BILAN ÉCONOMIQUE AFCW3 Les DÉFIS de L’URBANISATION en Afrique de l’Ouest DOSSIER SPÉCIAL GUINÉE PRINTEMPS 2018 Les DÉFIS de L’URBANISATION en Afrique de l’Ouest REMERCIEMENTS............................................................................................................................................3 PRÉFACE..............................................................................................................................................................4 THÈME SPÉCIAL : Les défis de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest................................................................................................ 7 DOSSIER SPÉCIAL : GUINÉE..................................................................................................................... 44 ANALYSE ÉCONOMIQUE DU PAYS......................................................................................................... 65 GUINÉE............................................................................................................................................................. 66 MALI................................................................................................................................................................... 70 NIGER.................................................................................................................................................................74 TCHAD............................................................................................................................................................... 78 2 REMERCIEMENTS Ce rapport est le fruit d’un travail collectif dirigé par José López-Calix, Michel Rogy et Megha Mukim, avec les contributions d’une équipe interdisciplinaire de la Banque composée de Yélé Maweki Batana, Luc Razafimandimby, Aly Sanoh, Olivier Béguy, Johannes Hoogeveen, Ali Zafar, Markus Kitzmuller, Ernest John Sergenti, Abdoul G. Mijiyawa, Marcel Nshimiyimana, Olanrewaju Malik Kassim, André-Marie Taptué, Irum Touqeer, Susana Sánchez, Emilia Skrok, Paolo Avner, Christian Van Eghoff, Alex Chunet, Michael Winter, Harris Selod, Caroline Plançon, Olivia D’Aoust, Sabine Beddies, Zie Ibrahima Coulibaly, Aanchal Anand et Franck Taillandier. Lars Christian Moller, Andrew L. Dabalen, François Nankobogo, Siaka Bakayoko, Rachidi B. Radji, Christophe Lemière, Michael Hamaide, Meskerem Brhane, Somik Lall, Giuseppe Zampaglione, Jean Baptiste Migraine et Boubacar Sidiki Walbani ont également fourni des conseils, des informations et des suggestions utiles. La compilation du rapport n’aurait pas été possible sans l’aide rédactionnelle de Maude Jean-Baptiste et Aichatou Assa Cisse, l’aide médiatique d’Anne Senges et Edmond Bagde Dingamhoudou, et l’aide administrative de Hawa Maiga, Micky Ananth, Fatimata K. Sy, Mariama Diabate-Jabbie et Aissata Diop Diallo. Un précieux travail d’édition et de composition a été réalisé en temps opportun par Valérie Bennett, Maria Deverna et leurs collègues traducteurs et éditeurs chez JPD Systems. 3 P R É FAC E Ce document est le cinquième volet d’une série de rapports traitant de questions de développement essentielles au Tchad, en Guinée, au Mali et au Niger. Cette série intitulée « Bilan économique AFCW3 » vise à susciter un débat public sur des évolutions macroéconomiques et structurelles importantes pour soutenir la réduction de la pauvreté. Plus précisément, la série encourage l’échange d’idées sur certaines des questions les plus cruciales pour la région du Sahel. Elle propose un « Dossier spécial » approfondi – dans ce cas, sur la Guinée – ainsi qu’un aperçu des tendances macroéconomiques régionales. La série présente une analyse générale, bien que les conclusions soient encore préliminaires et loin d’être abouties. En bref, cette nouvelle série de rapports est devenue un vecteur novateur pour la Banque mondiale, et pour la région AFCW3 (Afrique centrale et occidentale) en particulier. Elle vise à informer les médias et à proposer des réformes prioritaires qui ne sont pas encore engagées ni débattues dans ces pays1. L’article principal du présent volume est consacré au défi urgent de l’urbanisation au Sahel, plus particulièrement en Guinée, au Mali et au Niger. Le Sahel connaît actuellement une urbanisation rapide et désordonnée. Les capitales Bamako, Conakry et Niamey dominent le paysage urbain national. Dans chacun de ces trois pays, la capitale revêt une importance économique considérable. Par exemple, Bamako représente environ 34 % du produit intérieur brut (PIB), tandis que Conakry et Niamey représentent chacune environ 27 % du PIB de leur pays respectif. Par ailleurs, la population de ces capitales augmente plus rapidement que partout ailleurs dans le monde, et l’explosion démographique des jeunes pourrait de ce fait se transformer en « dividende démographique » – les villes profitant d’une croissance temporaire de la population en âge de travailler pour employer les jeunes de manière productive – ou en catastrophe démographique, accompagnée d’instabilité urbaine si les villes ne répondent pas à ces aspirations. Malgré leur importance pour leur économie nationale, Bamako, Conakry et Niamey ne sont pas des moteurs de croissance et de prestation de services efficaces. Aucune de ces trois capitales ne 1 Il convient de rappeler que les constatations, interprétations et conclusions exprimées dans ce rapport émanent dans leur totalité de l’équipe de la Banque mondiale et ne représentent pas nécessairement les opinions du Groupe de la Banque mondiale ou de ses organisations affiliées, de ses administrateurs ou des gouvernements qu’ils représentent. 4 parvient à accroître sa compétitivité ni à garantir des services urbains à ses habitants. La productivité du travail y reste faible par rapport à la moyenne de quinze villes d’Afrique subsaharienne, et stagne depuis une quinzaine d’années. Plus inquiétant encore, la prestation de services urbains en Guinée, au Mali et au Niger continue d’être inférieure à la moyenne subsaharienne et ne semble pas prête à rattraper celle des pays de comparaison. La ville de Niamey reste assez concentrée autour de son centre-ville. En revanche, Bamako présente une forme urbaine très fragmentée et Conakry reste fortement soumise aux contraintes de sa situation géographique, sur la presqu’île de Kaloum, ce qui la conduit à une expansion linéaire, avec une forte concentration à l’extrême pointe de la péninsule. Les villes connaissant une fragmentation urbaine tendent à limiter les opportunités d’interaction, ce qui accroît le coût de la fourniture d’infrastructures et de services urbains. Ces villes ne parviennent donc pas à tirer profit des avantages généralement liés à la croissance urbaine. L’article vise à clarifier les facteurs sous-jacents à ces questions urbaines, tout en présentant une évaluation des options de politiques coordonnées et d’investissements. Les maires des grandes villes, les décideurs et les chercheurs, en particulier ceux concernés par le développement urbain de l’Afrique, cherchent à mieux comprendre l’ampleur de la croissance et son impact sur les capitales ouest-africaines, non seulement par rapport à d’autres capitales de la région, mais aussi par rapport à d’autres villes de comparaison en Afrique et en Asie. Le rapport se concentre également sur les besoins de développement de la Guinée et résume les conclusions du Diagnostic pays systématique (DSP) mené par l’équipe de la Banque mondiale afin de déterminer des domaines prioritaires pour l’engagement du Groupe de la Banque mondiale. Ce document a été élaboré en étroite collaboration avec les autorités nationales, le secteur privé, la société civile et d’autres parties prenantes clés. Il présente une évaluation systématique des contraintes à surmonter et des possibilités offertes pour accélérer les progrès vers la réalisation de deux objectifs : éradiquer l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée de façon durable. En termes de perspectives économiques, je suis particulièrement heureuse de signaler que la reprise de la croissance est en train de se consolider. Tous les pays, à l’exception du Tchad, ont connu des taux de croissance positifs en 2017, de 8,2 % pour la Guinée et d’environ 5,3 % pour le Mali et le Niger. Par ailleurs, des taux de croissance positifs sont envisagés pour l’avenir, y compris pour le Tchad suite à la restructuration réussie de sa dette envers la société Glencore. En outre, cette reprise se produit dans le contexte d’une inflation faible avec une tendance à la baisse. 5 Cette bonne performance mérite d’être soulignée, car malgré leurs caractéristiques communes et les différents chocs extérieurs actuels, ces pays continuent d’être handicapés par des contraintes structurelles uniques telles que la lenteur de la diversification des exportations, la faiblesse des transformations structurelles, la faible productivité du secteur agricole et la stagnation du secteur manufacturier. L’accès insuffisant au financement, l’ampleur du manque d’infrastructures, la complexité des réglementations commerciales et le faible niveau des investissements étrangers et des transferts de technologie restent des obstacles majeurs à la stimulation de la croissance et de la compétitivité dans ces pays. La résilience de la croissance devra donc être renforcée. Pour la première fois depuis de nombreuses années, ces pays qui concentraient jusqu’ici leurs efforts sur la stabilisation de l’économie à court terme se consacrent désormais à la relance de la mise en œuvre de réformes structurelles profondes à moyen terme. En conclusion, je souhaite exprimer ici encore une fois ma gratitude envers nos partenaires gouvernementaux, techniques et financiers pour leur coopération et leurs multiples contributions conjointes au cours de ces derniers mois. Leurs encouragements, apports et conseils techniques ont permis de créer un environnement particulièrement propice à des échanges riches et réguliers de points de vue sur les politiques de développement. Je ne doute pas que cette série de rapports permettra d’approfondir encore ces échanges et de les élargir à la sphère publique pour mieux informer les citoyens et leur donner la possibilité d’exprimer leurs opinions. Soukeyna Kane Directrice des opérations de la Banque mondiale Tchad, Guinée, Mali et Niger 6 THÈME SPÉCIAL LES DÉFIS DE L’URBANISATION EN AFRIQUE DE L’OUEST Débloquer la productivité et l’habitabilité de trois villes ouest-africaines Les villes offrent de multiples avantages. Elles permettent aux travailleurs de vivre à proximité de leur lieu de travail, multiplient les opportunités et favorisent la productivité. Elles réunissent physiquement les populations, facilitant ainsi la diffusion et l’échange de connaissances et stimulant l’innovation. Des densités élevées de population permettent de fournir des services moins coûteux, de manière plus efficace et plus équitable. Par conséquent, de nombreux bénéfices liés à la vie urbaine – productivité et habitabilité – sont conditionnés par la proximité des différents acteurs qui en font partie. Par conséquent, la fragmentation du développement urbain rend les villes moins productives et moins habitables. Il devient de plus en plus important de comprendre comment les villes peuvent exploiter et développer leur potentiel en termes de productivité et d’habitabilité - cet article entend répondre à cette question. Alors que les villes font face à des vagues importantes de nouveaux arrivants (souvent des jeunes), elles sont confrontées à de nombreux défis associés à leur urbanisation rapide - notamment la création d’économies compétitives et la provision de services urbains adéquats. Toutefois, l’urbanisation offre également de nombreuses opportunités. En s’appuyant sur des analyses spécifiques des villes de Bamako (Mali), Niamey (Niger) et Conakry (Guinée), ce rapport a l’objectif de clarifier les facteurs sous- jacents aux défis urbains tout en présentant une évaluation des options et opportunités de politiques coordonnées et d’investissements coordonnés. Les dirigeants municipaux, décideurs politiques et chercheurs, en particulier ceux qui étudient le développement urbain en Afrique, tentent de mieux comprendre l’échelle et l’impact de la croissance dans les capitales d’Afrique de l’Ouest par rapport à d’autres capitales de la région, et par rapport à d’autres exemples comparatifs en Afrique et en Asie. Les capitales Bamako, Niamey et Conakry dominent le paysage urbain dans leurs pays respectifs. Le postulat central de l’élaboration des politiques dans les villes est que la flexibilité, la praticabilité Cet article a été préparé par Megha Mukim avec le soutien d’une équipe composée de Paolo Avner, Caroline Plançon, Christian Eghoff, Harris Selod, Somik Lall, Olivia Severine D’Aoust, Zie Ibrahima Coulibaly et Alex Chunet. L’équipe souhaiterait remercier Judy Baker et Nancy Lozano pour leurs contributions. 7 et l’attention des administrations locales en font des acteurs idéaux pour comprendre et répondre aux besoins de leurs citoyens. En effet, les villes visent essentiellement à résoudre leurs problèmes en fonction des conditions locales. Dans chacun des trois pays étudiés, l’importance économique de la capitale ne peut être sous-estimée : c’est le centre névralgique de l’économie nationale. Si Bamako disparaissait, le Mali perdrait 34 % de son PIB ; de même pour la Guinée et le Niger, qui perdraient environ 27 % de leur PIB (Figure 1). Ainsi, les réformes et investissements visant à relever les défis liés au développement urbain dans la capitale auront des répercussions sur le développement économique national. FIGURE 1 Réduction du PIB brut si les capitalesRéduction du PIB sans la capitale devaient disparaître (% du PIB) Madagascar sans Antananarivo Tchad sans N'djamena Burkina Faso sans Ouagadougou Mali sans Bamako Zimbabwe sans Harare Sierra Leone sans Freetown Mozambique sans Maputo Guinée sans Conakry Niger sans Niamey Botswana sans Gaborone Ghana sans Accra RDC sans Kinshasa Côte d'Ivoire sans Abidjan Tanzanie sans Dar es Salam Nigéria sans Lagos -45% -40% -35% -30% -25% -20% -15% -10% -5% 0% Source : Ghosh et coll. (2010)2 Cependant, malgré leur importance pour l’économie nationale, Bamako, Niamey et Conakry ne sont pas des moteurs de croissance et de prestation de services. Ces trois villes doivent faire davantage de progrès pour accroître leur compétitivité au fil du temps ou fournir des services urbains à leurs citoyens. Dans les trois villes, la productivité du travail, calculée en tant que valeur ajoutée brute (VAB) par habitant, est faible et est restée inchangée ces quinze dernières années par rapport à la moyenne pour 15 villes d’Afrique subsaharienne (Figure 2). La situation est d’autant plus préoccupante que la prestation de services urbains au Mali, en Guinée et au Niger, comme l’indique un indice combinant la qualité de l’accès à l’eau, à l’électricité et à l’assainissement, accuse également un retard par rapport à la moyenne subsaharienne et ne montre aucun signe de redressement (Figure 3). Ainsi, ces villes ne parviennent pas à profiter des avantages généralement associés à la croissance urbaine. 2 Ghosh, T., Powell, R. L., Elvidge, C. D, Baugh, K. E., Sutton P. C., and Anderson S. (2010). “Shedding Light on the Global Distribution of Economic Activity.“ Open Geography Journal, Vol. 3, pp. 148–161. La méthodologie combine l’éclairage nocturne (pour le PIB dans les secteurs industriel et commercial) et une trame de la population (pour le PIB dans l’agriculture). Cette méthodologie contourne les limites inhérentes à l’analyse de l’éclairage nocturne pour les secteurs agricole et informel. Cependant, elle ne prend pas en compte un certain nombre de facteurs tels que la contribution du commerce interrégional pour les estimations du PIB. 8 FIGURE 2 FIGURE 3 Tendances dans l’accès aux services Tendances de la compétitivité (VAB par travailleur) publics dans les zones urbaines Index d'accès aux services publics 3500 100% 3000 90% 2500 80% 70% 2000 60% 1500 50% 40% 1000 30% 500 20% 10% 0 0% 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 Guinée Mali Bamako Conakry Niamey 15 capitales subsahariennes Niger Afrique subsaharienne Asie du Sud Source : Oxford Economics Source : Indicateurs du développement dans le monde Les populations de Bamako, Conakry et Niamey sont en rapide croissance et devront tirer profit du dividende démographique pour éviter l’instabilité. Pour maintenir un taux de chômage à 3 %, Bamako devra créer environ 1,5 million de nouveaux emplois, et Conakry et Niamey, environ la moitié. Le pourcentage de jeunes devrait augmenter plus vite qu’ailleurs dans le monde au cours de la prochaine génération, en particulier en Afrique de l’Ouest. Cette explosion démographique des jeunes peut se transformer en dividende démographique – les villes pourront bénéficier d’un essor temporaire de la population en âge de travailler pour employer les jeunes de manière productive. Toutefois, elle peut aussi constituer un désastre démographique si les villes ne parviennent pas à répondre aux attentes de la jeunesse. Bamako, Conakry et Niamey doivent donc agir aujourd’hui pour ne pas être confrontées demain à une forte proportion de jeunes privés de perspectives d’emploi car cela entraînerait un risque d’instabilité urbaine dans la région, à l’heure où les menaces terroristes déstabilisent de plus en plus le Sahel. La fragmentation du développement urbain explique en grande partie la très faible exploitation des avantages associés à la croissance urbaine. La majeure partie des nouvelles constructions à Bamako et Conakry s’est faite loin des centres de fortes concentrations urbaines existant, aggravant ainsi les problèmes d’accessibilité et d’accès aux services. En revanche, la ville de Niamey, encore aux premiers stades d’urbanisation, dispose d’une plus forte densité et présente de meilleures opportunités d’interaction et de prestations de services efficaces. Le niveau élevé de fragmentation urbaine à Bamako et Conakry entrave la productivité, en limitant les opportunités de rapprochement entre les personnes et les emplois correspondants, et la qualité de vie en faisant grimper les coûts de l’infrastructure urbaine et de la prestation de services. 9 Pour devenir des moteurs de croissance et de prestation de services, Bamako, Conakry et Niamey doivent se focaliser sur leur urbanisme et leur organisation spatiale. Cependant, les trois villes souffrent de marchés fonciers inefficaces, qui ont entraîné un développement humain anarchique conduisant à des investissements dans des bâtiments et infrastructures éloignés des zones centrales . L’insuffisance des investissements en réseau d’infrastructures rentables, y compris les infrastructures de transport et les services publics, a aggravé les problèmes d’accessibilité urbaine. De plus, les institutions chargées de la planification urbaine au niveau local sont également faibles, et les administrations municipales ont des mandats restreints et ne contrôlent pas les recettes permettant de financer les dépenses pour leur développement. Les possibilités d’investissements coordonnés en infrastructure urbaine sont limitées. Les décisions prises aujourd’hui concernant les investissements en infrastructure urbaine, la construction de bâtiments et l’aménagement des terres auront des implications considérables sur le développement de demain et peuvent être déterminantes pour éviter d’enfermer les villes dans des modes de développement moins durables qui les exposeront à des tensions urbaines intenses et fréquentes. Du fait de leur héritage colonial, Bamako, Niamey et Conakry ont un aménagement urbain moins chaotique que la majorité des capitales d’Afrique de l’Est. Cela leur donne l’opportunité de faire des investissements précoces dans le tissue d’infrastructure connective et de manière synchronisée avec l’aménagement du territoire. Afin d’atteindre cet objectif, les décideurs politiques infranationaux devront bâtir des coalitions dans toutes leurs circonscriptions et s’associer aux administrations nationales tout en tentant d’élargir leurs sources de revenus. Les investissements urbains sont de longue durée et dépendent du parcours suivi par le passé. C’est donc maintenant qu’il faut agir. Partie 1 : URBANISATION EN AFRIQUE DE L’OUEST – DESCRIPTION DU PROBLÈME La Guinée, le Mali et le Niger ont connu une croissance rapide de la population urbaine entre 2000 et 2015. Les taux de croissance urbaine ont été particulièrement spectaculaires au Mali et au Niger (environ 5 %), la Guinée (3,3%) se rapprochant davantage de la moyenne régionale (voir Figure 5). On estime que jusqu’en 2030, les zones urbaines au Mali, au Niger et en Guinée accueilleront, respectivement, au moins 400 000, 190 000 et 150 000 résidents chaque année. Cependant, ces pays ne se trouvent pas aujourd’hui au même stade d’urbanisation. Environ 40 % de la population du Mali et de la Guinée vivent actuellement dans des zones urbaines, tandis que les niveaux d’urbanisation au Niger (20 %) accusent un retard par rapport aux deux autres pays (Figure 4). 10 FIGURE 4 Tendances en matière de population FIGURE 5 urbaine (% de la population nationale) Tendances en matière de croissance urbaine (%) 50% 6% 40% 5% 30% 4% 20% 3% 10% 2% 0% 1% 1995 2000 2005 2010 2015 0% Guinée Mali 1995 2000 2005 2010 2015 Guinée Mali Niger Afrique sub-saharienne Niger Afrique de l'Ouest Afrique de l'Ouest Afrique subsaharienne Source : Perspectives d’urbanisation du monde, Organisation des Nations Unies Nul ne doit sous-estimer l’importance des villes. Les zones urbaines comptent pour environ la moitié du PIB national dans chaque pays, tout en représentant uniquement 1 % de leur masse territoire. En outre, les capitales nationales représentent toujours une production économique plus importante que toutes les autres villes du pays réunies. Plus précisément, Bamako représente 34 % du PIB national, et Conakry et Niamey 27 % chacune (Figure 6). Cependant, la force relative de cette domination varie selon les pays. Tandis que Bamako est incontestablement le principal cœur économique du Mali, en Guinée et au Niger, d’autres villes apportent également des contributions considérables. Dans les trois pays, les activités non urbaines telles que l’agriculture et l’exploitation minière dominent l’économie et représentent conjointement environ la moitié du PIB ou plus. FIGURE 6 Répartition du PIB par pays (% du PIB national) Source : Ghosh et coll. (2010) 11 Malheureusement, l’urbanisation rapide ne s’est pas accompagnée de gains proportionnels en termes de PIB par habitant. L’urbanisation constitue un moteur important du développement économique et social. C’est dans les villes que les marchés sont les plus denses, la prestation de services la moins chère et les taux d’innovation les plus élevés. Cependant, comparée à d’autres pays en développement, la croissance de la population urbaine dans ces trois villes ne s’est pas accompagnée d’un accroissement proportionnel du PIB (Figure 7). Cette étude vise donc à comprendre pourquoi la croissance urbaine en Afrique de l’Ouest n’a pas été associée au développement urbain, et comment les capitales du Mali, de la Guinée et du Niger peuvent devenir plus productives et habitables dans le futur. FIGURE 7 La forme urbaine des villes, à savoir la Variation du PIB en fonction de l’urbanisation, par pays manière dont elles sont construites et structurées spatialement, constitue un important moteur de la productivité… Au fur et à mesure que les villes s’urbanisent, les travailleurs quittent les zones rurales vers les zones urbaines à la recherche d’un emploi meilleur, stimulant ainsi la productivité à travers une transformation structurelle. De plus, l’urbanisation stimule la croissance parce que les villes permettent d’augmenter la productivité des entreprises à travers des effets d’agglomération bénéfiques3. La proximité spatiale présente de nombreux avantages. Les entreprises situées à proximité les unes des autres peuvent partager les mêmes fournisseurs et réduire ainsi le coût des intrants. Un marché du travail Source : Indicateurs du développement dans le monde (2017) abondant permet de réduire les coûts de recherche d’emploi et de fournir un plus grand éventail de travailleurs aux entreprises. En outre, la proximité spatiale permet également aux travailleurs de partager des informations, des savoir-faire et d’apprendre les uns des autres. ...et d’habitabilité. Certains biens et services publics, tels que les infrastructures et les services de base, peuvent être fournis de manière plus efficace et plus équitable lorsque les populations sont importantes et denses. Et ce parce que la densité urbaine réduit potentiellement le coût unitaire de la provision de services publics, permettant aux gouvernements d’élargir l’accès aux services de base. Inversement, l’absence d’investissements appropriés dans les infrastructures physiques peut entraîner une amplification de la congestion, la pollution et un accroissement des inégalités entre citadins. 3 La majorité des avantages liés au phénomène d’agglomération est amplifié par l’échelle de l’agglomération. En particulier, une ville doublant sa taille, gagne en moyenne 5 % de productivité.. Source : Rosenthal, S. and Strange, W. (2004). « Evidence on the Nature and Sources of Agglomera- tion Economies. » In Henderson, J. V. and Thisse, J. K., Eds., Handbook of Regional and Urban Economics, Elsevier, Amsterdam, 2119–2171. 12 Malheureusement, le paysage urbain de Bamako et de Conakry est fragmenté, réduisant ainsi les opportunités liées à la proximité spatiale. Alors que Bamako présente un paysage urbain fragmenté, Niamey présente une forme relativement bien distribuée autour de son centre-ville (Figure 8), affichant ainsi de fortes densités de population par kilomètre carré. Quant à Conakry, le développement de la ville a été particulièrement freiné par sa situation géographique (située sur la péninsule de Kaloum), conduisant à une expansion linéaire avec une haute concentration de population à l’extrême pointe de la péninsule. Les villes au tracé urbain fragmenté ont tendance à limiter les opportunités d’interaction et à augmenter les coûts de provision d’infrastructures urbaines et de services. FIGURE 8 Différences de fragmentation urbaine Population: 2,5 millions Population: 1,9 million Population: 1 million Source : Henderson et Nigmatulina (2016)4 Le tracé urbain de la ville impacte son potentiel d’interaction. Les interactions sont primordiales pour tirer profit des avantages des villes, car elles constituent l’un des moteurs de la croissance de la productivité. Les villes bien connectées facilitent l’accès des travailleurs aux emplois, le partage d’informations, l’apprentissage auprès des autres, et favorisent la diffusion des connaissances5. Le potentiel d’interaction d’une ville peut être évalué par une simple mesure de connexions6 calculée à l’échelle de chaque ville. Le calcul pour chaque ville est évalué en comparant le résultat avec des villes ayant un niveau de population similaire7. Sur ces bases, le potentiel d’interaction de Niamey est nettement plus élevé que la moyenne des villes comparatives, ce qui n’a rien de surprenant puisque sa structure est concentrée. En revanche, en raison de sa forme linéaire, Conakry est moins performante que des villes de taille similaire, tandis que Bamako s’approche de la moyenne. Les investissements urbains sont de longue durée. Pour comprendre le décalage entre Conakry et Bamako, il suffit d’observer la nature de l’expansion urbaine au cours de la dernière décennie. Les décalages observés dans le potentiel d’interaction et la fragmentation sont liés au niveau de dispersion spatiale au sein de ces villes. Ce paysage urbain s’est développé au fil du temps selon 4 Henderson, J. V. et Nigmatulina, D. (2016). The Fabric of African Cities: How to Think about Density and Land Use. Projet. London School of Economics. 5 De la Roca, J. et Puga, D. (2017). “Learning by Working in Big Cities.” Review of Economic Studies, Vol. 84, pp. 106–142. 6 Également connu sous le nom d’Indice Puga, in de la Roca et Puga (2017). 7 Villes de comparaison : 2,4–2,7 millions pour Bamako, 1,9–2 millions pour Conakry, et 1–1,1 million pour Niamey (Henderson et Nigmatulina, 2016). 13 la nature des nouvelles zones construites (extension, remplissage, ou mitage des terres). Le terme extension fait référence aux nouvelles constructions en périphérie de la zone urbaine consolidée, le terme mitage des terres se réfère aux parcelles de terre récemment construites qui ne se rejoignent pas avec un développement existant, et le terme remplissage désigne une construction sur des parcelles non construites entourées d’un développement existant (voir Lall et coll. 2017 pour les détails et des éléments de comparaison supplémentaires)8. Au sein de ces trois villes, les zones correspondant à des extensions constituent une part importante de l’expansion urbaine, particulièrement à Bamako et Conakry (voir Figure 9 pour la répartition de l’expansion urbaine par ville). Bien que les extensions urbaines en périphérie des villes constituent un processus naturel de croissance, leurs conséquences sur la productivité et l’habitabilité urbaine seront déterminées par l’étendue de la planification urbaine. Si les nouvelles constructions ne sont pas regroupées à proximité d’un développement existant, la densité économique diminue et la fragmentation urbaine augmente, réduisant ainsi les opportunités de connexions et interactions entre les travailleurs, les emplois et les entreprises, et augmentant d’autre part le coût de la provision de services publics. Il est préoccupant de constater que Bamako affiche également le taux le plus élevé de mitage des terres (19 %), juste devant Conakry (13 %). En revanche, l’expansion urbaine de Niamey a été caractérisée par une large part de remplissage dans de nouvelles zones (44 %), une tendance de bon augure pour l’avenir de la ville si elle était maintenue. FIGURE 9 Répartition de l’expansion urbaine (2000–2010) 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Dakar Lusaka Maputo Kano Sukuta Bamako Freetown Addis Ouagadougou Accra Kigali Bulawayo Lagos Nouakchott Nyala Nairobi Kampala Touba Abuja Niamey Conakry Windhoek Source : Baruah et al., 20179 Remplissage Extension Mitage des terres L’accessibilité dépend de deux facteurs : l’utilisation des terres (c’est-à-dire, là où vivent et travaillent les habitants), et l’efficacité des systèmes de transport permettant le déplacement vers le lieu de travail. Les villes peuvent maximiser l’impact de l’urbanisation rapide grâce aux économies d’agglomération, elles-mêmes générées par l’interaction efficace entre les personnes et les entreprises 8 Lall, S. V., Henderson, J. V., et Venables, A. J. (2017). Africa’s Cities: Opening Doors to the World. Banque mondiale. 9 Baruah, N. G., Henderson, J. V., et Peng, C. (2017). Colonial Legacies: Shaping African Cities (Héritages coloniaux : réinventer les villes africaines) . Document de discussion SERC No. 226, Spatial Economics Research Center. 14 au sein de la ville. L’existence d’un réseau d’infrastructure de transport efficace et abordable est tout aussi importante que la structure urbaine de la ville pour relier les habitants entre eux, et à l’emploi. La plupart des habitants de Bamako, Niamey et Conakry se déplacent à pied (Figure 10). Plus de la moitié des déplacements dans la ville se font à pied, et donc sur une étendue géographique assez limitée, réduisant l’accès aux opportunités et services offerts par la ville. Dans de nombreux cas, les personnes n’ont pas les moyens de payer un transport motorisé régulier. En matière de services de transport, chaque capitale affiche des caractéristiques différentes. À Conakry, 78 % des déplacements se font à pied, contre seulement 57 % à Bamako. Les autres déplacements se font en véhicule privé, minibus ou autres moyens motorisés à Niamey et Bamako, alors qu’à Conakry, une part importante des déplacements s’effectue en taxis collectifs. La part des transports institutionnels (grandes entreprises publiques d’autobus) et des minibus varie également de manière significative dans ces trois villes, mais n’atteint que 17-18 % dans chacune. Si marcher pour se rendre au travail est un excellent moyen de déplacement (à encourager), il a également des conséquences sur l’éventail d’emplois et de services accessibles dans un cadre temporel lorsque les moyens de transport sont limités. En supposant qu’un individu marche une heure, il lui est possible d’avoir accès à des opportunités situées dans un périmètre de 28 km2 (sur la base d’un généreux 3km/h en ligne droite). En 2015, cela ne pouvait représenter que 10 % de la zone urbaine de Bamako. FIGURE 10 Répartition des modes de transport par rapport La fragmentation urbaine est à la totalité des déplacements, par ville également associée à une faible accessibilité aux infrastructures Part de chaque mode de transport et services urbains. Le tracé Ouagadougou urbain de la ville, la répartition Bamako de la population et la densité Douala économique sont tous directement Niamey liés à la fourniture de services Conakry urbains du fait que les villes plus Dakar denses permettent une provision 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% plus efficace de services publics. A pieds Vélo Dans les trois capitales, le centre Deux-roues Voiture Transport institutionnel Moto-taxi historique est le secteur le mieux Taxi Taxi partagé connecté à l’électricité, et l’accès Sources: Olvera et coll. (2012); Godard (2011) 10 se réduit de manière significative au fur et à mesure que l’on s’en éloigne, avec un accès plus faible dans les secteurs périphériques (Figure 11). De même, l’accès à l’eau potable est beaucoup plus élevé dans le centre-ville et très limité dans les zones périphériques (en particulier à Bamako et Conakry). Le fait que les zones densément peuplées ne soient pas nécessairement bien desservies par les services publics lorsqu’elles sont loin 10 Olvera, L. D, Plat, D., et Pochet. P. (2012). « Mobilité et accès à la ville en Afrique Subsaharienne. » Compte rendu de la Conférence CODATU sur « Le rôle de la mobilité urbaine pour (re)modeler les villes, » Addis-Abeba (octobre), pp. 2–17; Godard, X. (2011). Sustainable urban mobility in Francophone Sub-Saharan Africa. Étude régionale préparée pour le Rapport mondial sur les établissements urbains 2013, ONU-Habitat. 15 du centre-ville est préoccupant. Par exemple, même si l’accès à l’électricité est systématiquement meilleur en centre-ville, il ne semble pas s’accroître proportionnellement à la densité (Figure 12). FIGURE 11 Accès à l’électricité (haut) et à l’eau (bas) à Bamako, Conakry et Niamey Source : RGPH 2009 (Mali) ; RGPH 2014 (Guinée) ; RGPH 2012 (Niger) 11 FIGURE 12 Accès à l’électricité, distance du centre et densité de population 100% 100% 90% Accès à l'électricité (% de la pop.) Accès à l'èlectricité (% de 90% 80% 80% 70% 70% 60% 60% la pop.) 50% 50% 40% 40% 30% 30% 20% 20% 10% 10% 0% 0 5 10 15 20 25 30 0% 0 20000 40000 60000 Distance du centre (km) Densité de population (par km2) Note : Uniquement quartiers de Bamako et Conakry Source : RGPH 2009 (Mali) ; RGPH 2014 (Guinée) 11 Recensement national (RGPH). 16 La fragmentation urbaine impose également aux travailleurs et aux ménages des coûts de vie élevés, entraînant des coûts indirects et d’autres contraintes pour les entreprises, tandis que les densités spatiales plus élevées semblent réduire les coûts. Par exemple, une réduction de 1 % de la fragmentation spatiale est associée à une réduction de 12 % des coûts urbains, après contrôle des niveaux de revenus et de population (Lall et coll. 2017). Cette étude révèle également que le coût élevé de la vie dans les villes africaines est lié à leur faible densité spatiale et aux insuffisances en termes de réseau d’infrastructure. Ces coûts se répercutent souvent sur les prix des denrées alimentaires et des moyens de transport, impactant plus globalement les niveaux de consommation des ménages. Le Mali, la Guinée et le Niger souffrent tous de prix relativement élevés par rapport à leur niveau de PIB par habitant (Figure 13). Les frais de transport des citadins maliens sont particulièrement élevés ; les prix sont de 13 % supérieurs à la moyenne des pays de comparaison. Les ménages nigériens payent beaucoup plus, et la Guinée un peu plus pour les denrées alimentaires. Le coût de la vie élevé se voit répercuté inévitablement sur les entreprises urbaines, ce qui affecte donc également le potentiel de croissance de la productivité de la ville. FIGURE 13 Prix du transport et de la nourriture en fonction du PIB Source : Henderson et Nigmatulina (2016) 17 Partie 2 : QUELS FACTEURS EXPLIQUENT CES FAITS STYLISÉS ? Bamako, Niamey et Conakry ne constituent pas des moteurs de croissance ou de prestation de services. Leur développement urbain fragmenté a empêché l’établissement de mécanismes d’adéquation et de correspondance entre les personnes et les emplois, et a augmenté le coût des infrastructures et de la prestation de services. L’expansion urbaine à Bamako et à Conakry est déconnectée des centres urbains existants. En conséquence, la mobilité urbaine est faible, réduisant davantage le potentiel d’interaction au sein de la ville. Les faibles densités de population et la fragmentation des terres ont été associées à un accès inégal aux services dans la ville et à des coûts de vie plus élevés. Quels facteurs principaux expliquent le niveau de fragmentation urbaine et freinent le potentiel de ces capitales ? Le développement urbain productif et viable de Bamako, Conakry et Niamey a été limité par trois séries de facteurs : les institutions, les terres et le réseau d’infrastructure. L’action des administrations des trois villes est freinée par leurs compétences administratives limitées, ceci étant aggravé par des capacités insuffisantes (notamment au niveau budgétaire). L’accès à la terre représente un défi majeur et les marchés fonciers peinent souvent à allouer efficacement les terres. Enfin, comme indiqué plus haut, la connectivité urbaine est faible en raison du manque d’investissements adéquats et opportuns dans les transports et autres infrastructures. (a) Différences institutionnelles : Fiscalité Le tracé urbain des villes d’Afrique de l’Ouest peut s’expliquer par leur histoire. Les différences institutionnelles entre les villes autrefois sous administration coloniale britannique et française sont associées à différents résultats organisationnels, et ce constat est net dans le tracé urbain des villes. Les structures spatiales des villes d’Afrique subsaharienne sont fortement influencées par le type d’administration coloniale. Les villes francophones du Mali, du Niger et de la Guinée sont plus compactes physiquement que les villes des anciennes colonies britanniques (Figure 14).12 Les Britanniques fonctionnaient sous un système d’administration indirecte et un double mandat dans les villes, permettant aux sections coloniales et autochtones de se développer séparément sans plan ou coordination d’ensemble. En revanche, les mécanismes intégrés de planification urbaine et d’attribution des terres étaient une caractéristique de l’administration coloniale française, qui favorisait l’administration directe et l’assimilation. Cela ressort de la structure visuelle des villes. 12 Baruah et coll. (2017). 18 FIGURE 14 Les différences de structures urbaines sont fonction de l’héritage colonial Source : Baruah et coll. (2017) Les villes francophones d’Afrique de l’Ouest ont également hérité de trajectoires institutionnelles de base dans le cadre de leur legs historique. À bien des égards, les paradigmes institutionnels francophones diffèrent totalement des paradigmes anglophones. Par exemple, les gouvernements locaux ne sont pas considérés comme des gouvernements, mais comme des collectivités soumises à une tutelle ex ante ou un contrôle substantiel de l’État. De plus, « l’État » anglo-saxon est une version moins rigide de l’équivalent français. L’attribution de responsabilités fonctionnelles aux administrations locales dans le système francophone tend généralement à être concomitante (et donc à se chevaucher), et à être plus imprécise. Le paradigme francophone de la décentralisation est également sujet à des arrangements symétriques (« taille unique ») et, par conséquent, opposé à l’asymétrie (où le degré de dévolution peut varier d’un endroit à l’autre). En outre, un aspect très pertinent pour cette analyse, en matière de gestion des finances publiques, les trésoreries francophones fonctionnent sur la base de l’unification de toutes les finances publiques (« l’unicité de caisse »), et sont donc pleinement fongibles. Par conséquent, les recettes fiscales des administrations locales sont en grande partie collectées par les fonctionnaires du Trésor central, et non par les percepteurs locaux, contrairement aux gouvernements locaux anglophones. Au risque de simplifier à outrance, les États africains francophones tendent institutionnellement vers une plus grande centralisation que leurs homologues anglophones. Comme le montre la Figure 15, les pays anciennement sous domination coloniale française (en bleu sur la carte) affichent des degrés de décentralisation nettement inférieurs à ceux sous domination britannique (en gris sur la carte). Cela est vrai pour la Guinée, le Mali et surtout le Niger, qui enregistrent tous un score faible sur l’indice de décentralisation. Cet indice est une combinaison de trois sous-indices : décentralisation politique, décentralisation fiscale et décentralisation administrative. 19 FIGURE 15 Score sur l’indice de décentralisation dans les pays africains 3.5 3 2.5 2 1.5 1 0.5 0 Source : Ndegwa (2002) 13 FIGURE 16 Score de l’indice pour les cadres institutionnels favorables aux gouvernements locaux Liberia Soudan RDC Mozambique Guin ée Congo Brazzaville Ethiopie Cote d'Ivoire Côte Angola Sierra Leone Mauritan ie Mali Tchad Cameroun Burkin a Faso Nigeria Nigéria Niger Burundi Sén égal Ghan a Bén in Tan zan ie Rwan da Zambie Kean ya Ouganda Afrique du Sud 0 5 10 15 20 25 30 35 40 Source : CGLU et Alliance des villes (2015) 13 Ndegwa, N. S. (2002). Decentralization in Africa: A Stocktaking Survey. Banque mondiale. 20 Actuellement, les cadres institutionnels en Afrique de l’Ouest peuvent être également plus restrictifs pour les gouvernements municipaux. L’évaluation 2015, par CGLU et l’Alliance des villes, des environnements institutionnels des gouvernements locaux en Afrique montre que les cadres nationaux dans les pays africains principalement francophones sont généralement moins favorables (Figure 16) et occupent beaucoup moins d’espace budgétaire (Figure 17) que ceux des pays anglophones.14. Les gouvernements centraux dans des pays tels que le Niger, la Guinée et (dans une bien moindre mesure) le Mali sont très dépensiers, contrairement aux gouvernements locaux. FIGURE 17 Pourcentage du PIB et des dépenses publiques totales consacrées aux gouvernements locaux, par pays 30.00% 25.00% 20.00% 15.00% % du PIB % des dépenses totales 10.00% 5.00% 0.00% Ghana Tanzanie Ouganda Mali Guinée Source : OCDE (2016) )15 Malgré une dépendance institutionnelle commune aux trois pays francophones, les résultats ont été inévitablement différents au vu de leur histoire politique récente. Dans chaque pays, des trajectoires et des processus politiques différents ont façonné l’évolution de la décentralisation, y compris au sein d’un paradigme institutionnel commun. Les hypothèses préliminaires pour ce résultat sont esquissées ci-dessous, avec le Mali comme point de référence implicite. 14 Dix critères (cadre constitutionnel, cadre législatif, démocratie locale, transferts financiers, revenus autonomes, renforcement des capacités des administrations locales, transparence, participation citoyenne, performance des collectivités locales, stratégie urbaine) ont été identifiés comme essentiels pour évaluer l’environnement favorable que chaque gouvernement africain fournit à ses villes et aux gouvernements locaux. Chaque pays a été analysé en termes de progrès dans la mise en œuvre de la décentralisation – ainsi que les contraintes sur celle-ci – puis évalué sur une échelle de 10 à 40. Voir : http:/ /www.citiesalliance.org/ca-uclg-jwp 15 OCDE (2016). Financement et structure des gouvernements infranationaux dans le monde. 21 n La décentralisation au Mali, constante au fil du temps, a été un moyen de préserver l’intégrité nationale et territoriale. Cela peut s’expliquer en partie par la faiblesse relative de l’État central malien entre 1960 et 1991, et l’incapacité des régimes à parti unique et autoritaires à résister aux revendications populaires de démocratie pluraliste et de toute forme de gouvernance locale démocratique. Après 1991, la décentralisation est devenue un leitmotiv dans les réformes politiques du pays, et reste, depuis, largement soutenue – avec des hauts et des bas inévitables. En conséquence, un nombre croissant de secteurs (éducation, santé, etc.) ont été dévolus aux gouvernements locaux ces dernières années. Plus récemment, et peut-être tout aussi important, les réformes de décentralisation du Mali ont également été guidées et façonnées par la réponse de l’État aux conflits alimentés par les sécessionnistes dans le Nord. Les solutions politiques concernant le Nord ont toujours inclus des engagements (à la fois rhétoriques et réels) de degrés plus élevés d’autonomie locale, se traduisant par des réformes de décentralisation plus profondes. Depuis 2012 et la résurgence des conflits dans le Nord, la régionalisation occupe une place de plus en plus importante dans le discours politique du pays. Parallèlement et pour les mêmes raisons, le Mali s’est engagé à allouer 30 % des recettes nationales aux gouvernements locaux. n En revanche, la décentralisation au Niger et en Guinée a progressé lentement. Dans la période qui suit immédiatement l’indépendance, les États nigérien et guinéen ont mieux centralisé leurs pouvoirs que l’État malien. Alors que le Niger et la Guinée ont connu une démocratisation et une décentralisation à partir des années 1990, le gouvernement central a continué d’exercer un contrôle important dans les deux pays, mais sans doute moins depuis 2010. Les deux pays ont également connu des insurrections régionales d’intensités variables, cependant plus faibles en intensité comparées au Mali. De ce fait, la décentralisation au Niger et en Guinée a probablement été moins urgente et moins nécessaire politiquement. Cependant, à la suite des bouleversements politiques intervenus après 2010, les réformes de décentralisation ont gagné en importance. En Guinée, le Code des collectivités locales a été révisé et mis à jour en 2017, et des élections locales longuement différées viennent d’avoir lieu (février 2018), tandis qu’au Niger, on note dans le débat politique de haut niveau un regain d’intérêt pour la décentralisation et la nécessité de décentraliser les secteurs sociaux clés pour améliorer la prestation de services. Ces différentes trajectoires de décentralisation ont eu un impact sur l’importance des collectivités locales et leur financement dans chaque pays. En Guinée, où la décentralisation a été timide (au mieux), les communes de Conakry ont des responsabilités limitées et très peu de ressources (voir ci-dessous). Par conséquent, les collectivités locales urbaines ont beaucoup moins de marge de manoeuvre sur le développement urbain et les services urbains que leurs homologues de Bamako ou de Niamey. 22 Bamako, Niamey et Conakry ont des dispositifs de gestion urbaine très différents, reflétant en partie leurs trajectoires nationales de décentralisation. n Bamako : Ville multiniveaux et fragmentée. Les dispositifs de gouvernance locale de Bamako consistent en une structure à deux niveaux, chaque niveau étant institutionnellement autonome par rapport à l’autre. D’une part, le District, avec une juridiction à l’échelle de la ville ; d’autre part, les six communes, avec des juridictions plus étroites. Le District et les six communes ont des conseils élus au suffrage direct, dirigés par des maires.16 La relation entre le District et les six communes est de nature coopérative et non hiérarchique. Le District est supervisé par le ministère chargé des collectivités locales, tandis que les communes sont soumises à la surveillance du gouverneur de district. À côté de ces sept gouvernements locaux se trouve le district administratif,17 dirigé par un gouverneur nommé, qui supervise une série de départements hiérarchiques déconcentrés. n Niamey : Ville à un seul niveau et unifiée. En termes de gouvernance locale, les dispositifs de Niamey sont beaucoup moins fragmentés que ceux de Bamako ou de Conakry. La ville de Niamey est une administration locale à palier unique régie par un conseil municipal et un maire. La juridiction de la ville comprend la majeure partie de la zone urbaine de Niamey ainsi que cinq arrondissements communaux, ou unités administratives de l’agglomération, qui ne constituent pas des gouvernements locaux et ne gèrent pas leurs propres budgets. En revanche, les sous-districts sont représentés au conseil municipal (dont les membres sont élus sur la base de ces unités). Niamey est également l’équivalent d’une région administrative, dirigée par un gouverneur nommé, qui supervise la ville ainsi que les départements hiérarchiques décentralisés et régionaux. n Conakry : Ville multiniveaux et fragmentée. Conakry se compose de cinq communes urbaines, chacune avec son propre conseil élu et maire, et un gouvernement municipal. Le conseil municipal est composé de membres élus au suffrage indirect et dirigé par le gouverneur de Conakry, nommé par le chef de l’État.18 Les cinq communes de Conakry sont soumises à la surveillance du Gouverneur de Conakry. Conakry est également une juridiction administrative, l’une des huit régions de la Guinée. La duplication et le chevauchement fonctionnel des mandats sont des défis pour la coordination et la fourniture efficace des services urbains et des infrastructures. Dans les trois cas, les gouvernements locaux urbains opèrent aux côtés de plusieurs départements et organismes du gouvernement central, ainsi que des entreprises de services publics (électricité et eau). Dans chaque ville, ces ensembles combinés d’unités du gouvernement central, de services publics et de gouvernements locaux sont responsables de la fourniture de biens et services urbains. La complexité de ces dispositifs limite encore plus la capacité des gouvernements locaux à mettre en œuvre leurs mandats. 16 Les maires de Bamako sont les leaders des plus grands partis dans leurs conseils. À l’instar de leurs homologues nigériens et guinéens, les sept maires de Bamako ne participent pas à des élections municipales distinctes. 17 Le District de Bamako est donc à la fois un gouvernement local et une unité administrative, avec le même statut que les régions du reste du Mali. 18 Les dispositifs pour le gouvernement municipal de Conakry sont actuellement en transition, suite aux élections locales de février 2018. Une fois que les conseils municipaux et les maires élus prêtent officiellement serment, ils élisent un conseil municipal, qui élit à son tour le maire de la ville. À ce moment-là, le gouverneur de Conakry ne dirige plus le conseil municipal. 23 Les finances des collectivités locales urbaines varient considérablement entre les trois villes (Tableau 1). À Bamako, les revenus totaux par habitant augmentent en raison de la hausse des transferts budgétaires du gouvernement central, tandis que les revenus autonomes (own-source revenues – OSR) restent globalement constants, mais en déclin en pourcentage des revenus totaux. Les revenus autonomes de Niamey sont à peu près comparables à ceux de Bamako par habitant, alors qu’à Conakry, ils représentent moins de la moitié de ceux de Bamako et Niamey. Cependant, aussi bien à Niamey qu’à Conakry, les revenus autonomes représentent un pourcentage beaucoup plus élevé des revenus totaux, parce que dans les deux cas, les transferts du gouvernement central sont beaucoup moins importants qu’à Bamako. TABLEAU 1 Revenus des gouvernements locaux à Bamako, Niamey et Conakry Bamako Niamey Conakry (District et 6 (Ville) (Ville et 5 communes) communes combinés) 2015 2016 2015 2016 2015 2016 OSR en % des revenus totaux 36% 23% 45% 44% 99% 93% OSR PAR HABITANT 3 716 3 970 4 904 3 791 25 096 26 074 FCFA ou GNF USD 6,97 7,45 7,68 7,11 2,79 2,90 TOTAL DES REVENUS PAR HABITANT FCFA ou GNF 10 198 17 393 9 007 8 640 25 349 28 163 USD 19,13 32,63 16,90 16,21 2,81 3,13 Notes : OSR = Revenus autonomes ; FCFA = franc CFA ; GNF = franc guinéen Les dépenses des gouvernements locaux à Bamako, Niamey et Conakry sont dominées par les dépenses récurrentes. À Bamako, les dépenses récurrentes représentent généralement environ 95 % des dépenses annuelles totales des districts et des municipalités, et sont consacrées en grande partie au financement des coûts salariaux élevés associés aux secteurs sociaux décentralisés (éducation, santé, bien-être), dont sont responsables les autorités locales maliennes. Bien que la situation soit un peu plus favorable à Conakry et Niamey, où les dépenses récurrentes représentent respectivement 75-85 % et environ 60-65 % des dépenses totales des collectivités locales, les niveaux de financement beaucoup plus faibles signifient que les investissements des gouvernements locaux dans les deux villes sont en hausse, bien que partis d’un niveau bas. Par exemple, en 2016, les administrations locales de Conakry ont dépensé un peu plus de 1,5 million USD au total en biens d’équipement. Pendant ce temps, les dépenses récurrentes relativement élevées des gouvernements locaux dans les trois villes réduisent les dépenses en capital, les investissements des gouvernements locaux dans les infrastructures urbaines ne représentant qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport au besoin d’infrastructures de base. À Niamey, par exemple, quatre grands projets de construction et de modernisation des routes entrepris au cours des quatre ou cinq dernières années ont coûté environ 24 95 millions USD, soit environ 20 fois les dépenses en capital de la ville de Niamey pour 2016. Ces projets d’infrastructure de transport urbain ont été financés et mis en œuvre par le gouvernement central. 19 FIGURE 18 Marge de manoeuvre et capacités de la ville Bamako Bamako Conakry Le graphique radar Marge de manœuvre et capacités de la ville décrit comment les réformes politiques et les interventions au niveau de la ville sont canalisées à travers la marge de manœuvre et la capacité % des revenus opérationnelle d’un gouvernement municipal, à autonomes savoir les % des revenus pouvoirs dont dispose le gouvernement et autonomes sa capacité à les exercer efficacement. Il comprend 6 variables, qui tiennent compte de la marge de manoeuvre et des capacités de la ville en fonction de trois dimensions : les questions fiscales, l’infrastructure et l’environnement des affaires. Les limites du graphique pour chaque variable sont fixées par les notes les plus basses et les plus élevées parmi les 7 villes africaines (Bamako, Niamey, Conakry, Lagos, Kampala, les dépenses et Johannesburg). Addis-Abeba Écart entre planifiées et les dépenses réalisées Écart entre les dépenses planifiées et les dépenses Niamey Niamey réalisées Conakry % des revenus Conakry autonomes % des revenus autonomes Écart entre les dépenses planifiées et les dépenses réalisées Écart entre les dépenses planifiées et les dépenses réalisées Niamey Remarque : GDS = gestion des déchets solides ; DB ; WBES : Enquête mondiale sur l’environnement des affaires 19 Voir : http://www.equipement.gouv.ne/?q=projets-acheves % des revenus autonomes 25 La qualité de la gouvernance municipale est une préoccupation importante pour le développement urbain. Les structures de gouvernance urbaine au Mali, au Niger et en Guinée sont hétérogènes, étant donné qu’elles sont le résultat de circonstances historiques et politiques spécifiques. Non seulement leurs attributions administratives diffèrent, mais leurs capacités à les mettre en œuvre tout en ayant accès aux ressources budgétaires et techniques le sont également. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’à des degrés divers, les gouvernements des villes de Bamako, Conakry et Niamey manquent de ressources financières et de capacités techniques pour s’attaquer à la planification urbaine pour la fourniture d’infrastructures et de services urbains (Figure 18 et encadré). Le nombre total de planificateurs urbains au Mali est de 20, soit 0,13 par 100 000 habitants, contre 0,97 en Afrique.20 Le graphique radar ’Marge de manœuvre et capacités de la ville’ montre que la marge de manœuvre fiscale de Bamako (au-dessus de la ligne) et ses capacités (en dessous de la ligne) sont bien équilibrées, bien qu’aucune ne soit très élevée. Cependant, la ville n’a aucun contrôle sur sa fonction de gestion des déchets.21 On observe un grand décalage en termes d’environnement des affaires, car il existe un grand fossé entre la mesure Doing Business pour les permis de construire (principalement une mesure de jure) et le temps réel mis pour obtenir des permis de construire (c’est-à-dire de facto), mesuré par les données de l’enquête auprès des entreprises de Bamako. Des décalages similaires sont observés à Niamey et à Conakry. Dans le cas de Conakry, le pourcentage des revenus autonomes semble très élevé, car il n’y a pratiquement pas de transferts directs du gouvernement central, et les revenus réels sont très faibles par rapport à Bamako ou Niamey. Cependant, la capacité d’utilisation de ces revenus est beaucoup plus faible en comparaison. (b) Accès à la terre et fonctionnement des marchés fonciers La structure spatiale fragmentée des villes ouest-africaines les empêche de devenir productives et habitables, et les défis du secteur foncier fournissent une explication importante. La fragilité des systèmes de droits de propriété et la mauvaise gouvernance foncière contribuent à rendre l’accès à la terre coûteux et peu sûr, entraînant une mauvaise allocation des terres et décourageant l’investissement productif. Ce sont les conditions prédominantes dans lesquelles les marchés fonciers urbains opèrent en Afrique de l’Ouest, ce qui ne permet pas de créer l’environnement nécessaire pour soutenir une urbanisation productive sans peser lourdement sur l’économie. La rapidité de l’expansion urbaine dans les villes d’Afrique de l’Ouest s’est appuyée principalement sur des processus informels d’accès à la terre pour le logement, les services urbains et les infrastructures. Cette expansion spatiale informelle (illustrée par les données susmentionnées sur les extensions urbaines et le développement par à-coups) crée par ricochet des problèmes de planification urbaine et de provision d’infrastructure. Seule une petite proportion de la population détient des titres fonciers officiels, entraînant un sous-investissement et une inefficacité des marchés fonciers. Au cœur de ces défis se trouvent la coexistence de différents régimes fonciers (le « pluralisme juridique »), la mauvaise gouvernance dans la gestion des terres à tous les niveaux de gouvernement et une transformation largement non coordonnée de l’utilisation des terres et des régimes fonciers qui a accompagné la croissance de la population urbaine et l’expansion spatiale. 20 Calculs des auteurs basés sur : L’état de la planification en Afrique (2004). Association africaine de planification et ONU-Habitat. 21 L’absence de recettes dans les budgets des gouvernements locaux reflète la structure de financement des services de gestion des déchets solides, où les ménages paient directement des petits consortiums de collecte et le gouvernement finance la collecte directement par un contrat avec une entreprise privée (Ozone). Le District de Bamako a arrêté de budgétiser les dépenses de l’agence des Routes et de l’Assainissement séparément à partir du budget 2016 après la signature du contrat d’Ozone le 29 septembre 2015. 26 Étant donné que la pression future sur les terres sera inéluctable, des marchés fonciers fonctionnels seront nécessaires pour relever les défis de la croissance urbaine. Si la taille des ménages et l’occupation des terres ne changent pas,22 5 200 hectares supplémentaires de terres urbaines seront nécessaires d’ici 2020 et près de 12 000 hectares d’ici 2030 pour faire face à la demande de terrains résidentiels. Ces projections nécessiteront une forte augmentation de l’offre de terrains pour le logement. Dans les villes d’Afrique de l’Ouest, la forte pression exercée sur les terres dans les zones urbaines et périurbaines est exacerbée par un approvisionnement limité par le biais de canaux officiels de distribution des terres privées ou publiques. L’urbanisation génère une augmentation de la demande foncière et un problème se pose lorsque la terre est rare là où elle est la plus nécessaire (Figure 19). FIGURE 19 Augmentation du pourcentage de terres urbaines d’ici 2030 Source : Harmonisation de l’utilisation des terres 2 (2017)23 Le manque de clarté dans les droits fonciers entrave sérieusement le réaménagement des terres urbaines dans toute l’Afrique, imposant des coûts élevés. Les pays francophones d’Afrique de l’Ouest ont hérité de l’ère coloniale des codes civils similaires. Si aucun titre de propriété n’a été délivré, les questions foncières sont régies par le principe de la présomption de propriété de l’État. Dans une large mesure, les terres sont encore attribuées par l’État, et conformément aux mesures de décentralisation prises dans un nombre croissant de pays, par les autorités locales. Les marchés fonciers opèrent au sein de divers canaux de distribution des terres et à travers ceux-ci, qui comprennent souvent des attributions légales ou non et impliquent un large éventail de parties prenantes.24 Le cadre juridique actuel en vigueur dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest résulte d’une histoire cumulative de réformes agraires, qui a souvent contribué à complexifier le régime foncier.25 Ces défis empêchent les marchés fonciers urbains de fonctionner efficacement, limitant la possibilité de mobiliser des capitaux pour le développement et l’investissement, et d’augmenter les recettes des autorités locales. 22 D’autres facteurs financiers et économiques jouent également un rôle dans la stimulation de la demande foncière. En raison de la faiblesse des institutions d’épargne et de la rareté des opportunités d’investissement dans un contexte de protection sociale limitée, les détenteurs d’actifs monétaires ou de fonds inutilisés considèrent la terre comme un investissement rentable et résistant à l’inflation. Les investissements spéculatifs s’ajoutent également de manière significative à la demande de terrains. 23 Voir : http://luh.umd.edu/data.shtml 24 Beaucoup de ces parties prenantes facturent leurs services, ce qui augmente le coût d’accès à la terre. 25 Durand-Lasserve, A., Durand-Lasserve, M., et Selod, H. (2015). Le système d’approvisionnement en terres dans les villes d’Afrique de l’ouest : l’exem- ple de Bamako. Forum pour le développement de l’Afrique / Banque mondiale / Agence française de développement. 27 À Bamako, deux problèmes illustrent la manière dont les inefficacités des marchés fonciers créent des obstacles à un développement urbain coordonné : la fourniture de logements et l’accès à la terre. Les interventions dans le secteur de la terre et du logement prennent principalement la forme de lotissements, qui sont en pratique une forme (rémunératrice) de partage des terres dans toutes les communes rurales des zones périurbaines de Bamako dans le cercle de Kati, avec le soutien des préfets et sous-préfets. Le manque de coordination des lotissements (publics ou privés, autorisés ou non autorisés) n’est pas compatible avec les grands projets de développement de terrains viabilisés et d’accès aux services publics. Cela se produit parfois au détriment des ménages dont les droits de propriété ne sont pas garantis et sont incompatibles avec les droits formels, ce qui sème davantage la confusion. Les marchés fonciers de Bamako sont fortement faussés et n’allouent pas les terres de manière efficace. Avec la coexistence de différents systèmes fonciers, les procédures utilisées pour rendre les terres disponibles pour le logement sont complexes, coûteuses et opaques. Les résidents de Bamako accèdent à la terre en fonction de leur emploi et de leurs revenus. Une petite proportion des ménages, généralement à revenu élevé ou employés dans le secteur public ou privé, accèdent à la terre par divers canaux formels, tandis qu’une nette majorité des ménages doivent passer par des canaux plus informels. Les réseaux sociaux et politiques jouent également un rôle essentiel. En pratique, l’informalité est la norme et non l’exception, et elle est en quelque sorte mise en place avec les nombreux bénéficiaires du système, y compris les pouvoirs publics. Pour la plupart des ménages, l’accès à la terre sous un régime formel est soit inabordable soit inaccessible, soit parce qu’ils n’ont pas les liens sociaux nécessaires pour naviguer dans l’administration foncière, soit parce que l’accès à la terre peut ne pas être envisagé en raison du manque d’informations ou de connaissances sur les droits de propriété.26 Cette inégalité d’accès a largement nourri l’instabilité et les troubles sociaux.27 Les défis du secteur foncier entravent les investissements et le développement économique et ont de graves conséquences sur les moyens de subsistance, la paix sociale et la stabilité politique. L’accès à la terre dans les zones urbaines et périurbaines de ces villes, où les niveaux de pauvreté et la croissance démographique sont élevés, est un sujet sensible. Pour les gouvernements, les objectifs politiques inadéquats et le manque de contrôle sur l’approvisionnement en terres constituent des menaces majeures. Les marchés fonciers de ces pays évoluent dans un contexte de gouvernance faible, de ressources humaines et financières insuffisantes et de capacités institutionnelles limitées dans le secteur foncier. Une meilleure compréhension des pratiques actuelles dans les domaines des terres et des logements urbains, du fonctionnement des marchés fonciers et de la formation des prix des terres est une condition préalable à la conception de toute politique durable en matière de terres et de logement. (c) Connectivité urbaine Lorsque l’accessibilité est bonne, les villes permettent à la population d’accéder à une plus grande variété d’emplois, ce qui améliore le bien-être et la productivité.28 En augmentant le nombre et la 26 De nombreux ménages sont mal informés sur les droits de propriété. Pour certains, il existe également un malentendu sur le fait que les docu- ments administratifs sont des droits de propriété ou que les droits d’utilisation sont des droits de propriété. 27 Pour la majorité de la population urbaine, en particulier les pauvres et la classe moyenne, l’accès à la terre pour le logement est devenu de plus en plus difficile, la propriété des terres est précaire et les conflits fonciers sont omniprésents. Ces problèmes exacerbent les inégalités, mena- cent la stabilité sociale et politique et ne parviennent pas à créer l’environnement propice à des investissements productifs. 28 Bertaud, A. (2014). Cities as Labor Markets. Document de travail No 2. Marron Institute on Cities and the Urban Environment, New York University. 28 diversité des employeurs et des demandeurs d’emploi, des marchés du travail étendus et intégrés permettent une meilleure connexion et correspondance entre les acteurs. Ainsi, il est possible le tirer le meilleur parti de leurs compétences et de leurs aspirations respectives. Prenons, par exemple, un instituteur ou un charpentier à la recherche d’un emploi à Bamako, Conakry ou Niamey. Ces demandeurs d’emploi pourraient postuler pour dix postes, et s’ils peuvent effectivement se déplacer pour se rendre à chacun de ces 10 emplois de manière journalière, ils seraient en mesure de choisir la meilleure offre en termes de salaire, de compétences requises, ou d’emplacement souhaitable dans la zone urbaine. Un plus grand bassin d’emplois accessibles produit également des villes plus inclusives, évitant la déconnexion entre des quartiers entiers des zones urbaines et le reste de l’économie locale. Le potentiel d’interaction au sein des villes est déterminé non seulement par l’utilisation de la terre, mais aussi par le niveau de mobilité et de connectivité urbaines. Une gestion urbaine à travers une planification urbaine prudente et des interventions dans le secteur des transports est essentielle pour s’assurer que les personnes restent connectées aux opportunités d’emploi. Tout manquement à cet égard conduit à la fragmentation des zones urbaines, où l’adéquation entre les personnes et les emplois se restreint au niveau local. L’accessibilité contribue également à l’amélioration de la qualité de vie. Un système de transport et d’utilisation des sols bien coordonné contribue à alléger la pression sur les ressources du ménage, à la fois sur le plan budgétaire et en termes de temps, libérant des ressources pour d’autres dépenses. Fait important, une meilleure accessibilité aux opportunités signifie que les ménages les plus pauvres ne sont pas obligés de vivre à proximité immédiate des noyaux urbains générateurs d’emplois, où la terre est souvent la plus chère, leur laissant moins de ressources pour subvenir aux autres frais de subsistance.29 À Nairobi, par exemple, la plupart des habitants des quartiers informels ont des emplois et des niveaux d’éducation relativement élevés par rapport aux habitants des logements formels, mais leurs conditions de vie restent basiques. Cette situation reflète probablement une prime déjà accordée à l’accessibilité. À Bamako, l’accessibilité est limitée par les faibles densités de population et les niveaux de congestion élevés sur les artères principales. La densité de population maximale à Bamako est d’environ 37-45 par hectare.30 Cet ordre de grandeur est inférieur aux densités les plus élevées observées à Nairobi (315/ha), Dakar (315/ha), Dar Es-Salaam (280/ha) et, dans une moindre mesure, Addis-Abeba (200/ha). Cela signifie qu’en moyenne, les personnes doivent parcourir de plus longues distances pour atteindre le même nombre d’emplois que dans les villes plus denses. En outre, la conversion de terres agricoles en terrains constructibles à la périphérie de Bamako au cours des 30 dernières années ou plus signifie que la distance moyenne vers les emplacements plus centraux, où la densité de l’emploi est élevée, a 29 Gulyani, S., Bassett, E. M., et Talukdar, D. (2012). “Living Conditions, Rents, and their Determinants in the Slums of Nairobi and Dakar.” Land Economics, Vol. 88, No. 2, pp. 251–274. 30 La première et deuxième estimations proviennent respectivement de la couche mondiale des établissements humains (GHSL) et du recensem- ent de 2009 (RGPH). 29 augmenté (Figure 20). Cela contribue à limiter les niveaux d’accessibilité malgré une légère densification globale. La congestion joue également un rôle important en limitant l’accès aux opportunités dans la ville, car le fleuve Niger crée un goulot d’étranglement naturel pour les personnes qui se rendent de la rive Sud (avec principalement des quartiers résidentiels) à la rive Nord (avec les plus fortes densités d’emplois). FIGURE 20 FIGURE 21 L’expansion urbaine à Bamako, 1975-2014 Part des emplois accessibles en 60 minutes pour les piétons et les usagers de Sotrama en fonction du scénario de croissance Pourcentage d'emplois à moins de 60 minutes de trajets 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Piétons Sotrama Croissance normale Concentraiton Source : Calcul de l’auteur basé sur le RGPH 2009 et le Registre des entreprises de 2015 Source : Classification mondiale des établissements humains 1975, 2000, 2015 À Bamako, le regroupement des emplois et des ménages pourrait améliorer l’accessibilité. Des études suggèrent que la congestion généralisée, qui réduit de moitié les vitesses de déplacement, peut réduire de 27 points de pourcentage en une heure la part des emplois qui peuvent être atteints en utilisant le réseau de minibus informel (Sotrama et Magbana). Elles indiquent également qu’en intervenant seulement dans les six couloirs de minibus les plus importants, il serait possible d’augmenter l’accessibilité moyenne de 12 % grâce à des augmentations de vitesse de 30 %. Le principal facteur de limitation de l’accessibilité à Bamako est la sous-utilisation des terres, en particulier dans le centre- ville, et la forte congestion sur les artères principales. Ainsi, une augmentation de la population et de la concentration de l’emploi aurait un impact significatif sur les niveaux d’accessibilité (Figure 21). À Conakry, la géographie de la ville, située sur une péninsule limitée par la mer, les mangroves et les montagnes, a inévitablement conduit à une utilisation intensive de terres rares. En conséquence, les densités de population et d’emploi sont élevées. La plupart des activités économiques dépendent fortement du port, situé à Kaloum, à l’extrémité de la péninsule, et les administrations publiques sont 30 fortement concentrées dans la même région. Ainsi, la répartition des emplois et de la population n’est pas en adéquation dans l’espace, étant donné une forte concentration d’emplois à Kaloum, et au contraire une population qui s’installe de plus en plus à l’intérieur des terres (voir la Figure 22 sur les flux de déplacements à travers Conakry). Bien que cette inadéquation ne soit pas problématique en soi, lorsqu’elle est associée à des infrastructures de transport limitées et à l’absence de système de transport public viable, elle engendre des difficultés d’accès à l’emploi et un schéma de déplacements domicile-travail massifs entre la périphérie et l’extrême de la péninsule, avec des externalités associées, y compris la pollution et les pertes économiques. Cette situation est aggravée par le manque d’infrastructures de transport en bon état et la très forte congestion. De plus, il existe une inadéquation entre l’infrastructure routière disponible et la façon dont elle est utilisée. Les faits montrent que 84 % des déplacements motorisés sont effectués en taxis partagés, saturant ainsi l’espace routier avec des véhicules individuels et des minibus qui représentent 15 % des déplacements motorisés (dont 76 % ont plus de 10 ans).31 FIGURE 22 Outre l’accessibilité à l’emploi, les Flux quotidiens de déplacements motorisés à Conakry : routes secondaires ou tertiaires non-concordance spatiale entre les emplois et les lieux de résidence étroites, en particulier celles en mauvais état, limitent également l’accès aux services, y compris la gestion des déchets solides. Alors que les ordures sont directement collectées sur les artères principales, dans les quartiers, les résidents comptent sur la précollecte, un service fourni souvent de manière informelle par des groupes de jeunes. En outre, l’état désastreux des infrastructures de transport réduit l’accès aux services urbains et sociaux fixes tels que les écoles et les hôpitaux. Source : UE, Louis Berger, EGIS International 31 Ces chiffres font partie de l’étude diagnostique du Plan de déplacements urbains (PDU) réalisée par l’Union européenne, Louis Berger et EGIS International. 31 Partie 3 : DÉFRAGMENTER LES VILLES : PLANIFIER, CONNECTER ET FINANCER De toute évidence, la fragmentation urbaine limite le potentiel des villes d’Afrique de l’Ouest. Une analyse des institutions, de la terre et de la connectivité permet de comprendre pourquoi. Les marchés fonciers de Bamako, de la Guinée et de Niamey sont dysfonctionnels. Ils entravent l’expansion urbaine planifiée et l’investissement dans les infrastructures. Les infrastructures et les politiques urbaines ne peuvent pas répondre aux besoins de ces villes ni maintenir la cadence face à leur forme urbaine et leurs demandes. De plus, l’absence de décentralisation adéquate, y compris au niveau du contrôle des ressources, limite davantage la marge de manoeuvre et les capacités d’intervention des gouvernements locaux. La planification, la connexion et le financement coordonnés devraient constituer une priorité importante à l’avenir. La planification implique de tracer une voie pour les villes en fixant les conditions de l’urbanisation, en particulier les politiques d’utilisation des terres urbaines et d’expansion des infrastructures de base et des services publics. La connexion concerne l’accessibilité des ménages aux emplois et aux services, tandis que le financement suppose de trouver des sources pour les fonds nécessaires à la fourniture des infrastructures et des services à mesure que les villes se développent.32 Toutes ces fonctions doivent être coordonnées pour soutenir l’urbanisation. Une coordination entre toutes ces fonctions est essentielle, en particulier pour le lien entre la planification de l’utilisation des terres et l’infrastructure, y compris la connectivité urbaine. La matrice ci-dessous résume les recommandations pour les villes d’Afrique de l’Ouest. 32 Voir Planning, Connecting, and Financing Cities Now (2013), Banque mondiale. 32 (a) Planifier Une approche coordonnée et flexible à différents niveaux institutionnels sera nécessaire pour relever les défis observés dans les villes. Pour trouver des solutions aux problèmes qui s’étendent au-delà des limites géographiques des villes, il est important d’identifier l’échelle la plus efficace qui permettra de progresser vers la résolution des défis urbains. L’identification des politiques et investissements adéquats nécessite une coordination à l’échelle de la ville, de la zone urbaine, et souvent à l’échelle régionale et nationale. Il y a un besoin urgent de développer des systèmes et des incitations en faveur d’une coordination inter-juridictionnelle de la planification des investissements d’infrastructure et de la prestation de services. Avec Kati et Koulikoro, Bamako s’intègre de plus en plus dans une agglomération multivilles, qui crée des défis spécifiques de gouvernance et de coordination au niveau régional. Les déchets municipaux, important produit dérivé du mode de vie urbain, illustrent bien la nécessité d’une telle coordination. La gestion des déchets solides à Bamako et dans sa périphérie nécessite une coordination entre le District de Bamako et les municipalités voisines pour générer des économies d’échelle dans la collecte et l’élimination des déchets, et dans l’élaboration de projets tels que le biogaz ou le gaz de décharge et les installations de production d’électricité. En fait, pour la fourniture de ce service essentiel, une certaine confusion dans les responsabilités a engendré des problèmes plus importants dans la planification de la coordination. La création de liens avec les zones urbaines voisines peut nécessiter une coordination volontaire si l’organisme public ayant une juridiction supérieur est inexistant ou inefficace. En Ouganda, la coordination entre la ville de Kampala et les pouvoirs publics locaux environnants s’est développée grâce à des efforts soutenus au fil du temps. Au Royaume-Uni, le gouvernement central encourage les conseils municipaux à travailler ensemble plus efficacement pour identifier des opportunités locales de développement économique qui pourront permettre d’obtenir les financements nécessaires.33 Les marchés fonciers doivent être également renforcés en améliorant l’accès à la terre et en simplifiant et clarifiant les droits de propriété. La clarification des droits fonciers et de propriété, l’intensification de l’investissement dans les infrastructures et l’amélioration de l’accès au crédit dans toutes les zones urbaines et rurales constituent les premières étapes du développement urbain. La sécurité foncière encourage l’investissement dans la terre et le logement, améliore la capacité à transférer les terres, et favorise l’accès au crédit. Cependant, des mesures juridiques et réglementaires destinées à améliorer les processus d’attribution des terres et la sécurité des droits fonciers doivent être mises en place au niveau national. À défaut, le succès de projets pilotes comme les plateformes de distribution dans certaines villes ne sera que de courte durée. Par conséquent, si la mise en place de commissions foncières locales permettra de mieux gérer la conversion des terres dans les zones périurbaines, elle doit être accompagnée d’un inventaire systématique de tous les terrains, y compris la validation des titres. Cependant, l’objectif à long terme consiste à établir un cadastre assorti d’informations géographiques et d’un cadre juridique. À court terme, les pouvoirs publics au Mali, en Guinée et au Niger peuvent contribuer à améliorer la méthode de validation et de conversion des titres précaires existants, ainsi que la prévention et la résolution des conflits territoriaux dans les zones urbaines (l’Encadré 1 présente un exemple de solutions innovantes). 33 https://www.gov.uk/government/policies/city-deals-and-growth-deals 33 ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 2 Utiliser la technologie blockchain pour administrer et La création de marchés pour la prestation de gérer les terres services : le cas de la gestion des eaux usées La technologie blockchain a le potentiel de révolutionner Dans un grand nombre de villes ou de pays à faible la façon dont des documents de valeur, notamment sur revenu, les ménages pauvres peuvent bénéficier de l’aide des parcelles de terrain, sont stockés et transférés. Comme d’entreprises sociales, parfois grâce à des solutions hors son nom l’indique, le blockchain est une chaîne composée réseau. Des millions de personnes au bas de l’échelle de blocs dans laquelle chaque bloc représente une donnée. sociale vivent dans des communautés non connectées au Cette donnée peut représenter un bien comme une parcelle réseau d’égouts. La plupart d’entre elles utilisent des latrines de terrain, une identité, ou même une cryptomonnaie. à fosse simple, ou pratiquent la défécation en plein air. Pour Le blockchain est utile parce qu’il est décentralisé, le résoudre ce problème, des dizaines d’entreprises sociales traitement des informations se faisant sur plusieurs nœuds ou ont mis au point des toilettes innovantes sans eau. Ces ordinateurs connectés au réseau de la chaîne (diminuant ainsi unités à bas coût installées à domicile ou à partager par la le temps de traitement des transactions et, éventuellement, communauté représentent une amélioration considérable le coût).34 Il est aussi distribué, les données étant réparties par rapport aux installations sanitaires non améliorées ; sur plusieurs nœuds (ce qui augmente la transparence, elles créent également des emplois pour les personnes qui la fiabilité et améliore la reprise après catastrophe). Il se les installent et les entretiennent. Ces toilettes entretenues compose d’un registre immuable, avec des blocs connectés sont des unités compactes qui peuvent être utilisées dans grâce à une formule mathématique complexe, sécurisée des maisons ou par les communautés non connectées par cryptographie, ce qui rend impossible la modification à un système d’égouts centralisé. Habituellement, les rétroactive des données. clients paient pour utiliser les toilettes, mais n’en sont pas Des informations issues de projets pilotes montrent que propriétaires. L’entreprise propriétaire des toilettes vide le blockchain peut permettre d’enregistrer les titres de les déchets, les traite et les transforme en engrais ou en propriété et les transactions de manière inaliénable. C’est ce carburant. qu’on observe dans les projets pilotes de Bitfury en Géorgie 35 Le modèle économique implique en général un mix et de Consensys avec le Département des terres de Dubaï, qui d’entreprises privées, ONG, entrepreneurs locaux, et enregistrent les titres de propriété et les transactions sur une souvent des organismes gouvernementaux locaux. Dans chaîne de blocs privée. Le blockchain peut également s’avérer un modèle typique de toilettes entretenues, l’entreprise qui très utile dans des environnements où la gouvernance est fournit et installe les toilettes se charge de les vider et de faible, car elle permet le stockage de transactions horodatées traiter les déchets. Dans le cas de toilettes communautaires, et scellés. Ceci peut être utilisé comme projet pilote pour les franchises ou opérateurs locaux se chargent en général améliorer la confiance et la transparence. Cependant, d’entretenir et nettoyer les toilettes. Ils collectent des l’application la plus simple est la notarisation virtuelle sur une frais et vendent d’autres services sur site. Au Kenya, par chaîne de blocs publique accessible à tous sur un réseau. exemple, l’entreprise sociale Ecotact fournit des services Au lieu d’exiger qu’un notaire certifie la propriété précédente d’assainissement et vend également au détail des produits lors d’un transfert d’actif, la méthode du blockchain peut de première nécessité tels que des cartes prépayées traiter la notarisation à un moindre coût. Bien qu’une chaîne pour téléphones portables, des en-cas et des services de de blocs publique soit plus transparente et inaliénable, une nettoyage de chaussures.39 Le réseau d’assainissement chaîne de blocs privée peut également s’avérer utile si elle est exploité par une ONG qui dispense des formations et est livrée avec un sceau d’approbation des pouvoirs publics soutient plus de 300 entrepreneurs locaux qui tirent des garantissant la légalité des transactions sur la plateforme de revenus stables de leur entreprise. En Tunisie, Envitou chaînes de blocs. STAS fournit des conteneurs pour une collecte écologique Cependant, le blockchain exige que certaines conditions et économique de grandes quantités de déchets dans hors chaîne soient remplies pour fonctionner correctement. de nombreuses municipalités à travers tout le pays.40 Les Pour qu’une solution d’administration foncière basée sur municipalités locales s’occupent quant à elles de la gestion une chaîne de blocs fonctionne correctement, des données et de l’élimination des déchets dans des usines locales. numériques précises sont nécessaires.37 C’est ce qui explique le succès de BenBen, une entreprise privée du Ghana, qui utilise des techniques d’arpentage et de cartographie pour obtenir des informations de terrain précises avant de les numériser sur sa plateforme. Une fois authentifiée, l’information numérique est rendue disponible et est utilisée dans les transactions,38 ce qui en retour contribue à stimuler l’utilisation des terres sur les marchés commerciaux. 34 The Internet of Value-Exchange, Rapport Deloitte: https:/ /www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/uk/Documents/Innovation/deloitte-uk-inter- net-of-value-exchange.pdf 35 The First Government to Secure Land Titles on The Bitcoin Blockchain, Expands Project: https:/ /www.forbes.com/sites/laurashin/2017/02/07/the-first- government-to-secure-land-titles-on-the-bitcoin-blockchain-expands-project/#4feddb424dcd 36 Blockchain Virtual GovHack video: https:/ /www.youtube.com/watch?v=-y0WGwzKaxI 37 D’autres contraintes à prendre en compte incluent la confidentialité des données, la capacité de comprendre les avantages et les inconvénients d’une chaîne de blocs, le stockage des données, la reconnaissance de la propriété coutumière, et la reconnaissance juridique des transactions effectuées sur la chaîne de blocs. 38 Interview de la Banque mondiale avec l’équipe de BenBen (avril 2017). 39 Esper, H., London, T., et Kanchwala, Y. (2013). Improved Sanitation and its Impact on Children: An Exploration of Sanergy. William Davidson Institute, Uni- versité du Michigan. 40 Voir : L’entrepreneuriat en Tunisie : Succès et perspectives. (2017). Groupe de la Banque mondiale. 34 Outre les règlements, les villes peuvent également exploiter les marchés concurrentiels afin d’élargir les services de base. Pour promouvoir l’entrepreneuriat, les décideurs doivent éliminer les obstacles au développement des entreprises et encourager l’industrie légère dans les centres urbains. Les gouvernements locaux sont souvent prompts à expérimenter des solutions « intelligentes » telles que le regroupement des acteurs privés pour contribuer à relever les défis urbains. Dans les trois pays, il existe un important potentiel inexploité pour le pilotage de projets qui pourraient être fructueux à moyen terme en utilisant des technologies numériques pour résoudre les problèmes urbains. Ces projets pourraient être développés à grande échelle à l’avenir. Quand l’offre de services urbains est limitée à court terme par la disponibilité des ressources et des capacités, les gouvernements locaux pourraient encourager la participation des entreprises privées afin de proposer des idées et des solutions. (b) Connecter L’amélioration de la surveillance et du suivi des questions d’accessibilité constitue une première étape importante. L’absence de données fiables sur le transport urbain est une des conséquences de la faiblesse des institutions et du manque de ressources. Sans contrôle et suivi, l’élaboration d’une planification urbaine et de politiques de transport est sérieusement entravée. Les enquêtes sur les déplacements permettent généralement de comprendre les schémas de mobilité dans les zones urbaines. Ces enquêtes comptabilisent généralement l’origine et la destination des voyageurs, la fréquence des déplacements, le mode et le temps de transport, et les dépenses. Cependant, elles sont trop coûteuses et trop longues, car elles nécessitent l’embauche d’importantes équipes d’enquêteurs. Si cette méthode est idéale pour comprendre les habitudes de migration pendulaire et l’accessibilité, les avancées technologiques récentes peuvent fournir certaines de ces informations à moindre coût. Spécifiquement, l’utilisation de l’information anonyme associée à l’utilisation des téléphones portables, les statistiques d’appel ou CDR - Call Detail Records (voir Encadré 3) peut fournir une partie des informations fournies par des enquêtes sur les voyages, y compris la localisation des emplois et des personnes dans la zone urbaine, et dans certains cas, la durée des trajets. D’autres initiatives se sont attachées à étudier l’offre de transports collectifs, comme celle des véhicules de transport adaptés (para-transit), souvent mal comprise.41 La cartographie de ces routes et la collecte d’informations sur les temps de transit et les tarifs sous format informatique type GTFS (spécifications générales concernant les flux relatifs aux transports en commun) disponibles et accessibles au public peuvent permettre d’identifier les parties mal desservies de la zone urbaine. Enfin, de nouvelles applications sur smartphone peuvent enregistrer des données sur la qualité des routes avec des coordonnées précises, et permettre d’identifier les besoins les plus urgents en termes d’entretien routier. Dans de nombreuses villes africaines, y compris Bamako, Conakry et Niamey, l’amélioration de l’expérience piétonne est essentielle pour la majorité des résidents. Une grande proportion de la population urbaine se déplace à pied pour accéder à des services et des opportunités (61 % des déplacements effectués par les non-pauvres et 76 % des pauvres de Conakry). Il est donc primordial de garantir sa sécurité, en mettant l’accent notamment sur une meilleure gestion de l’espace public, 41 Voir, par exemple : Digital Matatus Project: http://www.digitalmatatus.com/intro_lite.html 35 ENCADRÉ 3 et de s’assurer qu’il existe des trottoirs et qu’ils Comprendre les schémas de mobilité grâce aux ne sont pas utilisés pour le stationnement de téléphones mobiles : enseignements d’Haïti véhicules, obligeant de ce fait les piétons à Travailler dans des environnements pauvres en données slalomer entre les obstacles. implique souvent l’utilisation de sources de données et d’informations novatrices. Il est nécessaire de mieux À Bamako, une meilleure gestion de comprendre les défis de l’accessibilité de l’information sur la localisation des emplois par rapport à celle des personnes. En l’utilisation des terres et une meilleure Haïti, le dernier recensement de population remonte à 2003, date à laquelle il n’existait pas de registre des entreprises. Pour intégration dans le système de transport combler ce manque de données, une équipe de la Banque permettront de défragmenter la ville et mondiale a eu recours aux téléphones portables. Elle s’est associée à Digicel, le plus grand prestataire de services mobiles d’améliorer l’accessibilité globale. Bamako en Haïti, et Flowminder, une ONG dotée d’une vaste expérience est une ville qui se caractérise par son expansion de l’analyse de données mobiles à des fins de développement, avec de multiples intervenants aux côtés du gouvernement, urbaine, avec des densités de population pour gérer des données extrêmement sensibles. Les multiples informations fournies par les utilisateurs de téléphones faibles à modérées. Les investissements dans conjuguées aux techniques d’apprentissage automatique ont les infrastructures de transport doivent donc permis à l’équipe d’avoir une idée du lieu où les gens vivent et travaillent, ce qui constitue une information essentielle pour la s’accompagner d’une plus grande utilisation planification urbaine. des terres dans les zones centrales de la ville. Les données des téléphones mobiles permettent d’extraire De grandes quantités de terres sous-utilisées – des informations sur les lieux où les personnes vivent et travaillent. En utilisant les statistiques d’appel (Call Detail bien que non réclamées ou inoccupées – dans Records) sur une période de trois mois, on peut identifier les « lieux importants » des personnes, à savoir les endroits qui les zones centrales obligent les nouveaux structurent une journée ordinaire de l’usager du téléphone. arrivants à s’installer en périphérie et dans des L’emplacement approximatif d’un usager au moment d’un appel peut être défini en fonction de la tour de téléphonie quartiers plus éloignés, imposant des coûts de cellulaire à laquelle l’utilisateur est connecté. Lorsque des migration pendulaire plus élevés aux résidents appels sont passés plusieurs fois d’un lieu donné (ou de lieux proches les uns des autres) sur une période de trois mois, ce de la ville. S’il est important d’investir dans lieu est considéré comme « important ». La deuxième étape de l’analyse consiste à déterminer si ces lieux correspondent des réseaux routiers et de transport public au lieu de résidence ou de travail, les deux endroits où les efficaces, la non-résolution du problème de personnes sont susceptibles de passer le plus de temps. Pour étiqueter un lieu de « résidence » ou de « travail », un critère sous-utilisation des terres entraînera une baisse de notation est utilisé en se basant sur le moment de la journée de l’accessibilité et une hausse des coûts de et le jour de la semaine durant lesquels les appels sont passés. L’hypothèse sous-jacente est que la majorité des personnes transport, et réduira également – et de façon passent une grande partie de la matinée et de la soirée chez elles, ainsi qu’une partie du week-end. Réciproquement, ils importante – les retours sur investissement sont susceptibles de consacrer une plus grande partie de leur des futures infrastructures urbaines. Si une journée au travail au cours de la semaine. plus grande proportion des futures créations Comprendre les flux à l’intérieur de la ville permet d’améliorer la planification urbaine, y compris dans les cas d’emploi et de la population pouvait, d’ici de catastrophes naturelles. En localisant les lieux où les à 2030, se concentrer dans des zones plus personnes vivent et travaillent, l’équipe de la Banque mondiale a pu comprendre les flux de population à l’intérieur du réseau de centrales de la ville, l’accès moyen aux lieux la ville. Ces informations ont été combinées avec des données sur les catastrophes naturelles, notamment les inondations, en de travail pourrait augmenter de 7,3 points de vue d’identifier les liens les plus importants dans le réseau de pourcentage par rapport à une situation où transport, à savoir ceux qui n’empêcheraient pas de se rendre au travail s’ils étaient touchés par une catastrophe naturelle. ces dynamiques se produiraient en périphérie. Ainsi, les informations fournies par les téléphones mobiles ont Comme le montre la Figure 23, les zones les permis de localiser les principaux pôles d’emplois dans la ville, les trajets les plus fréquents et les liaisons les plus cruciales plus denses en tireraient des avantages, tandis dans le réseau de transport, y compris lorsque le risque d’inondation est pris en compte. que la périphérie y perdrait, alors que l’effet total serait un gain d’accessibilité net. 36 FIGURE 23 Une meilleure gestion de l’espace Impact de la croissance de la population et de l’emploi dans les zones centrales par rapport à une valeur de référence public peut fortement contribuer à de la croissance actuelle augmenter la vitesse de circulation, car la congestion provient principalement d’utilisations concurrentes de l’espace restreint du trafic. Des interventions dans les transports combinés à une utilisation plus intensive des terres sont susceptibles d’accroître les vitesses et l’accessibilité. Elles peuvent revêtir plusieurs formes et ne nécessitent pas des investissements coûteux. Il peut s’agir d’interventions visant à préserver des espaces pour des usages spécifiques : i) des trottoirs pour les piétons : ii) des espaces dédiés aux vendeurs de rue pour ne pas empiéter sur les routes ; iii) une stratégie de gestion du stationnement afin d’empêcher les véhicules stationnés Source : Calculs de l’auteur basés sur le recensement (RGPH 2009) d’occuper de l’espace sur la rue ; iv) des et le registre des entreprises 2015. voies distinctes pour les deux roues ; et, autant que possible, v) des voies séparées pour les autobus publics, ainsi que la création d’arrêts pour les minibus (Sotrama et Magbana, et autres véhicules de transport public. D’autre part, l’entretien des routes et la réparation des nids-de-poule peuvent également aider à réduire les goulets d’étranglement localisés. De même, la réhabilitation ou la modernisation du réseau routier secondaire par l’asphaltage pourrait contribuer à diminuer la circulation sur le réseau principal et accroître la vitesse moyenne. Enfin, la création et la mise en œuvre d’un système de gestion du trafic opérationnel amélioreraient considérablement la mobilité urbaine. Un système de transport collectif pourrait s’aligner sur la géographie de Conakry et aider à répondre à une demande concentrée. L’accroissement de l’intensité d’utilisation des terres dans la ville ne sera pas facile, car l’emploi et les densités de population y sont déjà élevés. Cependant, il est important de répondre aux besoins de mobilité de la population par un système de transport plus adapté aux caractéristiques urbaines. Compte tenu des espaces limités, des véhicules plus grands transportant plus de passagers pourraient considérablement réduire les embouteillages par rapport à la multitude de véhicules particuliers circulant dans l’espace routier. En raison de la forte concentration de la demande de mobilité dans des zones bien précises de la ville, Conakry est idéalement configurée pour tirer profit d’un transport collectif. Ainsi, des transports en commun pouvant idéalement tirer parti des voies ferrées existantes ou des couloirs prioritaires le long des routes principales seraient totalement justifiés, avec la construction de voies réservées aux autobus. Que ce soit sur la base d’une infrastructure ferroviaire 37 existante ou par la construction de voies réservées aux autobus, la concentration de la demande depuis la périphérie jusqu’à Kaloum le matin et, en sens inverse, le soir justifie les coûts fixes des infrastructures. Pour optimiser son impact, une solution de transport collectif à Conakry devrait également être coordonnée avec l’utilisation des terres. Si une solution de transport collectif est bien adaptée à la géographie de Conakry, ses avantages seront optimisés si elle s’accompagne d’une série d’interventions relatives aux terres. Premièrement, en permettant de fortes densités autour des nouvelles plateformes de réseau de transport, il sera possible d’augmenter le nombre de ménages touchés. Inversement, en limitant les densités de construction à proximité de ces plateformes, on rate une occasion d’offrir un accès amélioré à grande échelle. Deuxièmement, les centres de transports collectifs peuvent potentiellement agir comme des embranchements et se transformer en zones prospères pour les commerces et les loisirs. Mais cela n’est possible que si les terres peuvent être rapidement reconverties, ce qui en retour nécessite des marchés fonciers opérationnels. Une planification active pourrait renforcer l’utilisation mixte des terres, autre caractéristique clé des quartiers prospères. Enfin, en tirant profit de la valeur accrue des terres grâce aux gains d’accessibilité, il est possible de fournir d’importantes sources de revenus pour financer la prestation de services ou rembourser le coût initial de l’amélioration des infrastructures de transport. Lorsque les terres qui entourent les centres de transport appartiennent à l’État ou à des entreprises publiques, les gouvernements locaux peuvent tirer profit de leur valeur accrue sous forme de plus-values foncières, en revendant ou en louant les parcelles à un prix plus élevé.42 Une telle approche a été suivie à Nairobi et ses environs, avec le réaménagement de la gare centrale. Ce projet favorise également l’utilisation mixte des terres. Là où la terre est une propriété privée, un système efficace d’impôts fonciers permet également la collecte de recettes additionnelles. À Niamey, il est possible de développer une planification urbaine transparente pour guider les futures décisions d’investissement des entreprises et des ménages, qui pourrait devenir un outil puissant. Par rapport à Conakry et Bamako, le tracé relativement compact de Niamey permet plus d’interactions que dans d’autres villes de taille similaire. Niamey a réussi à préserver le schéma urbain intégré dont elle a hérité, et à contenir l’étalement malgré une croissance rapide. Cela constitue un atout majeur pour la ville, que les décideurs locaux voudront préserver au fil du temps avec la croissance de la population. Pour ce faire, ils pourraient élaborer et diffuser des plans d’urbanisation, très efficaces pour orienter la construction de nouveaux lotissements. Ainsi, à Tunis, l’administration locale a fourni des informations essentielles aux ménages, qui ont permis de guider leurs choix. Plutôt que d’essayer de restreindre l’étalement urbain dans des zones non planifiées, les pouvoirs publics fournissent des informations claires et transparentes au public sur les futurs plans d’expansion des infrastructures. Les ménages qui s’installent dans des zones aujourd’hui non planifiées et sans services peuvent consulter ces informations pour s’assurer que les droits de passage restent clairs pour de futurs investissements. Cela profite non seulement aux pouvoirs publics – en réduisant les coûts d’investissement –, mais aussi aux ménages, qui seront moins susceptibles d’être affectés par des interventions futures et bénéficieront d’une plus grande accessibilité quand les routes et les systèmes de transports publics seront étendus à ces zones. 42 Salat, S. et Ollivier, G. (2017). Transforming the Urban Space through Transit-Oriented Development. Banque mondiale 38 Bien que cette analyse et ces recommandations portent sur les différents aspects de la connectivité dans les trois villes africaines étudiées, la connectivité dans l’ensemble de la région est une question importante pour l’avenir. Les villes enclavées de l’Afrique de l’Ouest sont coupées du marché mondial. La région dépend fortement du commerce international, qui représente environ 40 % du PIB hors production de subsistance.43 La quasi-totalité de ce commerce s’effectue par voie maritime, et la capacité des infrastructures reliant les villes intérieures aux ports côtiers est faible. Cette situation entrave la croissance de pays enclavés comme le Mali et le Niger, par rapport au Sénégal et à la Côte d’Ivoire. Des investissements stratégiques le long des corridors de transport peuvent potentiellement stimuler l’accès des villes de la région aux marchés. Une analyse basée sur les méthodes préconisées par Donaldson et Hornbeck (2016)44 et utilisant le PIB révèle que les capitales intérieures comme Bamako, Ouagadougou et Niamey seraient les plus grandes gagnantes des investissements destinés à soulager les goulets d’étranglement actuels dans les transports. De toutes les villes d’Afrique de l’Ouest, Bamako est celle qui présente le plus fort potentiel tant à l’échelle régionale que mondiale. En comblant le lien qui manque jusqu’à Conakry, il est possible de lui fournir un port de proximité et de lui donner accès aux marchés mondiaux. À mesure que les marchés de l’Afrique de l’Ouest se développent, la position centrale de Bamako pourrait devenir un atout si des investissements cruciaux sont réalisés dans le corridor. Parallèlement, des villes côtières comme Dakar, Conakry ou Abidjan risquent de ne connaître que de légères améliorations dans l’accès aux marchés, car elles sont déjà bien connectées à l’économie mondiale. Les routes sont en rouge, les voies ferrées en noir. Les sections à améliorer sont surlignées en jaune. Les villes francophones sont dimensionnées proportionnellement à l’augmentation de leur accès aux marchés. Source : PIB : Ghosh et coll. (2010) ; routes : NASA Global Roads ; chemin de fer : OSM ; évaluation de la qualité : JICA, WFP 43 Compte tenu des données des comptes nationaux de la Banque mondiale provenant des exportations de biens et de services (en % du PIB) après déduction du chiffre de 36 % de L. Bossard (2016). The main sector of economic activity in West Africa consists of feeding its people. Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest / OCDE. 44 Donaldson, D. et Hornbeck, R. (2016). “Railroads and American Economic Growth: A Market Access Approach.” Quarterly Journal of Economics, Vol. 2, pp. 799–858. 39 (c) Financer Pour améliorer l’accès aux services, il sera impératif de définir les responsabilités institutionnelles et de renforcer les capacités locales. À Bamako, les maires du District et des municipalités voisines disposent d’une grande marge de manoeuvre pour utiliser plus efficacement leurs mandats alors que les gouvernements sous-nationaux commencent à développer des pouvoirs réels.45 Dans le même temps, des mécanismes institutionnels sont nécessaires pour clarifier les responsabilités et améliorer la coordination46, non seulement entre les gouvernements locaux, mais également avec l’administration centrale. Au Niger et en Guinée, la prestation de services souffre d’un processus de décentralisation incomplet et d’un manque de clarté institutionnelle en matière de responsabilités. Partout au Mali, au Niger et en Guinée, les capacités locales sont très réduites, les trois pays manquant de ressources et de personnels.47 Les administrations municipales doivent par conséquent améliorer leur capacité à répondre aux besoins de réglementation et d’investissement associés à de plus grands défis de développement. L’augmentation des financements destinés aux infrastructures urbaines est une urgence face à la croissance rapide des villes. Dans des pays centralisés comme le Mali, la Guinée, ou le Niger, la plus grande partie des investissements en capital et des investissements opérationnels dans les villes continuera d’être financée par l’administration centrale. Cependant, pour répondre à leurs besoins croissants d’investissements et de réformes à l’avenir, les villes devront trouver les moyens de combler elles-mêmes FIGURE 24 Dépenses en capital et opérationnelles de la ville de leur déficit de financement sur le Bamako en infrastructures long terme, tout en renforçant leurs capacités institutionnelles 250.00 et budgétaires. Actuellement, 1,308 200.00 les dépenses de Bamako en investissement en infrastructures 150.00 USD par haibtant (à 0,72 USD par habitant) sont 100.00 beaucoup moins importantes que 50.00 les dépenses des villes d’autres pays à faible revenu (37 USD par 0.00 Pays à faible Pays à revenu Pays à revenu Pays à haur habitant). La Figure 24 montre les Bamako intermédiaire revenu intermédiaire revenu supérieur investissements en infrastructures Infra OPEX 0.02 1 14 36 70 Infra CAPEX 0.70 36 24 108 130 (capital et opérationnels) engagés par la ville de Bamako par rapport Note : OPEX = dépenses d’exploitation, CAPEX = dépenses en capital à ses pairs (2017). Source : Données du District de Bamako 45 Cela est dû à la régionalisation et à la volonté de transférer les ressources publiques aux gouvernements sous-nationaux dans le cadre de l’accord politique passé pour instaurer la paix dans le Nord. 46 Par exemple, dans le secteur foncier au Mali, les autorités centrales continuent de créer des subdivisions lorsque la loi stipule que ce mandat incombe aux municipalités. 47 Banque mondiale. (2017). Of Rivers, Rains, and Drop s: A Diagnostic of Water, Hygiene, Sanitation (WASH) and Poverty in Niger. 40 Les villes disposent d’une grande latitude pour développer des systèmes visant à augmenter leurs propres recettes fiscales et d’autres revenus. Ces revenus pourraient être utilisés pour financer des coûts récurrents et mieux servir une ville en pleine croissance, mais aussi pour payer les dépenses de développement engagées en investissant dans l’avenir. Les villes ont trois moyens d’améliorer leur situation budgétaire, certaines impliquant des retouches marginales, d’autres nécessitant des réformes à grande échelle. n Accroître les recettes fiscales : Les fuites de recettes fiscales peuvent constituer une source importante de pertes pour les gouvernements municipaux,48 et des mesures correctives simples comme une meilleure facturation ou des systèmes d’évaluation simplifiés peuvent permettre d’augmenter considérablement les taux de collecte des impôts. Au Malawi et en Sierra Leone, l’amélioration de la collecte des taxes foncières municipales s’est faite par l’introduction de systèmes d’évaluation à grande échelle, de paiement par système bancaire, et d’approches basées sur les SIG (Systèmes d’Informations Géographiques) pour évaluer la valeur des propriétés. Au Népal, les municipalités ont constaté des améliorations majeures après la modernisation de leurs administrations fiscales. De sa propre initiative, la ville de Niamey a récemment entrepris de réformer son administration fiscale municipale, où jusqu’à présent les percepteurs municipaux étaient chargés d’évaluer le nombre de contribuables assujettis à une taxe d’entrée prélevée sur tous les adultes. Pour remédier à cela, à partir de 2018, les évaluations des contribuables seront effectuées par différents employés municipaux. En Guinée, un programme de renforcement des capacités financé par l’UE commence tout juste à fournir aux fonctionnaires municipaux et du Trésor une formation de base en administration fiscale. L’expérience d’autres pays démontre que les efforts visant à améliorer l’administration des impôts et des recettes peuvent être une voie prometteuse à l’avenir, l’augmentation des taux d’imposition ou l’élargissement de l’assiette fiscale ne relevant pas des compétences des gouvernements locaux. n Accroître les recettes non fiscales : Les revenus locatifs provenant des propriétés des gouvernements locaux et les redevances d’utilisation (par exemple pour le ramassage des ordures) peuvent constituer des sources de revenus importantes pour l’administration locale. Les améliorations visant à renforcer l’efficacité de la collecte des droits et redevances, des évaluations plus fréquentes et une meilleure tarification (pour couvrir une plus grande partie des coûts) peuvent aussi aider à surmonter les contraintes financières pesant sur les administrations locales. n Entreprendre des réformes budgétaires : La mise en place de systèmes permettant aux administrations locales de lever des impôts sur les terres pourrait contribuer à financer des infrastructures et à fournir des biens et services publics. Tirer parti de la valeur des terres, 48 Les revenus propres de la ville de Bamako, par exemple, restent largement inexploités, et la taxe de développement local et régional dédiée à la prestation de services et aux infrastructures, qui a réellement été perçue (166 000 USD) est très loin du potentiel de 13 millions USD. 41 en particulier dans le cas de villes en pleine croissance, peut aider à répartir efficacement les schémas d’utilisation des sols et la densité, et à créer simultanément des opportunités d’investissement dans de grandes infrastructures urbaines de longue durée. Toutefois, le financement par la valorisation du foncier nécessite de mettre en place des bases de données foncières et des systèmes d’information reflétant de façon transparente les prix et la disponibilité. Dans ces trois pays, les systèmes d’administration foncière fonctionnent mal, en raison du manque de clarté des droits fonciers ou des titres officiels et des faiblesses institutionnelles dans l’application des lois. Les revenus partagés sont également un domaine propice à des réformes majeures. En vertu des accords de partage des recettes à Niamey et à Conakry, une grande partie des recettes des gouvernements locaux provient de revenus partagés, collectés par l’administration fiscale du gouvernement central et redistribués aux gouvernements locaux. Cependant, les accords de partage des recettes pour Niamey pourraient être améliorés, car pour l’instant la ville n’est pas en mesure de prévoir de tels revenus et donc de budgétiser ses dépenses annuelles. Dans le même temps, le Trésor national a peu intérêt à relâcher la part de Niamey sur une base régulière et ponctuelle. Les éventuelles réformes pourraient inclure une meilleure transparence des accords de partage des recettes, l’amélioration et la formalisation de la communication entre le Trésor national et les administrations municipales, ou l’abandon complet du partage des recettes en faveur d’un système de subventions plus prévisible, financé sur une partie des revenus nationaux. Dans le même temps, il est indéniable que les gouvernements centraux doivent fournir des transferts et des dons aux administrations locales. Au Mali, dans le cadre d’un effort plus large de consolidation de la paix, l’État s’est engagé à verser aux gouvernements locaux 30 % des revenus nationaux, et il s’efforce d’honorer cet engagement. Le problème au Mali n’est pas tellement le montant transféré aux gouvernements locaux, mais la mesure dans laquelle ces dotations sont destinées à payer des fonctions spécifiques (par exemple, le salaire des enseignants), autrefois sous la responsabilité du gouvernement central. Au Niger et en Guinée, les gouvernements centraux ont mis en place des réserves de financement dédiées dans le budget national, desquelles sont prélevées les dotations annuelles aux administrations locales.49 Toutefois, le problème ici est double : ces réserves de financement sont minces, et les transferts sont irréguliers et incertains. Il reste encore beaucoup à faire pour augmenter ou améliorer les transferts aux administrations locales dans les trois pays. Il serait également dans l’intérêt des villes de se concentrer sur les coûts d’efficacité et d’opportunités des dépenses des collectivités locales. Bien qu’il soit important de mettre l’accent sur l’accroissement des recettes, les gouvernements locaux devraient aussi veiller à mieux gérer leurs dépenses. Les dépenses des gouvernements locaux peuvent être à bien des égards un gaspillage. Une étude de la Banque mondiale au Malawi a montré que la rémunération des conseils avait été massivement gonflée et que de nombreux frais généraux étaient injustifiables. Dans le cas de Bamako, les coûts salariaux représentent une énorme part des dépenses du District, tout comme les dépenses récurrentes, car les budgets municipaux et du District sont généralement constitués d’une forte proportion de salaires (62 % en moyenne) avec 4,6 % seulement pour l’investissement. Ainsi, l’examen 49 Le Fonds national de développement local (FNDL) de la Guinée a été créé en tant que poste budgétaire national en 2016, à financer par les redevances minières nationales. Au Niger, l’État a créé à la fois le Fonds d’appui à la décentralisation (FAD) et le Fonds de péréquation (FP), tous deux destinés à financer des dons aux gouvernements locaux. 42 des dépenses publiques locales et l’identification et la mise en œuvre de solutions rapides peuvent aider à libérer des ressources rares. Ces tâches relèvent clairement de la compétence des maires et des conseils municipaux, même si ces mesures sont souvent impopulaires chez les fonctionnaires. Malgré tout, des améliorations sont possibles. Au Vietnam, les gouvernements infranationaux ont été encouragés à rentabiliser leurs services administratifs grâce à des améliorations qui ont généré de petites économies, et qui ont finalement atteint un montant considérable à la fin de l’année. Conclusion Les villes de Bamako, Conakry et Niamey disposent d’une fenêtre d’opportunité restreinte pour coordonner et investir dans les réformes, les infrastructures et les institutions, qui auront des conséquences considérables dans le futur. Des investissements à fonds perdu effectués (ou facilités) par le gouvernement peuvent servir de signal en faveur d’investissements coordonnés à plus long terme dans une ville. Des réformes coordonnées et des investissements tels que l’aménagement du territoire, complétés par des investissements dans les infrastructures urbaines, peuvent aider les ménages et les entreprises à répondre efficacement au schéma de croissance de la ville. Bamako doit se concentrer sur la modernisation de structures existantes et la coordination du réaménagement du territoire en même temps que sur des investissements en infrastructure. Conakry doit donner la priorité à une meilleure connectivité entre le centre-ville et sa périphérie. Niamey doit jeter les bases d’un développement urbain futur. Il sera essentiel de faire les bons choix alors que l’urbanisation en est à ses balbutiements. Les trois villes – Bamako, Niamey, et Conakry – peuvent devenir des municipalités productives, viables et habitables. Elles sont actuellement aux prises avec l’effet des institutions et des investissements souvent hérités de décisions antérieures. Le coût de correction des dysfonctionnements est très élevé, en particulier dans des villes en pleine croissance. Les analyses mises en évidence dans cet article s’appuient sur des études approfondies menées dans chacune de ces villes et proposent des recommandations détaillées pour des réformes et des politiques adaptées à leurs contextes individuels. La conclusion tirée des points communs et des différences observées est que les trois villes disposent d’une fenêtre d’opportunité restreinte pour investir dans la création d’institutions et d’infrastructures qui jetteront les fondations d’un développement urbain durable à l’avenir. 43 DOSSIER SPÉCIAL : GUINÉE Présentation du pays La Guinée est un pays doté d’un héritage historique riche, avec des ressources naturelles en abondance, une population en croissance rapide et une localisation géographique privilégiée. La paix ethnique et l’absence de guerre civile dans une région déchirée par les conflits sont le résultat d’une transition politique réussie et de l’émergence d’une société civile dynamique. Parmi les richesses naturelles de la Guinée se trouve la plus grande mine de minerai de fer inexploitée au monde, située dans la chaîne de montagnes du Simandou, et près d’un tiers des réserves mondiales de bauxite, estimées à 7 à 8 milliards de tonnes. La Guinée présente le plus faible ratio de production alumine/bauxite des grands pays producteurs et elle exporte 95 % de sa production de bauxite sous forme de minerai brut. Surnommée le « château d’eau » de l’Afrique de l’Ouest, elle possède de nombreuses rivières, dont les plus importantes prennent leur source sur ses hauts plateaux. La Guinée détient le plus grand potentiel hydroélectrique d’Afrique de l’Ouest, estimé à 6 000 mégawatts (MW), qui reste largement sous-exploité. Les précipitations abondantes offrent par ailleurs un véritable potentiel économique à l’agriculture. Avec une population de 12,4 millions d’habitants en 2016, le pays amorce tout juste sa transition démographique. Le taux élevé de fécondité (5 naissances par femme), associé à une vaste cohorte de jeunes (60 % de la population est âgée de moins de 24 ans), pourraient engendrer un dividende démographique. En outre, son accès au littoral lui offre une localisation stratégique propice au développement des entreprises. Cet article se base sur le rapport pays de la Banque mondiale N°123649-GN ; préparé par Ali Zafar et Yele Batana. 44 Pour autant, la Guinée ne se distingue pas uniquement de par ses atouts, car, malgré cette abondance, le pays reste parmi les plus pauvres et les moins compétitifs au monde. Le taux de pauvreté est élevé et ne cesse d’augmenter, affectant près de 60 % de la population en 2014. En 2015, la Guinée occupait le 182e rang sur 188 pays au titre de l’Indice de développement humain (IDH). L’espérance de vie à la naissance était de 59,2 ans, et la durée moyenne de la scolarisation n’était que de 2,6 ans. L’accès aux services de base est limité, et seule une petite proportion de la population dispose de l’électricité (28 %), d’installations sanitaires améliorées (20 %) et de sources d’eau améliorées (77 %). Le Rapport sur la compétitivité mondiale 2017-2018 classe la Guinée à la 119e place sur 137 en raison de ses importantes lacunes concernant la qualité des institutions, ses infrastructures, la santé, l’éducation et le développement du marché financier. La croissance par habitant est très faible, avec une moyenne établie aux alentours de 0,6 % entre 1998 et 2016. Bien que l’agriculture soit l’un des principaux moteurs de la croissance économique et de l’emploi en Guinée, elle souffre d’un très grave déficit de productivité. Le pays se trouve par conséquent face à d’importantes difficultés pour traduire ses atouts et ses opportunités en revenus plus élevés pour sa population. La croissance économique est très lente et volatile, et ne permet pas de contribuer durablement à la réduction de la pauvreté. L’économie est soumise aux fluctuations des prix des matières premières et aux chocs liés à la santé (par exemple, l’épidémie d’Ebola). La faiblesse des investissements, le manque d’infrastructure et le caractère limité de l’intermédiation et de l’inclusion financières sont autant de freins à une croissance rapide. Les revenus des habitants sont affectés par un important déficit en capital humain, un accès difficile aux marchés des intrants et des extrants, une faible productivité agricole (principale source de revenus des pauvres) et des perspectives d’emploi limitées en dehors de l’agriculture. En outre, l’urbanisation rapide et non planifiée a engendré un environnement urbain chaotique, en proie à des pressions exercées à la fois par une population jeune et sans emploi et par la migration rurale. Les inégalités entre les sexes sont considérables, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice, aux soins de santé, à l’éducation et au crédit. Depuis l’indépendance du pays en 1958, le développement de la Guinée s’est heurté à deux facteurs essentiels. Premièrement, le pays a subi deux longs régimes autoritaires et connu une période d’instabilité politique avant l’instauration de la démocratie en 2010. L’héritage de cette piètre gouvernance économique a donné lieu à une mauvaise gestion des ressources naturelles, une fragmentation institutionnelle du gouvernement, un contrat social et un État de droit faibles, ainsi que des investissements publics insuffisants et inopérants. Deuxièmement, la structure de l’économie reste tributaire du secteur primaire (agriculture et activités minières), ce qui entrave la diversification de ses sources de croissance et d’exportations. La très lente transformation structurelle est portée par une faible productivité agricole et une urbanisation mal gérée et minée par une importante informalité. La pauvreté est élevée et ne cesse de s’aggraver depuis la crise de l’Ebola Malgré son potentiel, la Guinée reste l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne, marqué par un niveau obstinément élevé de pauvreté. En 2015, le PIB par habitant n’était que de 531 45 dollars US, contre une moyenne de 1 571 dollars US pour l’Afrique subsaharienne. Si l’on se réfère au seuil officiel de pauvreté, 55,2 % de la population étaient alors affectés par la pauvreté en 2012, pratiquement le même niveau qu’en 2002. De plus, la pauvreté chronique est omniprésente et touche 4 personnes sur 10. D’après des simulations réalisées à partir des données du recensement de 2014, la pauvreté a augmenté à 57,7 % et s’est probablement trouvée aggravée par l’épidémie d’Ebola de 2014-201559. FIGURE 1 Évolution de la pauvreté en Guinée, 2002–2014 Source : EIBEP 2002–2003, ELEP 2007 et 2012, recensements de 1996 et de 2014, calculs des auteurs L’emploi en milieu urbain s’est nettement détérioré à la suite de l’épidémie d’Ebola, avec un taux de chômage urbain s’élevant à pratiquement 17 %, tandis que les revenus ruraux ont fortement baissé, en particulier pour les femmes. Tout comme en Sierra Leone et au Liberia, une part importante des ménages citent Ebola comme étant la raison de la déscolarisation de leurs enfants. La pauvreté est plus forte (65 %) en milieu rural, où elle s’est stabilisée, alors qu’elle a récemment progressé en milieu urbain, passant de 31 % en 2002 à 36 % en 2012, probablement en raison du phénomène d’exode rural. 50 L’Institut national de la statistique mènera une nouvelle enquête sur les ménages en 2018, ce qui devrait permettre de mettre à jour les estimations de la pauvreté. 46 La croissance de la consommation n’a pas été favorable aux pauvres entre 2007 et 2012. Si l’on observe l’incidence de la courbe de la consommation sur la croissance, on constate que la croissance de la consommation diminue du décile le plus pauvre au décile le plus riche et qu’elle est négative pour la plupart des ménages. La légère croissance de consommation du décile le plus pauvre est portée par les ménages ruraux. Les pauvres vivant en zone urbaine ont subi d’importantes baisses de la consommation durant cette période. Les inégalités de revenus sont faibles, avec un coefficient de Gini de 33,7 inférieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (42,1), et ont peu évolué entre 2007 et 2012. Le pays est marqué par une forte disparité entre les régions quant au niveau de pauvreté. Parmi les huit régions administratives que compte la Guinée, Nzérékoré détient le taux de pauvreté le plus élevé (67 %), suivie de Labé (65 %), tandis que Kankan affiche le taux le plus bas (49 %). La population pauvre est concentrée dans la région de Nzérékoré, avec plus d’un million de personnes qui vivent dans la pauvreté, suivie par Kankan et Kindia, toutes deux abritant plus de 850 000 de pauvres. Par ailleurs, la pauvreté n’est pas répartie de manière uniforme au sein des régions, mais varie en fonction des caractéristiques socioéconomiques et démographiques des 33 préfectures et 342 communes du pays. Les cartes de la pauvreté établies à partir des données du recensement de 2014 montrent qu’il existe des poches de pauvreté à travers tout le pays. FIGURE 2 Incidence de la croissance et pauvreté régionale Source : ELEP 2007 et 2012, calculs des auteurs 47 Le profil des personnes pauvres révèle d’importantes différences relatives aux sources de revenus, aux données démographiques, à l’éducation et à l’accès aux infrastructures de base. La plupart des pauvres sont des travailleurs agricoles indépendants qui perçoivent des revenus limités. Environ 66 % des ménages dont le chef de ménage travaille dans le secteur agricole sont pauvres. Plus le niveau d’instruction du chef de ménage est élevé, plus le niveau de pauvreté diminue. Près de 60 % des ménages dont le chef de ménage n’a aucune instruction sont pauvres, soit près de trois fois plus que les ménages dont le chef de ménage a suivi des études universitaires. Les revenus salariaux représentent une très faible proportion des revenus des personnes pauvres, laissant à penser que les ménages pauvres vivent principalement de l’emploi indépendant ou informel. La présence d’enfants dans les ménages crée un taux élevé de dépendance et a un effet négatif important sur la consommation des ménages. Enfin, par rapport aux ménages non pauvres, les ménages pauvres sont plus éloignés des principales infrastructures, telles que les marchés alimentaires, les transports publics, les centres de santé, les écoles primaires, les sources d’eau et les routes, ce qui nuit à leur productivité et à leur potentiel de création de revenus. La vulnérabilité des ménages guinéens est aggravée par des chocs défavorables fréquents. Près des deux tiers des ménages ont indiqué avoir subi au moins un événement défavorable lié à la perte de cultures (21 %), de revenus (24 %) ou de bétail (12 %), à de graves problèmes de santé (26 %) ou au décès d’un membre de la famille (23 %). Ces chocs contribuent à affaiblir les revenus des ménages, accroissant ainsi leur vulnérabilité face à l’absence d’un mécanisme national efficace de protection sociale. En outre, l’insécurité alimentaire est relativement élevée (17 %) et touche plus particulièrement les deux déciles les plus pauvres, dont 53 % souffrent d’insécurité alimentaire. L’inégalité entre les sexes représente un défi majeur en Guinée. Sur tout un ensemble de paramètres, les femmes guinéennes rencontrent d’importantes difficultés en matière d’accès aux ressources et aux services. Les femmes et les filles subissent depuis longtemps des pratiques et des politiques discriminatoires, et les années de crise n’ont fait qu’exacerber la fracture entre les sexes. Dans un contexte où l’indice synthétique de fécondité est élevé, et avec la croissance démographique qui s’ensuit, les problèmes liés au genre sont encore plus évidents. La valorisation du capital humain est inégalement répartie entre les genres. L’exemple le plus frappant concerne les inégalités en matière d’éducation, plus élevées en Guinée que la moyenne africaine. Les écarts de scolarisation sont très marqués et s’accentuent nettement au moment où les filles entrent dans l’adolescence et s’approchent du début des études secondaires. Le ratio entre la scolarisation des filles et des garçons chute d’un taux déjà bas de 80 % à l’école primaire à tout juste 60 % au niveau secondaire. En résumé, l’inégalité entre les sexes représente une préoccupation urgente pour la Guinée si elle souhaite réaliser le potentiel de son dividende démographique. 48 FIGURE 3 Profil de pauvreté et de vulnérabilité Source : ELEP 2012, calculs des auteurs La croissance est lente et le revenu par habitant ne progresse pas La Guinée affiche un taux de croissance obstinément bas. La croissance s’élevait à 2,7 % en moyenne entre 1998 et 2016, soit près de deux points en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne51. Si l’on retient la croissance par habitant, le taux de croissance moyen était très bas entre 1998 et 2016 (0,6 %), soit inférieur d’environ 1,2 et 3,3 points aux moyennes respectives de l’Afrique subsaharienne et des pays à revenu intermédiaire. On constate ainsi que la Guinée n’a pas suivi le rythme des autres pays de l’Afrique subsaharienne. Les niveaux d’investissement en Guinée sont très bas, représentant en moyenne 14 % du PIB entre 2010 et 2015, ce qui est bien en deçà de ceux des pays voisins et de la moyenne de l’Afrique subsaharienne qui s’établit à 20 %. Cet écart de croissance s’explique en grande partie par l’accumulation des facteurs (du travail et, dans une moindre mesure, du capital). La forte contribution du travail à la croissance correspond à l’expansion de la population en âge de travailler. Bien que l’accumulation de capital contribue de plus en plus à la croissance, elle n’a pas entraîné d’amélioration notable des infrastructures. L’évolution négative de la productivité totale des facteurs (PTF) a freiné la croissance ces dernières décennies. 51 Bien que les Comptes nationaux aient été révisés en 2016 pour la période 2006-2015, les indicateurs macroéconomiques utilisés dans le présent chapitre s’appuient principalement sur les anciennes séries puisque le Diagnostic-pays systématique (DSP) couvre une période plus longue que 2006–2015. 49 FIGURE 4 Croissance du PIB réel et du PIB par habitant Figure 4 Figure 4 B – Croissance PIB par du GDP B - Per capita habitant growth (% annuel) (annual %) B – Croissance du GDP B - Per capita Afrique PIB par habitant growth (% annuel) (annual %) Sub-Saharan A - Real GDP A – Croissance dugrowth (annual PIB réel %) (% annuel) Afrique subsaharienne Sub-Saharan Africa (sauf (excluding pays à Revenu A - Real GDP A – Croissance dugrowth (annual PIB réel %) (% annuel) subsaharienne Guinée Guinea Guinée high income) Faible Middle income Membres revenu Low income Total IDA IDA total 6.0 Africa (sauf (excluding pays à Revenu revenu élevé) intermédiaire Guinée Guinea Guinée high 5.0 income) Middle income Faible revenu Total Low income IDA IDA total de l’OCDE OECD members 6.0 revenu élevé) intermédiaire 5.0 5.0 5.0 4.3 4.3 4.0 4.0 4.0 4.0 3.0 3.0 2.9 3.0 2.7 2.7 2.9 2.6 3.0 3.0 3.0 2.6 2.1 2.1 1.8 1.8 2.0 2.0 2.0 2.0 1.0 1.0 1.0 1.0 0.0 0.0 Guinea Sub-Saharan Revenu Faible Guinée Afrique Guinea Middle Guinée Low Sub-Saharan Afrique income Revenu MiddleIDA total Low Total IDA FaibleOECD Membres income IDA total OECD Membres 0.0 0.0 subsaharienne Africa intermédiaire income members Total IDA (sauf pays à subsaharienne (excluding Africa revenu intermédiaire income revenude l’OCDE members de l’OCDE revenu high élevé) income) (sauf pays à (excluding -1.0 revenu high élevé) income) -1.0 1987-97 1998-2009 2010-16 1998-2016 -2.0 1987-97 1998-2009 2010-16 1998-2016 -2.0 1987-97 1998-2009 2010-16 1998-2016 1987-97 1998-2009 2010-16 1998-2016 Source : Calculs des auteurs réalisés à partir des données des Indicateurs du développement dans le monde Le secteurEnglish minier OriginalFrench Translation et l’agriculture, tous deux caractérisés par une forte instabilité, ont été les A – Real GDP growth (annual %) A – Croissance du PIB réel (% annuel) English OriginalFrench Translation principaux Guinea A –la moteurs de croissance Real économique GDP growth (annual Guinée en Guinée. %) A – Croissance Même du PIB réel si le secteur minier contribuait (% annuel) Sub-Saharan Africa (excluding high income) Afrique subsaharienne (sauf pays à revenu élevé) PIB en 2015, il représentait environGuinée Guinea pour moins de 15 % au 80 % des exportations. La chute des prix high income) Middle income Sub-Saharan Africa (excludingRevenu Afrique subsaharienne (sauf pays à revenu élevé) intermédiaire Low premières des matières income et le retard accusé dans Faible l’exploitation du gisement de minerai de fer du revenu untotal Simandou, IDA projet minier majeur, sont lesTotal Middle income IDA principales Revenu intermédiaire causes de l’instabilité du secteur52. Les prix OECD membersLow income Membres de l’OCDE Faible revenu d’exportation decapita B – Per la bauxite GDP IDA guinéenne growth total (annual %) sont tombés dedu B – Croissance près de par PIBTotal 40 dollars habitant IDA US par tonne au début des (% annuel) OECD members Membres de l’OCDE années 1990 à moins de 20 dollars US au milieu des années 2010, entraînant une baisse des recettes B – Per capita GDP growth (annual %) B – Croissance du PIB par habitant (% annuel) fiscales tirées des exportations minières. Le secteur primaire, porté par l’agriculture, représente moins de 20 % du PIB et 10 % seulement des exportations. Bien que la productivité du travail dans le secteur agricole progresse lentement depuis les 20 dernières années, la productivité agricole par travailleur en Guinée équivaut à la moitié de celle du Sénégal et à un quart de celle du Mali. En outre, les rendements céréaliers stagnent depuis de nombreuses années en Guinée et le pays continue d’importer du riz. Sans surprise, l’économie guinéenne a connu une lente transformation structurelle au cours des 20 dernières années, marquée par une faible productivité agricole et un secteur informel omniprésent et en rapide expansion53. La structure actuelle de l’économie et de l’emploi reflète 52 Le projet minier du Simandou, avec des réserves de minerai de fer estimées à 3,2 milliards de tonnes, pourrait permettre de doubler le PIB de la Guinée. Ce projet requiert un investissement initial considérable, de près de 20 milliards de dollars US et nécessite la construction d’une nouvelle ligne de fret ferroviaire lourd de 670 kilomètres pour relier Simandou à un nouveau port polyvalent en eau profonde. Le début du projet a été reporté en raison des faibles prix du minerai de fer associés à un transfert de propriété. En 2017, Rio Tinto, ancien actionnaire principal du projet, a transféré ses parts à Chinalco, une entreprise minière publique chinoise, qui détient désormais 80 % du gisement. 53 La transformation structurelle se définit ici comme la réallocation des facteurs de production (notamment le travail) d’un secteur à l’autre, en fonction des écarts de productivité. Il s’agit du processus par lequel une économie passe de la production de biens et services à faible productivité et nécessitant une main-d’œuvre peu qualifiée à celle de biens et de services à forte productivité et nécessitant une main-d’œuvre très qualifiée, en recourant aux technologies, aux investissements et à l’apprentissage, tel qu’on a pu l’observer dans les pays à croissance rapide. 50 le manque de capital humain qualifié FIGURE 5 et l’insuffisance des infrastructures. La Répartition de la croissance, productivité du travail part de l’agriculture dans la production et changement structurel économique est restée relativement stable Figure 5 A - Contribution sectorielle au PIB au prix du marché (%) entre 1994 et 2015, s’élevant en moyenne 6 à moins de 10 %. Quant à l’emploi dans le 5 4% secteur agricole, il a chuté de 75 % en 1996 4 2% 3 à 52 % en 2014. À l’inverse, les services ont 2 0% progressé de près de 15 points dans la 1 -2% part totale des emplois, atteignant 34 % en 0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 -1 2014, stimulés par l’informalité croissante. -2 Capital Le secteur manufacturier est très restreint, Figure peu évolutif 5 concentre autour du et se Figure 5 Primaire Primary Secondaire Secondary Tertiaire Tertiary Total Total PTF TFP English OriginalFrench Translation Primary Primaire B - Sources6 de la croissance secteur 6 agro-industriel, de l’industrie Secondary Secondaire 5 4% 5 Tertiary 4% Tertiaire légère et des boissons, représentant 5% Total Total Total 4 4 Aggregate 2%4% Capital 2% Capital moins de 9 3 % du PIB. 3 TFP Autres Other services services PTF 3% Finances Finance 2 0% 2 Labor 0% Travail 2% Transports L’évolution de la contribution relative 1 1 Real GDP growth Transport Taux de -2%1% Commerce -2% Commerce 0 de chaque secteur a également eu une 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 0% 0 Total Aggregate Construction Construction -1 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 -1 Other services Autres services incidence -1% -2 sur la faible productivité du Capital Labor Travail Services publics Utilities -2 Finance Finances Capital manufacturière IndustrieManufacturing travail, c’est-à-dire Primaire Primary le rendement Secondaire Secondary Tertiaire Total Tertiary par Total PTF TFP Real Taux GDP growth de croissance Transport Transports Primaire Primary Secondaire Secondary Tertiaire Tertiary du PIB réel Total Total Commerce Secteur minierPTF Mining Commerce TFP travailleur. La croissance de la productivité Capital Travail Labor Agriculture Construction Agriculture Construction du travail en Guinée s’élevait à 0,48 % par C - Sources TFP de la croissance Real(secteurs GDP Utilities growth non miniers) Services publics 5% Figure 5 PTF Taux de croissance du PIB réel ManufacturingEnglish 0 OriginalFrench Industrie 20 Tra manufacturièr Milliards de 4 fr an en moyenne entre 1994 et 2015. Cette 5% AggregateTotal Mining Primary Secteur Primaire minier 4% 6 Autres services AggregateTotal Other services 4% Agriculture Secondaire Agriculture Secondary croissance 3%est 5 due en grande partie au 4% Finances Finance Billion Tertiary Guinean Autres Other Franc services services Tertiaire Milliard 3% Finances 2% 4 Transports Total Finance Total glissement des emplois de l’agriculture Transport 2% 2% 2010 1% Commerce Transports Capital Transport Capital 3 Commerce (secteur où0% la productivité du travail est 1% Construction 2015 TFP Commerce Commerce PTF 2 Construction 0% -1% 0% LaborConstruction Travail Construction la plus faible) 1vers le secteur des services Services publics Utilities Real GDP growth -1% Services publics Utilities (essentiellement informels) et, dans une -2% manufacturière IndustrieManufacturing 0 Secteur minier Mining Industrie manufacturière Manufacturing Aggregate Total 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 moindre mesure, -1 vers le secteur Capital Labor industriel Travail Agriculture Agriculture OtherSecteur services minier Mining Autres serv -2 Capital Capital Travail Labor Labor Travail Finance Agriculture Agriculture Finances (changement structurel statique). La TFP PTF Real Taux GDP de growth croissance 0 20 40 60 80 100 120 Primaire Primary du PIB réel Secondaire Secondary Tertiaire Total Tertiary Total PTF TFP TFP PTF de francs guinéens Milliards deReal Real GDP Taux Taux GDP de croissance growth croissancegrowth Transport Transports contribution positive de l’évolution 0 2 du du PIB réel PIB réel Commerce CommerceMilliar Construction Constructio démographique (0,15 %) à la croissance D - Productivité du travail, par secteur (2010 par rapport à 2015) Services pu Utilities du PIB par habitant 5% a été neutralisée par Manufacturing Industrie m Aggregate Total Mining Secteur mi 4% les effets négatifs de la baisse du taux Autres services Other services Agriculture Agriculture 3% Finances Billion Guinean Franc d’emploi (-0,14 %). L’agriculture affichant Finance 2% Transports Transport une productivité du travail neuf fois 2010 1% Commerce Commerce 0% des secteurs minier et inférieure à celle Construction Construction 2015 -1% Services publics Utilities manufacturier, le ratio entre la productivité manufacturière IndustrieManufacturing du travail du secteur manufacturier et celle Secteur minier Mining Capital Travail Labor Agriculture Agriculture Source : Indicateurs du développement dans le monde, INS TFP PTF Real GDP Taux growth de croissance 0 20 40 60 80 100 120 du PIB réel Milliards de francs guinéens 51 du secteur agricole est plus élevé en Guinée que la moyenne africaine, établie à 2,3 environ. Un tel écart de productivité entre les secteurs indique que les politiques destinées à accroître la productivité agricole pourraient favoriser le changement structurel et contribuer à une plus forte croissance. La Guinée a amélioré sa performance macroéconomique depuis 2010, malgré l’épidémie d’Ebola et la baisse des prix des matières premières. Après des années de mauvaise gestion budgétaire et d’accumulation de la dette, des réformes macroéconomiques ont été entreprises dans le cadre des efforts déployés par le pays pour atteindre le point d’achèvement au titre des pays pauvres très endettés (PPTE) en septembre 2012, entraînant une baisse importante de sa dette extérieure et des frais de service associés. Le paiement du service de la dette s’élevait à plus de 4 % du PIB en 2008, mais il représente moins de 1 % du PIB depuis 2013, dégageant une marge de manœuvre budgétaire au profit des dépenses favorables aux pauvres. Enfin, les dernières avancées constatées concernent l’accroissement des investissements dans les ressources hydroélectriques. En 2011, le parlement guinéen a approuvé un nouveau code minier qui comprend plusieurs meilleures pratiques pour organiser les relations entre les entreprises minières et les gouvernements de manière juste et transparente. Suite à cela, le gouvernement de Guinée a mis en ligne une nouvelle base de données contenant l’ensemble des contrats miniers existants et a terminé une étude technique visant à assurer que ces contrats respectaient bien les normes fiscales et environnementales internationales ainsi que le code minier de 2011. Pour répondre à la demande intérieure en électricité avec son réseau hydroélectrique et devenir un important exportateur d’électricité du Système d’échange d’énergie électrique ouest-africain, le gouvernement a commencé à investir en ajoutant une nouvelle capacité de production. L’achèvement de la construction de la centrale hydroélectrique de Kaléta, dotée de 240 MW, représente une réalisation majeure qui améliore l’approvisionnement en électricité. Plus récemment, les autorités ont signé un protocole d’accord avec la société chinoise de l’eau et l’électricité autour du projet hydroélectrique de 600 MW de Souapiti. Des obstacles ont été identifiés et classés par ordre de priorité autour de quatre axes de réponse présentés dans un cadre analytique La persistance d’une grande pauvreté et d’une faible croissance du PIB par habitant a permis d’identifier des obstacles majeurs par le biais d’un cadre analytique (Figure 6) et d’un processus en six étapes. Premièrement, un vaste éventail d’obstacles à la croissance économique a été identifié à partir de la méthodologie du diagnostic de croissance proposée par Hausmann, Rodrik et Velasco (HRV)54, de points de vue de différents experts et des données empiriques disponibles. Deuxièmement, un exercice parallèle identifie les contraintes générales qui pèsent sur l’inclusion et la durabilité en utilisant l’analyse de la pauvreté et l’évaluation de la fragilité. Troisièmement, l’analyse porte sur deux explications majeures de la faiblesse de la gouvernance et de la lenteur de la transformation structurelle. Quatrièmement, les contraintes identifiées sont testées auprès de diverses parties prenantes et dans le cadre de visites de terrain approfondies dans deux villes (Labé 54 Hausmann, R., Rodrik, D. et Velasco, A. (2005). Country Diagnostics. John F. Kennedy School of Government, Harvard University. 52 et Kindia). Cinquièmement, un exercice comparatif mené dans plusieurs pays avec un groupe de référence (selon la disponibilité des données) permet d’évaluer le pays par rapport à ses pairs. Enfin, les réformes sont classées par ordre de priorité en fonction de leur impact sur la croissance et l’inclusion, ainsi que de leur faisabilité technique et politique (en lien avec les capacités et la programmation des politiques), donnant lieu à quatre axes de réponse essentiels vers la transformation structurelle. À partir des obstacles identifiés, des priorités ont été définies autour de quatre axes de réponse et de l’amélioration de la gouvernance. Le diagnostic de la situation macroéconomique et de la pauvreté a permis de dresser deux constats majeurs. La mauvaise gouvernance semble être le principal frein au développement de la Guinée et une transformation structurelle rapide n’a pas eu lieu à cause d’un secteur agricole non productif et d’une urbanisation mal planifiée. Ces observations ont permis d’identifier les principaux obstacles sous-jacents et d’articuler des réponses autour de ces obstacles, de manière à les surmonter et à accélérer la réduction de la pauvreté. Toutefois, étant donné la place centrale qu’occupent les problèmes transversaux liés à la gouvernance, il convient également de prendre différentes mesures pour alléger la charge d’une mauvaise gouvernance et assurer la durabilité de la croissance et de la réduction de la pauvreté. FIGURE 6 Cadre analytique 53 Obstacles à la prospérité partagée et à la réduction de la pauvreté La faiblesse de la gouvernance et la lenteur de la transformation structurelle sont identifiées comme deux difficultés interdépendantes à l’origine du sous-développement de la Guinée. Si la gouvernance est une question transversale, la lenteur de la transformation structurelle résulte de la combinaison d’une faible productivité agricole, d’un capital humain insuffisant, d’une urbanisation rapide et non planifiée qui favorise l’essor du secteur informel et d’une mauvaise gestion des ressources fiscales et naturelles. La gouvernance : un défi transversal La Guinée se heurte à d’importantes difficultés multidimensionnelles en matière de gouvernance, qui se reflètent dans la faible qualité de ses institutions. Après plusieurs décennies de régime autoritaire, le pays a amorcé sa transition démocratique en 2010, progressant seulement récemment vers un système plus transparent. D’après les Indicateurs mondiaux de la gouvernance, la Guinée figure toujours dans le dernier quartile mondial pour tous les indicateurs, à l’exception de la stabilité politique et de l’absence de violence ou de terrorisme. Concernant les indicateurs de l’État de droit, l’efficacité des pouvoirs publics et la maîtrise de la corruption, qui sont liés empiriquement à la croissance, la Guinée se classe sous la moyenne africaine, révélant d’importantes difficultés dans ces domaines. La Guinée est par ailleurs très mal classée pour le pilier « Institutions publiques » de l’indice de compétitivité mondiale du Forum économique mondial, occupant la 136e place sur 140 pays étudiés. La faiblesse des institutions se traduit par un contrat politique et social fragile, des prestations de services publics inefficaces, une gestion inappropriée des ressources naturelles, une gestion budgétaire peu performante et des investissements publics insuffisants et inefficaces. FIGURE 7 Indicateurs de gouvernance en Guinée Figure 7 Indice Mo-Ibrahim sur la gouvernance en Afrique A – 2016 Évolution B – Évaluation de la politique et des institutions nationales (CPIA) 2008–2015 PARTICIPATION DÉVELOPPEMENT Notes globales CPIA SÉCURITÉ ET Figure 7 ET DROITS DE ÉCONOMIQUE DÉVELOPPEMENT Évolution ÉTAT DE DROIT HUMAIN L’HOMME DURABLE PARTICIPATION DÉVELOPPEMENT Notes globales CPIA SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENT ET DROITS DE ÉCONOMIQUE ÉTAT DE DROIT HUMAIN L’HOMME DURABLE MOYENNE AFRICAINE MOYENNE AFRICAINE MOYENNE AFRICAINE MOYENNE AFRICAINE MOYENNE AFRICAINE ÉVOLUTION MOYENNE DEPUIS 2011 AFRICAINE ÉVOLUTION MOYENNE DEPUIS 2011 AFRICAINE ÉVOLUTION DEPUIS 2011 ÉVOLUTION MOYENNE DEPUIS 2011 AFRICAINE Guinée Moyenne des Moyenne des emprunteurs IDA pays IDA d’ASS CLASSEMENT ÉVOLUTION DEPUIS/54 2011 CLASSEMENT DEPUIS/54 ÉVOLUTION CLASSEMENT 2011 ÉVOLUTION /54 DEPUIS 2011 CLASSEMENT ÉVOLUTION /54 DEPUIS 2011 Guinée Moyenne des Moyenne des English OriginalFrench Translation emprunteurs IDA pays IDA d’ASS SAFETY & RULE OF LAW SÉCURITÉ ET ÉTAT DE DROIT CLASSEMENT /54 CLASSEMENT /54 CLASSEMENT /54 CLASSEMENT /54 PARTICIPATION & HUMAN RIGHTS PARTICIPATION ET DROITS DE L’HOMME SUSTAINABLE English ECONOMIC OriginalFrench OPPORTUNITY Translation DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE HUMAN SAFETY & RULEDEVELOPMENT OF LAW DÉVELOPPEMENT SÉCURITÉ HUMAIN ET ÉTAT DE DROIT Source – CPIA, Banque mondiale et Fondation Mo Ibrahim SCORE/100 PARTICIPATION & HUMAN RIGHTS SCORE /100 PARTICIPATION ET DROITS DE L’HOMME AVERATE OPPORTUNITY AFRICANECONOMIC SUSTAINABLE MOYENNE AFRICAINE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE HUMANCHANGE SINCE 2011 DEVELOPMENT DEPUIS 2011 ÉVOLUTIONHUMAIN DÉVELOPPEMENT RANK /54 SCORE/100 SCORECLASSEMENT /100 /54 Trend AFRICAN AVERATE Évolution MOYENNE AFRICAINE 54 Overall CPIA Scores globales NotesDEPUIS CPIA CHANGE SINCE 2011 ÉVOLUTION 2011 RANKGuinea /54 Guinée /54 CLASSEMENT TrendIDA Borrowers’ Average Moyenne des emprunteurs IDA Évolution SSA Overall Average IDAScores CPIA Notes Moyenne des pays IDA d’ASS globales CPIA La faiblesse de la productivité agricole et des investissements privés L’agriculture reste la première source d’emploi pour les pauvres et une source potentielle de gains de productivité. Elle assure des revenus à 57 % des ménages ruraux et emploie 52 % de la main-d’œuvre. Les terres cultivables représentent 6,2 millions d’hectares, dont 25 % seulement sont exploités. Le pays dispose par conséquent d’un immense potentiel agricole susceptible de contribuer à la croissance. De plus, les précipitations sont abondantes et le pays n’a pas commencé à exploiter son potentiel de terres irrigables, dont 8 % seulement sont actuellement irriguées. La productivité agricole se trouve en outre limitée par une combinaison de facteurs, à savoir l’utilisation restreinte des technologies améliorées, la crise du marché des intrants et les incertitudes entourant la propriété foncière. Les agriculteurs de subsistance, qui représentent 95 % des terres cultivées, utilisent très peu d’intrants agricoles (semences améliorées, engrais, pesticides, irrigation et mécanisation). 15 % seulement des ménages agricoles pauvres utilisent de l’engrais, soit 1,8 point de moins que les non-pauvres. Au niveau global, l’utilisation d’engrais par hectare est 16 fois inférieure à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Les rendements céréaliers sont donc relativement faibles (1,2 tonne par hectare, contre 1,5 tonne en moyenne pour l’Afrique subsaharienne et 3,9 tonnes au niveau mondial), inférieurs à leur potentiel et demeurent inchangés depuis de nombreuses années. Le pays continue d’importer des quantités croissantes de riz, un aliment de base pour lequel il dispose d’un avantage comparatif naturel. Avant 2011, les gouvernements successifs n’ont pas développé de politique adaptée sur les intrants agricoles pour les agriculteurs. Un programme de subvention mis en place entre 2011 et 2016 pour intensifier l’utilisation d’engrais n’a pas généré la hausse des rendements attendue à cause d’un ciblage inadéquat, de quantités insuffisantes et de l’absence de semences améliorées et de services de conseils. Le programme a également engendré des distorsions du marché qui ont empêché le secteur privé de participer au marché des engrais. La dualité et la complexité du système de propriété foncière, et la faiblesse de l’administration foncière génèrent des incertitudes qui entravent l’investissement privé. Enfin, certains groupes, notamment les femmes, les personnes déplacées et les migrants, ont un accès limité à la terre. Le sous-développement de la chaîne d’approvisionnement agricole limite la productivité et les revenus agricoles. Premièrement, les agriculteurs concentrent principalement leurs efforts sur la production de cultures de subsistance et n’ont pas les compétences requises pour obtenir des informations sur les prix du marché et établir des relations commerciales avec de grands consommateurs tels que les hôtels et les restaurants. Deuxièmement, les agriculteurs ne peuvent pas maximiser leurs ventes, car leurs possibilités de stockage des produits sont limitées en période de surplus et de prix bas (période de récolte). Troisièmement, les contraintes liées au transport des produits agricoles ne laissent pas d’autre choix aux agriculteurs que de vendre leurs cultures aux négociants locaux. En outre, leur pouvoir de négociation est limité, car les agriculteurs sont organisés soit par type de culture (par exemple, riz ou pommes de terre), soit par orientation de marché (par exemple, exportations). Quatrièmement, l’agriculture à valeur ajoutée se heurte au manque de fiabilité de l’approvisionnement en électricité et à l’absence de services de conseils et de différents types d’organisation. 55 FIGURE 8 L’utilisation des engrais et les rendements céréaliers en Guinée et dans une sélection de pays de comparaison en 2014 Source : Indicateurs du développement dans le monde L’insuffisance des investissements est un facteur déterminant qui bloque le potentiel de croissance à long terme de la Guinée, freinant la réduction de la pauvreté. D’après les estimations obtenues à partir d’un modèle de croissance à long terme, la Guinée a besoin d’accroître ses investissements publics et sa productivité totale des facteurs pour intensifier sa croissance et réduire davantage la pauvreté. En outre, les lacunes en matière d’infrastructures affectent le climat des affaires et nuisent à la productivité des entreprises et à leur compétitivité. Le renforcement des investissements publics pour combler ces lacunes permettra d’intensifier la croissance pendant et après la phase de construction grâce à l’arrivée de nouveaux investissements privés, attirés par les améliorations parallèles du climat des investissements. Le gouvernement a fait des investissements publics pour le développement rural une priorité, notamment en matière d’électricité, de transport et d’agriculture. La qualité globale des infrastructures et de la logistique commerciale est médiocre et constitue un obstacle majeur à la croissance. D’après le Rapport sur la compétitivité mondiale 2017-2018, les entreprises ont identifié l’offre inadaptée des infrastructures comme étant le quatrième facteur le plus problématique pour mener des activités commerciales en Guinée. La Guinée obtient le plus mauvais classement pour la qualité globale de ses infrastructures, en raison de la piètre qualité de ses routes, de ses ports, de ses infrastructures de transport et de son électricité. Le réseau routier en milieu rural est dans un état déplorable et empêche les agriculteurs d’accéder aux marchés. L’accès à l’électricité est extrêmement limité, tant dans les zones rurales (3 %) qu’en milieu urbain (11 %), et les pannes sont fréquentes. De la même manière, en 2016, la note globale de la Guinée pour l’Indice 56 de performance logistique (IPL) était de 2,36, ce qui portait le pays à la 129e place sur 160 pays. Les entreprises agro-alimentaires guinéennes sont particulièrement concernées par la mauvaise qualité des infrastructures de transport le long des couloirs principaux, tels que l’axe Kindia-Conakry. Le port de Conakry, soumis à des contraintes physiques et des défauts de gestion, est devenu le port le plus cher d’Afrique de l’Ouest, pour tous types de navires. L’insuffisance des infrastructures productives suscite quelques inquiétudes quant à l’adéquation des niveaux de dépenses, des problèmes de gouvernance et des capacités de mise en œuvre des projets d’infrastructure. Au fil des ans, le financement des infrastructures guinéennes est tombé à près de 10 % du PIB et l’inefficacité du système s’est trouvée aggravée par des contraintes de capacité qui empêchent le pays de pallier les défaillances de son système de gestion des investissements publics (en matière de budgétisation, de planification ou de hiérarchisation des projets). FIGURE 9 Figure 9 : Les contraintes au développement du secteur privé 70 Biggest Obstacle Obstacle (% principal (%of firms) des entreprises) 50 30 10 -10 2006 2016 Source : Enquête sur les entreprises, 2016 Le faible degré d’intermédiation financière représente un obstacle pour les investissements des entreprises, la création d’emploi et la croissance. D’après l’enquête réalisée par des dirigeants d’entreprises pour le Rapport sur la compétitivité mondiale 2017–2018, les entreprises guinéennes Englis citent l’accès au financement comme étant le deuxième facteur le plus problématique pour le Bigges Politic climat des affaires, après la corruption. La densité de l’activité financière, mesurée par le ratio du Custom crédit au secteur privé par rapport au PIB, était de 13 % en 2016 et figurait parmi les plus faibles d’Afrique subsaharienne. L’accès aux banques est également limité, avec seulement 1,9 agence pour Crime 100 000 habitants et une forte concentration en milieu urbain. Par rapport à l’Afrique subsaharienne, Tax rat très peu d’entreprises guinéennes disposent d’un prêt bancaire ou d’une ligne de crédit (3,9 % des Transp Access entreprises en Guinée, contre 22,8 % en Afrique subsaharienne). Le financement à long terme est Corrup pratiquement inexistant et les services bancaires en ligne sont encore embryonnaires, malgré leur Electri Tax ad Practic 57 Inadeq Figure 9 Courts Labor immense potentiel. Les taux d’intérêt nominaux sont extrêmement élevés, à 22 %, et bien supérieurs à la moyenne de 7 % observée dans les pays de l’UEMOA. La microfinance, dont le potentiel est considérable et qui pourrait répondre à une forte demande, souffre d’un régime réglementaire inadéquat et d’une faible couverture. L’insuffisance du capital humain et le manque d’accès aux services sociaux La Guinée se caractérise par de faibles résultats dans les secteurs sociaux qui l’empêchent de profiter du dividende démographique et d’améliorer les possibilités pour les pauvres. Le faible niveau du capital humain empêche les individus d’accéder à des emplois de qualité, limitant leurs revenus potentiels et leur contribution à la croissance économique. Le taux d’alphabétisation est de 30 %, l’un des plus bas au monde. Les taux de scolarisation et de réussite finale sont relativement bas, comparativement à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. L’insuffisance des financements, la concentration des enseignants à Conakry, le manque de compétences des enseignants, la détérioration des infrastructures et le manque de planification figurent parmi les contraintes qui pèsent sur le système éducatif guinéen. Le total des dépenses publiques pour l’éducation s’élevait à 2,6 % en 2014, ce qui correspond quasiment à la moitié de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (4,6 %) et des pays à faible revenu (4,2 %). La faible couverture et la mauvaise qualité de l’éducation et de la formation professionnelle ont entraîné une pénurie des compétences, contraignant la croissance et limitant les perspectives de génération de revenus pour les pauvres. La Guinée affiche manifestement un faible niveau de développement des compétences et d’importantes lacunes par rapport au reste du monde en développement. Dans le secteur de la santé, les professionnels sont rarement équipés à la hauteur des demandes complexes qu’ils rencontrent sur le terrain, tandis que les enseignants sont souvent sous-qualifiés et ont généralement besoin de formations complémentaires. Les agriculteurs n’ont pas les connaissances et les aptitudes requises pour cultiver des cultures à plus forte productivité, ni les connaissances nécessaires pour utiliser efficacement les intrants agricoles, ce qui peut entraîner la perte de cultures. Dans le secteur minier, les entreprises exploitantes ont souvent des difficultés à trouver du personnel guinéen qualifié, que ce soit au niveau professionnel ou technique (mécaniciens, soudeurs, etc.), et recourent par conséquent à de la main-d’œuvre expatriée. Pour sa part, l’administration publique souffre d’un manque de compétences administratives, car il n’existait, jusqu’à récemment, aucune école d’administration publique telle qu’on peut en trouver dans les autres pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Les opérateurs mobiles ont par ailleurs indiqué que le faible taux d’alphabétisation avait freiné l’expansion des services d’argent mobile. 58 FIGURE 10 Les performances en matière d’éducation et de santé en Guinée et dans une sélection de pays de comparaison, 2014–2015 Source : Indicateurs du développement dans le monde L’insuffisance des compétences peut également être tenue en partie responsable des faibles résultats de la Guinée en matière de santé, que l’on peut imputer à un système public de santé défaillant, inaccessible, inégalitaire et inefficace. Le ratio de mortalité maternelle est l’un des plus élevés au monde, avec 679 décès pour 100 000 naissances vivantes. 45 % seulement des naissances ont lieu en présence d’un(e) professionnel(le) qualifié(e), un taux inférieur à de nombreux pays fragiles de la région. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est aussi l’un des plus élevés, avec tout juste moins de 100 décès pour 1 000 naissances vivantes. Bien que le taux de malnutrition chronique (retard de croissance) soit passé de 47 % en 2000 à 31 % en 2012, il reste préoccupant, en particulier dans les zones rurales, où 40 % des enfants souffrent de retard de croissance. L’accès aux équipements de santé est entravé par les coûts élevés au regard des revenus et par la distance, avec de fortes disparités entre les zones rurales et urbaines et entre les différentes régions. Près de 34 % des individus malades ne peuvent pas se rendre dans un centre de santé en raison des coûts élevés. La mise en place d’un système performant de santé publique a été l’une des principales leçons tirées de la dernière épidémie d’Ebola. Ce type de système est indispensable pour permettre à l’économie de mieux résister aux chocs covariants dans le domaine de la santé. Il permettra également aux ménages de faire face aux chocs idiosyncrasiques habituels en matière de santé qui nuisent à la productivité des travailleurs et au bien-être des familles. 59 Le manque de ressources publiques, la faible demande et la mauvaise gestion des ressources financières sont d’autres problèmes majeurs dont souffre le secteur de la santé. Le manque de ressources publiques génère une faible qualité de service, comme le reflète le manque d’équipements et de personnel qualifié, en particulier dans les zones rurales. Il existe par ailleurs un déficit de demande pour les services de santé, notamment en milieu rural, en raison des difficultés susmentionnées, des distances importantes qui séparent les communautés des points de santé, sans parler des coûts élevés de l’accès aux soins. Enfin, outre ce manque de ressources, la gestion guinéenne des ressources financières et le suivi du système de santé sont médiocres, soulevant une fois de plus la question de la gouvernance. Les difficultés d’accès aux services d’infrastructure de base affectent aussi les résultats en matière de capital humain. D’après le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté 2013 (DSRP III), 42 % seulement de la population rurale guinéenne avaient accès à de l’eau potable, contre plus de 85 % de la population de Conakry, et 31 % de la population vivait dans des ménages utilisant des installations sanitaires améliorées (15 % en milieu rural et 65 % dans les zones urbaines). En outre, le manque d’accès à l’eau potable pèse de façon disproportionnée sur la charge de travail des femmes. Urbanisation rapide et non planifiée L’urbanisation en Guinée n’a pas été bien gérée et les bénéfices économiques de la dynamique d’agglomération restent aléatoires. Cette urbanisation désordonnée s’est caractérisée par une planification urbaine défaillante, une absence d’investissements clairs et rapides dans les infrastructures et une mauvaise gestion des déchets naturels. Le triple défi de la congestion routière, des bidonvilles et de la pollution a entravé les investissements dans l’immobilier. Les lacunes de la réglementation foncière et la fragilité du droit foncier n’ont fait qu’aggraver le problème. L’emploi lié aux biens échangeables et non échangeables n’a pas progressé et de nombreux migrants chassés de leurs terres à cause d’une agriculture peu productive se tournent vers le secteur informel et tout aussi peu productif des villes. L’expansion de Conakry à travers sa péninsule et au-delà de ses frontières et les nombreux bidonvilles qui en résultent ont fait de la fourniture des services urbains de base et du développement des infrastructures un véritable défi. Dans sa 19e Enquête annuelle sur la qualité de vie dans le monde, Mercer a réalisé un classement de la qualité de vie dans 231 villes dans lequel Conakry occupe la 222e place. En outre, le pays doit faire face à des contraintes de capacités au niveau des autorités locales et à l’insuffisance des budgets municipaux pour répondre aux besoins de la population. Il se heurte également à l’absence de cadre juridique pour traiter les questions foncières et autres préoccupations urbaines et à un manque de réglementation et de normes de sécurité concernant les bidonvilles et les logements à loyer modéré. À l’heure actuelle, les villes ne disposent que de peu de moyens pour absorber l’afflux de migrants ruraux qui arrivent de l’arrière-pays. 60 FIGURE 11 L’urbanisation en Guinée Source : Recensement 2014 ; Projections démographiques des Nations Unies Mauvaise gestion des ressources budgétaires et naturelles Malgré une amélioration, la mobilisation des revenus (un indicateur pertinent de la capacité et de l’autorité de l’État) reste faible. Le ratio des revenus par rapport au PIB est passé d’une moyenne de quasiment 15 % du PIB en 2007–2008 à une moyenne de plus de 18 % du PIB entre 2011 et 2011– 2016. Toutefois, les deux tiers de cette augmentation proviennent de la hausse des revenus de la taxation du pétrole, particulièrement sensibles à l’évolution des marchés internationaux du pétrole et de la situation politique intérieure. Par rapport à beaucoup d’autres pays africains, la Guinée affiche une faible mobilisation directe réelle des recettes fiscales (non minières), représentant 2,7 % du PIB. À l’inverse, le Sénégal et le Mali, deux pays de comparaison qui partaient d’un niveau plus bas, ont largement dépassé la Guinée, avec des taux de respectivement 6,1 % et 4,3 %. En outre, le potentiel de la Guinée en matière d’augmentation des revenus tirés de ses richesses minérales, que l’introduction du nouveau code minier de 2011 devrait permettre d’étendre, pourrait se voir renforcer grâce à l’amélioration de la capacité à collecter des impôts, à la suppression des nombreuses exonérations accordées aux entreprises minières par le passé et au renforcement des capacités des autorités guinéennes à exercer un contrôle adéquat sur les arrangements des entreprises étrangères en matière de prix de transfert. 61 Parallèlement, la mauvaise gestion du secteur guinéen de l’énergie est un autre obstacle majeur à la croissance. Les résultats de l’entreprise publique d’électricité (Électricité de Guinée – EDG) sont médiocres depuis quelques années. L’entreprise est en proie à un déficit structurel, ne dispose pas d’un mécanisme adapté de recouvrement des coûts et perçoit actuellement plus de 1 % du PIB sous forme de subvention de la part du gouvernement. Elle a récemment signé un contrat de gestion de quatre ans avec Veolia pour redresser sa performance. Pendant ce temps, la Guinée achète beaucoup plus cher une électricité fournie par des centrales thermiques, à un prix trois fois supérieur au coût de l’hydroélectricité. Par ailleurs, le pays n’a toujours pas commencé à exploiter son immense potentiel hydroélectrique (notamment avec le barrage de Souapiti), alors qu’il pourrait devenir un exportateur d’hydroélectricité bon marché dans la région. FIGURE 12 Les indicateurs de gestion des ressources budgétaires et naturelles Eng Min Figure 12 A – Répartition des revenus, par type de taxe, B – Taux d’électrification Dire 2007–2016 Figure 12 Engli EnglishIndi Orig 25 Minin Mining Nat taxe Figure Figure 25 12 12 60.0% 52.6% 53.4% Direct Direc taxes Urb 20 Indire 50.0% 60.0% 52.6% 53.4% Indirect tax 25 20 25 Rur Natio 15 50.0% National 40.0% 60.0% 60.0% 52.6% 53.4% Num 20 20 15 40.0% 26.4% 52.6% 53.4% Urban Urba 30.0% 50.0% Nom 10 50.0% 20.2% 30.0% 26.4% Rural Rural 15 15 10 20.0% 40.0% 40.0% 20.2% Number Dur Numof 20.0% 10.8% 5 10 10.0% 30.0% 26.4% 30.0% 26.4% 2.8% 10.8% Nombre Dur Nomde 10 5 20.2% 10.0% 20.0% 20.2% 2.8% Dura DurationLoss of 0 20.0% 0.0% 10.8% 5 05 0.0% 10.8% Duré Pert Durée d’une 2007200820092010201120122013201420152016 10.0% 10.0% National Urban Urbain 2.8% 2.8% Rural 0 2007200820092010201120122013201420152016 0.0% 0.0% National Urban Urbain Rural LossesLosse due 0 Taxes Miningminières Taxes Direct Taxes minières Mining directes taxes Taxes taxes Taxes indirectes taxes 2007200820092010201120122013201420152016 Indirect Direct taxes taxes directes 2007200820092010201120122013201420152016 Taxes indirectes Indirect taxes National National 2010 Urbain Urban Urbain 2016 Urban 2010 Rural Rural PertesPerte dues 2016 Taxes Miningminières taxes Directdirectes Taxes taxes Taxes indirectes Indirect Taxes Miningminières taxes Directdirectes Taxes taxes Taxes Indirect taxes taxes indirectes 2010 2010 2016 2016 C – Pertes dans le transport et la distribution D – Pannes de courant 50% 40 40 44% 50% 44% 31.5 31.5 42% 42% 40 50% 50% 44% 40 30 30 31.5 44% 42% 31.5 40% 40% 42% 30 30 20 40% 40% 30% 30% 20 13 20 13 30% 30% 20 13 30% 30% 24% 24% 10 4.5 4.56.3 6.3 13 30% 10 6.3 2.5 2.3 30% 24% 24% 18% 10 4.5 6.3 2.5 2.3 18% 10 4.5 2.5 2.3 20% 18% 0 2.5 2.3 20% 20% 18% 0 0 20% 0 Nombre Number de of d’une Durée Durationd’une Losses dues of a Pertes due toaux Nombre Number de Nombre of Number de of Durée Duration Durée of Duration a d’une of Losses a Pertes Losses Pertes due dues due duesto aux toaux 10% Nombre Number deof pannes electrical Durée Duration d’une of panne typical a electrical Losses Pertes due dues toaux electrical pannes 10% pannes electrical pannes electrical typicalpanne electrical panne typical electrical electrical pannes electrical 10% 10% pannes d’électricité electrical outages typical dans panne in d’électricité a outage electrical pannes pannes (hours) electrical outages (% of d’électricité d’électricité outages dans in in outage a outage d’électricité dans d’électricité (hours) d’électricité outages (% d’électricité of outagesoutages d’électricité un dans in a mois typical a type month outage d’électricité (hours) type (hours) (heures) outages outages (% (% of d’électricité of annual d’électricité (% des sales) ventes 0% un un mois typical mois un type mois month typical month type type type type (heures) type (heures) (heures) annual (% annual (% des des sales) sales) ventes ventes 0% typical month annual (% des sales) ventes 0% 0% 2010 2011 2012 2013 2014 2006 2016annuelles annuelles annuelles 2010 2011 2012 2013 2014 20062006 2006 2016 2016 annuelles 2016 2011 2010 2010 2011 2012 2012 2013 2013 2014 2014 Estimations du personnel de la Banque mondiale. 62 Enfin, les investissements publics et les systèmes de passation des marchés publics du pays entravent son développement économique. Bien que les investissements publics aient doublé au cours de la dernière décennie, ils restent volatiles, avec un maximum à 10 % du PIB en 2015 et un minimum à 4,7 % en 2011, et génèrent une planification budgétaire incorrecte, ainsi que du gaspillage. Les coupes ponctuelles et l’absence de suivi systématique compromettent leur efficacité. Parallèlement, le système de passation des marchés publics – autre défi majeur – repose principalement sur une source d’approvisionnement unique, coûteuse et inefficace, contournant régulièrement les lois et les pratiques conventionnelles relatives aux appels d’offres. Sur la voie de la transformation structurelle Les diagnostics établis ci-dessus permettent d’identifier quatre axes de réponse pour accéder à la transformation structurelle et ainsi d’accélérer la réduction de la pauvreté en Guinée. i. Accroître la productivité agricole et soutenir les investissements du secteur privé pour promouvoir la diversification économique ; ii. Augmenter le capital humain pour soutenir une croissance inclusive ; iii. Améliorer les possibilités économiques grâce à l’intensification du développement urbain ; et iv. Consolider la gestion des ressources budgétaires et naturelles. Chacun de ces axes de réponse doit permettre la mise en place de réformes transversales et favoriser une amélioration progressive de la gouvernance. Ces réponses se traduisent par des réformes dont l’ordre de priorité est déterminé en fonction de trois paramètres : i. Leurs effets probables sur la réduction de la pauvreté et la prospérité partagée ; ii. Leur faisabilité politique, basée sur les capacités et la cadence des réformes ; et iii. L’importance du problème, définie par le biais des consultations des parties prenantes et des comparaisons entre les pays. L’examen de ces paramètres a permis d’identifier les cinq obstacles principaux nécessitant une intervention politique : i. L’accès limité aux intrants agricoles ; ii. Le manque de développement des compétences ; iii. L’insuffisance des infrastructures (port, routes, logistique) ; 63 iv. Une gestion fiscale inadéquate (revenus, investissements, marchés publics) ; et v. L’accès limité aux financements. Les intrants demeurent le principal obstacle à l’amélioration de la productivité agricole et à l’accroissement de la production agricole. L’écart de compétences entre la Guinée et les autres pays en développement est considérable et le pays devra entreprendre une véritable « révolution des compétences » s’il veut rattraper les économies émergentes. L’état des infrastructures reste alarmant, notamment au niveau des routes urbaines et rurales, des ports et du domaine logistique. La piètre gestion budgétaire est le talon d’Achille de l’économie guinéenne et son amélioration est impérative. Enfin, l’accès aux financements est essentiel pour permettre aux entrepreneurs d’obtenir des fonds de roulement suffisants pour créer des petites et moyennes entreprises. Pour finir, il convient de rappeler que les prestations de services publics fiables aux populations vulnérables constituent un outil indispensable à la réduction de la pauvreté. Pour atteindre cet objectif, il convient de mettre en place des institutions solides capables de mener à bien leurs missions à travers des réformes conçues pour améliorer l’efficacité des prestations de services publics. Dans certains cas, ces actions devront s’accompagner de mesures sociologiques destinées à amener la population locale à adopter de bonnes pratiques, y compris en matière d’éducation des femmes, d’eau et d’assainissement, et de santé. 64 ANALYSE ÉCONOMIQUE DU PAYS Aperçu des indicateurs macroéconomiques des pays AFCW3, 2013-2018 La reprise économique s’est améliorée en 2017 et le … et les taux d’inflation restent sous les 3 %, sauf pour Tchad sort progressivement de la récession… la Guinée Taux de croissance du PIB (%) Tchad Chad Mali Guinée Guinea Niger Chad Tchad Mali Guinée Guinea Niger 15 15 10 10 Annuelle, moyenne 5 5 0 -5 0 -10 -5 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p Tous les déficits en compte courante ont diminué en 2017, … et les termes de l’échange se sont détériorés, sauf mais ils dépassent encore les 10 % en Guinée et au Niger… au Tchad 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p -35 40 Annuel, % de change -25 20 % du PIB 0 -15 -20 -5 -40 Tchad -60 Chad Mali Guinée Guinea Niger Tchad Chad Mali Guinée Guinea Niger Les déficits budgétaires ont diminué en 2017, sauf … soutenus par une augmentation des revenus, pour la Guinée… sauf en Guinée 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p comptabilité de caisse, % du PIB Chad Tchad Mali Guinea Guinée Niger Y compris les dons, base de 2 30 Hors dons, % du PIB 0 25 -2 -4 20 -6 15 -8 -10 10 Chad Tchad Mali Guinea Guinée Niger 2013 2014 2015 2016 e 2017 p 2018 p Source : Estimations du personnel du FMI et de la Banque mondiale ; FMI (AIV), plusieurs années. Remarque : Les données de 2016 sont des estimations révisées, et celles de 2017 et 2018 sont des projections. Les déficits budgétaires comprennent les dons et sont basés sur une comptabilité de caisse (à l’exception du Niger, où ils sont basés sur les engagements). Ils peuvent légèrement différer de ceux figurant dans le texte, basés sur les engagements. Cette section est le fruit de la collaboration des équipes Économie et lutte contre la pauvreté de l’AFCW3 : Lars Moller, Andrew Dabalen, Luc Razafimandimby, Marcel Nshimiyimama, Markus Kitzmuller, Olanrewaju Kasim, Ernest Sergenti, Abdoul Mijiyawa, Olivier Beguy, Johannes Hoogeveen, Aly Sanoh, Yele Batana et André-Marie Taptue. Irum Touqeer a soigneusement produit les graphiques et les a consolidés. 65 GUINÉE L’économie guinéenne a connu une croissance de 8,2 % en 2017 grâce à une forte augmentation de l’activité minière. Les perspectives de croissance à moyen terme sont tout aussi bonnes, car les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur minier restent substantiels et l’accroissement des investissements dans les infrastructures stimule les secteurs de la construction et de l’agriculture. Ces perspectives pourraient toutefois être compromises en cas de tensions sociopolitiques, de dérapage des réformes à l’approche des élections législatives de l’automne 2018 ou de baisse du prix des matières premières. Le taux d’extrême pauvreté devrait reculer et passer de 31 % en 2016 à 24 % en 2020. Évolutions récentes La croissance a atteint un taux estimé à 8,2 % en 2017 grâce à l’essor de la production minière, à la reprise des activités du secteur de la construction, à la bonne performance de l’agriculture et à un meilleur approvisionnement en électricité. Bien que très élevée, cette croissance reste inférieure au taux de croissance de 2016, qui a été stimulé par une forte hausse de 139 % de l’investissement et révisé à la hausse à 10,5 %. Le déficit du compte courant extérieur (dons inclus) est estimé à 16,8 % du produit intérieur brut (PIB) en 2017, en baisse par rapport à 31,1 % en 2016. L’augmentation des exportations minières et agricoles et la baisse des importations de capitaux ont contribué à réduire ce déficit. Les investissements directs étrangers représentent environ 14 % du PIB en 2017 et continuent de financer une large proportion du déficit. Les réserves internationales ont légèrement augmenté, passant de 2,3 mois d’importations en 2016 à 2,5 mois en 2017. Cependant, ce niveau insuffisant des réserves fragilise l’économie et la rend vulnérable à des chocs des prix des matières premières. 66 Le déficit budgétaire s’est creusé, passant de 0,1 % du PIB en 2016 à 2,1 % du PIB en 2017. Les dépenses totales ont augmenté de 16 % du PIB en 2016 à 17,5 % en 2017, en raison d’une hausse des dépenses en biens et services et des subventions à la compagnie publique d’énergie, Électricité De Guinée (EDG), portées par une augmentation des dépenses en capital. Selon certaines estimations, les subventions octroyées à EDG ont atteint 1,3 % du PIB en raison d’une plus forte consommation d’électricité, des coûts de production et de l’apurement des arriérés. Les recettes fiscales et les dons ont en outre reculé de 15,8 % du PIB en 2016 à 15,4 % en 2017, principalement en raison d’une baisse substantielle des impôts indirects sur les biens et les services. La Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) a maintenu une politique monétaire restrictive et a évité le préfinancement des projets de travaux publics par des garanties de prêt. Par ailleurs, la prime sur le marché parallèle des devises est restée faible, à 1 % en moyenne en 2017. La BCRG a également maintenu son taux d’intérêt de référence à 12,5 %, tout en réduisant le taux de réserves obligatoires à 16 % en mars 2017. Après deux années de forte augmentation, la croissance du crédit au secteur privé a ralenti à 2,4 % en 2016, puis à 0,9 % en 2017, si bien que le taux d’inflation moyen est redescendu à un seul chiffre. Après avoir atteint 8,2 % en 2016, l’inflation a légèrement augmenté à 8,9 % en 2017 en raison d’une hausse des prix des biens domestiques et importés. La dette extérieure était estimée à 19,5 % du PIB en 2017, soit légèrement en retrait par rapport à 2016 (21 %). La Guinée continue d’emprunter à l’extérieur pour financer ses investissements dans les infrastructures de transport et d’énergie, en privilégiant les prêts concessionnels. Afin de préserver la soutenabilité de la dette, dans le cadre d’une nouvelle Facilité élargie de crédit (FEC) accordée par le Fonds monétaire international (FMI) en décembre 2017 pour un montant de 170 millions USD, la Guinée a accepté de limiter les emprunts non concessionnels supplémentaires à 650 millions USD par an sur la période 2018-2020. Le risque de surendettement de la Guinée reste modéré. Des simulations basées sur le recensement de 2014 et sur le seuil de pauvreté national suggèrent une augmentation du taux de pauvreté à près de 58 % en 2012, contre 55 % en 2002, tant dans les zones urbaines que rurales. Du fait de la forte incidence de la pauvreté et d’une croissance démographique soutenue, estimée à environ 3 % par an, la population vivant dans un état de pauvreté pourrait atteindre environ 6 millions. Par rapport à 2002, cela représente une augmentation d’un demi-million de pauvres. En revanche, le taux d’extrême pauvreté, basé sur le seuil international de pauvreté de 1,90 USD par jour (à parité de pouvoir d’achat - PPA), a reculé de 35 % en 2012 à 31 % en 2016. La pandémie d’Ebola en 2014-2015 et la chute du prix des matières premières ont entraîné une détérioration du niveau de vie et une augmentation de la pauvreté. 67 Perspectives À moyen terme, la croissance économique devrait s’établir à 6 % en moyenne selon les projections. Elle sera alimentée par d’importants flux d’investissements directs étrangers (IDE) dans l’industrie minière et une augmentation des investissements dans les infrastructures, qui devraient stimuler les secteurs de la construction et de l’agriculture. Le déficit du compte courant extérieur devrait atteindre 18 % du PIB en moyenne au cours de la période 2018-2020, les importations de biens intermédiaires financées par les IDE restant élevées et les exportations minières et agricoles augmentant. Les réserves internationales devraient progressivement augmenter à 3,5 mois de couverture des importations d’ici 2020. Selon les projections, le déficit budgétaire de 2018 devrait atteindre 3,3 % du PIB. Après des semaines de grèves et de manifestations, la décision prise en mars 2018 d’accélérer la mise en œuvre de l’augmentation prévue de 40 % des salaires des travailleurs du secteur public pourrait porter la masse salariale à 0,4 % du PIB dès 2018. Pour maintenir le déficit public en dessous du seuil des 3 % du PIB en 2019, la Guinée devra poursuivre ses efforts pour contrôler efficacement ses dépenses et mobiliser des ressources pour augmenter les recettes intérieures. Cela impliquera de réduire les dépenses non prioritaires et les exonérations fiscales accordées au secteur minier, et d’améliorer la discipline fiscale au travers de réformes administratives. Grâce à une politique monétaire saine et une augmentation attendue de la productivité agricole et de la sécurité alimentaire, le taux d’inflation devrait se maintenir à moyen terme entre 8 % et 9 %. Le ratio dette publique/PIB devrait augmenter à 41,8 % en 2019, et se stabiliser à ce niveau en 2020. Compte tenu de la forte croissance économique au cours des trois prochaines années, en particulier dans le secteur agricole, le taux d’extrême pauvreté devrait encore reculer à environ 24 % en 2020. Risques et défis à relever Les perspectives économiques reposent sur la capacité des pouvoirs publics à gérer les tensions sociopolitiques et à entreprendre des réformes, notamment en matière de politique budgétaire. Des élections législatives sont prévues en septembre 2018, et les dépenses liées aux élections pourraient affaiblir la discipline budgétaire et nécessiter des mesures correctives. Un recul du prix des matières premières, notamment de l’aluminium et de l’or, constitue un risque à la baisse pour les prévisions de croissance. D’autres risques peuvent être liés à l’augmentation prévue des investissements dans les mines et les infrastructures. La mise en œuvre différée des réformes structurelles et la faible croissance du secteur agricole pourraient également freiner la croissance et la réduction de la pauvreté. Enfin, le maintien de la soutenabilité de la dette nécessitera un suivi étroit des efforts de la Guinée pour développer ses investissements dans le domaine critique des infrastructures de transport et d’énergie. 68 Guinée : Principaux indicateurs économiques et financiers – 2015–2020 (variations annuelles en pourcentage) Comptes et prix nationaux PIB à prix constants 3,8 10,5 8,2 6,0 5,9 6,0 PIB à prix courants 6,9 18,3 19,6 16,4 14,7 14,4 Déflateur du PIB 3,0 7,1 10,5 9,8 8,3 8,0 Prix à la consommation Moyenne annuelle 8,2 8,2 8,9 8,7 8,5 8,0 Fin de période 7,3 8,7 9,5 9,0 8,0 7,9 Secteur extérieur Exportations (USD) -12,7 32,7 43,5 9,0 15,3 11,5 Importations (USD) -7,6 90,7 2,1 13,5 -3,1 15,6 Masse monétaire et crédit Actifs étrangers nets -11,0 7,3 9,6 5,6 6,4 6,7 Actifs nationaux nets 31,2 2,7 6,2 4,8 7,2 7,3 Créances nettes sur l’État 17,2 1,9 5,0 -0,5 -0,7 -0,5 Crédit au secteur non 10,8 2,4 0,9 5,4 8,0 7,8 gouvernemental Masse monétaire 20,3 9,9 15,8 10,5 15,8 15,9 Réserves monétaires 2,6 15,5 10,3 14,1 9,2 11,0 Financement du gouvernement central (% du PIB) Total des recettes et dons 14,8 15,8 15,4 16,5 17,1 17,5 Recettes 13,7 14,6 13,8 15,0 15,7 16,3 Dons 1,2 1,2 1,5 1,5 1,4 1,2 Total dépenses et montant 21,7 16,0 17,5 19,8 19,7 19,6 net des prêts Dépenses courantes 14,1 11,2 11,6 12,8 12,0 11,6 Dépenses en capital 7,6 4,7 5,8 6,9 7,7 8,0 Solde budgétaire global (base caisse) Hors dons -8,0 -1,3 -3,6 -4,8 -4,0 -3,3 Avec dons -6,9 -0,1 -2,1 -3,3 -2,6 -2,1 Solde du compte courant (% du PIB) Avec transferts officiels -12,9 -31,1 -16,8 -21,0 -15,9 -17,4 Hors transferts officiels -13,0 -32,1 -17,3 -21,6 -16,6 -17,8 Balance globale des paiements -4,0 0,8 0,7 1,6 1,3 1,4 Réserves officielles brutes (en mois 1,5 2,3 2,5 2,8 3,1 3,5 d’importation) Dette publique extérieure 20,2 21,0 19,5 24,8 29,7 31,6 Total dette publique 39,3 39,8 37,0 39,1 41,8 41,6 PIB nominal (milliards de GNF) 65,829 77,899 93,160 108,469 124,382 142,345 Source : Autorités guinéennes, Fonds monétaire international, estimations et projections des experts de la Banque GNF : franc guinéen. MALI La croissance économique reste élevée en 2017 et atteint un taux de 5,3 %. La pauvreté a reculé grâce à une augmentation substantielle de la production agricole. Le déficit budgétaire a été contenu, et le compte courant extérieur a aussi légèrement diminué, en ligne avec la consolidation budgétaire. Les perspectives économiques sont positives, bien que sujettes à des risques à la baisse liés aux chocs sécuritaires et à des prix des matières premières. À l’avenir, le Mali doit limiter en urgence les risques sécuritaires et diversifier davantage son économie. Développements récents Malgré des conditions de sécurité instables, la croissance du PIB réel est restée solide, à un taux estimé de 5,3 % en 2017, mais en baisse par rapport aux 5,8 % de 2016. L’activité économique a été soutenue par une forte activité d’investissement. Malgré la signature d’un accord de paix en 2015, la région du Nord reste difficile à contrôler et l’insécurité s’étend au centre et au sud du pays. La croissance, en légère baisse, s’explique par la performance plus faible du secteur primaire due à des conditions climatiques défavorables en 2017. La consommation privée a diminué de 0,5 %, tandis que la formation brute de capital fixe a augmenté de manière conséquente (+8 %) pour la première fois depuis 2012, reflétant partiellement une augmentation de l’investissement privé ainsi que les efforts du gouvernement visant à réduire le manque d’infrastructures. L’inflation a augmenté, passant de -1,8 % en 2016 à 1,6 % en 2017, en raison de conditions climatiques défavorables et de la hausse des prix du carburant. 70 Malgré une légère détérioration des termes de l’échange (hausse du prix du pétrole et baisse du prix de l’or), le déficit du compte courant extérieur (incluant les dons) a diminué, passant de 6,2 % du PIB en 2017 contre 7,2 % en 2016, en ligne avec la consolidation budgétaire. Le déficit a été financé par les IDE et l’emprunt public. Malgré la pression sur les dépenses publiques, les autorités ont réussi à contenir le déficit budgétaire, qui a légèrement reculé de 3,9 % du PIB en 2016 à 2,9 % en 2017, grâce à la rationalisation des dépenses courantes et l’amélioration significative des recettes intérieures. Le déficit budgétaire a été principalement financé par l’émission des bonds et obligations du Trésor sur le marché régional et l’appui budgétaire des bailleurs. Les efforts visant à élargir l’assiette fiscale et rationaliser les exonérations fiscales ont conduit à une augmentation des recettes totales atteignant 1,8 point de pourcentage du PIB. Les dépenses publiques totales sont passées de 22,2 % en 2016 à 23 % du PIB en raison des prêts nets. La dette publique a légèrement augmenté, passant à 36,9 % du PIB en 2017 contre 35,9 % en 2016. La dette intérieure est restée stable à 11 % du PIB à la fin de l’année 2017. Selon l’analyse de la soutenabilité de la dette (DSA) de décembre 2017, le risque de surendettement extérieur reste modéré. Les politiques monétaires et de change du Mali sont gérées au niveau régional par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui maintient une parité du franc CFA avec l’euro. La politique monétaire s’est durcie en décembre 2016 lorsque la BCEAO a relevé le taux de prêt marginal de 3,5 % à 4,5 %. Cette augmentation a contribué à atténuer les pressions sur les réserves internationales et à soutenir l’activité du marché interbancaire. Toutefois, en avril 2017, l’orientation de la politique monétaire s’est quelque peu assouplie, le taux des réserves obligatoires ayant été ramené de 5 % à 3 % pour alléger les contraintes sur les liquidités dans le secteur bancaire. Les réserves internationales ont atteint 4 mois de couverture des importations à la fin de l’année 2017. La poursuite de l’assainissement budgétaire parmi les pays membres est nécessaire pour soutenir les réserves régionales. Le ralentissement économique qui a suivi les crises sécuritaires et politiques de 2012 à 2013 a provoqué une augmentation du taux d’extrême pauvreté, à 46,9 % en 2013. Cependant, la croissance exceptionnelle de la production agricole depuis 2014, associée à l’expansion du secteur tertiaire, a entraîné une forte croissance du PIB par habitant. La pauvreté a été estimée à 39,2 % en 2017, contre 43,5 % en 2014. En dépit des poches de déficits de la production dans certaines parties du pays, l’augmentation de la production agricole a favorisé les ménages et la disponibilité des denrées alimentaires sur le marché et a contribué à réduire la pauvreté. Il est aussi probable que l’inégalité ait diminué puisque l’augmentation des revenus devrait surtout bénéficier aux ménages des secteurs agricole et tertiaire, les plus affectés par la pauvreté. Perspectives La croissance du PIB réel devrait rester robuste à environ 5 %, sur le moyen terme en ligne avec le taux de croissance potentiel estimé. La croissance agricole devrait être soutenue par des 71 conditions climatiques favorables et les effets positifs des réformes des subventions aux intrants. La croissance des services devrait rester forte, reflétant une activité plus importante dans le secteur des télécommunications, des transports et du commerce. Du côté de la demande, les investissements devraient augmenter, soutenus par la mise en œuvre de la loi sur le partenariat public-privé (PPP) et la création d’un Fonds de développement durable pour financer la reconstruction dans les régions touchées par les conflits. L’inflation devrait rester modérée grâce à de bonnes récoltes agricoles, freinant la hausse des prix des denrées alimentaires, et soutenue par une politique monétaire régionale prudente. La consolidation budgétaire et les mesures relatives aux recettes fiscales devraient réduire le solde budgétaire global de -3,3 % du PIB en 2018 à -3 % en 2019, en ligne avec les critères de convergence de l’UEMOA. Le déficit du compte courant extérieur devrait passer de 6,9 % en 2018 à environ 6,2 % en 2020, conformément à la consolidation budgétaire planifiée. Cette amélioration projetée de la situation extérieure du pays devrait aider le Mali à reconstituer ses réserves de change à moyen terme. Le taux de pauvreté devrait décliner régulièrement, sous réserve que la solide expansion de l’économie malienne perdure de 2018 à 2020 et que la menace sécuritaire ne s’étende pas davantage au sud. Sur la base de ces hypothèses, le PIB par habitant devrait augmenter, avec une réduction concomitante du taux de pauvreté, qui sera d’environ 37,9 % en 2019. Toutefois, en raison de la faible pluviométrie dans certaines régions, la pauvreté peut augmenter localement, car les ménages pastoraux et agricoles connaîtront une insécurité alimentaire accrue au cours de la période de soudure. Risques et défis à relever Les principaux risques pourraient être une détérioration de la situation sécuritaire et politique. En particulier, les élections présidentielles, parlementaires et locales prévues cette année peuvent entraîner une pression sur les dépenses liées aux élections. Les mauvaises conditions météorologiques pourraient aggraver l’insécurité alimentaire, augmenter les besoins en matière de dépenses sociales et les prix des denrées alimentaires, et ralentir la croissance du PIB. Compte tenu des réserves budgétaires limitées du Mali, de tels risques pourraient affecter l’exécution du budget et, en particulier, l’investissement public financé par le pays, ce qui pourrait générer une accumulation d’arriérés domestiques. Une augmentation imprévue des prix du pétrole ou une baisse des prix de l’or pourraient affecter négativement les soldes budgétaire et extérieur. Le Mali reste dépendant des matières premières et est relativement ouvert à très peu de marchés d’exportation. Une plus grande diversification des exportations permettrait au Mali de réduire la volatilité de sa croissance et d’atteindre une plus grande stabilité macroéconomique. 72 Mali : Principaux indicateurs macroéconomiques, 2014-2020 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Économie réelle Variation annuelle en pourcentage, sauf indication contraire PIB (nominal, en milliards FCFA) 7 114 7 748 8 322 8 868 9 445 9 961 10 037 PIB réel 7,0 6,0 5,8 5,3 5,0 4,7 4,7 Déflateur du PIB 1,6 2,8 1,5 1,2 1,4 1,5 1,7 Inflation des prix à la consommation (moyenne) 0,9 1,4 -1,8 1,6 1,3 1,6 1,9 Comptes budgétaires ourcentage du PIB, sauf indication contraire P Total dépenses 20,0 20,9 22,2 23,0 23,9 23,3 23,7 Total recettes 14,9 16,4 16,7 18,5 19,4 18,7 19,1 Dons 2,2 2,7 1,6 1,6 1,2 1,5 1,6 Déficit public général -2,9 -1,8 -3,9 -2,9 -3,3 -3,0 -3,0 Dette publique 27,3 30,1 35,9 36,9 37,3 38,3 39,8 Dette intérieure 6,3 8,0 11,0 11,0 12,5 13,4 14,3 Comptes monétaires sélectionnés Variation annuelle en pourcentage, sauf indication contraire Crédit au secteur gouvernemental 0,8 1,6 10,4 3,6 14,5 2,9 … Crédit à l’économie 12,4 14,6 13,7 9,5 9,8 9,9 …. Masse monétaire (M2) 7,1 13,2 7,3 7,4 16,0 8,3 …. Balance des paiements ourcentage du PIB, sauf indication contraire P Balance du compte courant -4,7 -5,3 -7,2 -6,2 -6,9 -6,4 -6,2 Importations 38,0 39,6 40,3 39,0 37,8 36,7 35,7 Exportations 22,5 24,0 23,4 23,2 21,8 21,1 20,6 Investissements directs étrangers 1,0 0,9 0,9 0,9 0,9 0,8 0,9 Dette extérieure 21,0 22,1 24,9 25,8 24,8 24,9 25,5 Termes de l’échange 5,5 18,6 15,5 -0,1 -3,5 2,2 1,2 Autres postes pour mémoire PIB nominal en USD (milliards) 14,4 13,1 14,1 15,1 16,0 17,0 18,0 Sources : Ministère des Finances, estimations du personnel du FMI et de la Banque (2014-2017) et projections (2018-2020) 73 NIGER La croissance économique a atteint 5,2 % en 2017. Le déficit budgétaire et le déficit du compte courant extérieur ont baissé. Des progrès considérables ont été accomplis dans la réduction de la pauvreté. Les perspectives sont positives, avec une croissance moyenne d’environ 5,4 % entre 2018 et 2020, provoquant par ricochet la baisse de la pauvreté. Les principaux défis incluent les menaces sécuritaires, les problèmes de variabilité climatique, la flambée des prix des matières premières et les retards dans la mise en œuvre des réformes. Évolutions récentes En 2017, la croissance économique a atteint 5,2 % (ou 1,3 % par habitant), un taux légèrement supérieur à 5,0 % en 2016 et, en effet, supérieur au potentiel. Du côté de l’offre, l’activité économique a été soutenue par l’agriculture, les hydrocarbures et les services (commerce et technologies de l’information et de la communication (TIC)). Du côté de la demande, la consommation privée et les exportations ont principalement contribué à la croissance économique. En 2017, le taux d’inflation a augmenté à 2,4 %, mais il reste toujours inférieur à l’objectif de 3 % défini par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette augmentation était due en partie à une croissance économique supérieure au potentiel, à l’effet de correction de la récolte exceptionnelle de 2016 ainsi qu’aux achats de céréales visant à reconstituer la réserve alimentaire stratégique. Le déficit du compte courant extérieur (y compris les dons) a baissé de 15,5 % du PIB en 2016 à 13,2 % en 2017. Les exportations de pétrole ont augmenté en raison des effets de volume et de prix, et les 74 importations en capital ont chuté. En 2017, le déficit du compte courant extérieur a été financé par des dons en capital, des emprunts pour les projets et des investissements directs étrangers (IDE), chacun contribuant à hauteur d’un tiers environ. Grâce à l’augmentation des dons, le déficit budgétaire a baissé jusqu’à 5,1 % du PIB en 2017, contre 6,1 % en 2016. Les recettes fiscales ont chuté de 0,7 % du PIB en raison de l’absence temporaire de personnel administratif clé et d’une faible collecte des arriérés fiscaux. Les dons et les recettes non fiscales, en pourcentage du PIB, ont augmenté respectivement de 1,1 % et de 0,4 %. Les dépenses publiques ont baissé de 0,2 % du PIB, grâce à la réduction des dépenses courantes. La dette publique a augmenté, passant de 46,7% du PIB en 2016 à 48,0 % en 2017. Dans ce contexte, le risque de surendettement de la dette extérieure reste modéré. Les politiques monétaires et de change du Niger sont gérées au niveau régional par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui maintient un taux de change fixe entre le franc CFA et l’euro. En décembre 2016, la BCEAO a mis en œuvre la politique monétaire restrictive car elle a relevé le taux de la facilité de prêt marginal de 3,5 % à 4,5 %. Cette mesure a permis de modérer les pressions sur les avoirs extérieurs et de soutenir l’activité du marché interbancaire. Toutefois, en avril 2017, la politique monétaire a été un peu accommodative car le taux de réserve obligatoire a été réduit de 5 % à 3 % afin d’atténuer les contraintes de liquidité dans le secteur bancaire. Fin 2017, les avoirs extérieurs du Niger couvraient 4 mois d’importations. Afin de soutenir les avoirs extérieurs de la région, un assainissement budgétaire permanent entre les pays membres est nécessaire. Le Niger a réalisé des progrès considérables dans la réduction de la pauvreté. Entre 2005 et 2014, la pauvreté a chuté de 50,3 % à 45,7 % de la population (selon le seuil international de pauvreté de 1,90 USD par jour). Cependant, une analyse de l’incidence de la croissance au cours de la même période révèle que l’augmentation du PIB par habitant était associée à une augmentation de l’inégalité des revenus. La prime de prospérité partagée (différence entre la croissance des revenus des 40 % les plus pauvres et la croissance du revenu médian) était positive, mais seulement à 0,05 point de pourcentage, soit un supplément de 0,39 USD. De ce fait, l’ensemble de la population a gagné un supplément de 0,73 USD. Perspectives économiques Les perspectives économiques sont prometteuses. L’économie devrait croître de 5,4 % entre 2018 et 2020. La croissance sera favorisée par des réformes et des investissements dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, du pétrole et des télécommunications. Ancrée dans la politique monétaire régionale et facilitée par une bonne récolte, l’inflation devrait rester inférieure à l’objectif de 3 % de l’UEMOA. Selon les prévisions, le déficit du compte courant extérieur devrait 75 être proche de 17,0 % du PIB entre 2018 et 2020, en raison du volume considérable d’importations liées aux projets des bailleurs de fonds et à la construction d’un oléoduc pour l’exportation du pétrole brute. Le déficit du compte courant extérieur devrait être largement financé par des investissements directs étrangers, des dons en capital et des emprunts pour projets. La mobilisation des recettes intérieures et la rationalisation des dépenses publiques devraient progressivement contribuer à réduire le déficit budgétaire pour atteindre l’objectif régional de 3 % du PIB. En référence au seuil de pauvreté international de 1,90 USD par jour exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPA), le niveau de pauvreté devrait baisser de 3 points de pourcentage entre 2018 et 2020. Défis et risques à relever Le Niger encourt des risques de détérioration des perspectives économiques. L’économie reste vulnérable aux menaces sécuritaires croissantes, au retard de la reprise de l’économie nigériane et aux chocs défavorables des prix des matières premières. De plus, les retards accumulés dans la mise en œuvre des projets des bailleurs de fonds pourraient également freiner la croissance à moyen terme. L’incapacité à augmenter les recettes fiscales pourrait nuire à la soutenabilité budgétaire et de la dette. Dans le même temps, le taux de fécondité élevé et les inégalités entre les genres restent un défi majeur. La fécondité élevée étant associée à des familles nombreuses, à des taux de dépendance élevés et à de faibles niveaux d’instruction, les facteurs qui sont positivement associés à la pauvreté. D’un autre côté positif, une forte dynamique de réforme et l’appui des bailleurs de fonds pourraient créer un cercle vertueux de développement du secteur privé. 76 Niger : Principaux indicateurs macroéconomiques et financiers, 2014-2020 Projections (2017-2020) 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Économie réelle variation annuelle en %, sauf indication contraire) ( PIB réel 7,5 4,0 5,0 5,2 5,1 5,4 5,6 Croissance du PIB par habitant 3,6 0,1 1,1 1,3 1,2 1,5 1,7 PIB hors ressources naturelles 8,2 4,5 5,1 4,8 5 5,5 5,9 Volume des exportations 11,1 -4,5 -4,2 12,3 8,7 10,4 6,5 Volume des importations 5,5 7,3 -14,1 2,7 12,2 9,2 8,0 Déflateur du PIB -0,5 0,5 -0,4 2,1 3,6 1,9 1,9 Indice des prix à la consommation Moyenne annuelle -0,9 1,0 0,2 2,4 3,9 2,0 2,0 Fin de période -0,6 2,2 -2,2 4,8 1,9 2,1 1,9 Finances Publiques (pourcentage du PIB, sauf indication contraire) Recettes totales et dons 23,0 23,5 20,5 21,3 22,1 23,1 24,0 Dépenses totales et volume net des prêts 31,1 32,5 26,6 26,4 28,2 28,8 28,2 Dépenses courantes 14,6 15,5 14,1 13,9 13,7 13,7 13,6 Dépenses en capital 16,4 17,0 12,5 12,5 14,5 15,1 14,6 Déficit budgétaire (base d’engagement, y compris dons) -8,0 -9,1 -6,1 -5,1 -6,1 -5,8 -4,2 Comptes monétaires variation annuelle en pourcentage de la base monétaire de début de période) ( Base monétaire 25,7 4,6 8,7 6,1 10,1 8,6 7,6 Crédit au secteur privé 6,1 6,3 4,3 3,5 5,8 4,9 5,3 Crédit net au gouvernement 1,1 9,1 6,3 3,3 2,2 1,0 -1,6 Balance des paiements (pourcentage du PIB, sauf indication contraire) Solde du compte courant extérieur (y compris dons) -15,4 -20,5 -15,5 -13,2 -16,1 -16,7 -18,0 Importations 26,2 27,4 22,8 22,5 23,7 24,5 25,0 Exportations 17,6 15,1 13,7 14,0 13,9 14,2 14,2 Investissements directs étrangers 8,9 6,9 5,7 4,6 6,1 6,7 7,7 Réserves officielles brutes centralisées (en mois d’import de biens et services pour l’année prochaine) 4,9 5,1 4,0 4,2 4,2 4,3 4,4 Total dette publique et publiquement garantie 33,8 41,6 46,7 48,0 50,0 51,9 53,1 Dette extérieure publique et publiquement garantie 25,1 30,3 33,0 33,6 35,4 37,5 40,5 Dette publique intérieure 8,7 11,4 13,7 14,4 14,6 14,4 12,7 Termes de l’échange (variation en %) -19,4 -7,5 -2,2 -7,4 -6,5 -1,9 -1,2 Taux de change (moyenne) 510,2 493,9 493,6 592 593 593 593 Postes pour mémoire : PIB (nominal - en milliards de FCFA) 4 069 4 269 4 464 4 795 5 222 5 606 6 032 PIB nominal (variation annuelle en %) 7,0 4,9 4,6 7,4 8,9 7,4 7,6 PIB (en milliards USD nominal) 8,0 8,6 9,0 8,1 8,8 9,5 10,2 Source : Autorités du Niger ; estimations du FMI et de l’équipe de la Banque mondiale, 2018 77 TCHAD Le Tchad lutte pour sortir d’une profonde récession. Tandis que le redressement des prix du pétrole a commencé à accroître les recettes publiques, le pays a adopté des mesures d’austérité afin d’améliorer sa situation budgétaire. La réduction des indemnités des fonctionnaires a aggravé les tensions sociales, et les grèves nationales ont affecté négativement la prestation de services publics essentiels. La restructuration opportune de la dette commerciale extérieure a ouvert la voie à la soutenabilité de la dette. Une forte croissance de la production agricole, la stabilité des prix du pétrole et l’amélioration des conditions sécuritaires sont nécessaires pour soutenir une relance économique progressive. Évolutions récentes Le Tchad se remet lentement d’une profonde récession. L’économie s’est contractée d’environ 3 % en 2017 après avoir chuté de 6,3 % de 2016. Suite à la chute drastique des prix du pétrole en 2014, la croissance est plus lente et elle a diminué plus vite que son potentiel, créant un écart de production négatif considérable. Cet aspect transparaît également dans la forte baisse de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC), qui se remet lentement d’une déflation de -1,1 % en 2016 et -0,7 % en 2017. En 2017, le secteur primaire a contribué à la croissance à hauteur de 1,3 point de pourcentage, stimulé principalement par l’agriculture et le secteur pétrolier. Les contributions des secteurs secondaire et tertiaire ont reculé de -0,2 et -3,9 points de pourcentage respectivement, freinées par un manque d’investissement en capital ainsi que d’importants arriérés intérieurs. 78 Le déficit du compte courant extérieur a baissé de 13 % du PIB en 2016 à 5,2 % en 2017. Les importations se sont contractées de -1,3 % en 2017 en raison d’une consommation privée morose et des mauvaises conditions sécuritaires le long de la frontière Nigeria-Tchad. Cependant, la hausse légère des prix du pétrole a stimulé les exportations de pétrole. Le gouvernement est resté déterminé à poursuivre l’assainissement budgétaire en 2017. Les dépenses totales ont stagné à environ 15 % du PIB en 2017. Contre toute attente, la masse salariale a connu une légère hausse, passant de 7,5 % du PIB non pétrolier en 2016 à 7,8 % en 2017. Les recettes totales ont grimpé de 12,9 % du PIB en 2016 à 13,4 % en 2017 à mesure que les prix du pétrole ont commencé à croître en fin d’année. Par conséquent, le déficit budgétaire global a chuté de -2,6 % du PIB en 2016 à -1,4 % en 2017. Enfin, le déficit de financement de 2017 a été comblé par des prêts concessionnels externes et une accumulation d’arriérés intérieurs. Après plusieurs tentatives de restructuration de la dette commerciale envers Glencore en 2017, un accord a été conclu en février 2018. Les conditions de la restructuration sont les suivantes : une période de grâce de 2 ans, une maturité de 12 ans au lieu de 7 ans et une réduction du taux d’intérêt de 7,5 % à 2 % au-dessus du taux interbancaire offert à Londres (LIBOR). Cet accord ainsi que les progrès de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) en matière de restructuration des échéances des avances fournissent l’espace budgétaire nécessaire pour combler le déficit de financement de 2018, et il place à nouveau la dette extérieure sur une trajectoire viable. En tant que membre de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), le Tchad possède une monnaie indexée à l’euro. La BEAC mène une politique monétaire dans ses six États membres et principalement producteurs de pétrole. Récemment, la politique monétaire a été durcie et les réserves de change (forex) régionales ont légèrement augmenté pour passer de 2,3 mois de couverture des importations en 2016 à 2,7 mois en fin 2017. Néanmoins, cela reste nettement inférieur à la couverture de 5 mois jugée adéquate pour une union monétaire riche en ressources. Même si les taux de pauvreté ont diminué depuis 2003, la croissance démographique a fait croître le nombre absolu de personnes pauvres et vulnérables. Les données d’une enquête réalisée auprès des ménages en 2003 et 2011 indiquent une légère amélioration. En 2003, 36 % de la population vivaient dans l’insécurité alimentaire, 55 % étaient pauvres et 76 % vulnérables. En 2011, ces taux ont diminué à 29 %, 47 % et 68 %, respectivement. En 2011, on comptait environ 6,8 millions de personnes vulnérables au Tchad, contre 5,7 millions en 2003. Dans le même temps, les inégalités persistent, et la différence entre le 10e et le 90e percentile de revenus en matière de consommation quotidienne par habitant est de 4,44 USD dans les zones urbaines, et de 2,78 USD dans les zones rurales. Perspectives La reprise progressive de l’activité économique dans les deux prochaines années dépendra de prix du pétrole relativement forts et soutenus, ainsi que d’une aide budgétaire extérieure constante. La croissance du PIB réel devrait atteindre environ 2,6 % en 2018, justifiée par deux facteurs clés : la 79 croissance des exportations, pour laquelle une accélération de 3,6 points de pourcentage est prévue alors que les prix du pétrole restent élevés, et une reprise progressive de la formation brute de capital fixe. Étant donné la poursuite de politiques budgétaires et monétaires strictes, il est peu probable que l’écart de production se comble à moyen terme. La hausse des exportations de pétrole entraînera une reprise, et l’économie non pétrolière suivra progressivement. Le déficit du compte courant extérieur devrait encore diminuer pour atteindre 4,4 % du PIB en 2018, et les réserves imputées seront reconstituées progressivement en 0,4 mois environ de couverture des importations. L’excédent budgétaire global devrait atteindre 0,6 % du PIB en 2018 et osciller autour de 0 % à l’avenir. Les investissements publics devraient augmenter lentement pour passer d’environ 4 % du PIB en 2017 à 4,5 % en 2020. Le taux directeur de la BEAC est actuellement de 2,95 %, et la politique monétaire pourrait devenir encore plus stricte à court terme. Les réserves régionales devraient atteindre 3 mois de couverture des importations d’ici fin 2018. La restructuration réussie de la dette extérieure ramènera le ratio service de la dette/recettes en dessous de 18 % et, associée à une aide financière extérieure, elle diminuera le risque de surendettement. Pour un seuil international de pauvreté de 1,90 USD par jour en parité de pouvoir d’achat (PPA), la pauvreté devrait diminuer de moins de 1 point de pourcentage entre 2018 et 2020. Avec une croissance démographique annuelle de 3,3 %, le nombre de personnes pauvres augmentera d’un demi-million d’ici 2020, portant ainsi le nombre absolu de pauvres à environ 6,6 millions (contre 4,7 millions en 2011). Risques et défis à relever La reprise économique du Tchad reste fragile et pourrait être moins bonne que prévu. L’austérité prolongée alimente les tensions sociales, et la détérioration des conditions de sécurité pourrait rapidement perturber l’activité économique, décourager les investisseurs et peser davantage sur les finances publiques en augmentant les dépenses sécuritaires. L’instabilité politique, comme en témoignent les fréquents remaniements du gouvernement, pèse sur la croissance économique. Avec environ 20 000 nouveaux réfugiés arrivant de République centrafricaine, la crise actuelle des réfugiés reste un problème face à l’espace budgétaire très limité du gouvernement. Enfin, la volatilité des prix du pétrole pourrait réduire les contributions du secteur pétrolier à la croissance du PIB. Globalement, les pressions extérieures et budgétaires annoncent un renversement des progrès accomplis dernièrement en matière de pauvreté. Face à ces risques, il est important de diversifier l’économie tchadienne afin de favoriser la résilience et la croissance durable, soutenues par des investissements dans des secteurs prioritaires tels que l’agriculture ou les télécommunications/TIC. 80 TCHAD : Principaux indicateurs économiques et financiers - 2014-2020 2014 2015 2016(e) 2017(p) 2018(p) 2019(p) 2020(p) Économie réelle (variation annuelle en pourcentage, sauf indication contraire) PIB réel 6,9 2,8 -6,3 -3,0 2,6 2,5 5,8 PIB pétrolier 5,7 32,1 -11,2 -16,2 15,7 4,4 22,6 PIB non pétrolier 7,1 -2,9 -6,7 -0,5 0,1 2,0 2,0 PIB par habitant (USD) 967,1 962,7 874,8 824,5 819,6 820,2 827,6 Déflateur du PIB (niveau) 1,1 -8,0 -1,2 1,1 1,2 1,3 1,3 Inflation des prix à la consommation (moyenne) 1,7 3,7 -1,1 -0,7 2,1 2,6 3,0 Prix du pétrole Perspectives énergétiques mondiales (WEO) (USD/baril) 96,2 50,8 42,8 52,8 62,3 58,2 55,6 Prix tchadien (USD/baril) 55 94,0 39,9 36,2 49,4 60,7 56,7 54,0 Production pétrolière (millions de barils) 47,5 44,4 36,8 43,1 45,1 56,1 Comptes budgétaires (pourcentage du PIB non pétrolier, sauf indication contraire) Dépenses (total) 29,4 22,9 18,0 17,8 17,9 18,1 18,2 Recettes et dons (total) 23,2 17,1 14,9 16,1 18,5 17,5 18,6 Solde public général (avec dons, base engagements) -6,2 -5,8 -3,0 -1,7 0,6 -0,6 0,4 Solde global (avec dons, base caisse) -4,4 -4,5 -5,2 -2,3 0,2 -1,2 0,0 Solde primaire non pétrolier (base engagements, hors dons) -16,2 -9,7 -4,4 -4,2 -4,5 -4,2 -3,8 Comptes monétaires sélectionnés (variation annuelle en pourcentage, sauf indication contraire) Base monétaire 26,5 -4,7 -7,7 5,8 ... … ... Crédit au secteur privé 17,8 1,1 -2,7 0,7 ... … ... Intérêts (taux directeur de la BEAC) 2,95 2,45 2,45 2,95 2,95 2,95 2,95 Balance des paiements (pourcentage du PIB, sauf indication contraire) Solde du compte courant (avec transferts) -9,0 -11,3 -13,0 -5,2 -4,4 -5,4 -4,7 Exportations de biens et services (GNFS, USD) 9,4 -31,0 -19,2 25,0 15,2 7,7 10,8 Importations de biens et services (GNFS, USD) 16,8 -32,3 -6,7 4,1 3,0 5,0 5,1 Réserves brutes (milliards USD, fin de période) 1,2 0,4 -0,3 0,0 0,1 0,3 0,5 Réserves brutes (imputées, en mois des importations de l’année suivante) 2,1 1,0 -1,0 -0,1 0,4 0,8 1,3 Dette extérieure 29,1 25,0 27,2 27,1 26,0 25,4 22,9 Termes de l’échange -3,2 -38,3 -19,3 17,0 8,2 0,1 0,1 Taux de change (moyenne de la période) 493,6 591,2 592,7 592,7 592,7 592,7 592,7 Postes pour mémoire PIB nominal non pétrolier (milliards FCFA) 5 179 5 184 4 838 4 829 5 005 5 264 5 604 PIB nominal (milliards FCFA) 6 912 6 474 5 984 5 747 6 077 6 403 7 041 Sources : Banque mondiale, MFMOD, FMI et autorités tchadiennes 55 Le prix du pétrole tchadien correspond au prix du Brent moins une remise au titre de la qualité. 81 BILAN ÉCONOMIQUE AFCW3 Les DÉFIS de L’URBANISATION en Afrique de l’Ouest DOSSIER SPÉCIAL GUINÉE PRINTEMPS 2018