FRANÇAIS AVRIL 2020 I VOLUME 21 UNE ANALYSE DES ENJEUX FAÇONNANT L’AVENIR ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE Résumé analytique É VA L U AT I O N D E L’ I M PAC T ÉC ONOMIQUE D U C OVID -19 E T DE S RÉ P O N S E S P O L I T IQUES EN AFRIQUE SUBSAH ARIENNE RAPPORT DU BUREAU DE L’ÉCONOMISTE EN CHEF DE LA RÉGION AFRIQUE REMERCIEMENTS Ce rapport a été produit par le Bureau de l’économiste en chef pour la région Afrique sous la supervision de Hafez Ghanem. L’équipe principale, dirigée par Albert G. Zeufack et Cesar Calderon, comprenait Gerard Kambou, Calvin Z. Djiofack, Megumi Kubota, Vijdan Korman et Catalina Cantu Canales. Le rapport a bénéficié des précieuses contributions de John Baffes, Paul Brenton, Andrew Burns, Benoit Philippe Marcel Campagne, James Cust, Vicky Chemutai, Hasan Dudu, Aparajita Goyal, Yuto Kanematsu, Woubet Kassa, Patrick Alexander Kirby, Maryla Maliszewska, Zainab Usman et Jinxin Wu. Il a également été enrichi des commentaires de Thomas O’Brien, Bella Bird et David Peters (Université Johns Hopkins). D’autres commentaires ont été fournis par Moussa Blimpo, Diego Arias Carballo, Jean-Pierre Chauffour, Amy E. Copley, Mark Dutz, Ede Jorge Ijjasz-Vasquez, Naira Kalra, Wilfried Kouame, Ramaele Moshoeshoe, Vijay Pillay et Fulbert Tchana Tchana. L’édition a été assurée par Sandra Gain. La version électronique et imprimée a été réalisée par Bill Pragluski et la couverture conçue par Rajesh Sharma. Maura K. Leary ainsi que Loy Nabeta, Aby K. Toure, Stephanie Andrea Crockett, Elena Lucie Queyranne ont assuré la gestion de la communication avec les médias ainsi que la diffusion du rapport avec le soutien de l’équipe Communications et Partenariats de la région Afrique (AFREC). Beatrice Berman, Rose-Claire Pakabomba et Kenneth Omondi ont fourni un soutien à la production et à la logistique. AVRIL 2020 | VOLUME 21 Ce rapport a été préparé par le Bureau de l’économiste en chef de la région Afrique ÉVA L UAT IO N D E L’IM PAC T É C O NO M I QU E DU C O V I D- 19 E T DES RÉP O N S E S P O L IT IQ U E S E N A F R I QU E S U B S A HA R I E N N E © 2020 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/La Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington, DC 20433 Téléphone : 202–473–1000 ; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 23 22 21 20 La publication originale de cet ouvrage est en anglais sous le titre de : Africa’s Pulse, No. 21. En cas de contradictions, la langue originelle prévaudra. Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. 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Licence : Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO Traductions — Si une traduction de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source de l’ouvrage le déni de responsabilité suivant : Cette traduction n’a pas été réalisée par la Banque mondiale et ne doit pas être considérée comme une traduction officielle de cette dernière. La Banque mondiale ne saurait être tenue responsable du contenu de la traduction ni des erreurs qu’elle pourrait contenir. Adaptations — Si une adaptation de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source le déni de responsabilité suivant : Cet ouvrage est une adaptation d’une oeuvre originale de la Banque mondiale. Les idées et opinions exprimées dans cette adaptation n’engagent que l’auteur ou les auteurs de l’adaptation et ne sont pas validées par la Banque mondiale. Contenu tiers — La Banque mondiale n’est pas nécessairement propriétaire de chaque composante du contenu de cet ouvrage. 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ISBN (digital): 978-1-4648-1569-0 DOI: 10.1596/978-1-4648-1569-0 Conception de la page de couverture : Rajesh Sharma Résumé analytique u La pandémie du COVID-19 a déjà coûté cher en vies humaines et a gravement perturbé l’activité économique dans le monde. L’impact de cette crise sans précédent sur la vie humaine et sur l’économie mondiale reflète la vitesse et la gravité de la contagion, une plus grande intégration des marchés, et le rôle majeur que joue la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les voyages et les marchés de matières premières. u Malgré une arrivée tardive, le virus s’est rapidement propagé en Afrique subsaharienne ces dernières semaines. Au quatre avril, 5 425 cas de COVID-19 étaient confirmés dans 45 des 48 pays d’Afrique subsaharienne. Vu l’insuffisance des capacités de test dans de nombreux pays de la région, il est probable que ce décompte sous-estime le nombre réel d’infections. u Nous prévoyons que la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4% en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Les pertes de production dans la région pour 2020 vont se chiffrer entre 37 milliards et 79 milliards d’USD. La révision à la baisse de la croissance en 2020 reflète les risques macro-économiques découlant de la chute brutale de la croissance du PIB des principaux partenaires commerciaux de la région, particulièrement la Chine et la zone euro, de la baisse des prix des matières premières, de la réduction de l’activité touristique dans de nombreux pays ainsi que des effets des mesures destinées à maîtriser la pandémie mondiale du COVID-19. u Le COVID-19 frappe les trois plus grandes économies de la région (le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Angola) dans le contexte d’une faiblesse persistante de la croissance et des investissements, et d’un déclin des prix des matières premières. Les prix du pétrole brut et des métaux industriels ont fortement baissé (de 50 et 11 % respectivement entre décembre 2019 et mars 2020). Les simulations des modèles suggèrent que, comparé à un scénario de référence sans COVID-19, la croissance moyenne du produit intérieur brut (PIB) réel dans ces trois pays pourrait connaitre une réduction allant jusqu’à 6,9 points de pourcentage en 2020 dans un scénario de crise grave mais circonscrite, et jusqu’à 8 points de pourcentage dans un scénario de crise prolongée en deux phases. L’Afrique du Sud a le plus grand nombre de cas confirmés dans la région et les mesures strictes de lutte contre le virus et d’atténuation de ses conséquences pèsent sur son économie. u Généralement, les pays dépendants des exportations minières et pétrolières devraient être les plus durement frappés. La chute de la croissance pourrait atteindre jusqu’à 7 points de pourcentage dans les pays exportateurs de pétrole et jusqu’à 8 points de pourcentage dans les pays exportateurs de métaux, ceci par rapport à un scénario de référence sans COVID-19. u Dans les pays ne disposant pas de grandes ressources naturelles, la croissance devrait ralentir, mais rester positive. Elle va s’affaiblir de façon substantielle dans les deux zones de croissance rapide, l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest où l’épidémie se propage rapidement, et la Communauté d’Afrique de l’Est, à cause de la faiblesse de la demande extérieure et des perturbations des chaînes de valeur et des productions nationales. L’activité dans les pays dépendants du tourisme devrait également se contracter fortement en réponse aux fortes perturbations dans les voyages et les activités touristiques. u Dans le scénario de crise grave mais circonscrite et dans le scénario de crise prolongée en deux phases, la croissance va tomber en dessous du taux régional moyen de croissance démographique de 2,7 %, ce qui veut dire qu’en l’absence de mesures d’atténuation appropriées, l’épidémie de COVID-19 va avoir un impact profond sur le bien-être d’un grand nombre de personnes dans la région. u L’impact négatif de la crise du COVID-19 sur le bien-être des ménages devrait être également considérable. Dans un scénario de crise grave, les pertes de bien-être en 2020 s’élèvent à 7 % par rapport un scénario de référence sans COVID-19, mais pourraient atteindre 10 % si la crise devait se prolonger. La détérioration des termes de l’échange (à la suite à l’effondrement des prix des produits de base) combinée à une baisse de l’emploi se traduit par une forte perte de bien-être pour les ménages. A F R I C A’ S P U L S E > 1 u Des stratégies ayant pour résultat des blocages des échanges sous-régionaux vont accroître les coûts de transaction et mener à des pertes de bien-être encore plus fortes. En Afrique, une région qui dépend des produits agricoles, ces stratégies auront un impact disproportionné sur le bien-être des ménages à cause des augmentations de prix et des déficits d’approvisionnement. u Si les pays devaient fermer leurs frontières au commerce (scénario de non-coopération en Afrique) les pertes de bien-être se montent à 14 % par rapport au scénario de référence sans COVID 19. La fermeture des frontières affecterait de façon disproportionnée les populations pauvres, en particulier les ouvriers agricoles ou la main d’œuvre non qualifiée du secteur informel. Dans ce contexte, les pays africains doivent saisir cette occasion pour renforcer les chaînes de valeur régionales dans le cadre de l’Accord de libre-échange continental africain. u La crise du COVID-19 contribue également à accroître l’insécurité alimentaire avec, dans plusieurs pays africains, une dépréciation des monnaies combinée avec une augmentation du prix des denrées de base. Cette crise s’ajoute à d’autres crises qui affectent plusieurs endroits du continent, y compris les invasions de criquets pèlerins, la sécheresse, le changement climatique, la fragilité, les conflits, la violence et le sous-développement des marchés alimentaires. Bien que les stocks alimentaires mondiaux soient abondants et que les prix de nombreux produits de base soient stables, les prix d’autres denrées (tel que le blé et le riz) augmentent alors que les monnaies de plusieurs pays se déprécient. La combinaison de ces deux facteurs fait flamber les prix aux consommateurs et contribue à accroître l’insécurité alimentaire, en particulier dans les pays importateurs de produits alimentaires. Simultanément, les revenus des ménages sont en baisse entraînant une réduction de la demande, avec pour résultat l’insécurité alimentaire pour les ménages presque pauvres, pauvres ou vulnérables tels que les réfugiés et les déplacés internes. u Les chaînes d’approvisionnement agroalimentaire locales enregistrent déjà des perturbations, y compris un accès réduit aux intrants et aux services, des mouvements de main-d’œuvre, des blocages au niveau des transports et des routes, ainsi que des difficultés d’accès au crédit ou aux liquidités. Ces perturbations s’ajoutent aux perturbations des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial telles que les interdictions d’exporter qui affectent la sécurité alimentaire de pays africains importateurs de denrées alimentaires. Il y a donc un besoin urgent de réponses politiques mieux coordonnées, fondées sur les faits, et accompagnées de financements, de façon à éviter une crise alimentaire majeure en Afrique résultant du COVID-19. u Le COVID-19 est susceptible de créer une grave crise en termes de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. La contraction de la production agricole pourrait aller de 2,6 % dans le scénario de crise grave jusqu’à 7 % dans le scénario e non coopération avec blocages commerciaux. Les importations alimentaires baissent également de façon considérable (de 13 à 25 %) en raison de la combinaison de coûts de transaction plus élevés avec une demande intérieure réduite. u Ces constats reflètent les multiples canaux de transmission du COVID-19 sur l’activité économique en Afrique subsaharienne. Le premier est constitué par les perturbations des échanges et des chaînes de valeur, qui affectent les exportateurs de produits de base de la région (à la suite de l’effondrement des cours internationaux du pétrole, des minéraux et des métaux) ainsi que les pays fortement intégrés dans des chaînes de valeur (par exemple, l’Éthiopie et le Kenya). Le deuxième canal est constitué par la réduction des flux de financement étrangers sous forme d’investissements direct étrangers (IDE) (en particulier les investissements dans les industries extractives et les infrastructures), de l’aide étrangère, des transferts de fonds, des recettes du tourisme, et par la fuite des capitaux (témoin la sortie de 1,75 milliard d’USD des portefeuilles sud-africains observée au cours du mois de mars). Le troisième canal de transmission est le secteur de la santé avec l’impact direct qu’a le COVID-19 sur l’activité économique en raison de l’ampleur de la propagation du virus dans la région (tant en termes du nombre de personnes affectées que du nombre de décès). Le quatrième canal est constitué par les perturbations qu’entraînent les mesures de confinement imposées par les autorités nationales et la réponse de la population. De manière combinée, la faible demande extérieure, la chute brutale des prix des produits de base et le bouleversement du secteur touristique résultant du COVID-19 vont avoir un effet négatif sur l’activité économique en Afrique subsaharienne. 2 > A F R I C A’ S P U L S E u Les déficits des comptes courants dans la région vont se creuser à cause de la détérioration des balances commerciales suite à la baisse des exportations. Une hausse du sentiment de risque a affaibli les monnaies africaines et a amplifié les risques budgétaires, ce qui s’est reflété par un creusement marqué des écarts de taux d’obligations souveraines dans certains pays (par exemple, l’Angola et la Zambie). Au Nigéria, les pressions exercées sur les réserves de change ont incité la banque centrale à accepter pour la première fois depuis la mi 2016 une dépréciation du naira par rapport au dollar US. L’inflation dans les pays reste en dessous de 10 %, ce qui a permis aux banques centrales de réduire les taux d’intérêt pour soutenir leurs économies. Le faible niveau des entrées de capitaux pourrait forcer certains pays à financer leur déficit du compte courant en prélevant sur leurs réserves, ce qui les exposerait à de nouvelles dépréciations de la monnaie et partant, à des pressions inflationnistes. u Les déficits budgétaires, selon les prévisions, devraient se creuser dans le contexte d’une baisse des recettes publiques. La détérioration des positions budgétaires devrait être plus importante dans les pays exportateurs de matières premières ou dépendants de recettes touristiques. Les pays riches en pétrole revoient leurs budgets nationaux pour 2020, dont les hypothèses de prix sont plus élevées que le prix moyen du pétrole brut. u Au niveau mondial, les données recueillies suggèrent que la déstabilisation économique provoquée par la pandémie du COVID-19 est forte, et que l’économie mondiale s’enfonce dans une récession. La production industrielle, les investissements, les ventes au détail et les prestations de services se sont brutalement contractés en Chine au cours du premier trimestre de 2020. Des contractions d’un même ordre de grandeur devraient se produire dans d’autres pays, y compris aux États-Unis et dans la zone euro, où les épidémies locales combinées aux mesures strictes de confinement vont peser sur l’activité économique. u Les prix de la plupart des matières premières ont baissé, avec une chute marquée des prix du pétrole brut et des métaux industriels. De plus, les marchés boursiers mondiaux ont été volatils et ont dégringolé en réponse aux incertitudes quant à la durée et aux effets de la pandémie du COVID-19. Les marges sur les emprunts à haut risque se sont élargies et les monnaies des économies émergentes et en développement (EED) se sont rapidement dépréciées. En mars 2020, les sorties de capitaux des EED dépassaient celles observées au pire de la crise financière mondiale de 2008, la plupart de ces sorties provenant d’EED autres que la Chine. RÉPONSE POLITIQUE AU COVID-19 Une réponse politique africaine différenciée est absolument nécessaire u Adapter la réponse politique de manière à refléter les caractéristiques structurelles des économies africaines et les contraintes particulières auxquelles sont confrontés les responsables politiques, notamment le rétrécissement considérable de l’espace budgétaire et la forte diminution de la capacité opérationnelle de réponse. Plusieurs pays africains ont réagi rapidement et de façon décisive pour enrayer l’apparition et la propagation du COVID-19, en s’inspirant de l’expérience internationale émergente. Avec l’évolution de la situation, de nouvelles questions se posent quant à la pertinence et l’efficacité probable de certaines de ces politiques, telles que les mesures strictes de confinement. La taille importante du secteur informel (89 % de l’emploi total), la précarité de la plupart des emplois, la couverture limitée des régimes de pension et d’assurance-chômage, et la prédominance des micro, petites et moyennes entreprises dans les activités d’affaires (90 %) devront toutes être prises en compte, car elles risquent d’affecter l’efficacité des mesures agressives de confinement. Protéger les groupes vulnérables, intensifier les tests et encourager le port de masques pourraient s’avérer être des meilleures options. Tout aussi importante est la nécessité de différencier les réponses en matière de politique monétaire étant donné la faiblesse de la transmission monétaire dans des pays dont les marchés financiers sont sous-développés. À cause de l’efficacité réduite des politiques monétaires, la réponse politique sera donc essentiellement budgétaire. u Centrer la stratégie sur le double objectif de sauver des vies et protéger les moyens d’existence. Ceci implique à court terme une combinaison de mesures palliatives et de mesures de stimulation pour A F R I C A’ S P U L S E > 3 garder l’économie en état de marche. Les mesures devraient viser à renforcer les systèmes de santé, à fournir aux travailleurs (formels et informels) une aide en espèces et en nature, à fournir un soutien de trésorerie aux entreprises viables (formelles ou informelles), et à garantir la prestation des services publics. u Vu les contraintes budgétaires, priorité devrait être donnée au renforcement des capacités humaines et techniques de santé publique de façon à répondre à la crise du COVID-19. Il faudrait réorienter les ressources vers la protection du personnel de santé, et équiper ce dernier de tous les équipements de protection nécessaires pour éviter de perdre davantage de personnel médical déjà en nombre limité. Il faudrait aussi déployer des efforts pour étendre les tests, et dans la mesure du possible, procéder à des tests de surveillance, y compris dans les zones rurales. Sur le plan organisationnel, il sera indispensable d’établir un centre de commandement au niveau national dirigé par de hautes personnalités scientifiques, et assurer la coordination au sein du gouvernement (représentant du chef de l’État et principalement ministères responsables de la Santé et de l’Économie et des Finances), ainsi qu’avec des entités du secteur privé. u L’expérience acquise au cours de la gestion de la crise de l’Ebola offre d’importantes leçons. Un engagement massif des communautés assurant à la population un flux d’informations crédibles a joué un rôle essentiel. En plus des villes, la résolution de problèmes au niveau des villages, y compris assurer l’accès à l’eau et au savon pour se laver les mains, et pratiquer la distanciation sociale, sera indispensable au succès. La résolution des problèmes au niveau communautaire a eu un rôle clé au Libéria au plus fort de la crise de l’Ebola. Ceci est particulièrement vrai dans des pays dont le gouvernement central manque de crédibilité auprès des populations ou a perdu sa crédibilité. u Mettre en œuvre un programme de protection sociale pour aider les travailleurs, en particulier ceux du secteur informel. Les transferts en espèces sont les instruments les plus utilisés dans la majorité des pays en développement, y compris certains des pays d’Afrique subsaharienne. Certaines des mesures mises en œuvre actuellement comprennent des paiements en ligne, des transferts en nature (distribution d’aliments), des aides sociales pour les personnes handicapées ou âgées, des subventions salariales pour empêcher des licenciements massifs, et la gratuité pour certains services de base (par exemple, les tarifs de l’électricité et les transactions d’argent mobile). u Minimiser les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire intra-africaines, et maintenir ouverts les couloirs logistiques pour éviter l’apparition d’une crise alimentaire dans la région. Des technologies numériques peuvent aider à anticiper les problèmes et à pallier les pénuries temporaires, ainsi qu’à développer la résilience des chaînes alimentaires. Les systèmes d’alerte précoce de pénuries alimentaires et les systèmes associés d’approvisionnement alimentaire d’urgence devront être ajustés pour accroître l’attention portée aux zones rurales et urbaines. u La coordination régionale peut renforcer la réponse politique. À un moment où des pays choisissent des solutions nationales et des politiques autarciques ou n’ont pas la coordination voulue de leurs efforts, l’Afrique doit intensifier ses actions en vue de l’intégration économique et de l’approfondissement de la coopération régionale. Des priorités existantes avant la crise du COVID-19, telles que la mise en œuvre de la zone de libre-échange continental africaine (ZLEC), l’augmentation du commerce intrarégional, le développement de marchés énergétiques régionaux ainsi que l’inclusion numérique et financière, restent d’une importance critique. u De façon générale, la réponse politique à la crise du COVID-19 en Afrique a besoin d’être différenciée. Les politiques adaptées aux besoins de pays avancés et vieillissants ne répondent pas nécessairement aux besoins de pays à faible revenu dont la population est pauvre et jeune. Un effondrement de l’activité économique résultant de mesures de confinement et de l’instabilité macro- économique augmentera la pauvreté, et mettra en danger des vies et des moyens de subsistance. u Planter les graines d’une plus grande résilience. Il s’agit d’une condition sine qua non pour éviter l’occurrence d’une autre décennie perdue dans le développement de l’Afrique. La réponse politique devra donc dépasser les solutions rapides qu’exige la situation actuelle et développer des stratégies pour 4 > A F R I C A’ S P U L S E améliorer la situation en termes d’eau et d’assainissement, pour remédier à la crise du capital humain en particulier dans le secteur de la santé, pour mobiliser les technologies numériques de manière à renforcer l’efficacité du commerce et de l’administration publique au cours du confinement et au-delà, pour maintenir un bon niveau d’investissement dans des services publics tels que l’électricité, pour favoriser des chaînes de valeur intra-africaines dans le cadre de l’Accord de libre-échange continental africain pour la substitution des importations. Les responsables politiques et les partenaires au développement devront donc réfléchir aux moyens de préparer l’avenir et envisager des politiques qui renforcent la résilience et donnent aux économies africaines les moyens de se redresser plus vite et de s’épanouir après le COVID-19. Bien qu’elle puisse paraître contre-intuitive en période d’urgence, cette vision à long terme pourrait s’avérer décisive pour les pays africains. Ces politiques sont susceptibles de contribuer à raccourcir la période de redressement et à mettre l’Afrique sur la voie d’une transformation économique. Trouver l’espace budgétaire nécessaire pour lutter contre le COVID-19 dans une situation caractérisée par une vulnérabilité accrue de la dette publique u À cause de la détérioration des situations budgétaires et de la vulnérabilité accrue de la dette publique, les gouvernements d’Afrique subsaharienne ne disposent que de peu de marge de manœuvre pour mettre en place des politiques budgétaires pour lutter contre la crise du COVID-19. La crise budgétaire résultant de la baisse des recettes est en train de réduire l’espace budgétaire des pays. Les prix de référence des matières premières et les taux de croissance des budgets nationaux sont revus à la baisse de façon significative. La situation est aggravée par des situations d’endettement plus importantes et plus risquées et par une augmentation du coût des emprunts extérieurs — ce qui ne fera que détériorer davantage les perspectives de soutenabilité de la dette. Mener des politiques efficaces tout en préservant la stabilité macro-économique en Afrique subsaharienne au cours de la crise du COVID 19 va requérir une coordination et un appui de grande ampleur de la communauté internationale. L’assistance financière des organisations multilatérales et des créditeurs bilatéraux va s’avérer nécessaire. Le Fonds monétaire international, dans le cadre de sa mission de stabilisation, accroît ses efforts et met à disposition des ressources pour soutenir les balances des paiements. Le Groupe de la Banque mondiale vient de créer un nouveau mécanisme de décaissement rapide de 14 milliards d’USD et met à disposition un ensemble de ressources d’un montant de 160 milliards d’USD pour répondre à la crise au cours des 15 prochains mois. Une première vague de 25 projets comprenant des dons, des crédits et des prêts pour un montant total de 2 milliards d’USD et destinés à aider des pays (dont 10 sont en Afrique) a été approuvée par le Groupe de la Banque mondiale le 27 mars. Bien que louables, ces efforts pourraient s’avérer insuffisants sans une action mondiale sur la question de la dette. u Un allégement temporaire de la dette sera nécessaire pour lutter contre le COVID 19 tout en préservant la stabilité macro-économique dans la région. En 2018, les pays de la région ont payé 9,4 milliards d’USD aux créditeurs bilatéraux officiels au titre du service de la dette en 2018, dont 9,4 milliards d’USD payés à des créditeurs bilatéraux officiels, soit environ 0,6 % du PIB de l’Afrique subsaharienne. Dans une région qui pourrait avoir besoin de mesures urgentes de stimulation économique pour un montant de 100 milliards d’USD, y compris une exonération des intérêts de la dette estimée à 44 milliards d’USD en 2020, le moratoire sur la dette pourrait injecter immédiatement des liquidités et élargir l’espace budgétaire des gouvernements africains. Un moratoire sur la dette accordée par les créditeurs officiels à l’Angola représente 4,1 milliards d’USD (4 % du PIB). En ce qui concerne le Kenya, un tel moratoire libérerait des ressources totalisant 675 millions d’USD (0,8 % du PIB) provenant d’une suspension des paiements de la dette des créditeurs officiels bilatéraux. Les dirigeants africains ont commencé à lancer des appels pour accroître les flux de ressources provenant de la communauté internationale, notamment celles provenant des institutions financières internationales, des créditeurs officiels bilatéraux et du secteur privé. Le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont appelé à un « gel de la dette ». Une telle initiative pourrait constituer une part importante de la réponse mondiale pour atténuer l’impact du COVID 19 sur les populations pauvres d’Afrique. A F R I C A’ S P U L S E > 5 Évaluation de l’impact économique du COVID-19 sur les économies africaines : notre méthodologie Nos conclusions en ce qui concerne l’impact du COVID-19 sur les économies africaines proviennent de deux modèles applicables à l’ensemble de l’économie : un modèle structurel macro-économique, le modèle macro- économique et budgétaire «MFMOD » de la Banque mondiale, et le modèle d’équilibre général calculable (EGC) dynamique mondial « ENVISAGE », également de la Banque mondiale. L’analyse utilise deux scénarios : 1. Le premier, un scénario de crise grave mais circonscrite, est basé sur les hypothèses suivantes : i) la pandémie atteint son point culminant dans les économies avancées permettant ainsi un retrait progressif des mesures de confinement au cours des deux prochains mois, ii) la pandémie s’estompe en Chine et iii) des épidémies locales sont maîtrisées dans d’autres pays et en Afrique subsaharienne. Le deuxième scénario, un scénario de crise prolongée, est basé sur l’hypothèse que la flambée de COVID-19 continue à peser sur l’économie au cours du troisième et du quatrième trimestre de 2020 et en 2021, imposant ainsi des mesures de distanciation sociale pour maintenir la propagation du virus à des niveaux maîtrisables. 2. Le modèle EGC a pour hypothèse que le profil de propagation de la pandémie du COVID-19 dans le scénario de crise grave est semblable à celui de la flambée d’Ébola de 2014 en Guinée où le nombre de cas avait atteint 2707 en 2014 et 1097 en 2015; ce profil est utilisé pour calibrer les chocs nationaux exogènes pour ce scénario. Le scénario catastrophique a pour hypothèse un profil de propagation de la pandémie qui se rapproche de la flambée d’Ebola de 2014 en Sierra Leone (le pays le plus affecté) où le nombre de cas avait atteint 9446 en 2014 et 4676 en 2015. Par conséquent, l’impact économique de la crise d’Ébola de 2014 en Sierra Leone a servi à calibrer les chocs exogènes pour ce second scénario. Dans les deux cas, la taille du choc dû au COVID-19 dans les pays affectés est ajustée pour refléter l’indice de préparation aux épidémies. 3. Trois principaux résultats sont retirés de ces scénarios : · Des simulations illustratives avec le modèle MFMOD montrent que dans le scénario d’une crise grave, mais circonscrite, le déclin de la croissance en Afrique subsaharienne pourrait atteindre jusqu’à 5,2 points de pourcentage en 2020, par rapport à un scénario de référence sans COVID-19. Sur cette base, la croissance du produit intérieur (PIB) brut réel dans la région devrait, selon les projections, tomber de 2,4 % en 2019 à -2,1 % en 2020. Dans le scénario de crise prolongée dans lequel le COVID-19 perdure et se propage de façon plus intensive, la croissance dans la région pourrait tomber à -3,0 % en 2020. · Les simulations du modèle EGC suggèrent que l’impact immédiat du COVID-19 sur la croissance en Afrique subsaharienne pourrait être substantiel, même dans le scénario le plus optimiste d’une crise grave mais circonscrite grâce à une réponse rapide et efficace. Les résultats des simulations montrent que le PIB pourrait être inférieur à celui du scénario de référence sans COVID-19 d’environ 5,7 points de pourcentage en 2020. Sur cette base, la croissance dans la région, selon les projections, pourrait baisser à -2,5 % en 2020 à cause du COVID-19. Dans le scénario le plus pessimiste (continuation de la pandémie du COVID-19 au cours de 2021), le déclin de la production pourrait être beaucoup plus important. Le PIB pourrait alors être de 7,6 % inférieur au scénario de référence sans COVID-19 en 2020. Dans cette hypothèse, la croissance dans la région baisserait à -5,1 % en 2020. Pour mémoire : Le Modèle macro-économique et budgétaire de la Banque mondiale (MFMOD) est un modèle économétrique structurel dont la plupart des paramètres sont estimés en utilisant le système de correction d’erreurs de Wickens et Breusch (1988). Le MFMOD est actuellement estimé pour 181 pays (développés et en développement) et se prête particulièrement bien aux projections, notamment pour le court et moyen terme, ainsi qu’aux analyses de politique. La version du MFMOD utilisée pour cette analyse est un modèle régional subsaharien construit en agrégeant des modèles de pays individuels. Les paramètres du modèle sont estimés sur la base des données des Indicateurs du développement dans le monde les plus récentes et disponibles au cours du troisième trimestre de 2019. Les modèles de pays individuels sont liés entre eux par les flux commerciaux et les transferts de fonds. ENVISAGE est un modèle mondial d’équilibre général calculable (EGC) dynamique et récursif, qui modélise de façon explicite les effets d’année en année d’une politique sur l’économie. La version actuelle d’ENVISAGE se fonde largement sur la banque de données du GTAP 9 (Global Trade Analysis Project 2014). Les données comprennent des matrices de comptabilité sociale et des flux d’échanges bilatéraux pour 141 pays ou régions et 57 secteurs. L’analyse utilise 14 pays ou régions d’Afrique sur la base de i) la disponibilité des données dans la banque de données GTAP (seuls 32 pays africains sont représentés dans la banque de données GTAP) ; ii) la taille de l’économie (Priorité est donnée à l’évaluation des plus grandes économies africaines représentées dans la banque de données GTAP) ; iii) les principaux canaux de transmission (pétrole, mines, autres produits de base, chaînes d’approvisionnement mondiales, tourisme et voyages) ; et iv) les pays actuellement affectés. Les groupes non africains pris en considération comprennent : la Chine, les 27 états de l’Union européenne, les États-Unis d’Amérique, d’autres pays de l’organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et le reste du monde (ROW). 6 > A F R I C A’ S P U L S E RAPPORT DU BUREAU DE L’ÉCONOMISTE EN CHEF DE LA RÉGION AFRIQUE www.worldbank.org/africaspulse