BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN- ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA QUID DES PRIX DU PÉTROLE ? Numéro 7 Juillet 2016 BANQUE MONDIALE RÉGION MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉGION MENA QUID DES PRIX DU PÉTROLE ? © 2016 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 18 17 16 Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les avis de la Banque mondiale, de son Conseil d’administration ou des États que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données présentées dans cet ouvrage. 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REMERCIEMENTS Le Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA est produit par le bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Il complète la publication semestrielle de la Banque mondiale intitulée « Rapport de suivi de la situation économique dans la région MENA » par un examen en temps réel de pays ou de thèmes sélectionnés, reposant sur des données à haute fréquence. Ce bulletin a été préparé par Lili Mottaghi sous la direction de Shanta Devarajan, avec le concours de Maria Vagliasindi. Les auteurs remercient John Baffes, Sahar Sajjad Hussain, Tehmina S. Khan, Youssouf Kiendrebeogo, Nadir Mohammed, Alan Moody, Franziska Lieselotte Ohnsorge, Harun Onder et Dana Vorisek pour leurs précieuses observations sur la première version du document. Isabelle Chaal-Dabi, Nathalie Lenoble et Helen Marie Lynch ont apporté un excellent soutien administratif. Table des matières Introduction 1 Explication de l’effondrement des prix du pétrole en 2014 3 Le rôle de l’offre et de la demande 3 Volatilité des prix du pétrole 4 Stocks, prix et production de pétrole 8 Rééquilibrage du marché pétrolier 10 L’expérience des précédentes crises pétrolières 10 Comment et quand le marché se rééquilibre-t-il ? 15 Prix « seuil » d’équilibre du marché pétrolier 16 Réserves de pétrole de schiste 16 Prix du pétrole au seuil de rentabilité 16 Quelle est la « nouvelle norme » en matière de prix pétroliers ? 19 La nouvelle norme des prix pétroliers pourrait-elle modifier le contrat social dans les pays de la région MENA ? 25 Réaction de la région MENA à l’effondrement des prix du pétrole 25 Pays du CCG 26 Bahreïn 26 Koweït 27 Oman 28 Qatar 29 Arabie saoudite 30 Émirats arabes unis 31 Autres pays exportateurs de pétrole de la région MENA 32 Algérie 32 Iran 33 Iraq 33 Libye 34 Yémen 34 Diversification dans les pays du CCG 35 Partenariats public-privé (PPP) 35 Programmes de contributions prévues déterminées au niveau national (INDC) 36 Atténuation des changements climatiques 37 Adaptation aux changements climatiques 38 Bibliographie 40 Encadrés Encadré 1 Le rôle de l’Arabie saoudite en tant que « producteur d’appoint » 11 Encadré 2 Quelques éléments scientifiques sur l’exploitation des schistes bitumineux 18 Encadré 3 Conséquences du Brexit pour les prix du pétrole et les pays de la région MENA 24 Figures Figure 1 Évènements géopolitiques et économiques et cours du pétrole brut 5 Figure 2 Volatilité des prix du pétrole 6 Figure 3 Comparaison des stocks de Cushing et des prix du pétrole 8 Figure 4 Corrélation entre les prix et la production de pétrole (mai 1987 – janvier 2016) 9 Figure 5 Comparaison des prix du pétrole brut Brent (USD/baril) 13 Figure 6 Gains d’efficience des producteurs américains de pétrole de schiste 17 Figure 7 Prix du pétrole, réels et prévus 21 Figure 8 Exportations de pétrole en pourcentage des exportations de marchandises, 2013, et prix du pétrole 26 Tableaux Tableau 1 Volumes mondiaux de pétrole brut, en millions de barils/jour 14 Tableau 2 Estimations des prix au seuil de rentabilité des producteurs américains de pétrole de schiste 17 Tableau 3 Croissance économique et perspectives budgétaires 27 Abréviations AIE Agence internationale de l’énergie ARAMCO Société pétrolière d’État d’Arabie saoudite BJ Barils par jour CCG Conseil de coopération du Golfe CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques CGN Congrès général national CSC Capture et stockage du carbone é.d. Échelle de droite é.g. Échelle de gauche EIA Agence américaine pour l’information sur l’énergie EIU Economist Intelligence Unit FMI Fonds monétaire international GES Gaz à effet de serre GNL Gaz naturel liquéfié HCFC Hydrochlorofluorocarbones ICE Intercontinental Exchange IDE Investissement direct étranger ILS Innovative Lightening Solutions INDCS Contributions prévues déterminées au niveau national IPC Indice des prix à la consommation JCPOA Plan d’action conjoint complet KEEP Programme pour la maîtrise de l’énergie (Bahreïn) KWD Dinar koweïtien LGN Liquides de gaz naturel LYD Dinar libyen MENA Moyen-Orient et Afrique du Nord MTCO2E Millions de tonnes équivalent dioxyde de carbone NDIC North Dakota Industrial Commission NYMEX New York Mercantile Exchange OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OMR Rial omanais OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole PAPE Premier appel public à l’épargne PIB Produit intérieur brut PME Petites et moyennes entreprises PPP Partenariat public-privé TVA Taxe sur la valeur ajoutée UE Union européenne WTI West Texas Intermediate Introduction Depuis septembre 2014, les prix mondiaux du pétrole brut ont dégringolé de plus de la moitié, pour tomber à un nouveau plancher de 30 dollars le baril (Brent) en février 2016. Depuis lors, ils se sont redressés à 50 dollars le baril en mai par suite de perturbations de l’offre au Nigéria et au Canada et de la hausse saisonnière de la demande estivale. Cette récente reprise ne s’est pas maintenue, les stocks mondiaux restant très supérieurs aux moyennes historiques ; l’Iran et l’Iraq augmentent leur production tandis que la Russie et l’Arabie saoudite, entre autres, produisent plus que jamais depuis janvier 2016. Même si la relance perdure, il y a peu de chance de voir les prix remonter aux niveaux à trois chiffres enregistrés durant 2011-2013 étant donné les comportements radicalement différents des acteurs du marché. En particulier, avec 4200 puits inactifs (reliquat de puits non fracturés) et un temps de réaction de quatre à six mois pour augmenter ou réduire la production — par opposition à plusieurs années pour les producteurs conventionnels — l’industrie américaine des schistes bitumineux pourrait se révéler le producteur marginal. En outre, l’Arabie saoudite semble avoir renoncé à son rôle de producteur d’appoint chargé d’absorber les fluctuations de l’offre et de la demande mondiales. Il est clair que le marché pétrolier est entré dans une nouvelle norme. Ce rapport vise à expliciter les facteurs qui sous-tendent cette nouvelle norme afin de discerner l’évolution future des cours mondiaux du pétrole et leurs conséquences pour les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Nous tentons d’abord d’expliquer l’effondrement des prix de 2014, en soulignant l’aggravation notable de l’ampleur et de la fréquence de la volatilité des cours qui l’a précédé. Cette volatilité a ensuite favorisé l’accumulation des stocks que de nombreux observateurs, dont l’Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA), attribuent à la chute des prix du pétrole. Vu que dans le passé, les périodes d ’effondrement des prix ont duré plus longtemps que les flambées, nous suggérons que la situation actuelle pourrait perdurer étant donné les comportements nouveaux des intervenants du marché et le fait que la demande globale est faible et ne montre aucun signe de reprise à court terme. En effet, nous constatons que la corrélation jusqu’ici positive entre la production et les cours du pétrole est désormais négative : une baisse des prix pétroliers donne lieu à une augmentation de production. S ’il n’y a pas de sursaut de la demande1, cette situation pourrait se traduire par un accroissement des stocks pétroliers dans les années à venir. La conjonction de ces constats nous incite à penser que le marché mondial du pétrole se maintiendra dans la situation actuelle de surapprovisionnement pour se rétablir au début des années 2020 à des prix d’équilibre proches du coût marginal du dernier producteur (les 1 Selon des estimations préliminaires de la Banque mondiale, le récent vote du Royaume-Uni en faveur de sa sortie de l’Union européenne (UE) occasionnera probablement un ralentissement supplémentaire de la croissance mondiale. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 1 producteurs américains de pétrole de schiste ou autre producteur d’appoint). Les prix du pétrole devraient alors se situer dans la fourchette de 53 à 60 dollars le baril. Une hausse supérieure à ce dernier chiffre encouragerait la réalisation de nouveaux forages, avec pour conséquence un nouvel engorgement ; une chute des prix en deçà de la limite inférieure ferait obstacle à la pénétration sur les marchés. Néanmoins, de nombreux risques empêchent encore de déterminer le moment où les marchés retrouveront leur équilibre, vu que l’on s’attend à un ralentissement de la demande (voir la note 1) et à une surabondance persistante des stocks pétroliers. Les producteurs pétroliers de la région MENA auront du mal à s’adapter à la nouvelle norme, car ces nouveaux prix sont très inférieurs à ceux nécessaires pour équilibrer leurs budgets. Les prix au seuil de rentabilité ont notablement augmenté avec le temps du fait de l’importance des investissements publics engagés pendant les années de prospérité, surtout après le Printemps arabe de 2011, époque à laquelle les gouvernements des pays exportateurs et importateurs de pétrole ont augmenté leurs aides et la masse salariale du secteur public. Citons par exemple le programme d’aides sociales de l’Arabie saoudite, à hauteur de 93 milliards de dollars. Portés par les envois de fonds et l’assistance des pays exportateurs de pétrole, des pays importateurs comme la Tunisie et l’Égypte ont également relevé les allocations sociales et les salaires de la fonction publique. L’effondrement des prix du pétrole en 2014 a modifié ce tableau. La manne pétrolière a permis de financer le contrat social entre l’État et les citoyens, les subventions du carburant et de l’alimentation, la gratuité des soins de santé et de l’éducation, les subsides et les emplois publics permettant d’étouffer la grogne sociale et de moins rendre des comptes (Devarajan et Mottaghi, 2015). Or, cette manne se raréfie. Dans l’ensemble de la région, les gouvernements adoptent des mesures longtemps jugées impensables, comme la fiscalité, la suppression du carburant subventionné et la réduction de l’emploi et des salaires dans la fonction publique. Les pays exportateurs de pétrole ont quasiment tous éliminé les subventions de carburant, d ’électricité, de gaz et d’eau (Devarajan et Mottaghi, 2016). Même des pays importateurs, comme le Maroc, l’Égypte et la Jordanie qui ont commencé à réformer les subventions en 2014, renoncent désormais à la fixité des prix du carburant sur le marché intérieur au profit de prix alignés sur les cours mondiaux. Nombre d’entre eux réduisent les dépenses publiques et certains, comme l’Algérie, ont gelé les embauches dans le secteur public. Le Maroc et plusieurs pays du CCG ont mis en place des mesures d’amélioration du rendement énergétique, réduisant ainsi leurs émissions de carbone. Si ces réformes sont poursuivies, elles pourraient améliorer l ’efficience économique des pays de la région MENA dans les années à venir. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 2 Explication de l’effondrement des prix du pétrole en 2014 Pour mieux comprendre l’évolution possible des cours du pétrole dans les années à venir, nous commençons par examiner les facteurs à l’origine du marasme actuel. Malgré l’extrême volatilité des prix à court terme, sur le long terme (les quatre dernières décennies), le marché pétrolier n’a connu que cinq épisodes majeurs d’expansion et de récession2. Les trois grandes flambées des cours ont toutes duré six ans en moyenne. En 1974, le prix du Brent a quadruplé (sous l’effet de l’embargo arabe sur le pétrole) par rapport à son niveau de 2,80 dollars le baril l’année précédente. Ils ont encore triplé en moins de six ans, atteignant 32 dollars le baril en 1979, en raison des tensions géopolitiques provoquées par la révolution iranienne et le déclenchement de la guerre Iran-Iraq. Ils se sont ensuite globalement maintenus à ce niveau avant de plonger de plus de la moitié en 1986. Ils n’ont entamé leur reprise qu’en 2005, doublant leur niveau de 1999 pour dépasser 100 dollars le baril pendant une période de trois ans, 2011-2013. Les trois booms pétroliers étaient essentiellement dus à l’actualité géopolitique et aux craintes d’une interruption brutale de l’offre. Deux chocs importants se sont produits en 1986 et 2014 : le premier a duré 18 ans et le second est toujours en cours après presque trois ans. Ces deux récessions étaient liées à l’offre et faisaient suite à une hausse de production de la part de pays non membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ainsi qu’aux mesures prises par les pays de l’OPEP pour tenter de conserver leurs parts de marché, tout cela dans un contexte de demande atone. Outre ces deux chocs, un bref effondrement tiré par la demande s’est produit au début de la grande récession de 2008, mais les prix ont rapidement rebondi sous la poussée de la demande mondiale de carburant. Le rôle de l’offre et de la demande. Une analyse plus fine du recul des cours du pétrole en 2014 met en évidence le rôle prépondérant de de certains facteurs. La demande de pétrole est restée faible durant les deux dernières années compte tenu du ralentissement dans les pays d’Europe et d’Asie. La demande chinoise — qui s’est accrue en 2013 à hauteur de la consommation totale du Japon et du Royaume-Uni — est brusquement retombée en 2014 sous l’effet du fléchissement économique de la Chine, outre celui de l’Europe et de certains autres pays d’Asie. À partir d’un simple modèle économétrique, Hamilton (2015) a montré que l’effondrement des prix pétroliers entre septembre et décembre 2014 peut être attribué à hauteur d ’environ 42 % à la chute de la demande mondiale face au ralentissement de la croissance en Europe et dans certains pays d’Asie. Du côté de l’offre, le marché pétrolier s’est retrouvé saturé par une offre excédentaire 2 Voir également l’étude de cas sur les précédents chocs pétroliers et le rôle des facteurs d’offre et de demande dans la plongée des prix du pétrole, par Baffes, Kose, Ohnsorge et Stocker (2015). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 3 d’environ 1,5 million de b/j qui ne va pas se tarir de sitôt compte tenu des facteurs qui seront examinés ci-après. Volatilité des prix du pétrole. L’offre et la demande de pétrole sont dictées par des conditions marchandes autant que non marchandes qui ne sont pas prédéterminées, d’où l’extrême volatilité des cours du pétrole par rapport à toutes les autres matières premières. Plus que les autres produits, le pétrole est souvent utilisé à des fins d’investissement financier, d’opérations de couverture et de spéculation. Le rôle prééminent de l’Intercontinental Exchange (ICE)3 de Londres et du New York Mercantile Exchange (NYMEX) dans la négociation des contrats à terme de deux qualités de brut — West Texas Intermediate (WTI) et brut de Mer du Nord — conditionne les attentes quant aux prix du pétrole. L’ampleur des contrats à terme passés par les spéculateurs pour l’achat de brut crée une demande supplémentaire qui peut pousser les prix à la hausse, tout comme la demande physique sur les marchés au comptant. L’attente de prix plus élevés dans les contrats à terme incite les compagnies pétrolières à acheter davantage de pétrole pour le stocker, ce qui augmente les fluctuations de la demande, la volatilité et la constitution de stocks. De plus, le pétrole a servi d’outil de politique internationale et joue actuellement un rôle stratégique dans la politique étrangère des principaux producteurs pétroliers. L’embargo arabe de 1973, la révolution iranienne en 1979, la guerre Iran-Iraq en 1980 et l’embargo récemment décrété par les États-Unis d’Amérique et l’Europe contre l’Iraq, l’Iran et la Libye n’en sont que quelques exemples. Entre 1970 et 2010, on compte au moins douze événements qui ont façonné les chocs sur le marché pétrolier (voir la figure 1). La valeur du dollar É.-U. est un autre facteur négativement corrélé avec les prix du pétrole. L’affaiblissement du dollar (devise de dénomination des prix pétroliers) peut pousser les prix à la hausse, tandis qu’un dollar fort peut avoir l’effet inverse. Pour rendre compte de l’ampleur de la volatilité des marchés pétroliers, nous avons calculé un indice de volatilité pour la période 1946-2016 d’après des données mensuelles sur les prix réels du baril de Brent. La figure 2 illustre l’indice obtenu, qui représente l’écart-type des prix mensuels du pétrole sur six mois, reporté sur les autres périodes. L’indice de volatilité des prix tend à prendre la forme d’une équation polynomiale de troisième degré, qui présente le meilleur ajustement avec le diagramme de dispersion (ligne noire, figure 2). 3 À Londres, ICE Futures a commencé en janvier 2006 à négocier des contrats à terme de WTI, un type de produit brut et livré aux États-Unis d’Amérique. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 4 Figure 1. Évènements géopolitiques et économiques et cours du pétrole brut Prix WTI du pétrole crude brut WTI oil prices $ par baril 140 11 120 100 80 4 10 60 9 40 6 7 12 3 5 20 1 2 8 0 1968 1969 1971 1972 1974 1975 1977 1978 1980 1981 1983 1984 1986 1987 1989 1990 1992 1993 1995 1996 1998 1999 2001 2002 2004 2005 2007 2008 2010 2011 2013 2014 2016 Ces événements sont : 1 – Épuisement des capacités disponibles américaines, 2 – Embargo arabe sur le pétrole, 3 – Révolution iranienne, 4 – Guerre Iraq-Iran, 5 – Abandon par l’Arabie saoudite de son rôle de producteur d’appoint, 6 – Invasion du Koweït par l’Iraq, 7 – Crise financière asiatique, 8 –Réduction de 1,7 million de barils par jour des objectifs de production par l’OPEP, 9 – Attentats du 11 septembre, 10 – Faiblesse des capacités disponibles, 11 – Crise financière mondiale, 12 – Réduction de 4,2 millions de barils par jour des objectifs de production par l’OPEP Sources : Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) et Thomas Reuters. Dernière mise à jour : 06/30/2016, données trimestrielles. Nota : Les prix réels du pétrole sont calculés au moyen de l’IPC global, 2010=100. L’évolution illustrée à la figure 2 met en évidence une stabilité apparente du marché pétrolier pendant la période 1946-1970. À cette époque, le pétrole n’était pas utilisé à des fins politiques ou spéculatives. La volatilité s’est installée après 1970, avec cinq flambées des cours entre 1970 et 1991, pour ensuite se stabiliser4. Si on interrompt la période considérée à 1991, on peut observer que les flambées intervenues entre 1972 et 1991 suivent l ’évolution du cycle des affaires (d’une périodicité d’environ six ans), un schéma qui se modifie à mesure que l’on s’approche de la période actuelle. La volatilité commence à augmenter brutalement en 2006, pour atteindre un pic en 2008, année qui marque la plus forte envolée de la volatilité des 43 dernières années. Cela pourrait tenir à l’imprévisibilité des prix à terme et au fait que les cours pétroliers ne réagissent pas seulement à l’ampleur de l’offre et de la demande, mais aux 4 L’aggravation de la volatilité a imposé la mise en place de mécanismes permettant aux producteurs et aux consommateurs de se prémunir contre cette instabilité, d’où les contrats bilatéraux, les contrats à terme et les contrats d’options qui n’ont fait qu’ajouter à la complexité du marché. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 5 incertitudes du marché, aux appétits divers et variés des investisseurs et à des événements géopolitiques et économiques particuliers qui se sont produits pendant cette période. Figure 2. Volatilité des prix du pétrole 20 y = 1E-12x3 - 7E-08x2 + 0.0017x - 13.579 15 R² = 0.4516 Indice de volatilité des prix du pétrole 10 5 0 1/1/1946 7/1/1948 1/1/1951 7/1/1953 1/1/1956 7/1/1958 1/1/1961 7/1/1963 1/1/1966 7/1/1968 1/1/1971 7/1/1973 1/1/1976 7/1/1978 1/1/1981 7/1/1983 1/1/1986 7/1/1988 1/1/1991 7/1/1993 1/1/1996 7/1/1998 1/1/2001 7/1/2003 1/1/2006 7/1/2008 1/1/2011 7/1/2013 1/1/2016 Sources : Banque mondiale et MACROTRENDS. Le schéma de la volatilité se transforme à mesure que l’on avance au-delà de 2008, l’indice présentant une tendance à la hausse de la fréquence comme de la rapidité. En 2005 et 2006, l’indice s’établissait en moyenne autour de 4,3 %, tandis qu’il grimpait à 15,5 % en 2008. Une forte volatilité s’est maintenue par la suite, surtout au dernier trimestre de 2014, où elle est restée à deux chiffres, une tendance qui a perduré jusqu’en 2015. Au premier trimestre de 2015, l’indice de volatilité grimpe en flèche comme l’atteste le pic important illustré à la figure 2. Parallèlement, on observe une chute brutale du prix au comptant. Une comparaison des deux périodes d’effondrement des cours laisse à penser que la volatilité est bien supérieure — en fréquence autant qu’en rapidité — après 2014 qu’à l’époque de la crise pétrolière de 1986 où l’indice de volatilité se situait en moyenne à 3,5 %. La volatilité, les taux de production et le niveau des stocks sont interdépendants5. La volatilité a une incidence sur les stocks et vice-versa. Dans un article de mai 2016, l’EIA concluait que les 5 Les stocks ont habituellement pour but de répondre aux fluctuations de la demande. La notion de « réserves stratégiques » a été introduite pour la première fois à la suite du choc pétrolier des années 70. Les réserves stratégiques de pétrole avaient pour objet de maintenir les approvisionnements durant les périodes de « perturbations de l’offre » (Krapels, 1980). À l’heure actuelle, les stocks ont une visée spéculative (c’est -à-dire Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 6 stocks de brut étaient l’une des raisons à l’origine de la volatilité des cours du pétrole. Parallèlement, Pindyck (2004) avance que les fluctuations de la volatilité peuvent affecter la valeur marginale des stocks, à savoir le coût d’opportunité d’une production immédiate plutôt que tardive. Les producteurs compétitifs maintiennent des stocks dans le but de réduire les coûts d’ajustement de la production. À partir d’un modèle structurel de la production de trois matières premières sur deux marchés, Pindyck explique en quoi la volatilité, les taux de production et les niveaux des stocks sont interdépendants. Il démontre que les modifications des cours (qu’elles soient dues aux fluctuations de la demande nette ou à d’autres causes, comme les ventes et les achats spéculatifs) provoquent des variations de la consommation et de la production. Ainsi, une volatilité accrue des prix occasionnera une plus grande volatilité de la production et de la consommation, d’où une poussée de la demande en capacités de stockage ; quel que soit le niveau de stockage, les intervenants du marché voudront augmenter leurs stocks afin d’absorber les fluctuations de la production et de la consommation, avec pour résultat une hausse de la demande de stocks. Les données historiques tendent à valider le second argument. Les stocks pétroliers détenus à Cushing, Oklahoma6 — où sont fixés les prix du brut WTI pour les contrats à terme — et les cours du WTI pour la période de janvier 2014 à mars 2016 sont illustrés à la figure 3. Les prix sont négativement corrélés au volume des stocks de brut de Cushing. Durant cette période, les stocks ont brutalement diminué et les prix du pétrole ont atteint leurs niveaux record, à plus de 100 dollars le baril. La cherté des prix ayant encouragé l’exploitation, les producteurs conventionnels et les producteurs américains de pétrole de schiste ont tous deux augmenté leur production, les seconds plus rapidement que les premiers. Comme on l’a déjà signalé, c’est à cette époque que le schéma de la volatilité des prix du pétrole s’est radicalement transformé. L’incertitude croissante semble avoir provoqué une volatilité accrue sur les marchés, d ’où la constitution massive de stocks. Très simplement, un marché plus volatil stimule la demande de stocks pour faire face aux perturbations du marché. En novembre 2014, la décision de l’OPEP de maintenir sa production a provoqué une poussée de volatilité, suivie de quelque autres pics qui ont entraîné une forte augmentation des stocks pétroliers en avril 2015. Bien que les stocks aient progressivement diminué en avril et en juin, la tendance à la hausse a perduré jusqu ’en février de cette année. Pour mieux comprendre la corrélation entre la volatilité, les niveaux des stocks lorsqu’on prévoit une hausse des cours par rapport à leurs niveaux actuels), d’où un accroissement de la demande de stocks. 6 Cushing, dans l’Oklahoma (États-Unis d’Amérique) est le plus grand centre de stockage pétrolier de la planète, avec une capacité opérationnelle de 73 millions de barils, soit environ 13 % des stocks américains. Chaque semaine, des contrats à terme sont négociés pour plus de 3 milliards de barils de WTI. Quelques-uns de ces contrats donnent effectivement lieu à des livraisons physiques, mais la plupart se rapportent à des ventes à terme (Source : Oilprice.com). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 7 et les taux de production, nous examinons ci-après la corrélation entre les cours et la production de pétrole. Stocks, prix et production de pétrole. Sur les marchés pétroliers, les prix d’équilibre correspondent à l’intersection des courbes de l’offre et de la demande. Étant donné la nature du pétrole, il y a un écart entre la modification des cours et les ajustements de la production et de la consommation. En d’autres termes, la demande et l’offre de pétrole ne sont pas élastiques à court terme. Plusieurs facteurs, tels que le niveau des capacités de réserve ou des stocks, peuvent expliquer pourquoi les prix sont moins élastiques à l’offre et à la demande pendant des périodes particulières. Selon les estimations, l’élasticité va de -0,05 à court terme à -0,30 à long terme pour ce qui est de la demande, tandis que pour l’offre, elle varie entre 0,04 (court terme) et 0,35 (long terme). Les estimations de l’Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) et de System Sciences Inc. donnent des courbes d’offre moins élastiques, 0,02 à court terme et 0,10 à long terme. Figure 3. Comparaison des stocks de Cushing et des prix du pétrole Indice de l’état comparatif des stocks (1 er janvier 2016 = 1) et Indice de volatilité des prix du pétrole (12 février 2015 = 1) Prix du WTI (é.g.) Baisse des stocks Avril- Juin Réunion de l’OPEP du 28 Prix du WTI (USD/baril) novembre 2014 Hausse des prix Avril-Juin État comparatif des stocks de Cushing (é.d.) Sources : EIA et Labyrinth Consulting Services, Inc. Sources : EIA et Labyrinth Consulting Services, Inc. Pour expliquer le comportement des producteurs sur le marché à un moment donné, nous avons construit la ligne de tendance des prix et de la production de pétrole à partir de données mensuelles couvrant la période de mai 1987 à janvier 2016 où des données étaient disponibles. La figure 4 trace la production pétrolière mondiale (en millions de b/j) par rapport aux cours du Brent (USD/baril) d’après les données observables. À quelque moment que ce soit, le prix d’équilibre reflète l’intersection des courbes de l’offre et de la demande. La ligne de tendance Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 8 prend la forme d’une équation polynomiale de sixième degré qui présente le meilleur ajustement avec le diagramme de dispersion (ligne noire – figure 4)7. L’examen de la figure 4 fait ressortir trois phases distinctes : avant 2004, la courbe de tendance est plate, une légère hausse des prix ayant provoqué une forte intensification de la production, ce que l’on peut expliquer par le comportement de l’OPEP et, plus particulièrement, la position unique de l’Arabie saoudite qui a joué le « producteur d’appoint » en absorbant les fluctuations de l’offre et de la demande pour assurer la stabilité du marché et des cours (voir l’encadré 1). De 2004 à la première moitié de 2014, la pente de la courbe de tendance devient beaucoup plus abrupte, et les petites hausses des prix ne sont pas associées à des accroissements correspondants de la production. Figure 4. Corrélation entre les prix et la production de pétrole (mai 1987 – janvier 2016) 140 y = -6E-06x6 + 0.0019x5 - 0.2414x4 + 15.553x3 - 499.18x2 + 6385.1x R² = 0.8682 120 Prix au comptant du Brent (mensuellement – USD/baril) 100 80 60 2004 40 20 0 55 60 65 70 75 80 85 Production de pétrole, millions de barils par jour Source : Données de l’EIA et de Ycharts. Nous constatons également une ampleur accrue de la volatilité des prix pétroliers après 2004, qui atteint son maximum en 2008 (voir la figure 2). La flambée des prix pétroliers du premier semestre de 2008 peut s’expliquer par les mouvements haussiers de la demande, la production n’ayant pas réagi assez rapidement à l’évolution correspondante des prix. En effet, les membres de l’OPEP n’avaient pas les capacités suffisantes — après plusieurs années d’investissements limités — pour combler l’écart grandissant entre la demande mondiale et l’offre des pays non membres de l’OPEP. L’effondrement des prix au deuxième semestre de 2008 tient à une chute 7 Le polynôme de sixième degré présentait un meilleur ajustement avec les données, comme le montre la forte valeur de R2 qui avoisine les 90 %. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 9 marquée de la demande alors que la crise financière frappait l’économie mondiale. On voit donc que les fluctuations de la demande de pétrole constituent le principal facteur à l ’origine des fortes variations des prix pétroliers pendant la période considérée. Ce qui rend la courbe de tendance intéressante est sa soudaine inversion à compter de septembre 2014 où la chute des prix a donné lieu à un accroissement de l’offre (voir la figure 4). C’est la situation actuelle des marchés pétroliers où la production augmente tandis que la demande stagne. Du fait des rigidités à court terme et du coût élevé des ajustements, les producteurs — surtout ceux qui produisent à coût élevé — continuent de produire jusqu’à ce que leurs recettes tombent en deçà du coût marginal de production. Ils s’efforcent de couvrir au moins leurs coûts variables (par opposition aux coûts fixes), lesquels présentent des variations considérables, de 5 dollars le baril en Arabie saoudite à 60 dollars, voire davantage, pour les producteurs américains de pétrole de schiste non conventionnel (voir la section sur les coûts et les prix du pétrole au seuil de rentabilité). Rééquilibrage du marché pétrolier Maintenant que l’on a une idée plus claire des facteurs qui ont contribué à la chute des prix du pétrole après 2014, peut-on déterminer combien de temps les cours resteront en berne ? Pour répondre à cette question, nous examinons tout d’abord l’expérience des précédentes crises pétrolières pour revenir à la situation actuelle et aux facteurs qui conduiront le marché pétrolier à s’équilibrer. L’expérience des précédentes crises pétrolières. Comme nous l’avons déjà indiqué, les phases de contraction durent plus longtemps que les périodes d ’expansion, ce qui tient au manque d’élasticité de la pente de la courbe de l’offre, surtout à court terme (voir la figure 4 par exemple). Les producteurs de pétrole (à la différence d’autres produits) ne réagissent pas forcément à la baisse des cours en réduisant leurs approvisionnements (voir la section précédente). Au contraire, pendant les périodes d’effondrement, certains des producteurs à coûts élevés (pétrole non conventionnel) vont avoir tendance à accroître leur offre, juste pour couvrir leurs coûts d’exploitation et leur fort endettement. De la même façon, vu leurs faibles coûts d’exploitation, les producteurs classiques tendent à maintenir leurs parts de marché en produisant plus. Ainsi, les pays membres de l’OPEP ont parfois ignoré leurs quotas et produit plus que leurs seuils plafond pour conserver leurs parts de marché. L’Iraq et l’Arabie saoudite ont accru leur production en juin 2015, les deux pays ayant augmenté leurs forages, d’où un dépassement d’environ 1,28 million de b/j de la limite de 30 millions de b/j définie par l’OPEP. Une offre abondante dans un contexte de demande atone a pour effet de tirer les prix encore plus bas. Lorsque cette situation perdure, les périodes de contraction durent plus longtemps que les phases d’expansion. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 10 Encadré 1. Le rôle de l’Arabie saoudite en tant que « producteur d’appoint » L’importance du comportement de l’OPEP, de son fonctionnement et, plus important encore, de la prédominance de l’Arabie saoudite a donné lieu à de très nombreux travaux de recherche. Dans les études publiées, on trouve deux catégories de modèles visant à expliquer le comportement des pays membres de l’OPEP. Il y a tout d’abord ceux qui qui ne considèrent pas l’OPEP comme un cartel de producteurs pétroliers de différentes tailles, et ne voient donc pas l’Arabie saoudite comme « producteur d’appoint ». Deux modèles appartiennent à cette catégorie, le modèle du cartel monolithique de Gilbert (1978), Pindyck (1978) et Salant (1976), et le modèle compétitif de MacAvoy (1982). Les études de la seconde catégorie examinent le rôle de producteur d’appoint de l’Arabie saoudite qui domine la prise de décision au sein de l’OPEP et, partant, les cours du pétrole sur le marché international. En dépit de résultats inégaux, les modèles faisant de l ’OPEP un monopole qui fixe les prix du pétrole, surtout pendant les années 70, 80, 90 et 2000, semblent être bien suivis. Ainsi, le modèle de Gilbert (1978) considère l’OPEP comme le producteur dominant, le leader de Stackelberg et le monopole, tandis que les autres producteurs sont preneurs de prix. Appliquant la nouvelle théorie empirique de l’organisation industrielle, Böckem (2004) conclut que l’OPEP a le comportement d’un monopole, les autres fournisseurs étant des preneurs de prix. Huppmann et Holz (2012) examinent dans quelle mesure l’Arabie saoudite intervient comme leader de Stackelberg au sein de l’OPEP selon plusieurs scénarios de pouvoir de marché allant de la concurrence parfaite au cartel. Ils ont mis au point un modèle de simulation numérique qui autorise la possibilité d ’interactions stratégiques entre les intervenants. Le modèle montre que si l’Arabie saoudite agit comme leader de Stackelberg, elle produit à pleine capacité, bénéficiant ainsi d’un effet conjugué de volume et de prix. Ce résultat incite fortement à conclure que l’Arabie saoudite a effectivement dominé le marché mondial du pétrole brut avant la crise actuelle. Qu’est-ce qui a changé depuis la chute des cours de septembre 2014 ? L’un des problèmes au sein de l’OPEP tient au fait que ses membres ont triché sur leurs quotas de production. Les choses se sont encore aggravées depuis 2014, l’Iraq étant en train de rebâtir sa capacité de production tandis que l ’Iran entend répondre aux sanctions en inondant le marché avec 1 000 000 de barils/jour (b/j) supplémentaires. L’Iran envisage en fait de doubler sa production en la portant à six millions de barils/jour d’ici la fin de la décennie. Il faudrait une réduction de 1,5 million de b/j pour équilibrer l’offre excédentaire sur le marché, soit l’équivalent d’une baisse de production de 5 % de la part des pays membres (la production totale de l’OPEP se situe à environ 32 millions de b/j). Dans ce petit jeu, si Riyad conservait son rôle de leader en tant que « producteur d’appoint » et absorbait les fluctuations de l’offre, ce sont eux qui feraient les frais de la baisse de production, comme dans le passé, et ils se retrouveraient avec une production moindre que celle des autres membres, dans un contexte déjà caractérisé par la faiblesse des prix pétroliers, ouvrant ainsi la voie à des tensions financières à long terme. Au lieu de cela, l’Arabie saoudite semble s’être résolue à maintenir ses parts de marché plutôt que de s’acharner à rester à la tête de l’OPEP. En outre, l’industrie américaine du pétrole de schiste a déjà démontré qu ’elle détenait une énorme capacité de réserve qui lui permet de réagir rapidement et efficacement aux turbulences du marché (voir la section sur le rééquilibrage du marché pétrolier). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 11 Le comportement des producteurs pétroliers et la rapidité avec laquelle ils réagissent aux perturbations du marché déterminent la durée des phases d’effondrement. À la différence de la chute des cours de 1986 où l’OPEP, et plus particulièrement l’Arabie saoudite, dictaient les mouvements des prix pétroliers sur le marché, ce sont aujourd’hui les producteurs américains de pétrole de schiste qui sont les producteurs d’appoint (voir l’encadré 1). Par comparaison avec la lenteur de réaction de la production de pétrole conventionnel (souvent plusieurs années), les producteurs américains disposent d’une importante capacité de réserve et peuvent réagir aux fluctuations du marché en peu de temps (fréquemment dans les six mois) 8. De nombreux puits sont inactifs. D’après des données recueillies par Bloomberg Intelligence, on comptait aux États- Unis d’Amérique à la fin de 2015 environ 4290 puits non achevés, dont 30 % se trouvaient dans deux zones d’exploitation des schistes bitumineux, à Bakken, et dans le Bassin permien à l’ouest du Texas et au Nouveau-Mexique. Les puits inactifs permettent aux producteurs américains d’augmenter ou de réduire leur production plus vite que les producteurs de pétrole conventionnel lorsque les prix approchent du point de bascule qui déclenche ou interrompt la production. Selon des données de Baker Hughes, il ne restait en 2016 qu’environ 489 tours de forage en activité, soit un quart du record d’installations atteint en 2014, ce qui a provoqué une chute de 10 % de la production pétrolière américaine en moins d’un an. Une comparaison des périodes d’effondrement des cours de 1986 et de 2014 révèle des éléments intéressants sur la durée des phases de contraction. La figure 5 trace la tendance des prix durant ces deux périodes. Les deux courbes de tendance suivent le même schéma. Si l’expérience passée a valeur de référence, on peut raisonnablement conclure que la crise actuelle des prix du pétrole durera plus longtemps que prévu et qu’elle perdurera probablement jusque dans la prochaine décennie. 8 La différence entre les gisements de pétrole conventionnel et non conventionnel tient à la technologie utilisée pour l’exploitation des seconds, à savoir la fracturation hydraulique et le forage horizontal. Les technologies classiques permettent de réaliser des forages à terre, à faible profondeur (moins de 300 mètres), en eau profonde (entre 300 et 800 mètres) et très profonde (au-delà de 800 mètres de fond). Toutes ces méthodes conventionnelles ont en commun la verticalité des forages (en mer comme à terre) jusqu’à atteindre un réservoir (gisement pétrolifère), le pétrole étant ensuite pompé à l’intérieur d’un puits. Ce système nécessite des investissements colossaux su r des périodes de 5 à 10 ans, de l’extraction à la production, sans compter l’entretien du gisement et des installations. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 12 Figure 5. Comparaison des prix du pétrole brut, prix du Brent (USD/baril) Source : Thomson Reuters Datastream. Note : L’axe des abscisses donne le nombre de semaines avant/après le début de la chute des prix. Comme il a été dit plus haut, l’effondrement brutal des prix pétroliers en 2014 était dû à la forte volatilité observée après 2008, avec un sommet en 2014 qui a provoqué une accumulation des stocks à un moment où la demande ne suivait pas (du fait du ralentissement économique mondial, notamment en Chine). Le marché va donc se rétablir à un prix d’équilibre correspondant à une baisse de la production et des stocks ou à une reprise de la demande (ou aux deux). Ces facteurs sont examinés de façon plus detaillée ci-dessous. S’agissant de l’offre, il est peu probable que les producteurs de l’OPEP conviennent de réduire leur production, l’Arabie saoudite ayant abandonné la souplesse de son rôle de stabilisateur des marchés pour privilégier le maintien de sa part de marché (voir l’encadré 1). Tout comme les autres membres de l’OPEP et la Russie qui veulent préserver leurs parts de marché, l’Arabie saoudite continuera probablement de produire au niveau actuel, voire davantage (voir la dernière section sur les réactions des pays de la région MENA en réponse à la baisse des prix du pétrole). L’Iran et l’Iraq ont déjà relevé leur production et la Libye pourrait bien reprendre sa place sur le marché si les tensions s’apaisent. De plus, l’Arabie saoudite ayant de faibles coûts d’exploitation, de l’ordre de 5 à 10 dollars le baril, sa production demeure rentable même aux bas prix actuels. Par conséquent, une baisse de production ne pourrait venir que des producteurs d’appoint, un rôle actuellement assumé par les producteurs non conventionnels, particulièrement l’industrie du pétrole de schiste. Ces compagnies appliquent un « prix de bascule » à partir duquel elles augmentent ou réduisent rapidement la production (voir la section suivante). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 13 En outre, il faut une reprise soutenue de la demande pour stimuler les prix et réduire la volatilité. D’après des estimations de l’EIA, la demande a augmenté lentement en mai 2016 et les prix du Brent se sont redressés à environ 50 dollars le baril pendant ce mois — sous l’effet d’une interruption de l’offre au Canada, au Nigéria et ailleurs et de l’accroissement saisonnier de la consommation — pour atteindre un nouveau sommet à 53 dollars le baril pendant la première semaine de juin. Toutefois, cette reprise n’a pas perduré en raison de l’importance des stocks excédentaires — près de 1,5 million de barils — et les prix du Brent sont retombés à 49,3 dollars le baril le 15 juin. L’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui est basée à Paris, estime que la demande de pétrole ne devrait pas se redresser au-delà des stocks disponibles d’ici 2019 (tableau 1). Tableau 1. Volumes mondiaux de pétrole brut, en millions de barils/jour 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Demande mondiale 94,4 95,6 96,9 98,2 99,3 100,5 Offre hors OPEP 57,7 57,1 57,0 57,6 58,3 58,9 Brut OPEP* 32,0 32,8 33,0 33,0 33,2 33,5 OPEP : LGN, etc. 6,7 6,9 7,0 7,1 7,1 7,1 Offre mondiale totale * 96,4 96,7 97,0 97,8 98,7 99,5 Évolution implicite des 2,0 1,1 0,1 -0,4 -0,7 -1,0 stocks Source : AIE. Rapport 2016 sur les perspectives à moyen terme du marché pétrolier : *Production réelle de l’OPEP en 2015. Prend pour hypothèse une augmentation de la production iranienne en 2016 en réponse aux sanctions, et introduit les ajustements nécessaires pour tenir compte de l’évolution ultérieure des capacités de l’OPEP. Il y a une possibilité que la demande reprenne et que les prix rebondissent dans un contexte d’offre excédentaire, mais cela dépendra de l’élasticité revenu de la demande puisque la courbe de l’offre est particulièrement inélastique, même à long terme (voir la figure 4). Une amélioration des perspectives de l’économie mondiale pourrait stimuler la demande de pétrole, ce qui pousserait les prix à la hausse. Néanmoins, les préoccupations liées au changement climatique, les actifs échoués et la question des énergies renouvelables pourraient peser sur la rapidité de la reprise de la demande. De manière générale, les décideurs sont convenus qu’il est souhaitable de maintenir le réchauffement climatique mondial à moins de 2 degrés Celsius au-delà des températures moyennes dans le monde à l’époque préindustrielle. S’ils donnent suite à cette mise en garde, un tiers des réserves pétrolières, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves actuelles de charbon devront rester inexploitées de 2010 à 2050 pour ne pas dépasser la cible de Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 14 2 degrés Celsius9. En d’autres termes, la plupart des réserves pétrolières de la planète resteraient en terre. Il serait donc logique que les producteurs pétroliers vendent leurs réserves au maximum au préalable. Or, toute décision visant à extraire plus pour vendre immédiatement ne ferait qu’aggraver la saturation actuelle du marché des produits pétroliers. C’est dans ce contexte que nous examinons maintenant l’époque et le prix auxquels le marché devrait s’équilibrer. Comment et quand le marché se rééquilibre-t-il ? Selon l’un des scénarios, l’engorgement actuel du marché va aller en s’amenuisant à mesure que les producteurs pétroliers à coûts élevés, comme les producteurs américains de pétrole de schiste, quittent le marché et/ou que les membres de l’OPEP conviennent de réduire leur production. Dans ce scénario, les prix du pétrole se redressent, peut-être après un certain temps, même si la demande demeure atone. Toutefois, comme nous l’avons évoqué plus haut, plusieurs facteurs — notamment le retour de l’Iran sur le marché pétrolier, les réactions stratégiques des autres membres de l’OPEP, les tentatives de la Russie pour préserver sa part de marché et le prix où l’industrie américaine du pétrole de schiste devient rentable (voir la section ci-dessous) —freineront probablement la reprise des prix au moins jusqu’à 2018. Les dernières données de l’IEA indiquent que les pays producteurs de pétrole de la région MENA ont atteint des niveaux historiques supérieurs à 31 millions de barils/jour, la majorité de la production provenant de l’Arabie saoudite, de l’Iraq et de l’Iran. Depuis la levée de l’embargo sur ses exportations de pétrole, l’Iran a augmenté sa production d’environ 750 000 b/j. Selon des données récentes du Ministère du pétrole, les exportations iraniennes de brut ont atteint 2,1 millions de b/j en avril 2016, contre environ 1 million de b/j à l’époque des sanctions. Les décideurs ont fait savoir que cette politique serait maintenue jusqu’à ce que l’Iran ait regagné sa part de marché d’avant les sanctions. Par ailleurs, le pays a des coûts d’exploitation très faibles qui lui permettent de se maintenir sur le marché pendant un certain temps, voire d ’accroître sa production pour compenser la baisse des prix du pétrole. En l’absence d’un relèvement de la demande, cela ne fera qu’accroître des stocks déjà élevés. Selon l’EIA, les stocks mondiaux ne commenceront à montrer des signes de fléchissement qu’en 2018 et 2019, ce qui pourrait aider les prix à rebondir durant la première moitié de 2019, la hausse devant s’accélérer vers la fin de la décennie (voir la section suivante). Le contexte actuel des cours du pétrole a eu une incidence négative sur l’investissement pétrolier. On estime à 42 % la réduction de l’investissement total du secteur en 2015 et 2016. Selon l’IEA, environ la moitié de cette baisse est imputable à l’Amérique du Nord. Si le niveau des prix reste bas pendant un certain temps, on n’assistera probablement pas au cours des deux prochaines années à une reprise significative de l’investissement. D’après les prévisions de l’EIA, 9 D’après une étude de McGlade C. et Ekins, P. (2015), Nature 517, pp. 187-190, janvier. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 15 la production de pétrole étasunienne devrait s’établir en moyenne à 8,6 millions de b/j en 2016 et 8,2 millions de b/j en 2017. Vu l’offre excédentaire actuelle, cela pourrait ne pas suffire à relever les prix en 2017, voire 2018. En conséquence, les stocks mondiaux devraient continuer de croître tout au long des deux prochaines années si la demande n’évolue pas. La conjugaison de tous ces facteurs permet d’avancer qu’il y a de fortes chances que le marché s’équilibre à la fin de 2019. Prix « seuil » d’équilibre du marché pétrolier Lorsque le marché se stabilisera, à quel niveau se situeront les prix d ’équilibre du pétrole ? En d’autres termes, quel est le prix qui est suffisamment faible pour ne pas provoquer une hausse de la production américaine de brut — permettant ainsi d’absorber l’offre excédentaire — tout en restant supérieur au seuil de rentabilité de ces entreprises ? Quels sont les « prix de seuil » qui incitent les producteurs américains de pétrole de schiste à intensifier leur production ? La réponse à ces questions dépend de plusieurs facteurs. Réserves de pétrole de schiste. L’existence et l’accessibilité d’importantes réserves de schistes bitumineux et la capacité des industriels du secteur à réagir sans tarder aux mouvements du marché influenceront la hausse des cours mondiaux du pétrole. Selon des estimations de l ’EIA, la production de pétrole de schiste pourrait atteindre jusqu ’à 14 millions de b/j d’ici 2035 (par rapport à 8,7 millions en 2015), soit 12 % de l’offre mondiale totale de pétrole. Compte tenu de la place croissante qu’occupe le pétrole de schiste sur le marché pétrolier, même si une reprise des prix s’amorçait (comme cela s’est produit depuis avril 2016), les analystes ne croient pas à un retour aux prix à trois chiffres atteints durant la période de 2011-2013. Cela tient à l’évolution des comportements de l’OPEP et des producteurs américains non conventionnels ainsi qu ’à la rapidité avec laquelle ces derniers réagissent aux déséquilibres du marché. Une série de faits intervenus au sein de l’industrie américaine de pétrole de schiste et de gains d’efficience10 (voir l’encadré 2) ont conduit ces producteurs à contrer rapidement les perturbations du marché tandis que l’OPEP en est restée simple spectateur (voir l’encadré 1). Prix du pétrole au seuil de rentabilité. Par comparaison avec les producteurs du Moyen-Orient comme l’Arabie saoudite, les producteurs américains de pétrole de schiste ont un seuil de rentabilité bien plus élevé. Même si l’industrie a réalisé des gains d’efficience, les prix de rentabilité varient de manière importante selon la région considérée (voir le tableau 2), allant de 30 dollars à environ 60 dollars le baril dans certains comtés tels que Eagle Ford. En effet, le prix de rentabilité est très largement fonction des coûts de forage, de l’achèvement des puits et de la quantité de pétrole qu’ils produisent au bout du compte. La production d’un puits peut varier 10 En 2013-2014, il fallait environ 22 ou 23 jours pour mener à bien le forage d’un puits, une période qui a été réduite de moitié (10 ou 11 jours). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 16 considérablement sur quelques kilomètres seulement, ce qui explique la gamme très étendue des estimations de prix au seuil de rentabilité pour un seul et même producteur. La figure 6 présente des estimations de diverses sources concernant les prix d’équilibre sur des cycles longs. Parmi les principaux intervenants du marché, ce sont notamment Permian Midland, Niobrara Shale et Eagle Ford qui accusent les plus fortes baisses. Au final, les prix d’équilibre s’établissaient en moyenne autour de 60 dollars le baril au troisième trimestre de 2015, soit un recul de plus de 40 % entre 2013 et 2015. Ils pourraient descendre encore davantage compte tenu des gains d’efficience et de l’amélioration des techniques de forage et d’extraction. Tableau 2. Estimations des prix au seuil de rentabilité des producteurs américains de pétrole de schiste Région Date Source Estimations Bakken 3ème trimestre 2015 North Dakota Industrial 30-45 USD Commission (NDIC) Bakken 3ème trimestre 2015 Banque fédérale de 53 USD réserve du Minnesota Eagle/Permien 1er trimestre 2016 Bloomberg Intelligence 23-59 USD Régions multiples 3ème trimestre 2015 Banque fédérale de 60 USD réserve de Kansas City Régions multiples Récent Wells Fargo 25-46 USD Toutes les régions Récent Rystad Energy 36 USD Source : Conseil d’administration de la Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique, mars 2016. Figure 6. Gains d’efficience des producteurs américains de pétrole de schiste du pétrole Breakeven Prix d’équilibreWellhead Oil Prices à la tête de puits, by Plan par année and Spud Year, de planification U.S. et de Dollar en dollar US démarrage, Permian Midland Permian États-Unis Tight,Tight, Midleand US Permian Permian Tight,Tight, Delaware Delaware US États-Unis 2015 Niobrara Shale, Niobrara États-Unis Shale, US 2014 2013 Eagle Eagle Ford Ford Shale, Shale, US États-Unis Bakken Bakken Shale, Shale, US États-Unis 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Source : Conseil d’administration de la Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique, mars 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 17 Encadré 2. Quelques éléments scientifiques sur l’exploitation des schistes bitumineux Les schistes bitumineux contiennent une substance appelée kérogène, un matériau organique dont le pétrole est extrait. Le kérogène ne peut pas être pompé dans un gisement comme on le ferait pour le pétrole. En effet, les roches bitumineuses doivent être chauffées pour permettre l’écoulement du pétrole. Le liquide recueilli est transformé en pétrole brut synthétique qui peut être traité dans les raffineries de pétrole existantes. On commence par forer un puits vertical, on interrompt le forage juste au-dessus de la zone ciblée où le forage est poursuivi horizontalement à l’intérieur de la formation de schiste visée. Une fois que le puits est foré, on le fracture par des procédés hydrauliques pour permettre l’écoulement du pétrole et du gaz vers le puits et la surface. La fracturation hydraulique est une technique de stimulation de puits permettant de fracturer la roche au moyen d’un liquide sous pression. Ce procédé repose sur l’injection à haute pression d’un « fluide de fracturation » en quantité suffisante pour obtenir un débit adéquat de gaz de schiste, de gaz étanche, de pétrole de schiste et de méthane de houille. La durée totale des travaux de forage et d’aménagement d’un puits dépend de la profondeur visée, de la longueur du forage latéral et des conditions géologiques rencontrées. Un puits de faible profondeur, soit 4270 mètres, prend environ quatre semaines à forer, tandis qu’à 6700 mètres, il faut compter environ cinq semaines. À la différence des puits de pétrole conventionnel, la durée de vie d’un nouveau puits est de deux ans. Sa production chute de 70 % la première année et de 50 % les années suivantes. Un puits peut donc être fracturé jusqu’à 18 fois pour maintenir sa production. Contrairement aux puits de pétrole conventionnel qui prennent des années à forer et à produire, la production américaine de pétrole de schiste nécessite des délais bien moindres, probablement de l’ordre de deux à quatre mois du forage à la production, ce qui laisse aux industriels la souplesse nécessaire pour réagir sans tarder aux perturbations du marché. L’industrie du schiste a récemment bénéficié de plusieurs avancées technologiques, dont :  Le forage horizontal. Les puits classiques sont forés à la verticale, mais depuis les années 80, les techniques employées sur des puits commerciaux toujours plus nombreux permettent de forer d’abord à la verticale, puis en angle, puis horizontalement sur un ou plusieurs kilomètres. Cette technique a ceci d’avantageux qu’elle permet d’exposer une zone bien plus importante dans une couche de roche pétrolifère.  La fracturation hydraulique en plusieurs étapes. La fracturation hydraulique consiste à pomper un produit de fracturation (eau, sable et substances chimiques) dans un puits afin d ’ouvrir de petites crevasses qui permettent l’écoulement du pétrole ou du gaz. Le procédé est utilisé depuis les années 40. Les améliorations technologiques ont permis d’exploiter des schistes jusque-là rebelles d’abord pour le gaz, puis pour le pétrole.  Les foreuses-vélocipèdes. Les foreuses les plus modernes peuvent se déplacer de trou en trou sur des pieds trapus, ce qui les rend plus adaptables et plus faciles à déplacer.  Les agents de soutènement. On utilise du sable dans les fluides de fracturation pour maintenir ouvertes les fractures créées dans la roche et permettre ainsi l’écoulement du pétrole et du gaz. Les sociétés testent divers agents de soutènement, tels que les céramiques, qui pourraient donner de meilleurs résultats. Sources : Média et Ft.com, 24 avril 2015. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 18 On trouve plusieurs estimations des prix d’équilibre des producteurs de pétrole de schiste. Selon celles de Bloomberg New Energy Finance, il faudrait un retour sur investissement de 10 % pour maintenir les niveaux actuels de production, mais de 20 % pour les augmenter. En appliquant ces taux, ils déterminent le prix nécessaire dans chaque région pour obtenir ce retour sur investissement. Selon leurs calculs, les compagnies américaines du pétrole de schiste s’écrouleront si les prix du pétrole restent inférieurs à 50 dollars le baril pendant plus d’un an. D’après Wood Mackenzie, les 50 premières compagnies pétrolières cotées en bourse devraient s’équilibrer à 53 dollars le baril. Quelle est la « nouvelle norme » en matière de prix pétroliers ? La trajectoire des prix pétroliers fait l’objet de prévisions régulières, mais les résultats sont souvent incertains et inexacts, avec d’importantes erreurs de prévision. La plupart du temps, les chocs pétroliers ne sont absolument pas prévus, comme en 1986 et dans le cas du plus récent effondrement des prix, en 2014, que les prévisionnistes n’ont pas vu venir. Étant donné les incertitudes qui pèsent sur l’offre et la demande de pétrole, les attentes des négociants quant aux conditions du marché et le fait qu ’il existe déjà des séries de prévisions, nous avons réuni les estimations de différents prévisionnistes, y compris des institutions financières internationales et des acteurs du marché à terme. Les prévisions des cours du pétrole de la Banque mondiale, du FMI et de l’Economist Intelligence Unit (EIU) sont présentées à la figure 7, panneau du haut. Les dernières prévisions de prix pour 2017 (datant d’avril 2016) vont de 41 dollars (FMI pour le brut au comptant) à 60 dollars (EIU, pour le Brent), les estimations de la Banque mondiale se situant à 50 dollars le baril. Bien sûr, ces chiffres évolueront car ils ont déjà été considérablement révisés au cours des derniers mois. Afin de minimiser les erreurs de prévision, nous avons calculé une moyenne simple des prix prévus par la Banque mondiale, le FMI et l’EIU pour la période de 2016 à 2020. Selon nos estimations, les prix du pétrole devraient atteindre 50,3 dollars le baril en 2017, pour passer à 57,1, 59,1 et 60,4 dollars le baril en 2018, 2019 et 2020 respectivement. Les estimations des intervenants du marché à terme et celles de Consensus Economics pourraient aussi fournir des indications sur l’orientation des prix du pétrole à court terme. Sur le marché à terme, les prix sont ceux que l’acheteur et le vendeur conviennent d’appliquer à la livraison à une date ultérieure, et ils reflètent les attentes des investisseurs quant à l’évolution des prix du pétrole. La trajectoire des cours inclut généralement des primes de risque aussi importantes que volatiles — définies comme étant la différence entre les prix à terme et les prix au comptant prévus dans les enquêtes de Consensus Economics — mais ces primes sont proches de zéro en moyenne (Lettre économique de la Banque fédérale de réserve de San Francisco, 2005). Les données montrent que les contrats négociés sur le marché à terme pour une livraison en décembre 2020 sont basés sur un prix de l’ordre de 58,3 dollars le baril (figure 7, panneau du bas, diagramme de droite). Consensus Economics publie les prévisions individuelles et consensuelles Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 19 sur les prix du brut (et d’autres matières premières) de 25 prévisionnistes économiques et financiers réputés du monde entier. La moyenne des prévisions est illustrée au panneau inférieur gauche de la figure 711. Si l’on considère la trajectoire des prix pétroliers à terme et des prévisions consensuelles, tout porte à croire que le marché ne s’équilibrera pas avant au moins 2020. À l’époque de ce rééquilibrage, le prix d’équilibre devrait être de l’ordre de 53 dollars à 60 dollars le baril (voir la figure 4). Cette fourchette pourrait également s’appliquer aux prix au seuil de rentabilité dans les régions productrices de pétrole de schiste (voir le tableau 2). On a souvent avancé que des prix d’environ 50 dollars le baril pourraient faire basculer la situation, à savoir justifier une intensification des forages. En Oklahoma et au Texas, certains puits deviennent rentables à 50 dollars le baril. Si les prix du pétrole s’établissent à ce niveau, l’exploitation pourrait reprendre lentement, même si le forage de nouveaux puits ne suffirait pas à endiguer le fléchissement de la production pétrolière américaine. Il faudrait des prix plus élevés pour stimuler une reprise de la production. À 60 dollars le baril, des puits beaucoup plus nombreux seraient remis en exploitation et les investissements dans de nouveaux puits se redresseraient aussi. Le rééquilibrage interviendra s’il y a augmentation régulière de la demande future ou réduction soutenue de l’offre future (ou dans les deux cas). S’agissant de la demande future, l’accroissement de la demande de pétrole des pays asiatiques hors OCDE revêt une importance capitale. Ces pays, notamment la Chine, devraient constituer le gros de la croissance de la demande de pétrole, les volumes nécessaires devant passer de 23,7 millions de b/j en 2015 à 28,9 millions de b/j en 2020 selon l’AIE. La croissance de la Chine continuera de jouer un rôle central étant donné la hausse concomitante de sa demande de pétrole et la constitution des réserves stratégiques chinoises qui atteindront au moins 500 millions de barils d’ici 2020. D’après des projections de Platts China Oil Analytics, la croissance annuelle des importations de brut entre 2015 et 2020 s’établira en moyenne à environ 5,5 %, soit 10,5 millions de tonnes par an ou, en gros, 210 000 b/j, essentiellement à des fins de constitution de stocks. 11 Les prévisions consensuelles de Consensus Economics, Inc. synthétisent les estimations des prix du pétrole de 25 éminents prévisionnistes économiques et financiers, à savoir CIBC, Lloyds Bank, Barclays Capital, Citigroup UBS, TD Economics, Moody’s Analytics, Macquarie, Crédit Suisse, Investec Econ Intelligence Unit, P K Verleger, Capital Economics, Bank of China International, BNP Paribas, JP Morgan, Ministère australien de l’industrie, Morgan Stanley, Société générale, GKI Research, Euromonitor, International Oxford Economics Commonwealth Bank, Banco de Credito del Peru. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 20 Figure 7. Prix du pétrole, réels et prévus $ per USD barrel par baril 120 (Brent (brut crude) Brent) 100 clearing d’équilibre du marché 80 estimé (Threshold) prices market Prix (seuil) 60 Estimated 40 Actual Réel (EIA) (EIA) World Bank Banque mondiale FMI IMF EIU 20 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Sources : Banque mondiale, FMI, Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) et Economist Intelligence Unit (EIU). Note : les prévisions du FMI relatives au pétrole brut sont une moyenne des prix à terme du Brent britannique, Dubaï et West Texas Intermediate calculée pour différents contrats et dates de publication des prévisions. La prévision de la Banque mondiale relative au prix du pétrole est basée sur les prix au comptant. Toutes les prévisions datent d’avant le Brexit. Prévisions du consensus, prix du brut Brent (USD/baril) Consensus Forecast, Brent Crude ($ per barrel) Moyenne de 25 prévisionnistes internationaux Prix Brent Crude du à terme Prices,USD/baril brut Brent, Futures S per barrel Mean for 25 International Forecasters 70 80 60 60 50 40 Limite Limite Consensus (moyenne) Consensus (Mean) haute High basse Low 20 40 Nov-16 NovembreNov-17 NovembreNov-18 Nov-19 Nov-20 Jul-16 Juillet Jul-17 Juillet Jul-18 JuilletJul-19 JuilletJul-20 Mar-17 Mar-18 Mar-19 Mar-20 Jun-16 Jun-17 Dec-16 Dec-17 Sep-16 Sep-17 Mar-17 Mar-18 2018 2019 2020 2020 2020 2020 2016 Juillet 2016 2019 2019 Mars-18 2017 Juin-16 Septembre-16 2017 Décembre-16 2019 2017 2018 2018 2018 Juin-17 Mars-17 Septembre-17 Décembre-17 Mars Novembre Mars Mars Mars Novembre Novembre Sources : Prévisions du consensus, énergie et métaux, mai 2016, et contrats à terme Intercontinental Exchange (ICE). Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 21 Les aspects liés à l’offre sont les éléments qui détermineront le moment où le marché pétrolier s’équilibrera. La croissance de l’offre devrait dépasser celle de la demande au cours des quelques années à venir, ce qui retardera la reprise des prix jusqu’à après 2019. Il faut y voir l’effet de la colossale accumulation de stocks au cours des trois dernières années — avec aujourd’hui 1,2 million de b/j aux États-Unis d’Amérique et 1,5 million de b/j dans le reste du monde — une situation qui freinera le redressement des prix en 2016 et en 2017 et très probablement en 2018 (voir les tendances du marché actuel à la figure 4). Parallèlement, on prévoit une baisse de production chez les producteurs à coût élevé (pétrole de schiste) qui sont à même de réagir sans tarder aux déséquilibres du marché. Selon l’AIE, la production américaine de pétrole devrait diminuer de 600 000 b/j en 2016, et de nouveau de 200 000 b/j en 2017. Si l’on considère l’ensemble de ces éléments, il y a tout lieu de penser que le marché s’équilibrera en 2019 ou au début de 2020, lorsque la demande et l’offre de pétrole devraient se stabiliser au prix d’équilibre du marché. Ce prix d’équilibre sera proche du coût marginal du dernier producteur, à savoir les producteurs américains de pétrole de schiste. En moyenne, ces derniers atteignent leur seuil de rentabilité aux alentours de 53 à 60 dollars le baril (voir la section précédente). Même si la justesse de ces prévisions demande à être vérifiée, il ressort de notre analyse que le prix d’équilibre du marché pourrait se situer dans cette même fourchette d ’ici la fin de la décennie12. À cette époque, il constituera probablement la « nouvelle norme » en matière de prix du pétrole, à savoir des prix suffisamment élevés pour alléger la pression pesant sur certains producteurs, notamment l’industrie américaine du pétrole de schiste, mais assez bas pour les dissuader d’entreprendre de nouveaux forages. Notre analyse montre que les prix du pétrole s’établiront très probablement aux alentours de 60 dollars le baril d’ici 2020. Les producteurs américains de pétrole de schiste sont d ’accord sur le fait que l’industrie se relèverait à des prix supérieurs à 60 dollars le baril. Dans la pratique, cela aurait pour effet de plafonner les prix du pétrole étant donné qu’un pétrole suffisamment coûteux justifie l’intensification des forages et un accroissement de l’offre sur le marché. Selon des données de Baker Hughes, lorsque les prix du brut WTI ont atteint 60 dollars le baril à la mi- juin l’année dernière, la production américaine a grimpé en flèche, une réactivité qui est directement corrélée avec leurs coûts d’exploitation élevés. Dans l’industrie du schiste, les coûts de forage représentent jusqu’à environ 40 % du coût total de construction et d’achèvement des puits de pétrole. Une fois que les prix auront dépassé ce seuil, ces compagnies s ’empresseront d’achever leurs puits et de relancer leur production. 12 Le cours du Brent diffère de celui du WTI en raison de la concurrence entre ces deux bruts sur le marché des raffineries de la côte américaine du Golfe du Mexique, bien que l’écart de prix semble s’être récemment comblé. Le Brent et le WTI se négociaient respectivement à 48,6 dollars et 48,7 dollars le 24 mai 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 22 De nombreux risques pèsent toutefois sur ces projections. Les prévisionnistes révisent fréquemment leurs estimations, parfois même tous les trimestres (voir par exemple les prévisions de prix de l’EIA et de l’AIE). Les producteurs de pétrole de schiste pourraient améliorer leur efficience et accroître leur rentabilité par baril. Ils pourraient alors atteindre le seuil de rentabilité à des prix plus faibles, ce qui aurait pour effet de tirer vers le bas les prix seuil où le marché s’équilibrera. Le troisième risque pesant sur nos projections tient aux mesures de lutte contre le changement climatique et au remplacement des combustibles fossiles par les énergies renouvelables qui sont susceptibles de réduire la rentabilité des combustibles fossiles. L ’offre et la demande de pétrole pourraient en pâtir si les producteurs jugent plus rentable d’extraire le pétrole dès à présent plutôt que de se retrouver confrontés plus tard à une baisse de la demande. Du côté de l’offre, le retour de l’Iran, de la Libye et de l’Iraq sur le marché du pétrole pourrait exacerber l’engorgement du marché et tirer les prix encore plus bas. A contrario, le fait que les pays de la région MENA se détournent du pétrole pour diversifier leur économie pourrait réduire la production et contribuer à absorber l’offre excédentaire. D’autres risques sont à signaler, notamment le vote surprise du Royaume-Uni le 23 juin 2016 en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), qui a provoqué une chute de 5 à 6 % des prix au comptant et à terme. Même si le marché à terme a regagné les pertes consécutives au Brexit (le 29 juin) compte tenu de l’engorgement du marché pétrolier, cette situation pourrait retarder le moment où nous prévoyons un rééquilibrage du marché (voir l’encadré 3). PIRA Energy Group, basé à New York, estime que l’impact du Brexit sur la demande mondiale se fera sentir en 2017, sous l’effet d’un ralentissement de la croissance européenne et donc de la demande de pétrole, d ’environ 100 000 à 200 000 b/j. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 23 Encadré 3. Conséquences du Brexit pour les prix du pétrole et les pays de la région MENA Le 23 juin 2016, le vote du Royaume-Uni en faveur de sa sortie de l’Union européenne (Brexit) a été une source d’incertitude pour l’économie mondiale, dans un environnement déjà fragilisé. Même s ’il faudra un certain temps, peut-être deux ans, pour que le Brexit soit effectif, l’incertitude n’est pas prête de retomber de sitôt sur les marchés. L’aversion croissante au risque pourrait ralentir la croissance européenne et la croissance mondiale. Dans un scénario de graves perturbations sur les marchés financiers, la Banque mondiale estime que le Brexit pourrait réduire le PIB mondial jusqu ’à 0,9 % sur une période de deux ans. Le ralentissement de la croissance au Royaume-Uni, dans l’UE élargie et dans le reste du monde sera lourd de conséquences pour le marché pétrolier et les prix du pétrole en particulier. Les pays de la région MENA ne sont pas à l’abri de cette évolution et pourraient être impactés à trois titres : les prix du pétrole, l’appréciation de l’USD, et les échanges avec l’Europe, notamment l’investissement direct étranger (IDE), les envois de fonds et les flux de capitaux. Nous examinons ici l’impact du Brexit sur les prix du pétrole dans les pays de la région MENA. Les cours du pétrole ont réagi sans tarder à l’annonce du Brexit, avec une chute de 5 % des prix au comptant et de 6 % des prix à terme. Ce fléchissement répond aux craintes d ’un ralentissement de la croissance mondiale, notamment au Royaume-Uni, en Europe et peut-être dans les pays émergents tels que la Chine. Bien que le marché ait rebondi quelques jours plus tard, la possibilité demeure que le Brexit ne grignote davantage la demande déjà faible et tire les prix du pétrole encore plus bas. Selon diverses estimations, si le ralentissement reste confiné au Royaume-Uni, l’impact sur les prix du pétrole sera limité. En effet, le Royaume-Uni importe environ 1,6 million de b/j, soit 1,6 % seulement du total mondial. En revanche, si la récession se propage au reste de l’UE, les prix du pétrole pourraient être gravement impactés étant donné que les pays européens consomment près de 11,1 millions de b/j, soit en gros autant que la Chine. Le deuxième effet important à court terme sera l’appréciation de l’USD sous l’effet d’une demande accrue de bons du Trésor américains, dans la mesure où les investisseurs se mettront en quête d’actifs sûrs. Plusieurs pays de la région MENA — notamment les membres du CCG, à l’exception du Koweït — ont rattaché leur devise à l’USD, d’où une moindre compétitivité de leurs exportations à un moment où ils tentent de les diversifier. Ces pays seront également touchés par l’effet de second tour. L’appréciation de l’USD pourrait avoir un effet inverse sur les prix du pétrole, c’est-à-dire les entraîner encore plus bas et retarder ainsi leur redressement (voir la section sur les prix « seuil » d’équilibre du marché pétrolier). En bref, les prix du pétrole qui étaient lentement remonté à plus de 50 dollars le baril récemment pourraient de nouveau s’infléchir par suite d’une baisse de la demande d’énergie, d’une appréciation du dollar en réponse à la demande d’investissements sécures et de la chute de la livre et de l ’euro. L’Iraq, l’Iran, l’Arabie saoudite, les autres monarchies du Golfe et les autres producteurs de pétrole de la région MENA sentiront sous peu le nouveau contrecoup créé par le Brexit. Les importateurs de pétrole de la région seront eux aussi impactés par la baisse des envois de fonds, de l’IDE, des recettes du tourisme, de l’aide et, principalement, par le ralentissement dans les pays du CCG. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 24 La nouvelle norme des prix pétroliers pourrait-elle modifier le contrat social dans les pays de la région MENA ? Les producteurs de la région MENA sont confrontés depuis plusieurs années au faible prix du pétrole. Leurs recettes sont en chute pour la troisième année consécutive, dans un contexte d’endettement et de déficit budgétaire croissant. La chute des prix intervient aussi à un moment où plusieurs de ces pays — Libye, Iraq, Syrie et Yémen — doivent faire face aux conséquences dévastatrices de la guerre civile et aux crises liées aux déplacements forcés qui ont exacerbé les pressions exercées sur des budgets déjà tendus. Ces pays sont bien connus pour leurs politiques procycliques, et plus particulièrement pour les dépenses engagées en période de boom pétrolier, une situation qui a façonné la trajectoire de leur croissance économique. Historiquement, la manne pétrolière a servi à financer le contrat social entre l’État et les citoyens, l’État subventionnant le carburant et l’alimentation, la gratuité des soins de santé et de l’éducation, les subsides et les emplois publics pour étouffer la grogne sociale et être moins tenu de rendre des comptes. Cette fois-ci, les choses semblent différentes. La morosité des prix étant là pour durer, les gouvernements de la région ont engagé des mesures d’austérité résolues et prennent en outre des mesures audacieuses pour transformer, en partie au moins l’ancien contrat social. Ces réformes visent notamment à réduire la masse salariale démesurée dans la fonction publique, privatiser les entreprises d’État et diversifier leurs recettes budgétaires en augmentant les impôts directs et indirects, pour ne plus avoir à compter sur le seul pétrole. Le groupe des pays du CCG s’apprête à introduire des taxes sur la valeur ajoutée (TVA) pour la première fois. Dans cette section, nous examinons comment les grands producteurs de pétrole de la région MENA13 répondent à l’effondrement des prix pour tenter de déterminer comment le contrat social pourrait évoluer. Réaction de la région MENA à l’effondrement des prix du pétrole. Le pétrole représente une part considérable des recettes d’exportation des pays de la région MENA (figure 8). L’Iraq, la Libye, l’Algérie et le Koweït sont totalement dépendants du pétrole. Les autres pays exportateurs sont moins dépendants du pétrole, même si celui-ci conserve une place majeure. La faiblesse persistante des prix du pétrole continue d’endommager leur position financière, de peser sur leur balance commerciale, de ralentir leur croissance et d’accroître les pressions sur leurs devises. Les estimations révèlent que les soldes budgétaires des pays exportateurs de pétrole de la région ont viré d’un excédent de 128 milliards de dollars en 2013 à un déficit de 264 milliards de dollars en 13 Les pays exportateurs de pétrole de la région MENA sont les pays membres du CCG (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar), l’Algérie, l’Iran, l’Iraq, la Libye et le Yémen. La Syrie est exclue en raison du manque de données. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 25 2016 (tableau 3). L’année dernière, le groupe des pays du CCG a perdu 157 milliards de dollars de recettes pétrolières, et devrait en perdre encore 100 milliards cette année. Du fait des dépenses procycliques précédemment engagées, les prix pétroliers nécessaires à l’équilibre des budgets ont considérablement augmenté par rapport à la moyenne de 2000-2012. En 2015, la Libye (196,9 dollars) — suivie par l’Algérie (109,8), Bahreïn (107,2), l’Iraq (100,5) et l’Arabie saoudite (105,6) — avait les prix pétroliers d’équilibre les plus élevés. Dans certains de ces pays, les réserves seront sous pression en raison des fortes ponctions sur les budgets. En 2015, les soldes budgétaires de la Libye, de l’Arabie saoudite et de l’Algérie ont été respectivement estimés à 75,3, 18,9 et 15,7 % du PIB. Pays du CCG. Pour faire face à la baisse des prix du pétrole, les pays du CCG ont puisé dans leurs réserves, se sont tournés vers les marchés obligataires et ont réduit leurs dépenses. D’autres mesures sont toutefois nécessaires dans la mesure où, comme évoqué plus haut, les prix du pétrole resteront sans doute faibles pendant un certain temps. Certains de ces pays ont adopté des mesures drastiques ou prévoient de réformer le secteur public, ce qui pourrait en définitive faire évoluer leur économie. Ces mesures incluent notamment une diminution des emplois et une réduction des salaires dans la fonction publique, la privatisation d’entreprises publiques et, plus important, l’introduction d’impôts sur le revenu et de taxes indirectes (TVA). Bahreïn. Le Bahreïn est l’un des pays vulnérables Figure 8. Exportations de pétrole en % des de ce groupe en raison d’une épargne limitée, de exportations de marchandises, 2013, et prix du pétrole réserves faibles et de niveaux d’endettement USD par baril (brut Brent) élevés. Malgré ses plans de réduction des dépenses, le Bahreïn devrait continuer d’accumuler un important déficit budgétaire dans les prochaines années, lequel est actuellement Libye e estimé à 16,8 % du PIB pour 2016. Par conséquent, Algérie l’endettement public devrait augmenter de 44 % du PIB en 2014 à 83,7 % en 2016, plaçant le pays Koweït au-delà du seuil du critère de stabilité du ratio dette publique/PIB de 60 % requis pour la future Arabie union monétaire du CCG. Pour le Bahreïn, le prix Saoudite d’équilibre budgétaire du pétrole est estimé à S 107,2 dollars/baril en 2015, le plus élevé des pays du CCG. Compte tenu des tensions EAU communautaires existantes et des plans de Bahreïn réduction des subventions des pouvoirs publics, le pays demeure vulnérable aux troubles civils et aux Mai 2014 Mai 2016 tensions régionales. Dans le tourisme et les Sources: Banque mondiale et FMI services financiers, l’activité risque de se réduire Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 26 du fait du ralentissement dans la région. La balance courante pourrait afficher un déficit de 8,2 % du PIB en 2016. Les réserves diminueront sans doute à 4,3 mois d’importations en 2016, contre 5,8 en 2014. Tableau 3. Croissance économique et perspectives budgétaires Croissance du PIB réel, en % Solde budgétaire en pourcentage du PIB 2013 2014 2015e 2016p 2017p 2018p 2013 2014 2015e 2016p 2017p 2018p MENA 2,0 2,4 2,3 3,1 4,2 3,9 2,2 -2,1 -10,2 -9,9 -7,1 -4,2 Pays 1,9 2,3 2,0 3,2 4,2 3,8 5,7 -0,2 -11,3 -11,1 -7,3 -4,3 exportateurs de pétrole Pays du CCG 3,3 3,4 3,1 2,0 2,5 3,1 10,9 3,5 -10,9 -10,4 -7,5 -4,5 Source : Banque mondiale. Note : La région MENA regroupe les pays suivants : Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar (groupe des pays du CCG) ; Libye, Yémen, Algérie, Iran, Iraq, Syrie (exportateurs de pétrole) ; Égypte, Tunisie, Djibouti, Jordanie, Liban, Maroc, Cisjordanie et Gaza (importateurs de pétrole). Les lettres « e » et « p » désignent respectivement « estimation » et « prévision ». Pour faire face à la baisse des recettes pétrolières et au ralentissement de la croissance qui en découle, le Bahreïn a commencé à prendre d’importantes mesures d’assainissement budgétaire en 2015 et cherche désormais à relever le plafond de l’endettement public à un niveau plus élevé. Les mesures d’accroissement des recettes incluent une augmentation des taxes sur le tabac et l’alcool, et des tarifs de certains services publics (santé primaire). Un programme de réduction des coûts a entraîné la suppression des subventions de la viande en 2015 et une hausse de 60 % des prix des carburants en janvier 2016 (ce qui générera probablement des économies de 148,4 millions de dollars), l’introduction progressive de hausses des prix de l’électricité, de l’eau, du gazole et du kérosène d’ici à 2019 ainsi qu’une augmentation et une unification des prix du gaz naturel pour les usagers industriels à 2,5 de dollars par million de BTU à partir d’avril 2015. Ainsi, le solde primaire non pétrolier 2015 s’est amélioré de 2,5 % du PIB non pétrolier par rapport à 2014, ce qui n’a cependant pas suffi à atténuer l’impact préjudiciable de la contraction des recettes pétrolières. Une rationalisation des dépenses publiques est également prévue à court terme. La baisse des prix du pétrole contraint les pouvoirs publics à réduire leur budget d’investissement, une restriction des dépenses courantes risquant d’exacerber des tensions dans un contexte politique déjà fragile. Les membres du parlement ont également soumis une proposition de loi pour privatiser totalement certaines entreprises publiques afin d’aider à réduire le déficit. Koweït. Le pétrole représente plus de 50 % du PIB du pays et 93,6 % de ses recettes budgétaires. Le Koweït est détenteur d’actifs étrangers (dont un fonds souverain) parmi les plus importants des pays du CCG, lesquels sont estimés à 600 milliards de dollars. Grâce à ses importants Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 27 excédents budgétaires (le Koweït affichait l’excédent budgétaire le plus élevé des pays du CCG avant 2014), à ses réserves substantielles et aux périodes de prix élevés du pétrole, les dépenses publiques ont augmenté de 38,8 % du PIB en 2013 à 50,1 % et 60,8 % du PIB en 2014 et 2015, respectivement. Le solde budgétaire est cependant passé d’un excédent supérieur à 35 % du PIB en 2013 à un déficit de 3,6 % du PIB en 2015. L’ampleur de la contraction des recettes pétrolières a représenté 15 milliards de dollars chaque année en 2014 et 2015. La première réaction du Koweït à la baisse des prix du pétrole a été de puiser dans ses actifs étrangers. Des réductions des dépenses n’ont été proposées que récemment et sont négligeables, le projet de budget 2016/17 ne prévoit en effet qu’une diminution de 1,5 % des dépenses publiques. L’un des domaines dans lesquels les dépenses sont réduites concerne les subventions du pétrole et du gaz pour lesquelles un montant moindre est alloué dans le budget 2016/17 par rapport aux années précédentes, de l’ordre de 238 millions de dinars koweïtiens (791,4 millions de dollars) pour les produits pétroliers et gaziers cette année. L’an dernier, les prix du gazole et du kérosène ont été multipliés par trois (générant des économies budgétaires de 0,3 % du PIB), avant d’être partiellement abaissés ultérieurement. Dans une perspective de plus long terme, un programme de réforme économique à moyen terme (cinq ans) a récemment été approuvé par les pouvoirs publics. Le programme de réforme cible la gestion des finances publiques, les privatisations, les PPP, les PME et les réformes de l’investissement, de la fonction publique et du marché du travail. S’il est mis en œuvre dans sa globalité, ce programme pourrait promouvoir le début d’un processus visant à rééquilibrer l’économie koweïtienne en la rendant moins dépendante du pétrole (voir la section suivante). Oman. Avec une production de moins d’un million de barils/jour, le sultanat d’Oman dispose de réserves de pétrole et de gaz moindres que ses voisins du CCG, à l’exception du Bahreïn. Depuis l’effondrement des prix du pétrole au second semestre 2014, les pouvoirs publics ont pris des mesures radicales pour accroître les recettes non pétrolières. Ils ont notamment fait appel aux marchés obligataires pour la première fois (en vendant pour 2,5 milliards de dollars d’obligations le 8 juin) et engagé certaines réformes comme des réductions des subventions et des avantages sociaux des fonctionnaires, et une augmentation des tarifs. En outre, ils ont instauré une redevance pour les opérateurs de télécommunications, une « taxation équitable » des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) et une augmentation des redevances payées au titre de l’exploitation minière. Oman a récemment approuvé une taxe de 35 % sur les entreprises pétrochimiques et une taxation accrue des entreprises de gaz naturel liquéfié. Cette modification de la fiscalité entraînera une hausse de 15 % à 55 % des taxes sur les entreprises de GNL. Les réformes de 2015 ont inclus un doublement du prix du gaz pour les usagers industriels. Le Banque mondiale estime que 10 milliards de dollars de recettes ont été perdues en 2015 et le nouveau budget table sur un déficit de 16,8 % du PIB en 2016. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 28 Les dépenses publiques consacrées aux subventions devraient chuter de 64 % en 2016, les prix locaux des carburants étant alignés sur les prix mondiaux. La déréglementation des prix des carburants a débuté à la mi-janvier 2016 par une augmentation de jusqu’à 33 % des prix du gazole et de l’essence. Une hausse du taux de l’impôt sur les sociétés de 12 % à 15 % et une suppression de l’exonération fiscale des premiers 30 000 rials omanais de revenus imposables ont été approuvées par le Conseil de la Shura, et une TVA a été approuvée pour l’ensemble des pays de la CCG. Les autres mesures destinées à accroître les recettes hors hydrocarbures sont notamment une révision des tarifs de l’eau et de l’électricité pour les usagers commerciaux et industriels, et une augmentation des tarifs des services publics, y compris des permis et des cartes de travail, des immatriculations de véhicules, des transactions immobilières et des attributions de terres. Qatar. Dans le cadre du plan destiné à lutter contre l’impact du choc des prix pétroliers sur son économie, l’administration publique qatarie été restructurée en janvier 2016. Des mesures d’austérité sont déjà prises pour lutter contre les dépenses inutiles, les sureffectifs et l’absence de responsabilité. Après avoir connu des années de solde budgétaire excédentaire, le Qatar devrait afficher un déficit budgétaire de 8 milliards de dollars, soit l’équivalent de 5 % du PIB en 2016 – le plus faible des pays du CCG. Pourtant, compte tenu du fait que les planificateurs budgétaires de Doha tablent sur un pétrole à 48 dollars, le déficit du Qatar pourrait en réalité se creuser davantage. Les autres signes du préjudice, pour l’économie, de la baisse des prix du pétrole ont été une croissance des coûts chez Qatar Petroleum (QP) et Royal Dutch Shell, ce qui a conduit ce dernier à se désengager du projet pétrochimique al-Karaana (d’un montant de 6,4 milliards de dollars) et QP à licencier près de 1 000 salariés. Pour financer le déficit budgétaire, les responsables de Doha ont récemment mis en œuvre des mesures comme un relèvement des tarifs des services d’utilité publique, un doublement des amendes pour gaspillage d’eau et une augmentation des tarifs des services postaux qataris pour la première fois depuis huit ans. Le 14 janvier 2016, l’entreprise publique qatarie de distribution de carburants Woqod a annoncé une hausse de 30 % des prix de l’essence en vertu de laquelle le litre d’essence a atteint 0,36 dollar. La réduction des subventions a pris effet quelques heures seulement après l’annonce. Au Qatar, la dernière hausse des prix de l’essence remonte à 2011. La hausse des prix de Woqod de janvier a eu lieu juste après que le Bahreïn, Oman et l’Arabie saoudite aient aussi réduit leurs subventions de l’essence. D’autres mesures d’austérité étant à prévoir, les Qataris anticipent des baisses des subventions de l’électricité plus tard cette année. Il est probable que de nouvelles réductions des subventions et des hausses de prix affecteront plus durement les expatriés. Le Qatar a aussi exigé d’institutions publiques, comme les musées du Qatar et Al Jazeera, de réduire leurs programmes et/ou de licencier des expatriés. Les responsables ont réduit de 40 % le budget de la Fondation du Qatar et procédé à des réductions significatives des allocations aux facultés universitaires occidentales de l’Education City (ville universitaire proche de Doha). En Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 29 décembre dernier, le Sidra Medical and Research Centre a supprimé des centaines d’emplois et les responsables ont donné un coup de frein aux plans de déploiement du programme national de santé. L’initiative qatarie Tarsheed sanctionne les ménages qui éclairent leur logement la nuit. Arabie saoudite. L’effondrement des prix de 2014 et les dépenses élevées des dernières années ont asséché le budget public. Le pétrole représente plus de 80 % des recettes publiques et compte tenu du bas niveau actuel de ses cours, le déficit budgétaire devrait dépasser l’estimation initiale de 118 milliards de dollars en 2016 (environ 16 % du PIB) et de 97 milliards de dollars en 201714. Les réserves de change ont diminué de 20 % (à 587 milliards de dollars à mars 2016) ; à ce rythme, elles devraient être exsangues en l’espace de quatre ans. Le Royaume a beaucoup emprunté, notamment 26 milliards de dollars l’an dernier, et un prêt de 10 milliards de dollars a été finalisé en avril de cette année. Il prévoit en outre d’é mettre des obligations pour mobiliser 15 milliards de dollars supplémentaires. Ainsi, le ratio dette/PIB devrait atteindre 26 % en 2017, contre des niveaux bas en 2014. Les coûts d’emprunt ont augmenté à la suite de l’abaissement de la notation de crédit de l’Arabie saoudite par différentes agences de notation. Selon les estimations du FMI, il faudrait un pétrole à 105,6 dollars le baril pour équilibrer le budget, niveau plus de deux fois supérieur aux cours actuels. Des mesures d’austérité ont été prises par le gouvernement au titre du budget de 2016, notamment une réduction de 14 % des dépenses de subvention de la défense et des carburants et une augmentation des recettes pétrolières grâce à un accroissement de la production de pétrole15. En outre, les budgets alloués à la santé, à l’éducation et aux services municipaux ont été réduits. Les plus fortes hausses de prix des carburants sont de 133 % pour l’éthane, 79 % pour le gazole (transport) et 67 % pour le gaz naturel et l’essence de qualité inférieure. Les prix de l’électricité et de l’eau ont aussi été augmentés de 60 % pour la consommation résidentielle des classes supérieures et de taux variables pour les usagers commerciaux et industriels. La masse salariale publique est ramenée à moins de 15 % du PIB du fait d’une limitation des hausses de salaires dans la fonction publique et d’une renégociation de l’ensemble des contrats, parallèlement à des coupes dans les dépenses d’investissement. Les effets cumulés de ces mesures sont récessifs et devraient ramener la croissance du PIB réel à un taux prévu de 1,9 % en 2016, contre 3,5 % en 2015. Avant l’effondrement du pétrole, l’économie enregistrait une croissance d’en moyenne 5 % par an. Pour sortir l’économie des difficultés liées à la faiblesse des prix du pé trole, les pouvoirs publics saoudiens ont approuvé un programme de réformes exhaustif articulé autour du Plan national de transformation (PNT) « Vision 2030 » dont le but est de diversifier l’économie en la rendant 14 Lors de précédentes baisses du prix du pétrole, le déficit s’était établi à 23 milliards de dollars en 2009 et à 13 milliards de dollars en 1998. 15 La production de pétrole a augmenté de 9,7 millions de barils/jour en 2014 à un nombre estimé de 10,1 millions de barils/jour pour 2015 et 2016, et de 10,3 millions de barils/jour pour 2017. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 30 moins dépendante du pétrole dans un délai de 15 ans. Le plan prévoit d’exploiter des actifs de l’entreprise pétrolière publique ARAMCO pour financer des investissements publics dans un large éventail de secteurs. La vision a été planifiée sur la base d’un prix de 30 dollars le baril et privilégie trois principaux domaines. Premièrement, le plan vise à tripler les recettes non pétrolières d’ici à la fin de la décennie grâce au prélèvement de taxes indirectes et de frais d’utilisation des services publics, y compris l’introduction d’une TVA, et le d éveloppement de secteurs non pétroliers comme les mines, le tourisme et l’éducation. Deuxièmement, il prévoit une réduction des dépenses publiques par le biais d’une diminution des subventions, une réorientation des dépenses d’armement au détriment des partenaires étrangers et une rationalisation des investissements publics. Conjuguées à une réduction de la masse salariale publique de 5 %, ces réformes pourraient représenter 53 milliards de dollars de recettes supplémentaires d’ici à 2020. Troisièmement, le plan prévoit de diversifier la richesse nationale et le portefeuille d’investissements à l’étranger. La privatisation d’une partie de l’entreprise pétrolière publique Aramco (qui génère 90 % des recettes publiques) par le biais d’une introduction en bourse devrait être une opération importante pour mobiliser des capitaux. Émirats arabes unis (EAU). Les Émirats produisent environ 3 millions de barils/jour de pétrole brut, mais les recettes publiques ont régulièrement diminué de 41 % du PIB en 2013 à environ 29 % du PIB en 2015. Dans un contexte marqué par le bas niveau des prix du pétrole, les pouvoirs publics ont maintenu leurs dépenses et celles-ci ont augmenté de 30 % du PIB en 2013 à 34 % du PIB en 2015. Ainsi, l’excédent d’environ 10,4 % du PIB de 2013 s’est transformé en un déficit budgétaire estimé à 5,2 % du PIB pour 2016. La forte croissance du PIB réel (supérieure à 6 % par an au cours des dernières décennies) commence à se réduire du fait de la contraction des recettes pétrolières. Les pouvoirs publics ont investi l’excédent pétrolier dans les secteurs économiques non pétroliers. Ils ont notamment développé les centres financier et immobilier de Dubaï, des plateformes aéroportuaires internationales à Dubaï et Abu Dhabi, et des centres de sport/de tourisme dans un certain nombre d’Émirats ainsi qu’une industrie légère et des services de transport et de commerce de détail. Cependant, depuis juin 2014, ils souffrent de l’effondrement des prix mondiaux du pétrole qui a entraîné une chute des exportations d’hydrocarbures et des recettes liées. Bien qu’ils aient réussi à maintenir des taux de croissance de 4,6 % en 2014 et de 3,3 % (estimation) en 2015, la croissance des EAU devrait tomber à 2,1 % en 2016. Bien que les réserves se maintiennent à des niveaux suffisamment confortables pour amortir l’impact de la baisse des prix du pétrole, les pouvoirs publics des EAU sont soucieux d’augmenter les recettes non pétrolières en appliquant une TVA en 2018 au plus tard, conjointement à d’autres pays membres du Conseil de coopération du Golfe. Ils envisagent également d’instaurer un impôt sur les sociétés. Cependant, d’autres mesures seront nécessaires, notamment une Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 31 réduction des subventions de l’eau et de l’électricité, et un ralentissement progressif de la mise en œuvre des mégaprojets des entités contrôlées par l’État. Autres pays exportateurs de pétrole Algérie. Sur une production totale d’environ 1,1 million de barils/jour, l’Algérie exporte 540 000 barils/jour. Cependant, la production de pétrole brut et de gaz naturel a régulièrement diminué ces dernières années, en raison principalement de retards répétés des projets, de difficultés pour attirer des partenaires d’investissement, de l’insuffisance des infrastructures et de problèmes techniques. L’économie est massivement dépendante des hydrocarbures pour ses exportations et ses recettes publiques, à hauteur de 95 % et de 75 % respectivement. L’effondrement des prix du pétrole a grevé les finances publiques, la balance commerciale et les réserves de change. Le déficit budgétaire s’est creusé de 1,4 % du PIB en 2013 à 15,7 % du PIB en 2016. Les réserves totales ont chuté de 194 milliards de dollars en 2013 à un montant estimé de 108 millions de dollars en 2016 et devraient se réduire davantage, à 60 milliards de dollars, en 2018. La détérioration des termes de l’échange de l’Algérie a entraîné une dépréciation nominale de 20 % du dinar depuis la mi-2014. L’inflation a augmenté à 4,8 % en 2015. Confrontés à une baisse constante des recettes pétrolières et gazières ainsi qu’à une hausse de la facture des importations, les pouvoirs publics ont adopté un ensemble de mesures correctives dans le cadre de la loi budgétaire de 2016. Établi sur l’hypothèse d’un prix moyen du pétrole de 35 dollars le baril, le budget 2016 prévoit une réduction de 9 % des dépenses – principalement des investissements en biens d’équipement – et une augmentation de 4 % des recettes fiscales. L’ensemble de mesures destinées à soutenir les recettes prévoit une hausse de 36 % des prix des carburants, une augmentation des taux de TVA sur la consommation de carburants et d’électricité, et une hausse des taxes d’immatriculation des voitures. D’autres ajustements des tarifs de l’énergie et des nouvelles licences d’importation ont été annoncés, mais les d étails restent pour l’heure inconnus. Ces mesures sont les premières étapes en direction d’une éventuelle réforme complète des subventions coûteuses et régressives de l’Algérie (les subventions des carburants et autres représentent plus de 12 % du PIB). Le budget permet aussi aux pouvoirs publics d’adopter d’autres mesures correctives si les prix du pétrole tombent au - dessous de 35 dollars le baril et d’emprunter sur les marchés extérieurs. Ces mesures concernent les nouvelles licences d’importation, une augmentation des prix de l’électricité à un niveau plus proche de son coût et une nouvelle dépréciation de la monnaie. Les pouvoirs publics ont tenté d’ouvrir les entreprises publiques à l’investissement privé. Le budget de 2016 inclut des mesures autorisant les investissements privés dans des entreprises publiques, la création de nouvelles zones industrielles et un assouplissement des restrictions imposées à l’investissement des revenus tirés d’allègements fiscaux. Une nouvelle législation a été votée par le parlement en juillet à l’effet d’améliorer les secteurs économiques autres que le secteur pétrolier. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 32 Iran. L’effondrement des prix du pétrole a pénalisé l’économie iranienne, mais de façon moindre que dans d’autres pays producteurs de la région. Cela tien t au fait que, par rapport aux autres producteurs, l’économie iranienne est plus diversifiée et donc moins tributaire des recettes pétrolières. Le pétrole représente environ 30 % des recettes publiques. Pour maintenir sa part de marché, l’Iran a augmenté sa production de pétrole depuis le 16 janvier 2016, au début de la mise en œuvre du Plan d’action conjoint complet (JCPOA) et de la levée des sanctions. La production a jusqu’à présent augmenté de quelque 600 000 barils/jour et les pouvoirs publics prévoient de faire passer cette augmentation à 800 000 barils/jour d’ici à l’été 2016 pour atteindre les niveaux d’avant les sanctions (avant 2014). Dans le cadre du Plan d’action, quelque 30 milliards de dollars d’actifs gelés ont été libérés, ce qui permet aux pouvoirs publics d’accéder à des fonds et des actifs à l’étranger. Les pouvoirs publics ont pris quelques mesures pour atténuer l’impact de la baisse des prix du pétrole sur leur budget, notamment une hausse des taxes sur les organisations paraétatiques qui en étaient précédemment exonérées. Iraq. La baisse des prix du pétrole et la guerre civile ont accru le risque d’instabilité politique et budgétaire dans le pays. Malgré une forte augmentation de la production de pétrole (de 3,1 millions de barils/jour en 2014 à 4,3 millions de barils/jour en moyenne en 2016) et des exportations (à environ 3,8 millions de barils/jour en 2016 de Basra et de la région kurde), les finances publiques ont continué de se détériorer. Cette situation tient à la politique de dépense procyclique des pouvoirs publics durant les années de boom pétrolier ainsi qu’au coût de la guerre et des conflits. Le pétrole représente plus de 90 % des recettes publiques et avec une baisse des cours par rapport à leur pic de 147 dollars, le déficit budgétaire devrait être supérieur à 30 milliards de dollars en 2016. Pour faire face aux effets de la contraction des recettes pétrolières, les pouvoirs publics ont réduit les dépenses publiques de 40 % l’an dernier, principalement les investissements en biens d’équipement, et annulé quelques contrats militaires. La réduction des investissements publics ralentira le rythme de la reconstruction dans des zones reprises à Daesh et pourrait entraîner une aggravation des tensions communautaires dans la mesure où les destructions ont presqu’exclusivement affecté des zones sunnites. Les pouvoirs publics ont aussi puisé dans leurs réserves de change qui devraient diminuer à environ 43,9 milliards de dollars en 2016 et à 36 millions de dollars en 2017, contre 66,7 millions de dollars il y a deux ans. Ainsi, le dinar irakien a été quelque peu dévalué (1,37 %) face au dollar. Si les prix du pétrole restent bas, une nouvelle dévaluation de la monnaie pourrait s’avérer nécessaire. Les autorités du Gouvernement régional du Kurdistan ont réagi en réduisant les salaires dans la fonction publique, de jusqu’à 75 % pour les responsables de haut rang, et en saisissant des fonds de succursales locales de la banque centrale d’Iraq. Compte tenu de la forte contraction (de 46 milliards de dollars) des recettes pétrolières en 2015, de nouvelles mesures ont été adoptées pour accroître les recettes publiques, notamment l’instauration d’une taxe sur les ventes. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 33 Libye. Le pays se débat face à une guerre civile, deux gouvernements (celui basé à Tripoli (le Congrès général national ou CGN) et celui basé à Tobrouk (le Parlement élu)), des insurrections dans les champs pétroliers et la baisse des prix du pétrole. Les exportations et les recettes budgétaires de la Libye sont tributaires du pétrole à hauteur de 98 % (Figure 8). Le gouvernement basé à Tripoli a produit 500 000 barils/jour en 2015 et exporté près de 450 000 barils/jour. Deux budgets distincts ont été approuvés en 2015 : le gouvernement basé à Tripoli a approuvé un budget d’environ 42,9 milliards de dinars libyens fondé sur des exportations d’un demi -million de barils/jour (plus que la moitié de ses exportations de 2012) et un prix de 50 dollars le baril. Les traitements et salaires du secteur public et les subventions des denrées alimentaires et des carburants représentent plus de la moitié des dépenses budgétaires. Lorsque les pressions liées à la faiblesse des prix du pétrole se sont fait sentir, le CGN a souhaité réformer les subventions considérables allouées aux carburants et aux denrées alimentaires, en les remplaçant par des transferts monétaires mensuels de 50 dinars (36,5 dollars) au profit de chaque citoyen, mais l’idée a toutefois été rejetée par le parlement. Face à la faiblesse des prix du pétrole, certaines mesures d’aust érité ont été adoptées, mais le gouvernement a parallèlement attribué aux fonctionnaires du secteur de l’éducation une rémunération supplémentaire de 300 dinars (219 dollars). Avec les subventions, les traitements et salaires du secteur public représentent la moitié des dépenses publiques. Le déficit budgétaire a atteint un niveau record estimé à 60 % du PIB en 2016. Le gouvernement de Tripoli a puisé dans les réserves de la banque centrale qui se sont réduites de 120 milliards de dollars en 2012 à 70 milliards de dollars en 2016. Si la tendance se poursuit, la Libye n’aura plus aucune réserve dans moins de quatre ans. Le gouvernement rival, basé à Tobrouk, a eu recours à des emprunts auprès de la banque centrale. Le dinar libyen subit d’importantes pressions du fait de l’atonie des recettes d’exportation imputable à la faiblesse des prix du pétrole et à la baisse de la production de pétrole ainsi qu’aux sanctions internationales sur l’exportation de dollars en Libye depuis 2013. Au marché noir, le taux de change du dinar libyen est trois fois supérieur au taux de change officiel de la banque centrale. Yémen. Le pays connaît une crise humanitaire dévastatrice qui résulte de la guerre, des conflits et du bas niveau des prix du pétrole. Le budget public est essentiellement tributaire du pétrole qui représente plus de 60 % des recettes budgétaires. Du fait de la guerre, de sabotages des installations sur les champs pétroliers et de la baisse des prix du pétrole, les recettes pétrolières sont tombées à 3 % du PIB en 2015, contre 13 % en 2013, soit une contraction de 4 milliards de dollars dans un pays où le PIB s’élève à environ 38 milliards de dollars. Le déficit budgétaire s’est creusé à 11,4 % du PIB en 2015, contre 4 % un an plus tôt. Les pouvoirs publics financent le déficit en empruntant, ce qui s’est traduit par une forte augmentation de l’endettement public total de 22,1 milliards de dollars en 2014 à 25,9 milliards en 2015, soit 94 % du PIB. La perte, en 2015, de financements étrangers et d’exportations pétrolières et gazières a grevé les réserves de change Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 34 de la banque centrale, lesquelles ont diminué de 5,3 milliards de dollars (5 mois d’importations) en 2013 à 2,1 milliards de dollars (environ 1,5 mois d’importations), niveau insoutenable. Pour faire face à la baisse des prix du pétrole, les pouvoirs publics ont réduit les dépenses et les primes salariales, et suspendu le programme d’investissements publics et l’aide financière aux pauvres. Ils ont aussi réduit les dépenses allouées aux services sociaux de base, comme l’éducation, la santé, l’eau et l’électricité, ce qui a entraîné un arrêt total des usines alimentées au gazole et au mazout. La baisse des prix du pétrole a aussi dynamisé un marché noir où la monnaie a jusqu’à présent perdu plus d’un quart de sa valeur. Ainsi, le nombre de pauvres a augmenté et ils représentent aujourd’hui plus de 85 % de la population. Diversification dans les pays du CCG16. Suite à la baisse significative des prix du pétrole, tous les pays du CCG ont récemment annoncé des plans destinés à diversifier leur économie et ont adapté leurs privatisations pour qu’elles coïncident avec des réformes institutionnelles et juridiques parallèles. Les mesures prises visent notamment à attirer des partenariats public-privé (PPP) et à identifier des moyens innovants pour assurer la sécurité énergétique grâce à un programme d’INDC pour face aux changements climatiques17. L’Arabie saoudite s’est par exemple dotée d’un ambitieux plan pour diversifier son économie afin qu’elle soit moins dépendan te du pétrole en mettant en œuvre des PPP et en s’attaquant au problème des changements climatiques. Partenariats public-privé (PPP). Tous les pays du CCG ont récemment annoncé des plans destinés à renforcer leurs programmes de partenariats public-privé et de privatisation. Bien qu’elles soient en partie motivées par des considérations budgétaires, il conviendrait de considérer ces annonces dans le contexte d’un programme de réformes plus large et durable. En effet, un grand nombre de pays ont de tout temps intégré les partenariats public-privé comme une composante essentielle de leurs efforts de libéralisation et de diversification de leur économie, et ont adapté leurs programmes de privatisation pour qu’ils coïncident avec des réformes institutionnelles et juridiques parallèles. Cependant, la mise en œuvre de ces plans a souvent progressé lentement, en particulier dans les pays du CCG où des cadres institutionnels porteurs ont parfois fait défaut et où les programmes de privatisation ont souvent ciblé des entreprises déjà florissantes. 16 Cette section est fondée sur une note contextuelle préparée par Maria Vagliasindi, Département de la Coopération stratégique, MENA, Banque mondiale. 17 À travers le monde, des pays se sont engagés à établir un nouvel accord international sur le climat en conclusion de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de la Conférence des parties (COP21) de Paris de décembre 2015. Lors de la préparation, les pays ont accepté d’indiquer publiquement les mesures climatiques qu’ils entendent adopter après 2020 au titre du nouvel accord international, que l’on appelle également les « Contributions prévues déterminées au plan national (INDC) ». Les INDC définiront essentiellement si la communauté mondiale peut atteindre l’ambitieux objectif de l’accord de 2015 et s’oriente vers un avenir faible en carbone et résilient aux changements climatiques. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 35 Le plan de transformation national saoudien « Vision 2030 » budgétise 300 millions de riyals sur cinq ans pour créer un « centre d’excellence » destiné à promouvoir la privatisation d’entreprises publiques. Le plan établit la liste des objectifs de dépense pour des centaines d’initiatives visant à doper les objectifs économiques et sociaux, notamment 4,7 milliards de riyals pour la modernisation des salles d’urgence et des unités de soins intensifs des hôpitaux. D’autres dépenses prévoient 2,1 milliards de riyals pour restructurer le secteur postal, 5 millions pour mettre en place une autorité en charge de la propriété intellectuelle, 8 millions pour améliorer les résultats de la fonction publique et 3,5 milliards pour entreteni r l’héritage culturel. Le plan a également révélé l’intention des pouvoirs publics d’accélérer les privatisations. Ces derniers ont par exemple indiqué que le ministère de l’Énergie prévoit de transférer l’ensemble de sa production d’énergie à des « partenaires stratégiques » d’ici à 2020. Des plans pour privatiser les usines de désalinisation de l’eau ont également été annoncés. L’objectif est d’installer 3,5 gigawatts de capacités d’énergie renouvelable d’ici à 2020 et d’investir 300 millions de riyals pour identifier des lieux pour installer des centrales électriques nucléaires et les aménager pour leur construction. Dans le cadre du plan de transformation national, le pays prévoit de produire 4 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici à 2020 et que le secteur minier contribue à la production économique à hauteur de 97 milliards de riyals, contre 64 milliards actuellement. Au Koweït, les projets se situent à différents stades dans les transports, la promotion immobilière, l’énergie, la santé, l’éducation, la gestion de l’eau et des eaux usées, et la gestion des déchets solides. À Oman, les projets pourraient cibler les secteurs des eaux usées, de l’énergie, de la santé, des transports, du tourisme et du logement, selon les premières informations disponibles. Des PPP ont été annoncés dans le tourisme et le secteur minier. Oman planifie un projet de développement du front de mer autour de Port Sultan Qaboos dans la capitale Muscat, d’un montant de 500 millions de rials omanais (1,3 milliard de dollars environ). Le projet est le premier à avoir été annoncé après la publication du plan quinquennal du sultanat. Le financement sera assuré par des fonds de pension et des investissements du secteur privé, sans apport de capitaux publics. Les participations privées dans les ports sont considérables, mais les accords institutionnels diffèrent pour chaque port et peuvent être substantiellement améliorés. En matière de renforcement des capacités, les PPP au Qatar devraient être axés sur les secteurs de l’éducation et de la santé dont les ministères de tutelle n’ont pas d’expérience antérieure dans ce domaine. Le Qatar a acquis une expérience en matière de PPP (ex : via une réglementation par contrat) avec Qatar General Electricity and Water Corporation (Kahramaa). Programmes de contributions prévues déterminées au plan national (INDC). Tous les pays du CCG ont récemment soumis des programmes d’INDC. À l’exception notable de l’Arabie saoudite et d’Oman, les INDC des autres pays du CCG ne prévoient pas d’objectif de réduction des gaz à Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 36 effet de serre (GES) au niveau de l’ensemble de leur économie exprimé en termes de réduction par rapport à une année de base ou aux niveaux d’activité courants. L’Arabie saoudite a soumis son programme d’INDC qui vise à réduire annuellement ses émissions de jusqu’à 130 MtCO2e en 2030 grâce à des mesures qui présentent des avantages conjoints pour diversifier davantage l’économie afin qu’elle soit moins dépendante du pétrole tout en contribuant à une réduction des gaz à effet de serre et à une adaptation aux changements climatiques. La réalisation de cet objectif n’est pas conditionnée par un soutien financier international, mais subordonnée à la poursuite de la croissance économique et à « une contribution significative des recettes des exportations pétrolières à l’économie nationale ». L’Arabie saoudite n’a pas fixé la base à partir de laquelle son objectif de réduction serait calculé, mais précise qu’une « base de départ dynamique sera définie en fonction d’une combinaison de deux scénarios », lesquels sont fondés soit sur une consommation locale de pétrole plus importante soit sur un accroissement des exportations de pétrole. Oman entend limiter la croissance des émissions de GES à 2 % pour qu’elles se situent à 88,714 MtCO2e entre 2020 et 2030, objectif conditionné à l’assistance fournie par la CCNUCC en matière de financement, de renforcement des capacités et de transfert de technologie. Atténuation des changements climatiques. S’agissant du programme d’atténuation, l’un des principaux principes – la suppression des subventions de l’énergie – n’est inclus que par les EAU et le Koweït, et il est limité à l’essence pour le second pays. Comme l’on pouvait s’y attendre, les EAU sont le pays pionnier du CCG à avoir mis en œuvre une réforme des subventions ; les Émirats sont conscients, dans le contexte des INDC, de l’importance d’une réforme des tarifs de l’énergie et de l’eau pour réduire les inefficiences et promouvoir un développement à faibles émissions de carbone ainsi que pour lutter contre les problèmes de sécurité énergétique. Depuis la soumission des programmes d’INDC, tous les pays du CCG ont mise en œuvre de nouvelles subventions de l’énergie, y compris au deuxième trimestre 2016. L’efficience énergétique est l’un des principaux principes intégré à tous les niveaux des INDC des pays du CCG. Côté demande, les EAU soulignent la pertinence des réseaux de froid urbain dans la mesure où l’air conditionné représente une partie significative de la consommation d’énergie. Ils annoncent des investissements exhaustifs dans les infrastructures pour évoluer vers des réseaux de froid urbain et améliorer l’efficience par rapport aux systèmes décentralisés. En ce qui concerne les normes d’efficience des appareils, les EAU ont introduit les premières normes d’efficience pour les unités d’air conditionné de la région, éliminant les 20 % les moins performantes du marché, et introduisent des normes d’efficience pour les appareils de réfrigération et autres. Les EAU ont aussi établi une norme pour l’éclairage intérieur qui privilégie les produits d’éclairage énergétiquement efficients et supprime progressivement les produits d’éclairage inefficients de leur marché. Le programme saoudien est axé sur trois principaux Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 37 secteurs, à savoir l’industrie, la construction et les transports, qui représentent collectivement plus de 90 % de la demande d’énergie dans le Royaume. Le Programme pour la maîtrise de l’énergie (KEEP) du Bahreïn cible les bâtiments publics, résidentiels et commerciaux, ainsi que le secteur industriel. Il vise à améliorer l’efficience énergétique pour réduire la consommation globale d’électricité d’ici à 2030. Le projet Initiative pour un éclairage énergétiquement efficient soutient le remplacement à court terme des ampoules à incandescence par des ampoules fluocompactes efficientes et, à moyen terme, par des technologies encore plus efficientes, comme les ampoules à LED, à Bahreïn. Oman intègre aussi des projets d’amélioration de l’efficience énergétique dans les industries et une réduction de l’utilisation des HCFC dans les secteurs des mousses et de la réfrigération. L’efficience électrique dans les bâtiments est également mise en avant dans les INDC du Koweït et, s’agissant d’Oman, cette question est également mentionnée de façon générale. Adaptation aux changements climatiques. En raison de la rareté extrême de l’eau, ce secteur est omniprésent dans les mesures d’adaptation. Les EAU sont en train d’établir un cadre stratégique fédéral pour une gestion durable de l’ensemble d es ressources en eau du pays. La stratégie est fondée sur une approche intégrée qui vise à répondre à la demande future d’eau en combinant de nouvelles infrastructures hydrauliques et une amélioration de l’efficience des réserves d’eau existantes. Les EAU progressent vers des méthodes plus efficientes de désalinisation et investissent dans la recherche et développement de nouvelles technologies, y compris des énergies renouvelables pour alimenter les usines de désalinisation. Le Koweït propose des campagnes de sensibilisation à l’utilisation de systèmes efficients de production d’eau, comme le système par osmose inverse, pour attirer l’attention du public sur une rationalisation de la consommation d’eau et sur le recours à des technologies modernes pour garantir une utilisation optimale de l’eau dans les foyers et à d’autres fins agricoles et industrielles. L’Arabie saoudite prévoit d’élaborer et de mettre en œuvre des plans visant l’exploitation de nouvelles sources d’eau douce, la construction de nouveaux barrages pour collecter de l’eau potable et pour alimenter les nappes souterraines. L’économie d’eau, le recyclage, le captage, l’irrigation et la gestion durable à des fins agricoles sont également des thèmes pris en compte. Le Qatar annonce d’importantes activités de recherche et développement visant à élaborer des technologies de désalinisation innovantes et à utiliser les énergies renouvelables pour la désalinisation et le traitement de l’eau. Le Bahreïn élabore une stratégie de gestion des ressources en eau intégrée et résiliente aux changements climatiques afin de gérer durablement ses ressources en eau. La sécurité hydrique va de pair avec la sécurité alimentaire. Le Koweït et Oman ont annoncé des projets visant à accroître le ratio d’autosuffisance. Les EAU saluent et encouragent la recherche et développement en matière de sécurité alimentaire, comme une modélisation permettant d’évaluer l’impact des changements climatiques sur la productivité Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 38 agricole des principaux pays exportateurs de denrées alimentaires dont les EAU sont actuellement tributaires. Ils soutiennent par ailleurs les technologies permettant d’accroître la productivité et la résilience. Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA Numéro 7 Juillet 2016 39 Bibliographie Baffes, J., Kose, A., Ohnsorge, F, et Stocker, M. (2015). The Great Plunge in Oil Prices, Document de recherche sur les politiques, mars. Washington DC: Groupe de la Banque mondiale. Bockem, S. (2004), « Cartel Formation and Oligopoly Structure: a New Assessment of the Crude Oil Market », Applied Economics, vol. 36, numéro 12, pp. 1355-1369. Devarajan, S. et Mottaghi, L. (2015). 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