le cas de Dubaï est plus complexe, car une spécialisation dans le secteur des services n’avait pas de raison particulière de démarrer à un endroit plutôt qu’un autre. En revanche, le gouvernement a pris quelques décisions cruciales — le dragage de la Crique de Dubaï pour permettre le passage de navires de fort tonnage ; la création d’une zone franche autour du nouveau port de Jebel Ali pour encourager les activités de transit et de montage ; le développement de l’aéroport et de la compagnie aérienne nationale ; et l’ouverture à l’investissement étranger dans la finance et l’immobilier (notamment par la libéralisation des conditions de délivrance de visas) — dont la conjugaison a déclenché une période soutenue de prospérité qui a donné au pays un avantage comparatif dans la logistique. Même si les composantes de cette stratégie ont quasiment toutes été mises en œuvre par des entreprises d’État, une concurrence permanente s’est instaurée entre les émirats. Comme en Arabie Saoudite, ces entreprises ont été dotées de moyens professionnels et gérées selon des normes commerciales. Le contexte de Dubaï a aussi contraint à une certaine discipline. Certaines décisions sont venues départager Dubaï et les autres émirats dans leur course permanente à la concurrence. À titre d’exemple, la construction du port de Jebel Ali résulte de mesures initialement engagées par Sharjah pour attirer le trafic des conteneurs et Abu Dhabi a reproduit des éléments de la stratégie logistique de Dubaï. La finance offre un levier supplémentaire. Dubaï étant une entité infranationale sans ressources pétrolières propres, les entreprises devaient se financer sur leurs opérations ou s’endetter, ce qui les soumettait aux analyses de viabilité et de rentabilité des banques ou des marchés obligataires. Bien qu’étroitement liées au gouvernement, les banques étaient administrées selon des principes commerciaux suffisants pour exercer des pressions économiques réelles sur les entreprises d’État. L’ironie veut que la stratégie de croissance, initialement présentée comme une stratégie de diversification, ait eu pour effet d’imbriquer les facettes de la croissance les unes avec les autres, comme l’a montré la crise de la dette en 2008. Même au plus fort de la crise, le réseau logistique de Dubaï semble avoir été peu affecté, ce qui témoigne de sa résilience. L’apparent succès des politiques industrielles des pays du CCG peut s’expliquer, en partie au moins, par l’envergure même des programmes financés par les revenus pétroliers. La différence avec les initiatives des autres pays de la région MENA est de taille. 92 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord À l’inverse de l’expérience de la Corée déjà évoquée, les avantages consentis en Jordanie échappaient à toute coordination, étaient d’assez petite taille et n’étaient pas subordonnés aux résultats. Par ailleurs, aucun effort n’a été fait pour identifier les insuffisances du marché. Comme c’est fréquemment le cas, les politiques publiques se bornaient à générer de l’activité industrielle dans des secteurs ou régions à la traîne. Rien n’a été fait pour déterminer si ce peu d’activité tenait aux dysfonctionnements du marché ou à un simple manque d’avantage comparatif. La politique industrielle de la Tunisie reposait sur un dispositif réglemen- taire particulier au profit des exportateurs, dont de généreuses dispositions fiscales et douanières. L’une de ses composantes majeures était le cadre de réglementation des activités offshore. Pour les entreprises non exportatrices — celles qui intervenaient sur le marché intérieur — le cadre réglementaire et fiscal n’a guère contribué à promouvoir la concurrence et l’innovation. Bien au contraire, il a occasionné des difficultés majeures pour les entreprises étrangères ou nationales désireuses de s’implanter dans certains secteurs, notamment celui des services, occupés par des opérateurs proches de la famille Ben Ali alors au pouvoir. La protection des rentes dans le secteur des services peut aussi avoir réduit la qualité des services essentiels fournis aux autres secteurs d’activité (générant ainsi des maillons faibles), ce qui pourrait avoir freiné la productivité du secteur offshore malgré les généreux allégements fiscaux et tarifaires. Quelle a été la démarche des pays qui ont connu du succès ? – Le cas de la République de Corée Dans les années 60, des entreprises performantes ont vu le jour en Corée alors même que les politiques de promotion de l’emploi et de restructura- tion économique se heurtaient à des difficultés analogues à celles de la région MENA dans les années 20006. Pour la Corée, les années 60 ont été marquées par une forte instabilité politique. Les manifestations étudiantes et les coups militaires ont provoqué des changements de régime, l’autorité présidentielle n’était guère soumise aux contrôles institutionnels et les hauts fonctionnaires touchaient de grosses rentes (Kang 2002). Même jusqu’en 1982, première année pour laquelle on dispose d’indicateurs de gouvernance, la Corée était peu différente de l’Égypte de 2010 au regard des indicateurs de risque politique du Guide international des risques-pays. Contrairement à la région MENA et à des programmes tels que la Stratégie égyptienne pour le développement industriel, les entreprises appuyées par la politique industrielle coréenne n’ont cessé de se développer pour devenir des producteurs de classe mondiale. Pohang Steel Company (POSCO), qui était précédemment une entreprise d’État, est à ce titre un succès retentissant. Comment expliquer des résultats aussi différents face à pareille similitude des problèmes de gouvernance et des risques politiques ? Il est ironique de constater que les politiques coréennes sont très proches de celles mises en œuvre dans la région MENA, au moins sur un point impor- tant : les industries qui ont profité des aides publiques ont été sélectionnées Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 93 sans que l’on ait moindrement cherché à identifier les dysfonctionnements du marché ou à réaliser des analyses coûts-avantages. En revanche, les mesures coréennes étaient nettement plus généreuses, étroitement liées à la concrétisa- tion d’objectifs de croissance et de transformation structurelle dans le privé, et étayées par des remaniements de fond dans les secteurs public et privé. On sait l’ampleur des interventions du gouvernement coréen pour stimu- ler la croissance et la restructuration du secteur privé. Les investisseurs privés répugnent à engager des capitaux importants dans des situations où les dirigeants peuvent accaparer leurs investissements en toute impunité. Les politiques menées en Corée dans les années 60 et 70 ont précisément eu pour effet d’apaiser les craintes des investisseurs. Premièrement, le Président Park a tout simplement contourné l’investissement privé en s’appuyant massive- ment sur les entreprises d’État ; par nature, l’investissement public n’est pas soumis aux aléas des convoitises de l’administration publique. Le gouverne- ment a créé plus de 20 entreprises d’État dans des secteurs à forte intensité de capital (électricité, compagnies aériennes, chantiers navals, aciéries et autres). Deuxièmement, les entreprises privées des secteurs prioritaires ont reçu de fortes subventions directes et indirectes, qu’il s’agisse de versements directs en espèces, d’exonérations fiscales ou de régimes d’importation et de systèmes de change favorables. Ces aides sont venues compenser le risque politique assumé par les investisseurs dans les secteurs prioritaires au moyen d’allocations importantes de capitaux au programme de croissance et de trans- formation structurelle du secteur privé. L’investissement public massif dans les infrastructures a parallèlement amélioré le rendement privé de l’investissement. De 1960 à 1970, la Corée a consacré un tiers de l’investissement intérieur brut aux infrastructures, et a considérablement développé la production d’électricité et la téléphonie. Pourquoi ces politiques ont-elles donné de bons résultats en Corée ? Les réponses les plus plausibles sont développées ci-après. Tout d’abord, en appliquant des politiques visant à stimuler l’activité économique là où elle était inexistante, la politique industrielle coréenne avait bien plus de chances de corriger les défaillances du marché, même si ce n’était pas l’objectif principal poursuivi. Les subventions étaient subordonnées à la création d’activités économiques dans des domaines à la traîne, notamment l’industrie lourde et la chimie qui sont les cas les mieux connus. En outre, l’État a beaucoup investi dans l’acquisition d’informations, corrigeant ainsi — potentiellement au moins — une insuffisance du marché. Il a par exemple financé 97 % des dépenses de recherche-développement de la Corée dans les années 60 (Evans p. 147). Par comparaison, Galal et El-Megharbel (2005) ont montré que les politiques industrielles de la région MENA, y compris la straté- gie égyptienne vers le milieu des années 2000, ne sont pas parvenues à cibler les nouveaux marchés ou produits qui sont pourtant les plus exposés aux dysfonc- tionnements du marché. Deuxièmement, la Corée a su asseoir sa crédibilité en rattachant les subventions aux résultats d’exportation, y compris celles allouées aux initiés et autres valets du pouvoir. À l’opposé de ce qui s’est fait dans la région MENA, l’application de la politique industrielle était subordonnée à la capacité des entreprises à promouvoir la croissance et la restructuration du secteur privé. Ainsi, les entreprises coréennes touchaient des subventions à condition de 94 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord lancer de nouvelles activités, mais devaient malgré tout prouver leurs bons résultats pour continuer d’en bénéficier. En d’autres termes, même si les entreprises proches du pouvoir en Asie de l’Est ont majoritairement profité des subventions, elles devaient tout de même atteindre les objectifs de perfor- mance liés à la croissance économique. Il est essentiel de donner aux entrepreneurs des objectifs ciblés dans le temps pour les inciter à innover et à investir. Si les mesures d’incitation sont trop timides, les alliés du régime sont toutefois peu enclins à tenir compte de ces échéances, car ils font le pari que les autorités préféreront prolonger les délais en échange de rentes, ce qui ne les incitera guère à innover. Plus généralement, une politique industrielle n’a de chances d’aboutir que si les entreprises performantes sont persuadées qu’elles ne seront pas en butte aux revirements opportunistes des règles du jeu (augmentation des taxes, régle- mentations plus strictes et rapacité des fonctionnaires)7. Plus cette menace est grande, plus les promesses publiques perdent en crédibilité et plus le gouver- nement doit relever le montant des subventions liées à sa politique industrielle pour accélérer la croissance. Or, les avantages offerts aux entreprises de la région MENA n’étaient subordonnés à la concrétisation d’aucun objectif, résultats d’exportation ou autres. Le dispositif en place entretenait le flou sur la possibilité d’un accom- pagnement indéfini des entreprises. Troisièmement, le gouvernement a réformé l’organisation des secteurs public et privé pour faciliter la mise en œuvre et la crédibilité de sa politique industrielle. Il est certes complexe de mettre au point un régime de subventions, son calendrier et son échéance, mais les entreprises privées réagissent d’autant mieux qu’elles jugent crédibles les politiques futures. En Corée, le Président Park a ordonné des remaniements majeurs dans la fonction publique et la struc- ture industrielle du pays pour développer les capacités publiques de mise en œuvre et faire en sorte que toute décision opportuniste soit chèrement payée. Avec l’amélioration de la politique industrielle pour seul et unique objectif, il a constitué un super-ministère, le Conseil de planification économique, afin de regrouper les fonctions de conception et d’application des politiques industrielles qui étaient jusque-là réparties entre différents ministères. Toutefois, il a aussi beaucoup fait pour corriger une tendance prévalente entre 1948 et 1960, à savoir que la fonction publique était considérée comme un système de favoritisme où les postes étaient attribués à des partisans ou alliés politiques pour les récompenser de leur loyauté. Avec la réforme de l’adminis- tration publique, l’attribution de la quasi-totalité des postes devait désormais résulter de concours de recrutement ouverts à tous8, les promotions étaient fonction du seul rendement professionnel, et la sécurité de l’emploi était garan- tie aux fonctionnaires. Ces réformes ont immédiatement développé les capaci- tés publiques de mise en œuvre de la politique industrielle : les compétences se sont améliorées et les systèmes de promotion ont été rattachés de manière transparente au succès de la mission publique, à savoir la croissance du secteur privé et de l’emploi et la transformation structurelle. Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 95 Ces réformes ont aussi servi la crédibilité de l’engagement présiden- tiel à l’égard de la politique industrielle. Les fonctionnaires ont été dotés de pouvoirs accrus les autorisant à contrer toute tentative opportuniste lancée par le président pour modifier les politiques. Tout d’abord, le Conseil de planifi- cation économique, qui était composé d’experts réputés dans leurs domaines respectifs, a donné aux pouvoirs publics un avantage sur le président sur le plan de l’information. D’autre part, comme l’avaient noté Gehlbach et Keefer (2011), les réformes administratives ont fourni aux fonctionnaires et aux entre- prises les moyens d’une action collective si le Président Park venait à renier ses engagements. Avant la réforme de la fonction publique, il n’y avait guère de cohésion horizontale entre les fonctionnaires qui héritaient de leur poste du fait de leurs accointances avec des personnages bien placés. Pour Gehlbach et Keefer (2011), ces changements institutionnels suffisent à eux seuls à favoriser des engagements crédibles. Ces auteurs se sont aussi penchés sur le cas de la Chine où des changements du même ordre ont été introduits par Deng Xiaoping pour réformer des sociétés d’État et des organisations proches du Parti, doper l’investissement et accélérer la croissance économique. Ainsi, les promotions dans la fonction publique chinoise (par exemple de directeur administratif de comté à directeur administratif provincial) sont fonction de l’évolution de la croissance économique dans la zone de compétence. Ces réformes administratives offrent un contraste saisissant avec l’expé- rience de la région MENA. Le Fonds social pour le développement était à une époque l’un des organismes les plus efficaces et les plus transparents d’Égypte (Loewe 2013). Il a toutefois progressivement régressé sous le coup des pressions politiques exercées pour en faire un outil de favoritisme. Les pouvoirs publics ont à la fois affaibli leur capacité de mise en œuvre et compromis la crédibilité de leurs politiques industrielles, car les bureaucraties fondées sur le favoritisme ne sont pas en mesure de s’opposer efficacement aux agissements opportunistes des dirigeants. Quatrièmement, l’organisation industrielle émergente a privilégié l’action collective du secteur privé. Le gouvernement coréen est connu pour avoir encouragé les chaebols, qui sont les grands groupes industriels du pays. Ces grands conglomérats — dont chacun représente une part notable de l’emploi total dans l’industrie nationale, de même qu’une source de rentes et de finan- cement des campagnes politiques — étaient bien mieux à même de défendre leurs intérêts face à l’État. À titre d’exemple, les neuf chaebols qui ont bénéficié des prêts bancaires attribués en 1964 comptaient tous des appuis familiaux à des postes élevés du parti au pouvoir ou dans l’administration (Kang, 189). Kang (190–192) avance que les chaebols et le gouvernement passaient des arrangements où ils se tenaient mutuellement en otage, ce qui les contrai- gnait à prendre des engagements crédibles. En 1975, les 20 chaebols les plus puissants représentaient près de 15 % du PIB non agricole, mais ils étaient aussi lourdement endettés, avec des ratios dettes sur fonds propres approchant les 350 %. Comme ils avaient besoin du gouvernement, ils avaient tout intérêt à honorer leurs engagements, à savoir développer les exportations et fournir des capitaux privés au gouvernement. Ayant aussi besoin d’eux, ce dernier ne pouvait autoriser des pans entiers de l’économie à mettre la clé sous la porte. 96 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Malgré les similitudes entre la région MENA et la Corée au regard des liens entre les grandes entreprises et les postes clés du parti au pouvoir, l’engagement économique envers la croissance économique était bien plus fermement ancré en Corée, ce qui est venu tempérer la quête de rentes. Dans les pays à revenu faible à intermédiaire, la vie économique est souvent dominée par quelques familles, une situation généralisée dans la région MENA. De ce point de vue, la Corée fait cependant exception à deux titres importants. La « prise d’otages mutuelle » évoquée par Kang était plus globale et plus profonde que dans la région MENA. Surtout, l’attachement résolu à la croissance économique y était bien plus développé, ce qui a atténué la quête de profits qui caractérise les structures industrielles oligarchiques. À cet égard, tous les observateurs conviennent que les dirigeants de la République de Corée ont fait preuve d’un irréductible attachement à la croissance économique. Qu’il s’agisse de la Corée, de la Chine, de la Malaisie ou de Singapour, les gouvernements d’Asie de l’Est ont structuré la bureau- cratie et les partis au pouvoir autour de l’objectif d’expansion économique. Générer de la croissance était l’impératif politique qui a incité les dirigeants à mener des réformes organisationnelles qui ont considérablement réduit leur marge de manœuvre face à l’appareil bureaucratique. En fait, c’est cet engage- ment même qui a permis aux réformes institutionnelles (fonction publique, chaebols, infrastructures et autres) de ne pas verser dans le favoritisme, la quête de profits et la stagnation, comme dans d’autres parties du monde. Ainsi, quand le processus politique laisse les bureaucrates se consacrer à la collecte des rentes liées à la politique industrielle plutôt qu’à les employer pour transformer l’économie, le dialogue public-privé livre très probablement des informations moins utiles, ce qui génère des politiques potentiellement contreproductives. Comment expliquer cet engagement ? La question ne se pose pas seulement en Corée, mais aussi pour tous les autres « miracles » d’Asie de l’Est9. Si elle se pose encore aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas d’explication toute faite à l’enga- gement sans faille dont ont fait preuve Park Chung Hee, Deng Xiao Pen et Lee Kwan Yu à l’égard de l’objectif de croissance économique. Les explications les plus plausibles renvoient surtout aux dévastations causées par la guerre, à la nécessité de financer un vaste appareil militaire, à l’amenuisement de l’aide et aux inquiétudes liées à l’appui public (même si l’on a affaire à des régimes non démocratiques). Les recettes d’Asie de l’Est sont plus difficiles à appliquer qu’on ne le pense généralement Les politiques industrielles d’Asie de l’Est ont été appliquées très différem- ment de celles de la région MENA, et selon des modalités contre lesquelles s’insurgeraient la plupart des dirigeants étant donné que leur pouvoir discré- tionnaire s’en trouverait considérablement réduit. Ce constat vaut aussi pour les réformes organisationnelles qui ont à la fois limité leur marge de manœuvre et conforté la crédibilité de leurs engagements de réforme. En outre, miser sur Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 97 la croissance pour accroître ses appuis politiques est une stratégie qui en exclut nécessairement d’autres. Il a cependant fallu payer le prix de cette focalisation sur l’expansion économique. Si l’on tient uniquement compte des avantages intrasectoriels liés aux politiques industrielles (à l’exclusion des larges retom- bées potentielles sur d’autres secteurs), on constate que les ressources affectées à la croissance et à la restructuration du secteur privé ont très souvent été détournées d’autres utilisations qui auraient pu améliorer le bien-être des Coréens, en particulier la consommation. Les dirigeants des pays d’Asie de l’Est auraient pu faire le choix, par exemple, de subventionner massivement la consommation pour asseoir leur légitimité. Quoi qu’il en soit, l’approche coréenne de la croissance du privé et de la restructuration économique coûte cher et n’est pas compatible avec la plupart des régimes de subventions mis en place dans les pays de la région MENA. D’autres caractéristiques des politiques industrielles d’Asie de l’Est auraient toutefois mérité d’être transposées, car ces politiques : • contrebalancent les risques de gouvernance et les risques politiques ;  nt été étayées par la construction d’infrastructures et un soutien important • o à l’acquisition de capital humain ; visaient des activités inexistantes dans l’économie nationale ; •   taient accompagnées de réformes organisationnelles majeures du secteur • é public ; ont été mises en œuvre dans un contexte de recherche résolue de croissance ; •  ubordonnaient les subventions à la pénétration des entreprises sur • s les marchés d’exportation compétitifs ; et, • ont été appliquées à l’échelon sectoriel plutôt qu’au niveau des entreprises. Dans la région MENA, le fait que les politiques industrielles aient souvent été dictées par les entreprises a faussé la concurrence et la croissance, car elles ont contribué à privilégier certaines sociétés (en lien avec le régime en place) plutôt que de servir toutes les entreprises des secteurs visés, dont les nouvelles10. Elles ont ainsi concentré les avantages sur les entreprises privilé- giées, plutôt que sur les secteurs. Sur le plan des coûts, ces passe-droits leur conféraient des avantages exogènes potentiellement importants par rapport aux concurrents du même secteur. Selon le cadre de croissance de Schumpeter, ces avantages minent la compétition, et donc la croissance, car ils excluent du marché les entreprises dépourvues de relations dans les milieux du pouvoir et ôtent à toutes les entreprises du secteur la moindre incitation à innover pour échapper à la concurrence. Pour Aghion et al. (2012), les politiques industrielles peuvent promouvoir la croissance de la productivité à condition de favoriser la compétition en abaissant les coûts d’intervention de toutes les entreprises et des nouveaux opérateurs du secteur. Selon eux, c’est exactement ce qui s’est passé avec la politique industrielle chinoise où les secteurs qui ont bénéficié de l’application uniforme des subventions au niveau intrasectoriel sont ceux qui ont vu leur productivité s’accroître le plus. 98 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Pour qu’une politique soit appliquée uniformément et efficacement, il faut que les décideurs soient relativement préservés de l’influence exercée par les grands groupes d’intérêts, au moins dans les secteurs modernes en expan- sion rapide. Sans un attachement résolu à la croissance, satisfaire ces intérêts partisans a un coût politique mineur, même s’il en coûte davantage d’offrir des incitatifs pour privilégier certaines entreprises au détriment des autres et de maintenir une politique industrielle même en l’absence de retombées positives avérées sur le développement. La quête obstinée de croissance pourrait bien être l’aspect le plus difficile à reproduire, car il implique un nouveau contrat social entre l’État et les citoyens. On a beaucoup parlé de l’entente sociétale prévalente dans la région MENA où l’emploi public et les subventions à la consommation visent à faire taire les citoyens. L’Asie de l’Est n’était pas dans une position différente, mais le pacte social y a pris une autre orientation en privilégiant l’emploi et la croissance de la productivité. Par ailleurs, les gouvernements des pays de la région MENA ont toujours renâclé à remanier la fonction publique, alors que ces changements organisationnels ont joué un rôle déterminant dans le succès des politiques industrielles d’Asie de l’Est. Pour doper l’emploi et la restructuration économique, les décideurs peuvent choisir une autre voie, potentiellement moins onéreuse, qui consiste à minimiser l’impact des dysfonctionnements des marchés avant de s’attacher à les corriger ou à offrir de coûteuses subventions pour en compenser les effets. Les défaillances des politiques publiques peuvent se révéler des freins tout aussi importants — voire supérieurs à ceux liés aux marchés — pour la création d’emplois et la transformation structurelle. Les politiques industrielles comme celles d’Asie de l’Est sont toutefois trop coûteuses et difficiles à appliquer avec crédibilité pour de nombreux pays. Enfin, les dysfonctionnements des marchés dus aux interventions gouvernementales ont peut-être ralenti la croissance des pays de la région MENA au moins autant que les asymétries de l’information et les problèmes de coordination dans les marchés privés. Notes   1. Cette section est basée sur les travaux de Keefer (2014).   2. La productivité des facteurs en République arabe d’Égypte a enregistré une croissance annuelle de 3,3 % de 1983 à 1990, avant de chuter à 1,6 % entre 1991 et 2000, puis à 1,1 % de 2001 à 2006. Dans le secteur privé, elle a grimpé à 5,6 % dans les années 80, pour retomber à 1,9 % entre 1991 et 2006 (Loayza et Honorati 2007).   3. À l’inverse, la figure 2.1 montre que les flux d’IDE en Chine, au Brésil, en Indonésie et en Inde ont été concentrés dans le secteur manufacturier ou dans les services de haute technologie où les retombées sont généralement importantes du point de vue des technologies, des capacités de production et de l’emploi.   4. Les efforts des autorités pour résoudre les problèmes de coordination auraient parfois pu aboutir, notamment selon Loewe (2013) dans le secteur des marbres et la mode.   5. La base de données de la Banque mondiale sur les mesures non tarifaires indique l’année où une mesure a été introduite ou l’année de sa dernière révision notable. Malheureusement, il n’est pas possible de distinguer ces deux termes l’un de l’autre. Éviter les écueils des politiques industrielles : la conception des programmes dans la région MENA et en Asie de l’Est 99   6. La Corée avait en 1980 le même revenu réel par habitant à parité du pouvoir d’achat, à savoir 5 543 dollars, que l’Égypte en 2000, soit 5 760 dollars).   7. La crédibilité des engagements est un problème généralisé. En politique monétaire par exemple, les gouvernements ont tout intérêt à éviter les politiques qui génèrent peu d’inflation pour réduire l’endettement public. Ils gagnent en crédibilité en visant une faible inflation et en donnant plus d’indépendance aux banques centrales.   8. Seuls quelque 4 % des titulaires de postes de haut niveau avaient passé le concours d’entrée dans la fonction publique (Evans, 52). Sous la houlette du Président Park, l’accès à l’emploi public était strictement au mérite, de sorte que 20 % environ des fonctionnaires nommés à des postes élevés devaient leur recrutement à leurs bons résultats au concours d’entrée. Ce concours est aussi devenu bien plus difficile, comme en atteste le fait qu’il a attiré 157 000 candidats entre 1963 et 1985, pour seulement 2 600 admis.   9. Hormis l’Asie de l’Est, Rodrik et Subramanian (2005) avancent que la croissance de l’Inde résulte d’un changement d’attitude de la part de ses dirigeants qui ont commencé à considérer la croissance comme une stratégie viable de survie politique. 10. D’aucuns font valoir que les politiques industrielles devraient être « horizontales », c’est-à-dire s’appliquer à tous les secteurs, une vision qui semble, superficiellement au moins, préserver l’égalité des chances. Les politiques horizontales pourraient cependant être incompatibles avec cet objectif à deux titres. Tout d’abord, la même politique peut avoir des effets différents selon le secteur (capitaux bon marché, capitaux axés sur l’énergie, ou industries à forte intensité énergétique). Deuxièmement, les politiques horizontales n’ont guère de justification économique étant donné que les dysfonctionnements des marchés sont différents d’un secteur à l’autre. En revanche, l’accent pourrait être mis sur les politiques sectorielles en général, ce qui permettrait par exemple aux pays de promouvoir un secteur d’exportation composé de nombreuses filières tout en maintenant les taux de change à bas niveau. 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L’analyse exploite des données et informations nouvelles sur les entreprises politiquement connectées de premier rang en République arabe d’Égypte et en Tunisie, dont la divulgation est intervenue après le Printemps arabe, ainsi que sur des éléments qualitatifs probants concernant d’autres pays de la région. On peut ainsi, pour la toute première fois, apporter des preuves quantitatives directes montrant comment les privilèges octroyés à des entreprises nuisent à la concurrence, à l’équité des règles du jeu et à la croissance de l’emploi dans la région. Ensemble, ces constats font la lumière sur le mécanisme tout entier de la transmission microéconomique, allant des privilèges à la faible croissance globale de l’emploi, en passant par le recul de la concurrence et de l’égalité des chances, et la dynamique atone des entreprises. Les éléments présentés dans ce chapitre prouvent que nombre des politiques conduites dans la région MENA soutiennent les privilèges au détriment de l’inno- vation et de l’emploi. Selon le cadre de croissance de Schumpeter, les connexions politiques influentes offrent aux entreprises une possibilité d’échapper à la concur- rence en faisant pencher la réglementation en faveur plutôt qu’en innovant. Pour Aghion et al. (2001), la croissance chute lorsque quelques leaders du marché qui se sont entendus bénéficient d’avantages considérables en termes de coûts sur lesquels leurs concurrents du même secteur ne peuvent pas refaire leur retard. Plusieurs cas de politiques favorisant certains types d’entreprises au détriment d’autres ont été présentés dans les chapitres 2 et 3. Si ces privilèges sont suffisam- ment importants, le modèle prédit que l’économie finit par être caractérisée par les ententes entre quelques grands leaders privilégiés, un nombre parfois important de microentreprises non productives et, surtout, un fléchissement de la producti- vité et de l’emploi. Plus ces privilèges accordés à un certain type d’entreprises se généralisent dans les différents secteurs d’activité, plus la croissance et l’emploi reculent dans l’ensemble. Les études sur le capitalisme arabe présentent des analyses importantes de la manière dont les autocrates ont accordé des privilèges exclusifs aux élites du monde des affaires leur permettant d’exercer leur domination dans ce milieu en échange de leur soutien au régime en place. Des recherches qualitatives ont 101 102 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord documenté les obstacles à la création d’entreprises qui permettent d’exclure les opposants et d’octroyer des privilèges à une petite coterie d’amis capitalistes (Henry et Springborg 2010 ; Heydemann 2004 ; King 2009 ; Owen 2004). Selon divers observateurs, en République arabe d’Égypte, le népotisme était de règle au sein du gouvernement « d’affairistes » dirigé par Ahmad Nazif de 2004 à 2011 (Kienle 2001 ; Sfakianakis 2004). En Tunisie, les familles Ben Ali et Trabelsi ont monopolisé les perspectives économiques, et même dépossédé des élites fortu- nées de leurs propriétés immobilières et de leurs intérêts commerciaux. De pareils cas de favoritisme et de délits d’initiés sont monnaie courante en République arabe syrienne, en Libye, en République du Yémen et en Algérie, où les coteries politiques semblent contrôler de vastes pans du secteur privé (Alley 2010 ; Haddad 2012 ; Tlemcani 1999). Toutefois, les études réalisées précédemment n’étaient pas étayées par des éléments quantitatifs permettant d’associer les privilèges à certaines politiques ou de démontrer leur impact sur les résultats économiques. Nous utilisons ici des données toutes récentes sur l’Égypte et la Tunisie pour déterminer si les connexions politiques conduisent effectivement à des privi- lèges importants et donc, au fléchissement de la concurrence et de la croissance. Le chapitre 2 analyse quelques politiques menées dans la région MENA qui profite à certains types d’entreprises, faussant ainsi les règles d’équité dans le jeu de la concurrence ; ces politiques concernent notamment les subventions à l’énergie, les licences d’exploitation, l’accès à la terre et l’application partiale de la réglemen- tation. Deux nouvelles bases de données sur les entreprises politiquement connec- tées dans l’Égypte de l’ère Moubarak et la Tunisie de Ben Ali permettent pour la première fois de déterminer si ces politiques ont profité d’une manière dispro- portionnée à des entreprises politiquement connectées. Ces bases de données permettent aussi de déterminer toujours pour la première fois si la présence d’entreprises politiquement connectées modifie les structures du marché dans les secteurs concernés et la croissance globale de l’emploi, comme le prédisent Aghion et al. (2001). Des informations concernant d’autres pays de la région MENA sont aussi présentées dans ce chapitre, qui vise à déterminer dans quelle mesure les privilèges sont un phénomène régional. Dans la section intitulée « Les privilèges accordés aux entreprises politique- ment connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie », nous analysons de nouvelles bases de données sur les entreprises politiquement connectées de premier rang afin de quantifier leur impact économique dans les deux pays1. La section « Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA » présente davantage de données concrètes qualitative témoignant des privilèges accordés par le biais des politiques industrielles dans d’autres pays de la région. Dans la section intitulée « Les répercussions des connexions politiques sur la concurrence n’ont pas été de même ampleur dans la région MENA et en Asie de l’Est », nous souli- gnons divers facteurs qui pourraient expliquer pourquoi ces deux régions ont obtenu des résultats différents au plan de l’emploi et du développement du secteur privé malgré l’existence d’entreprises politiquement connectées dans les deux cas. Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 103 Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie Alors même qu’ils lançaient la libéralisation économique, les gouvernements d’Égypte et de Tunisie érigeaient des obstacles à la création d’entreprises et à la concurrence. Au début des années 2000, Gamal, fils du président égyptien Hosni Moubarak, s’est concerté avec un groupe d’experts économiques et d’hommes d’affaires ambitieux pour infléchir les politiques du pays vers une accélération des privatisations et la réforme du secteur financier et du commerce. Les entreprises du sérail ont pu accaparer les opportunités créées par la moderni- sation de l’économie2, notamment les projets immobiliers et projets de construc- tion de très grande envergure, le tourisme côtier, les secteurs pétrolier et gazier, le secteur bancaire, la téléphonie et la distribution locale de produits de marques internationales. Les décisions publiques ont été déterminantes dans tous ces domaines : par exemple, les familles proches du pouvoir ont investi dans les secteurs manufacturier et minier (cimenteries, exploitation pétrolière ou gazière, etc.) où l’État devait délivrer un agrément pour chaque nouvelle usine ; ces familles ont eu priorité sur les marchés publics et les licences exclusives de distribution de produits de marques internationales, ce qui les a protégées de toute concurrence sur le marché intérieur ; elles ont fait leur entrée dans les secteurs de l’immobilier, du tourisme et du transport en achetant à l’État des domaines publics de grande valeur, et elles auraient eu recours à cet effet à des tractations occultes et opaques3. Les hommes d’affaires proches du régime étaient en fait bien placés pour peser sur ces décisions, car outre leurs relations personnelles avec les dirigeants politiques, eux-mêmes occupaient souvent des postes importants au sein du gouvernement, du parti au pouvoir, du Parlement ou de divers conseils et comités influents. En Tunisie, la Loi sur l’investissement a été modifiée à plusieurs reprises pendant les années 2000 pour encourager les investissements privés dans l’éco- nomie offshore et, dans le même temps, préserver les entreprises politiquement connectées de toute concurrence dans l’économie onshore. Ces modifications prévoyaient notamment de généreux allégements fiscaux en faveur des entre- prises opérant offshore, ainsi que la liberté d’investissement pour les entités étrangères et nationales. Toutefois, cette liberté était contenue par d’autres dispositions, dont des autorisations obligatoires et des restrictions sur l’IDE dans l’économie onshore, qui permettaient au gouvernement de contrôler l’accès de certaines entreprises à des activités de services particulièrement lucratives. Les intérêts commerciaux de la famille Ben Ali dans ces secteurs de services n’étaient un secret pour personne. Comme la Tunisie affichait des taux de crois- sance annuelle favorables et stables, de l’ordre de 4 à 5 %, Ben Ali jouissait malgré tout et en partie d’une image assez favorable à l’extérieur. Le Forum économique mondial classait régulièrement la Tunisie au premier rang des pays compétitifs d’Afrique, tandis que le FMI et la Banque mondiale la présentaient comme un modèle pour les autres pays en développement. Pourtant, dans le même temps, il existait peu d’emplois dans le secteur formel et le niveau de perception de la corruption était élevé. 104 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Cette section démontre que quelques entreprises privilégiées ont souvent eu la mainmise sur les politiques publiques menées dans les deux pays, ce qui a limité la concurrence, faussé les règles du jeu et freiné la création d’emplois. Tout d’abord, nous présentons comment nous avons mesuré les relations politiques, en soulignant les caractéristiques propres aux entreprises politiquement connec- tées. Ensuite, nous établissons que les entreprises politiquement connectées en Égypte et en Tunisie ont bénéficié d’une manière disproportionnée de privilèges découlant des politiques industrielles, ce qui a faussé les règles du jeu dans les deux pays. Les données probantes réunies laissent supposer que les réglementa- tions commerciales en Égypte et en Tunisie ont été utilisées de manière abusive comme un moyen de générer des rentes au profit des amis et de la famille des deux anciens présidents. Enfin, nous montrons à l’aide de plus d’éléments détaillés que dans le cas de l’Égypte, que la présence d’entreprises politiquement connectées a miné le dynamisme et les perspectives de croissance du reste de l’économie, car la création d’entreprises est moindre dans les secteurs où les entreprises politi- quement connectées interviennent déjà, et que la croissance globale de l’emploi recule dès lors que ces dernières font leur entrée dans des secteurs jusque-là préser- vés de leur influence. Nos résultats laissent supposer que les politiques qui créent des distorsions, comme les critères d’autorisation, les subventions à l’énergie au profit des industries, la protection commerciale et les lourdeurs réglementaires, ont profité à un petit groupe d’entreprises « rentables », mais réduit le nombre total d’emplois créés en Égypte et en Tunisie. Force est de constater que la plupart de ces réglementations sont toujours en vigueur. Identification des entreprises politiquement connectées et détermination de leur importance économique Quelles sont-elles ? Pour déterminer l’incidence économique des privilèges accordés aux entreprises connectées, il faut disposer à la fois d’une base de données sur les entreprises politiquement connectées et d’informations sur les performances des entreprises. En Tunisie, nous utilisons les données publiques concernant 214 entreprises de la famille Ben Ali qui ont été saisies par les autorités tunisiennes à la suite de la Révolution du jasmin. Au total, 114 personnes, dont Ben Ali lui-même, sa famille et ses parents par alliance, étaient concernées par cette saisie, qui couvrait la période allant de 1987 à l’éclatement de la révolution. Parmi les biens saisis figuraient environ 550 propriétés, 48 bateaux et yachts, 40 portefeuilles d’actions, 367 comptes bancaires et quelque 400 entreprises,qui n’opéraient pas toutes en Tunisie. Selon les estimations de la commission chargée de la saisie, la valeur cumulée des biens saisis du clan Ben Ali était de l’ordre de 13 milliards de dollars, soit environ un quart du PIB tunisien en 2011. Nous avons obtenu une liste de 252 entreprises saisies par les autorités tunisiennes, dont 214 pour lesquelles les données étaient disponibles dans le Registre tunisien des sociétés (qui dresse le recensement annuel des entreprises)4. Le recensement comprend des informations sur la taille, l’âge, le lieu d’implantation et le statut juridique de toutes les sociétés privées immatriculées en Tunisie, hors secteur agricole, y compris les entreprises unipersonnelles, sans salariés. Les données de recense- ment ont ensuite été fusionnées avec des données administratives provenant des Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 105 autorités fiscales, notamment des informations sur les bilans des entreprises et la réglementation des affaires, allant de la Loi sur l’investissement de 1993 à 2010. Pour identifier les personnes ayant des connexions politiques en Égypte, nous avons appliqué la méthode de Fisman (2001) et interrogé, après la chute de Moubarak en 2011, des directeurs de banque et des fonds d’investissement privés, des juristes et des organisations non gouvernementales (spécialisées dans la lutte anticorruption) afin de dresser la liste des hommes d’affaires ayant des connexions politiques. Nous avons confirmé la représentativité de cette liste de deux façons. Premièrement, nous avons comparé cette liste à celle des hommes d’affaires dont les avoirs ont été gelés immédiatement après le changement de régime, et deuxièmement nous avons élagué la liste de sorte à ne retenir que les hommes d’affaires occupant des postes au sein du parti au pouvoir ou du gouvernement ou ayant des membres de leur famille immédiate à ces postes. Par ailleurs, nous disposions de renseignements suffisants pour identifier les amis de longue date de la famille Moubarak, et nous les avons classés parmi les hommes d’affaires ayant des connexions politiques5. Nous avons rappro- ché cette liste des données sur les entreprises provenant de la base de données Orbis de l’OCDE, lesquelles incluaient des renseignements sur les membres des conseils d’administration, les directeurs généraux et les principaux action- naires des 854 entreprises qui sont ou étaient précédemment cotées en Bourse6. Nous avons ainsi pu mettre en correspondance sans ambigüité les noms des 32 hommes d’affaires identifiés à la première étape et les membres des conseils d’administration, directeurs et principaux actionnaires de 104 entreprises. Plusieurs des entreprises politiquement connectées en Égypte sont des holdings ou des fonds d’investissement. Des recherches sur l’Internet ont permis de trouver les noms de toutes les succursales — jusqu’à deux niveaux — de ces 104 entre- prises, que nous avons recoupés avec les informations d’Orbis. Cette démarche nous a permis d’identifier 469 entreprises qui sont assurément contrôlées, directe- ment ou indirectement, par un homme d’affaires ayant des connexions politiques. Au moins 47 de ces entreprises ont au moins un homme d’affaires ayant des connexions politiques comme président directeur général (PDG), et au moins un homme d’affaires ou une entreprise ayant des connexions politiques ont été identi- fiés sans équivoque comme ayant des participations dans 334 de ces entreprises. En outre, un fonds d’investissement privé appartenant à au moins un homme d’affaires ayant des connexions politiques détenait des parts dans 172 de ces entre- prises7. Qui plus est, les entreprises politiquement connectées sont réparties dans les 320 secteurs non agricoles et non publics du niveau de classification à quatre chiffres de la CITI Rév.4 : près de la moitié de ces secteurs (49 %) comptait des entreprises connectées (186 sur 372). Au sein du secteur manufacturier, où inter- viennent 41 % des entreprises connectées, celles-ci sont présentes dans 58 % des branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres (73 sur 126). Nous combinons les informations sur les entreprises politiquement connectées en Égypte avec des données de quatre sources. Premièrement, la base de données Orbis comporte les caractéristiques (noms y compris) et les variables des bilans d’un panel de plus de 20 000 établissements entre 2003 et 2012, ce qui nous permet de comparer les performances des entreprises ayant des connexions politiques avec celles d’entreprises n’en ayant pas8. S’il est vrai que les données sur la produc- tion des petites entreprises font fréquemment défaut dans Orbis, celles concernant les moyennes et grandes entreprises, qui constituent le groupe indiqué pour la 106 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord comparaison, sont exhaustives. Deuxièmement, bien que les données de recense- ment des entreprises émanant des services statistiques égyptiens (Agence centrale pour la mobilisation publique et la statistique) n’incluent pas le nom des entreprises, elles nous permettent tout de même d’estimer l’évolution de la dynamique à travers les secteurs du niveau de classification à quatre chiffres en fonction de la présence d’entreprises connectées. Le recensement renseigne notamment sur l’emploi au sein de plus de 2 millions d’établissements non agricoles et sur leurs caractéristiques en 1996 et en 2006. Troisièmement, les données d’enquêtes de la Banque mondiale sur les entreprises (WBES) nous permettent d’évaluer les corrélations entre la présence d’entreprises connectées et les politiques perçues9. Quatrièmement, pour pouvoir déterminer si les entreprises connectées ont tiré profit des obsta- cles à la création d’entreprises ou des subventions à l’énergie mis en place par l’État, nous utilisons des informations sur les barrières non tarifaires au commerce provenant de la Banque mondiale (base de données WITS) et des données des Nations Unies sur l’intensité en énergie des industries manufacturières. Nous n’observons qu’un sous-ensemble d’entreprises politiquement connec- tées en Égypte et en Tunisie, à savoir les entreprises du secteur privé ayant des connexions politiques au premier niveau avec les familles Moubarak ou Ben Ali. Il existe cependant d’autres entreprises connectées. Le groupe d’entreprises le plus important serait contrôlé directement ou indirectement par l’armée égyptienne, qui fait des affaires dans les secteurs du tourisme, du bâtiment et des travaux publics, de l’électroménager, de l’automobile, des engrais, de l’eau minérale, des olives et de la panification. La plupart de ces entreprises ont été financées initia- lement par la vente de terres domaniales au Caire et sur le littoral (Loewe 2013). De même, l’échantillon de 214 entreprises connectées en Tunisie est très proba- blement biaisé en faveur des sociétés les plus grandes et les plus importantes au plan économique, puisqu’elles sont les plus faciles à identifier. Où sont-elles ? Une comparaison directe de la répartition des entreprises politiquement connec- tées dans les deux pays donnerait à penser que ce système était plus généralisé en Égypte. Si le nombre d’entreprises politiquement connectées devrait être consi- déré comme la limite inférieure dans les deux pays, nous observons tout de même que ce nombre est moindre en Tunisie (214) comparé à l’Égypte (469). En outre, ces entreprises sont bien plus grandes et plus importantes sur le plan économique en Égypte : les entreprises connectées emploient en moyenne 941 travailleurs en Égypte, contre 66 en Tunisie ; elles représentent environ 7 % de l’emploi total dans le secteur privé en Égypte, contre seulement 1 % environ en Tunisie10. Ces écarts tiennent peut-être à la nature différente des données. La nature des connexions politiques est également différente, puisque la commission chargée des saisies en Tunisie s’est focalisée exclusivement sur les entreprises détenues par des membres de la famille Ben Ali. Par contre, les données sur l’Égypte incluent les partenaires de premier rang de Moubarak, à savoir les hommes d’affaires ayant des connexions et occupant différents postes politiques, et dont les avoirs ont aussi été saisis en 2011. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les connexions politiques de premier plan, au-delà de la vaste famille Ben Ali, ont également pesé sur l’économie tunisienne. Les entreprises politiquement connectées semblent plus dispersées dans les différentes activités économiques en Égypte, surtout dans le secteur Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 107 manufacturier. Malgré la disparité des données, on trouve des similitudes dans la répartition des entreprises ayant des connexions entre les différents secteurs d’activité (tableau 4.1). Dans les deux pays, ces entreprises sont concentrées dans l’immobilier, les services aux entreprises, le tourisme, le commerce de gros et de détail, l’industrie minière, les télécommunications et les transports. En Égypte toutefois, leurs activités s’étendent bien au-delà de ces secteurs. Elles opèrent dans 49 % de l’ensemble des sous-secteurs non agricoles et non privés du niveau de classification à quatre chiffres (186 sur 372). En Tunisie par contre, les entreprises Ben Ali interviennent dans seulement 14 % de l’ensemble des secteurs du niveau de classification à cinq chiffres (45 sur 321). Plus particulièrement, la concen- tration d’entreprises politiquement connectées est saisissante dans le secteur égyptien des industries manufacturières : 42 % d’entre elles mènent des activités dans le secteur de la manufacture en Égypte, contre 13 % en Tunisie (tableau 4.1). On considère généralement qu’il est plus difficile de protéger les industries manufacturières de la concurrence (internationale). En fait, l’analyse ci-après montre que les politiques industrielles tunisiennes visant à préserver les entre- prises ayant des connexions politiques de la concurrence étaient centrées sur le secteurs des services dans l’économie onshore, alors que ces restrictions ne s’appli- quaient pas aux entreprises manufacturières opérant dans l’économie offshore. Par exemple, les entreprises Ben Ali dominaient les secteurs des télécommuni- cations et des transports aériens, tout en étant aussi des opérateurs majeurs dans d’autres filières de transport et dans l’immobilier, autant de secteurs où l’entrée TableAU 4.1 Nombre d’entreprises bénéficiant de connexions politiques, par secteur d’activité Secteur Rép. arabe d’Égypte Tunisie Industries extractives 12 8 Industries manufacturières 193 31 Boissons et alimentation 33 9 Textiles et vêtement 22 2 Produits chimiques 28 3 Métaux de base 19 2 Machines et équipements 27 2 Autres industries manufacturières 64 13 Électricité, eau et gaz 18 0 Bâtiment et travaux publics 36 9 Services 388 166 Commerce de gros 91 38 Commerce de détail 25 3 Transports 13 16 Hôtellerie et restauration 43 7 Finance 53 8 Immobilier et bâtiment 138 59 Autres services 25 35 Total 647 214 Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Le dernier rang donne le nombre total d’entreprises ayant des connexions politiques dans chaque branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres. En Égypte, ce chiffre atteint 647 parce que plusieurs des 469 entreprises politiquement connectées opèrent dans plusieurs branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres. En Tunisie, nous n’observons qu’un seul secteur (le principal) pour chaque entreprise figurant dans nos données. 108 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord des entreprises était fortement réglementée. À l’inverse, les politiques publiques privilégiant les hommes d’affaires ayant des connexions en Égypte (par exemple mesures de protection commerciale ou subventions à l’énergie dans le secteur des industries) ont également profité à quelques entreprises manufacturières. Au cours des dix dernières années, la multiplication d’entreprises politiquement connectées de premier rang dans tous les secteurs d’activité en Égypte indique que le régime voulait renforcer son contrôle sur l’économie (c’est-à-dire les bénéfi- ciaires des rentes qui en découlaient et l’utilisation de ces dernières aux fins du financement d’activités politiques). À compter de 2010, l’activité de ces entreprises en Égypte n’était plus cantonnée aux secteurs traditionnels plus matures, mais s’était étendue aux secteurs modernes et plus récents (par exemple la fabrication de produits pharmaceutiques ou des plastiques). En outre, le tableau G.2 figurant à l’annexe G montre qu’entre 1997 et 2006, les entreprises ayant des connexions ont pénétré plusieurs nouveaux secteurs jusque-là libres d’accès (c’est-à-dire libres de toute influence) (par exemple la fabrication de piles ou batteries ou les services de programmation informatique), mais pas d’autres (comme la fabrication d’instru- ments d’optique ou les services spécialisés de design). De ce fait, la présence des entre- prises politiquement connectées varie considérablement même d’une branche d’activité du niveau de classification à une autre au sein du même secteur du niveau de classification à deux chiffres. Dans l’analyse ci-après, ces caractéristiques de la répartition des entreprises politiquement connectées en Égypte facilitent l’iden- tification empirique de l’impact de ces connexions politiques sur les résultats des branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres. Les entreprises politiquement connectées sont très rentables Les quelques entreprises politiquement connectées se sont partagé le gros des profits. Par profit, nous entendons les bénéfices d’exploitation déclarés au fisc11. Parmi les moyennes et grandes entreprises en Égypte, celles politique- ment connectées ne représentaient que 11 % de l’emploi total, mais 60 % du bénéfice total net12. Le bénéfice net moyen était 13 fois plus élevé dans les 49 établissements ayant des connexions politiques concernés par les données dispo- nibles, ce qui indique qu’au moins certaines d’entre elles réalisent des bénéfices excessifs (tableau 4.2). Sur l’ensemble des entreprises en Tunisie, les 214 entreprises Ben Ali qui ont été confisquées se sont appropriées 21 % du bénéfice réalisé en 2010 dans le secteur privé13. En revanche, elles n’ont représenté que 1 % environ de l’ensemble des emplois salariés. Une comparaison intrasectorielle révèle en outre que les entreprises Ben Ali ont déclaré des bénéfices beaucoup plus importants (dernière colonne du tableau 4.2). Les avantages éventuels accordés aux entreprises ayant des connexions qui leur permettent d’engranger des bénéfices plus importants sont spécifiques à chaque entreprise ou au produit qu’elle commercialise. Le tableau 4.2 fournit des statis- tiques descriptives sur les entreprises politiquement connectées et d’autres entre- prises en Égypte et en Tunisie. Les entreprises politiquement connectées sont bien plus importantes que les autres, que ce soit sur le plan de l’emploi ou de la production. La quatrième colonne donne les différences de performance entre les deux catégories d’entreprises des mêmes secteurs du niveau de classification à deux chiffres. Le tableau montre que ces différences ne sont pas spécifiques aux secteurs d’activité au sens large dans lesquels les entreprises interviennent. En d’autres termes, les avantages ou traitements préférentiels dont bénéficieraient Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 109 TableAU 4.2 Différences intrasectorielles : Entreprises politiquement connectées et autres entreprises Nombre Différentiel dans les Différentiel dans les d’entreprises Nombre secteurs du niveau secteurs du niveau politiquement d’entreprises sans de classification de classification connectées connexion politique Différentiel à deux chiffres à quatre chiffres République arabe d’Égypte Ln(Emploi) 436 19 375 1,40** 1,02** 0,97** Ln(Revenu) 67 611 1,61** 1,59** 1,50** Ln(Bénéfices) 49 239 1,43** 1,37* 1,29 Ln(Bénéfices/Revenu) 47 236 1,88** 2,17** 1,02 Tunisie Ln(Emploi) 114 81 180 1,61** 1,49** 1,05** Ln(Revenu) 81 250 340 5,17** 4,27** 2,38** Ln(Bénéfices) 94 93 098 −1,41** 0,10 1,10** Ln(Bénéfices/Emploi) 64 41 760 −0,08 0,88** 0,01 Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les données proviennent de la base de données Orbis (Égypte) et du recensement des entreprises (Tunisie). À l’inverse du recensement des entreprises en Tunisie, Orbis donne surtout des données sur les moyens et grands établissements en Égypte, soit le groupe permettant de procéder à des comparaisons entre les établissements bénéficiant de connexions politiques et ceux qui en sont dépourvus. Les statistiques pour l’Égypte donnent la mesure la plus générale des connexions politiques, qui inclut les entreprises dans lesquelles des fonds privés de capital-investissement proches du pouvoir ont réalisé d’importants investissements. Les colonnes 3 à 5 indiquent le coefficient et la statistique t de la variable indicatrice pour les connexions politiques d’après une régression par la méthode des moindres carrés de la variable de performance (par exemple Ln(emploi)) sur la variable indicatrice qui est égale à 1 pour les entreprises politiquement connectées et à zéro dans le cas contraire. À la quatrième (cinquième) colonne, nous incluons aussi des variables indicatrices pour les secteurs du niveau de classification à deux (quatre/cinq) chiffres de manière à ce que le coefficient des connexions politiques mesure la différence entre les entreprises politiquement connectées ou n’opérant pas dans le même secteur du niveau de classification à deux (quatre/cinq) chiffres. Les signes * et ** indiquent que les coefficients sont significatifs au niveau de 5 % et de 10 % respectivement. Notons que pour rendre compte des profits négatifs, nous avons modifié la mesure des bénéfices log qui tient également ( ) ( ) compte des bénéfices négatifs, notamment log Profits + Profits 2 + 1 . De même, ln(Bénéfices/L) est élaboré en tant que log Profits + Profits 2 + 1 − lnL. les entreprises ayant des connexions ne sont pas propres au secteur d’activité, mais se rapportent plutôt à l’entreprise elle-même ou aux produits qu’elle commercialise. Les données de la dernière colonne révèlent qu’une fois qu’on a pris en compte dans le détail les secteurs du niveau de classification à quatre chiffres (catégories de produits), les marges bénéficiaires des entreprises politiquement connectées en Égypte ne sont pas beaucoup plus importantes que celles des autres entreprises, ce qui laisse penser qu’une partie de leurs bénéfices plus élevés tient aux caractéristiques propres aux catégories de produits qu’elles commercialisent. Les bénéfices nets considérables observés en Égypte sont systématiquement corrélés à la survie du régime. La figure 4.1 relève l’évolution des différences de bénéfice net (log) entre les entreprises politiquement connectées et les autres grandes entreprises de 2003 à 2011. Après la chute du régime de Moubarak le 11 février 2011, la différence de profits en faveur des entreprises politiquement connectées disparaît brusquement14. Ce constat donne à penser que les profits énormes des ces entreprises résultaient de facteurs propres à l’entreprise ayant directement trait à ses liens avec le régime en place, tels que les privilèges accordés à des entreprises précises sous forme de subventions ou de mesures de protec- tion commerciale, plutôt que des compétences plus élevées de leurs dirigeants, qui ne sont pas fonction du régime en place. La disparition des écarts de bénéfice entre les entreprises politiquement connectées et les autres peu après la chute de Moubarak vient aussi corroborer la qualité de notre évaluation empirique des connexions politiques en Égypte15. 110 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 4.1 Évolution des différences de bénéfice net entre les entreprises privilégiées et les autres, 2003–2011 6 4 Différence de bénéfice net, avec 2 0 –2 –4 –6 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Intervalle de Différence Intervalle de confiance de 5 % de bénéfice confiance log de 95 % Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Données extraites de la base de données Orbis sur les établissements, et du recensement des établissements. Les hommes d’affaires exercent une mainmise sur les politiques publiques pour s’arroger un ensemble de privilèges Depuis le Printemps arabe, les procès d’hommes d’affaires influents ont fait la lumière sur les mécanismes grâce auxquels des privilèges étaient accordés à certaines entreprises ayant des connexions ; ils ont révélé plusieurs pratiques courantes pour favoriser des entreprises politiquement connectées en Égypte et en Tunisie, notamment l’acquisition de terres à des prix inférieurs à ceux du marché, la manipulation des réglementations pour étouffer la compéti- tion et l’accès privilégié à une énergie subventionnée et aux marchés publics16. Les nouvelles données que nous avons compilées permettent pour la première fois de mettre en évidence de façon empirique les principaux privilèges tirés des politiques octroyés aux entreprises connectées et de montrer comment ils ont faussé les règles du jeu et miné la concurrence. Enfin, nous montrons que ces privilèges ont généré d’importants profits pour les entreprises connectées, mais ont lourdement pesé sur la croissance du secteur privé et la création d’emplois. Les entreprises politiquement connectées sont préservées de la concurrence par différents obstacles à la création d’entreprises La Loi sur l’investissement en Tunisie assujettit l’exercice légal de certaines activités à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par les pouvoirs publics, notam- ment la pêche, le tourisme (agences de voyage), les transports aériens, maritimes et terrestres, les télécommunications, l’enseignement, l’industrie cinématogra- phique, l’immobilier, le marketing et branches d’activités liées à la santé. Faute Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 111 d’équité, l’exigence de ces autorisations peut être utilisée de manière abusive pour créer une position dominante sur le marché et étouffer la concurrence, tant des entreprises susceptibles de faire leur entrée dans le secteur concerné que de celles qui y exercent déjà leurs activités. Certains indices portent à croire que c’est ce qui s’est passé avec la fermeture de la Fondation Bouebdelli, un établissement d’enseignement très respecté qui a formé un bon nombre d’élites tunisiennes. Cet établissement était considéré comme le concurrent direct d’une école internatio- nale fondée par la famille Ben Ali. En dépit de protestations publiques généralisées, le ministre de l’Éducation a ordonné sa fermeture pour non respect des règlements d’inscription17. La Loi sur l’investissement prévoit également un certain d’ombre d’activi- tés pour lesquelles les entreprises étrangères doivent obtenir l’autorisation de la Commission supérieure d’investissement (CSI) pour pouvoir les exercer lorsque leurs avoirs en devises sont supérieurs à 50 % de leur capital. Il s’agit notam- ment des transports, des communications, du tourisme, de l’enseignement, de la production culturelle, du divertissement, des travaux publics et du bâtiment, de l’immobilier, des services informatiques, ainsi que certains autres services. Il est notoirement difficile d’obtenir cette autorisation. Depuis 2005, la CSI a traité entre deux et trois demandes par an, dont la moitié environ a reçu une réponse favorable. La liste des secteurs soumis à des restrictions sur l’investissement étranger recoupe largement celle des activités soumises à l’autorisation des pouvoirs publics. Nous notons que l’ingérence des autorités s’exerce aussi dans nombre d’autres secteurs, mais pas au moyen du Code d’incitations aux investissements. Les restrictions à l’entrée pesant sur les entreprises étrangères freinent proba- blement la concurrence étrangère et peuvent aussi être utilisées pour diriger les capitaux étrangers vers certaines entreprises nationales. L’échec de McDonald’s à faire son entrée sur le marché tunisien de la restauration est souvent pris en exemple pour illustrer la mainmise de la famille Ben Ali sur certains secteurs. L’exclusion de McDonald’s du marché tunisien a fait suite à son refus d’accorder une licence exclusive à un franchisé ayant des liens avec la famille au pouvoir, ce qui a conduit les autorités tunisiennes à lui refuser l’autorisation d’investir dans le pays18. Les entreprises politiquement connectées opèrent le plus souvent dans des secteurs préservés de toute concurrence par des obstacles à la création d’entre- prises. La figure 4.2 montre que dans 39 % des secteurs où au moins une entreprise Ben Ali mène ses activités, une autorisation préalable d’y exercer est requise, contre 24 % des secteurs libres de connexions politiques19. De même, 43 % des secteurs connectés sont protégés de l’entrée de toute entreprise étrangère, contre seulement 14 % des autres secteurs. De plus, 64 % des entreprises Ben Ali interviennent dans des secteurs dans lesquels des autorisations sont requises, et 64 % interviennent dans des secteurs soumis à des restrictions sur l’IDE. Pour les entreprises n’ayant pas de connexions politiques, ces proportions sont de 45 % et 36 % respectivement20. L’Égypte a imposé plus de barrières non tarifaires à l’importation que n’importe quel autre pays dans le monde. À la fin des années 90, elle a réduit les tarifs douaniers, mais a parallèlement recouru davantage à des barrières techniques non tarifaires (voir la figure 3.1). Résultat, en 2010, l’Égypte figurait parmi les pays où la fréquence des mesures non tarifaires était la plus forte au monde (Malouche, Reyes et Fouad 2013). La plupart des mesures non tarifaires mises en Égypte sont des mesures non tarifaires de la « classe B », des barrières juridiques et techniques 112 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 4.2 Les critères d’autorisation et les restrictions à l’IDE protègent les entreprises politiquement connectées en Tunisie 50 40 (24/56) (22/56) Pourcentage 30 20 (69/267) 10 (39/267) 0 Autorisations Restrictions à l'IDE Secteurs où interviennent les Secteurs où n’interviennent pas entreprises de Ben Ali (45 sur 332) les entreprises de Ben Ali (287 sur 332) Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les différences entre les entreprises proches de Ben Ali et les autres sont mesurées au niveau des filières à cinq chiffres (nombre de filières frappées par des restrictions/nombre total de filières). Le test t de probabi- lité de Fisher (0,04 pour les autorisations et 0,00 pour les restrictions à l’IDE) entre les filières privilégiées et les autres est significatif au niveau de 5 %. à l’importation, dont l’exigence de licences ou d’immatriculation pour les impor- tateurs, les réglementations applicables aux processus de production et de distribu- tion, la traçabilité et les exigences liées à la qualité des produits. Ces mesures sont appliquées à 65 % (96 sur 147) des filières manufacturières du niveau de classifica- tion à quatre chiffres. Toutes ces restrictions font qu’il est encore plus difficile pour les entreprises étrangères de commercialiser leurs biens et des services en Égypte et peuvent donc être utilisées de manière abusive pour créer une position dominante sur le marché et préserver les entreprises nationales de la concurrence étrangère. Les entreprises politiquement connectées en Égypte ont plus de chance d’écou- ler des produits protégés de la concurrence étrangère. Le tableau 4.5 montre que les mesures non tarifaires ont profité de manière disproportionnée aux entreprises politiquement connectées21 ; c’est dire que les branches d’activité manufacturières et extractives dans lesquelles les entreprises politiquement connectées mènent leurs activités ont plus de chances que les branches d’activité libres de connexions de cette nature d’être protégées des importations concurrentes par les mesures non tarifaires. Les entreprises politiquement connectées ont également plus de chances d’être protégées par les mesures non tarifaires au niveau de chaque établissement ; 82 % des établissements politiquement connectés des secteurs manufacturier et minier vendent des produits protégés par des barrières techniques non tarifaires à l’importation. À l’inverse, seulement 56 % de l’ensemble des établissements des secteurs manufacturier ou minier en Égypte opéraient dans ces secteurs en 2006. S’agissant de la protection commerciale, l’écart entre les entreprises politi- quement connectées et les autres se creuse considérablement avec le nombre de mesures non tarifaires imposées sur une catégorie donnée de produits. Le tableau 4.5 montre que 82 % des entreprises ayant des connexions politiques, mais seulement 27 % de l’ensemble des entreprises, vendent des produits qui sont protégés par au moins deux barrières techniques à l’importation. En outre, 71 % des entreprises politiquement connectées, mais seulement Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 113 4 % de l’ensemble des entreprises, vendent des produits qui sont protégés par au moins trois barrières techniques à l’importation. Ce sont bien les entreprises politi- quement connectées qui ont tiré profit de ces avantages, tandis que, dans le même temps, le monde félicitait l’Égypte de ses efforts pour mettre fin à des décennies de l’économie par l’État. Les entreprises politiquement connectées ont un accès privilégié à des intrants et actifs subventionnés Dans les années 2000, les deux régimes semblent avoir renoncé aux formes les plus flagrantes de soutien aux entreprises politiquement connectées. Le moyen le plus direct de subventionner les entreprises politiquement connectées ou détenues par des membres du régime politique consiste probablement à opérer des transferts directs de ressources sous forme d’exonérations fiscales ou de prêts ciblés consen- tis des banques d’État. Toutefois, ce sont là aussi les canaux les plus visibles pour les observateurs extérieurs. À la fin des années 90 et durant la décennie suivante, les deux régimes ont voulu passer pour des réformateurs soucieux de la prospérité des entreprises, notamment à cause des pressions pour des réformes dont s’accom- pagnaient les programmes du FMI. Cette image a peut-être été difficile à conser- ver face à d’évidentes évasions fiscales ou à des transferts budgétaires directs aux entreprises politiquement connectées, ce qui fragilisait davantage ces régimes. Nous ne trouvons pas d’éléments concrets qui prouvent que les entreprises politiquement connectées en Tunisie ont profité de manière disproportion- née d’avantages financiers. Le Code tunisien d’incitations aux investissements dispose également que les entreprises menant certaines activités précises peuvent prétendre au bénéfice d’incitations fiscales spéciales. Si ces transferts financiers paraissent plus fréquents dans les filières occupées par des entreprises Ben Ali, on ne peut rejeter l’hypothèse nulle selon laquelle ils sont tout aussi courants dans les TableAU 4.3 Entreprises politiquement connectées et ensemble des entreprises protégées par des barrières non tarifaires au commerce en République d’Égypte Entreprises Secteurs Toutes Nombre de mesures Entreprises entreprises Secteurs Secteurs libres non tarifaires de politiquement confondues Test de politiquement de connexions Test de catégorie B par filière connectées (%) (%) Pearson χ2 ( p) connectés (%) politiques (%) Pearson χ2 ( p) Au moins 1 82 56 0,00 76 55 0,01 Au moins 2 82 27 0,00 76 52 0,00 Au moins 3 71 4 0,00 59 38 0,01 Au moins 4 26 3 0,00 22 7 0,01 Au moins 5 18 3 0,00 15 5 0,05 Au moins 6 15 2 0,00 14 5 0,08 Au moins 7 13 0 0,00 9 3 0,09 Au moins 8 10 0 0,00 5 1 0,37 Source : Calculs de la Banque mondiale ; base de données WITS, Comtrade. Note : Compte tenu de la petite taille des échantillons, nous avons eu recours au test de Fisher pour déterminer l’importance des écarts entre les secteurs politiquement connectés et les autres secteurs dans lesquels on répertoriait plus de cinq mesures non tarifaires. Les statistiques donnent la mesure la plus générale des connexions politiques, qui inclut les entreprises dans lesquelles des fonds privés de capital-investissement proches du pouvoir ont réalisé d’importants investissements. 114 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord secteurs dans lesquels interviennent les entreprises ayant des connexions que dans les autres secteurs. À la différence des autorisations et des restrictions à l’IDE, les mesures spéciales d’incitation fiscale semblent ne pas avoir été le moyen privi- légié pour venir en aide aux entreprises politiquement connectées Tunisie. Après la crise financière de la fin des années 90 en Égypte, les entreprises n’ont plus tant été privilégiées par les prêts directs des banques d’État que par les politiques publiques, l’accès au capital étant le privilège le plus rapporté. C’était déjà le cas auparavant en Égypte, à l’époque où les entreprises politique- ment connectées jouissaient d’un accès privilégié au crédit des banques d’État. Après la crise bancaire de la fin des années 90, la réforme des politiques a toutefois restreint l’activité des banques d’État en ouvrant le secteur financier aux banques privées étrangères. Comme cela a déjà été souligné, le gros des prêts bancaires reste malgré tout alloué aux entreprises politiquement connectées. Les entretiens avec les représentants de banques étrangères implantées en Égypte ont toutefois révélé la concurrence entre les banques privées désireuses de prêter à ces entre- prises, car ce sont les plus rentables du pays. La concentration des prêts bancaires dans les entreprises politiquement connectées s’apparente donc à un effet d’équi- libre résultant d’un système de népotisme qui garantit des bénéfices plus impor- tants à ces entreprises, plutôt qu’à un privilège politique direct. Les données concrètes disponibles porteraient davantage à croire que les privilèges ont progres- sivement pris des formes plus subtiles, telles que les subventions énergétiques à l’industrie, les acquisitions foncières, la protection des échanges par les mesures non tarifaires ou l’application discrétionnaire des règles. Les entreprises politiquement connectées en Égypte tirent des avantages disproportionnés des subventions à l’énergie. Au chapitre 2, nous avons établi que les grands établissements ont plus de chances de profiter des généreuses subventions énergétiques à l’énergie en Égypte. La figure 4.3 indique que sur l’ensemble des grandes entreprises, les quelques unes qui ont des connexions politiques sont bien plus susceptibles d’opérer dans les industries à forte inten- sité d’énergie. En d’autres termes, 45 % de l’ensemble des établissements ayant des connexions politiques mènent des activités dans des branches d’activité à forte intensité d’énergie, telles que la cimenterie ou l’aciérie, contre seulement 8 % de la totalité des établissements. À l’inverse, il n’y a pas de différence statis- tique entre le nombre d’entreprises politiquement connectées et les autres dans des filières à intensité énergétique faible ou modérée. De même, on trouve au moins une entreprise ayant des connexions dans 81 % de l’ensemble des branches d’activité industrielles à forte intensité énergétique, alors que ces entreprises sont présentes dans seulement 43 % des branches d’activité à faible intensité d’énergie, et totalement absentes dans 57 % de ces branches d’activité. Les entreprises intervenant dans des secteurs occupés par un plus grand nombre d’entreprises ayant des connexions ont plus de chance d’avoir accès à des terrains du domaine public. Dans le secteur manufacturier, l’accès à la terre suppose l’accès aux zones industrielles, ce qui confère plusieurs avantages sur les compétiteurs qui ne peuvent s’y établir, notamment des exonérations d’impôt sur les sociétés ou de droits de douane, de meilleures infrastructures et une appli- cation plus systématique de la réglementation22. Dans l’exposé ci-après, nous cherchons à déterminer si les entreprises établies dans des secteurs comptant de nombreuses entreprises ayant des connexions ont plus de chance d’avoir accès aux terres domaniales et/ou de s’implanter dans une zone industrielle. À cette fin, nous Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 115 Figure 4.3 Proportion d’entreprises politiquement connectées dans les secteurs à intensité énergétique forte et faible en République arabe d’Égypte 60 Test de probabilité Χ2 = 0,000 Test de probabilité Χ2 = 0,173 50 40 Pourcentage 30 20 10 0 Forte intensité énergétique Faible intensité énergétique Entreprises privilégiées Toutes entreprises confondues Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : La différence entre les entreprises privilégiées et l’ensemble des autres entreprises est significative au niveau de 1 % dans les industries à forte intensité d’énergie, mais sans signification statistique dans les industries à intensité énergétique faible. Est exclue la proportion d’entreprises dans les filières à faible intensité d’énergie. Les statistiques donnent la mesure la plus générale des appuis politiques, qui inclut les entreprises dans lesquelles des fonds privés de capital-investissement proches du pouvoir ont réalisé d’importants investissements. exploitons les enquêtes de la Banque mondiale pour la période 2004 à 2008, qui livrent des données sur l’ensemble de ces variables pour environ 3 000 entreprises en Égypte. Les réponses des entreprises étant anonymées, il est impossible de distinguer directement les entreprises politiquement connectées sur l’ensemble. En revanche, comme pour les mesures non tarifaires et les subventions à l’énergie, nous pouvons identifier les branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres où opèrent des entreprises politiquement connectées en recoupant les données de la Banque mondiale avec des informations sur le nombre d’entre- prises politiquement connectées par branche d’activité du niveau de classifica- tion à quatre chiffres23. Les statistiques descriptives montrent que les entreprises des secteurs politiquement connectés (c.-à-d. comptant au moins une entreprise ayant des connexions) ont 11 à 14 % de chances de plus d’acquérir des terres du domaine public et 7 à 11 % de chances de plus de parvenir à s’implanter dans une ville industrielle (tableau 4.4). Dans les sections suivantes, nous procédons à une analyse de régression pour chercher à déterminer plus systématiquement si les entreprises politiquement connectées ont tiré des avantages disproportion- nés de leurs relations au sein du gouvernement24. Nous soulignons que tous les résultats correspondent aux tests empiriques les plus prudents, puisque nous ne comparons que les différences de l’incidence du poids des connexions politiques entre les entreprises d’un même secteur manufacturier du niveau de classification à deux chiffres (par exemple les textiles), mais dans des sous-secteurs différents du niveau de classification à quatre chiffres (où le nombre d’entreprises politi- quement connectées varie). Nous constatons que la probabilité d’acquérir des terres domaniales s’accroît de 1,8 point de pourcentage avec chaque entreprise 116 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord TableAU 4.4 Relations avec le gouvernement et concurrence dans les secteurs comptant des entreprises politiquement connectées par rapport aux secteurs libres de connexions politiques en République arabe d’Égypte Secteurs comptant des Secteurs entreprises Secteurs comptant des d’hommes comptant des DG ayant des Tous les d’affaires ayant Tous les entreprises Tous les connexions autres des connexions autres politiquement autres   politiques secteurs politiques secteurs connectées secteurs Relations avec le gouvernement             Proportion d’entreprises ayant acheté des terres à l’État (%) 48 37 44 33 44 30 Proportion d’entreprises dans des villes industrielles (%) 47 36 42 33 41 34 Proportion d’entreprises bénéficiant de prêts bancaires (%) 21 17 19 17 19 13 Jours d’attente pour l’obtention d’un permis de construire 595 642 608 681 610 696 Coefficient de variation (permis de construire) 0,56 0,45 0,54 0,33 0,53 0,30 Nombre annuel d’inspections fiscales 4,6 5,7 5,1 5,7 5,3 5,2 Coefficient de variation (inspections fiscales) 1,34 1,32 1,35 1,25 1,34 1,27 Nombre d’inspections par les autorités municipales 1,6 1,9 1,7 2,0 1,6 2,5 Coefficient de variation (inspections municipales) 2,23 2,19 2,31 1,92 2,23 2,03 Proportion des ventes à l’État sur le total des ventes 21 16 19 14 19 12 des entreprises Compétition Proportion d’entreprises ayant <10 concurrents sur 36 29 32 30 32 29 le marché intérieur (%) Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les données proviennent des enquêtes sur les entreprises réalisées entre 2004 et 2008 par la Banque mondiale et sur le nombre d’entreprises politiquement connectées en Égypte. Les secteurs du niveau de classification à quatre chiffres où jouent les connexions politiques comptent au moins une entreprise politiquement connectée, tandis qu’il n’existe aucune entreprise ayant ce type de connexions dans tous les autres secteurs. Les connexions politiques sont classées en fonction de l’importance de leur caractère restrictif. Un individu a d’autant plus intérêt à faire jouer ses relations politiques au profit de l’entreprise s’il en est le PDG (presque tous les PDG ayant des connexions politiques sont actionnaires de leur entreprise). L’incitation est moins forte pour les propriétaires d’entreprises ayant des connexions politiques, et encore plus faible pour toutes les catégories d’entreprises politiquement connectées, dans lesquelles nous incluons celles où des entreprises de capital-investissement jouissant de connexions politiques ont massivement investi. supplémentaire ayant des connexions dans un secteur manufacturier du niveau de classification à quatre chiffres. Aussi, dans l’hypothèse d’une linéarité, la probabi- lité d’acquérir des terres publiques est supérieure de 9 points de pourcentage dans les secteurs où cinq chefs d’entreprises ont des connexions politiques par rapport aux secteurs libre de connexions de cette nature, ce qui est un effet significatif. Après la chute de Moubarak, les procès d’hommes d’affaires influents ont confirmé nos constats empiriques selon lesquels les entreprises politiquement connectées ont acheté des terres de grande valeur à vil prix. Nombreux sont les indices qui montrent qu’elles étaient prioritaires pour l’accès aux terres et au crédit en Égypte. Le gouvernement leur aurait non seulement cédé des terres, mais garanti leur raccordement au réseau électrique et aux infrastructures de télécommunication et de transport, ce qui faisait instantanément grimper la valeur de ces terrains, que les hommes d’affaires utilisaient comme caution pour obtenir des prêts bancaires d’un montant bien supérieur au prix d’achat initial des terrains. Des ventes de terres de premier choix à des prix inférieurs à leur valeur marchande ont aussi été mises à jour lors des nombreux procès intentés contre de grands promoteurs immobiliers après le changement de régime en 2011 pour les Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 117 Figure 4.4 Les grandes entreprises des industries connectées ont plus de chance de s’implanter dans une zone industrielle a. Grandes entreprises seulement b. Grandes contre petites entreprises Probabilité de s'établir dans une zone industrielle Probabilité de s'établir dans une zone industrielle 1.0 0.8 Intervalle de confiance de 5 % 0.8 0.6 0.6 0.4 0.4 Intervalle de confiance de 95 % 0.2 0.2 0 1 2 3 0 1 2 3 Nombre d'entreprises dirigées par un initié Nombre d'entreprises dirigées par un initié Grandes entreprises Petites entreprises Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les données proviennent des enquêtes 2004-2008 de la Banque mondiale sur les entreprises et sur le nombre d’entreprises égyptiennes bénéficiant d’appuis politiques. Les grandes entreprises ont un effectif d’au moins 100 personnes. Le graphique montre que la probabilité qu’une grande entreprise employant au moins 100 personnes soit implantée dans une zone industrielle augmente de 0 à 3 le nombre d’entreprises dirigées par un initié dans les filières à quatre chiffres de notre échantillon. Il est basé sur une régression probit de la variable indicatrice égale à un si l’entre- prise est située dans une zone industrielle et le nombre d’entreprises ayant un initié comme PDG dans une filière à quatre chiffres. La régression prend en compte la taille de l’entreprise, son âge et la part des exportations, et les variables indicatrices pour les secteurs du niveau de classification à deux chiffres. Nous incluons aussi les termes d’interaction entre les catégories de taille (petites ou grandes entreprises) et le nombre d’entreprises connectées par secteur du niveau de classification à quatre chiffres. contraindre à réévaluer d’anciens contrat de vente de terrains passés avec l’État, et à payer la différence. Durant les derniers mois, nombre de ces différends ont été réglés à l’amiable (Ahram Online, diverses éditions). Les grandes entreprises ont plus de chances de s’implanter dans une zone industrielle si elles exercent dans des branches d’activité politiquement connec- tées (comptant un plus grand nombre d’entreprises politiquement connectées). Le panneau a de la figure 4.4 illustre la croissance de la probabilité qu’une grande entreprises employant au moins 100 personnes s’établisse dans une zone industrielle en fonction du nombre d’entreprises ayant un directeur général qui a des connexions politiques dans les branches d’activité du niveau de classifica- tion à quatre chiffres. Notons que ce résultat est probablement déterminé par les entreprises politiquement connectées présentes dans ces secteurs puisque ce sont généralement les grandes entreprises qui ont le plus de relations politiques25. Ce résultat montre qu’environ 41 % de toutes les grandes entreprises des branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres qui ne comptent pas d’entre- prises politiquement connectées sont implantées dans des zones industrielles. Cette proportion passe à environ 58 % (62 % respectivement) dans les secteurs où une entreprise (trois entreprises, respectivement) est dirigée par un directeur général ayant des relations politiques. Parmi les secteurs politiquement connectés, les grandes entreprises ont plus de chances que les petites de s’établir dans une zone industrielle. La figure 4.4b illustre la croissance de la probabilité que des grandes et petites entreprises puissent s’implanter dans une zone industrielle en fonction du nombre d’entreprises ayant un directeur général qui a des relations politiques d’une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres à une autre. Comme la majorité des entreprises 118 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ayant des connexions de notre échantillon sont de grandes entreprises, ces résultats attestent sans le moindre doute que ce sont les entreprises politiquement connec- tées des branches d’activité à quatre chiffres qui ont accès aux zones industrielles. La détermination des activités devant bénéficier d’exonération fiscale dans les zones économiques spéciales aurait également été motivée par des intérêts particuliers ; par exemple, la liste des secteurs admis à bénéficier d’exonérations fiscales a été élargie aux médias après la construction d’un nouveau complexe médiatique (comprenant des bureaux, des hôtels, des théâtres et autres installations) par un homme d’affaires proche du pouvoir. Peu de temps après, ce complexe a été déclaré zone économique spéciale, ce qui lui a permis de bénéfi- cier d’exonérations fiscales (Ahram Online, diverses éditions). Les entreprises politiquement connectées bénéficient d’une application discrétionnaire des politiques publiques Les entreprises politiquement connectées ont tiré un profit disproportionné de l’application des lois. Elles ont aussi fait jouer leurs contacts politiques pour réduire au minimum les charges réglementaires et les risques dus à la convoitise des fonctionnaires, alors que leurs concurrents n’avaient d’autre choix que de les affronter. Pour analyser la situation, nous utilisons de nouveau les enquêtes de la Banque mondiale où les entreprises étaient invitées à évaluer l’application des politiques publiques et de la réglementation. Suivant la démarche de Hallward-Driemeier et al. (2010), nous examinons aussi les différences d’appré- ciation du climat réglementaire par les entreprises d’une même branche d’activité. Les statistiques descriptives montrent que les entreprises opérant dans des secteurs politiquement connectés (au moins une entreprise ayant des connexions politiques) font état de délais bien plus courts pour la délivrance de permis de construire. Par exemple, pour l’indicateur le plus prudent des connexions politiques, le tableau 4.4 montre que les entreprises de secteurs politiquement connectés doivent attendre en moyenne 47 jours de moins26. Dans l’exposé qui suit, nous cherchons à déterminer d’une manière plus systématique, au moyen d’une analyse de régression, si les entreprises politiquement connectées ont tiré des avantages disproportionnés de l’application discrétionnaire de la réglementation27. Pour l’indicateur le plus prudent des connexions politiques, les données révèlent qu’une entreprise supplémentaire dirigée par un directeur général ayant des connexions politiques réduit le temps d’attente moyen de 51 jours dans une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres. De surcroît, les grandes entreprises implantées dans des secteurs moins ou non connectés supportent des délais bien plus longs (11 à 48 jours selon la nature des connexions) que les grandes entreprises de secteurs comptant plus d’entreprises ayant des connexions. Comme les entreprises politiquement connectées sont très probablement bien plus grandes que l’entreprise moyenne des enquêtes de la Banque mondiale, on peut en conclure que les entreprises politiquement connectées bénéficient de procédures accélérées refusées à d’autres grandes entreprises du même secteur manufactu- rier à deux chiffres (mais dans d’autres branches d’activité du niveau de classifi- cation à quatre chiffres). Les données indiquent que les secteurs comptant plus d’entreprises politiquement connectées ont un coefficient de variation bien plus élevé au regard des délais de délivrance de permis de construire, ce qui confirme que ces entreprises ont rapidement accès aux services réglementaires, contrairement Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 119 aux entreprises n’ayant pas de connexions politiques de la même branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres. L’application discrétionnaire de la réglementation permet aussi de tenir à distance ou d’affaiblir les concurrents potentiels. Un homme d’affaires qui souhaitait réali- ser de nouveaux investissements à l’étranger se rappelle par exemple en ces termes de sa rencontre avec un entrepreneur local influent (Banque mondiale 2009) : « J’étais en plein processus d’investissement dans ce pays où j’avais déjà transféré des capitaux de démarrage quand j’ai été contacté par un entrepreneur local que je savais proche du pouvoir. Il m’a proposé une prise de participation de 25 % dans mon entreprise en contrepartie d’un terrain gratuit… tout en m’assurant que le processus d’investissement se déroulerait pour le mieux sans « tracasseries adminis- tratives ». Bien sûr, je savais ce que cela signifiait et le risque encouru pour mon propre contrôle sur l’entreprise. Fort heureusement, j’étais au courant de ses inves- tissements dans mon pays et je lui ai fait comprendre que nous aurions l’un et l’autre tout à gagner dans nos pays respectifs si nos investissements se déroulaient sans encombre et sans empiéter sur nos affaires respectives, vu que je pouvais moi aussi lui rendre les choses difficiles dans mon pays où j’avais aussi des relations. » Les entreprises sans connexions politiques sont la cible de contrôles et d’ins- pections plus fréquents des agents de l’État. Exploiter ses relations politiques pour multiplier ces inspections chez un concurrent direct aurait souvent permis de freiner la croissance des concurrents. Les enquêtes de la Banque mondiale sur les entreprises en Égypte donnent des informations sur le nombre de contrôles fiscaux et d’autre nature. Comme on le voit au tableau 4.4, les entreprises de secteurs comptant au moins une entreprise ayant un directeur général qui a des relations politiques sont inspectées par les services fiscaux 4,6 fois par an. En revanche, la fréquence des inspections fiscales grimpe à 24 % (soit 5,7 fois par an) pour les entreprises dont le directeur général n’a pas de relations politiques. De même, la fréquence des contrôles municipaux est environ 20 % supérieure dans les secteurs sans entreprises politiquement connectées. Plus encore, la dispersion (coefficient Encadré 4.1 Les entreprises Ben Ali ont-elles dicté les amendements à la Loi sur l’investissement dans les années 2000 ? La mise en place d’obstacles supplémentaires à classification à cinq chiffres. Le tableau E4.1.1 la création d’entreprises était plus probable dans récapitule les changements apportés au Code les secteurs où étaient intervenaient des entre- tunisien d’incitation aux investissements entre prises Ben Ali. La liste des activités assujetties à la 1994 et 2010, par suite des 22 décrets pris par délivrance d’une autorisation et à des restrictions Ben Ali lui-même. Ces décrets ont imposé de à l’IDE a été modifiée à de multiples reprises nouvelles autorisations dans 45 branches d’acti- depuis 1993 avec 22 décrets présidentiels qui ont vité, ainsi que des restrictions à l’IDE dans abouti à 73 amendements au niveau du NAT 96, 28 branches d’activité. Le panneau supérieur à savoir les branches d’activité du niveau de de ce tableau indique la présence d’entreprises 120 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Encadré 4.1  Suite TableAU E4.1.1 Corrélation entre les nouveaux obstacles à la création d’entreprises et la présence d’entreprises Ben Ali Nouvelles réglementations et présence d’entreprises Ben Ali Nouvelles exigences Présence d’entreprises Ben Ali d’autorisations Nouvelles restrictions à l’IDE N n % Test F de Fisher n % Test F de Fisher Au moins une 451 7 1,55 Tableau 9 2.00 Tableau entreprise Pr 0,0195 Pr 0,0195 Aucune entreprise 5058 38 0,75 0,046 19 0.38 0,000 Toutes les entreprises 5509 45 p = 0,0961 28 p = 0,000 Nouvelles réglementations et arrivée d’entreprises Ben Ali Arrivée d’entreprises Ben Ali la Nouvelles obligations même année ou l’année suivante d’autorisation Nouvelles restrictions à l’IDE N n % Test F de Fisher n % Test F de Fisher Au moins une 168 4 2,35 Tableau 3 1,76 Tableau entreprise Pr 0,0195 Pr 0,0195 Aucune entreprise 5031 41 0,82 0,043 25 0,50 0,049 Toutes les entreprises 5199 45 p = 0,0582 28 p = 0,0619 Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Le test d’égalité est le test t de la méthode exacte de Fisher. Il permet de tester l’hypothèse nulle selon laquelle l’application des nouvelles réglementations visées ci-dessus à des filières à cinq chiffres strictement définies est indépendante de la présence (rangée supérieure) et de l’établissement (rangées inférieures) d’entreprises politiquement connectées dans ces filières. L’indicateur d’établissement est un indicateur binaire de niveau sectoriel qui assume une valeur de 1 si une entreprise proche de Ben Ali s’est implantée dans le secteur la même année ou l’année suivante. politiquement connectées dans sept (neuf) des Code d’incitations aux investissements. À titre 45 (28) secteur-années pour lesquels de nouvelles d’exemple, le Décret n° 96-1234, pris en 1996, a exigences d’autorisation ou des restrictions à modifié le Code par l’instauration de nouvelles l’IDE ont été imposées. L’hypothèse nulle selon exigences d’autorisations pour les entreprises laquelle la probabilité de nouvelles restrictions à de manutention et de transfert portuaire de l’IDE (exigence d’autorisations) n’est pas dépen- marchandises et pour les entreprises de remor- dante de la présence d’entreprises politiquement quage et de sauvetage de navires. Par le même connectées est rejetée au seuil de signification de décret, des restrictions à l’IDE ont été introduites 1 % (10 %). En dépit là encore d’un petit nombre pour les entreprises spécialisées dans le trans- d’observations, les données rejettent également port de viande rouge. Cette même année, une l’hypothèse nulle d’une indépendance entre entreprise de transport et de logistique spécia- le démarrage d’activités de nouvelles entre- lisée dans le transport de produits réfrigérés a prises Ben Ali et l’introduction de nouvelles été créée par un membre de la famille Ben Ali. exigences d’autorisations ou restrictions supplé- En outre, juste après l’établissement d’une nouvelle mentaires à l’IDE au seuil de signification entreprise ayant des connexions politiques dans de 10 % (Tableau E4.1.1, panneau inférieur). le secteur du ciment, le Décret n° 2007–2311 a Quelques indices indirects conduisent à penser imposé à toutes les cimenteries d’obtenir une que la famille Ben Ali a largement manipulé le autorisation de l’État. Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 121 de variation) des inspections rapportées d’une entreprise à l’autre est beaucoup plus importante dans les secteurs politiquement connectés (tableau 4.4). Quand des entreprises politiquement connectées sont implantées dans un secteur, certaines entreprises sont donc très peu inspectées, tandis que d’autres le sont fréquemment. Bien que nous n’ayons pas d’observations directes du peu d’inspections imposées aux entreprises politiquement connectées, il est probable que les fonctionnaires visent plus souvent celles qui sont dépourvues de relations politiques. Ce constat coïncide aussi avec l’idée que les entreprises informelles ou les petites entreprises sans connexions politiques évitent de se développer pour ne pas être repérées par les grands concurrents ayant des connexions politiques ou pour ne pas servir de cible aux mesures anticoncurrentielles ou au contrôle de l’État. Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent le développement du secteur privé et la création d’emplois La théorie élaborée par Aghion et al. (2001) offre une stratégie empirique qui permet d’apprécier indirectement si les avantages liés aux relations politiques sont un frein à la croissance. Si c’est effectivement le cas, les privilèges accordés au moyens des politiques publiques doivent creuser un fossé entre les entreprises politiquement connectées et celles qui ne le sont pas pour ce qui est du prix des intrants et des extrants. Dans l’affirmative, ces privilèges doivent se traduire par une performance accrue des entreprises politiquement connectées par rapport aux autres. Les éléments présentés ci-après confirment que c’est bien le cas. Les privilèges par le biais des politiques publiques expliquent les bénéfices supérieurs des entreprises politiquement connectées Les entreprises connectées en Égypte sont plus rentables parce qu’elles bénéfi- cient de protections commerciales et de subventions à l’énergie. La réparti- tion conjuguée des mesures non tarifaires, des subventions à l’énergie et des connexions politiques de certaines entreprises d’une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres à une autre explique l’écart total de rendement entre les entreprises politiquement connectées et les autres. Autant dire que les premières sont beaucoup plus rentables que les secondes si leurs produits sont protégés de la concurrence des importations, mais pas dans le cas contraire. On aboutit à des résultats analogues quand on tient compte de la répartition conju- guée des connexions politiques et des subventions à l’énergie dans les secteurs à forte intensité énergétique28. Ces résultats indiquent que les mesures non tarifaires et les subventions à l’énergie ciblent les entreprises politiquement connectées, et semblent exclure les entreprises sans connexions politiques de mêmes secteurs. À titre d’exemple, les obstacles à l’entrée privent les entreprises nationales sans connexions politiques des faveurs octroyées aux entreprises politiquement connectées. S’agissant des subventions à l’énergie, la construction d’une usine dans des secteurs à forte inten- sité énergétique (sidérurgie et cimenterie par exemple) était soumise à l’obten- tion d’une licence délivrée par le ministère de l’Industrie et du Commerce ou par le ministère de l’Investissement et renouvelable chaque année. La procédure d’octroi de licence favorisait les entreprises politiquement connectées qui avaient 122 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord plus de chances de l’obtenir et étaient moins susceptibles d’être exposées à un comportement prébendier (refus de renouvellement d’une licence en dépit de gros investissements irrécupérables). Dans la cimenterie et la sidérurgie — secteurs aussi rentables qu’énergivores — où les échanges commerciaux étaient protégés, seules quelques entreprises ayant des connexions avaient en 2010 une licence leur garantissant l’accès aux subventions à l’énergie. Pour ce qui est des mesures non tarifaires, diverses règles imposaient des licences bien précises pour importer certains produits intermédiaires provenant de fabricants étrangers (comme dans le secteur automobile). Comme le montre le tableau 4.6, les entreprises politi- quement connectées avaient bien plus de chances d’être autorisées à importer. Par ailleurs, l’application des mesures non tarifaires relève de la puissance publique dont on a montré qu’elle exerçait diversement son action dans les secteurs où opéraient des entreprises politiquement connectées29. En Tunisie, les entreprises ayant des connexions étaient plus rentables parce que les obstacles juridiques à l’entrée garantissaient leur pouvoir de marché. Les entreprises Ben Ali avaient plus de parts de marché et une plus forte valeur ajoutée par travailleur lorsqu’elles étaient protégées par l’exigence d’autorisations et des restrictions à l’IDE30. Dans les secteurs visés par le Code d’incitations aux investissements mais préservés de ces exigences réglementaires, les différences sont statistiquement négligeables dès lors que l’on tient compte de la grande taille des entreprises politiquement connectées. En moyenne, les parts de marché détenues par les entreprises Ben Ali étaient supérieures à celles des entreprises sans connexions dans les secteurs soumis à des exigences d’autorisations et aux restrictions à l’IDE, dans des proportions de 4 et 6,4 points de pourcentage respec- tivement. La différence est de taille compte tenu du fait que la part de marché moyenne des entreprises sans connexion politique des secteurs où des autori- sations sont exigées est seulement de 0,27 %. Force est de noter que les entre- prises Ben Ali sont également considérablement plus grandes dans les secteurs dont l’entrée est soumise à des restrictions. Dans les situations caractérisées par l’exigence d’autorisations ou des restrictions à l’IDE, les entreprises Ben Ali comptaient respectivement 137 % et 285 % d’employés salariés de plus que les entreprises sans connexion politique. De plus, nous constatons que les écarts de croissance de ces variables entre les entreprises Ben Ali et les autres varient systématiquement en fonction de la prévalence des réglementations. Les règlementations commerciales ont permis aux entreprises Ben Ali d’empo- cher des profits beaucoup plus importants et surtout très supérieurs à ceux des entreprises concurrentes intervenant dans des secteurs soumis à l’exigence d’auto- risations et aux restrictions à l’IDE. Dans les secteurs où ces restrictions ne jouent pas, les entreprises Ben Ali réalisent beaucoup moins profits que leurs compéti- teurs. Ces résultats indiquent une mainmise des entreprises politiquement connec- tées sur les réglementations. Au regard de notre constat selon lequel les connexions politiques en Égypte et en Tunisie se traduisent par d’importants privilèges, nous nous attendons aussi à constater que la présence d’entreprises politiquement connectées entrave la concurrence et la dynamique des entreprises, comme l’ont prédit Aghion et al. (2001). Les secteurs comprenant des entreprises politiquement connectées devraient être caractérisés par moins d’entrées d’entreprises et une plus faible concurrence entre les entreprises. Ils devraient aussi présenter une distribution plus asymétrique des entreprises, caractérisée par un important acteur dominant Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 123 et un nombre potentiellement élevé de petites entreprises ou de microentre- prises informelles qui ont recours à des technologies anciennes pour desservir des créneaux du marché local. Dans l’exposé qui suit, nous utilisons nos bases de données nouvellement constituées pour l’Égypte pour présenter des éléments de preuve empiriques conformes à ces prédictions. Les entreprises politiquement connectées sont protégées de la concurrence Les grandes entreprises des secteurs politiquement connectés (ceux où inter- viennent de nombreuses entreprises ayant des connexions) font état de peu de concurrents nationaux. L’analyse repose sur quelque 3 000 entreprises qui ont indiqué le nombre de leurs concurrents nationaux dans les enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises en Égypte. Les statistiques descriptives montrent que les entreprises opérant dans des secteurs politiquement connectés (au moins une entreprise ayant des connexions politiques) sont plus susceptibles de faire état de moins de 10 concurrents sur le marché intérieur (tableau 4.4). Dans l’exposé qui suit, nous procédons à une analyse de régression pour chercher à déterminer de manière plus systématique si les entreprises politiquement connec- tées font état d’une plus faible concurrence31. Cette information est observée au niveau des entreprises, ce qui nous permet de tester les complémentarités entre l’effet des relations politiques sur les branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres et les caractéristiques spécifiques aux entreprises de ces branches d’activité, comme la taille. Ceci est important, car il est bien plus probable que les grandes entreprises couvertes par les enquêtes de la Banque mondiale soient politi- quement connectées. Ainsi, les données mesurent l’intensité de la concurrence intérieure pour les grandes entreprises de secteurs politiquement connectés et pour celles de secteurs isolés ou moins protégés. En d’autres termes, si on ne consi- dère que le sous-groupe « grandes entreprises », tous secteurs confondus, il est bien plus probable que les résultats concernant la concurrence soient tirés par les entreprises politiquement connectées même si les enquêtes de la Banque mondiale ne permettent pas de les identifier directement comme telles. Ces résultats confir- ment que les grandes entreprises se plaignent moins de la concurrence intérieure quand elles interviennent dans des secteurs manufacturiers plus protégés. De plus, dans les secteurs plus connectés, les grandes entreprises sont plus susceptibles que les petites à faire état de moins de concurrents nationaux. Prises ensemble, les grandes entreprises de secteurs politiquement connectés signalent moins de concurrents nationaux. Au final, ces résultats permettent de penser que les entreprises politiquement connectées du secteur manufacturier sont davantage protégées de la concurrence intérieure que les autres grandes entreprises. Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées anéantissent la dynamique des entreprises liée à la création d’emplois Le faible taux de création d’entreprises dans les secteurs dominés par des entre- prises connectées, en dépit des rentes considérables dans ces secteurs, est une preuve supplémentaire que les entreprises ayant des connexions tirent profit des obstacles à l’entrée. Nous posons comme hypothèse que la présence d’entreprises politiquement connectées décourage l’entrée des autres entreprises, ces dernières n’ayant aucune chance de les concurrencer sur le plan des privilèges. De ce fait, les entreprises sans connexions politiques sont contraintes de se cantonner 124 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à quelques créneaux peu productifs du marché local. Bien que la comparaison contrefactuelle de l’entrée des entreprises en l’absence d’entreprises politique- ment connectées dans les mêmes secteurs ne soit pas observable, notre straté- gie empirique consiste à comparer la dynamique des entreprises dans toutes les branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres, selon le poids des connexions politiques, pour une année donnée et au fil du temps. Cette compa- raison intersectorielle peut être biaisée du fait d’un effet de sélection endogène des entreprises politiquement connectées dans les secteurs présentant des carac- téristiques particulières, telles que les possibilités de croissance qui accompagnent leur maturité. Les constatations des sections précédentes permettent d’évaluer l’orientation potentielle de ce biais. Premièrement, les rentes considérables liées aux subventions à l’énergie, à la protection commerciale et à la mainmise sur des terres de choix devraient inciter de nombreux autres opérateurs à s’implanter dans ces secteurs, ce qui implique que la corrélation observée entre les connexions politiques et l’entrée des entreprises est biaisée par défaut. Deuxièmement, l’ana- lyse témoigne d’une présence assez généralisée d’entreprises ayant des connexions dans tous les secteurs économiques, notamment le secteur manufacturier et celui des services modernes (machines et et services de TIC) où les possibilités de croissance sont sans doute plus importantes (tableau 4.1 and tableau G.2 de l’annexe G). Par conséquent, nous soutenons que les variations de la répartition des entreprises politiquement connectées entre secteurs à potentiel fort de crois- sance et secteurs à faible potentiel de croissance dans l’Égypte des années 2000 sont suffisantes pour pouvoir déterminer si la dynamique des entreprises varie d’un secteur à l’autre en fonction de présence ou non d’entreprises politiquement connectées. En outre, nous tenons compte des caractéristiques spécifiques des secteurs qui sont corrélées avec les possibilités de croissance des secteurs dans toutes les spécifications des estimations (par exemple, la taille et l’âge moyens des établissements dans un secteur et les variables indicatrices liées au secteur). Ainsi, nous n’utilisons que les branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres présentant des caractéristiques comparables pour déterminer de façon empirique l’impact des connexions politiques sur la création d’entreprises32. L’entrée des entreprises est plus faible dans les secteurs politiquement connec- tés. Le tableau 4.5 résume les statistiques descriptives de certaines variables extraites du recensement des entreprises dans les secteurs du niveau de classifica- tion à quatre chiffres comptant au moins une entreprise ayant des connexions et dans tous les autres secteurs ne comptant aucune entreprise ayant des connexions politiques. En 2006, les taux de création d’entreprises dans les secteurs où opère au moins une entreprise ayant des connexions étaient inférieurs de 0,8 point de pourcentage (d’après la mesure la plus restrictive des secteurs ayant des directeurs généraux qui ont des relations politiques), soit un taux de création d’entreprises inférieur de 11 % à celui des secteurs connectés, la différence étant encore plus marquée, à savoir 28 %, quand ces taux sont pondérés par l’emploi. Toujours en 2006, les secteurs connectés représentaient une plus forte proportion des établis- sements anciens, ce qui indiquait soit un faible taux de création d’entreprises soit des cessations d’activité dans les années précédentes. Comme indiqué dans le chapitre 3, des données concrètes témoignent d’un accroissement des privilèges octroyés aux entreprises politiquement connectées entre 1996 et 200633. Ainsi, si ces privilèges découragent l’entrée de nouvelles entreprises (sans connexions politiques), on devrait s’attendre à un fléchissement des taux de création Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 125 d’entreprises dans les secteurs politiquement connectés durant la même période. Le tableau 4.5 montre que c’est ce qui s’est effectivement produit. Entre 1996 et 2006, les créations d’entreprises ont été beaucoup plus nombreuses dans les secteurs sans connexions politiques, mais n’ont quasiment pas évolué dans ceux où opérait au moins une entreprise ayant des connexions. De même, la part des jeunes entreprises a augmenté plus rapidement dans les secteurs politiquement connectés où aucune entreprise connectée ne s’était encore implantée. Les résul- tats sont solides dès lors qu’ils sont ajustés des caractéristiques spécifiques aux secteurs (par exemple la taille et l’âge moyens des établissements du secteur ainsi que les variables indicatrices pour les secteurs du niveau de classification à un ou deux chiffres). Ainsi, l’augmentation de zéro à un du nombre d’entreprises ayant un directeur général qui a des relations politiques dans une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres accroît la proportion d’entreprises anciennes de 1,7 point de pourcentage dans cette branche d’activité, après ajuste- ment en fonction de la taille moyenne des entreprises et des variables indica- trices pour les secteurs du niveau de classification à deux chiffres. Entre 1996 et 2006, les créations d’entreprises ou les cessations d’activité ont donc été bien moins nombreuses dans les sous-secteurs politiquement connectés du niveau TableAU 4.5 Dynamique des entreprises dans les secteurs où opèrent des entreprises politiquement connectées par opposition aux secteurs sans connexions politiques en République arabe d’Égypte Secteurs comptant des entreprises Secteurs Secteurs détenues par comptant comptant des Tous les hommes d’affaires Tous les des entreprises Tous les DG ayant des autres ayant des autres politiquement autres connexions secteurs connexions secteurs connectées secteurs Effets de niveau, 2006             Taux de création d’entreprises (%) 6,5 7,3 7,0 7,4 6,9 7,6 Taux de création d’entreprises pondéré 3,6 4,6 4,4 4,5 4,2 4,8 par l’emploi (%) Proportion d’établissements anciens 26,1 24,0 24,5 24,1 25,3 23,2 (11–30 ans) (%) Coefficient de variation (emploi) 2,6 1,5 2,0 1,4 2,0 1,3 Asymétrie (emploi) 8,9 5,8 7,3 5,4 7,4 5,0 Effets de dynamique, 1996–2006             Croissance du taux de création d’entreprises 0,1 1,2 0,2 2,3 0,2 2,9 (sur 10 ans) Croissance du taux de création d’entreprises 0,4 3,6 2,0 4,1 2,0 5,0 pondérée par l’emploi (sur 10 ans) Évolution de la part de jeunes établissements 5,7 9,1 7,5 9,2 7,4 13,5 (≤10 ans) Évolution du coefficient de variation 2,7 0,5 1,8 −0,3 1,7 −0,4 Évolution de l’asymétrie (emploi) 7,5 3,3 6,2 0,9 6,1 0,5 Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les données sont fondées sur les recensements des entreprises réalisés en Égypte en 1996 et 2006 et sur le nombre d’entreprises politique- ment connectées. Les secteurs politiquement connectés du niveau de classification à quatre chiffres comptent au moins une entreprise ayant des connexions politiques, tandis qu’il n’existe aucune entreprise tributaire de ce type de connexions politiques dans tous les autres secteurs. Un individu a d’autant plus intérêt à faire jouer ses relations politiques au profit de l’entreprise s’il en est le DG (presque tous les DG ayant des connexions politiques sont actionnaires de leur entreprise). L’incitation est moins forte pour les propriétaires d’entreprises ayant des connexions politiques, et encore plus faible pour toutes les catégories d’entreprises politiquement connectées, dans lesquelles nous incluons celles où des entreprises de capital-investissement jouissant de connexions politiques ont massivement investi. 126 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de classification à quatre chiffres que dans ceux qui n’étaient pas connectés ou l’étaient moins au sein du même secteur à deux chiffres. Ces constats donnent à penser que la présence d’entreprises politiquement connectées a pour effet d’évincer les catégories d’entreprises qui ont le plus fort potentiel de création d’emplois. La présence d’entreprises politiquement connec- tées semble décourager les nouveaux entrepreneurs (sans relations politiques) qui se savent incapables de les concurrencer étant donné les avantages dont elles bénéficient. Comme il a été établi au chapitre 1, ce recul des jeunes entreprises limite la croissance de l’emploi. La présence d’entreprises ayant des connexions politiques tend à acculer la plupart des entreprises sans connexions vers des activités peu productives de petite envergure, voire informelles. Le tableau 4.5 montre que le coefficient de varia- tion (écart type divisé par la moyenne) et l’asymétrie de la répartition de la taille des établissements sont respectivement près de deux fois plus élevés et 50 % plus importants dans les secteurs où opère au moins une entreprise ayant des connexions. Ces deux mesures s’accroissent notablement dans les secteurs politiquement connectés durant la période 1996-2006, mais sont quasi inchangées, voire inférieures, dans les secteurs libres de connexions politiques. Il est à noter qu’un coefficient de variation plus élevé suppose moins d’entreprises moyennes, puisque la part des microentreprises et des grandes sociétés (ou des deux) augmente ; comme la répartition de l’emploi au sein des établissements est biaisée vers la droite — c’est-à-dire caractérisée par de nombreuses microentreprises et quelques grandes entreprises —, une plus forte asymétrie de la répartition de la taille des établissements signifie que la part des microentreprises dans l’emploi a augmenté ou que celle des grandes entreprises a reculé. L’accroissement conjugué du coefficient de variation et de l’asymétrie dans une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres implique donc que la part de l’emploi dans les microentreprises s’est améliorée dans les secteurs politiquement connectés, tandis que la part des moyennes et grandes entreprises dans l’emploi s’est infléchie, ce qui est conforme aux prévisions d’Aghion et al. (2001). Comme la plupart des microentreprises en Égypte sont de nature informelle, les connexions politiques ont pour effet d’acculer la majorité des entrepreneurs sans connexions vers des activités informelles34. On peut en conclure que les entreprises sans connexions ne sont pas en mesure de concurrencer les entreprises ayant des connexions du même secteur, car elles ne jouissent pas des mêmes privilèges. Elles sont ainsi contraintes à se faire une place dans des créneaux du marché local où prédominent des activités sans grande envergure et potentiellement informelles. Si ces activités sont par ailleurs moins productives, le résultat indique un degré plus élevé de mauvaise allocation de la main-d’œuvre dans les entreprises des secteurs politiquement connectés. Dans ces circonstances, l’impact des privilèges octroyés à certaines entreprises sur la répartition des tailles s’accompagne d’une perte de productivité globale résultant d’un mauvais déploiement des ressources. Bien qu’il n’existe pas de données concrètes comparables pour la Tunisie en raison du caractère incomplet des données, le cadre de croissance de Schumpeter suggère que les principaux privilèges politiques, tels que les obstacles à la création d’entreprise, faussent aussi la concurrence et la dynamique des entreprises dans ce pays. Les figures 1.19 and 1.12 ont montré que le taux de rotation des entreprises et la création d’emplois en Tunisie sont biaisés en faveur des petites activités peu productives, surtout dans le secteur des services. Ces faits stylisés correspondent Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 127 aux prévisions du cadre de croissance adopté par Schumpeter, à savoir qu’ils sont symptomatiques d’un manque de concurrence au sein du secteur privé. Aghion et al. (2001) prévoient que les importants avantages sous forme de coûts accordés aux entreprises Ben Ali résultant d’une législation partisane limitent la concurrence équitable entre les entreprises, ce qui les dissuade d’adopter de nouvelles technologies (étrangères). Tous les constats présentés dans cette section laissent penser que les distorsions de la dynamique des entreprises et de la concur- rence exposées au chapitre 1 ont en partie pour origine les obstacles législatifs à la création d’entreprises qui ont profité à quelques entreprises ayant des connexions. Les obstacles à la création d’entreprises dans les services de base ont limité la croissance dans les branches d’activité manufacturières en aval Les obstacles à la création d’entreprises à la concurrence ont très probablement réduit la qualité des services offerts par les quelques entreprises autorisées à opérer dans ces secteurs en Tunisie. Les obstacles à la création d’entreprises se traduisent par des avantages majeurs sur le plan des coûts pour les entreprises connectées. Ils engendrent une structure de marché monopoliste qui les protège de la concurrence et leur permet ainsi d’engranger des bénéfices disproportion- nés. Aghion et al. (2001) montrent que cette structure dissuade les entreprises dominantes à améliorer la qualité de leurs services, d’où une réduction de la performance globale du secteur des services. Même si les services sont un important secteur d’activité économique, les résultats n’expliquent pas directement pourquoi les généreux allégements fiscaux accordés aux entreprises du secteur manufacturier dans l’économie offshore n’ont pas produit plus de croissance et d’emplois en Tunisie. Bien que le cadre de croissance de Schumpeter expose la dynamique faussée et les résultats des entreprises opérant dans des secteurs de services protégés, il n’explique en rien la productivité médiocre et la faible croissance de l’emploi dans les entreprises manufacturières dans l’économie offshore. Les entreprises manufacturières ont en effet bénéficié de généreuses mesures d’incitation fiscale. À titre d’exemple, le Code d’incitations aux investissements (articles 10 et 16) prévoit que les entre- prises offshore — qui exportent au moins 70 % de leur production — sont exonérées de l’impôt sur les bénéfices et le chiffre d’affaires. En outre, ces entreprises n’étaient pas en concurrence directe avec les entreprises Ben Ali. Les incitations fiscales ont permis à la Tunisie d’attirer l’investissement étranger alors même que l’économie nationale était très protégée et essentiellement inaccessible à la concurrence étrangère, comme on le verra plus loin. Le fait que les entreprises Ben Ali aient été préservées de toute concurrence sur le marché national a probablement réduit la qualité des services de base offerts aux entreprises manufacturières en aval, ce qui a entravé leur croissance35. Selon la théorie des maillons faibles (weak links) (Jones 2011 ; Kremer 1993), on ne peut analyser la performance des entreprises manufacturières sans tenir compte de celle des secteurs de services non échangeables. Les résultats médiocres du secteur des services de base se traduisent par une baisse de la qualité des presta- tions aux entreprises des branches d’activité utilisatrices situées en aval. En dépit d’un généreux régime fiscal, la productivité et la croissance de l’emploi dans les secteurs manufacturiers utilisateurs s’en ressentiront. En fait, les résultats présen- tés au chapitre 2 montrent qu’en Jordanie, l’IDE dans les services a eu d’impor- tantes retombées sur l’emploi dans les secteurs utilisateurs en aval. Si l’on considère 128 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord les freins significatifs à la création d’entreprises dans le secteur des services de base — dus aux entreprises Ben Ali principalement dans le secteur des services — il y a tout lieu de penser que les maillons faibles (weak links) ont eu un impact majeur en Tunisie. Confirmant cette hypothèse, de récentes études menées par Marotta, Ugarte et Baghdadi (2014) démontrent que ces maillons faibles ont réduit la productivité par travailleur dans ce pays. La présence d’entreprises politiquement connectées réduit la création globale d’emplois Comme les constats ci-dessus le prouvent indirectement, les privilèges induisent une dynamique des entreprises associée à la faiblesse de la création d’emplois. Chacun de ces constats — rentabilité plus élevée des entreprises politiquement connectées en raison des privilèges découlant des politiques publiques et réper- cussions néfastes de leur présence sur la concurrence, la création d’entreprises et l’emploi dans les moyennes et grandes entreprises — s’inscrit dans le droit-fil des hypothèses empiriques construites par Aghion et al. (2001) sur la base du modèle de croissance de Schumpeter. Ils suggèrent que la croissance globale de l’emploi aurait été supérieure si les privilèges politiques avaient perdu de leur ampleur, ce qui aurait nécessité un fléchissement de la marge intensive, mesurée par le nombre d’entreprises ayant de solides relations politiques, et de la marge extensive, mesurée par l’expansion des entreprises politiquement connectées vers de nouveaux secteurs jusque-là libres de connexions politiques. Il est impossible d’observer directement dans quelle mesure la croissance de l’emploi dans les secteurs politiquement connectés aurait été supérieure en l’absence de connexions politiques. Entre 1996 et 2006, la croissance de l’emploi dans les secteurs politiquement connectés était comparable à celle des autres secteurs. Ainsi, si la croissance de l’emploi est effectivement positive dans les entreprises politiquement connectées, cet effet est annulé par l’évolution négative de l’emploi dans les entreprises sans connexions politiques des mêmes secteurs. Pour autant, tirer des conclusions de la comparaison directe de l’emploi entre les deux catégo- ries d’entreprises présente des limites puisque dans nos données nous ne constatons pas de changements concomitants dans les divers autres déterminants de la crois- sance de l’emploi. Nous souhaitons plutôt mesurer dans quelle mesure l’emploi aurait plus progressé dans les secteurs politiquement connectés en l’absence d’entreprises politiquement connectées. Bien que pertinente, le résultat de cette comparaison contrefactuelle ne peut évidemment pas être observé directement. La nature de nos données offre toutefois un cadre quasi expérimental permet- tant de déterminer l’impact global de l’emploi sur l’implantation d’entreprises politiquement connectées dans des branches d’activité où elles étaient absentes jusque-là. Nous observons effectivement l’année au cours de laquelle les entre- prises politiquement connectées ont fait leur entrée dans de nouvelles branches d’activité. Nous pouvons donc observer le moment où les entreprises connec- tées se sont implantées dans des branches d’activité qui n’étaient pas connectées jusque-là. On dénombre 41  de ces branches d’activité : 18 pour les services, 16 pour les industries manufacturières, 8 pour la distribution d’électricité, d’eau et de gaz, et 4 pour les industries extractives. On y retrouve plusieurs branches d’activités à fort potentiel de croissance, notamment fabrication de piles et de batte- ries primaires, postes de radio et de télévision, vente en gros de combustibles solides, liquides et gazeux, transport fluvial intérieur, activités juridiques et la publicité. Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 129 Encadré 4.2 Relations politiques et favoritisme en République du Yémen En République du Yémen, un petit groupe une feuille aux effets euphorisants dont la culture d’entreprises et d’individus ont tiré profit des requiert énormément d’eau et, deuxièmement, la énormes marchés publics de maintenance des domination exercée sur le marché des importa- infrastructures pétrolièresa. Les recettes tirées tions alimentaires par un petit groupe d’acteurs des exportations pétrolières ont beaucoup contri- publics et privés ayant des connexions au sein du bué à la croissance économique et aux subven- régime de l’ancien président Saleh. Réformer le tions sur les importations de marchandises avant secteur de l’eau s’est révélée extrêmement diffi- 2011. Au cours des trois dernières décennies, cile, vu que la production de qat enrichissait direc- l’État a toutefois consacré des milliards de dollars tement la famille Saleh et d’autres propriétaires à la maintenance des infrastructures pétrolières terriens ayant des intérêts majeurs avec le régime par suite des agissements de quelques hommes en place. En outre, la République du Yémen doit d’affaires influents et ayant de fortes connexions importer la quasi-totalité de sa consommation de politiques qui ont gonflé les prix. Ces élites blé et de riz, les deux produits majeurs dans l’ali- servaient d’intermédiaires entre les collectivités mentation de la population locale. Les principaux locales et les compagnies pétrolières étrangères ; importateurs sont la Yeco, une entreprise dirigée elles entretenaient des liens étroits avec l’ancien par l’armée, et trois entreprises privées dont président Saleh et ses proches ou avec de puissants l’ancien président Saleh était actionnaire. Ces cheiks tribaux. Les propriétaires des entre- quelques entreprises étaient connues pour orien- prises qui dominaient la prestation de services ter en leur faveur les textes régissant ce secteur. au secteur pétrolier — ingénierie, construction, Le lucratif secteur des télécommunications a transport, logistique, facilitation et sécurité — lui aussi été miné par les monopoles d’État, les étaient tous des parents ou des relations proches privilèges octroyés à quelques entreprises poli- de l’ancien président, des généraux de l’armée tiquement connectées et par l’opacité qui pré- ou des ministres. Dans le secteur de l’éner- vaut depuis la libéralisation du marché dans les gie, l’exportation pétrolière et l’importation de années 90. L’entreprise publique de télécommu- carburant, les filières les plus lucratives, sont nications (PTC) est l’unique fournisseur d’accès contrôlées par de puissants individus, notamment Internet du pays. Au vu des parts de marché des l’ancien président, les cheiks et de hauts gradés. trois principaux opérateurs publics et privés, Leurs agissements ont entraîné une inflation on pourrait conclure à une concurrence dans le des coûts de production, des pertes de revenus domaine des télécommunications, mais en fait, et une contrebande de gazole, et très probable- la plupart des entreprises qui se sont implantées ment réduit l’effet multiplicateur des investisse- dans ce secteur entretenaient des liens avec la ments réalisés dans le secteur. famille de l’ancien président et leurs relations Une poignée d’entreprises ayant des proches. Les deux premières licences de télé- connexions dans l’armée ou l’ancien président phonie mobile délivrées au secteur privé ont été contrôle la production de qat, une culture qui accordées à des groupes commerciaux soutenus nécessite une énorme quantité d’eau, et le lucra- par l’ancien président ou ayant des relations tif marché des importations alimentaires. La financières ou personnelles avec lui. La troisième précarité des approvisionnements alimentaires et et dernière a été attribuée à une société dont le hydriques est un problème pérenne en République propriétaire reste inconnu, et tous y voient une du Yémen. Deux problèmes viennent exacerber la tentative de la famille Saleh de se réserver une situation. Premièrement, la production de qat, part du lucratif gâteau des télécommunications. 130 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Encadré 4.2  Suite D’après la rumeur, l’ancien président et les réglementé et limité à quelques élites qui entre- membres de sa famille détiendraient aussi des tenaient toutes des liens étroits avec l’ancien parts de l’unique opérateur public de télépho- président. Seules la minuscule classe moyenne et nie mobile, Yemen Mobile, dont le nombre les élites fortunées avaient accès aux services ban- d’abonnés a grimpé en flèche suite à l’octroi caires, ce qui a eu pour effet d’entraver la croissance d’aides publiques massives. Les faveurs prennent des entreprises sans lien avec le pouvoir. Alors diverses formes : baisse des tarifs, accès privilégié que le gros des opérations bancaires officielles aux réseaux privés d’infrastructure construits par est porté par le secteur privé, les quelques d’autres opérateurs, obligation faite aux minis- institutions financières influentes ont été fondées tères de passer contrat avec Yemen Mobile, par des élites étroitement liées avec la famille et interventions directes de l’ancien président Saleh. La haute direction de la banque centrale qui s’est opposé à la délivrance de licences d’im- est très respectée par les institutions internatio- portation et d’exportation essentielles pour le nales, bien qu’il soit de notoriété publique que fonctionnement au jour le jour des autres opé- la banque elle-même serve à blanchir les profits rateurs. Vu l’importance de ce secteur lucratif, tirés d’activités illicites. Par ailleurs, elle est para- il reste à voir si l’État favorisera les règles de la lysée par la médiocrité de la position financière concurrence entre les acteurs actuels et futurs de l’État et par un manque de réserves en devises. du marché. En revanche, le système bancaire informel serait En 2012, le secteur financier du Yémen tout aussi développé que le système officiel était structuré de manière à privilégier un petit et serait une source de microfinancements, groupe d’entreprises politiquement connectées. par exemple pour les producteurs alimentaires et Le système bancaire était réduit, peu étoffé, mal la vente d’eau. Note : a. L’analyse ci-après est fondée sur une série d’études produites par Chatham House (2013) qui analysent le favoritisme politique dans différents secteurs économiques de la République du Yémen. Nous cherchons à déterminer si la croissance globale de l’emploi s’est infléchie après l’arrivée d’entreprises politiquement connectées dans des secteurs jusque-là libres de connexions (ouverts) pendant les dix années écoulées entre 1996 et 2006. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’entrée d’une nouvelle entreprise accroît l’emploi dans le secteur, que le nouvel arrivant bénéficie de connexions politiques ou non. On peut donc en conclure que l’entrée d’entreprises politiquement connec- tées conduit à un accroissement de l’emploi dans le secteur, sauf si l’effet néfaste de leur présence sur les possibilités de croissance des entreprises sans connexions entraîne la cessation ou la réduction des activités de ces dernières. Toutefois, nous ne nous attendons pas à observer ledit effet néfaste (ou nous nous atten- dons à ce que cet effet soit moins prononcé) quand des entreprises politiquement connectées pénètrent des secteurs où d’autres entreprises politiquement connec- tées opèrent déjà depuis quelques années. Par conséquent, la croissance négative de l’emploi global après l’implantation d’entreprises politiquement connectées dans des secteurs jusque-là préservés signifie que la baisse de l’emploi dans les entreprises sans connexions politiques — incapables de les concurrencer — l’emporte sur toute création d’emploi positive par l’entreprise ou les entreprises connectée(s)36. Nous testons cette hypothèse au moyen d’une estimation de la Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 131 différence dans la différence (et en tenant compte d’autres caractéristiques propres à la branche d’activité qui sont corrélées à la croissance de l’emploi)37. Nous constatons que la croissance de l’emploi diminue d’environ 1,4 point de pourcentage par an lorsque les entreprises ayant des connexions politiques font leur entrée dans de nouveaux secteurs qui auparavant étaient libres de toute influence politique. L’impact économique est considérable. L’ampleur du coeffi- cient correspondant laisse à penser que l’emploi global dans ces secteurs recule de 25 % durant la période de dix ans comprise entre 1996 et 2006. Il faut préci- ser que les entreprises politiquement connectées ne se sont pas nécessairement implantées dans ces nouveaux secteurs dès 1997, et donc la croissance de l’emploi aurait pu être positive dans les années précédentes, pour ensuite chuter sensible- ment avec l’arrivée soudaine d’une entreprise ayant des connexions politiques et bénéficiant de privilèges via les politiques publiques, elle-même assurée d’avoir un important avantage au plan des coûts sur ses concurrents existants ou sur de potentielles entreprises dépourvues de connexions politiques faisant leur entrée. Nous disposons donc de données concrètes quantitatives attestant que l’impact de l’entrée d’entreprises politiquement connectées sur la croissance est plus que contrebalancé par leur impact néfaste sur les possibilités de croissance de la majorité des autres entreprises sans connexions politiques qui cessent de se développer ou sont contraintes de mettre la clef sous le paillasson. En conséquence, les connexions politiques réduisent la croissance de l’emploi global dans le secteur considéré. Cette conclusion cadre avec les données qui prouvent indirectement que les privilèges découlant des politiques publiques induisent une dynamique des entreprises associée à la faiblesse de la création d’emplois que nous avons décrite précédemment. Elle est aussi conforme aux prévisions du modèle d’Aghion et al. (2001) qui montrent que le relâchement de la concurrence équitable dû aux avantages exogènes conférés aux leaders du marché sur le plan des coûts mine la croissance globale à long terme. En Égypte et en Tunisie, ces avantages considérables prennent diverses formes : importants avantages exogènes sur le plan des coûts accordés au moyen des politiques industrielles telles que l’exigence de licences, la protection commerciale, les subventions à l’énergie, l’accès aux terres de premier choix ou l’application partiale de la réglementation. Même si ces privi- lèges favorisent la croissance et la création d’emplois dans les quelques entreprises qui en bénéficient, nous montrons que l’impact sur l’emploi global est négatif en raison des effets néfastes de ces politiques sur la concurrence, et donc sur les possi- bilités de croissance de la grande majorité des entreprises qui ne peuvent compter sur aucune connexion politique. Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA Les résultats présentés jusqu’ici montrent que les entreprises politiquement connectées en Égypte et en Tunisie ont reçu d’importants privilèges qui ont faussé la concurrence et la dynamique des entreprises associée à la création d’emplois. Qui plus est, des données concrètes concernant la Tunisie laissent à penser que les entreprises Ben Ali ont exploité leur influence politique pour détourner les 132 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure 4.5 Les pays de la région MENA instaurent souvent des obstacles non tarifaires Pays richement dotés en ressources et importateurs de main-d’œuvre Pays richement dotés en ressources, à la main-d’œuvre abondante Pays faiblement dotés en ressources, à la main-d’œuvre abondante Afrique subsaharienne Asie du Sud Moyen-Orient et Afrique du Nord Amérique latine et Caraïbes Europe et Asie centrale Asie de l'Est et Pacifique 0 5 10 15 20 25 30 35 40 Équivalent tarif unique (%) Mesures non tarifaires Mesures tarifaires Source : D’après Malik (2013). Note : La figure donne l’équivalent en valeur tarifaire moyenne des mesures tarifaires et non tarifaires par région, par catégorie de pays dans la région MENA et par niveau de dotation. réglementations en leur faveur. Par ailleurs, des données directes montrent qu’en Égypte, la présence d’entreprises ayant des connexions avec Moubarak a conduit à des cas semblables de détournement et sapé la croissance de l’emploi global. Dans cette section, nous soutenons que les privilèges accordés via les politiques publiques et leur impact sur la réglementation, la concurrence, la dynamique des entreprises et, finalement, la création d’emplois sont tout aussi fréquents dans d’autres pays de la région MENA. Nous n’avons pas de données comparables et aussi détaillées sur les entreprises politiquement connectées dans ces pays, mais les données qualitatives ne manquent pas pour les pays dont nous exami- nons la situation ci-après. On verra que les tractations entre l’État et les entre- prises en Égypte et en Tunisie ne sont pas des aberrations, mais qu’elles sont plutôt représentatives de la manière de faire des affaires dans la région. L’utilisation fréquente des mesures non tarifaires en Égypte présentée dans la section intitulée « Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie » est représentative de la situation dans les pays importateurs de pétrole de la région MENA. Selon Malik (2013), les mesures non tarifaires sont plus fréquemment utilisées dans la région MENA que partout ailleurs dans le monde, avec pour objectif probable de protéger les entreprises politiquement connectées de la concurrence des importations (figure 4.5). Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 133 La région MENA est à la traîne du reste de la planète du point de vue des indicateurs de gouvernance et de corruption, notamment pour ce qui est de la corruption dans le secteur de la défense et de l’implication de l’armée dans les affaires La prévalence relative du rôle des privilèges dans la région MENA peut aussi être caractérisée par des indices qualitatifs de gouvernance, surtout dans le secteur militaire. Par exemple, l’Indice de lutte contre la corruption dans le secteur de la défense de Transparency International (TI) analyse le risque de corruption dans les institutions militaires du monde entier en évaluant et en comparant les niveaux de risque de corruption et de vulnérabilité dans différents pays. En 2012, Transparency International a examiné le cas de 82 pays qui ont été classés dans six catégories38 de A à F, la catégorie A présentant le plus faible risque de corruption, et la catégorie F le risque le plus élevé. Les pays pris en compte représentaient 94 % du volume total des dépenses militaires mondiales en 2011. Les données Figure 4.6 Transparency International : Indice de corruption dans le secteur de la défense D+ C Koweït Liban Émirats arabes unis Brésil Inde Chili Israël France Espagne Jordanie Norvège Cisjordanie et Gaza États-Unis d'Amérique Turquie B Chine D– Rép. de Corée Pakistan Algérie A Rép. arabe d'Égypte Bahreïn Libye Rép. islamique d’Iran Rép. arabe syrienne Iraq Rép. du Yémen Maroc Angola Oman F Qatar Arabie Saoudite E Source : Transparency International  : Indice de corruption dans les institutions publiques du secteur de la défense. 134 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord concrètes réunies par Transparency International donnent à penser qu’il existe un lien entre les mauvais classements et l’existence de réseaux de népotisme. Le rapport de Transparency International a constaté que des réseaux fondés sur d’étroits liens familiaux entre militaires et hommes d’affaires, les entraves au dialogue public et à la liberté de la société civile sont des caractéristiques communes à la plupart des pays de la région MENA. Tous les pays évalués dans cette région présentent un niveau de risque de corruption allant de « élevé » à « critique » (catégories D, E ou F). Sur les 18 pays de la région, 12 ont été classés en catégorie E ou F, soit un risque de corruption « très élevé » ou « critique » (33 % de l’ensemble des pays) ; il s’agit de l’Égypte, l’Algérie, la Libye, la Syrie et la République du Yémen ainsi que d’autres pays extérieurs à la région comme l’Angola. Trois d’entre eux ont été classés en catégorie D+, à savoir : le Koweït, le Liban et les Émirats arabes unis, de même que des pays tels que l’Inde, Israël et la Thaïlande (18 % de l’ensemble) ; et deux pays ont été inclus en catégorie D-, à savoir : la Jordanie et la Cisjordanie et Gaza, de même que des pays comme la Chine, le Pakistan, la Fédération de Russie et la Turquie (18 % de l’ensemble des pays). La figure 4.6 présente les autres pays de la région MENA en fonction de leur classement. Les réseaux de népotisme sont monnaie courante entre l’armée et le secteur des affaires dans la plupart des pays de la région MENA. Le sous-indice « risque financier » de l’Indice de lutte contre la corruption dans le secteur de la défense de Transparency International permet d’affiner notre évaluation qualitative des pays de la région. Le rapport examine cinq domaines de risque : politique, finance, personnel, opérations et passation de marchés. Les risques de corruption finan- cière sont rattachés au détournement des vastes budgets de la défense, souvent tenus secrets, aux ventes d’actifs et aux liens avec le milieu des affaires. Cinq questions étaient posées aux pays (deux concernaient les ventes d’actifs et trois les relations avec le monde des affaires), les notes étant attribuées en fonction des réponses39. Transparency International rapporte que les intérêts commerciaux des institutions militaires (c’est-à-dire les entreprises dont elles sont propriétaires) génèrent d’importants conflits d’intérêts et donc un risque accru de corruption. Les résultats pour la région MENA sont résumés au tableau 4.6. Les entre- prises détenues par l’armée sont communes dans 11 des 18 pays de la région. En Jordanie par exemple, Transparency International signale que la frontière entre le monde des affaires et l’armée est devenue de plus en plus floue à mesure que le gouvernement se focalisait sur les activités rentables. Certains exemples concrets indiquent que cette étroite relation entre le monde des affaires et les militaires n’a pas été contrôlée comme elle aurait dû l’être. Il n’existe pas de données concrètes prouvant que des institutions militaires détiennent de grandes entreprises commerciales à une échelle considérable au Maroc, en Tunisie et en Cisjordanie et Gaza (équivalent à 1 % tout au plus du budget de la défense). Au Maroc cependant, il est fait état de membres du personnel militaire qui auraient participé sans autorisation à des entreprises privées. En Tunisie où l’armée ne semble pas avoir détenu d’entreprises ou être impliquée dans des opérations économiques illicites sous l’ancien régime, les forces de sécurité ont exploité leur pouvoir politique pour acheter des entreprises commerciales et décrocher des licences et d’autres privilèges. La République islamique d’Iran et l’Iraq comptent des entreprises détenues par l’armée qui échappent à tout contrôle. Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 135 TableAU 4.6 Sous-indice du risque de corruption financière : cession d’actifs et liens avec le milieu des affaires dans les pays de la région MENA Cession d’actifs Liens avec le milieu des affaires Surveillance des Contrôle des Surveillance des Sociétés détenues entreprises détenues Entreprises privées Pays cessions d’actifs cessions d’actifs par l’armée par l’armée non autorisées Catégorie D+ Émirats arabes unis 2 0 3 2 4 Koweït 4 4 4 .. 2 Liban 0 0 2 2 2 Catégorie D− Cisjordanie et Gaza 1 2 1 1 1 Jordanie 1 2 1 1 2 Catégorie E Arabie saoudite 2 0 2 1 0 Bahreïn 1 1 4 .. 3 Iraq 0 0 0 0 1 Maroc 1 0 4 .. 1 Oman 0 1 4 .. 4 Qatar 1 0 2 0 0 Rép. islamique d’Iran 0 1 1 1 0 Tunisie 1 0 .. 4 2 Catégorie F Algérie 0 0 0 0 2 Libye 0 0 .. 0 0 Rép. arabe d’Égypte 0 0 0 0 2 République arabe 0 0 0 0 0 syrienne Yémen 0 0 0 0 0 Q22 : Les cessions d’actifs font-elles l’objet de contrôles efficaces, et l’information sur ces cessions et les produits de ces ventes est-elle transparente ? Q23 : Les cessions d’actifs des entreprises de défense sont-elles soumises à une surveillance indépendante et transparente, et les rapports de cette surveillance sont-ils accessibles à tous ? Q30 : Les institutions nationales de défense et de sécurité ont-elles des droits de propriété effectifs dans des affaires commerciales ? Dans l’affirmative, les opérations et les finances de ces entreprises sont-elles transparentes ? Q31 : Les entreprises détenues par l’armée font-elles l’objet d’une surveillance indépendante et transparente conforme aux normes internationales reconnues ? Q32 : Existe-t-il des preuves de l’existence d’entreprises privées non autorisées exploitées par l’armée ou par d’autres agents du ministère de la Défense ? Dans l’affirmative, quelle est la position du gouvernement à leur égard ? En d’autres termes, ces entreprises peuvent-elles opérer en prétextant relever d’activités militaires officielles ? Source : Transparency International : Indice de risque de corruption dans la défense. Note : 4 = Degré élevé de transparence ; des mesures institutionnelles rigoureuses s’attaquent aux risques de corruption. 3 = Degré globalement élevé de transparence ; des mesures sont prises pour s’attaquer aux risques de corruption, mais comportent des lacunes. 2 = Degré modéré de transparence ; des mesures sont prises pour s’attaquer à la corruption, mais comportent des lacunes importantes. 1 = Degré globalement faible de transparence ; faibles mesures pour s’attaquer aux risques de corruption. 0 = Faible degré de transparence ; faiblesse ou absence des mesures pour s’attaquer aux risques de corruption. Les contrôles institutionnels qui permettraient de contenir la corruption dans le secteur de la défense font cruellement défaut dans plusieurs pays de la région. Il n’existe pas de données concrètes témoignant d’une action institu- tionnelle transparente visant à juguler la corruption dans l’utilisation des actifs 136 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de la défense. Dans tous les pays, on constate l’existence d’entreprises détenues par des militaires40 ainsi qu’une totale absence de transparence, de supervision ou de contrôle d’un quelconque genre. D’après Transparency International, l’armée égyptienne possède des actifs et des intérêts économiques considérables qui représenteraient, selon les estimations, entre 10 % et 40 % de l’économie nationale. Les profits de ces entreprises sont classés secrets d’État41. En Algérie, une loi sur la lutte anticorruption interdit à l’armée de s’impliquer dans des entreprises privées corrompues, mais ce genre d’activités illicites reste monnaie courante parce que la loi n’est pas appliquée. En Syrie, rien n’atteste que les entre- prises détenues par les militaires fassent l’objet de contrôles ou de procédures d’audit. L’ensemble du budget de l’armée est « hors budget ». Les institutions de défense et de sécurité possèdent plusieurs entreprises commerciales qui ne font l’objet d’aucun contrôle indépendant. Ces données qualitatives illustrent bien comment les entreprises détenues par l’armée peuvent faire jouer leurs relations pour étouffer la concurrence. Un ancien entrepreneur d’un grand pays de la région avait financé un gros inves- tissement dans une entreprise de produits laitiers et de viande. Une fois établi sur Encadré 4.3 Le cas de la République islamique d’Iran : des privatisations sans secteur privé Entre 2006 et 2010, l’Iran a engagé un vaste Justice Shares (Parts de justice). Harris (2013) a programme de privatisation avec pour objectif de montré comment différents facteurs politiques et privatiser 80 % du secteur public. Le programme économiques ont façonné le processus iranien de avait la bénédiction d’Ali Khomeini, Guide pseudo-privatisation et la distribution des actifs suprême et premier magistrat de l’Iran, qui avait privatisés à différents groupes entre 2006 et 2010. fixé l’objectif de privatisationa. À la fin de 2009, Le programme Justice Shares et les éléments l’État s’était dessaisi de plus de 800 milliards de de politique sociale de la privatisation. Suite à son rials (environ 80 milliards de dollars) détenus élection à la présidence en 2005, Mahmoud dans plus de 370 entreprises d’État, dont des Ahmadinejad a annoncé que le programme de usines pétrochimiques, des raffineries de carbu- privatisation des entreprises d’État, autorisé par rant, des compagnies aériennes, des banques, décret exécutif du Guide suprême, serait pour- des compagnies d’assurance, des entreprises de suivi, mais que les bénéfices en seraient redistri- télécommunications, etc. En 2010, une commis- bués à la population au travers d’un programme sion parlementaire sur la privatisation a toute- appelé Justice Shares. Le dispositif était conçu de fois constaté qu’environ 13 % seulement des manière à ce que les six déciles de revenu les plus actifs précédemment détenus par ces entreprises bas puissent acquérir des « parts de justice » dans d’État étaient allés au secteur privé. Le reste les entreprises privatisées ; les deux déciles les plus des actions avait été transféré à ce qui relève bas pouvaient acheter des actions pour la moitié d’un pseudo-État ou État parapublic, notam- de leur valeur nominale, tandis que les déciles ment des entreprises militaires, des fonds de trois à six les payaient au prix fort (sur 10 ans). pension, des entreprises d’investissement et de Au fil de sa mise en œuvre, le programme a tou- holding rattachées à l’État, des fondations riche- tefois été élargi à différents groupes, dont des vil- ment dotées et des bénéficiaires du programme lageois à faible revenu, des nomades, des retraités Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 137 Encadré 4.3  Suite de la fonction publique, des bénéficiaires du ses obligations statutaires envers les retraités. Comité de secours de l’Imam Khomeini, d’autres En 2011, la SSO a déclaré que l’État lui devait organismes d’assistance sociale et des familles près de 24 milliards de dollars, et prévenu qu’en ayant le statut de martyr. Ces groupes recoupaient toute probabilité, de nouvelles demandes de différentes catégories de personnes et entités qui pseudo-privatisation seraient introduites tant par bénéficiaient d’ores et déjà du système d’aide elle-même que par les autres caisses de retraite. sociale. Le Centre parlementaire de recherche Accès privilégié de l’armée aux privatisations d’en- a découvert que sur les 264 entreprises d’État treprises d’État. Entre 2006 et 2009, les militaires privatisées, pour une valeur initialement estimée (retraités et en activité) ont largement tiré pro- à 54 milliards de dollars, plus de 68 % des actions fit de leur accès privilégié aux privatisations. Les ont été absorbés par le dispositif Justice Shares. informations réunies par Harris (2013) montrent D’après Harris (2013), la volonté de privatisation que les scandales qui en ont découlé ont fait la une du président Ahmadinejad n’était qu’un élément des journaux lors des manifestations consécutives stratégique de la campagne de relations publiques aux élections de 2009. À titre d’exemple, 51 % des qu’il opposait à ses détracteurs. parts de la Compagnie iranienne de télécommu- Caisses de retraite et pseudo-privatisation . nications ont été vendus à un conglomérat proche Selon Harris (2013), le financement des retraites de la Fondation coopérative de la Garde révolu- a créé un important groupe d’intérêts, candidat tionnaire islamique, qui est à la fois une grande idéal pour une pseudo-privatisation, à savoir la société d’investissement et un prestataire de ser- classe moyenne et la population employée dans vices. Seuls deux soumissionnaires avaient été le secteur formel. Les pressions budgétaires dues autorisés à faire offre, dont le second était rattaché aux excès de générosité du système ont poussé à la coopérative d’investissement Basij (milices l’Organisation de sécurité sociale (SSO) à privilé- bénévoles). Deux institutions militaires parapu- gier l’acquisition d’entreprises d’État, tant sur la bliques étaient donc en concurrence pour décro- bourse des valeurs que dans les négociations sur cher une grosse part du lucratif marché intérieur l’endettement public. En 2001 par exemple, le des télécommunications. Le Centre international gouvernement a transféré 400 millions de dollars des expositions a également été cédé à l’Organisa- d’actifs à la SSO pour lui permettre de couvrir tion de sécurité sociale des forces arméesb. Notes : a. Cette section est fondée sur les travaux d’Harris (2013). b. Harris (2013) a également documenté comment la branche ingénierie de la Garde révolutionnaire islamique, Hatam al-Anbiya, (qui est apparue pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq et a participé à la reconstruction à l’issue du conflit) et ses sous-traitants ont été substitués aux entreprises étrangères dans l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers, et la construction d’oléoducs, de gazoducs, d’autoroutes et de tunnels. le marché, il a appris que son entreprise viendrait concurrencer une entreprise en place dirigée par un général de l’armée. Voici le récit qu’il fait de son expérience : Mon père, mon frère et moi avions décidé d’investir dans la production bovine dans le pays. Nous avons rassemblé nos avoirs et investi environ 300 000 euros pour développer notre production bovine, un secteur où l’offre est déficitaire. Nos animaux sont arrivés au port par conteneurs, mais ne nous ont pas été remis au motif qu’il nous manquait des documents essentiels pour le dédouanement. Il était évident qu’il s’agissait d’une procédure nouvelle dont nous n’avions jamais entendu parler. Nous avons appris qu’un général de l’armée avait fait main 138 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord basse sur le marché dans cette partie du pays, et décidé qu’il ne tolérerait aucune concurrence. Il nous a fallu plus de trois semaines de tracasseries administratives et de retards pour obtenir l’autorisation nécessaire, pendant que le bétail était toujours dans les conteneurs. Quant les documents sont finalement arrivés et que nous avons pu sortir nos bêtes du port, il n’en restait plus que 15 sur les 100 têtes d’origine, ce qui a mis fin à notre entreprise. Dans la région MENA, il y a une forte corrélation entre la corruption perçue dans les entreprises et celle perçue dans l’administration. Les faveurs échangées entre les hommes d’affaires et les élites politiques prennent diverses formes : pots-de-vin purs et simples, financement illicite des campagnes électorales et manipulation des marchés financiers pour privilégier des initiés au sein des entreprises et du gouvernement. Des faveurs de cet ordre ont parfois été dévoi- lées dans les médias, et sont venus influencer l’opinion publique. La figure 4.7 présente les conséquences de cette situation : la corruption perçue dans les entreprises est fortement corrélée à celle perçue au sein de l’administration. Cela explique que la population ait nourri un vif ressentiment à l’égard des élites commerciales de la région dans les années qui ont précédé les soulève- ments récents. Selon une enquête de Pew datant de 2010, la corruption était le principal sujet de préoccupation de 46 % d’Égyptiens, avant même le manque de démocratie ou la médiocrité de la conjoncture économique. Figure 4.7 Perceptions de la corruption dans les pouvoirs publics et le milieu des affaires, Moyen-Orient et Afrique du Nord, 2011 1 Liban Rép. islamique d’Iran Maroc Corruption dans le milieu des affaires Tunisie Rép. arabe d'Égypte 0,8 Palestine Yémen Syrie Jordanie Algérie 0,6 Bahreïn Arabie Saoudite 0,4 0,2 Qatar 0,2 0,4 0,6 0,8 1 Corruption dans le gouvernement Source : Indice des perceptions de la corruption de Transparency International ; dans Diwan (2012). Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 139 Figure 4.8 Indicateurs de la gouvernance dans le monde Libye Rép. arabe syrienne Iran Rép. arabe d'Égypte Cisjordanie et Gaza Maroc Jordanie Norvège 0 20 40 60 80 100 Rang centile Lutte contre Qualité de la Efficacité des la corruption réglementation pouvoirs publics Source : Banque mondiale : Indicateurs de la gouvernance dans le monde, 2012. Note : Normalisé à 1–100. Les perceptions populaires sont confirmées par l’évolution des notes attri- buées à la corruption dans les pays de la région dans l’indice global de la corrup- tion de Transparency International. Sur les 158 pays pris en compte dans l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2005, l’Égypte était classée au 70e rang, la Tunisie au 43e, la Libye au 117e et la République du Yémen au 103e. La corruption perçue s’est nettement intensifiée durant les trois années suivantes. En 2008, l’Égypte a chuté au 115e rang, la Tunisie au 62e, la Libye au 126e et la République du Yémen au 141e rang sur 180 pays compris dans l’IPC. Les indicateurs de gouvernance indiquent que la région MENA est à la traîne du reste du monde. Les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale mesurent l’efficacité des pouvoirs publics, la qualité des réglementations, l’état de droit et la lutte contre la corruption. La figure 4.8 illustre la performance relative des pays de la région MENA qui sont systématiquement classés dans les 40 % les plus faibles au niveau mondial pour ces quatre domaines. 140 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Comment expliquer l’impact différent des connexions politiques sur la concurrence dans la région MENA et en Asie de l’Est ? Les répercussions des connexions politiques sur la concurrence n’ont pas été de même ampleur dans la région MENA et en Asie de l’Est L’analyse montre que les privilèges ont entravé la création d’emplois dans la région MENA. Le rapport fournit de nouvelles données empiriques qui montrent comment les règlementations commerciales dans les pays de la région MENA sont détournées pour protéger les intérêts de quelques entreprises politique- ment connectées. Les résultats indiquent par ailleurs que ces privilèges politiques freinent généralement la concurrence et la création d’emplois. Au demeurant, la région MENA n’a pas le monopole du favoritisme. Il est prouvé que les entreprises politiquement connectées étaient monnaie courante dans les pays d’Asie de l’Est quand ils ont commencé à enregistrer une croissance à deux chiffres (voir l’exposé sur la République de Corée au chapitre 3). Qui plus est, le cadre de gouvernance des pays d’Asie de l’Est était alors comparable aux conditions de gouvernance des pays de la région MENA. Dès lors, comment expli- quer le devenir différent de ces deux régions ? La réponse exhaustive à cette impor- tante question dépasse le cadre de ce rapport. Quoi qu’il en soit, le cadre théorique et empirique adopté dans ce chapitre ouvre la voie à un début d’explication. Les effets des connexions politiques sur la concurrence n’ont pas été de même ampleur dans la région MENA et en Asie de l’Est. Les deux argumentations développées au chapitre 3 ont montré que les entreprises politiquement connec- tées en Asie de l’Est ont dû faire face à une plus forte concurrence, ce qui les a contraintes à croître et à rentabiliser leurs opérations. Tout d’abord, les données présentées montrent qu’il ne leur suffisait pas d’avoir des connexions politiques pour échapper à la compétition. L’analyse ci-dessus a établi que les entreprises politiquement connectées en Égypte et en Tunisie ont pu exploiter leurs contacts pour obtenir des faveurs. Elles ont trouvé différents moyens pour exclure leurs concurrents et augmenter leurs profits. Le chapitre 3 a toutefois montré qu’en Asie de l’Est, les aides publiques ont été apportées sous forme de subventions, de crédit et autres, mais au niveau sectoriel plutôt qu’au niveau de l’entreprise. De ce fait, les entreprises bénéficiant de connexions politiques ont tout de même été confrontées à une forte concurrence intérieure et à l’arrivée de nombreuses entreprises dans leur secteur d’intervention à partir du moment où leurs profits ont augmenté (Aghion et al. 2012). Deuxièmement, les pays asiatiques ont su asseoir leur crédibilité en rattachant les privilèges — y compris ceux octroyés aux initiés et amis du pouvoir — à des objectifs de performance. Au chapitre 3, nous avons vu que quelques grandes familles contrôlaient de vastes pans de l’économie coréenne. Dans de nombreux cas, elles avaient aussi des appuis familiaux à des postes élevés du parti au pouvoir ou dans l’administration (Kang, p. 189). La section intitulée « Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie » montre l’existence de structures analogues dans l’Égypte de Moubarak42. Le chapitre 3 Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 141 démontre toutefois que les entreprises politiquement connectées en Asie de l’Est devaient malgré tout atteindre certains objectifs de performance (exportations) pour continuer à tirer profit des politiques industrielles. En Asie de l’Est, Taïwan et la Chine sont de bons exemples de l’application des objectifs de performance. Les subventions sectorielles étaient subordonnées à des critères de performance, comme la croissance des exportations, et les résultats des entreprises étaient régulièrement passés au crible. Ainsi, l’industrie de la vidéo, qui était l’un des secteurs ciblés, s’est vue retirer ses aides publiques au motif qu’elle n’avait pas tout à fait atteint son objectif de croissance. Trois grandes entreprises ont alors fait faillite et le secteur ne s’est jamais développé dans ces deux pays, à la différence des autres pays d’Asie de l’Est. Cet exemple a toutefois envoyé un signal clair aux entreprises de tous les autres secteurs soutenus par les politiques industrielles. L’Asie de l’Est ayant axé son économie sur l’exportation, ses entreprises ont été exposées à la concurrence sur des marchés mondiaux très convoités. Même lorsque les entreprises politiquement connectées n’avaient guère de concurrents sur le marché intérieur, ce qui était d’abord le cas en Corée, elles devaient obtenir de bons résultats pour continuer à bénéficier des aides publiques. Cette obligation a partiellement compensé le manque de compétition initial sur le marché intérieur. En d’autres termes, les pouvoirs publics en Asie de l’Est ont généré de la concurrence en se focalisant sur les exportations. La destination des exportations pourrait aussi avoir joué un rôle. Les entreprises d’Asie de l’Est ont ciblé les marchés américains et européens où la concurrence était rude tandis que les exportateurs industriels du Moyen-Orient ont souvent visé des créneaux commerciaux dans d’autres pays de la région ou en Afrique où la compétition était en général moins acharnée. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques en Jordanie sont les seules entreprises étrangères autorisées à vendre leur produc- tion en Algérie. Les politiques sectorielles d’Asie de l’Est ont donc eu pour effet d’atténuer les problèmes de gouvernance, tandis que celle menées dans la région MENA pourraient bien les avoir exacerbés. En dépit de cadres globaux de gouvernance comparables dans les deux régions, les pays d’Asie de l’Est ont conçu leurs politiques industrielles de manière à affaiblir les distorsions dans quelques secteurs ciblés, alors que celles mises en œuvre au niveau de l’entreprise dans la région MENA ont accentué ces distorsions. Comme le montre le chapitre 3, il était plus coûteux de satisfaire les intérêts particuliers des fonctionnaires d’Asie de l’Est puisque les bureaucrates s’engageaient à favoriser la croissance économique et en tiraient directement profit. Pour Schumpeter, l’impact des privilèges octroyés aux entreprises politique- ment connectées sur la croissance est aussi fonction des obstacles à l’innovation. L’adoption de technologies étrangères implique des procédés risqués et coûteux. Par conséquent, les entreprises ont plutôt tendance à opter pour des solutions moins onéreuses, s’il en existe, pour se soustraire à la compétition. C’est juste- ment ce qu’offrent leurs connexions politiques. Selon le cadre de croissance de Schumpeter, les entreprises sont davantage susceptibles de faire jouer leurs contacts s’il leur en coûte moins de se faire protéger que d’innover. L’essentiel de cet argument est que le coût des pressions exercées pour bénéficier de protections politiques était plus élevé dans les pays d’Asie de l’Est du fait de la conception de leurs politiques industrielles et des réformes complémentaires de la fonction 142 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord publique. Parallèlement, les entreprises étaient aussi plus susceptibles de faire jouer leurs relations politiques pour fuir la concurrence si les obstacles à l’innovation étaient trop importants. Ainsi, quel que soit le niveau de gouvernance, les privi- lèges font davantage obstacle à la croissance d’un pays si les coûts d’innovation sont élevés. D’après le cadre de croissance de Schumpeter appliqué à cette analyse, dans deux régions présentant le même niveau de gouvernance (comme la région MENA et l’Asie de l’Est), les privilèges auront des répercussions plus néfastes sur la croissance là où l’innovation coûte le plus cher aux entreprises. Étant donné les charges réglementaires qui pèsent sur les entreprises désireuses d’innover et l’intégration insuffisante des pays de la région MENA aux marchés mondiaux (via les échanges ou l’IDE), il y a tout lieu de s’attendre à des coûts majorés dans les entreprises de cette région. Notes   1. Les différentes méthodes utilisées et les analyses complémentaires propres à chaque pays font l’objet de présentations détaillées dans les ouvrages cités dans la bibliographie, notamment Diwan, Keefer, et Schiffbauer (2014) ; Rijkers, Freund et Nucifora (2014).   2. On trouvera au chapitre 3 un examen détaillé du programme de politiques indus- trielles mises en œuvre par l’Égypte à cette époque.   3. L’armée égyptienne, qui avait de facto un droit de veto sur l’ensemble des transac- tions foncières, a autorisé, explicitement ou non, toutes les ventes de terres publiques. Le ministre égyptien de la Défense peut s’opposer à toute cession de terres, notam- ment sur le littoral, considérées comme ayant une importance stratégique.   4. Le groupe des entreprises Ben Ali est très représenté. Bien que trois entreprises ayant des connexions figurent dans la liste des 10 plus grandes entreprises en Tunisie, 100 entreprises politiquement connectées n’ont fait état d’aucun travail- leur salarié, à quelque moment que ce soit. Certaines d’entre elles étaient probable- ment des entreprises fictives servant au blanchiment d’argent ou à l’obtention d’allégements fiscaux.   5. Sur les 32 hommes d’affaires ayant des connexions politiques, 18 occupaient de hauts postes politiques (au sein du parti ou du gouvernement) et contrôlaient 307 des 469 entreprises que nous avons finalement identifiées comme des entreprises politiquement connectées. Les 14 autres hommes d’affaires, notamment les plus influents, étaient des amis de longue date d’Hosni Moubarak, de l’époque de son passage dans l’armée, ou des cofondateurs d’une grande banque d’investissement partiellement détenue par une société immatriculée à Chypre qui appartiendrait à la famille Moubarak.   6. Nombre des grandes entreprises étaient cotées dans différentes bourses égyptiennes, car les recettes tirées de la vente d’actions d’entreprises cotées étaient exonérées d’impôt. Plusieurs entreprises jouissant de connexions politiques auraient exploité ce vide juridique pour se soustraire à l’impôt sur les rachats d’entreprises. En d’autres termes, au lieu de cessions directes d’entreprises, qui sont assujetties à l’impôt, la transaction passait par l’introduction en bourse de l’entreprise vendue afin de bénéficier des exonérations (Ahram Online, diverses éditions).   7. Notons que l’on peut classer ces différents types de connexions politiques en fonction de leur caractère restrictif. Un individu a d’autant plus intérêt à faire jouer ses relations politiques au profit de l’entreprise s’il en est le directeur général (presque tous les directeurs généraux ayant des connexions politiques sont Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 143 actionnaires de leur entreprise). L’incitation est moins forte pour les propriétaires d’entreprises ayant des connexions politiques, et encore plus faible pour toutes les catégories d’entreprises politiquement connectées, dans lesquelles nous incluons celles où des entreprises de capital-investissement jouissant de connexions politiques ont massivement investi. Bien sûr, tout dépend aussi de l’« étroitesse » des liens entre l’homme d’affaires et ses accointances politiques. Nos informations ne permettent pas d’apprécier les différentes catégories de connexions politiques, vu que tous les hommes d’affaires qui en jouissent avaient un pouvoir d’influence direct sur la réglementation et son application.   8. Les observations concernant l’emploi portent sur environ 20 000 établissements, tandis que les données sur les revenus d’exploitation et les bénéfices ne sont dispo- nibles que pour environ 700 et 400 grands établissements respectivement.   9. Nous avons regroupé toutes les informations provenant d’enquêtes conduites en Égypte entre 2004 et 2008 pour optimiser la représentativité des données sur les perceptions des politiques à l’échelon sectoriel. Au total, plus de 4 200 entreprises ont été regroupées en 90 branches d’activité du niveau de classification à quatre chiffres (CITI Rév. 3.1). Nous avons exclu des secteurs où nous n’avons recensé que quatre entreprises, ce qui donne une moyenne de 38 entreprises par branche d’acti- vité du niveau de classification à quatre chiffres. 10. Voir Rijkers, Freund et Nucifora (2014) et Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014) pour plus de détails. La part totale de l’emploi en Égypte est calculée comme étant le total approximatif de personnes employées dans des entreprises politiquement connectées en 2010 (550 000) par rapport au nombre total d’employés dans le privé, soit environ 7,5 millions de personnes. 11. Comme dans n’importe quel autre pays, on peut s’attendre à ce que plusieurs entre- prises sous-estiment leur production, leurs effectifs et leurs bénéfices. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les entreprises politiquement connectées sont plus ou moins susceptibles de le faire. 12. S’agissant de l’Égypte, la base de données Orbis donne principalement des infor- mations sur les établissements de moyenne et grande taille, à savoir les groupes qui permettent d’effectuer des comparaisons entre les établissements bénéficiant de connexions politiques et les autres. Les grandes entreprises sont bien réparties dans ces deux groupes pour lesquels les données sont disponibles. 13. La forte proportion de bénéfices nets tient en partie au fait que de nombreuses entreprises déclarent des pertes. Si l’on tient seulement compte des entreprises qui rapportent des bénéfices, les entreprises Ben Ali représentent environ 7 % de l’ensemble des bénéfices. 14. Orbis ne fournit pas de séries chronologiques plus longues pour ce qui est des bénéfices. Il convient de signaler le faible degré de précision de l’écart estimé des bénéfices entre 2003 et 2004, qui s’explique par le petit nombre d’observations. 15. Notons que la plupart des privilèges accordés aux entreprises politiquement connec- tées via des réglementations (comme les subventions à l’énergie dans l’industrie ou la protection commerciale) sont toujours en place aujourd’hui. De ce fait, la baisse de l’écart des bénéfices des entreprises politiquement connectées immédiatement après la chute de Moubarak pourrait signifier que d’autres privilèges de cette nature ont — temporairement — disparu (par exemple l’application discrétionnaire), ou encore que le nouveau régime a rendu les choses plus difficiles pour ces hommes d’affaires, au moins dans un premier temps. 16. Dans l’analyse ci-après, nous examinons uniquement quelques types de privilèges politiques pour lesquels nous disposons de données sur l’Égypte et la Tunisie. En effet, nos informations ne sont pas assez détaillées pour analyser les exigences d’autorisations ou les restrictions à l’IDE dans des secteurs particuliers en Égypte, ou les subventions aux intrants en Tunisie. 144 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 17. Câbles Wikileaks 09TUNIS372_a et 07TUNIS1489-a aux adresses suivantes : https://wikileaks.org/plusd/cables/09TUNIS372_a.html et https://wikileaks.org/ plusd/cables/07TUNIS1489_a.html, consultés le 23 février 2013. 18. Câble Wikileaks 08TUNIS679_a, https://wikileaks.org/plusd/cables/ 08TUNIS679_a.html, consulté le 23 février 2013. 19. L’une des difficultés a été de faire faire correspondre les activités mentionnées dans le Code d’incitations avec des secteurs du niveau de classification à cinq chiffres, car elles ne se recoupent pas parfaitement. Dans certains cas, le Code d’incitations aux investissements donne une description plus détaillée des activités, tandis que dans d’autres, il est plus général que la classification tunisienne NAT 96 que nous avons utilisée. Avec l’aide d’agents de l’Institut national de la statistique, nous sommes parvenus à établir des correspondances entre certaines activités et certains secteurs, mais dans différents cas, de multiples activités ont été regroupées dans le même secteur et vice versa. Il est donc possible que plusieurs réglementations du même type s’appliquent dans un même secteur. 20. Il est à noter que le nombre d’observations sur ces variables est de 64 seulement, car nous nous sommes bornés à examiner les entreprises opérant dans des secteurs tombant sous le coup du Code d’incitations aux investissements, ce qui a pour effet de réduire l’échantillon d’entreprises sans connexion politique à 70 259, soit environ 55 % de l’échantillon global des entreprises avec et sans connexions politiques. Les régressions sont elles aussi limitées à ce groupe d’entreprises. 21. Pour tester cette hypothèse, nous avons tout d’abord apparié les données sur les mesures non tarifaires (au niveau des produits de la classification à six chiffres du système harmonisé) des bases de données de la Banque mondiale avec les données d’Orbis (qui sont fournies au niveau des branches d’activité du niveau de classifica- tion à quatre chiffres). Des données chiffrées sur les mesures non tarifaires sont disponibles pour les marchandises commercialisables, ce qui correspond en gros au secteur manufacturier et au secteur minier. Notre analyse des mesures non tarifaires se limite donc à ses 147 secteurs et, d’après nos données, 200 entreprises politique- ment connectées interviennent dans au moins l’un d’entre eux. 22. Les zones industrielles en Égypte comprennent les zones industrielles qualifiées (QIZ), un statut qui garantit aux entreprises la possibilité d’exporter vers les États-Unis en franchise de droits et sans contingentement. Abdel-Latif et Nugent (2010), qui ont étudié l’impact des QIZ sur l’économie égyptienne, ont constaté que les grandes entreprises ont démesurément profité des accords sur les QIZ : dans les 17 zones industrielles abritant des usines QIZ, les entreprises de plus de 500 employés représentent 88 % des exportations. Les secteurs du textile et du vêtement représentent 89 % des exportations des QIZ, suivis par les plastiques et les produits chimiques. 23. Les enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises (WBES) fournissent des données au niveau de l’entreprise pour les 95 secteurs d’activité du niveau de classifi- cation à quatre chiffres (CITI Rév. 3.1), dont 84 secteurs manufacturiers et 11 secteurs de services. On trouve de multiples entreprises politiquement connectées (dans l’hôtellerie, la restauration, la vente en gros et au détail) dans les 11 secteurs de services, et nous avons donc limité notre analyse aux secteurs manufacturiers du niveau de classification à quatre chiffres, soit 3 040 entreprises. 24. Nous utilisons le modèle de régression suivant : Solis = bc connectéess + bs Tailleis + bcs connectéess * Tailleis + bXXis + bstS + eis. La variable dépendante relative aux politiques Solis est une variable indicatrice pour l’entreprise i dans le secteur d’activité du niveau de classification à quatre chiffres s. Elle a une valeur de 1 si l’entreprise a acheté des terres au gouvernement ou si elle est implantée dans une zone indus- trielle, respectivement, et une valeur de zéro autrement ; la variable connectées mesure le nombre d’entreprises bénéficiant de connexions politiques, par type, dans Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 145 le secteur d’activité du niveau de classification à quatre chiffres s. Taille est la variable indicatrice Petite , qui est égale à 1 si l’entreprise a un effectif de moins de 100 employés, et à zéro autrement. Xis est la matrice des variables de contrôle au niveau de l’entreprise : âge, part des exportations. S est une matrice des variables indicatrices des secteurs du niveau de classification à deux chiffres. Si nous incluons la variable indicatrice « Petite » pour la variable « Taille », bc détermine si l’accès aux terres est différent dans les secteurs comptant davantage d’entreprises politique- ment connectées, et mesure les différences d’accès des grandes et des petites entre- prises dans les secteurs comptant plus d’entreprises politiquement connectées que dans ceux où les connexions politiques sont inexistantes (ou moins nombreux). On trouvera de plus amples détails dans Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014). 25. Dans l’ensemble, 85 % des entreprises manufacturières pour lesquelles des données d’emploi sont disponibles ont un effectif d’au moins 100 personnes. En revanche, sur toutes les entreprises manufacturières couvertes par les enquêtes de la Banque mondiale, 33 % seulement ont un effectif de cette taille (d’après ces données, nous observons en moyenne 12 grandes entreprises dans un secteur manufacturier du niveau de classification à quatre chiffres). Ainsi, il est bien plus probable que les grandes entreprises couvertes par les enquêtes de la Banque mondiale soient politiquement connectées. Nous avons aussi testé les différences d’âge des entreprises entre les secteurs politiquement connectés et les autres. On constate une grande similitude dans la répartition par âge des entreprises politiquement connec- tées et l’ensemble des entreprises couvertes par les enquêtes de la Banque mondiale : le premier groupe a un âge médian de 18 ans, contre 19 pour l’ensemble des entreprises. 26. Le tableau 4.4 montre aussi que la part de la production directement vendue aux pouvoirs publics est entre 5 et 7 % supérieure pour les entreprises des secteurs politi- quement connectés, ce qui indique que les entreprises politiquement connectées ont un accès préférentiel aux marchés publics. 27. Les résultats suivants sont fondés sur un modèle de régression analogue à ceux utilisés pour déterminer l’accès aux terres publiques, à la différence que la variable dépendante utilisée est le temps d’attente pour l’obtention d’un permis de construire. On trouvera de plus amples détails dans Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014). 28. Les résultats sont fondés sur une analyse de régression, y compris les termes d’inte- raction, entre le nombre de restrictions d’ordre non tarifaire (au niveau sectoriel) ou une variable indicatrice pour les industries à forte intensité d’énergie et une variable indicatrice déterminant si une entreprise dispose ou non de connexions politiques. Ce cadre d’analyse permet de tester l’hypothèse selon laquelle les entreprises politique- ment connectées ont de meilleurs résultats que leurs concurrents lorsque les mesures de protection commerciale ou les subventions à l’énergie sont monnaie courante. L’échantillon est limité à la période 2003–2011 compte tenu de l’absence de données sur la production et les bénéfices pour les années précédentes. Des informations complémentaires sont disponibles dans Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014). 29. Nous observons plusieurs entreprises politiquement connectées dans certains secteurs, ce qui pourrait en théorie les conduire à se concurrencer les unes les autres. Au contraire, on observe qu’il existe entre elles un complexe enchevêtre- ment de structures de propriété et de coinvestissements. Ainsi, les 6 (10) hommes d’affaires présentant les connexions les plus complexes contrôlent à eux tous, direc- tement ou indirectement, 240 (322) entreprises. En outre, 85 entreprises (18 %) dirigées ou détenues par un homme d’affaires connecté ont bénéficié d’investisse- ments considérables de la part de fonds de capital-investissement contrôlés par d’autres investisseurs ayant des connexions politiques. Les risques de collusion sont donc bien plus élevés parmi les entreprises disposant de connexions politiques. 146 Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord 30. Les résultats sont fondés sur une analyse de régression, y compris les termes d’interaction entre les exigences d’autorisations et les restrictions à l’IDE (au niveau du secteur) ou une variable indicatrice pour les industries à forte intensité d’énergie et une variable indicatrice déterminant si une entreprise dispose ou non de connexions politiques. Ce cadre d’analyse permet de tester l’hypothèse selon laquelle les entreprises Ben Ali ont de meilleurs résultats que leurs concurrents lorsque les restrictions réglementaires sont monnaie courante. L’échantillon porte uniquement sur les activités visées par le Code d’incitations aux investissements. Seules sont incluses les entreprises qui ont déclaré employer des travailleurs salariés à un moment ou un autre en cours d’année, à l’exclusion des travailleurs L’échantillon est limité à la période 2000–2010 compte tenu de l’absence de données sur la production et les bénéfices pour les années précédentes. Voir Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014) pour de plus amples détails. 31. Les résultats suivants sont fondés sur un modèle de régression analogue à ceux utilisés pour déterminer l’accès aux terres publiques, à la différence que la variable dépendante utilisée est une variable factice égale à 1 si une entreprise déclare moins de 10 concurrents sur le marché intérieur, et égale à zéro autrement. On trouvera de plus amples détails dans Diwan, Keefer et Schiffbauer (2014). Il n’existe pas de données comparables pour la Tunisie. 32. L’analyse est fondée sur le recensement des établissements, soit plus de 2 millions d’établissements dans tous secteurs économiques non agricoles et non gouverne- mentaux, en 1996 et en 2006. Les taux de création d’entreprises et les paramètres de la répartition de l’emploi dans les différents établissements (coefficient de varia- tion, asymétrie et part des microétablissements) sont calculés au niveau des secteurs du niveau de classification à quatre chiffres, puis comparés à nos informations sur le nombre d’entreprises politiquement connectées par secteur. Les taux de création d’entreprises sont pondérés par le nombre d’employés dans les entreprises qui s’implantent dans une branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres par rapport au nombre total d’employés dans la branche d’activité. Les statistiques descriptives sont résumées au tableau 4.6. En outre, nous estimons les effets du nombre d’entreprises politiquement connectées («  connectées  ») dans la branche d’activité du niveau de classification à quatre chiffres s sur les mesures (l’évolution) de la dynamique des entreprises, à savoir l’entrée, (Z) pour le secteur s, après avoir pris en compte le log moyen du nombre d’employés et de l’âge moyen des établissements (X) ainsi que des variables indicatrices pour les secteurs du niveau de classification à un ou deux chiffres b  : Z s , 2006 = bc connectéess, 2006 + bXlynxs, 2006 + SB + es, 2006. 33. Premièrement, cette période a été marquée par les connexions politiques générali- sées dans tous les secteurs. Ensuite, les relations entre l’État et le milieu des affaires se sont intensifiées après que plusieurs hommes d’affaires ayant de bonnes connexions ont été nommés à de hauts postes politiques, ce qui leur a permis de peser directement sur l’orientation des politiques économiques (Demmelhuber et Roll 2007 ; Roll 2013). 34. Les résultats sont solides dès lors qu’ils sont ajustés des caractéristiques spécifiques aux secteurs (par exemple la taille et l’âge moyens des établissements du secteur ainsi que les variables indicatrices pour les secteurs du niveau de classification à un ou deux chiffres), dans un cadre de régression. 35. D’après les recherches d’Arnold et al. (2012), la libéralisation des échanges de services — résultant de la suppression des restrictions à l’IDE dans ces secteurs au cours des dix années précédentes — a permis à l’Inde d’enregistrer des gains de productivité importants dans les entreprises manufacturières utilisatrices en aval. 36. La procédure d’estimation et les résultats font l’objet d’un exposé détaillé à l’annexe E. Des privilèges au lieu d’emplois : connexions politiques et croissance du secteur privé dans la région MENA 147 37. L’estimation est fondée sur les données du recensement des établissements, soit plus de 2 millions d’établissements dans tous les secteurs économiques non agricoles et non gouvernementaux. Nous tenons compte des caractéristiques propres à chaque secteur, comme la taille et l’âge des établissements, ainsi que des variables indicatrices globales pour les secteurs dans toutes les spécifications des estimations. 38. Ces catégories sont basées sur les notes attribuées dans le cadre d’une évaluation comprenant 77 questions. Pour chaque question, une note de 0 à 4 devait être attri- buée au gouvernement. Transparency International a étudié toute une gamme d’institutions dans chaque pays : les ministères de la Défense et de la Sécurité, les forces armées, ainsi que toute institution publique à même d’influencer l’ampleur du risque de corruption dans le secteur. 39. 4 = Degré élevé de transparence ; des mesures institutionnelles rigoureuses s’attaquent aux risques de corruption. 3 = Degré globalement élevé de transparence ; des mesures sont prises pour s’attaquer aux risques de corruption, mais comportent des lacunes. 2 = Degré modéré de transparence ; des mesures sont prises pour s’attaquer à la corruption, mais comportent des lacunes importantes. 1 = Degré globalement faible de transparence ; faibles mesures pour s’attaquer aux risques de corruption. 0 = Faible degré de transparence ; faiblesse ou absence des mesures pour s’attaquer aux risques de corruption. 40. Entreprises civiles et entreprises du secteur de la défense détenues en partie ou en totalité par les institutions publiques de défense ou les forces armées, à l’exclusion des entreprises privées légalement détenues par des individus relevant de l’establishment de la défense. 41. Cela explique aussi pourquoi nous n’avons pas pu obtenir des informations sur les entreprises militaires politiquement connectées, comme il est dit dans les sections intitulées « Les privilèges accordés aux entreprises politiquement connectées entravent la concurrence et la création d’emplois : données probantes concernant l’Égypte et la Tunisie » et « Les données qualitatives disponibles indiquent l’existence de systèmes similaires de privilèges accordés au moyen des politiques publiques dans d’autres pays de la région MENA ». 42. On pourrait dire que l’influence politique des hommes d’affaires ayant des connexions politiques était encore plus forte en Égypte où certains hommes d’affaires étaient ministres et n’avaient donc même pas à compter sur des membres de leur famille pour orienter les politiques économiques. Bibliographie Aghion, P. M., Dewatripont, L. Du, A. Harrison, and P. Legros. 2012. “Industrial Policy and Competition.” Mimeo (April 24). Aghion, P., C. Harris, P. Howitt, and J. Vickers. 2001. “Competition, Imitation and Growth with Step-by-Step Innovation.” The Review of Economic Studies 68 (3): 467–92. Alley, April Longley. 2010. “The Rules of the Game: Unpacking Patronage Politics in Yemen”. Middle East Journal 64 (3): 385–409. Arnold, Jens, B. Javorcik, M. Lipscomb, and A. Mattoo 2012. “Services Reform and Manufacturing Performance—Evidence From India.” Policy Research Working Paper 5948, World Bank, Washington, DC. Demmelhuber, T., and S. 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Peu de nouvelles entreprises entrent dans ces marchés, et lorsqu’elles y parviennent, elles sont exclues du bénéfice de ces privilèges et ne prospèrent pas. La création d’emplois est donc faible dans l’ensemble, et de nombreuses personnes n’ont pas accès au marché du travail ou sont contraintes de chercher un emploi dans de petites activités à faible productivité. La feuille de route pour la création de plus d’emplois dans les pays de la région MENA ne saurait donc se limiter à l’amélioration des politiques agissant sur l’offre — éducation, salaires, formation professionnelle etc. Elle doit aussi comprendre des réformes importantes destinées à stimuler la demande de main-d’œuvre. Les conclusions de ce rapport indiquent des éléments essentiels de cette feuille de route, notamment : a) la suppression des politiques coûteuses recen- sées dans ce rapport ; b) la promotion de la concurrence, l’ouverture des marchés et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs ; et c)  plus important encore, la prise de dispositions pour s’assurer qu’à l’avenir, les politiques et leur application visent à établir des règles de jeu équitables plutôt qu’à les biaiser. Dans le reste de cette section, nous examinons les différentes composantes de la feuille de route ; les détails précis dépendront toutefois de chaque pays et devraient inclure d’autres domaines d’intervention non couverts dans le présent rapport. Premièrement, dans la région MENA, les pouvoirs publics devraient procéder à une refonte des politiques qui entravent inutilement la concurrence et empêchent les entrepreneurs de saisir les opportunités sur un pied d’égalité. Le chapitre 1 laisse penser que si les pouvoirs publics de la région MENA veulent mettre en œuvre des programmes de développement du secteur privé ciblant des catégo- ries bien déterminées d’entreprises, ils feraient bien de retenir comme principal critère de ciblage l’âge de l’entreprise plutôt que sa taille. Le chapitre 2 recense un certain nombre de politiques publiques qui entravent la concurrence, biaisent les règles du jeu et freinent l’entrée des entreprises dans certaines branches d’activité, la croissance de la productivité et en fin de compte la création d’emplois dans les pays de la région MENA. Ces politiques comprennent les subventions énergétiques aux industries ; les licences exclusives exigées pour exercer des 149 150 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord activités dans des secteurs bien déterminés ; les obstacles juridiques à l’investis- sement direct étranger ; les barrières commerciales, notamment les mesures non tarifaires ; les obstacles administratifs à l’entrée et à la croissance des entreprises ; les obstacles à l’accès à la justice, à la terre et aux zones industrielles. Par ailleurs, plusieurs autres politiques qui n’ont pas été analysées dans le présent rapport, mais qui sont potentiellement tout aussi importantes pour mettre toutes les entreprises sur un pied d’égalité, devraient également être prises en compte dans les cas spéci- fiques de pays. Ces autres politiques concernent par exemple les barrières à l’entrée et à la sortie résultant de lois restrictives en matière d’embauche et de licenciement, les lois complexes régissant les faillites, etc. Deuxièmement, les responsables politiques devraient s’assurer que les mesures publiques qui affectent la concurrence et l’égalité des chances pour tous les entre- preneurs sont appliquées uniformément à toutes les entreprises, ce qui n’est pas le cas, même lorsque les entreprises mènent des activités dans le même secteur. La prédominance d’une prise de décision non seulement arbitraire mais aussi prédatrice dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire administratif décourage l’esprit d’entreprise et freine la concurrence. Une application équitable des lois et règlements exige d’inciter les agents publics à exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon équitable et transparente dans l’optique de poursuivre les objectifs légitimes des politiques publiques. Ces incitations peuvent exister lorsque les lois et règlements sont clairement définis, la mise en œuvre des politiques est simplifiée et prévisible, le recrutement et les promotions dans la fonction publique sont fondés sur le mérite plutôt que sur les relations politiques, et lorsque le mérite se juge à la contribution potentielle ou réelle à la réalisation des objectifs légitimes de politiques publiques. Troisièmement, si les gouvernements des pays de la région MENA veulent mettre en œuvre des politiques de développement dirigées par l’État, ils seraient bien inspirés d’éviter les erreurs du passé et de veiller à ce que ces nouvelles politiques industrielles et la structure administrative chargée de les mettre en œuvre minimisent les possibilités de leur détournement par les entreprises, favorisent la concurrence et lient étroitement l’aide à la performance. Le chapitre 3 dresse une liste d’éléments de la conception des politiques industrielles et de changements institutionnels complémentaires indispensables pour assurer l’effi- cacité desdites politiques. Ces éléments incluent des réformes organisationnelles profondes du secteur public ; l’accent mis sur la prise de mesures pour remédier aux défaillances du marché et sur de nouvelles activités économiques où ces défaillances sont plus susceptibles d’avoir une influence contraignante ; un système d’évalua- tion permettant d’apprécier les résultats des politiques et des agents publics en fonction de leur impact sur la croissance économique et la création d’emplois ; et des mesures pour veiller à ce que les entreprises et les arrivants potentiels dans le secteur ciblé accèdent à ces interventions précises en fonction de leurs résultats. L’un des aspects cruciaux de ce programme de réformes est la création d’orga- nismes capables d’empêcher le détournement futur des politiques, préservant ainsi la concurrence et l’égalité des chances pour tous les entrepreneurs. Bien qu’il soit possible, avec une certaine volonté politique, de mettre assez rapidement un terme à plusieurs politiques génératrices de distorsions, il est fort probable que d’autres politiques existantes ou nouvelles soient récupérées ou servent les intérêts d’entreprises privilégiées, et sapent la concurrence et l’ouverture des marchés. Au début des années 2000, face à la pression extérieure à laquelle elle était soumise pour réformer son économie, la République arabe d’Égypte a sensiblement réduit Enseignements à tirer sur le plan des politiques publiques 151 les droits d’importation. Toutefois, lorsqu’une source de privilèges a disparu, une autre a fait surface : les droits d’importation ont baissé, mais les barrières non tarifaires ont grimpé de manière drastique. Le tableau 4.3 montre que les entre- prises ayant des connexions politiques ont profité de ces barrières non tarifaires de façon disproportionnée. Pour prévenir cela, les responsables politiques devraient mettre sur pied des organismes qui auront pour mission de promouvoir la concur- rence et d’empêcher toute confiscation future des politiques ; ces organismes comprennent notamment, mais pas exclusivement, une administration publique très compétente, bien organisée et robuste. Il faut une administration forte pour mettre en œuvre les réformes nécessaires pour créer des marchés ouverts capables de résister au risque de détournement des politiques publiques. Ces réformes englobent notamment une législation rigoureuse sur la concurrence et une autorité indépendante qui en a la charge ; des lois adaptées sur la passation des marchés et une application qui l’est tout autant ; un appareil judiciaire indépendant, etc. Il est tout aussi important de s’assurer que les processus d’élaboration des politiques soient ouverts et transparents et garantissent la participation des citoyens. La transparence n’est pas une panacée, mais il est difficile de concevoir que des organismes qui assurent l’ouverture des marchés et la concurrence puissent être créés sans que les citoyens n’aient accès aux informations sur les lois et règle- ments proposés et ratifiés ; sans que lesdits citoyens ne contribuent à la conception et à l’évaluation des politiques ; sans qu’ils ne soient informés des intérêts que les politiciens détiennent dans des entreprises bénéficiant des politiques publiques ; et sans qu’ils ne soient avisés des bénéficiaires des subventions, des appels d’offres, des transactions portant sur des terres domaniales, des privatisations, etc. Enfin, ce rapport propose un guide à la prise de décision, qui résume ce qui précède et constitue un cadre dont les pouvoirs publics peuvent se servir pour concevoir et mettre en œuvre des politiques. L’utilisation de ce cadre conceptuel ne doit pas faire oublier que l’élaboration des politiques comporte des risques et des incertitudes quant aux politiques qui seront efficaces et porteront leurs fruits. Compte tenu de ces incertitudes inhérentes, le guide vise à optimiser les chances de réussite et à maximiser l’impact positif de ces politiques sur la croissance et l’emploi en s’assurant qu’elles permettront de lever de réels obstacles à la croissance des emplois tout en minimisant le risque de détournement de ces mêmes politiques. Le guide à la prise de décision laisse penser que toute politique de développement devrait pouvoir répondre par l’affirmative aux questions ci-après ; une réponse par la négative à l’une quelconque de ces questions alerte sur la possibilité que la politique envisagée donne des résultats inefficaces et inéquitables et, au bout du compte, ne crée pas d’emplois. Ces questions sont les suivantes : 1. Cette politique vise-t-elle à fournir, d’une manière économiquement efficiente et durable, un bien ou un service qui n’est pas actuellement disponible dans le pays ? 2. Tous les opérateurs potentiels du marché ont-ils un accès égal aux avantages de cette politique ? 3. Les avantages de cette politique sont-ils réversibles dans le cas où des indica- teurs de performance rigoureux ne sont pas atteints ? 4. L’administration et les tribunaux appliqueront-ils la politique de façon correcte, équitable et transparente ? 152 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Incidence de l’élaboration des politiques publiques sur le secteur privé : diagramme décisionnel La politique est-elle conçue pour favoriser la production de biens et services actuellement pas produits localement ? Oui Non Absence de défaillances La politique est-elle conçue du marché – le pays Non Non pour encourager la dispose-t-il d’un avantage participation au marché de comparatif pour ceux qui en sont exclus ? la production ? Cette politique Oui sera probablement Oui inefficace et Non La totalité ou la La politique s’attaquera-t-elle à une défaillance du marché inéquitable quasi-totalité des avantages clairement identifiée qui est des interventions ira-t-elle à une entrave à la production ? ceux qui sont actuellement exclus du marché ? Non Oui Non Oui Cette politique va probablement créer Les avantages seront-ils Tous les entrepreneurs des emplois Non conditionnés par des mesures Identifier les défaillances potentiels du groupe du marché qui rigoureuses de la performance ? ou du secteur ciblé empêchent le pays pourront-ils d’exploiter son prétendre aux avantages avantage comparatif Oui offerts par la politique ? Non L’administration et Oui les tribunaux Oui appliqueront-ils la politique de manière correcte, juste et transparente ? ANNEXE A Croissance économique et transformation structurelle Notre analyse se fonde sur les données relatives à l’emploi, à la valeur ajoutée et à la productivité du travail par secteur pour un panel de 35 pays, dont sept de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). La valeur ajoutée nominale est convertie en valeur ajoutée exprimée en parité de pouvoir d’achat (PPA) constante au moyen du facteur de conversion des PPA du Penn World Table 7.1 (version révisée). La productivité du travail pour le secteur i est calculée en divisant la valeur ajoutée exprimée en PPA constante du secteur i par l’unité de travail du secteur i. La base de données va au-delà des données utilisées par Timmer et de Vries (2009) et McMillan et Rodrik (2011) en ajoutant des statistiques nouvellement recueillies concernant les pays de la région MENA. Notre série chronologique sur la valeur ajoutée, les coefficients d’ajuste- ment des prix et l’emploi par secteur pour les pays de la région MENA est établie à partir des sources statistiques disponibles. Nous suivons la méthodo- logie élaborée par Timmer et de Vries (2009), qui a également été appliquée par McMillan et Rodrik (2011), en utilisant les données nationales, qui sont généralement harmonisées du point de vue des classifications des branches d’activité. La valeur ajoutée brute à prix courants et constants provient des comptes nationaux des différents pays. Au cours des dernières années, les séries de données relatives à la valeur ajoutée ont été établies selon le système de comptes nationaux des Nations Unies de 1993 (SCN des Nations Unies, voir Nations Unies, 1993). Donc, le niveau de comparabilité internationale est en principe élevé. Nous suivons Timmer et de Vries (2009) et McMillan et Rodrik (2011) autant que faire se peut pour créer une base de données pour les neuf principaux secteurs selon la définition de la 2e révision de la classification inter- nationale type par industrie (CITI, Rév. 2). Ces neuf secteurs sont les suivants : 1) agriculture, chasse, sylviculture et pêche ; 2)  industries extractives ; 3) indus- tries manufacturières ; 4) électricité, gaz et eau ; 5) bâtiment et travaux publics ; 6)  commerce de gros et de détail, hôtels et restaurants ; 7) transports, entrepôts et communications ; 8) banques, assurances, affaires immobilières et services fournis aux entreprises ; et 9) services fournis à la collectivité, services sociaux et services personnels. Nous utilisons également des données issues de recense- ments de la population et d’enquêtes sur l’emploi pour faire une estimation de 153 154 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord l’emploi dans les secteurs, qui ici fait ressortir toutes les personnes employées dans un secteur donné, qu’il s’agisse d’un emploi formel ou informel ou d’un travail indépendant. Nous avons reçu des données sur l’emploi de l’Agence centrale de la mobili- sation publique et des statistiques de la République arabe d’Égypte, qui a utilisé la classification CITI, Rév. 3 pour les années 1998, 2006 et 2012, et nous avons procédé à des projections linéaires des données sur l’emploi pour les périodes 1999-2005 et 2007-2011. Les données sur l’emploi au Maroc proviennent du recensement de la population, et celles relatives à la Tunisie sont tirées de l’Enquête nationale sur l’emploi et englobent l’emploi dans le secteur public et dans le secteur informel. Nous complétons ces données par des informations sur le niveau d’instruction des travailleurs par secteur pour la Tunisie, le Maroc et la Jordanie. La croissance de la productivité du travail, en termes de variation de la production par travailleur, peut être décomposée en variation au sein même des secteurs et en variation d’un secteur à l’autre, ou en changement structurel. Le changement structurel rend compte de la contribution de la réallocation de la main-d’œuvre (ou de la variation du poids d’un secteur) à la croissance. Cela peut être représenté par la formule suivante : Dyt = ∑Nsi,t–k Dyit + ∑Nyi,t Dsit Où Δyt est la variation de la productivité globale du travail entre t et t-k, Sit est l’emploi dans le secteur i à un temps t et yit le niveau de productivité dans le secteur i au temps t. Le premier terme est la composante « au sein même des secteurs » et le second terme la composante « d’un secteur à l’autre » (figure 1.13). La productivité du travail dans l’économie globale se décom- pose donc en deux parties. La première composante mesure la variation de Figure A.1 Décomposition de la croissance du PIB réel par habitant Croissance du PIB par habitant Variation de Variation de Variation du la production la structure taux d’emploi par travailleur démographique Variations d’un Variations au sein secteur à l’autre des secteurs (changement structurel) Croissance économique et transformation structurelle 155 Figure A.2 Changement structurel à long terme dans quatre pays de la région MENA a. République arabe d’Égypte b. Jordanie 2000–2007 2000–2007 1990–2000 1995–2000 1982–1990 –15 –10 –5 0 5 –1 0 1 2 c. Maroc d. Tunisie 2005–2010 2005–2010 2000–2005 2000–2005 0 0,5 1,0 1,5 2,0 0 0,5 1,0 1,5 Variation au sein des secteurs Changement structurel Source : Données de la Banque mondiale. la productivité du travail due à des variations de la productivité sectorielle du travail, et elle rend compte de la façon dont la productivité du travail a évolué dans le contexte de parts constantes d’emplois d’un secteur à l’autre. La deuxième composante fait ressortir l’impact du changement structurel sur la progression de la productivité du travail. Elle mesure le niveau hypothétique de productivité qui serait atteint si les niveaux de productivité sectoriels restaient les mêmes et que seuls les mouvements de la main-d’œuvre d’un secteur à l’autre influaient sur la productivité. Productivité marginale du travail L’analyse ci-dessus du changement structurel se fonde sur la productivité moyenne. Pour déterminer cependant si ce changement a amélioré le bien-être et favorisé la croissance, il faudrait mener une analyse plus approfondie1. Une chose importante à faire dans cette optique serait d’examiner la productivité marginale d’un secteur à l’autre. Dans un contexte de parfaite concurrence, 156 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure A.3 Changement structurel par secteur, 2000–2005 a. République arabe d’Égypte b. Jordanie 600 1 000 400 800 de la productivité du travail de la productivité du travail Contribution à l’évolution Contribution à l’évolution 200 600 0 400 –200 200 –400 0 –600 –200 R N N PU N T C CS E GS ES R N N PU N T C E AU S ES WR FIR WR FIR G TS TS AG AG MI MA CO MI MA CO TR TR PS PS AU CS c. Maroc d. Tunisie 400 1 000 300 de la productivité du travail de la productivité du travail Contribution à l’évolution Contribution à l’évolution 500 200 100 0 0 –100 –500 R N N PU N T C CS E GS ES R N N PU N T C CS E GS ES WR FIR WR FIR TS TS AG AG MI MA CO MI MA CO TR TR PS PS AU AU e. Arabie Saoudite f. Rép. arabe syrienne 2 000 2 000 de la productivité du travail 1 000 de la productivité du travail Contribution à l’évolution Contribution à l’évolution 0 0 –1 000 –2 000 –2 000 –4 000 –3 000 R N N PU N T C CS E GS ES R N N PU N T C CS E GS ES WR FIR WR FIR TS TS AG AG MI MA CO MI MA CO TR TR PS PS AU AU g. Cisjordanie et Gaza 600 400 de la productivité du travail Contribution à l’évolution 200 0 –200 –400 R N N PU N T C CS E GS ES WR FIR TS AG MI MA CO TR PS AU Variation au sein des secteurs Changement structurel Note : AGR = agriculture ; MIN = activités extractives ; MAN = Activités de fabrication ; PU = production et distribution d’électricité, de gaz et d’eau ; CON = construction ; WRT = Commerce de gros et de détail ; TSC = transports et communication ; FIRE = services financiers et services aux entreprises ; CSPSGS = services fournis à la collectivité et aux familles ; AUTRES = autres secteurs. Croissance économique et transformation structurelle 157 la productivité marginale du travail – et non la productivité moyenne – devrait être nivelée entre les secteurs. Dans l’hypothèse d’une fonction de production à rendements constants, étant donné que les parts du travail ne sont pas néces- sairement négativement corrélées à la productivité moyenne, de grands écarts dans la productivité moyenne peuvent traduire de grands écarts dans la produc- tivité marginale du travail. Il convient cependant de faire attention à certains aspects. Par exemple, un niveau élevé de la productivité moyenne du travail dans les secteurs à forte intensité de capital, comme les industries extractives, peut simplement indiquer que la part du travail dans ce secteur est faible. La productivité marginale du travail peut être calculée en estimant la part du travail dans le revenu. En utilisant les données I2D2 de la Banque mondiale, nous avons calculé la part de revenu du travail en nous fondant sur les données salariales pour la Tunisie et l’Égypte, les deux seuls pays disposant de données salariales fiables2. Dans un marché parfaitement concurrentiel, les salaires correspondent au produit marginal du travail. Les marchés du travail ne sont pas souvent parfaitement concurrentiels, par exemple, en raison de la syndi- calisation ou de l’indexation des contrats. En outre, dans de nombreux pays en développement, certains travailleurs, tels que ceux du secteur agricole ou le personnel domestique, ne sont que partiellement rémunérés par un salaire. Se fonder sur les salaires pour calculer la part du travail dans le revenu exclut automatiquement les travailleurs indépendants. Pour éviter les biais décou- lant de l’hétérogénéité non observée, les données sont ramenées à un sous- ensemble de travailleurs. Les productivités marginales du travail sont calculées pour les célibataires de sexe masculin âgés de 30 à 34 ans ayant fait des études primaires. Les données salariales sont corrigées des écarts de prix entre zones rurales et zones urbaines. La part du travail dans les emplois rémunérés est particulièrement faible dans l’agriculture. En Égypte, 12,1 % seulement de la main-d’œuvre agricole possédaient un emploi rémunéré en 2006, un recul par rapport aux 14,3 % enregistrés en 1998 (tableau A.1). En Tunisie, l’agriculture est aussi le secteur présentant la plus faible proportion de main-d’œuvre ayant un emploi rémunéré, même si elle s’établissait à 28,2 % en 2001. Les secteurs ayant la plus grande part de main-d’œuvre disposant d’un emploi rémunéré sont les secteurs « électricité, gaz et eau » et « industries extractives ». Les écarts de productivités marginales mesurés par les salaires moyens d’un secteur à l’autre sont plus faibles que ceux mesurés par la valeur ajoutée par travailleur, mais les différences entre les secteurs restent importantes. En 1998, en Égypte, l’écart entre le secteur le plus productif (industries extractives) et le secteur le moins productif (services à la collectivité) était de 57, alors que l’écart entre le salaire minimum brut (agriculture) et le salaire maximum brut (inter- médiation financière) n’était que de 2,2. L’écart se rétrécit davantage à 1,5 lorsqu’on prend en compte les caractéristiques individuelles. Cet écart salarial s’est toutefois creusé en Égypte. En 2006, une personne ayant les mêmes carac- téristiques et le même niveau d’instruction aurait gagné près de 2,5 fois et demie plus si elle avait quitté le secteur agricole (qui affiche les salaires les plus bas) pour le secteur des industries extractives (qui affiche les salaires les plus élevés). Un Tunisien âgé de 30 à 34 ans ayant fait des études primaires et vivant 158 Tableau A.1 Estimations de la part du travail et des productivités marginales à l’aide de données harmonisées d’enquêtes sur les ménages de la Banque mondiale (I2D2) Salaires moyens (compte Salaires moyens (compte tenu Valeur ajoutée Salaires moyens tenu des caractéristiques d’autres caractéristiques par habitant (écarts bruts) individuelles)a individuelles)b Population En dollars Emploi dans Part implicite Part implicite Part implicite active ayant Part de PPA de les comptes En dollars du travail En dollars du travail En dollars PPA du travail un emploi l’emploi dans Pays Année Secteur Code 2005 nationaux, part % PPA de 2005 (pc), % PPA de 2005 (pc), % de 2005 (pc), % rémunéré, % l’I2D2, % Rép. arabe 1998 Agriculture agr 6 320 29,7 1 447 22,9 1 394 19,3 1 448 19,4 14,3 40,5 d’Égypte Industries extractives min 298 623 0,5 2 681 0,9 1 642 0,9 1 694 0,9 95,5 0,2 Industries manufacturières man 12 642 11,5 2 281 18,0 1 837 19,5 1 899 19,5 81,3 11,9 Électricité, eau et gaz pu 21 056 0,8 2 737 13,0 1 734 13,7 1 797 13,7 100,0 0,7 Bâtiment et travaux publics con 7 888 6,9 2 188 27,7 1 929 29,4 2 002 29,4 87,8 5,3 Commerce wrt 19 262 10,5 2 032 10,5 1 835 13,6 1 898 13,6 36,0 11,9 Transports et communications tsc 16 908 4,3 2 586 15,3 1 823 16,7 1 882 16,7 81,7 4,5 Banque et services fournis aux entreprises fire 14 529 1,4 3 247 22,4 1 929 24,3 2 002 24,3 84,2 1,5 Services fournis à la collectivité et aux cspsgs 5 221 34,5 1 856 35,6 1 304 37,8 1 351 37,8 95,3 23,5 ménages 2006 Agriculture agr 6 166 27,3 1 646 26,7 1 654 22,3 1 712 22,3 12,1 38,4 Industries extractives min 229 672 0,8 5 623 2,4 3 935 2,7 4 083 2,7 89,6 0,2 Industries manufacturières man 8 138 12,7 2 631 32,3 2 104 33,6 2 169 33,6 73,2 11,6 Électricité, eau et gaz pu 25 656 0,8 3 520 13,7 2 163 14,3 2 235 14,3 98,7 0,7 Bâtiment et travaux publics con 6 287 7,8 2 667 42,4 2 294 44,9 2 366 44,9 82,0 6,3 Commerce wrt 18 278 11,6 2 397 13,1 2 267 16,9 2 337 16,9 45,3 14,5 Transports et communications tsc 16 420 4,7 3 379 20,6 2 592 21,5 2 675 21,5 79,2 5,8 Banque et services fournis aux entreprises fire 13 978 1,4 3 680 26,3 2 393 29,4 2 475 29,5 77,7 2,2 Services fournis à la collectivité et aux cspsgs 5 137 33,0 2 583 50,3 1 697 53,3 1 754 53,3 96,9 19,6 ménages Tunisie 2001 Agriculture agr 9 036 21,8 249 2,8 249 2,5 215 2,6 28,2 22,0 Industries extractives min 109 239 0,6 782 0,7 406 0,8 353 0,8 95,6 0,5 Industries manufacturières man 12 302 18,2 380 3,1 315 3,4 272 3,4 80,7 20,5 Électricité, eau et gaz pu 34 167 0,6 408 1,2 310 1,1 268 1,1 90,3 12,8 Bâtiment et travaux publics con 6 158 11,9 468 7,6 283 8,3 245 8,3 54,6 3,4 Commerce wrt 12 842 17,3 417 3,3 287 3,5 248 3,5 50,7 14,1 Transports et communications tsc 30 666 5,8 610 2,0 342 1,9 296 1,9 64,6 5,4 Banque et services fournis aux entreprises fire 69 077 0,8 837 1,2 365 1,3 314 1,3 98,0 0,8 Services fournis à la collectivité et aux cspsgs 13 169 18,7 592 4,5 308 4,8 267 4,8 93,5 20,3 ménages Source : I2D2, Calculs de la Banque mondiale. a. Résultats de la régression tenant compte de la situation en milieu urbain, du sexe, de l’âge (intervalles de 6 ans), de la situation matrimoniale, de l’occupation et du niveau d’instruction (sans éducation, études primaires, secondaires et post-secondaires). b. Ajoute la taille du ménage et le nombre des membres du ménage qui ont un travail aux précédentes enquêtes. Croissance économique et transformation structurelle 159 dans un ménage composé de six personnes dont trois sont des salariés aurait vu son salaire augmenter de 1,6 fois en 2001 s’il était passé du secteur de l’agricul- ture (qui affiche les salaires les plus bas) à celui des industries extractives (qui affiche les salaires les plus élevés). La productivité dans les secteurs formels modernes converge, mais les parts du travail dans ces secteurs restent faibles La contraction de la part de l’emploi dans le secteur manufacturier de plusieurs pays de la région MENA pourrait éventuellement ralentir leur taux de conver- gence. Selon Rodrik (2013), la productivité du travail dans le secteur manufac- turier formel dans les pays pauvres tend à converger vers celle des pays à revenu élevé, indépendamment des institutions, du niveau d’instruction ou d’autres facteurs de croissance. Rodrik (2013) soutient que cette convergence incon- ditionnelle dans le secteur manufacturier formel n’implique toutefois pas une convergence globale inconditionnelle des revenus, en raison a) de l’absence de convergence inconditionnelle dans le reste de l’économie ; et b) de la faiblesse considérable et du recul dans certains pays en développement des parts du travail dans le secteur manufacturier (formel). La productivité du travail dans le secteur manufacturier formel dans la région MENA converge au même rythme que le reste du monde indépen- damment des politiques ou des institutions de la région. Le tableau A.2 (partie à gauche) présente les résultats des deux principales estimations de Rodrik (2013)3. Il montre un taux de convergence de 2,9 %, qui suppose que les indus- tries qui se situent à un dixième du chemin vers la frontière technologique (environ les 20 % d’industries de l’échantillon mondial se trouvant au plus bas Tableau A.2 Taux de croissance de la productivité du travail dans le secteur manufacturier Le rythme de convergence de la productivité du travail a-t-il été différent Rodrik (2013) dans le secteur manufacturier dans la région MENA ? Importa- Produc- République Ensemble teurs de teurs de arabe Rép. arabe des pays Pays Observations MENA pétrole pétrole Jordanie syrienne d’Égypte Maroc Tunisie Base de –0,029** 118 2 122 –0,041 –0,037 –0,044 –0,033 –0,039 –0,064** –0,005** 0,195** référence (–6,95) (–1,51) (–0,75) (–1,05) (–0,57) (–0,56) (–3,21) (3,30) (3,49) Après 1990 –0,029** 104 1 861 –0,037 –0,039 –0,026 –0,033 –0,144** –0,064** –0,005** (–7,14) (–1,01) (–0,95) (0,21) (–0,58) (–8,32) (–3,33) (3,43) Source : Calculs de la Banque mondiale. Note : Les colonnes 2 à 4 reprennent la constatation de base de Rodrik (2013). Les colonnes 5 à 12 montrent le taux de convergence de la productivité du travail dans le secteur manufacturier de différents pays de la région MENA et de groupes de pays de la région. Chaque cellule est basée sur une régression de la croissance de la productivité initiale, y compris des variables indicatrices année-secteur d’activité et une variable indicatrice relative à la région ainsi que le terme d’interaction de cette dernière variable avec la productivité initiale. Le coefficient montre le coefficient de convergence composé (coefficient de référence + terme d’interaction). Les erreurs types sont regroupées au niveau des pays dans toutes les caractéristiques. Niveau de signification : * = 10 %, ** = 5 %. 160 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de l’échelle) enregistrent une augmentation de 6,7 points de pourcentage par an du taux de convergence dans la croissance de la productivité du travail. Dans le tableau A.2, nous vérifions si le taux de convergence était différent dans la région MENA. À cet effet, nous incluons une variable indicatrice relative à la région et son terme d’interaction avec une productivité du travail initiale log dans les formulations correspondantes des estimations4. Le coefficient du terme d’interaction permet de déterminer si le taux de convergence a été différent de celui enregistré dans tous les autres pays. Les résultats montrent que le taux de convergence dans la région MENA était globalement le même que dans le reste du monde. Certains éléments prouvent que la convergence est légèrement plus lente dans les pays exportateurs de pétrole. En outre, la convergence incon- ditionnelle de la productivité du travail dans le secteur manufacturier formel tend à être plus rapide en Égypte et en République arabe syrienne, mais plus lente au Maroc et en Tunisie ; dans ce dernier cas, cette convergence n’existe tout simplement pas. La convergence inconditionnelle dans le secteur manufacturier formel dans la région MENA n’a pas entraîné une convergence de la productivité globale en raison de la faiblesse considérable voire de la contraction dans certains pays de la part du travail dans le secteur manufacturier dans la région. La part moyenne du travail dans le secteur manufacturier formel était de 2 % en Syrie, 5 % au Maroc et 7 % en Égypte et en Jordanie, respectivement. Qui plus est, elle était en baisse au Maroc et en Égypte entre 1995 et 2005. Observe-t-on des caractéristiques spécifiques de la spécialisation dans le secteur manufacturier formel dans la région MENA ? Nous procédons à une analyse plus détaillée du profil de la spécialisation et de la performance du secteur manufacturier formel dans les pays de la région MENA sous le prisme de l’espace-produit. Cet espace illustre l’analogie entre des produits, la distance entre deux produits représentant le niveau de similitude entre leurs structures de production. Hidalgo et al. (2007) font valoir que les actifs et les capacités requis pour produire un bien sont des solutions de substi- tution imparfaites à ceux requis pour en produire d’autres, notamment parce que les procédés de production de deux biens requièrent des technologies, des intrants (intermédiaires) ou des machines similaires. Les auteurs en déduisent un indicateur empirique de l’analogie entre chaque paire de 775 produits du niveau de classification à quatre chiffres de la CITI et montrent que les pays qui fabriquent des produits plus « connectés » sont mieux placés pour se diver- sifier dans de nouveaux produits (analogues). La figure A.4 présente l’espace brut entre les produits, qui est une illustration graphique de cet indicateur de l’analogie entre les produits. Elle révèle l’existence d’un noyau industriel densément connecté (au centre) et de grappes périphériques, dont l’industrie de l’habillement (gauche), l’industrie des textiles (gauche) ou l’industrie électronique (en bas à droite). Croissance économique et transformation structurelle 161 Figure A.4 L’espace-produit Couleur de nœud Pétrole Céréales Taille du nœud [classification pour apprenant] Pêche [millions de dollars] Pétrole Agriculture 0,3 2 8 40 2000 tropicale Produits Matières premières forestiers Produits forestiers Mines Couleur du lien Habillement Agriculture tropicale [proximité] Véhicules Agriculture animale ф>0,65 Métallurgie Céréales Électronique ф>0,55 Intensité de main-d’œuvre Textiles Intensité de capitaux Agriculture ф>0,4 animale Machines Produits chimiques ф<0,4 Produits chimiques Source : Sahnoun et Schiffbauer 2013. La comparaison avec l’évolution des structures de production en Asie de l’Est révèle une absence de formation de grappes parmi des produits analo- gues ou des sous-secteurs de l’industrie manufacturière dans la région MENA. La figure A.5 présente l’espace-produit dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (PRITI) de différentes régions du monde aujourd’hui et il y a 30 ans. Si l’espace-produit lui-même est le même pour tous les pays (par définition), les pays ou les régions diffèrent dans leur spécialisation dans les produits qu’ils exportent avec succès. Nous suivons les auteurs pour utili- ser l’avantage comparatif révélé (ACR) comme indicateur de la spécialisation des exportations ; les produits pour lesquels un pays ou une région dispose d’un ACR dans leur exportation sont représentés par des « carrés noirs ». La figure A.5 montre que, il y a 30 ans, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure de la région MENA disposaient d’un avantage compa- ratif dans l’exportation du pétrole et de produits agricoles (partie supérieure clairsemée de la figure représentant l’espace-produit). Au fil du temps, ils ont développé un avantage comparatif dans les grappes de produits alimentaires transformés (en haut à gauche), de l’industrie de l’habillement (à gauche) et des produits métallurgiques de base (au milieu à gauche). Ainsi, les perspec- tives d’une diversification plus poussée dans les pays (PRITI) de la région MENA se sont améliorées au cours des 30 dernières années. Toutefois, une 162 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Figure A.5 Espace-produit dans certaines régions, 1976-1978 et 2007-2009 a. MENA b. Afrique subsaharienne c. Asie de l’Est et Pacifique d. Amérique latine et Caraïbes PRITI, 1976-1978 PRITI, 1976-1978 PRITI, 1976-1978 PRITI, 1976-1978 e. MENA f. Afrique subsaharienne g. Asie de l’Est et Pacifique h. Amérique latine et Caraïbes PRITI, 2007-2009 PRITI, 2007-2009 PRITI, 2007-2009 PRITI, 2007-2009 Source : Sahnoun et Schiffbauer 2013. comparaison avec l’évolution des espaces-produits parmi les PRITI d’Asie de l’Est ou d’Amérique latine révèle que le rythme de la diversification dans le secteur manufacturier dans la région MENA a été plus lent. Par exemple, les PRITI d’Asie de l’Est ont développé des pôles d’exportation dans les indus- tries de l’habillement, des textiles, de l’électronique et des pièces de rechange automobiles. En revanche, les pays de la région MENA n’ont pas créé des pôles de production entre des produits connexes ou des sous-secteurs des industries manufacturières (en dehors de l’industrie de l’habillement). Notes   1. Tout changement structurel n’est pas chose positive. Par exemple, la productivité peut être plus élevée dans des secteurs monopolistiques. Une réallocation vers ces secteurs contribuerait positivement au changement structurel, mais elle ne favori- serait pas nécessairement la croissance ou ni n’améliorerait le bien-être (pour un examen plus approfondi de cette question, voir Maloney 2012).   2. Voir aussi McMillan (2013) « Measuring the Impact of Structural Change on Labor’s Share of Income », manuscrit non publié.   3. Nous tenons à remercier Danny Rodrik pour avoir bien voulu partager les données originelles et les codes Stata de Rodrik (2013) avec les auteurs. Nous y avons ajouté des caractéristiques relatives à la régression pour vérifier les différences de vitesse de convergence inconditionnelle dans le secteur manufacturier en Amérique latine. Les auteurs endossent la responsabilité de toute erreur éventuelle. Croissance économique et transformation structurelle 163   4. Chaque cellule du tableau représente le coefficient (et la valeur t) d’une régression. Dans tous les cas, la variable dépendante est le taux de croissance (annuel composé) de la productivité du travail des industries manufacturières du niveau de classification à deux chiffres. Les variables explicatives sont le log de la productivité du travail initiale et les effets fixes de l’année-secteur d’activité. La spécification de l’estimation de référence se compose d’un échantillon qui combine la période des 10 dernières années de chaque pays avec des données concernant le nombre maximum de pays couverts (118). Chaque pays intégrant l’échantillon avec environ 20 branches d’activité, le nombre total d’observations est de 2 122. La deuxième spécification restreint l’échantillon aux périodes de 10 ans intervenant après l’année 1990, tandis que la troisième est tout simplement un échantillonnage sur la période allant de 1995 à 2005. ANNEXE B Recensements et enquêtes auprès des entreprises : pays, périodes et secteurs couverts République arabe d’Égypte : recensement des établissements ; tous secteurs non agricoles ; aucune restriction quant à la taille des coupes transversales répétées, 1996 et 2006 ; recensement des établissements manufacturiers comptant au moins 10 employés, panel 2007–2011. Nous utilisons deux principales bases de données de recensement des entre- prises. Les données proviennent de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (ACMPS). Tout d’abord, le recensement des établis- sements englobe des informations relatives à l’emploi et aux caractéristiques de plus de 2 000 000 et 2 400 000 établissements économiques (non agricoles) pour les coupes transversales répétées en 1996 et 2006, respectivement. Il couvre tous les établissements économiques à emplacement fixe, indépendam- ment de leur taille ; il prend en compte les travailleurs indépendants. Ensuite, nous utilisons l’enquête annuelle sur la production industrielle entre 2007 et 2011, également obtenue auprès de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques. Cette enquête couvre toutes les entreprises survi- vantes comptant au moins 10 salariés dans les secteurs des industries manufactu- rières et extractives ainsi qu’un échantillon d’établissements de plus petite taille. Les données sont établies en panel pour que nous soyons en mesure de suivre chaque entreprise au fil du temps. Cependant, étant donné que nous n’observons que la cessation d’activité des entreprises en 2011, il nous est impossible de calcu- ler le taux de création-fermeture d’entreprises entre 2007 et 2010. L’enquête sur la production industrielle comprend diverses variables de production telles que la valeur ajoutée et le capital (immobilisations) qui nous permettent de calculer la productivité des entreprises. Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classification à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Pour plus de détails, voir Hussain et Schiffbauer (2014). Jordanie : recensement des établissements ; tous secteurs non agricoles ; aucune restriction quant à la taille, coupe transversale répétée, 2006, 2011 ; données en panel avec des poids d’échantillonnage disponibles pour 15 470 établissements. Les données du recensement des établissements sont obtenues de la direc- tion des statistiques de Jordanie. Le recensement englobe des informations sur l’emploi, le capital et les caractéristiques d’environ 150 000 établissements 165 166 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord économiques (non agricoles) en 1996 et 2006. Les informations sur la produc- tion des établissements (revenus) ne sont pas disponibles (les établissements n’indiquant que si leurs revenus se situent dans une certaine fourchette). Le recensement couvre tous les établissements économiques non agricoles à empla- cement fixe, indépendamment de leur taille ; il prend en compte les travailleurs indépendants. Les données en panel sont disponibles pour un sous-échantillon de 15 470 entreprises observées pendant les deux années indiquées ci-dessus. Nous n’observons donc pas les cessations d’activité. Les poids d’échantillonnage sont disponibles pour ces entreprises, ce qui nous permet de calculer l’évolution des variables entre 2006 et 2011 représentant toutes les entreprises (actives au cours de ces deux années). Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classification à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Pour plus de détails, voir Al-Kadi (2014). Liban : recensement des entreprises ; toutes les entreprises formelles des secteurs non agricoles disposant d’un numéro d’identification fiscale unique ; aucune restriction quant à la taille ; panel 2005–2010. Les données du recensement des entreprises sont obtenues auprès de la direc- tion des statistiques du Liban. Le recensement ne concerne que les entreprises disposant d’un numéro d’identification fiscale unique de l’administration fiscale fédérale. Il englobe des informations sur l’emploi, la valeur ajoutée, le capital, les salaires et les caractéristiques d’environ 150 000 établissements économiques (non agricoles) de 2005 à 2010 ; il couvre aussi les établissements du secteur privé à emplacement fixe, indépendamment de leur taille (y compris les travailleurs indépendants). Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classifi- cation à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Maroc : recensements des entreprises manufacturières, essentiellement celles comptant au moins 10 employés ; panel 1996–2006. La base de données utilisée provient de l’enquête annuelle menée par le ministère de l’Industrie et du Commerce. Cette enquête concerne toutes les entreprises manufacturières disposant d’au moins 10 employés ou affichant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 000 MAD (environ 11 000 dollars). Elle permet de recueillir des données sur un ensemble de variables relatives aux entreprises telles que le chiffre d’affaires, la production, la valeur ajoutée, les exportations, le coût brut de la main-d’œuvre, et le nombre d’employés perma- nents et temporaires. Elle ne prend pas en compte le capital (immobilisations). L’enquête couvre presque toutes les entreprises manufacturières dans tous les secteurs et toutes les régions du pays, environ 90 % des entreprises y partici- pant1. En moyenne 7 082 entreprises ont été interrogées chaque année pendant la période d’échantillonnage, parmi lesquelles 536 étaient de nouvelles entre- prises et 412 ont cessé leurs activités. Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classification à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Pour plus de détails, voir Sy (2013). Recensements et enquêtes auprès des entreprises : pays, périodes et secteurs couverts 167 Tunisie : recensement des entreprises ; tous secteurs non agricoles ; aucune restriction quant à la taille ; panel 1997–2012. Nous utilisons deux principales bases de données de recensement d’entreprises. Premièrement, le Répertoire national des entreprises, 1996–2010, est établi par l’Institut national de la Statistique. Ce répertoire s’appuie sur des informations provenant d’une multitude de bases de données administratives, dont celle de la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS), qui est la source des données sur l’emploi, ainsi que celle de l’administration douanière de Tunisie, du ministère tunisien des Finances et de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innova- tion de Tunisie, des bases de données qui contiennent des données sur toutes les entreprises enregistrées auprès des autorités fiscales (voir Institut national de la Statistique 2012 pour des informations détaillées sur l’établissement de ce répertoire). Le Répertoire comporte des informations notamment sur l’emploi, l’âge et le cœur de métier de toutes les entreprises non agricoles privées enregis- trées, à l’exception des coopératives. Le recensement concerne toutes les entre- prises non agricoles privées à emplacement fixe, indépendamment de leur taille ; il prend en compte les travailleurs indépendants. En 2010, les données du recensement contenaient des informations sur 102 660 entreprises ayant des employés et 501 746 entreprises supplémentaires sans salariés (travailleurs indépendants enregistrés). Deuxièmement, les données du Répertoire national des entreprises ont été fusionnées avec les données confidentielles du ministère tunisien des Finances relatives aux bénéfices et aux chiffres d’affaires, y compris les dossiers fiscaux des entreprises privées pour la période 2006–2010. Le plus petit échantillon de données fusionnées comprend des variables relatives à la production, telles que la valeur ajoutée et les bénéfices, mais pas le capital (immobilisations). Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classi- fication à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Pour plus de détails, voir Rijkers et al. (2014). Cisjordanie et Gaza : recensement des établissements ; tous secteurs non agricoles ; aucune restriction quant à la taille dans les coupes transversales répétées, 2004, 2007, 2012 ; recensement des entreprises manufacturières comptant au moins 10 employés, panel 2004–2012. Nous utilisons deux principales bases de données de recensement des entre- prises. Les données sont obtenues auprès de la direction des statistiques de la Cisjordanie (le Bureau central palestinien des statistiques). Tout d’abord, le recensement englobe les informations sur l’emploi et les caractéristiques de plus de 80 000 établissements économiques (non agricoles) en 2003, 2007 et 2012. Les informations sur l’âge des établissements (c.-à-d. l’année de création) ne sont pas disponibles. Le recensement concerne tous les établissements écono- miques à emplacement fixe, indépendamment de leur taille ; il prend en compte les travailleurs indépendants. Ensuite, nous utilisons l’enquête annuelle sur la production industrielle entre 2004 et 2012. Les données sont établies en panel pour nous permettre de suivre chaque entreprise au fil du temps. L’enquête sur la production industrielle comprend diverses variables relatives à la production, telles que la valeur ajoutée et le capital (immobilisations), qui nous permettent de calculer la productivité des entreprises. Nous avons utilisé le produit des secteurs 168 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord du niveau de classification à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Turquie : données sur l’emploi et les caractéristiques de toutes les entreprises ; aucune restriction quant à la taille dans les coupes transversales répétées de 2005 à 2010 ; panel annuel entre 2005–2010 avec des variables relatives à la production pour toutes les entreprises comptant au moins 20 employés. Les Statistiques annuelles sur les entreprises et les services (AISS) fournissent des informations détaillées sur les revenus, les coûts, l’emploi, l’investissement, les secteurs d’activité et la région d’implantation. Le recensement concerne plus de 2 400 000 entreprises non agricoles privées à emplacement fixe, indépen- damment de leur taille ; il prend en compte les travailleurs indépendants. Les AISS ne couvrent pas les secteurs suivants : Agriculture, chasse et sylvicul- ture (A), Pêche (B), Intermédiation financière (J), Administration publique et défense ; sécurité sociale obligatoire (L), Autres activités de services collectifs, sociaux et personnels (O), Ménages privés employant du personnel domestique (P), Organisations et organismes extraterritoriaux (Q). La base de données des AISS couvre des variables relatives à la production pour toutes les entreprises de 20 employés et plus, et un échantillon représentatif de petites entreprises de plus petite taille comptant 1 à 19 employés (les AISS fournissent des poids d’échantillonnage). Cependant, toutes les entreprises disposant de plus d’une usine (indépendamment du nombre d’employés) sont prises en compte dès lors qu’elles interviennent dans l’un des secteurs suivants : activités extractives (C), Production et distribution d’électricité, de gaz et d’eau (E) et transports, entre- posage et communications (I). La base de données des AISS ne contient pas d’informations sur les stocks de capital physique. Nous utilisons les provisions pour amortissement pour effectuer une imputation des stocks de capital au niveau de l’entreprise. Nous avons utilisé le produit des secteurs du niveau de classification à deux chiffres et les indices de prix de la valeur ajoutée pour ajuster la production et la valeur ajoutée. Pour plus de détails, voir Atiyas et Bakis (2014). Note   1. Le taux de réponse élevé peut être attribué à la rigueur avec laquelle est menée l’enquête. Chaque année, les entreprises reçoivent (par la poste) un questionnaire à remplir. Les entreprises qui ne remplissent pas ce questionnaire reçoivent par la suite la visite des agents du ministère de l’Industrie, du Commerce et de la Productivité (MICP) pour un entretien en face à face. ANNEXE C Part de l’emploi dans les grandes entreprises publiques et étrangères En Jordanie et, dans une moindre mesure, en Tunisie, la concentration relati- vement élevée de l’emploi dans les grandes entreprises s’explique en partie par les flux d’investissement direct étranger qui y sont plus importants. En effet, 19 % des grandes entreprises en Jordanie et en Tunisie appartiennent à des étrangers (figure C.1)1. Ces entreprises représentent respectivement 30 et 19 % des emplois créés par les grandes entreprises dans ces deux pays2. La contribution des grandes entreprises nationales privées à l’emploi total dans les établissements économiques en République arabe d’Égypte, Figure C.1 Nombre d’entreprises et d’emplois dans les établissements étrangers, privés nationaux ou publics a. Entreprises b. Emplois 100 100 80 80 Pourcentage Pourcentage 60 60 40 40 20 20 0 0 za e nie ie ie za e nie ie ie rab rab nis rqu nis rqu Ga Ga da da ea ea Tu Tu Tu Tu et et Jor Jor qu qu nie nie bli bli da da pu pu jor jor Ré Ré Cis Cis te, te, yp yp Ég Ég Étrangers Privés nationaux Publics Source : Calculs basés sur des données de recensement. Note : Les grandes entreprises comptent au moins 100  employés. Les établissements sont dits publics ou étrangers si au moins 10 % du capital est détenu par l’État ou des intérêts étrangers, respectivement. En République arabe d’Égypte, nous avons ajouté les établissements qui sont des succursales d’entreprises étrangères selon leur statut juridique. En Cisjordanie et Gaza, nous avons ajouté aux établissements publics les établissements ayant le statut juridique d’organisation non gouvernementale nationale ; ils constituent la majorité des établissements publics en Cisjordanie et Gaza. 169 170 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en Cisjordanie et Gaza est faible, même au regard des normes régionales. Ces entreprises ont représenté moins de 10 % de l’ensemble des emplois en Égypte et en Cisjordanie et Gaza vers la fin des années 2000 (figure C.1). La figure C.1 montre qu’environ la moitié seulement des quelques grands établissements implantés en Égypte en 2006 étaient des entreprises nationales privées. Par ailleurs, les entreprises publiques en Égypte représentaient encore 29 % de l’emploi total dans les grands établissements d’au moins 100 employés. En Cisjordanie et Gaza, la quasi-totalité des emplois attribués au secteur public relève des organisations non gouvernementales. Lues ensemble, les figures 1.6 et C.1 révèlent que la part des emplois dans les grandes entreprises nationales privées en Égypte et en Cisjordanie et Gaza est faible par rapport à leurs comparateurs de la région. Notes   1. Les entreprises publiques tunisiennes ne sont pas prises en compte ; elles sont, de toute façon, relativement peu nombreuses. Les établissements sont dits publics ou étrangers si au moins 10 % de leur capital est détenu par l’État ou des étrangers, respectivement. En Égypte, nous avons ajouté les établissements qui, selon leur statut juridique, sont des succursales de firmes internationales. En Cisjordanie et Gaza, les établissements ayant le statut juridique d’une organisation non gouverne- mentale sont comptabilisés avec les établissements publics (qui constituent la majorité des établissements publics en Cisjordanie et Gaza).   2. L’évolution des investissements directs étrangers en Jordanie et son effet sur l’emploi intérieur sont analysés en détail dans le chapitre 2. ANNEXE D Croissance de l’emploi durant le cycle de vie des entreprises : secteur manufacturier Figure D.1 Secteur manufacturier : croissance de l’emploi durant le cycle de vie de l’entreprise Emploi (1 pour la tranche d’âge de 0 à 4 ans) 8 6 4 2 0 0–4 5–9 10–14 15–19 20–24 25–29 30–34 35–39 ≥40 États-Unis Turquie Jordanie Tunisie République arabe d’Égypte Liban Source : Calculs basés sur des données de recensement. Note : Cette figure indique le nombre moyen d’employés pour des cohortes de différents âges d’établissements du secteur manufacturier (pondéré par la part de l’emploi des secteurs de niveau de classification à 4 chiffres suivant Hsieh et Klenow (2012). Le nombre moyen d’employés dans chaque cohorte d’âge a été normalisé à 1 pour la catégorie d’âge la plus jeune (0 à 4 ans). L’analyse pour la Turquie, la République arabe d’Égypte et le Liban repose sur des données de recensement de 2006, pour la Tunisie les données datent de 2009, et elles remontent à 2011 pour la Jordanie et à 2002 pour les États-Unis. Les résultats pour la Jordanie et la Tunisie sont similaires pour les autres années (2006, 2010 ou 2012). Nous avons exclu les deux plus grandes entreprises de la catégorie d’âge la plus ancienne en Jordanie (la ligne en pointillés représente la taille moyenne des entreprises lorsqu’on tient compte de ces valeurs aberrantes). 171 ANNEXE E Afflux d’IDE et emploi en Jordanie : analyse de régression Tableau E.1 Effets des externalités des IDE sur l’emploi, par caractéristiques des entreprises (2) (9) (1) Secteur (3) (4) (5) (6) (7) (8) Secteur (10) Variable Tous manufacturier Services Petite Grande Ancienne Jeune Tous manufacturier Services Part détenue par 0,000 0,000 −0,001 −0,001* −0,001 −0,002 0 0,000 0,000 −0,001 des entreprises étrangères 06 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 −0,001 Horizontale 06 −0,148** −0,048 −0,157 −0,157** −0,331* −0,338** −0,087 −0,117 −0,053 −0,171   −0,073 −0,093 −0,127 −0,077 −0,188 −0,158 −0,083 −0,073 −0,094 −0,126 En aval 06 0,111 −0,057 0,400** 0,078 0,157 0,006 0,163*         −0,075 −0,086 −0,166 −0,079 −0,205 −0,162 −0,084       En amont 06 0,023 −0,13 0,623** 0,027 −0,033 0,149 −0,033         −0,08 −0,097 −0,224 −0,084 −0,217 −0,187 −0,088       En aval               services 06 0,171** −0,022 0,605**                 −0,086 −0,135 −0,239 En amont               services 06 0,714** 0,347 1,076**                 −0,251 −0,736 −0,301 En aval               manufacturier 06 −0,07 −0,079 1,282*                 −0,092 −0,096 −0,704 En amont               manufacturier 06 −0,084 −0,142 1,120*                 −0,084 −0,099 −0,596 Constante 0,315** 0,264 −0,932** 0,204** −0,119 −0,107 0,068 0,276** 0,230 −1,132**   −0,069 −0,196 −0,217 −0,061 −0,219 −0,163 −0,08 −0,070 −0,200 −0,262 Observations 15 465 2 637 12 828 14 605 860 3 464 12 001 15 465 2 637 12 828 R2 0,01 0,019 0,013 0,011 0,085 0,023 0,012 0,012 0,019 0,013 Effets fixes branche d’activité Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Effets fixes région Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Niveau de signification : * = 10 %, ** = 5 %. 173 ANNEXE F Qualité de l’environnement des affaires et emplois au Maroc : données, méthodes et principales constatations Les données utilisées dans ce rapport proviennent de deux sources : le Recensement annuel du secteur manufacturier marocain et des enquêtes détail- lées menées par la Banque mondiale. Le Recensement annuel du secteur manufac- turier marocain couvre la période 1997-2004. Il englobe toutes les entreprises manufacturières quelle qu’en soit la taille. Il comprend des informations sur les ventes, la valeur ajoutée, le produit, les exportations, l’emploi, la date de création, l’emplacement, l’investissement et le code de la branche d’activité (niveau de classification à quatre chiffres) en utilisant la Nomenclature marocaine des activités économiques (NMAE). Pour un sous-ensemble donné d’entreprises, nous avons également accès à trois bases de données beaucoup plus détaillées : 1) l’enquête FACS, qui contient des données sur la production des années 1998 et 1999 (certaines données se rapportant à 1997), et des données relatives au cadre de l’activité économique pour 1998, 2) l’Évaluation du climat de l’inves- tissement (ICA) – 2004, qui contient des données sur la production pour les années 2000–2002 et des données relatives au cadre de l’activité économique pour l’année 2000, et 3) l’ICA–2007, qui contient des données sur la production et le cadre de l’activité économique pour les années 2002 et 2005. Les entre- prises couvertes par l’enquête FACS, l’ICA-2004 ou l’ICA-2007 sont toutes prises en compte dans le recensement. Afin de corriger la surreprésentation ou la sous-représentation possible des entreprises dans les échantillons de l’ICA et de l’enquête FACS, nous pondérons chaque entreprise interrogée dans le cadre de l’enquête FACS ou de l’ICA par la part du type d’entreprise correspondant dans le recensement. Les coefficients de pondération sont définis sur la base des 10 branches d’activité de la NMAE, de 10 régions et de trois catégories de taille utilisées dans les régressions. Ainsi, les résultats peuvent être interprétés comme une représentation favorable du secteur manufacturier au Maroc. Les enquêtes FACS et ICA portent sur les branches d’activité suivantes : produits alimentaires, textiles, habillement, cuir, produits chimiques, bois et papier, y compris l’édition, caoutchouc et plastiques, métallurgie et mécanique, et appareils électriques et électroniques. Ces enquêtes incluent la localisa- tion des entreprises avec sept zones géographiques distinctes recensées1. Les données contiennent un volume considérable de détails sur les variables relatives 175 176 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à la production, les caractéristiques des entreprises et des aspects du cadre de l’activité économique. Nous utilisons l’indice des prix à la production et l’indice de formation brute de capital fixe (niveau de codification à deux chiffres de la NMAE) pour exprimer la production, la valeur ajoutée et l’investissement en prix constants. Les données sur le stock de capital ne sont disponibles que pour les années 1997–2002 et 2005 dans les bases de données FACS et ICA, et pour les années 2003-2004 dans le Recensement. Pour déterminer le stock de capital pour les années restantes de l’échantillon, nous utilisons les données disponibles sur l’investissement et appliquons la méthode de l’inventaire permanent avec un taux d’amortissement du capital physique de 5 %. Après un nettoyage de la base de données, nous nous retrouvons avec un panel déséquilibré comprenant 35 534 observations et 6 119 entreprises2. Chaque entreprise apparaît dans l’échantillon pendant au moins trois années consécutives et neuf années au maximum (voir le tableau F.1). La fonction d’estimation est basée sur le modèle théorique de la croissance des entreprises proposé par Evans (1987). Nous modélisons la croissance des usines en fonction de l’âge et de la taille. Pour ce qui est de la croissance de l’emploi, nous utilisons le taux de création d’emplois en adoptant la méthodo- logie de Davis, Haltiwanger et Schuh (1996), ce qui nous donne la croissance de l’emploi au cours de l’année de création de l’entreprise et les destructions d’emplois qui se produisent lorsqu’une entreprise cesse ses activités. Vu l’objectif de notre analyse, outre l’âge et la taille, nous prenons également en compte l’orientation des échanges commerciaux qui augmente la part moyenne des exportations de l’entreprise, une variable indicatrice qui permet de déterminer si l’entreprise est détenue par des intérêts étrangers, le niveau de productivité et le niveau de concurrence au niveau des branches d’activité de la classification à quatre chiffres. L’équation de base de la régression prend par conséquent la forme suivante : JCRi (t , t + n ) = β1 + β 2 ln S i + β3Age i + β 4 AgeSQi + β5Trade i + β6 ForeignOwni + β7TFPi + β8 Herf i + d r + d s + u i i Où JCR est le taux de création d’emplois calculé ; In_S et Age se rapportent aux logarithmes de l’emploi total et de l’âge au début de la période ; AgeSq est l’âge au carré et représente la relation non linéaire entre cette variable et la crois- sance de l’entreprise. Trade est la part moyenne des exportations de l’entreprise (exp_share) sur la période de temps et ForeignOwn est une variable indica- trice qui est égale à 1 si l’entreprise fait état d’une part positive de capitaux étrangers au début de la période. Les estimations de la productivité totale des facteurs (TFP) sont calculées à l’échelle de l’entreprise en présence de choix d’intrants endogènes et de questions de sélection, en utilisant l’investissement comme variable représentative de la productivité non observable de l’entre- prise. Les estimations sont basées à la fois sur la méthode semi-paramétrique d’Olley et Pakes (1996, ci-après désignés OP) et sur les améliorations suggérées par Ackerberg, Caves et Frazer (2007, ci-après désignés ACF). Pour ce qui est du degré de concurrence (Herf), nous utilisons le recensement marocain pour Qualité de l’environnement des affaires et emplois au Maroc : données, méthodes et principales constatations 177 calculer les indices de Herfindahl tant au niveau des branches d’activité du niveau de classification à trois chiffres qu’au niveau des branches d’activité de la classifi- cation à quatre chiffres, et nous cherchons à déterminer la sensibilité des résultats à ces alternatives. Les variables indicatrices relatives au secteur (ds) et à la région (dr) sont ajoutées. Tableau F.1 Liste des variables relatives aux politiques réglementaires Variable Description Type Source Coût du crédit à long terme Taux d’intérêt sur la dette intérieure à long terme 440 C FACS Accès au crédit bancaire Dans quelle mesure est-ce un obstacle à la croissance de votre entreprise ? 684 0–4 ICA Traitement fiscal équivalent Les entreprises de votre secteur font-elles face à un traitement équivalent 668 0–1 FACS sur le plan fiscal  ? Règlement des différends Dans quelle mesure est-ce un obstacle à la croissance de votre entreprise ? 830 0–4 ICA Système judiciaire Dans quelle mesure est-ce un obstacle à la croissance de votre entreprise ? 684 0–4 ICA Délai d’attente de permis Quelle est la durée moyenne d’obtention d’un permis de bâtir ? 660 C ICA Nombre de permis requis Si l’entreprise a été créée en 1999, combien de permis étaient requis ? 575 C FACS pour créer une entreprise Contraintes administratives Nombre de permis requis chaque année pour fonctionner ? 488 C FACS Corruption Dans quelle mesure est-ce un obstacle à la croissance de votre entreprise ? 822 0–4 ICA Concurrence déloyale Dans quelle mesure est-ce un obstacle à la croissance de votre entreprise ? 684 0–4 ICA du secteur informel Nombre de concurrents Combien de concurrents comptez-vous pour votre produit principal ? 640 C FACS Ampleur de la concurrence Y a-t-il des entreprises étrangères parmi vos concurrentes au Maroc ? 667 0–1 FACS étrangère Note : C = en cours. Tableau F.2 Régression de la croissance de l’emploi avec les coefficients des variables relatives aux politiques publiques et à l’environnement des affaires Coefficient Petites Entreprises Grandes Jeunes Entreprises Variable dépendante : sans entreprises moyennes entreprises Startups entreprises anciennes croissance de l’emploi interaction (<=15) (10-100) (>100) (<=3) (4-10) (>10) Contraintes réglementaires Traitement fiscal équivalent 0,024 0,311** −0,132** Règlement des différends 0,010 0,053** 0,260** −0,173** Système judiciaire −0,005 0,275** −0,193** −0,048** Délai d’attente de permis −0,047** −0,050** −0,048** −0,041** −0,083** −0,063** Nombre de permis requis −0,011 0,088** −0,066** −0,033* pour créer une entreprise ? Contraintes administratives 0,010 0,019* −0,069** 0,088** Corruption −0,001 −0,059** 0,058** 0,238** −0,207** Concurrence Concurrence déloyale informelle −0,004 0,031** −0,030** 0,134** −0,112** Nombre de concurrents nationaux 0,001 0,012** 0,012** −0,002* Ampleur de la concurrence −0,058** 0,027* −0,086** −0,110*** −0,055** −0,086** étrangère Contraintes financières Coût du crédit à long terme −1,66** −0,958** −1,81** −2,26** 0,487* −2,16** −2,42** Accès au crédit bancaire −0,020 0,067** −0,044** −0,039** 0,152** −0,121** −0,061** Note : Les coefficients de toutes les variables figurent dans la première colonne. Toutefois, les coefficients des termes d’interaction ne sont indiqués dans les autres colonnes que lorsqu’ils sont significatifs. Niveau de signification : * = 10 %, ** = 5 %, *** = 1 %. 178 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Nous examinons ensuite le rôle des variables relatives à la concurrence et aux contraintes financières, commerciales et liées aux politiques publiques. Cet examen procède de deux étapes. Dans la première, nous appliquons une série de régressions où nous introduisons de façon progressive et séparée chacune des variables relatives à la concurrence et aux contraintes financières, commerciales et liées aux politiques publiques afin d’évaluer si globalement elles semblent être corrélées à la croissance de l’emploi. Dans la deuxième étape, nous reprenons chacune de ces variables et cherchons à déterminer si pour des « types » diffé- rents d’entreprises il existe une relation différente entre chaque variable et la croissance de l’emploi. Ici, nous répartissons les entreprises en différents types selon divers critères : par taille, âge, intensité de la part des exportations, appartenance à des intérêts nationaux ou étrangers, niveau de productivité, et degré de concurrence au Maroc, tels que mesurés par l’indice de Herfindahl. (Le tableau F.2 résume les principaux résultats ; il ne rend compte que des coefficients réels des termes d’interaction que lorsqu’ils sont significativement différents de zéro [d’un point de vue statistique.]) Notes  1. Grand Casablanca, Tanger-Tetouan, Rabat-Sale-Zemmour, Fès-Boulmane- Meknès, Oriental, Chaouia-Ouardigha et Agadir.   2. La procédure utilisée est proche de celle de Fernandes (2008), mais elle est moins restrictive. Notre nettoyage s’est fait en deux étapes. D’abord, nous avons éliminé de l’échantillon a) les entreprises qui n’ont jamais déclaré de ventes ou de coûts des matières (coûts des matières premières), b) les observations lorsque les exportations sont plus importantes que les ventes, et c) les observations où les taux de croissance en glissement annuel pour l’un des trois ratios (ventes/nombre total de travailleurs, coûts des matières/nombre total de travailleurs et capital/nombre total de travail- leurs) sont supérieurs (inférieurs) à 500 % (–500 %). Ces taux de croissance en glisse- ment annuel sont calculés à l’aide des variables constantes. Ensuite, nous avons toujours maintenu les entreprises qui cessent leurs activités à moins de trois années consécutives et nous avons laissé tomber les observations lorsque nous avions une année isolée. ANNEXE G Connexions politiques et croissance du secteur privé en République arabe d’Égypte Nous utilisons ce contexte macroéconomique quasi-expérimental pour détermi- ner si la croissance de l’emploi global sur une période de 10 ans allant de 1996 à 2006 a reculé après l’entrée d’entreprises ayant des connexions politiques dans des secteurs qui à la base sont libres de toute connexion politique (ouverts). Nous utilisons par conséquent la formulation ci-après de l’estimation de la différence dans la différence, où ΔYst mesure la croissance de l’emploi dans les secteurs du niveau de classification à quatre chiffres entre 1996 et 2006, PCEntry indique l’entrée des entreprises ayant des connexions politiques entre 1997 et 2007, NPC représente les secteurs où n’intervenaient pas les entreprises politiquement connectées avant 1997, X est une matrice de la variable de contrôle (emploi et âge), et S une matrice de variables indicatrices liées aux secteurs : bEPCEntrys,1997–2006 + bNNPCs,1996 DYs,2006–1996 =  + bEN(PCEntrys,1997–2006 * NPCs,1996) + bXXs,1996 + S + es,2006(G.1) Toutes choses égales par ailleurs, l’entrée des entreprises dans un secteur accroît toujours l’emploi dans ledit secteur indépendamment du fait que l’entreprise en question ait des connexions politiques ou pas. Ainsi, on s’attend à ce que l’entrée d’entreprises politiquement connectées entraîne une croissance de l’emploi dans le secteur, à moins que l’impact négatif de ces entreprises sur les possibilités de croissance que présentent les autres entreprises sans connexions n’entraîne la cessation ou la baisse de l’activité de ces dernières. Par contre, on ne s’attend pas à observer cet effet négatif (ou tout au moins on s’attend à ce qu’il soit moins prononcé) lorsque les entreprises ayant des connexions politiques font leur entrée dans des secteurs qui étaient déjà dominés les années précédentes par d’autres entreprises connectées politiquement. Par conséquent, la crois- sance globale négative de l’emploi après l’entrée des entreprises connectées politiquement dans des secteurs initialement ouverts signifie que la contraction de l’emploi dans les entreprises sans connexions politiques (qui ne peuvent pas soutenir la concurrence) dépasse toute création positive d’emplois par une ou plusieurs entreprises ayant des connexions politiques1. Le tableau G.2 montre 179 180 Emplois ou Privilèges : Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord Tableau G.1 Recul de la croissance de l’emploi après l’entrée des entreprises connectées politiquement dans des secteurs initialement libres de connexions politiques   Croissance de l’emploi, 1996–2006   Directeur général Propriétaire Général Entrée des entreprises connectées 32,2* 36,1** 7,15 10,3 4,83 4,40 politiquement (CP)   (1,95) (2,09) (0,84) (1,24) (0,99) (0,77) Sans connexions politiques   −6,32   15,1   −10,5 avant 1996     (−0,58)   (0,82)   (−0,67) (Entrée des entreprises CP)*   −24,8**   −18,7**   −14,96 (Sans connexions politiques   (−2,17)   (−3,47)   (−0,97) avant 1996) Ln(empl) −418** −401** −420** −382** −420** −376**   (−2,44) (−2,17) (−2,37) (−2,16) (−2,34) (−2,62) Âge 12,5 12,6 12,4 12,3 12,4 12,9   (1,57) (1,56) (1,51) (1,53) (1,51) (1,55) Nombre de secteurs 224 224 224 224 224 224 R2 0,161 0,163 0,155 0,159 0,048 0,160 Variables indicatrices relatives 1 chiffre 1 chiffre 1 chiffre 1 chiffre 1 chiffre 1 chiffre au secteur Niveau de signification : * = 10 %, ** = 5 %. Tableau G.2 Entrée des entreprises connectées politiquement dans des secteurs initialement libres de connexions politiques, 1997–2006 Classification à Dénomination du secteur 4 chiffres de (classification à 2 chiffres) la CITI Rév.3.1 Dénomination du secteur (classification à 4 chiffres) Autres activités extractives 1410 Extraction de pierres, de sables et d’argiles 1429 Activités extractives n.c.a Fabrication de produits alimentaires et de boissons 1551 Distillation, rectification et mélange de spiritueux 1552 Fabrication de vin et de cidre 1553 Fabrication de boissons alcoolisées à base de malt ; production de malt 1554 Fabrication de boissons non alcoolisées; production d’eaux minérales Fabrication de produits chimiques 2412 Fabrication d’engrais et de produits azotés Fabrication de produits métallurgiques de base 2720 Métallurgie et première transformation des métaux précieux et des métaux non ferreux Fabrication de machines et d’appareils électriques 3140 Fabrication d’accumulateurs et de piles électriques Fabrication d’équipements et appareils de radio, 3230 Fabrication de récepteurs de télévision et de radio, d’appareils télévision et communication d’enregistrement et de reproduction du son ou de l’image, et articles associés Fabrication de meubles 3691 Fabrication de bijouterie et d’articles similaires Récupération 3710 Récupération de déchets et débris métalliques 3720 Récupération de déchets et débris non métalliques Production et distribution d’électricité, de gaz, 4010 Production, collecte et distribution d’électricité de vapeur et d’eau chaude 4020 Fabrication de gaz; distribution par conduite de combustibles gazeux Captage, épuration et distribution d’eau 4100 Captage, épuration et distribution d’eau Commerce de gros et activités d’intermédiaires 5131 Commerce de gros de textiles, habillement et chaussures du commerce de gros 5141 Commerce de gros de combustibles solides, liquides et gazeux et de produits dérivés 5152 Commerce de gros de pièces électroniques et de communications Commerce de détail 5211 Commerce de détail en magasins non spécialisés, avec vente prédominante de produits alimentaires, boissons et tabac Transports par eau 6120 Transports par voies navigables intérieures Activités d’assurances et de caisses de retraite 6601 Activités d’assurances sur la vie Location de machines et d’équipements 7111 Location de matériel de transport terrestre Autres activités de services aux entreprises 7411 Activités juridiques 7430 Publicité Connexions politiques et croissance du secteur privé en République arabe d’Égypte 181 que plusieurs secteurs de l’économie qui ne comptaient auparavant aucune entreprise politiquement connectée ont vu ces types d’entreprises y faire leur entrée dans la période considérée. Le tableau G.1 résume les résultats de l’estimation de la différence dans la différence. Les colonnes 2 et 3 présentent les résultats de notre indica- teur le plus prudent, les entreprises gérées par un directeur général ayant des connexions politiques. Nous constatons que l’entrée d’entreprises ayant des connexions politiques dans un secteur marqué par les connexions politiques a entraîné la croissance de l’emploi, peut-être en raison de l’impact positif direct sur l’emploi du nouvel entrant qui a des connexions politiques. Plus important toutefois, on observe que la croissance de l’emploi global décline une fois que des entreprises ayant des connexions politiques font leur entrée des secteurs qui au départ n’étaient pas sous influence des connexions politiques ; le coefficient correspondant est significatif au niveau de 5 %. L’impact économique est consi- dérable. L’ampleur du coefficient correspondant indique que l’emploi global dans ces secteurs recule de 25 % au cours de la période décennale 1996–2006. Il convient de noter que les entreprises ayant des connexions politiques n’ont pas nécessairement fait leur entrée directement dans ces secteurs en 1997, et donc que la croissance de l’emploi a pu être positive au cours des années antérieures, mais qu’elle a ensuite reculé sensiblement en raison de la présence soudaine d’entreprises ayant accès aux privilèges offerts par des politiques publiques leur garantissant un avantage important au plan des coûts par rapport à leurs concurrents existants ou à de potentiels nouveaux entrants (ne disposant pas de connexions politiques). L’effet de croissance négative de l’emploi global après l’entrée d’entreprises connectées politiquement dans de nouveaux secteurs libres de connexions politiques est relativement important et significatif au niveau de 5 % lorsque nous limitons notre définition du copinage à des entreprises appar- tenant à des hommes d’affaires ayant des connexions politiques (colonne 5). Pour ce qui est de l’indicateur plus large de la connexion politique, qui inclut les entreprises bénéficiant d’investissements de fonds de placement privés politique- ment connectés, le coefficient pertinent du terme d’interaction reste négatif et d’ampleur comparable, mais non significatif aux niveaux conventionnels. Note   1. En général, nous ne faisons pas d’observation si d’autres entreprises de premier rang ayant des connexions politiques ont mené des activités dans ces secteurs « non connectés », mais en sont sorties avant 2006. Nous devons donc supposer, dans le cadre de cette quasi-expérience macroéconomique que, s’il a existé des entreprises de premier rang politiquement connectées n’ayant pas fait l’objet d’une observation qui ont été contraintes de cesser leurs activités avant 2006, alors elles n’ont pas été actives dans ces secteurs « non connectés ». Toutes les données probantes dispo- nibles montrent cependant que les privilèges accordés à travers les politiques publiques au secteur privé se sont accrus au lieu de s’amenuiser entre 1996 et 2006 (voir Demmelhuber et Roll, 2007 ; Roll, 2013) rendant moins probable la sortie des entreprises connectées politiquement. ÉCO-AUDIT Déclaration des avantages environnementaux La Banque mondiale s’attache à préserver les Économies réalisées : forêts menacées et les ressources naturelles. • Arbres : 10 Le Service des publications a décidé d’impri- •Énergie totale : mer le rapport intitulé Emplois ou privilèges : 5 millions Btu libérer le potentiel de création d’emplois au •Gaz à effet de serre nets : Moyen-Orient et en Afrique du Nord sur 0,605 kg papier recyclé constitué à 30 % de fibres •Eaux usées : 14,244 litres provenant de déchets de consommation •Déchets solides : 355,616 kg conformément aux normes recommandées par l’Initiative Green Press, programme sans but lucratif visant à encourager les éditeurs à utili- ser des fibres ne provenant pas de forêts menacées. Pour plus d’informations, se rendre sur le site www.greenpressinitiative.org. L e rapport intitulé Emplois ou Privilèges : libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord montre que les politiques publiques qui entravent la concurrence et fixent des règles de jeu inéquitables foisonnent dans la région MENA et constituent un obstacle majeur à la croissance du secteur privé et à la création d’emplois. Ces politiques revêtent des formes différentes d’un pays et d’un secteur à l’autre, mais elles ont plusieurs caractéristiques communes : elles restreignent le libre accès au marché intérieur, excluent certaines entreprises des programmes publics, augmentent les lourdeurs réglementaires et accroissent l’incertitude pour les entreprises qui n’ont pas de connexions politiques, préservent certaines entreprises et certains secteurs de la concurrence étrangère, et créent des incitations qui dissuadent les entreprises nationales d’entrer en compétition avec d’autres entreprises sur les marchés internationaux. Ce rapport montre que les politiques publiques en question sont souvent détournées par un petit nombre d’entreprises privilégiées ayant de très fortes connexions politiques, et se perpétuent en dépit de ce qu’elles coûtent à la société. De ce fait, alors qu’ils s’emploient à stimuler une croissance plus forte du secteur privé et à créer plus d’emplois, les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) sont confrontés à un choix crucial : promouvoir la concurrence, placer tous les entrepreneurs sur un pied d’égalité et démanteler le système actuel de privilèges dont bénéficient les entreprises ayant des connexions politiques ou alors maintenir le statu quo au risque d’entretenir la faible création d’emplois. Cependant, les millions de travailleurs, de consommateurs et la plupart des entrepreneurs qui supportent l’essentiel de ce coût n’ont pas souvent conscience des effets néfastes de ces politiques sur l’emploi et les perspectives économiques auxquelles ils aspirent. Ce manque d’information et de sensibilisation restreint les possibilités d’engager un débat interne et d’entretenir le dialogue nécessaire à toute réforme du système. ISBN 978-1-4648-0405-2 SKU 210405