79775 Faire passer le taux d'alphabétisation de 20 à 80 % Une stratégie d’innovation basée sur la science pour les pays du Partenariat mondial pour l’éducation (GME) Helen Abadzi1 Partenariat mondial pour l’éducation GPE Working Paper Series on Learning No. 8F Le 30 mai 2013 Ce document représente exclusivement les opinions personnelles de l'auteur et n'implique pas l'approbation de la Banque mondiale ou du Partenariat mondial pour l'éducation. 1 Helen Abadzi est une psychologue grecque qui travaille depuis 1987 comme spécialiste de l'éducation et comme responsable principale d'évaluation à la Banque mondiale et au Partenariat mondial pour l'éducation. Son objectif est de trouver les applications de neurosciences cognitives qui peuvent contribuer à améliorer l'éducation des populations pauvres. Ses publications ont permis de faire de la maîtrise de la lecture dans les petites classes une priorité internationale de haut niveau. Email : habadzi@worldbank.org, habadzi@gmail.com 1 Les gouvernements et les donateurs ont investi une grande énergie dans la conception de programmes d’apprentissage efficaces, nécessaires à la résolution de la crise de l’enseignement. Et les solutions existent, à travers notamment les innovations scientifiques, et la neuroscience cognitive. C’est aux niveaux les plus bas de l'éducation que les applications de recherche sont les plus pertinentes, or c'est exactement dans ce domaine que les populations pauvres des pays du GPE sont les moins compétentes. Des enseignements tirés de cette approche scientifique ont déjà été mis en place dans quelques pays. Le GPE a apporté des conseils techniques en apprentissage de la lecture (et en mathématiques) au Cambodge et en Gambie. Les projets pilotes d’apprentissage de la lecture ont donné des résultats très satisfaisants et les gouvernements s’en sont montrés très reconnaissants. Sans surprise, les autres pays partenaires du GPE ont effectué une demande directe de conseils techniques. Avec des messages ciblés et une coordination étroite, la montagne de problèmes d’aujourd’hui a des chances de se réduire à la taille d’une taupinière d’ici cinq ans. Les grandes lignes de la stratégie et de la recherche sont indiquées dans les paragraphes plus bas. Des études très précises viennent appuyer chaque chapitre, mais ce document de synthèse ne les mentionne pas pour des raisons de simplicité. Vous pourrez les trouver dans le document plus détaillé intitulé « L’alphabétisation pour tous en 100 jours ? », écrit par Helen Abadzi. Accroître le taux d’alphabétisation dans les écoles des pays du GPE - Détailss La lecture de base peut être enseignée efficacement et rapidement, d'ici le milieu de l’année scolaire de la première année d’école primaire (« 1st grade » américain ou CP français). Si un tel résultat semble difficile à croire, c'est uniquement parce que la lecture est enseignée à travers des modèles réalisés sur mesure pour certaines langues d'Europe de l’ouest. L’anglais, le français, le portugais et le néerlandais possèdent des systèmes d'orthographe complexes. L’anglais en particulier nécessite trois ans d’apprentissage (le français environ deux). L’enseignement de la lecture en anglais est coûteux et complexe. Les élèves doivent apprendre des listes de mots à vue en plus de devoir acquérir le vocabulaire et la faculté d’anticipation pour comprendre les mots à l’orthographe inhabituelle. Ils doivent commencer à lire à l'école maternelle (« kindergarten » américain, soit la grande section de maternelle française) et sont suivis pour s'assurer qu'ils sont capables de lire en première année de primaire. Environ 10 à 15 % des élèves ont besoin de cours de soutien. Comme l'anglais est une langue officielle dans de nombreux pays, savoir lire et écrire dans cette langue est considéré comme un processus naturellement compliqué. L'Europe de l’Est, en revanche, parle des langues qui s'écrivent de manière cohérente. L’enseignement du tchèque, du russe, de l’albanais, du grec, du serbe et du turc (mais aussi de l’allemand et de l’espagnol) requiert des méthodes beaucoup plus simples. Durant les précédentes décennies, des enseignants non formés enseignaient la lecture en s’appuyant sur des syllabaires qui obéissaient, sans le savoir, aux principes d’apprentissage de base. Dans ces langues, l'enseignement de base nécessite environ 100 jours seulement. Dans les pays d'Europe mentionnés ci-dessus, il est largement « répandu » que les premiers élèves arrivent à déchiffrer généralement vers Noël. Comme le tchèque ou l’espagnol, la grande majorité des langues du monde sont orthographiées de manière cohérente. Sauf difficultés d'enseignement, presque tous les élèves pourraient savoir et lire et écrire d’ici le milieu de la première année d’école primaire (les formes de base seulement pour les écritures syllabiques). Pour en faciliter la réalisation, un nombre minimal d'activités « non négociables » les plus nécessaires ont été identifiées. Celles-ci permettraient à la quasi totalité des élèves de savoir au moins déchiffrer dans les langues locales « vers Noël », et ce malgré les inefficiences des systèmes éducatifs. De plus, d’après les données publiées, savoir lire et écrire pourrait contribuer à faire chuter l’abandon scolaire. 2 Grandes lignes de la stratégie : Les élèves doivent apprendre les bases de la lecture dans leurs langues locales dans les 100 premiers jours de la première année d’école primaire. (Les langues locales comprennent les langues véhiculaires régionales, qui, dans les sociétés multilingues, s’apprennent en contexte.) Ils apprendraient par la même occasion la langue officielle à l’oral. Ils recevraient un cours de mise à niveau en deuxième année d’école primaire pour passer définitivement à la langue officielle. Les nombreux élèves illettrés plus âgés devront suivre des cours de rattrapage par le même programme de 100 jours (« L’alphabétisation en 100 jours ») ainsi qu’un cours de mise à niveau vers la langue officielle. Pris en charge à peu près dans les délais prévus, l’illettrisme à l’école pourrait devenir de l’histoire ancienne d’ici 5 ans. Les responsables gouvernementaux mettent souvent en évidence le fait que, meme s’il est souhaitable que la langue d'enseignement de la lecture dans les petites classes soit la langue officielle, il vaut mieux que les élèves en sortent assez vite et ne passent pas des années à étudier dans une langue locale. Étant donné la nécessité d’acquérir les compétences de base en lecture et en écriture, il est très possible d’appliquer cette politique souhaitée par les gouvernements. Page 1 d’un ancien manuel gambien : Méthode Syllabaire russe de 1915 globale d’apprentissage de la langue anglaise, Accessible à tous accessible généralement à ceux qui s’en sortent le mieux Un programme d’enseignement parcimonieux : apprendre à lire et à écrire en 100 jours Dans les pays à revenu élevé, les élèves sont exposés aux caractères imprimés avant l'école. Ils acquièrent donc rapidement des automatismes et une capacité à interpréter le texte. On s’attend de la même manière à ce que les populations pauvres progressent rapidement dans l’acquisition du sens et du contenu. Or l’apprentissage se fait en divisant des grands ensembles en plus petits éléments. Les enfants qui prennent du retard les premiers jours peuvent donc ne jamais le rattraper. L'échec de l’apprentissage précoce de la lecture dans les pays à faible revenu est dû au manque de capacités de base. La méthode proposée fournit le maillon manquant de la chaîne de découpage. Au cours des 100 premiers jours (soit environ 1 heure de cours par jour pendant quatre mois), les élèves apprennent les formes et les sons des lettres par l’intermédiaire de la stratégie de déchiffrage. À la fin de cette période, et pendant tout le reste de l'année scolaire, ils s’entraînent avec au moins une page de texte chaque jours pour acquérir des automatismes. De nombreuses études montrent qu’une vitesse minimale de lecture est nécessaire pour comprendre un texte (environ 45-60 mots par minute pour toutes les langues et les écritures), et que le 3 déchiffrage d’un mot dans une langue connue permet sa compréhension en une demi-seconde environ. Ce programme vise à établir progressivement une vitesse de lecture telle que les élèves arrivent à comprendre le sens littéral d’un texte après l’avoir lu assez rapidement pour pouvoir le garder en mémoire. Objectif : Une fois la première étape de 100 jours achevée, environ 85 % des enfants devraient être capables de nommer environ 80 % des sons des lettres. À la fin de la première année d’enseignement primaire, presque tous les élèves devraient être capables de lire, à des vitesses toutefois différentes. Pratiquement aucun élève ne devrait être incapable de ne lire aucun mot, ce qui est pourtant une situation assez répandue actuellement. Ce programme diffère en certains aspects, et non des moindres, de la plupart des autres programmes mis en œuvre dans le monde. Ses principes, maintes fois transgressés, conduisent à la crise de l'enseignement souvent observée aujourd’hui. Ces principes sont : - L’application de la recherche sur l'enseignement perceptif. Les enseignants doivent écrire de grandes lettres espacées, en utilisant par exemple toute une feuille pour écrire une lettre et s’en servir comme flashcard. L'habitude des caractères denses doit se créer progressivement. Les études sur l'attention spatiale indiquent que les élèves les plus faibles peuvent ne pas porter leur attention sur une lettre qui leur est montrée ou ne pas savoir l’isoler des autres formes inscrites au tableau. Les enfants peuvent donc être capables de répéter verbalement sans lier les formes apprises aux sons. Dans de nombreuses classes, 2 à 3 enfants sont invités à lire quelques mots au tableau à tour de rôle. Le reste des élèves de la classe peuvent mémoriser l'ordre des mots et donner l’impression de lire, mais ils répètent en fait seulement de mémoire. Pointer le tableau ou toucher les lettres dans les manuels scolaires peut aider à diriger son attention sur la bonne cible. Élève malawi-chichewa apprenant à lire : plusieurs Burkina Faso, ONG Solidar Suisse : analogies lettres sur une seule page et peu de pratique = phoniques détaillées, beaucoup de pratique (bien mauvais résultats. que les caractères soient denses) = un taux déclaré d'alphabétisation de près de 100 % - L’enseignement d’une seule lettre par heure de lecture. Pour faciliter les automatismes, les plus petits éléments possibles peuvent être enseignés en même temps. Les études indiquent que la complexité périmétrique est inversement proportionnelle à la probabilité d’apprendre une forme. Apprendre des lettres isolées (phonétique synthétique) prend donc moins de temps que des mots entiers. Il est utile de commencer à enseigner les lettres les plus courantes de la langue, pour pouvoir former de nombreux mots dès le début. Il est peu judicieux de s’attendre à ce que les enfants « lisent » les textes en leur montrant des images car beaucoup devinent à partir d’indices et disent le mot sans connaître les lettres. 4 Certains enfants répètent des mots sans regarder les lettres. Distance, taille, Enfant pointant vers le tableau et répétant densité des lettres et négligence de la part des enseignants peuvent sans savoir lire contribuer à ce problème - L’amélioration de la mémorisation des correspondances entre les lettres et les sons. Les enseignants doivent pointer la lettre cible et prononcer le son sans verbiage pour qu’elle « s’imprime » chez les enfants. Le son est « bbbb ». Prononcer le son plutôt que le mot, en omettant les voyelles superflues, est primordial. Les enfants doivent répéter et toucher la lettre dans leurs livres pour s'assurer qu'ils ne disent pas le son sans réfléchir. Un grand b sur le tableau ou sur une flashcard augmentera les chances que tous relient bien le son et la lettre, en particulier ceux qui sont assis plus au fond. Dans les classes nombreuses, l’enseignant pourra s’approcher des rangées du fond et poser directement ses questions à certains enfants plutôt que d'attendre qu’ils ne se désignent d’eux-mêmes. - Le repérage des récurrences et les permutations des lettres. L'esprit cherche les récurrences et les apprend vite. Les enfants sont des spécialistes du repérage des récurrences. L'apprentissage doit comprendre un enseignement explicite des règles et des récurrences de changement liées à divers sons et à des parties du discours. Celles-ci sont notamment les comparaisons (ka ba za da la et ak ab az ad al) et les contrastes (comme ka ki ku ke ko). La première lettre à enseigner peut être une exclamation courante (a !), et la seconde doit faire des permutations avec la première : ab ba. Des parties de plus en plus importantes sont ainsi formées. - Le recours aux mots inventés durant les premières leçons. Pour réduire le temps de réaction face aux lettres, les élèves doivent lire une page par jour, et pas seulement quelques mots. Pour atteindre cet objectif lors des premières leçons cruciales où peu de mots significatifs sont formés, des mots inventés conformes aux règles d'une langue sont proposés : aba, bab, baab, abba. (Les enfants doivent être prévenus que ceux-ci n’ont pas de sens.) Au bout de 10 lettres apprises, les mots inventés perdent leur utilité. Les courbes d'apprentissage illustrent le pouvoir de la pratique 5 - La pratique autonome de la lecture accélère l'identification des lettres jusqu’à l’acquisition finale des automatismes. La lecture lente incite à lire à voix haute et à suivre le texte du doigt, mais l’automatisme permet d’enclencher la lecture silencieuse. Les enfants doivent lire et relire les textes plusieurs fois. Ils doivent lire jusqu'à ce qu'ils identifient instantanément chaque lettre et lisent couramment et sans effort. La moitié du temps de classe doit peut-être être consacrée à cette activité, ce que les meilleurs élèves Pirolli and Anderson (1985) peuvent faire à la maison. Au départ, les élèves font des erreurs et s’arrêtent Les participants qui se sont rapidement, mais les enseignants doivent les aider à rester concentrés sur leur entraînés à lire des phrases ont réduit leur temps de réaction de tâche. Les élèves doivent si possible avoir des devoirs de lecture à la maison 1,4 secondes à 0,7 secondes en tous les soirs pour stabiliser leur mémoire avant d’aller se coucher. Ils doivent 25 jours lire à leurs parents. - Les observations même brèves pour tous. Les observations sont essentielles pour améliorer ses performances, mais de nombreux enseignants ne font que « diffuser des informations » à toute la classe et interagir surtout avec les meilleurs élèves. Les élèves qui ne se font pas aider à la maison échouent car ils ne pratiquent pas ou trop peu et ne reçoivent aucun commentaire sur leurs performances. Des observations brèves et systématiques sont donc nécessaires. L'enseignant doit passer auprès de chaque enfant et les écouter lire pendant près de 5 secondes. C’est faisable même dans les classes nombreuses. Au bout de quelques semaines, les meilleurs élèves peuvent suivre les autres. Les élèves qui ont manqué des cours doivent être placés à côté de ceux qui savent déjà, ou recevoir une rapide mise à niveau. Si tout se déroule comme prévu, cette activité ne devrait laisser aucun enfant à la traîne. Pendant les 100 premiers jours d'un cours « d'urgence », l’écrit peut être laissé un peu de côté. L'écriture favorise la mémoire des formes, mais c’est une tâche fastidieuse qui prend sur le temps précieux d'enseignement. La recherche sur la mémoire procédurale indique que les élèves ont tendance à écrire plus facilement une fois qu'ils connaissent l'ordre des lettres à écrire. Une première semaine d'activités d'initiation peut comprendre de l'écriture, des contes, et des exercices de sensibilisation phonologique. Ces exercices oraux peuvent aider à relier les lettres aux sons. Des études indiquent cependant que les enseignants ont du mal à réaliser cette tâche, et les résultats sont peu concluants quant à sa valeur ajoutée dans les langues à l’orthographe systématique. En revanche, les exercices sur la sensibilisation au ton sont primordiaux, étant donné l’importance des langues tonales en Afrique. Optimiser la formation des enseignants et des superviseurs Les enseignants à la formation limitée peuvent avoir des difficultés à retenir et à exécuter des méthodes à plusieurs étapes et à choix multiples (surcharge cognitive). Tous ces principes doivent être intégrés dans une routine quotidienne divisée en un petit nombre d’étapes simples, séquentielles, faciles à suivre et faciles à réaliser en une heure de cours. La recherche propose quelques idées sur le nombre d'étapes pouvant devenir des automatismes chez les enseignants à niveaux variables de capacité. Une variable de substitution possible pour cela et peut-être aussi pour leur capacité à lire les guides d’enseignant est la vitesse de lecture et leur capacité à comprendre un message et à l’exécuter. Ceci peut être une bonne méthode de suivi, mais c’est aussi un élément important pour la recherche future. 6 Gambie : la lecture autonome, l’enseignant Bangladesh : un enseignant écoute un enfant lire une passe près de chaque enfant (2011) minute par jour (ONG Gono Shahaja Shangstha) Pour être efficaces, les enseignants doivent être formés à surveiller le temps et à se sensibiliser aux motivations intrinsèques qui augmenteront leurs chances d’exécuter les tâches sans la présence d’un superviseur. Les enseignants doivent être formés sur les raisons d’être à l'heure, d’occuper les élèves à chaque instant, et d’aider toute la classe plutôt que les meilleurs. En outre, les enseignants formés à enseigner dans les langues locales doivent apprendre à savoir les lire, dans la mesure où ils ne l’ont sûrement pas fait avant. Un certain nombre d'enseignants peuvent connaître plusieurs langues, donc maîtriser le vocabulaire de chacune d’entre elles ainsi que les manuels scolaires est important. Les conférences et les démonstrations ponctuelles peuvent ne pas suffire à les aider à mettre leur savoir en pratique par la suite et dans un contexte différent de celui où la formation a été donnée (la mémoire est codée en fonction du temps et l'espace). Pour faciliter la formation des enseignants peu formés, la recherche sur l'enseignement par observation peut être appliquée. Les enseignants peuvent regarder plusieurs fois des vidéos courtes sur les comportements souhaités et mettre en pratique ce qu'ils voient, en plus de discuter sur les raisons de ces comportements. La technologie de création et de lecture de ces vidéos même dans les régions sans électricité est aujourd’hui assez simple, mais il faut d’abord essayer puis affiner le processus pour pouvoir le mettre en œuvre à grande échelle. Les défis énoncés plus haut rendent importante la présence d’un corps de superviseurs ou de formateurs qui viennent voir régulièrement les enseignants. La formation des directeurs d'école est également essentielle. Un superviseur doit idéalement être nommé pour 12 ou 15 enseignants qu’il viendra voir environ une fois toutes les deux semaines. Les superviseurs sont souvent des enseignants expérimentés, choisis dans les classes où ils enseignent avec efficacité. Les coûts et la logistique des visites régulières sont une composante importante de la programmation. Cours écrits à l’avance ou guides succincts pour les enseignants L'idée de donner à lire aux enseignants des leçons écrites à l’avance a gagné en popularité. Cela peut en effet s’avérer utile pour les niveaux scolaires supérieurs et les langues à l’orthographe plus complexe, comme l'anglais ou le français. Le taux d'utilisation reste pourtant une préoccupation. Une raison possible à cela est le volume. Les leçons et les guides déjà rédigés sont souvent écrits en caractères serrés par des personnes qui lisent beaucoup plus rapidement que les enseignants. 7 Pour des raisons pragmatiques, un programme devra être préparé par des enseignants non formés en vue d’une mise en œuvre à grande échelle. Les enseignants se déplacent souvent et les enseignants formés sont inévitablement remplacés par des enseignants non formés. Il peut être souhaitable de fournir de brèves instructions destinées aux enseignants dans les manuels scolaires, avec une encre de couleur différente. Les instructions peuvent également être placées à la fin du livre, afin de ne pas perturber les élèves. Il peut y avoir une version pour enseignants et versions pour élèves, bien que ce niveau de complexité soit peut-être un peu excessif. Cambodge - en attendant la sonnerie : les Conception de manuels scolaires pour un enseignement besoins en formation pour une meilleure efficace de la lecture utilisation du temps de l’enseignement Le programme nécessitera de nouveaux manuels, qui, à certains égards, ressembleront aux syllabaires d’il y a 100 ans. Lorsque des manuels scolaires en langue locale existent, un premier supplément d'enseignement lettre par lettre pourra être inséré avant les textes existants, plus complexes. Un aspect tout aussi important est la livraison ponctuelle des manuels aux écoles. Les difficultés inhérentes à cette tâche sont bien connues, et des mesures doivent être prises pour les relever dès le début. Sans manuels scolaires, les activités de lecture se réduisent inévitablement à l’écriture au tableau de textes limités que les élèves mémorisent rapidement et récitent machinalement, sans identifier les lettres ou sans les lier avec les sons. Les manuels scolaires doivent présenter chaque lettre et comprendre des combinaisons systématiques. Chaque page d'un livre de débutant doit maximiser la quantité de texte. Les études sur la perception visuelle indiquent que lors des deux premières années d’école primaire, les lettres doivent avoir une police d’au moins 24 points sans-serif (comme la police SIL Andika), les lignes avoir un double interligne, et les lettres 3 espaces entre elles. L'utilité des photos à l’acquisition de l’automatisme est contestable, donc quelques photos en plus des mots-clés sont acceptables. Pour maximiser la pratique, et ce malgré le peu de caractères, les manuels scolaires doivent comporter environ 4 000 mots (environ 150 pages, selon le format). Il est préférable que les analogies et les textes soient rédigés en séquence linéaire, de sorte que les enseignants à formation limitée ou inexistante puissent suivre les livres page par page. Les livres écrits dans les langues à l’orthographe systématique sont relativement faciles à rédiger, car après avoir appris l’association de lettres de base, on peut écrire n’importe quel mot (en écritures romaines ou Taille des caractères et la densité jugés normale en 1982 et en autres). Contrairement aux textes de niveau 2010. Les lecteurs débutants peuvent lire plus faciement la primaire requis pour l'anglais et le français, le première police vocabulaire doit être testé seulement pour 8 vérifier les connaissances. Comme il s'agit d'une tâche simple, les équipes d'enseignants peuvent préparer ces manuels en une semaine. Les langues locales ont souvent peu de supports matériels, mais de nombreux récits existent déjà et peuvent être adaptés assez rapidement. Les lettres les plus fréquentes doivent être données en premier, et les mots réels ou fabriqués composés uniquement à partir de ces lettres. Les lettres minuscules doivent être enseignées séparément des lettres capitales, une par une2. Les contrôles doivent se faire au bout de 4 lettres. En raison la surcharge visuelle, les mots plus courts sont préférables pour commencer. Dans le cas des langues bantoues, par exemple, il peut être utile de mettre au début des espaces entre les segments constitutifs. Sensibilisation de la communauté. On pense parfois dans les communautés que les langues locales sont pour les populations pauvres et les langues formelles pour les mieux lotis. Certains parents peuvent se dire : « Mon enfant connaît notre langue, je l’envoie donc à l'école apprendre l'anglais. » Un programme en langue locale doit faire face à ces questions. Il est nécessaire d'expliquer clairement les avantages de l'enseignement de la langue locale à travers le marketing social ou d'autres initiatives du même genre. Les sociétés multilingues ont souvent plus de langues que ce que les gouvernement peuvent réellement utiliser. La question se pose donc de savoir comment enseigner à lire aux enfants dont la langue maternelle n'a pas été sélectionnée pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Même quand il s’agit d’apprendre une nouvelle langue, les avantages d’une orthographe simple peuvent l'emporter sur les coûts. En première année d’enseignement primaire, les enfants continuent d’apprendre les langues facilement grâce à l'interaction personnelle (par exemple, à la récréation ou sur le marché). Certaines études indiquent qu'ils peuvent faire mieux que d'étudier dans la langue officielle. Sauf en cas de problèmes politiques, les enfants peuvent profiter de la simplicité de l'orthographe en apprenant à lire et à écrire dans une langue similaire ou qu'ils connaissent partiellement. La « négociation sociale » a été mise à l’œuvre dans des pays comme le Burkina Faso pour entrer en contact avec les communautés et obtenir un accord sur la langue d'enseignement lorsque plusieurs options sont possibles. Évaluation des résultats en lecture L’acquisition réussie de la lecture peut se mesurer en termes de sons de lettres correctement identifiés en général, ainsi qu’en termes de vitesse de lecture des lettres (savoir automatiquement nommer la lettre au hasard). On pourra mesurer le nombre de mots par minute dans le texte, en plus des questions de compréhension. L’écriture et la dictée pourront être enseignées dans la seconde moitié de l'année. Contrôler le rythme de mise en œuvre pendant le cours est très important. Les superviseurs doivent noter le numéro de la leçon enseignée lors de leurs visites dans les classes, si les enseignants adoptent bien le comportement souhaité, et contrôler au hasard les connaissances des élèves. Une mesure novatrice à introduire est le temps de réaction aux lettres et aux mots. Avec les affichages sur ordinateur (programmés avec Matlab), les millisecondes nécessaires à l'identification du stimulus peuvent être contrôlées jour après jour. Ainsi, le progrès de l’acquisition de l'automatisme peut être documenté. C’est un aspect important de recherche sur les programmes de lecture qui permet de rendre les interventions beaucoup plus précises. 2 La calligraphie, écriture cursive, est populaire en Afrique, mais elle doit être évitée jusqu'à ce que l’aire de forme visuelle des mots ait été suffisamment activée, et que les élèves voient les lettres calligraphiques comme des alternatives aux prototypes. 9 Il est bien sûr extrêmement souhaitable de mener des recherches et des évaluations ciblées afin d’affiner d’autant plus précisément le modèle. Mais des enfants sont en train d’abandonner l’école au moment même où ces lignes sont écrites, et chaque minute compte. Espérons que la recherche fera partie des évaluations qui accompagneront les interventions. Résultats des programmes d’enseignement de la lecture et de l’écriture suite aux recommandations du GPE Le GPE s’est engagé à fournir des conseils techniques répondant à la demande à plusieurs pays. Dans deux d’entre eux, le Cambodge et la Gambie, des projets pilotes ont déjà été réalisés. Les résultats ont été impressionnants en comparaison avec les écoles de contrôle, et aussi avec d'autres méthodes. - Au Cambodge, une application pilote dans 100 écoles a permis d’améliorer les résultats d'une année sur l'autre pour toutes les mesures. La lecture des lettres par minute a augmenté par exemple de plus de 100 % (de 30 à 63), celle des mots par minute de 63 % (de 23 à 35), et la compréhension de 70 % (de 48 % à 68 %). Au bout d’un an d’essai, la méthode a été étendue à l'ensemble du pays. - En Gambie, un projet pilote a été appliqué à 125 écoles, mais seulement 50 % des cours en moyenne ont été mis en œuvre. Le pourcentage des élèves de première année connaissant au moins 80 % des lettres était pourtant de 69 % en peul, et de 57 % en wolof (l’objectif était d’atteindre 85 % des enfants). Le projet pilote a été étendu et pourrait devenir national d’ici un an. - Le GPE a également fourni des conseils techniques à un projet de USAID en Égypte, mis en place selon les mêmes principes. Au bout de six mois d'application en niveau de deuxième année d’école primaire, les taux de lecture courante des mots et des textes ont doublé par rapport à deux ans plus tôt (en passant respectivement de 7 à 15 et de 11 à 21 mots par minute, la lecture des syllabes a triplé en passant de 10 à 28 syllabes par minute. En revanche, les mêmes mesures dans les écoles de contrôle ne se sont améliorées que de 27 % environ. Le pourcentage d'élèves ne sachant lire aucun mot correct a été réduit de moitié dans les écoles du projet (de 44 % à 21 %), tandis que dans les écoles de contrôle, il ne s'est amélioré que de 10 %. Le programme a été étendu à l'ensemble du pays. Les résultats ci-dessus ont été obtenus au bout d’un an de mise en œuvre seulement. Une participation plus active et un accent mis sur les variables primordiales devraient permettre non seulement d'atteindre l'objectif de 85 %, mais aussi de le surpasser, malgré les inefficiences des systèmes éducatifs et les difficultés que représente l’extension du projet. L’acquisition précoce de la lecture mettra les élèves sur le chemin de la compréhension et de la cognition complexe, actuellement rarement atteignable. Savoir lire et écrire remplira donc simultanément les objectifs d'équité. Stratégie de transposition vers la langue officielle pour les sociétés multilingues Il est important que les populations pauvres ne prennent pas de retard dans les programmes officiels durant l’apprentissage des langues locales. Réussir à suivre le rythme du programme officiel est possible en divisant le programme quotidien des deux heures habituelles de cours de langue en deux : (a) lecture dans la langue locale comme décrit plus haut, et (b) enseignement oral dans la langue officielle (anglais, français, portugais, arabe classique le cas échéant). L’enseignement des langues peut être optimisé à l’aide de plusieurs méthodes (qui sortent du sujet de ce document). Plus simplement, les enseignants peuvent utiliser les manuels de première année de primaire qui existent généralement dans différents pays. Dans ce cas, seul l'enseignant a besoin du manuel. 10 En deuxième et troisième année d’école primaire, une fois que les élèves arrivent à lire couramment dans les langues locales, ils auront besoin d'un cours de mise à niveau explicite sur la manière de lire dans les langues officielles (en supposant que c’est la même écriture). Les études indiquent que suivre cet itinéraire facilite grandement l’acquisition de la lecture et de l’écriture dans le système de l'orthographe de la langue officielle. Cours de soutien pour les illettrés – apprendre à lire et à écrire en 100 jours Les procédures ci-dessus peuvent être utilisées comme outil de cours de soutien pour les élèves illettrés de la deuxième à la sixième année d’enseignement (du CE1 à la 6ème dans le système français). Les élèves plus âgés, en particulier, ont une plus grande mémoire de travail et une meilleure capacité à exécuter. Ils seraient capables de réaliser ce programme en moins de temps qu’il n’était nécessaire pour les élèves de première année. En principe, les élèves parlent d’abord couramment une langue locale, reçoivent un cours de mise à niveau pour apprendre à lire dans la langue officielle, puis sont réinsérés dans leurs niveaux respectifs pour pratiquer davantage en lisant leurs manuels scolaires. On suppose que les élèves illettrés des classes de niveau avancé ont une certaine connaissance de la langue officielle, mais cette hypothèse reste à prouver. Si la logistique au niveau des écoles permettait l’enseignement aux illettrés en deux vagues par an, des écoles entières atteindrait un niveau zéro d’illettrisme en deux, trois ans. En étendant le programme, des pays entiers pourraient atteindre ce résultat. La possibilité d’étendre le programme repose sur une chaîne serrée de causalité et sur l’efficacité. Les étapes doivent tout d’abord être optimisées afin que les petits projets pilotes contrôlés connaissent un succès de près de 100 %. La généralisation de tout projet pilote présente des défis administratifs et d’autres difficultés, ce qui réduit inévitablement l'efficacité. L'espoir est que même après la présentation des inefficiences des systèmes éducatifs, une chaîne serrée de causalité permettra à 80 % des élèves de savoir lire et écrire. 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