GROUNDSWELL SE PRÉPARER AUX MIGRATIONS CLIMATIQUES INTERNES Aperçu général Kanta Kumari Rigaud, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Jonas Bergmann, Viviane Clement, Kayly Ober, Jacob Schewe, Susana Adamo, Brent McCusker, Silke Heuser, et Amelia Midgley © 2018 Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale 1818 H Street NW Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 Internet : www.worldbank.org Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données citées dans cet ouvrage. Toutes les cartes utilisées dans le présent ouvrage ont été produites par le service de cartographie de la Banque mondiale. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur ces cartes n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Le présent ouvrage a été initialement publié en 2018 en anglais sous le titre Groundswell: Preparing for Internal Climate Migration. En cas de divergence, la langue d’origine fait foi. Droits et licences Le contenu de l’ouvrage est soumis à des droits. Parce que la Banque mondiale encourage la diffusion des connaissances, l’ouvrage peut être reproduit partiellement ou en totalité, notamment à des fins non commerciales, sous réserve de la mention de la source. L’ouvrage doit être cité de la manière suivante  : Kumari Rigaud, Kanta, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Jonas Bergmann, Viviane Clement, Kayly Ober, Jacob Schewe, Susana Adamo, Brent McCusker, Silke Heuser, et Amelia Midgley. 2018. Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes. Washington, Banque mondiale. Pour tous renseignements sur les droits et licences, s’adresser au service des publications de la Banque mondiale, Groupe de la Banque mondiale, 1818 H Street NW, Washington, DC 20433, USA  ; télécopie  : 202-522-2625  ; courriel  : pubrights@worldbank.org GROUNDSWELL SE PRÉPARER AUX MIGRATIONS CLIMATIQUES INTERNES Aperçu général Remerciements Le présent rapport a été préparé par le Groupe du changement climatique de la Banque mondiale et a bénéficié du leadership et des conseils de John Roome, directeur principal chargé du changement climatique. Les travaux ont été dirigés par Kanta Kumari Rigaud, spécialiste principale de l’environnement. Les orientations stratégiques et l’appui constant de Stephen Hammer ont rendu possible la production du rapport. James Close a dès le début éclairé le rapport de ses conseils. L’étude qui constitue le rapport est le fruit d’une collaboration exceptionnelle des services de la Banque mondiale et des chercheurs du Center for International Earth Science Information Network (CIESIN) de l’Institut de la terre de l’Université de Columbia, de l’Institut pour la recherche démographique (CIDR) de l’Université de la ville de new York (CUNY), et de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique (PIK). Le noyau de l’équipe de recherche comprend Kanta Kumari Rigaud (Banque mondiale), Alex de Sherbinin (CIESIN), Bryan Jones (CUNY), Jonas Bergmann, Viviane Clement, Kayly Ober (Banque mondiale), Jacob Schewe (PIK), Susana Adamo (CIESIN), Brent McCusker (Université de West Virginia), Silke Heuser et Amelia Midgley (Banque mondiale). Rubaina Anjum, Anam Basnet (Banque mondiale)  ; Alyssa Fico, Tricia Chai-Onn, Valentina Mara, Malanding Jaiteh, Marc Levy, Kytt MacManus, Jane mills, Kira Topik, Haibin Xia, Greg Yetman (CIESIN) ; Anastasia Clark (CIDR) ; et Jan Volkholz (PIK) ont apporté un appui important au document. Stephane Hallegate et Susan F. Martin ont joué le rôle de conseillers spéciaux et n’ont cessé d’éclairer l’ouvrage de leurs observations. Anne T. Kuriakose, Margaret Arnold, et Varalakshmi Vemuru ont apporté de précieuses contributions, notamment en ce qui concerne les consultations nationales. L’équipe remercie les auteurs des documents de référence commandés, qui ont su restituer et analyser les travaux de recherche existants et éclairer le rapport. Il s’agit notamment de Jonas Bergmann, Kata Fodor, Francois Gemenne, Lori Hunter, et Caroline Zickgraf. L’étude de la relation entre le changement climatique et la migration développée dans le présent rapport s’est largement inspirée du document de référence de Robert McLeman. Rubaina Anjum, Anam Basnet, Silke Heuser, Anil Markandya, et Sebnem Sahin ont aussi rédigé des notes d’information. Elisabeth Mealey a dirigé les activités de communication sur le rapport avec le concours d’une équipe comprenant Mehreen Sheikh, Gerardo Spatuzzi, Anita Gordon, Joana Das Neves Lopes, Nick Keyes et Gayle Young. L’équipe salue les contributions et les conseils de Elisabeth Mealey, Stephen Hammer, et Anita Gordon lors de la finalisation du rapport. Elle remercie en outre Elaine Feister, Paula Garcia, Patricia Braxton et Anna Jacob pour le soutien administratif apporté durant le projet. L’équipe est reconnaissante de la collaboration avec le Partenariat Mondial pour les connaissances sur les migrations et le développement (KNOMAD) sous la direction de Dilip Ratha et avec le concours de Susan F. Martin, Sonia Plaza, et Hanspeter Wyss. Le rapport a puisé dans deux ateliers du KNOMAD—l’un sur les évaluations quantitatives des migrations climatiques, et l’autre sur la réinstallation planifiée— et un document conjoint sur les envois de fonds. Le rapport final a été rigoureusement examiné par plusieurs experts, à savoir Neil Adger (Université d’Exeter), Soumyadeep Banerjee (ICIMOD), Rosina Bierbaum (Université du Michigan), Katharine M. Donato (Université de Georgetown), Elizabeth Fussell (Université de Brown), Justin Ginnetti (International Displacement Monitoring Centre), Gregory Giraud (Institut de recherche pour le développement), Clark Gray (Université de Caroline du Nord), Elisabeth Gilmore (Université du Maryland), Lorenzo Guadagno (Organisation internationale pour les migrations), Flore Gubert (Ecole d’économie de Paris), Lauren Herzer Risi (Wilson Center), Dina Ionesco (Organisation internationale pour les migrations), Dominic Kniveton (Université d’Oxford), Michael MacCracken (Climate Institute), Anil Markandya (Basque Center for Climate Change), Susan F. Martin (Université de Georgetown), Raya Muttarak (Université d’East Anglia), Anand Patwardhan (Université du Maryland), Christopher Reyer (PIK), et Benjamin Sultan (Institut de recherche pour le développement). Le rapport a été relu en interne par Angela Armstrong, Anton Baare, Caroline Bahnson, Cecilia Briceno, Raffaello Cervigni, Franz Drees-Gross, Marianne Fay, Erick Fernandes, Bjorn Gillsater, Sanna Liisa Taivalmaa, Andrea Liverani, Muthukumara Mani, Robin Mearns, Sonia Plaza, Renan Alberto Poveda, Andrew Roberts, Marc Sadler, Chandra Shekhar Sinha, et Michael Toman. Anush Bezhanyan, Daniel Jonathan Clarke, Alexander V. Danilenko, Mahmoud Mohieldin, Dina Umali-Deininger, Rachel Allen et Manjula Luthria l’ont aussi examiné. Varalaskhmi Vemuru, Teklu Tesfaye, Sanjay Srivastava, Shahpar Selim, et Mehrin Ahmed Mahbub ont examiné le document pour le compte des unités de gestion locales des trois régions concernées par le rapport. L’équipe voudrait en outre remercier les participants à un atelier technique qui s’est tenu à Paris sur les données et les méthodes de modélisation de la migration associée au changement climatique. Cet atelier organisé par le CIESIN, l’Observatoire de la terre Lamont Doherty et Sciences Po, a été l’occasion de recueillir les premières réactions sur la méthodologie utilisée dans le rapport. Les échanges avec les chefs d’équipe de projet de la Banque mondiale dans le programme «  Hard Talk » animé par Ozong Agborsangaya-Fiteu et Anam Basnet ont aussi permis d’apprendre comment les migrations climatiques sont intégrées dans la pratique dans la conception opérationnelle des projets de la Banque mondiale. Un merci spécial est adressé à Saroj Jha et John Roome pour avoir co-présidé la séance et à Joanne De Berry, Andrea Liverani, Robin Mearns, Päivi Koskinen-Lewis, Varalakshmi Vemuru pour leurs contributions. Les indications fournies par Caroline Bahnson, Xavier de Victor, et Alexandre Marc, dans le contexte de la fragilité, des conflits et de la violence ont de même été très importantes. L’équipe exprime sa profonde gratitude à Ana Bucher, Rissa Camins, Rubaina Anjum, et Elaine Feister qui ont facilité les consultations au Bangladesh, en Éthiopie et au Mexique. Merci aussi à Tesfahiwot Dillnessa, Esayas Nigatu Gebremeskel, Nicole Klingen, Teklu Tesfaye, Carolyn Turk, Varalakshmi Vemuru, Qimiao Fan, Zahin Takrim Hussain, Sereen Juma, Muthukumara Mani, Rajashree Paralkar, Christoph Pusch, Shahpar Selim, Susana Adamo, Ana Bucher, Gerardo Corrochano, Jail Ixel Cruz, Jutta Kern, Rosa Maria Hernandez-Fernandez, Nancy Montes de Oca, Diana Martinez Ramirez, Katharina Siegmann, et Gregor Wolf. L’équipe tient aussi à remercier les participants des trois pays pour leurs précieuses contributions. Nous exprimons notre reconnaissance à plusieurs collègues de la Banque mondiale pour leur apport et leur soutien à des étapes clés de nos recherches, notamment Anjali Acharya, Paula Agostini, Sushenjit Bandyopadhyay, Susmita Dasgupta, Maria Ana de Rijk, Valerie Hickey, Nicholas Andrew Keyes, Alexandra Ortiz, Grzegorz Peszko, Claudia Sadoff, Lisa Thalheimer, et Nathalie Weier Johnson. Nous remercions aussi Ana Bucher, Viviane Clement, Dahlia Lotayef, et Alexander Kossoy qui ont relu les traductions espagnole, française, arabe et portugaise de l’aperçu général. Le rapport a été édité par Communications Development Incorporated et Ernst Lutz. Anita Gordon et Rubaina Anjum ont géré le processus de conception et de production, avec le concours de Ryan Clennan et Amy Kimmett de Studio Grafik. Le Département des services généraux du Groupe de la Banque mondiale a produit les cartes utilisées dans le présent rapport et en a facilité l’impression. Les migrants climatiques internes sont très vite en train de devenir le visage humain du changement climatique. Dans seulement trois régions, le changement climatique pourrait forcer plus de 143 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050. L’Afrique subsaharienne à l’horizon 2050 86 millions de migrants climatiques internes La pluie ne tombe pas pendant la saison des plantations, mais quand nous n’en voulons pas. Cela a provoqué la sécheresse et moi, je ne voulais pas souffrir davantage. J’ai voulu tenter ma chance en ville et je suis venu à Hawassa. » —Wolde Danse (28 ans) Éthiopie L’Asie du Sud à l’horizon 2050 40 millions de migrants climatiques internes Nous avons des inondations chaque année mais cette fois, la situation est pire. Toute ma famille habite maintenant chez un parent. Je ne veux pas retourner dans mon village, à cause surtout de l’inondation. À Dhaka, je peux travailler et vivre bien et en sécurité. » —Monoara Khatun (23 ans) Bangladesh L’Amérique latine à l’horizon 2050 17 millions de migrants climatiques internes …nous avons des emplois sur place et les gens migrent donc très peu, il n’y a vraiment pas besoin d’aller ailleurs…la forêt offre des emplois, les entreprises aussi. Notre priorité, c’est la qualité du bois. Nous avons obtenu la fameuse certification Green Seal et peu de communautés peuvent en dire autant. » —Javier Martinez (26 ans) Mexique 1 Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes 2 Kristalina Georgieva Directrice générale, Groupe de la Banque mondiale Le changement climatique devient chaque jour un peu plus un problème économique, social et existentiel urgent pour les pays et leurs populations. La menace qu’il représente est manifeste dans les villes confrontées à des crises liées à l’eau, dans les zones côtières essuyant des ondes de tempête dévastatrices et dans des zones agricoles jadis dynamiques, désormais incapables de produire les cultures vivrières de base. Et, de plus en plus, nous voyons le changement climatique se muer en un facteur de migration, qui force des personnes, des familles, voire des communautés entières à rechercher des lieux plus viables et moins vulnérables pour s’y installer. Le présent rapport appelle opportunément l’attention sur le lien entre le changement climatique, la migration et le développement dans trois régions, à savoir l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine. De façon surprenante, il conclut que ces régions pourraient faire face à plus de 140 millions de migrants climatiques internes d’ici 2050 si des actions concertées ne sont pas prises au niveau national et mondial. C’est à juste titre que le rapport traite essentiellement des migrations internes et non des migrations transnationales. En effet, les experts s’accordent de plus en plus à reconnaître qu’un nombre grandissant de personnes se déplacera à l’intérieur des frontières nationales pour échapper aux effets à évolution lente du changement climatique comme les sécheresses, les mauvaises récoltes et l’élévation du niveau de la mer. Le nombre de migrants climatiques pourrait diminuer de plusieurs dizaines de millions de personnes grâce à des mesures à l’échelle mondiale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à une planification à long terme du développement. Il est temps de planifier et de s’attaquer aux menaces grandissantes associées au changement climatique. Le Groupe de la Banque mondiale aide les pays à affronter les problèmes liés au climat et à mettre en place des systèmes de protection sociale robustes. Ses actions à cet égard vont des investissements dans des projets de production de l’énergie solaire et éolienne afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, à la création de mécanismes d’assurance climatique destinés à protéger les pays les plus vulnérables au climat des catastrophes économiques. Nous collaborons aussi avec les pays pour recenser les risques liés aux menaces grandissantes, comme le changement climatique, auxquels ils sont exposés et planifier en conséquence. Nous participons activement au débat mondial sur la manière de mieux gérer le changement climatique et ses effets, et s’y préparer. Pour l’heure, le monde s’active autour des pactes mondiaux pour les réfugiés et sur la migration, en même temps qu’il s’emploie à trouver la meilleure façon pour la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de traiter la question des déplacements de populations. La migration climatique interne est un problème de développement. Si rien n’est fait elle deviendra le visage humain du changement climatique. Avant-propos 3 Aperçu général Les migrations internationales et leurs répercussions sur les pays d’accueil sont depuis peu au premier plan de l’actualité mondiale. Mais l’on reconnaît de plus en plus que ceux qui se déplacent à l’intérieur de leurs pays sont bien plus nombreux que les autres. Plusieurs raisons - économiques, sociales, politiques et environnementales - sont à l’origine de ces mouvements de populations. Le changement climatique apparaît désormais comme un puissant facteur de migration interne qui pousse un nombre grandissant de personnes à quitter les régions vulnérables de leur pays pour des zones plus viables afin de prendre un nouveau départ. PRINCIPAUX RÉSULTATS Le rapport, qui porte sur trois régions, à savoir l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine qui représentent 55 % de la population des pays en développement, conclut que le changement climatique poussera des dizaines de  millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050. Il prévoit qu’en l’absence de mesures concrètes sur le climat et le développement, un peu plus de 143 millions de personnes - soit 2,8 % de la population de ces trois régions - pourraient être contraintes de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays pour échapper aux effets à évolution lente du changement climatique. Ces personnes quitteraient des régions moins viables où l’eau est plus rare et la productivité agricole plus faible et des zones touchées par l’élévation du niveau de la mer et les ondes de tempêtes. Les zones les plus pauvres et les plus vulnérables au climat seront les plus durement touchées. Parallèlement à l’émergence de foyers d’immigration et d’émigration climatique, ces tendances auront d’importantes répercussions sur les secteurs sensibles au climat et sur la qualité de l’infrastructure et des systèmes d’aide sociale. D’après le rapport, la migration climatique interne augmentera probablement jusqu’en 2050 puis s’accélèrera si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas considérablement réduites et de solides mesures de développement mises en œuvre. APPROCHE Il est important pour les pays de comprendre l’ampleur des migrations climatiques internes et le régime des mouvements de populations afin de pouvoir planifier et se préparer. Mais des modèles de prévision robuste des migrations climatiques internes sur des régions étendues sont rares. Le présent rapport, qui est le premier du genre à introduire les effets à évolution lente du changement climatique dans la modélisation de la répartition future des populations, essaie de combler cette lacune. Parce que l’accent est mis davantage sur les effets climatiques graduels (stress hydrique, mauvaises récoltes, élévation du niveau de la mer) que sur les phénomènes à effet rapide comme les inondations et les ouragans, le véritable impact global du changement climatique sur la migration dans les trois régions est probablement sous-estimé. Au-delà des trois grandes régions intéressant le rapport (l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine), une étude plus approfondie a été menée dans trois sous-régions, à savoir l’Afrique de l’Est, l’Asie du Sud (tout entière), ainsi que le Mexique et l’Amérique centrale qui ont des modèles climatiques, de subsistance, démographiques, migratoires et de développement très différents. Les résultats ont ensuite été mis en contexte dans trois pays : l’Éthiopie, le Bangladesh et le Mexique. Le modèle applique des données sur les impacts démographiques, socioéconomiques et climatiques au niveau d’une cellule de quadrillage de 14 km2 afin de modéliser les répartitions éventuelles de populations à l’intérieur des pays. Tenant compte des incertitudes inhérentes à l’étude du phénomène de migration au cours des 30 prochaines années, le rapport s’appuie sur trois scénarios potentiels liés au changement climatique et au développement. Le modèle peut être personnalisé et élargi à diverses échelles. Des travaux futurs pourraient modifier et étendre les modèles à un plus grand nombre de pays, à plus d’impacts climatiques et à des périodes de temps plus longues, et même aussi à des échelles plus locales. Les résultats basés sur les scénarios doivent davantage être perçus comme un ensemble de conséquences probables que comme des prévisions exactes. Aperçu général 5 Les trois scénarios sont les suivants : • « Scénario pessimiste » (émissions élevées de gaz à effet de serre combinées à des trajectoires de développement inégales) – c’est le « scénario de référence » du rapport ; • «  Scénario de développement plus inclusif  » (émissions toujours élevées mais combinées à des trajectoires de développement améliorées) ; et • « Scénario plus favorable au climat » (émissions mondiales réduites combinées à un développement inégal).1 Cette approche basée sur des scénarios permet aux décideurs de mieux comprendre et planifier les mouvements éventuels de populations à l’intérieur de leur pays –  dans le temps et à travers différentes zones géographiques  – en raison des effets du changement climatique. Figure 1 : Nombre escompté de migrants climatiques en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine d’ici 2050 selon les trois scénarios SCÉNARIOS PROBABLES Pessimiste (référence) Développement plus inclusif Plus favorable au climat TOTAL POUR LES TROIS RÉGIONS Nombre de migrants (en millions) 140 120 100 80 60 40 20 0 AFRIQUE SUBSAHARIENNE ASIE DU SUD AMÉRIQUE LATINE 100 100 100 Nombre de migrants (en millions) Number of migrants (millions) Number of migrants (millions) 90 90 90 80 80 80 70 70 70 60 60 60 50 50 50 40 40 40 30 30 30 20 20 20 10 10 10 0 0 0 África al sur del Sahara South Asia Latin America Note : les signes sur les barres à l’intérieur des graphiques représentent les intervalles de confiance du 95e percentile. 1 D’après le cinquième rapport d’évaluation du GIEC, dans le scénario aux émissions réduites les températures pourraient atteindre leur plus haut niveau entre 0,4°C et 1,6°C au-dessus des niveaux de référence d’ici 2050 puis se stabiliser. Dans les scénarios aux émissions plus élevées, les températures pourraient augmenter entre 1,4°C et 2,6°C d’ici 2050, et entre 2,6°C et 4,8°C d’ici 2100. Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes 6 Messages clés MESSAGE 1 : les migrations climatiques internes vont s’intensifier d’ici 2050 puis s’accélérer, à moins que des mesures concertées ne soient prises sur le climat et le développement. D’après les trois scénarios du rapport, un accroissement des migrations climatiques internes est prévu en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine d’ici 2050. Dans le pire des scénarios ou le scénario pessimiste, les migrants climatiques internes pourraient dépasser les 143 millions de personnes (soit environ 86 millions en Afrique subsaharienne, 40 millions en Asie du Sud et 17 millions en Amérique latine) d’ici 2050. Les populations et les pays les plus pauvres sont les plus durement touchés (Figure 1). Dans le scénario de développement plus inclusif, la migration climatique interne dans les trois régions serait réduite pour ne plus toucher qu’entre 65 millions et 105 millions de personnes. Le scénario plus favorable au climat prévoit le moins de migrants climatiques internes, entre 31 millions et 72 millions dans les trois régions. Dans tous les scénarios, le changement climatique est un facteur croissant de migration interne. Les effets du changement climatique (baisse du rendement des cultures, stress hydrique, élévation du niveau de la mer) augmentent la probabilité des migrations en situation de détresse, qui rendent le développement humain et la planification plus difficiles. Les populations vulnérables ont moins de possibilités de s’adapter sur place ou de s’éloigner des risques et, lorsqu’elles se déplacent, le font souvent en dernier recours. D’autres populations encore plus vulnérables n’auront pas la possibilité de se déplacer et pourraient être piégées dans des zones de plus en plus invivables. Les migrations climatiques internes s’intensifieront au cours des décennies à venir et pourraient s’accélérer après 2050 dans le scénario pessimiste en raison d’un renforcement des effets du climat combiné à une forte augmentation de la population dans plusieurs régions. Crédit Photo : Maria de la Guardia/Connect4Climate/Banque mondiale Aperçu général 7 MESSAGE 2 : les pays peuvent s’attendre à voir apparaître des foyers d’émigration et d’immigration du fait du climat. Ceux-ci auront des conséquences importantes pour ces pays et la planification future du développement. D’après le rapport, l’émigration climatique surviendra dans les zones où les systèmes de subsistance sont de plus en plus mis à mal par les impacts du changement climatique. Ces points chauds comptent de plus en plus de zones marginales et peuvent comprendre les villes situées en zones basses, les littoraux vulnérables à l’élévation du niveau de la mer et les zones soumises à un important stress hydrique et agricole (Figure 2 pour l’Afrique de l’Est). Dans les hauts plateaux du nord de l’Éthiopie par exemple, la rareté croissante de l’eau et une baisse du rendement des cultures provoqueront une migration climatique de ces zones d’agriculture pluviale. Même Addis-Abeba, la plus grande ville éthiopienne, pourrait voir un ralentissement de la croissance démographique en raison de sa dépendance à l’égard d’une pluviométrie de plus en plus imprévisible. Les grandes villes que sont Dhaka au Bangladesh et Dar-es-Salaam en Tanzanie verront elles aussi ralentir l’accroissement de leur population du fait de l’élévation du niveau de la mer et des ondes de tempête. Dans les trois régions, les foyers d’immigration climatique comprendront les zones qui offrent de meilleures conditions climatiques pour l’agriculture ainsi que les villes capables de fournir de meilleurs moyens de subsistance. Ainsi, les hauts plateaux du sud de l’Inde entre Bangalore et Chennai, le plateau central qui entoure Mexico City et Guatemala City, et Nairobi au Kenya sont susceptibles de devenir des foyers d’immigration climatique. Ces deux types de foyer émergeront d’ici 2030 et, d’ici 2050 leur nombre et leur étendue spatiale se seront considérablement accrus. Loin d’être prédéterminés, ces points chauds pourraient être maîtrisés grâce à la planification et à des mesures anticipées. De nombreuses zones urbaines et péri-urbaines devront se préparer à faire face à un afflux de populations en améliorant notamment le logement et les infrastructures de transport, les services sociaux et les opportunités d’emploi. Les décideurs, pour leur part, peuvent développer des services de protection sociale plus flexibles et intégrer les migrants dans la planification et la prise de décisions. Une immigration climatique bien gérée peut créer une dynamique positive, notamment dans les zones urbaines qui peuvent tirer avantage de l’agglomération et des économies d’échelle. Même dans les cas où l’émigration climatique est prévisible, de nombreuses zones vulnérables au climat devront quand même soutenir un grand nombre de personnes. D’où la nécessité grandissante d’élaborer des stratégies de développement visant à aider les populations à s’adapter localement ou «  rester sur place  » dans les zones où cette démarche est raisonnable. Le succès des stratégies d’adaptation locale repose sur des éléments qui peuvent inclure  : investir dans l’infrastructure intelligente face au climat ; diversifier les activités génératrices de revenus ; instaurer des systèmes de protection financière plus sensibles aux besoins des groupes vulnérables ; et éduquer et autonomiser les femmes. Les programmes de réduction de la pauvreté et de protection sociale ciblant les zones rurales peuvent aider à renforcer la capacité d’adaptation des populations face au changement climatique, ce qui rendraient celles-ci moins susceptibles de se déplacer en situation de détresse. «  L’adaptation locale  » a cependant ses limites. En l’absence de modes crédibles et viables de subsistance à long terme, les populations pourraient être amenées à rester dans des zones où les conditions de vie se dégradent. Ainsi, près de 20 millions de personnes vivant dans les zones littorales du Bangladesh connaissent déjà des problèmes de santé à cause de la salinisation des ressources en eau potable du fait de l’élévation du niveau de la mer. Les envois de fonds par des parents partis travailler ailleurs peuvent inciter les populations locales à rester sur place, parfois à tort. Faute de politiques appropriées, ces incitations défavorables pourraient gravement compromettre la santé et le bien-être des communautés. Les migrants climatiques internes ne s’arrêtent pas nécessairement aux frontières. Certes, le présent rapport ne se focalise pas particulièrement sur la migration transfrontalière, mais la modélisation révèle de nombreuses zones de forte migration dans des localités proches des frontières nationales. Le changement climatique peut être un inhibiteur ou un catalyseur de migration transfrontalière, en fonction d’un ensemble de facteurs qui peuvent décider une personne à se déplacer. Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes 8 Figure 2 : Régions d’Afrique de l’Est dans lesquelles l’immigration et l’émigration climatiques internes devraient être importantes, 2030 et 2050 a. 2030 b. 2050 Addis Addis Ababa Ababa Mogadishu Mogadishu Kampala Kampala Nairobi Nairobi Dar es Salaam Dar es Salaam Lusaka Lusaka Harare Harare Maputo Maputo IBRD 43261 | FÉVRIER 2018 IMMIGRATION ÉMIGRATION Certitude élevée de niveaux importants d’immigration Certitude élevée de niveaux importants d’émigration climatique interne climatique interne Certitude moyenne de niveaux importants d’immigration Certitude moyenne de niveaux importants d’émigration climatique interne climatique interne Note : une certitude élevée signifie une entière concordance des trois scénarios modélisés, et une certitude moyenne indique une concordance de deux scénarios sur trois. Aperçu général 9 MESSAGE 3 : la migration peut être une stratégie d’adaptation au changement climatique si elle est gérée prudemment et accompagnée de bonnes politiques de développement et d’investissements ciblés. Une migration bien planifiée vers des zones plus viables peut être une stratégie envisageable, lorsque l’on entrevoit les limites de l’adaptation sur place. Un cadre propice à la migration doit être mis en place et s’appuyer sur des incitations directes, telles que des formations qualifiantes et des programmes de création d’emplois, permettant aux personnes de se déplacer vers des zones offrant moins de risques et plus d’opportunités. Les stratégies favorisant la migration interne doivent préserver non seulement la résilience des populations en mouvement, mais aussi celle des communautés d’origine et d’accueil. Entre 2030 et 2050, les foyers de migration climatique s’intensifieront et, peut-être, s’étendront. Les pays auront, par conséquent, besoin d’anticiper et planifier à long terme de manière à prendre en compte les migrants climatiques dans les stratégies de croissance et de développement. L’Éthiopie, dont la population pourrait s’accroître jusqu’à 85 % d’ici 2050 et qui pourrait enregistrer une baisse de productivité agricole du fait du changement climatique, devrait prévoir une plus grande diversification de son économie qui permettrait d’absorber la main-d’œuvre dans des secteurs non agricoles et moins sensibles au climat. Le Bangladesh, qui devrait abriter un tiers des migrants climatiques internes en Asie du Sud d’ici 2050 selon le scénario pessimiste, prépare un «  plan prospectif pour 2041  » qui intègre le changement climatique comme facteur de migration future. Le plan reconnaît la migration comme une stratégie potentielle d’adaptation pour les populations vivant dans les zones les plus vulnérables. Le Mexique, pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure dont l’économie est diversifiée, en expansion, et relativement moins sensible au climat, possède une certaine capacité pour s’adapter au changement climatique ; mais il doit prendre en compte les effets que ces changements pourraient avoir sur les zones de pauvreté. Crédit Photo : Banque mondiale Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes 10 MESSAGE 4 : la migration climatique interne est peut-être une réalité mais elle ne doit pas donner lieu à une situation de crise. Des actions menées dans trois domaines clés pourraient permettre de réduire le nombre de personnes contraintes de se déplacer en situation de détresse. Le rapport prévoit dans les trois régions des migrations climatiques internes qui concerneraient 31 millions de personnes dans le meilleur des cas et jusqu’à 143 millions d’autres dans le pire des scénarios. Une action concertée dans trois principaux domaines pourrait aider à réduire le nombre de ces migrants climatiques jusqu’à 80 % d’ici 2050. 1. Réduire sans tarder les émissions de gaz à effet de serre Il faut une action climatique forte au niveau mondial si l’on veut atteindre l’objectif de l’Accord de París2 de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2°C d’ici la fin du siècle. Même à ce niveau de réchauffement, les pays verront un certain niveau de migration climatique interne. Des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre encore plus élevés pourraient provoquer de graves perturbations des systèmes de subsistance et des écosystèmes, créant ainsi les conditions d’une intensification des migrations climatiques. Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas rapidement réduites au cours des vingt prochaines années, le scénario pessimiste présenté dans ce rapport pourrait devenir réalité. Dans le scénario plus favorable au climat (marqué par une réduction sensible des émissions de gaz à effet de serre), le nombre de personnes susceptibles de migrer est nettement moins important dans l’ensemble des trois régions. Il est encore temps de saisir l’occasion de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’inverser la tendance du réchauffement climatique. 2. Intégrer la migration climatique dans la planification du développement Les pays doivent intégrer d’urgence la migration climatique dans les plans nationaux de développement. La plupart des régions ont des lois, politiques et stratégies qui ne sont pas conçues pour traiter de personnes quittant des régions présentant un risque climatique grandissant pour des régions susceptibles d’être déjà fortement peuplées. Les organismes nationaux doivent intégrer la migration climatique dans toutes leurs politiques. Des mesures doivent être prises à chaque étape de la migration (avant, pendant et après le déplacement) pour assurer la résilience et les perspectives de développement de toutes les personnes touchées. Les pouvoirs publics auront besoin d’orientation, d’assistance technique et de renforcement des capacités pour élaborer des lois, politiques et stratégies nationales en cohérence avec les cadres internationaux traitant de la migration climatique. La participation des acteurs privés, de la société civile et des organisations internationales est cruciale si l’on veut renforcer les cadres politiques et les capacités. 3. Investir maintenant pour mieux comprendre la migration climatique interne Il faut investir davantage pour mieux contextualiser et comprendre la migration climatique, particulièrement de l’échelon régional à l’échelon local, où les effets du climat peuvent différer des tendances générales mises en évidence dans les analyses à l’échelon mondial. Dans de nombreux cas, un ensemble plus riche et plus détaillé d’indicateurs climatiques, biophysiques, socioéconomiques et politiques est disponible au niveau régional, national et local. On peut difficilement envisager avec certitude la manière dont les effets du climat se manifesteront à un endroit donné, ce qui aura une incidence sur l’ampleur et l’évolution des mouvements induits par le changement climatique. Les scénarios et les modèles devront être mis à jour à mesure que l’on disposera de données supplémentaires sur le changement climatique et ses effets probables sur la disponibilité de l’eau, la productivité agricole et l’élévation du niveau de la mer. L’une des nombreuses applications qui pourraient être faites de l’approche utilisée dans le présent rapport consisterait à affiner la résolution de la modélisation et améliorer les données entrées afin de produire des projections plus détaillées au plan spatial. Le renforcement de la capacité des pays à recueillir et suivre les données pertinentes peut enrichir la compréhension des interactions entre les 2 Les pays ont approuvé l’Accord de Paris à la conférence de l’ONU - COP21 - à Paris le 12 décembre 2015. L’Accord est entré en vigueur moins d’un an après. Dans cet accord, tous les pays ont convenu de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2°C et compte tenu des risques graves, de s’efforcer à ne pas la laisser dépasser1,5°C. Aperçu général 11 effets du climat, les écosystèmes, les modes de subsistance et la mobilité, et aider les pays à adapter les décisions concernant leurs politiques, leur planification et leurs investissements. Introduire des questions liées au climat et à la migration dans les opérations nationales de recensement et d’autres enquêtes est un moyen économique d’avancer cette compréhension. Des techniques de prise des décisions dans les cas de profonde incertitude doivent être davantage développées et appliquées lors de la formulation des politiques et la planification du développement. Il serait vital d’entreprendre une recherche basée sur des données probantes qui serait complétée par une modélisation au niveau du pays. Dans cette optique, de nouvelles sources de données - comme les images satellites et les téléphones mobiles - associées aux avancées en matière d’information climatique peuvent permettre d’améliorer la qualité de l’information sur la migration climatique. Au milieu de toutes ces initiatives, il convient de garantir la confidentialité des données personnelles. CONCLUSION Le rapport intitulé Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes aide à mettre un visage humain sur un problème de développement croissant qui oblige des populations à se déplacer en situation de détresse pour échapper aux effets à long terme du changement climatique. Ses conclusions doivent être prises au sérieux si le monde veut préserver les récentes avancées enregistrées en matière de développement et offrir à tous des modes de subsistance durables. Crédit Photo : Natalia Cieslik, Banque mondiale Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes 12 Photo de couverture : Studio Grafik Impression : GSDPM, Groupe de la Banque mondiale