RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE SUR LES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT Des politiques foncières Authorized pour promouvoir la croissance Disclosure et réduire la pauvreté 26384 Public Résumé analytique Authorized Disclosure Public Authorized Disclosure Public Authorized Disclosure Public RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE SUR LES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT Des POLITIQUES FONCIÈRES pour PROMOUVOIR la CROISSANCE et RÉDUIRE la PAUVRETÉ RÉSUMÉ ANALYTIQUE BANQUE MONDIALE WASHINGTON © 2003 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818H Street, N.W. Washington, D.C. 20433, États-Unis d'Amérique Téléphone : 202-473-1000 Site web : www.worldbank.org Courriel : feedback@worldbank.org Tous droits réservés 1 2 3 04 03 02 01 Les observations, interprétations et conclusions exprimées dans ce document n'engagent que son (ses) auteurs et ne sauraient être attribuées à la Banque mondiale, à ses institutions affiliées, à des membres du Conseil des Administrateurs ni aux pays qu'ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l'exactitude des données présentées dans cette publication. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent document n'impliquent de la part du Groupe de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d'un territoire quelconque et ne signifient nullement que le Groupe reconnaît ou accepte ces frontières. Droits et autorisations Le contenu de cette publication fait l'objet d'un dépôt légal. 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HD1131.L345 2003 333'.009172'4--dc21 2003050076 Crédits pour les photos Première de couverture : Banque mondiale Quatrième de couverture : FIDA/R. Grossman (photo du haut) ; FIDA/A. Hossain (deuxième photo en partant du haut) ; Klaus Deininger (troisième et quatrième photos en partant du haut) Résumé analytique L'importance des politiques foncières L A TERRE EST UN BIEN STRATÉGIQUE POUR LES PAUVRES, qu'ils soient citadins ou ruraux. C'est l'une des bases de l'activité économique et du fonctionnement des institutions commerciales (comme le crédit) et non marchandes (telles que les administrations locales et les réseaux sociaux) dans de nombreux pays en développement. Étant donné son importance, les institutions qui en ont la charge ont évolué au fil du temps, et les multiples imperfections du marché influe- ront inévitablement sur les politiques foncières. Les conseils des spécia- listes qui ne tiennent pas compte de la complexité de ces questions ou des conséquences historiques et politiques des interventions de l'État dans ce domaine peuvent avoir des effets négatifs imprévus. Les études ont depuis longtemps établi qu'en matière de politique foncière une approche méthodique et différenciée était indispensable pour pouvoir émettre des recommandations pratiques claires permettant d'améliorer l'efficacité et l'équité. Mais c'est apparemment un message qui, souvent, n'a pas été explicitement transmis aux analystes et aux gouvernants, et cela a eu des conséquences préjudiciables. Le présent rapport a pour objet de résumer les principaux enseignements des études et de l'expérience acquise, non seulement pour montrer l'importance de conseils prudents et nuancés dans le domaine de la politique foncière, mais aussi pour dégager un certain nombre de principes généraux à suivre pour la formulation de ces conseils dans des contextes nationaux particuliers. 1 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ Origines et évolution des droits de propriété Il est important de connaître l'origine et l'évolution des droits de pro- priété pour apprécier en quoi les droits fonciers influent sur le compor- tement des ménages et peuvent à leur tour être influencés par les politiques des pouvoirs publics. Depuis toujours, les droits de propriété ont évolué notamment en fonction de l'augmentation de la rentabilité des investissements liés à l'utilisation plus intensive des terres résultant de la croissance démographique ou des possibilités offertes par l'intégra- tion plus poussée de l'économie au marché et les progrès techniques. Dans le processus du développement, presque tous les pays devront, pour nourrir des populations qui ne cessent d'augmenter ou pour exploiter les créneaux économiques associés au commerce, effectuer des investissements dans les terres, investissements que les cultivateurs seront plus disposés à faire si leurs droits fonciers sont sécurisés. Des innova- tions institutionnelles permettant d'attribuer ces droits peuvent engen- drer un cycle vertueux de croissance démographique, d'investissements accrus dans les terres, de développement économique et d'amélioration du bien-être. À l'inverse, l'incapacité des institutions responsables de la gestion des droits fonciers à satisfaire ces demandes peut conduire à l'ac- caparement des terres, à des conflits et à la dissipation des ressources, ce qui, dans des circonstances extrêmes, risque d'hypothéquer le potentiel productif et économique des sociétés. Outre cette perspective évolutionniste, l'imposition de droits de pro- priété par des puissances extérieures ou des potentats locaux a influé sur la nature de ces droits dans de nombreux pays du monde en développe- ment. L'objet de cette intervention était de récupérer les excédents des petits paysans locaux ou de les contraindre à prendre un emploi salarié en les empêchant d'acquérir des droits fonciers individuels. Divers méca- nismes, souvent confortés par des distorsions dans d'autres marchés, ont été utilisés à cette fin. Très logiquement, ce système a souvent perturbé l'évolution des droits fonciers induite par la pression démographique ou, en cooptant les institutions locales ou en modifiant leur fonctionne- ment, il a entraîné d'importants changements dans l'allocation et la ges- tion des terres au niveau local. Comme l'évolution historique des droits de propriété n'obéit pas seulement à des forces purement économiques, les arrangements obser- vés dans beaucoup de pays ne constituent que rarement une solution optimale du point de vue économique ou social, ce qui n'est guère sur- prenant. En Afrique par exemple, l'exploitation de l'immense majorité 2 RÉSUMÉ ANALYTIQUE des terres est régie par le droit coutumier, lequel n'était même pas reconnu par l'État jusqu'à une période très récente et demeurait donc en dehors du cadre de la loi. En Europe de l'Est, les structures collectives de production n'ont pas permis d'assurer le développement rural. En Amérique latine et dans certaines régions d'Asie, les grandes inégalités qui caractérisent l'appropriation des terres et l'accès aux actifs rendent difficile la mise en place de modèles de croissance qui profitent au plus grand nombre. Dans beaucoup de ces pays, la croissance économique risque donc d'accentuer les inégalités et les tensions qui existent déjà au lieu de les atténuer. Malgré leurs imperfections, ces régimes fonciers sub-optimaux au plan social et inefficaces au plan économique sont souvent restés en place pendant de longues périodes. De fait, les relations foncières n'ont en général été profondément réformées que lors de grandes mutations historiques. L'importance des droits de propriété pour la croissance économique Les droits de propriété influent sur la croissance économique de diffé- rentes façons. Premièrement, s'ils sont garantis, ils inciteront davantage les ménages et les particuliers à investir et ils leur faciliteront aussi dans bien des cas l'obtention d'un crédit, ce qui leur permettra non seule- ment d'effectuer ces investissements, mais aussi de bénéficier d'une sorte d'assurance en cas de choc. Deuxièmement, il est notoire que, dans le cadre de l'agriculture non mécanisée, la répartition fonction- nelle des terres influe sur la production, ce qui signifie qu'une distribu- tion foncière très inégale diminuera la productivité. Même si l'exploitation productive des terres dépend de politiques autres que la politique foncière (auxquelles il conviendra éventuellement de s'intéres- ser par ailleurs), des droits fonciers reconnus et bien définis jouent un rôle déterminant dans l'accession des ménages à la propriété d'actifs, le développement productif et le fonctionnement du marché des facteurs. Lorsque les droits de propriété sont mal définis ou qu'il n'est pas pos- sible de les faire respecter à un coût modique, les particuliers et les en- trepreneurs seront obligés de consacrer des ressources précieuses à la défense de leurs terres au détriment d'autres opérations telles que les investissements. La sécurité des droits fonciers facilite en outre les trans- ferts à faible coût via la location ou la vente, ce qui améliore la réparti- tion des terres tout en favorisant le développement des marchés 3 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ financiers. Si leurs droits ne sont pas garantis, les propriétaires fonciers hésiteront à louer leurs terres, ce qui les empêchera peut-être de prendre un emploi non agricole ou de quitter la campagne pour la ville. Les interventions mal conçues sur les marchés fonciers et la régle- mentation de ces marchés par des administrations lourdes et souvent corrompues continuent d'entraver la création des petites entreprises et le développement d'activités économiques non agricoles dans de nom- breuses parties du monde. Ces interventions ne restreignent pas seule- ment l'accès à la terre des paysans sans terre et des pauvres dans les zones rurales et urbaines du monde en développement, mais elles pèsent aussi sur la productivité et les investissements en décourageant les propriétaires de louer leurs parcelles, les empêchant ainsi d'exploiter ces terres de la façon la plus productive. Les coûts de transaction élevés sur les marchés fonciers rendent aussi la fourniture de crédit plus diffi- cile ou obligent à élaborer d'autres formes de garanties coûteuses, ce qui dans les deux cas bride le développement du secteur privé. Selon une étude récente concernant l'Inde, ce type de distorsions sur les marchés fonciers de ce pays amputent le taux de croissance annuel du produit intérieur brut de 1,3 % environ. L'impact de la sécurité des droits fonciers sur la pauvreté La terre représente la principale source de subsistance pour la plupart des pauvres des pays en développement, et c'est un instrument essentiel pour investir, accumuler de la richesse et transférer des biens de généra- tion en génération. Elle occupe aussi une place essentielle dans le patri- moine familial. En Ouganda par exemple, elle représente entre 50 et 60 % des actifs des ménages les plus démunis. Compte tenu de la place importante de ce bien dans le portefeuille d'actifs des pauvres de nom- breux pays en développement, le fait de garantir leurs droits de propriété sur les parcelles qu'ils détiennent déjà permet d'accroître notablement leurs actifs nets. En leur permettant de faire une utilisation productive de leur travail, la propriété des terres les rend moins tributaires d'un em- ploi salarié, ce qui les met davantage à l'abri des chocs. Compte tenu du rôle fondamental de la terre en tant que détermi- nant de l'accès aux opportunités économiques, la manière dont les droits fonciers sont définis, dont les ménages et les entrepreneurs peuvent devenir propriétaires ou prendre possession de la terre, et dont les différends fonciers sont résolus par des voies formelles ou informelles 4 RÉSUMÉ ANALYTIQUE aura des répercussions sociales et économiques profondes. Ces réper- cussions n'influent pas seulement sur la structure de la gouvernance à l'échelon local, mais aussi sur a) l'aptitude des ménages à assurer leur subsistance et à produire un excédent commercialisable ; b) leur condi- tion sociale et économique et souvent leur identité collective ; c) leur motivation à investir et à exploiter la terre sans hypothéquer l'avenir ; et d) leur aptitude à s'auto-assurer et/ou à accéder aux marchés financiers. C'est pourquoi les chercheurs et les spécialistes du développement savent depuis longtemps qu'il est fondamental de permettre aux pauvres d'accéder à la terre et de les aider à utiliser de manière efficace les parcelles qu'ils occupent si l'on veut faire reculer la pauvreté et donner aux pauvres, à titre individuel ou collectif, les moyens de s'assumer. Le droit sur la terre est particulièrement important pour les femmes, dont il a été démontré qu'elles exercent une influence sur les dépenses (celles consacrées à l'instruction des filles par exemple) quand elles possè- dent des biens. Or, les femmes ont de tout temps été désavantagées pour ce qui est de l'accès à la terre. Il sera très important à plusieurs égards de veiller à ce qu'elles puissent avoir des droits de propriété garantis sur l'un des actifs principaux du ménage. Il faudra notamment résoudre les pro- blèmes qui se posent dans le contexte de l'épidémie du VIH/SIDA, où l'absence de droits fonciers bien définis risque de priver les veuves de leurs terres et de créer ainsi des conflits et des situations difficiles. L'impact de la sécurité des droits de propriété sur la gouvernance et le développement durable L'aptitude des autorités et des dirigeants locaux à s'assurer la maîtrise des terres a toujours été une source fondamentale de pouvoir politique et économique. Outre les avantages économiques que la sécurisation des droits fonciers des ménages peut apporter, les mesures destinées à aider les ménages et les individus à avoir un droit de contrôle sur la terre seront donc déterminantes pour leur donner les moyens de s'assumer, leur permettre de mieux se faire entendre et jeter les fondements d'un développement local plus démocratique et participatif. Par exemple, le fait que les administrations locales ne disposent pas de recettes propres et qu'elles n'assument pas de responsabilités est souvent un obstacle à la décentralisation budgétaire. L'impôt foncier permettrait de remédier à ces deux problèmes. Dans les pays où la terre demeure un actif produc- tif essentiel, les pouvoirs publics pourraient utiliser l'impôt foncier de 5 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ manière plus efficace pour promouvoir la discipline budgétaire et per- mettre aux populations locales de mieux se faire entendre en donnant plus de responsabilités aux autorités locales. Les interventions contradictoires de spécialistes extérieurs dans les régimes fonciers au fil du temps ou l'incapacité des gouvernants à mettre en place des institutions valables face à la pression démographique croissante et à l'appréciation de la valeur des terres ont généralement eu pour effet d'empêcher les pauvres d'accéder à la terre et à la propriété, et entraîné la création d'institutions parallèles ou dont les attributions font double emploi. Dans ces conditions, il est difficile d'instaurer des normes minimales permettant de régler rapidement les différents dans le respect du droit, de responsabiliser les autorités locales et d'assurer la transparence dans la gestion de la terre et l'accès à la terre. Lorsque des distorsions anciennes et systématiques dans ces domaines viennent s'ajouter à des problèmes raciaux et ethniques, l'intensification des conflits et de la violence pour l'appropriation des terres peut même entraîner l'effondrement de l'État, avec les conséquences dévastatrices qui en résultent. En Afrique par exemple, le régime foncier formel ne couvre que 2 à 10 % des terres. Pour éviter que les occupants des terres restantes échappent de fait à la règle de droit, de nombreux pays afri- cains ont récemment reconnu juridiquement les droits fonciers coutu- miers et les institutions qui l'administrent. Mais l'application de ce droit coutumier n'en demeure pas moins une gageure. Dans beaucoup de pays, l'État reste propriétaire d'une partie impor- tante des terres productives en dépit de la mauvaise gestion, de la sous- utilisation des ressources et de la corruption que favorise a priori ce système. La répartition plus large et plus égalitaire des actifs permet aux pauvres d'avoir davantage voix au chapitre, alors qu'ils sont souvent tenus à l'écart des processus politiques, et de participer davantage, ce qui peut non seulement favoriser la transparence institutionnelle, mais aussi rééquilibrer la fourniture de biens publics, surtout au niveau local. Étant donné que l'appropriation des rentes liées à l'appréciation des terres par le biais d'interventions et de contrôles administratifs discrétionnaires demeure une source importante de corruption et un obstacle à la création des petites entreprises dans de nombreux pays en développement, des mesures en ce sens permettraient d'améliorer substantiellement la qualité de la gouvernance. 6 RÉSUMÉ ANALYTIQUE Droits fonciers L ES DROITS FONCIERS SONT DES CONVENTIONS SOCIALES QUI réglementent la répartition des avantages découlant d'utilisations particulières d'un terrain donné. Divers arguments militent en faveur de l'attribution de ces droits par l'État. Premièrement, le niveau élevé des coûts fixes de l'infrastructure institutionnelle nécessaire à l'en- registrement et à la gestion des droits fonciers plaide en faveur de cette option, ou tout au moins de la réglementation de ces droits. Deuxième- ment, les avantages liés à la possibilité d'échanger les droits fonciers ne pourront se concrétiser que si ces droits sont normalisés et peuvent faci- lement être vérifiés d'une façon indépendante. Enfin, si l'attribution de ces droits ne relève pas de l'administration centrale, les ménages et les entrepreneurs seront obligés de consacrer des ressources à la défense de leur propriété (gardiennage, clôtures, etc.), ce qui non seulement cons- titue un gaspillage sur le plan social, mais qui pénalise aussi de façon disproportionnée les pauvres, qui seront les moins à même de financer ce genre de dépenses. Caractéristiques souhaitables des droits fonciers Il faut que les droits fonciers aient une durée suffisante pour encourager les investissements, et qu'ils soient définis de manière à être facilement respectés, appliqués et échangés. Il faut qu'ils soient administrés et appliqués par des institutions qui bénéficient à la fois d'une caution juridique et d'une légitimité sociale, et qui soient accessibles aux détenteurs des droits de propriété et comptables envers eux. Même si les droits fonciers sont attribués à un groupe, les droits et devoirs des individus qui composent ce groupe, et la façon dont ils peuvent être modifiés et seront appliqués doivent être clairement définis. Enfin, étant donné que la définition des droits de propriété se fera générale- ment plus précise à mesure que la valeur des ressources augmentera, les institutions qui les administrent devront être assez souples pour évoluer au fil du temps en fonction des nouvelles dispositions. Durée L'une des finalités essentielles des droits de propriété étant de favoriser l'investissement, il convient de les assortir d'une durée correspondant au 7 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ moins à la période de rendement des investissements potentiels. Cela dépend bien entendu des possibilités d'investissement, qui sont plus éle- vées en zone urbaine qu'en milieu rural. La meilleure solution consiste certes à attribuer des droits de durée illimitée, mais on peut aussi envisa- ger des droits de longue durée automatiquement renouvelables. Étant donné la longueur des périodes de temps en cause, il est particulière- ment important de définir le mode de transmission de ces droits par héritage, ce qui s'est souvent révélé d'une importance cruciale pour don- ner aux femmes un droit de contrôle propre sur la terre. Modalités de délimitation et de cession Les droits fonciers doivent être définis de manière à ce qu'ils puissent être facilement identifiés et échangés à un faible coût, mais proportion- nel à la valeur de la terre à laquelle ils correspondent. S'il s'agit de ter- rains de valeur limitée, des systèmes de délimitation peu coûteux, comme des repères physiques (haies, rivières et arbres) reconnus par la communauté suffiront généralement ; pour des terres de plus grande valeur, il faudra des méthodes de délimitation plus précises et plus coûteuses. De même, lorsque les terres sont relativement abondantes et les transactions rares, des modalités d'enregistrement des transactions bon marché, telles que le témoignage des anciens de la communauté, conviendront. Des dispositifs plus formels seront généralement adoptés lorsque les transactions deviendront plus fréquentes et dépasseront les cercles traditionnels de la communauté et de la parenté. Institutions chargées de l'application des droits Contrairement aux droits de propriété informels, les droits officiels pré- sentent l'avantage déterminant de permettre à leurs détenteurs de faire appel à la puissance publique pour les faire respecter. Pour que cela soit possible, les institutions responsables doivent bénéficier d'une caution juridique et d'une légitimité sociale, et notamment être accessibles à la population locale et responsables envers elle. Or, dans un grand nombre de pays, et en Afrique surtout, le fossé entre légalité et légitimité est une source importante de frictions, comme le montre le fait que plus de 90 % des terres de ce continent ne sont pas assujetties au régime juri- dique en vigueur. Si elles ne disposent pas d'un soutien juridique, les institutions foncières qui ont une légitimité sociale ne pourront sans doute pas mobiliser des mécanismes d'exécution autres qu'informels. À 8 RÉSUMÉ ANALYTIQUE l'inverse, les institutions qui jouissent d'un statut juridique mais pas d'une reconnaissance sociale peuvent difficilement influencer le cours des choses pour les citoyens ordinaires, et se sont donc souvent révélées extrêmement inefficaces. Associer la légalité à la légitimité est un pro- blème majeur qui ne peut être résolu dans l'abstrait. L'objet des droits La question de savoir s'il vaut mieux attribuer des droits de propriété à des particuliers ou à un groupe sera largement fonction de la nature de la ressource et de l'organisation sociale existante. Il sera plus approprié de les octroyer au groupe lorsque la gestion des ressources produit des économies d'échelle, ou s'il existe des externalités qui peuvent être gérées au niveau collectif, mais pas au niveau individuel. L'appropria- tion collective est souvent retenue lorsque les risques sont élevés et les marchés de l'assurance imparfaits, ou lorsque les ressources en question sont abondantes et que le rendement de tout investissement foncier qu'un individu pourrait effectuer serait faible. Même dans ces cas, les droits collectifs ne représenteront la meilleure solution que si le groupe auquel les droits sont attribués définit clairement sa composition, si les responsabilités des individus qui le composent sont bien identifiées, s'il existe des mécanismes de gestion et d'exécution internes tels que l'im- position de sanctions, et si les décisions prises pour modifier les règles s'appuient sur des modalités clairement établies. Évolution dans le temps À moins qu'il n'existe des externalités claires qui seront plus efficace- ment gérées par le groupe, l'avantage relatif des droits de propriété col- lectifs par rapport aux droits individuels diminuera en général à mesure que l'économie se développera, et ce pour plusieurs raisons. Les progrès techniques atténuent le risque de mauvaise récolte tout en augmentant le rendement potentiel des investissements ; le développement d'une économie non agricole induit des flux de revenus plus prévisibles ; et un meilleur accès à l'infrastructure physique réduit non seulement le risque, mais aussi le coût de l'attribution des droits de propriété par l'État. On s'attendrait donc à voir les droits de propriété évoluer vers des formes plus individualisées avec le développement économique. Or, il ressort des expériences passées que cette transformation n'est pas automatique. Elle est au contraire influencée par des facteurs politiques 9 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ et économiques, et coïncide donc souvent avec des conflits, des troubles ou des luttes pour le pouvoir. Les changements démographiques exogènes, surtout en l'absence de développement économique, vont accentuer la pénurie de terres et accroître leur valeur. Cela peut remettre en question les autorités et insti- tutions traditionnelles qui avaient auparavant un pouvoir incontesté sur l'attribution des terres et la résolution des différends. Si elles coïncident avec des revendications foncières extérieures et que des problèmes raciaux et ethniques s'y ajoutent, de telles situations risquent de provoquer de graves crises de gouvernance, allant parfois jusqu'à la guerre civile. Même si l'on fait abstraction des retombées non économiques plus générales et des effets indirects potentiels, les coûts directs des conflits fonciers suscep- tibles de naître dans ce contexte sont élevés et ils sont supportés pour l'es- sentiel par les pauvres, qui sont en général les moins à même de les assumer. Ces conflits ont souvent des effets externes négatifs importants et peuvent par exemple mettre à mal l'autorité et l'efficacité de l'État en entraînant la création d'une multitude d'institutions parallèles ; ainsi, les conflits non résolus se sont parfois aggravés au point de contribuer substantiellement à la défaillance de l'État. Pour parer à de telles conséquences, les institutions chargées de la ges- tion des droits fonciers devront être en mesure de réinterpréter les tradi- tions et les normes sociales sous une forme qui fera autorité et d'une manière qui permettra de protéger les groupes pauvres et vulnérables de la population contre toute violation de leurs droits par les détenteurs du pou- voir politique et des ressources économiques. Les dispositions juridiques susceptibles de supprimer sur-le-champ les droits traditionnels ou ceux de groupes particuliers, comme les femmes et les éleveurs, appellent donc une attention particulière. Même s'il existe une base juridique et réglementaire bien conçue, il sera important de mettre en place des mécanismes opéra- tionnels permettant d'appliquer la loi de manière à protéger les membres vulnérables de la société et à empêcher l'élimination des droits secondaires. Même les modifications apparemment simples du régime des droits de propriété seront influencées non seulement par des facteurs économiques, mais aussi politiques, tant à l'échelon national que local. L'impact de la sécurité des droits fonciers : données empiriques Dans de nombreux pays du monde en développement, la précarité des droits fonciers empêche d'importants segments de la population de tirer 10 RÉSUMÉ ANALYTIQUE parti des avantages économiques et non économiques normalement associés à la sécurité des droits fonciers, tels que l'incitation accrue aux investissements, la cessibilité des terres, la plus grande facilité d'accès au marché du crédit, une gestion plus durable des ressources, l'affranchisse- ment des interventions discrétionnaires des fonctionnaires. Par exemple, plus de 50 % de la population périurbaine en Afrique, et plus de 40 % en Asie occupent les terres de manière informelle, et leurs droits fonciers sont donc très flous. On ne dispose pas des chiffres correspondants pour les zones rurales, mais apparemment de nombreux exploitants ruraux investissent des sommes très importantes dans les terres dans l'idée d'éta- blir leurs droits de propriété et de sécuriser leur droit d'occupation du sol. Cette démarche témoigne non seulement de l'importance accordée à ces droits, mais elle montre aussi que dans bien des cas les systèmes de gestion foncière existants n'arrivent pas à les protéger. Nous analyserons d'abord les avantages économiques associés à un régime foncier plus sûr avant d'en étudier les avantages non économiques. Le premier avantage facilement mesurable de la sécurité des droits fonciers est qu'elle incite les exploitants à investir davantage. Certaines études font état d'un doublement de l'investissement, et la valeur des terres pour lesquelles les droits sont garantis est de 30 à 80 % supérieure à celle des terres que leurs exploitants risquent davantage de ne pas conserver. La cessibilité des terres accroîtra grandement cet effet, ce qui sera particulièrement important dans les cas où les possibilités de trans- action entre les exploitants les moins productifs et les plus productifs augmentent, par exemple en raison du développement de l'économie non agricole et de l'exode rural. La sécurisation des droits fonciers, pas nécessairement sous forme de titre de propriété officiel, aura aussi pour effet de réduire le temps et les moyens que les particuliers doivent consacrer pour tenter de garantir leurs droits de propriété, ressources qu'ils pourront ainsi investir ailleurs. Au Pérou, l'officialisation des droits fonciers a ainsi augmenté de plus de 50 % l'offre de main- d'oeuvre sur le marché. Lorsqu'il existe véritablement une demande solvable de crédit, l'attribution d'un titre de propriété officiel peut aider les producteurs à obtenir un prêt et améliorer le fonctionnement des marchés financiers. On a constaté depuis longtemps que l'impact de cet accès au crédit peut varier en fonction de la superficie des exploitations, et il faudra donc prêter attention aux effets escomptés en termes d'équité. Dans les cas où la détention d'un titre de propriété a peu de chances d'influer sur l'obtention d'un crédit à bref délai, une méthode d'approche plus 11 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ progressive et moins coûteuse en matière de sécurisation des droits de propriété et du régime foncier, qu'il sera possible d'améliorer lorsque le besoin s'en fera sentir, permettra d'offrir à moindre coût la plupart des avantages associés à un tel régime, sinon tous. Les mesures visant à renforcer la sécurité du régime foncier pour les pauvres auront donc pour effet d'améliorer automatiquement l'équité ; cela dit, deux questions d'ordre non économique revêtent un intérêt particulier. Premièrement, le pouvoir de décision pour l'attribution des terres est un élément essentiel du pouvoir politique que détiennent les autorités traditionnelles ou les fonctionnaires des administrations modernes. La dévolution d'une part de cette autorité à un groupe ou à des individus dans le cadre d'un processus décisionnaire démocratique peut substantiellement améliorer la gestion des affaires publiques, comme le montre l'exemple du Mexique, où les bénéficiaires ont estimé que l'amélioration de la gouvernance était l'un des principaux avantages des réformes du droit de propriété introduites après 1992. Deuxièmement, la garantie des droits fonciers sera particulièrement utile pour les groupes qui ont toujours fait l'objet d'une discrimination. Outre qu'ils sont octroyés selon des critères fondamentaux d'équité, les droits fonciers accordés aux femmes auront des conséquences écono- miques profondes dans les cas où ce sont essentiellement les femmes qui cultivent les terres, où l'émigration interne est importante, où le contrôle des activités productives est fondé sur une discrimination sexuelle, ou encore dans les cas où la mortalité des adultes, en l'absence de règles d'héritage bien définies, compromet les moyens de subsistance des femmes si le mari décède. De nombreuses données montrant que la répartition des actifs au sein des ménages influe sur la structure des dépenses viennent corroborer l'importance de ce type de mesures. Quand les femmes contrôlent une plus grande partie du patrimoine familial, on constate que les dépenses consacrées à l'éducation, la santé et l'alimenta- tion des enfants sont souvent plus élevées. De la même façon, bien que l'importance de la terre pour les populations autochtones et les éleveurs ne se réduise pas à des considérations économiques, même l'impact économique de ce bien est souvent sous-estimé. La cession des droits de propriété aux communautés autochtones, surtout si elle s'accompagne d'une assistance technique, leur permettrait de mieux gérer leurs terres ou de tirer meilleur parti des ressources qu'elles procurent. En ce qui concerne les éleveurs, plusieurs pays ont élaboré des approches prometteuses pour ce qui est de la jouissance et de la gestion des ressources, approches qui 12 RÉSUMÉ ANALYTIQUE reconnaissent le rôle central de la mobilité et de la gestion des risques sur une échelle écologique qui transcende parfois les frontières traditionnelles. Comment sécuriser les droits fonciers Les conclusions présentées dans la section précédente laissent entendre que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans la régularisation des droits des propriétaires et des exploitants fonciers. S'il est vrai que l'éta- blissement de titres de propriété en bonne et due forme sécurise en général les droits fonciers, l'expérience montre que ce n'est pas toujours une condition nécessaire, ni même suffisante dans bien des cas pour assurer l'utilisation optimale des ressources foncières. L'objectif consis- tant à sécuriser ces droits à long terme et à les administrer dans de bonnes conditions d'efficacité par rapport aux coûts par l'intermédiaire d'institutions disposant à la fois d'une légalité et d'une légitimité sociale peut être atteint par différents moyens, selon les circonstances. Terres coutumières Dans les systèmes coutumiers, il est généralement plus efficace de re- connaître juridiquement les droits et institutions en place, en imposant des conditions minimales, que de tenter prématurément d'établir des structures officielles. La reconnaissance juridique des droits fonciers coutumiers, sous réserve d'une définition de l'appartenance au groupe et de la codification ou de l'établissement de règles internes et de méca- nismes de résolution des différends, peut substantiellement sécuriser les droits des occupants. La délimitation des terres communautaires per- met de parer à tout empiètement de la part de personnes extérieures, tout en prenant appui sur des procédures bien définies au sein de la communauté pour attribuer et gérer les droits au sein du groupe. Dans le passé, les conflits sont souvent nés à l'occasion de la cession de ter- rains, surtout en faveur de tiers. Lorsque ces transferts sont opérés et qu'ils sont acceptés par la communauté, les conditions devraient en être consignées par écrit afin d'éviter toute ambiguïté susceptible de provo- quer ultérieurement des différends. 13 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ Terres domaniales Les occupants de terres domaniales déploient souvent beaucoup d'ef- forts pour accroître la sécurité de leurs droits, parfois en effectuant des investissements substantiels, mais ils restent souvent à la merci de risques d'éviction. Comme leurs droits fonciers sont restreints, ils ne peuvent généralement pas exploiter pleinement les terres qu'ils occupent. Il importe donc de leur donner des droits reconnus par la loi et de régula- riser leur possession tout en veillant à ce que les moyens appropriés soient en place pour résoudre tout différend susceptible d'intervenir durant cette opération. Souvent, des considérations d'ordre politique ou autres peuvent empêcher d'attribuer des droits de propriété privée au plein sens du terme. Si les institutions en place peuvent consentir des baux crédibles, elles permettront aux usagers, en leur garantissant des droits de location cessibles de longue durée, de tirer de leurs investisse- ments la plupart des avantages liés à des droits fonciers plus sûrs, sinon tous. Dans ces cas, la reconnaissance d'une occupation paisible et conti- nue de bonne foi (possession de fait ou usucapion) et l'octroi de baux de longue durée assortis de clauses de reconduction automatique offriront la meilleure solution. Si les baux consentis par les institutions publiques ne sont pas crédibles, il faudra prendre des mesures pour sécuriser les droits fonciers, ou éventuellement procéder à une privatisation intégrale pour procurer aux occupants des droits suffisamment solides et les avan- tages qui leur sont associés. On sait que la crédibilité des baux laisse à désirer lorsque les institutions de crédit n'acceptent pas les baux de longue durée en garantie, même lorsque la demande effective de crédit est forte. Titres de propriété individuels Dans les cas où, après examen des arguments présentés plus haut, l'attri- bution de titres de propriété formels et individuels est l'option retenue, les inefficacités des institutions chargées du cadastre, de l'enregistrement des biens fonciers et de la tenue des registres, de l'attribution des droits et de la résolution des différends peuvent encore empêcher la réalisation d'une part substantielle des avantages liés à la sécurisation des droits fon- ciers. Si ces institutions fonctionnent mal, ou si elles sont mal coordon- nées, inefficaces ou corrompues, les coûts de transaction seront élevés, ce qui aura pour effet de ramener le nombre des opérations au-dessous du seuil optimal pour la société et d'en exclure totalement les pauvres dans 14 RÉSUMÉ ANALYTIQUE bien des cas. Dans les cas extrêmes, l'opacité des responsabilités ou les luttes entre institutions sont devenues une source majeure d'insécurité, qui a fragilisé la valeur et la portée juridique des titres et des certificats de propriété attribués dans le cadre d'interventions systématiques. Dans de telles situations, il sera indispensable de procéder au préalable à une réforme institutionnelle, et d'améliorer notamment la coordination au sein de l'administration publique et avec le secteur privé pour permettre à l'État de délivrer valablement des droits de propriété. Lorsqu'il n'existe pas de registre, ou lorsque les registres sont périmés, il est très utile de procéder à un enregistrement initial systéma- tique des droits car une approche méthodique, conjuguée à une large publicité et à une assistance juridique visant à informer chacun consti- tue le meilleur moyen d'exercer un contrôle social et d'empêcher que des particuliers influents n'accaparent les terres, ce qui ne serait pas seulement inéquitable, mais inefficace. Par ailleurs, les interventions doivent être conçues de manière à ce qu'elles soient supportables pour le budget public et à ce que les coûts connexes n'empêchent pas les particuliers d'enregistrer ultérieurement les transactions foncières. Même s'il est souvent inutile d'appliquer des normes uniformes de gestion foncière pour l'ensemble du pays, il convient de leur donner la plus vaste couverture possible. Bien que la plupart des pays prescrivent en principe l'égalité des hommes et des femmes devant la loi, les procédures utilisées par les institutions foncières favorisent souvent de façon explicite ou implicite les hommes aux dépens des femmes. Pour corriger cette tendance, il faudrait que les pouvoirs publics adoptent une politique plus volonta- riste en matière d'attribution des droits fonciers aux femmes, et il fau- drait effectuer une évaluation plus rigoureuse des approches innovantes visant à promouvoir l'égalité des sexes pour donner aux époux les mêmes droits sur les terres qui appartiennent au foyer. Transactions foncières L ES TRANSACTIONS FONCIÈRES PEUVENT JOUER UN RÔLE déterminant en permettant à ceux qui sont productifs, mais qui ne possèdent pas ou peu de terres, d'accéder à la terre. Les mar- chés fonciers facilitent aussi les échanges de terres à mesure que l'écono- mie non agricole se développe et, lorsque les conditions le permettent, offrent le moyen d'utiliser la terre comme garantie sur le marché du 15 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ crédit. Toutefois, les imperfections des marchés financiers et les distor- sions induites par l'action gouvernementale empêchent souvent les marchés fonciers de contribuer à l'augmentation de la productivité ou au recul de la pauvreté. Cela a conduit certains observateurs à s'opposer à toute forme d'opérations foncières et à soutenir l'intervention de l'État, malgré le potentiel important des marchés locatifs et les preuves de l'efficacité limitée des interventions de l'État sur ces marchés. Fondements conceptuels Pour comprendre pourquoi les transactions foncières ne se traduisent pas toujours par des gains de productivité et une équité plus grande, il faut examiner les théories qui sous-tendent le fonctionnement des mar- chés fonciers et la façon dont certaines de leurs imperfections, souvent rencontrées dans les régions rurales du monde en développement, ont un impact différent selon que l'on considère le marché de la location ou le marché de la vente des terres. Éléments fondamentaux De nombreuses études montrent que l'agriculture non mécanisée ne génère en général pas d'économies d'échelle dans la production, même si celles qui dérivent de la commercialisation peuvent parfois être attri- buées a posteriori à la phase de production. Par ailleurs, comme la main- d'oeuvre agricole doit être étroitement supervisée, les exploitations mises en valeur par le propriétaire sont plus efficientes que celles qui emploient de nombreux ouvriers salariés. Toutefois, le rationnement du crédit et la possibilité d'utiliser des garanties pour remédier aux imperfections inhé- rentes aux marchés du crédit favoriseront les paysans qui possèdent de grandes exploitations. Là où les possibilités d'accès au crédit sont impor- tantes, il peut y avoir une relation positive entre la taille des exploitations et la productivité, qui permettra éventuellement de compenser l'avan- tage que présentent les petites exploitations gérées en propre en termes de coûts de supervision. Ces éléments auront une incidence différente selon qu'il s'agit d'un marché locatif ou d'un marché foncier. 16 RÉSUMÉ ANALYTIQUE Marchés locatifs Les marchés locatifs se caractérisent par de faibles coûts de transaction et, dans les cas les plus répandus où le loyer est payé sur une base annuelle, ils n'appellent qu'une mise de fonds initiale modérée. Ce fait, conjugué à la possibilité pour les participants d'ajuster les conditions contractuelles de manière à pallier les défaillances du marché (notam- ment du marché des capitaux), montre que la location est un moyen plus souple que la vente pour transférer les terres des producteurs les moins productifs aux producteurs les plus productifs. Elle a donc de plus grandes chances d'accroître la productivité globale et elle peut en outre offrir aux locataires le moyen d'acquérir de l'expérience avant d'accéder éventuellement à la propriété. La sécurité des droits fonciers est importante pour les marchés loca- tifs étant donné que, si ces droits sont considérés comme précaires, il y a peu de chance que des baux de longue durée puissent être conclus. De fait, la relative précarité des droits fonciers serait l'une des principales raisons qui expliquent l'absence quasi-totale de baux de longue durée dans la plupart des pays d'Amérique latine. Les études soulignent depuis longtemps que les contrats de fermage permettent en général de maximiser davantage la productivité que les contrats de métayage. Il arrive toutefois que les paysans pauvres ne puissent obtenir de contrats de fermage à cause du risque de défaut de paiement. Faute de mieux, ils optent donc pour le métayage. En théorie, les contrats de métayage peuvent s'accompagner d'inefficacités impor- tantes, ce qui implique qu'une intervention de l'État permettrait d'amé- liorer l'efficacité. Mais en fait, on a constaté que les pertes d'efficacité associées à ces contrats sont relativement peu importantes, et il s'est révélé difficile, voire impossible d'y remédier par des interventions gou- vernementales. Étant donné que les parties contractantes peuvent fort bien ajuster les conditions contractuelles de manière à éviter les ineffi- ciences (en prévoyant des baux de longue durée ou une supervision étroite par exemple), les analystes estiment en général qu'une interdic- tion du métayage ou d'autres types de contrats locatifs ne permettrait guère d'améliorer la productivité. L'incidence des contrats locatifs sur le bien-être dépend des conditions contractuelles, qui dépendent elles- mêmes des autres solutions qui s'offrent, à la partie la plus faible notam- ment. Les mesures visant à élargir l'éventail des options offertes aux métayers, par exemple via l'accès à l'infrastructure et aux marchés du travail non agricole, devraient avoir un effet plus favorable sur les 17 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ résultats du marché locatif foncier et la productivité rurale que l'inter- diction de certaines options. Marchés de la vente La cession des droits d'utilisation de la terre par l'intermédiaire des marchés locatifs peut avoir un effet extrêmement positif sur la produc- tivité et le bien-être dans les économies rurales. Il faut en outre pouvoir transférer le titre de propriété foncière pour utiliser la terre comme garantie sur les marchés du crédit, et permettre ainsi le fonctionnement peu coûteux des marchés financiers. Cet avantage a un prix, à savoir que les imperfections des marchés du crédit et d'autres distorsions, telles les subventions agricoles, affecteront davantage le marché de la vente que celui de la location. L'activité du marché de la vente dépendra des anticipations des inter- venants quant à l'évolution future des prix, ce qui risque de créer des bulles foncières que la valeur productive sous-jacente ne justifie pas, ainsi qu'un mouvement spéculatif qui conduit les plus nantis à acheter des biens fonciers en espérant profiter de plus-values importantes. Les don- nées empiriques passées montrent aussi de façon probante que, dans les contextes incertains où les petits propriétaires n'ont pas accès aux mar- chés du crédit, les pauvres vendent parfois leur terre en catastrophe, avec les effets négatifs sur l'équité et l'efficacité économique que cela entraîne. L'impact de ces ventes est accentué par le fait que, dans les régions où les marchés fonciers sont étroits, comme c'est le cas dans la plupart des zones rurales, le prix des terrains fluctue parfois de façon très importante dans le temps. Les coûts de transaction élevés de la vente des terres, qui sont souvent alourdis par les interventions de l'État, peuvent conduire à la segmentation de ces marchés, les opérations ne se déroulant qu'entre certaines couches de la population, ou s'effectuant entièrement de gré à gré. Tout cela tend à indiquer que les pauvres auront du mal à acheter des terres sur le marché foncier et que, dans ces conditions, les possibi- lités d'une redistribution des terres porteuse de gains de productivité via ces marchés seront sans doute très limitées. Données empiriques Les données empiriques de différentes parties du monde corroborent les conclusions générales qui se dégagent de la section qui précède ainsi 18 RÉSUMÉ ANALYTIQUE que l'influence importante des politiques gouvernementales sur les résultats que produisent les marchés fonciers. Pays industriels et Europe de l'Est Dans beaucoup de pays industriels, l'activité soutenue des marchés loca- tifs, qui couvrent dans certains pays plus de 70 % des terres cultivées, montre que la location des terres est loin d'être un phénomène archaïque. De fait, compte tenu des moindres besoins en capitaux qu'implique la location, beaucoup de producteurs préfèrent louer qu'acheter. Le fait que les marchés locatifs performants, même s'ils sont souvent très réglementés, de la plupart des pays industrialisés permettent aux ménages de conclure des baux de longue durée qui ne semblent pas décourager l'investissement montre la souplesse et les avantages potentiels de la location foncière. Cela montre également que la sûreté de jouissance à long terme est essentielle pour obtenir ces résultats. Dans les pays d'Europe de l'Est et de la Communauté des États indé- pendants (CEI), la location foncière a été particulièrement importante dans les phases initiales de la transition à une économie de marché, et elle reste utile pour favoriser l'accès à la terre des jeunes producteurs et regrouper les exploitations actives lorsque la propriété des terres est très morcelée. Le potentiel des marchés fonciers est particulièrement élevé dans les pays où les parcelles ont été restituées aux propriétaires d'ori- gine, qui n'avaient guère l'intention de les exploiter, mais où l'incerti- tude macroéconomique et l'étroitesse des marchés des capitaux ont freiné le développement du marché de la vente. La location des terres est importante aussi pour remembrer les terres sur la base des lois du marché dans les pays qui ont distribué des parcelles de très petite superficie. Les baux de longue durée sont peu répandus en Europe de l'Est et dans la CEI à cause de la précarité des droits fonciers. En Europe de l'Est, des baux de courte durée sont souvent offerts pour des terres domaniales dans le but de privatiser les terres exploitées par des produc- teurs privés et qui appartiennent aux administrations locales, mais cette solution est parfois très inefficace. En effet, comme les baux doivent être régulièrement renouvelés, ce système encourage la recherche de rentes et rend les conditions contractuelles aléatoires, ce qui risque fort de compromettre les investissements à long terme sur ces terres. Dans ce cas, la vente ou d'autres formes de cession sont préférables à la loca- tion. Il est par ailleurs difficile d'organiser de véritables marchés locatifs dans les pays où la terre n'a été privatisée que sous forme de prises de 19 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ participation et où les effets conjugués du niveau élevé du risque, du développement insuffisant du marché et de la connaissance limitée des droits de propriété qu'ont les propriétaires empêchent ces derniers de maximiser l'utilisation de leurs actifs ou de les exploiter sous une forme différente de l'ancien mode collectif. La fragmentation de la propriété foncière et des exploitations en acti- vité qu'a entraîné la restitution des terres signifie que le marché de la vente pourrait offrir un moyen très efficace de redistribuer la propriété d'une manière qui corresponde davantage à la répartition fonctionnelle des terres. En outre, le nombre parfois élevé de propriétaires fonciers aug- mente les coûts de transaction sur les marchés locatifs, et il semble que cela ait conduit certains à opter pour la cession plutôt que pour la loca- tion.Toutefois, en l'absence de crédit à long terme et compte tenu de l'in- certitude des perspectives économiques globales, l'activité des marchés fonciers demeure limitée, ce qui signifie que la plupart des ajustements liés à la taille des exploitations s'effectuent par le biais de la location. Afrique Les disparités observées dans l'activité des marchés fonciers des différents pays africains sont souvent directement liées à des interventions passées de l'État. Les marchés locatifs, et notamment les transactions portant sur de longues durées, qui s'apparentent à maints égards à des ventes, sont extrêmement dynamiques en Afrique de l'Ouest, même s'ils restent le plus souvent informels. Les cessions de terres sont moins fréquentes en Afrique de l'Est et en Afrique australe, où la politique coloniale les a longtemps prohibées. Des études récentes tendent à montrer que l'acti- vité des marchés locatifs peut cependant se développer assez rapidement dès lors que les opportunités existent. Dans les régions où c'est le cas, les marchés locatifs ont la plupart du temps permis d'améliorer l'efficacité et l'équité, et les données concernant l'Éthiopie montrent que les restric- tions imposées sur les transactions des marchés locatifs ont généralement pour effet de freiner la création d'entreprises non agricoles. Il semblerait donc que la levée des dernières restrictions qui pèsent sur le fonctionne- ment des marchés locatifs pourrait être déterminante en ce qu'elle per- mettrait non seulement une meilleure utilisation des terres, mais aussi un développement plus rapide de l'économie rurale en général. L'activité des marchés de la vente présente des variations encore plus importantes d'un pays à l'autre que celle des marchés locatifs. Les 20 RÉSUMÉ ANALYTIQUE données d'observation montrent toutefois que les cessions informelles augmentent dans les zones périurbaines et dans les régions où il est possible d'introduire des cultures à forte valeur ajoutée. Les commu- nautés reconnaissent souvent la valeur des transactions foncières de longue durée, mais si ces transactions ne sont pas officialisées, leur vali- dité juridique risque d'être mise en cause ultérieurement, ce qui suscite souvent de graves conflits. De plus amples efforts en vue d'officialiser les transactions au niveau local pourraient donc avoir des effets positifs, surtout si les acquéreurs sont issus de groupes ethniques différents ou sont des migrants. Asie Dans la plupart des pays d'Asie du Sud, la législation impose des restrictions à la location des terres afin d'éviter que les locataires ne soient exploités par les propriétaires. Ces lois sont peut-être utiles pour les locataires en place, mais elles empêchent probablement les paysans sans terre d'acquérir des parcelles en passant par le marché, et les pro- priétaires terriens d'investir dans leurs biens. L'exemple de la Chine et du Viet Nam, où les marchés locatifs permettent de transférer la terre aux exploitants les plus productifs et dépourvus de terres de façon plus efficace que ne le faisait la redistribution administrative, plaide en faveur d'une levée progressive de ces restrictions. Les données concer- nant les pays d'Asie du Sud-Est montrent aussi que des marchés actifs de droits d'utilisation peuvent se développer rapidement à mesure que l'offre de main-d'oeuvre non agricole augmente. De fait, la croissance économique globale peut jouer un rôle très important dans l'expansion des marchés locatifs fonciers qui, dans bien des cas, ne sont pas encore pleinement exploités ou développés. Dans la majeure partie de l'Asie, les marchés des droits d'utilisation de longue durée ne se sont développés que récemment. À en juger par les rares données disponibles, ces marchés permettent en général d'accroître l'équité et l'efficience, sauf lorsque les marchés du crédit ne fonctionnent pas bien, ce qui peut contraindre les ménages à vendre leur terre en cata- strophe en cas de choc. Le risque d'expropriation par l'État sans com- pensation conduit apparemment de nombreux particuliers à vendre leurs terres sur le marché informel dans l'espoir de récupérer au moins une petite portion de leur valeur réelle. En Asie, les marchés de la vente sont soumis à diverses restrictions, surtout dans les zones périurbaines. 21 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ Par exemple, les réglementations applicables à la conversion de parcelles agricoles en terrains urbains limitent souvent l'offre de terrains à bâtir et poussent les prix à la hausse, ce qui risque de mettre ces terres hors de portée de vastes segments de la population. Amérique latine En Amérique latine, du fait de la précarité perçue des droits de pro- priété et des restrictions traditionnelles qui pèsent sur le marché de la location foncière, les marchés locatifs sont moins efficaces qu'on pour- rait l'espérer pour modifier la répartition très inégale de la propriété foncière dans un sens plus égalitaire. Même si les données d'observation montrent que la location des terres favorise davantage leur utilisation productive que les programmes gouvernementaux, la fragilité et la pré- carité des droits de propriété, conjuguées aux coûts de transaction éle- vés continuent de freiner les échanges et en particulier les baux de longue durée dans de nombreux pays. Les marchés restent donc seg- mentés et peu actifs, et les transactions se circonscrivent souvent aux proches parents, ce qui évite de passer par les autorités officielles. Si la libéralisation macroéconomique a amené une baisse substantielle du prix de la terre dans une grande partie de l'Amérique latine pendant les années 90, les résultats escomptés en termes de développement des marchés fonciers ne se sont que partiellement concrétisés. Même dans les régions où ces marchés sont dynamiques, ils sont souvent très segmentés en ce sens que grands et petits propriétaires terriens traitent entre eux, mais que peu de transactions s'effectuent entre des producteurs de tailles différentes. Dans la mesure où les droits de propriété sont encore jugés assez précaires, où les marchés financiers sont imparfaits et où les coûts de transaction sont élevés, il est normal que la libéralisation du marché ait eu relativement peu d'impact. Cela conforte l'hypothèse que les mar- chés fonciers ne pourront à eux seuls assurer durablement une redistri- bution équitable de la propriété et aider ainsi à surmonter les difficultés structurelles qui affectent les zones rurales de la région. Implications pour l'action des pouvoirs publics Pour exploiter au mieux les avantages que peuvent présenter les mar- chés locatifs, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les droits fon- ciers soient assez solides pour faciliter les baux de longue durée et lever 22 RÉSUMÉ ANALYTIQUE les contraintes injustifiées qui pèsent sur le fonctionnement de ces mar- chés. Les réglementations qui régissent le fonctionnement des marchés de la vente se justifient parfois du point de vue théorique. Mais, dans la pratique, l'application de ces restrictions fragilise presque toujours les droits de propriété, de sorte que leurs effets négatifs imprévus l'em- portent souvent de loin sur les effets positifs qu'elles étaient censées produire. À de rares exceptions près, en cas de réformes structurelles rapides par exemple, il est difficile de considérer les restrictions de cette nature comme un instrument efficace de politique économique. Les marchés locatifs Les contrats de location de courte durée n'inciteront guère les exploi- tants à effectuer des investissements fonciers. La durée et la sécurité des droits fonciers sont des éléments indispensables à l'établissement de baux de longue durée, et trouver les moyens de sécuriser la propriété foncière constitue un enjeu stratégique de premier plan. Le plafonne- ment des loyers ou les droits de propriété implicites attribués aux loca- taires pèsent également sur les marchés locatifs. S'il est vrai qu'une réglementation des baux efficace peut servir les intérêts des locataires existants, son application est coûteuse et n'est donc peut-être pas un moyen efficace de transférer les ressources aux pauvres, même sur le court terme. À plus long terme, les restrictions qui pèsent sur les baux auront pour effet de diminuer l'offre de terres disponibles sur le marché locatif et de freiner l'investissement, ce qui pénalisera directement les pauvres. L'expérience des pays qui ont aboli ce type de restrictions montre que cette mesure peut non seulement élargir les possibilités d'accès à la terre par le biais des marchés locatifs, mais aussi accroître la participa- tion des ménages au marché de l'emploi non agricole et améliorer la gouvernance en réduisant le pouvoir discrétionnaire de l'administra- tion. Le grand problème est donc de savoir comment programmer la suppression de ces restrictions de façon à ne pas sacrifier l'équité. Les marchés de la vente Les imperfections du marché du crédit affectent le fonctionnement des marchés fonciers et peuvent créer des situations où une intervention de l'État pourrait, dans l'hypothèse toute théorique d'une exécution par- faite, amener une amélioration de l'efficience et de l'équité. Mais la mise en oeuvre de ces interventions se révèle toutefois extrêmement 23 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ difficile dans la pratique. Dans la grande majorité des cas, les restric- tions appliquées aux marchés fonciers fragilisent les droits fonciers et finissent par empirer la situation. Les contraintes à la cessibilité des terres imposées par l'administra- tion centrale restreignent généralement l'accès au crédit et elles ont sou- vent pour seul effet de faire passer ces transactions dans le secteur du gré à gré. Sauf dans les situations de transition économique rapide, il est difficile de les justifier. Les collectivités locales sont sans doute plus à même que les institutions de l'administration centrale d'apprécier les coûts d'une cessibilité limitée des terres à des tiers de l'extérieur, ou les avantages associés à la levée de ces restrictions. Du moment que leurs décisions sont prises de manière transparente et qu'elles sont applicables, il sera peut-être plus efficace d'autoriser les communautés à décider du maintien ou de la suppression des restrictions sur les transactions foncières avec des tiers de l'extérieur, (comme c'est généralement le cas pour les régimes fonciers coutumiers), que d'imposer à l'échelon central des restrictions difficiles ou impossibles à faire respecter. En règle générale, le plafonnement de la propriété foncière n'est pas un moyen efficace pour favoriser le morcellement des grandes exploita- tions agricoles, et il entraîne plutôt des pesanteurs administratives, des sous-divisions factices et de la corruption. Dans les pays où ces plafonds étaient bas, comme aux Philippines, ils semblent avoir eu une incidence négative sur l'investissement et sur la capacité des propriétaires à accé- der au crédit. Ils ne peuvent se justifier que dans le cas où ils sont assez élevés pour limiter l'acquisition de terres à des fins spéculatives, ce qui peut s'appliquer à certains pays de la CEI. La fragmentation importante des terres, résultant soit du morcelle- ment successif des terres dans le cadre d'opérations successorales, soit de la volonté d'octroyer au moins une parcelle d'une qualité donnée ou pour un type d'utilisation précis à chaque producteur lors de la distribution des terres, est souvent jugée responsable des inefficacités de la production agricole. L'ampleur et l'importance de ces inefficacités augmentent avec la mécanisation de la production. Compter sur l'initiative individuelle pour remédier à la fragmentation des terres induira des coûts de transaction élevés. C'est ce qui a conduit les pouvoirs publics à mettre en place des programmes destinés à compléter les mécanismes du marché pour accélé- rer le remembrement des exploitations à moindre frais. Malgré les avan- tages monétaires et non monétaires substantiels signalés en Europe de l'Ouest, les programmes de ce genre sont souvent coûteux et laborieux à exécuter. L'expérience de la Chine montre que, lorsque les moyens de 24 RÉSUMÉ ANALYTIQUE l'administration sont restreints, les programmes de remembrement des terres peuvent rencontrer de grandes difficultés et ne pas produire les résultats escomptés. Une évaluation rigoureuse des coûts et des avantages des différentes méthodes de remembrement en Europe de l'Est serait sou- haitable, et elle devra être faite avant que l'adoption de ces mesures à plus grande échelle puisse être recommandée. Une utilisation des terres conforme à l'intérêt général D ES TRANSACTIONS DÉCENTRALISÉES, FONDÉES SUR DES droits fonciers solides, seront probablement plus satisfaisantes aux plans de l'efficience et de l'équité, et produiront sans doute moins de corruption et d'autres effets indésirables que les interventions administratives, surtout lorsque le nombre des échanges augmentera et que les modalités contractuelles deviendront plus complexes. Dans le même temps, les pouvoirs publics ont un rôle précis à jouer sur plusieurs plans. Ils doivent faciliter la mise en place de cadres juridiques et institu- tionnels au sein desquels les marchés fonciers peuvent fonctionner, et adopter un ensemble de politiques visant à favoriser les transactions qui augmentent la productivité et le bien-être, et non l'inverse. Même si elle s'impose tout particulièrement dans le cadre de la restructuration agricole dans les pays de l'Europe centrale et orientale (PECO) et de la CEI, la dévolution du pouvoir sur les terres domaniales est aussi devenue un enjeu crucial dans bien d'autres contextes. Dans les pays où la distribution des terres est très inégale et où d'importantes superficies productives sont inexploitées ou sous-utilisées, les pouvoirs publics devront peut-être s'attaquer aux problèmes fondamentaux liés à la distribution des dotations en actifs que les marchés ne pourront régler. Compte tenu du nombre important des opérations entreprises à cette fin qui n'ont pas réussi à accroître l'efficacité et l'équité, il serait particulière- ment utile de tirer des enseignements de l'expérience acquise. Enfin, les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments bud- gétaires et réglementaires pour encourager une utilisation des sols qui maximise le bien-être social, par exemple en aidant à internaliser les effets qui sont externes pour les exploitants individuels de la terre. Mal- gré l'insuffisance de moyens administratifs, beaucoup de pays en déve- loppement s'appuient de façon disproportionnée sur une approche réglementaire plutôt que sur une approche budgétaire, ce qui a souvent 25 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ pour résultat de favoriser les comportements discrétionnaires au sein de l'administration. La connaissance approfondie des principes sur les- quels repose telle ou telle intervention, des différents mécanismes en cause et du niveau le plus approprié de l'intervention peut favoriser l'adoption d'une approche susceptible de produire des résultats plus satisfaisants, tant pour ce qui est de l'observation de la réglementation que de la réduction des formalités administratives auxquelles sont soumis les entrepreneurs privés. Restructuration agricole La performance des exploitations collectives de production, par opposi- tion aux coopératives de services pour la commercialisation, est catastro- phique partout, et beaucoup d'unités de production des pays de la CEI et des PECO n'étaient pas viables économiquement bien avant les chan- gements politiques des années 90. Le processus de réforme a été influen- cé par plusieurs facteurs. Premièrement, de nombreuses unités de production remplissaient d'importantes fonctions sociales, et il a fallu du temps pour organiser des administrations locales assez solides pour prendre le relais. Deuxièmement, la mise en place de l'infrastructure et des institutions auxiliaires nécessaires pour faciliter le bon fonctionne- ment d'autres marchés est un processus de longue haleine. Enfin, l'am- pleur de la transition et la diversité des intérêts qu'elle touche signifient que l'évolution vers un équilibre post-transition stable ne s'effectuera sans doute pas sans heurts, ni de façon linéaire. De fait, plutôt que d'être fondées sur des considérations écono- miques, les modalités de la restructuration agricole ont été déterminées par un processus politique. La plupart des PECO ont opté pour la res- titution des terres, la majorité des pays de la CEI et l'Albanie choisissant pour leur part la distribution équitable des terres aux membres des exploitations agricoles. La distribution de parcelles physiquement déli- mitées, selon la formule retenue en Albanie, en République kirghize et en Moldavie, a été relativement longue et a entraîné un morcellement très important des terres ; en revanche, la distribution de parts foncières qui pouvaient être retirées de la propriété collective selon des procédures précises a permis une privatisation rapide, mais n'a pratiquement pas modifié la structure de production. Le bilan de la restructuration agricole montre qu'il est impossible de séparer le régime foncier des orientations politiques générales, des 26 RÉSUMÉ ANALYTIQUE questions institutionnelles et de l'accès aux marchés locaux et mondiaux. La plupart des avantages économiques liés à l'attribution de titres de propriété se sont dans un premier temps matérialisés dans les zones urbaines, où des marchés du crédit sont apparus beaucoup plus rapide- ment que dans les zones rurales. Le mauvais fonctionnement de la pro- duction rurale et des marchés des facteurs dans un environnement caractérisé par le risque a dans bien des cas empêché les ménages de quit- ter les anciennes structures collectives. Il est donc impératif d'améliorer le cadre juridique et les structures institutionnelles. Pour améliorer pro- gressivement le fonctionnement des marchés ruraux et celui des marchés fonciers en particulier, il sera important d'établir une correspondance entre les parts foncières et la propriété physique et de supprimer les restrictions implicites et explicites qui pèsent sur la location des terres. Réforme agraire Le fait que, dans de nombreux pays, la distribution actuelle de la pro- priété foncière soit le produit de politiques discriminatoires plutôt que le résultat du jeu du marché fournit depuis longtemps une justification à l'adoption de politiques de réforme agraire. Le bilan de ces politiques est contrasté. Elles ont eu des résultats très probants en Asie (Japon, République de Corée, Taiwan (Chine)), et des effets positifs ont été annoncés par certains pays africains tels que le Kenya et le Zimbabwe dans les premières phases des réformes engagées après l'indépendance. En revanche, les réformes agraires introduites en Amérique latine, dans d'autres pays asiatiques et plus récemment en Afrique du Sud, n'ont pas atteint leurs objectifs et demeurent incomplètes à plusieurs égards. Ces résultats décevants tiennent essentiellement au fait que les réformes ont souvent été motivées par des considérations politiques à court terme, et que leur mise en oeuvre a souvent été guidée par les théories des planifi- cateurs et plutôt que par les besoins des bénéficiaires, ce qui a fréquem- ment pesé sur leur viabilité et réduit leur incidence sur la pauvreté. Dans les régions où l'extrême inégalité de la distribution des terres et la sous-exploitation de vastes superficies productives vont de pair avec une profonde pauvreté dans les zones rurales, il est possible de justifier, tant sur le plan politique qu'économique, le recours à des mesures de redistribution pour élargir l'accès des pauvres à la terre. Même dans ces cas, plusieurs instruments (allant de l'expropriation indemnisée à l'acti- vation de marchés locatifs) permettront normalement de faciliter le 27 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ transfert des terres. Pour assurer la réussite des réformes et l'exploitation productive de la terre, la réforme agraire doit être menée en parallèle avec d'autres programmes gouvernementaux. Les possibilités d'accès à des actifs autres que les actifs fonciers et à des fonds de roulement, de même qu'un climat politique porteur, seront déterminants. Il faut que les bénéficiaires des réformes puissent avoir accès aux marchés des pro- duits et au crédit et qu'ils soient choisis selon un processus transparent et participatif, et il convient par ailleurs de veiller à ce que les mesures de réforme agraire soient viables au plan budgétaire. Les pouvoirs publics pourront plus facilement faire face à toutes ces gageures s'ils utilisent en même temps les mécanismes dont ils dis- posent en s'attachant à exploiter toutes leurs synergies. Pour cela, il faut intégrer la réforme agraire au cadre plus général des politiques écono- miques et sociales de développement et de lutte contre la pauvreté, il faut décentraliser l'exécution des programmes afin d'assurer la plus grande participation possible des bénéficiaires potentiels, et il faut au moins un certain élément de don. Étant donné l'actualité permanente de ce problème, le débat politique souvent passionné qu'il inspire et le manque de données quantitatives sur certains des programmes mis en oeuvre plus récemment, une évaluation rigoureuse, transparente et participative des expériences en cours est particulièrement importante. Conflits fonciers La raréfaction des terres conjuguée à des taux de croissance démogra- phique élevés, et parfois à un long passé de discrimination et d'inégalité d'accès à la terre, expliquent que de nombreux conflits anciens et actuels trouvent leur origine dans des différends fonciers. La politique foncière pourrait donc être amenée à jouer un rôle particulier dans beaucoup de situations post-conflit. La possibilité de répondre aux demandes de terres émanant des femmes et des réfugiés, d'utiliser la terre dans le cadre d'une stratégie visant à offrir des opportunités économiques aux soldats démobi- lisés et de résoudre de manière légitime les différends et des revendications foncières simultanées favorisera considérablement la réconciliation à l'issue d'un conflit et le redressement rapide du secteur productif, éléments déci- sifs d'un développement économique ultérieur. Faute de mettre en place les dispositifs nécessaires, les conflits risquent de fermenter, au grand jour ou dans l'ombre ; les coûts sociaux et économiques en seront d'autant plus élevés que, dans la pratique, les transactions ultérieures pourront entraîner 28 RÉSUMÉ ANALYTIQUE la multiplication rapide des possibilités de conflits, et amener ainsi dans certaines zones rurales une précarité généralisée des droits de propriété pré- judiciable à la règle de droit dans son ensemble. Bien que l'on manque d'éléments d'appréciation tangibles, même les différends fonciers relativement « mineurs » peuvent réduire substantiel- lement la productivité, de même que l'équité puisqu'ils risquent fort d'affecter les pauvres de manière disproportionnée. Les transitions démographiques ou économiques rapides favorisent ce type de conflits. Dans les régions où le problème se pose, les institutions en place doivent avoir le pouvoir et la légitimité de réinterpréter les règles et d'empêcher ainsi des différends sans grande gravité d'évoluer en confrontations d'en- vergure. Plutôt que de mettre en place des circuits parallèles de résolu- tion des conflits, démarche qui a souvent aggravé l'incidence des différends fonciers au lieu de l'atténuer, il est préférable de faire fond sur les institutions informelles qui jouissent d'une légitimité sociale et peuvent intervenir à peu de frais. Impôt foncier L'absence de sources de recettes propres peut non seulement affecter la viabilité financière des administrations locales, mais aussi réduire leur capacité de réaction et leur responsabilité envers la population locale. On sait depuis longtemps que l'impôt foncier leur offre une source de revenus propres qui s'accompagne de distorsions minimes et qui peut en même temps encourager une exploitation plus intensive des terres. Même si l'utilisation de l'impôt foncier varie considérablement selon les pays, les recettes qu'il produit sont généralement très inférieures à ce qu'elles pourraient être. Cela tient notamment au fait que les structures d'incitation laissent à désirer et que l'on a négligé de renforcer les capa- cités en matière d'évaluation et d'administration de l'impôt ; à cela s'ajoutent les difficultés politiques qu'implique le prélèvement de taxes foncières substantielles. L'impôt foncier est très visible, ce qui signifie qu'il peut être politi- quement difficile à instaurer, surtout dans les endroits où les proprié- taires terriens détiennent encore un pouvoir politique très important. Outre l'élection démocratique des administrations locales et l'appui de l'administration aux différentes phases de la collecte de l'impôt, des dispositifs visant à favoriser la responsabilité budgétaire et le recouvre- ment de l'impôt au niveau local, par exemple en alignant le montant 29 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ des fonds centraux sur les impôts encaissés, permettraient de concevoir correctement la fiscalité foncière, et de collecter ensuite les impôts de façon appropriée. Cela peut avoir un impact important sur les mesures destinées à encourager l'exploitation efficace des terres, les recettes des administrations locales, le type et la qualité des services publics fournis et la gouvernance. Terres domaniales Dans l'intérêt général, l'État doit disposer d'un droit d'expropriation apparié à un dispositif d'indemnisation. Or, dans de nombreux pays en développement, les pouvoirs publics exercent ce droit, pour les besoins du développement urbain en particulier, d'une façon qui fragilise les droits fonciers et qui, parce que les indemnités versées sont souvent minimes, voire inexistantes, a également des effets néfastes sur l'équité et la transparence. Souvent, la perspective d'une expropriation sans indem- nisation conduit les propriétaires fonciers à vendre leurs terres à bas prix sur le marché informel, ce qui non seulement les oblige à se défaire d'un bien essentiel à une fraction de sa valeur réelle, mais qui encourage par ailleurs le développement désordonné et l'expansion anarchique des villes, qui rendront la prestation de services publics plus difficile et plus coûteuse par la suite. Pour procéder à une décentralisation transparente et sécuriser les droits fonciers dans de nombreuses zones périurbaines, il est indispensable de commencer par restreindre le pouvoir discrétion- naire de l'administration. Dans les pays en développement en particulier, l'État manque souvent des moyens nécessaires pour gérer les terres et les exploiter au mieux. Mal- gré tout, il possède et gère encore des superficies extraordinairement im- portantes. Dans les zones périurbaines, il arrive ainsi que des terres inoccupées au potentiel élevé restent improductives, les investissements étant paralysés par les pesanteurs administratives et des processus de déci- sion non transparents, voire irréguliers. L'expérience prouve que le trans- fert de ces terres au secteur privé pourrait servir les intérêts des administrations locales, accroître les investissements et améliorer l'équité. Dans les cas où les terres domaniales sont occupées de bonne foi et depuis longtemps par des pauvres, et que des améliorations substantielles y ont été apportées, il conviendra de reconnaître et de régulariser ces droits à un coût symbolique afin d'éviter des effets négatifs au plan de l'équité. Lorsque des terrains urbains de valeur appartenant à l'État et gérés par lui 30 RÉSUMÉ ANALYTIQUE sont inoccupés, la meilleure solution consistera à les vendre aux enchères au plus offrant, surtout si le produit de la vente peut servir à indemniser les propriétaires d'origine ou à fournir à bien moindre coût des terres et des services aux pauvres des périphéries urbaines. La réglementation relative à l'utilisation des terres Même si la gestion directe des terres par des entités publiques est rare- ment efficace, il entre clairement dans les attributions de l'État de veiller à ce que les ressources qui symbolisent des valeurs et les richesses sociales et culturelles (paysages, biodiversité, sites historiques et biens culturels) ne soient pas irrémédiablement détruites par des initiatives individuelles à courte vue. En outre, l'intervention de l'État se justifie dès lors qu'il s'agit de réduire les externalités et les nuisances indési- rables, d'encourager le maintien d'effets externes positifs, tels que l'équilibre hydrologique, et de favoriser la fourniture de services publics efficaces par rapport aux coûts. Pour pouvoir atteindre ces objectifs, il est important de prêter attention à la nature des droits de propriété et à la possibilité d'adopter des réglementations spécifiques. Il est souvent possible d'internaliser les effets externes environnemen- taux lorsque les droits de propriété sont conçus de manière à encourager la gestion prudente des ressources naturelles, par exemple en attribuant ces droits à des groupes qui sauront internaliser les effets externes liés à l'utilisation des terres, en renforçant les moyens dont disposent ces groupes pour engager une action collective, ou en accordant à des particuliers ou à des groupes des droits de propriété assortis de certaines restrictions ou d'avantages pour encourager l'adoption d'un comporte- ment donné. Les interventions réglementaires (en dehors de celles qui visent à protéger l'environnement) qui ont pour objet d'éviter les exter- nalités négatives de l'exploitation foncière se justifieront sans doute davantage dans les zones urbaines et périurbaines que dans les régions rurales. Les deux questions qui se posent dans ce contexte sont de savoir si ces mesures doivent être imposées par les autorités centrales ou les auto- rités locales, et de déterminer le contenu des interventions spécifiques. Les plans de zonage et les autres réglementations relatives à l'utilisa- tion du sol doivent être basés sur une évaluation précise des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre, des coûts que cela suppose et de la façon dont les coûts et les avantages seront répartis. Lorsque cette évaluation n'a pas été faite, soit les réglementations imposées par 31 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ l'administration centrale n'ont pu être appliquées avec les moyens dis- ponibles, soit leur mise en oeuvre a été d'un coût élevé, qui a été essen- tiellement supporté par les pauvres, soit elles ont dégénéré en recherche de rentes. En général, on n'a guère cherché à instaurer des mécanismes permettant aux collectivités locales de traiter ces externalités d'une façon plus décentralisée et donc moins coûteuse. Pour faciliter une telle démarche, il est indispensable que les administrations locales disposent de moyens suffisants et qu'elles aient une idée précise des avantages et des inconvénients des différentes approches. Une dévolution progres- sive des responsabilités concernant la réglementation relative à l'utilisa- tion des terres aux administrations locales permettrait de faire avancer efficacement la décentralisation, dans la mesure où elle s'accompagne d'un renforcement des capacités. La politique foncière dans le contexte général de l'action gouvernementale La politique foncière traite de problèmes structurels qui, à long terme, influeront sur l'aptitude des pauvres à tirer parti des opportunités du marché qu'apportent les grands changements macroéconomiques. Les mesures destinées à sécuriser les droits fonciers, à réduire les coûts de transaction liés à la cession des droits de propriété et à établir un cadre réglementaire afin d'éviter les externalités indésirables transcendent toutefois les limites traditionnelles. De ce fait, les responsabilités institu- tionnelles sont souvent dispersées entre plusieurs ministères (de l'environ- nement, de la réforme foncière, et de la planification urbaine par exemple), dont beaucoup ne disposent pas de moyens importants. Pour pallier le cloisonnement que ces arrangements risquent de créer, il est essentiel d'avoir une vision à long terme et d'intégrer les questions fon- cières à une stratégie de développement bénéficiant d'un large appui de la population ainsi que du soutien et de la coordination des hautes instances politiques. Le bilan de l'action entreprise doit faire l'objet d'un suivi indé- pendant, et les résultats être comparés à ceux d'autres programmes publics de lutte contre la pauvreté et de développement économique. Outre qu'elles font intervenir plusieurs structures institutionnelles, les questions relatives à la politique foncière sont complexes et propres à chaque pays, et ce sont des questions qui sont longues à traiter et sus- citent souvent des controverses au plan politique. Même si des interven- tions ponctuelles dans ce domaine peuvent avoir des effets positifs sur la 32 RÉSUMÉ ANALYTIQUE société, elles peuvent être contestées par des groupes d'intérêt à qui le statu quo profite. Pour prévenir les blocages ou l'inaction, il faudra étu- dier avec soin l'ordre chronologique des réformes à engager et examiner attentivement leur économie politique. Pour que les réformes puissent être menées à bien, il faut de solides moyens d'action au niveau local, un dialogue ouvert et participatif sur les politiques, des projets pilotes soigneusement choisis et évalués ; le partage des expériences nationales sera essentiel et peut aussi contribuer au renforcement des capacités pour la formulation de politiques. Les problèmes à venir L E DERNIER RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE CONCERNANT des questions foncières, qui a été publié en 1975 sous le titre « Réforme foncière » dans la série Politique sectorielle, analysait la terre essentiellement en termes d'utilisation agricole et de productivi- té, et ne s'attardait guère sur l'importance des droits fonciers pour l'au- tonomisation des pauvres et l'amélioration de la gouvernance locale, le développement du secteur privé en dehors de l'agriculture, les questions d'équité et d'égalité des sexes associées à la terre, et les problèmes qui se posent dans les zones marginales et à l'interface des régions rurales et urbaines. En examinant dans quelle mesure ces questions de fond ont évolué depuis 1975 et l'incidence de cette évolution sur les approches opérationnelles, on peut se faire une idée des problèmes qui vont se poser et des moyens disponibles pour les traiter de façon satisfaisante. Il apparaît clairement aujourd'hui que la démarche consistant à se focaliser sur les titres formels de propriété telle que décrite dans le docu- ment de 1975 n'était pas la bonne, et qu'il faudra accorder une place nettement plus importante à la légalité et à la légitimité des arrange- ments institutionnels existants. De fait, les problèmes touchant la gou- vernance, la résolution des conflits et la corruption, qui ont été à peine identifiés dans ce document, expliquent pour l'essentiel pourquoi la terre est aujourd'hui au centre des débats dans de nombreux pays. S'il existe plus de solutions qu'on ne le pense qui permettent de gagner sur les deux tableaux, régler le problème de l'efficacité ne résoudra pas pour autant toutes les questions d'équité, et l'on peut justifier au nom des droits humains l'attribution de droits plus sûrs aux femmes, ainsi que de meilleures possibilités d'accès à la terre pour les éleveurs, les popula- tions autochtones et d'autres groupes souvent défavorisés dans le passé, 33 DES POLITIQUES FONCIÈRES POUR PROMOUVOIR LA CROISSANCE ET RÉDUIRE LA PAUVRETÉ même si ces mesures n'ont pas pour effet immédiat d'accroître l'effi- cience économique. Un autre point des recommandations émises dans le rapport de 1975 doit être corrigé, c'est l'importance que ce document accorde sans discernement à la cession des terres, en ignorant les coûts élevés de transaction et les multiples obstacles qui peuvent entraver le bon fonc- tionnement de ces marchés, surtout pour les pauvres. La cessibilité des terres revêt plus d'importance aujourd'hui qu'auparavant, comme le montrent la forte incidence des marchés locatifs et le rôle qu'ils jouent en facilitant la naissance d'un secteur non agricole. Or, ces marchés, dont l'impact en termes d'équité, de productivité et d'investissements à long terme est plus important qu'on ne l'avait supposé, peuvent résoudre pratiquement tous les problèmes de productivité. Il est urgent de supprimer les dernières restrictions qui gênent leur fonctionnement. Si le rapport précédent reconnaissait l'importance de la redistribu- tion des terres pour améliorer l'équité et l'efficacité, peu de mesures ont été prises en ce sens par la suite, et aucun critère n'a été proposé pour appliquer cette recommandation. Le présent rapport va plus loin à deux égards. Il reconnaît en premier lieu que la réforme agraire peut consti- tuer un investissement viable pour l'avenir d'un pays, mais qu'il im- porte, pour exploiter à plein son potentiel, d'évaluer avec soin les conditions de la mise en oeuvre et la portée de cette opération par rap- port à d'autres interventions possibles, afin de déterminer à la fois les groupes cibles et les mesures complémentaires à prévoir. Le ciblage et l'impact d'un programme de ce genre sur la pauvreté, l'autonomisation des populations concernées et la productivité, de même que son coût, doivent être estimés de façon précise et selon une méthode transparente et participative, qui permette explicitement d'apporter des modifica- tions à sa conception en fonction des résultats. Deuxièmement, il y a de nombreuses interventions liées au secteur foncier qui ont un impact manifeste sur la pauvreté et qui soulèvent moins de controverses au plan politique et nécessitent moins de moyens en termes de capacité institutionnelle et de ressources financières. Il n'est pas prudent d'entre- prendre un programme de réforme agraire sans épuiser ces autres possi- bilités. En outre, même lorsque la redistribution des terres n'est ni nécessaire ni politiquement envisageable, il existe de nombreuses façons de renforcer les droits fonciers et de donner aux pauvres de meilleures possibilités d'accès à la terre. Compte tenu des controverses qui entourent la question, il n'est pas surprenant qu'en 1975 la Banque ait fait preuve d'une grande prudence 34 RÉSUMÉ ANALYTIQUE quant aux conseils sur la politique à suivre dans ce domaine et qu'elle n'ait pas directement affronté la dimension politique des questions fon- cières. Peu de liens avaient été établis entre la terre et le développement économique en général, qui auraient facilité l'intégration de ces ques- tions à une stratégie à long terme bénéficiant d'un large appui au niveau des pays, et le document donnait peu d'indications sur la façon de met- tre en pratique les enseignements tirés. De ce fait, son impact au niveau de la mise en oeuvre a été limité. Le présent rapport montre non seule- ment que les conseils de fond sur la politique à suivre ont beaucoup évolué depuis lors, mais aussi que les principes généraux et les recom- mandations tirés de cette analyse doivent être adaptés aux réalités locales dans tout contexte donné. Pour cela, il faudra non seulement engager un dialogue dynamique sur les politiques avec les principales parties prenantes, mais aussi obtenir leur collaboration en tirant parti de leurs avantages comparatifs respectifs. En prolongeant et en dévelop- pant, le cas échéant, la démarche engagée lors de sa préparation, la dif- fusion de ce rapport pourrait jouer un rôle dans l'accomplissement de cet objectif. 35 Les chercheurs méconnaissent souvent l'influence profonde des politiques foncières sur la trajectoire de développement social et économique à long terme des pays. Le présent rapport s'inspire des très nombreuses études conduites dans ce domaine pour attirer l'attention sur cette question et dégager les conclusions à en tirer pour l'action des pouvoirs publics. Il mérite une large audience auprès des théoriciens et des décideurs. Yujiro Hayami, Directeur du programme de Maîtrise FASID, et Professeur au National Graduate Institute for Policy Studies -- Tokyo (Japon) L'histoire de nombreux pays montre qu'en l'absence d'une politique foncière bien définie il sera difficile, voire impossible de réduire la pauvreté et les inégalités structurelles profondément enracinées. Ce rapport s'appuie sur un ensemble très large d'études et d'expériences pour présenter les principaux aspects du problème et montrer comment ils peuvent servir à élaborer une politique foncière qui s'inscrit dans le cadre de stratégies plus générales de lutte contre la pauvreté. Alain de Janvry, Professeur à l'Université de Californie -- Berkeley (États-Unis) En montrant l'importance, longtemps méconnue, du régime foncier pour la bonne gouvernance et le développement du secteur privé, particulièrement en Afrique, ce rapport élargit le débat et met en évidence l'impact considérable de la politique foncière sur le développement économique. Kasim Kasanga, Ministre des Terres, Gouvernement du Ghana Ce rapport marque une évolution importante et heureuse de la ligne de réflexion de la Banque mondiale sur la politique foncière ; il propose une vision plus ouverte et plus souple, et affiche une volonté de reconnaître les erreurs passées et d'éviter tout dogmatisme. Le problème fondamental sera de veiller à ce que sa démarche et ses principes relativement plus éclairés se traduisent par une amélioration des pratiques de la Banque au niveau des pays. Il faudra pour cela une détermination authentique de la part la direction de la Banque, et il faudra aussi que les défenseurs des droits fonciers des pauvres au sein de la société civile maintiennent leur pression. Robin Palmer, Conseiller pour les politiques foncières, Oxfam (Grande-Bretagne) Ce rapport sur les politiques de développement apporte une contribution notable à la somme des connaissances et des expériences susceptibles de guider les politiques et les programmes de lutte contre la pauvreté. Il résulte d'un processus participatif qui a valeur d'exemple en ce qu'il prend en considération un large éventail d'idées et d'opinions capables d'inspirer l'élaboration de politiques foncières efficaces. Il sera une référence essentielle pour les gouvernements, la société civile et les organisations internationales, qui doivent saisir ce moment précis où la question foncière est revenue à l'ordre du jour du développement. Bruce H. Moore, Directeur, Coalition internationale pour l'accès à la terre -- Rome (Italie) Ce tableau très complet des pratiques et des théories en matière de politique et de gestion foncières met en lumière la complexité des problèmes auxquelles les spécialistes du développement sont confrontés. Il présente des recommandations en vue d'améliorer les politiques d'appropriation et d'utilisation des terres, qui sont indispensables pour promouvoir une croissance économique dynamique. Emmy Simmons, Administrateur adjoint, USAID La politique foncière est l'élément stratégique crucial du développement durable en ce qu'elle contribue à assurer la paix et la stabilité, la croissance économique, un développement social équitable et une gestion rationnelle des ressources. Exhaustif et bien équilibré, ce rapport offre aux bailleurs de fonds une base de coopération qui leur permettra d'inscrire la politique foncière dans un cadre opérationnel commun. Uwe Werblow, responsable des services Environnement et développement rural, Commission européenne BANQUE MONDIALE