Perspectives Juin 1999 Cotonnières Bulletin trimestriel de la Banque mondiale sur les enjeux et les options de réforme politique dans la filière coton La réforme de la filière cotonnière dans les pays de l'Afrique de l'Ouest et du Centre aura un impact considérable sur la croissance à long terme de la production cotonnière avec tous ses effets induis. Chaque pays formulant et mettant en oeuvre ses propres réformes, la Banque mondiale souhaite offrir avec la présente publication une tribune, qui permette i) aux divers intéressés d'échanger leurs points de vue, et ii) aux différents pays de partager leur expérience et les leçons qu'ils en ont tirées. Les points de vue exprimés ici n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne correspondent pas nécessaire- ment à ceux du Groupe de la Banque mondiale, de ses pays membres ou des autres groupes mentionnés. Le secteur du coton Les bons résultats de la production cotonnière tiennent à plusieurs facteurs : en Afrique de l'Ouest · à l'application généralisée d'un ensemble de techniques qui fa- vorisent la reconstitution des sols en éléments nutritifs, qui permet- tent de lutter efficacement contre les ravageurs et qui utilisent des et du Centre1 variétés de semences bien adaptées aux conditions locales; · à la fourniture par l'État et/ou les sociétés cotonnières de services SITUATION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES d'appui et d'infrastructures de qualité; C'est une entreprise parapublique française, la Compagnie française · à la garantie de débouchés commerciaux à des prix stables; pour le développement des fibres textiles (CFDT), qui a ouvert la voie à l'industrie cotonnière moderne dans les pays de l'Afrique de l'Ouest et · aux taux de recouvrement élevés des crédits à l'achat d'intrants; et du Centre. Lorsque ces pays ont accédé à l'indépendance, la CFDT est · à l'existence d'associations villageoises de producteurs bien le plus souvent restée actionnaire minoritaire des sociétés cotonnières organisées. nationales. Elle a également conservé, dans la plupart de ces pays, une fraction du capital ou une minorité de contrôle des entreprises de trans- La région dispose d'un énorme potentiel d'intégration au travers de formation du coton (huile, tourteaux et pellets de coton, savon et com- l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la mercialisation du coton fibre). En échange, la CFDT fournit un appui à Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale ces entreprises parapubliques par rapport aux services de vulgarisation, (CEMAC). Une bonne intégration régionale permettrait non seule- de crédit et d'approvisionnement en intrants. ment aux pays concernés de développer leur marché intérieur, mais Le coton est une culture qui s'est révélée économiquement efficace aussi à la région de renforcer sa position sur les marchés internationaux et qui a beaucoup contribué à la crois- et de devenir une réelle puissance dans sance des exportations et de l'économie, l'économie cotonnière mondiale. La ainsi qu'au développement des zones ru- Figure 1. Production de graine et fibre de coton dynamique de concurrence qui résul- Afrique occidentale et centrale, 1971--1998 rales. La production régionale a été mul- terait d'une meilleure intégration des 2500 tipliée par cinq au cours des 30 dernières filières nationales inciterait par con- années, puisqu'elle est passée de 445 000 2000 trecoup les sociétés multinationales du tonnes environ au début des années 70 à tonnes) de 1500 secteur agro-industriel à investir da- près de 2,3 millions de tonnes aujour- 1000 vantage, ce qui aboutirait à la création d'hui (voir figure 1), améliorant ainsi le (Milliers de nouveaux marchés d'exportation. 500 revenu de 2 millions de producteurs. Sur la période 1996/97, la région a produit 1971--75 1976--80 1981--85 1986--90 1991--95 1996 1997 1998 QUESTIONS D'ORDRE près de 900 000 tonnes de coton fibre, Coton graine Coton fibre STRATÉGIQUE soit 5 % de la production mondiale. Les Source: FAOSTAT 1999 Si le développement du secteur a per- exportations combinées représentaient mis de produire systématiquement un près de 15 % des échanges mondiaux de coton de bonne qualité et d'obtenir des taux d'égrenage et des rende- coton en 1996/97, ce qui fait de la région le troisième exportateur ments moyens élevés (au regard des normes internationales), il a égale- mondial après les États-Unis et l'Ouzbékistan. ment engendré de nombreuses inefficacités; les possibilités d'améliora- 1 Les principaux pays producteurs de coton de l'Afrique de l'Ouest et du Centre sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Mali, la République centrafricaine, le Sénégal, le Tchad et le Togo. tion ne manquent donc pas. Le manque de transparence est propice à paraison, les prix intérieurs du coton graine sont convertis en équiva- la recherche de rente et à la mauvaise gestion des ressources, générale- lent coton fibre. Les chiffres montrent qu'avant la dévaluation du franc ment aux dépens des producteurs, du budget national et de l'ensemble CFA en 1994, les prix à la production équivalaient à un peu plus de la de l'économie du pays. Le secteur pourrait contribuer bien davantage à moitié des cours mondiaux, comme c'était le cas au Zimbabwe avant la réduction de la pauvreté et à la mise en place d'un secteur agricole que ce pays réforme son secteur cotonnier. En Inde, en revanche, où le moderne, bien organisé et dynamique, à condition qu'un certain nom- système est plus concurrentiel, les prix intérieurs étaient inférieurs de bre de questions critiques soient réglées. moins de 10 % aux cours mondiaux. Bien que déjà déprimés, les prix intérieurs dans tous les pays de la région ont brutalement chuté après la dévaluation du franc CFA, les entreprises parapubliques répugnant en Un système de prix réglementés effet à répercuter les effets du changement de parité sur les prix à la pro- Les sociétés cotonnières parapubliques détenant un monopole sur la duction. À l'inverse, au Zimbabwe, les prix intérieurs se sont appréciés fourniture d'intrants aux producteurs, ces derniers n'exercent guère d'in- de plus d'un tiers par rapport aux cours mondiaux, après la décision fluence sur les types et les quantités de semences et autres intrants qu'ils prise par ce pays d'exposer le secteur à plus de concurrence. utilisent. En aval, ces entreprises ont la haute main sur les achats de Des facteurs comme l'infrastructure routière ou le coût des services coton graine et sur l'essentiel des activités d'égrenage, de commerciali- d'appui fournis par les entreprises parapubliques aux communautés sation et d'exportation de graine et de fibre de coton. Un seul prix à la paysannes dans la plupart des pays de l'Afrique de l'Ouest et du Centre production est généralement fixé chaque année pour le coton graine, ne peuvent expliquer que pour une faible part, l'écart observé entre les avant la plantation; le producteur reçoit par la suite un complément (ris- ratios des prix. tourne), qui tient compte de la différence entre le poids à l'achat et le L'écart entre le prix intérieur à la production et le prix à l'exportation poids usine, ainsi que des activités de commercialisation primaire réali- du coton graine en équivalent coton fibre s'explique essentiellement par sées par les organisations paysannes. Depuis quelques années, certains i) les subventions versées à d'autres activités du secteur, comme l'égrenage, pays versent aux producteurs des montants supplémentaires calculés sur et aux sociétés nationales de transformation d'huile et de tourteaux, la base du prix effectif des exportations de coton fibre, ou si l'entreprise ii) les coûts d'exploitation trop élevés des entreprises parapubliques peu parapublique a dégagé des bénéfices plus importants que prévu pour la efficientes, et iii) le prélèvement de taxes et de charges implicites. campagne agricole. Le prix à la production garanti, qui s'applique tout au long de l'année et dans toutes les zones de culture, reflète le pouvoir Une situation de monopole/monopsone de négociation respectif des producteurs, des pouvoirs publics, des so- Le fait que le secteur du coton soit, par nature, très monopolistique et ciétés cotonnières parapubliques et de la CFDT. Les sociétés para- monopsoniste nuit à son développement économique, et ce, pour publiques déduisent directement du prix payé aux producteurs de coton plusieurs raisons : graine les crédits à l'achat d'intrants modernes. · Le faible niveau des prix payés aux producteurs réduit leur revenu, Le système actuel de fixation des prix offre une certaine stabilité aux donc leur aptitude à investir dans des techniques de nature à ac- producteurs, mais à un coût relativement élevé en termes de revenu et croître la productivité. de potentiel de croissance à long terme. Ce qui est logique, étant donné · Ce manque à gagner des producteurs prive le pays du revenu et des que les pouvoirs publics ont tout intérêt à maintenir ces prix régle- emplois supplémentaires qui auraient pu être engendrés, par rico- mentés à un niveau bas pour ne pas avoir à subventionner les produc- chet, dans d'autres secteurs de l'économie rurale et dans l'économie teurs en cas de chute des cours mondiaux, et que les producteurs n'ex- en général. ercent aucune influence sur la prise de décision dans le secteur. Le tableau 1 montre l'impact du système actuel sur le prix du coton · La production de coton ne réalise pas pleinement son potentiel d'ap- dans les pays de l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Il compare les prix pui à l'investissement dans d'autres activités de l'économie rurale, des différents pays avec les cours mondiaux et les prix d'autres pays ex- les producteurs de graine de coton ne pouvant utiliser leur récolte portateurs comme le Zimbabwe et l'Inde. Pour les besoins de la com- que pour garantir les emprunts destinés à financer l'achat d'intrants. Tableau 1 ­ Ratio des prix intérieurs (*) aux cours mondiaux (%) Bénin Burkina Cameroun Côte Mali Tchad Togo Moyenne Zimbabwe India Faso d'Ivoire de ces 7 pays 1990-1993 58 59 48 54 52 59 56 55 58 91 1994-1997 36 35 40 37 35 35 39 37 79 93 Source : « Cotton Policies in Francophone Africa ». Banque mondiale. Document de référence préparé pour la réunion sur le secteur du coton qui s'est tenue à Dakar du 4 au 6 juin 1998. (*) Les prix intérieurs sont les prix à la production du coton graine exprimés en équivalent coton fibre. 2 Cotton Policy Brief · Les investisseurs potentiels sont privés de la possibilité de créer de d'annuler certains points forts du système en place, notamment le nouvelles activités en amont aussi bien qu'en aval et qui s'appuient régime d'agriculture contractuelle, qui permet d'assurer le recouvre- sur la dynamique engendrée par un secteur aussi porteur pour offrir ment des coûts de la recherche et de la vulgarisation, et le fort taux de une large gamme de services d'appui à l'agriculture. recouvrement des crédits à l'achat d'intrants. Un autre avantage par · L'existence de monopsones et de monopoles d'exportation est in- rapport au système actuel est qu'elle permettrait de mieux aligner les compatible avec la mise en place d'unions douanières en Afrique de prix du coton graine sur les cours mondiaux du coton fibre. C'est juste- l'Ouest et du Centre. ment la raison pour laquelle une telle approche aurait peu de chance de réussir, car elle demanderait à ce que l'administration/les sociétés co- LES ENJEUX ET POSSIBILITÉS DE RÉFORME tonnières rétrocèdent volontairement une part importante du revenu cotonnier aux producteurs, ce qui est peu probable. Avec une telle ap- En 1998, des discussions approfondies ont eu lieu entre les différents proche, la fixation du prix d'achat de base resterait toujours une déci- acteurs et partenaires du secteur cotonnier dans la sous-région. Parti- sion éminemment politique et le prix serait toujours négocié entre les cipaient à ces discussions des représentants des gouvernements, des en- différents groupes d'intérêt. treprises cotonnières parapubliques, la CFDT, des représentants des Dans le cas d'une réforme limitée, les entreprises parapubliques con- producteurs de coton, des représentants du ministère français de la tinueraient d'être mieux en mesure de jouer la carte du pouvoir poli- Coopération et de l'Agence française de développement et la Banque tique et du clientélisme que les producteurs. Moyennant quoi, ils s'ar- mondiale. Ces consultations avaient pour objet d'évaluer les différents rogeraient une part plus importante des bénéfices. Les pouvoirs publics scénarios possibles pour réformer le secteur et en améliorer durable- continueraient probablement à maintenir les prix garantis à un niveau ment les résultats. Deux options sont ressorties de ces discussions: soit bas, afin de ne pas avoir à subventionner la commercialisation du les pays maintenaient, mais réformaient, le système en place; soit ils coton. Les prix du coton graine resteraient donc largement inférieurs instauraient un marché libre régi par une concurrence accrue. aux cours mondiaux. Enfin, cette option serait incompatible avec la dé- Conserver mais réformer cision prise dernièrement de libéraliser les échanges entre pays mem- bres de l'UEMOA et de la CEMAC. les monopoles/monopsones Une telle réforme s'articulerait autour de plusieurs grands objectifs: · Réduire l'écart entre les prix d'achat de la graine de coton et les Autoriser la concurrence à tous les niveaux cours mondiaux; de la filière Une telle réforme s'appuierait sur les grands principes et objectifs · donner davantage voix au chapitre aux producteurs de coton lors des suivants: décisions importantes, en particulier s'agissant de fixer le prix de la graine de coton, d'organiser le crédit et l'approvisionnement en · entrée libre et mise en concurrence des opérateurs à tous les niveaux intrants, et d'élaborer et de mettre en oeuvre les programmes de de la filière cotonnière; stabilisation des prix; · relèvement et meilleur alignement des prix à la production sur les · sous-traiter davantage à des sociétés privées les activités ayant trait cours mondiaux; à l'approvisionnement en intrants et au transport; et · fixation plus efficace des prix des intrants agricoles et des services · cesser de subventionner la vente de fibre et de graine de coton aux d'appui à l'agriculture; entreprises textiles et aux huileries nationales. · renforcement des activités publiques connexes, en particulier dans L'un des grands avantages d'une réforme restreinte est que, con- les domaines de la recherche, de la vulgarisation et de l'action phy- trairement à une réforme tous azimuts, elle risque moins d'affaiblir ou tosanitaire; Lettres et commentaires doivent Perspectives Cotonnières être adressés à: est accessible au site web du Perspectives Cotonnières Groupe de la Banque mondiale, Développement Rural 2 http://www.worldbank.org/ Région Afrique, Banque mondiale Cliquer sur Publications, puis sur 1818 H St., N.W., J6-174 Périodiques. Ou bien cliquer sur Pays Washington, D.C. 20433 et Régions, puis sur Afrique. E-mail: jfarah@worldbank.org June 1999 3 · renforcement des capacités institutionnelles d'organisation et de né- d'assurer que les contrats sont exécutoires et qui lierait le rembourse- gociation des organisation paysannes; et ment du crédit à la commercialisation du coton graine. Selon la Banque, il est inutile de privatiser les sociétés cotonnières para- · réduction de la taxation implicite de la filière cotonnière (sauf en publiques si les conditions minimum d'un régime de concurrence ne cas de difficultés budgétaires passagères, auquel cas l'État pourrait sont pas réunies. prélever, pendant un laps de temps limité, un droit d'accise d'un La Banque mondiale estime que le sens de la discipline et des res- faible montant sur le coton égrené). ponsabilités qu'un système de marché libre impose aux concurrents renforcera, à terme, la résistance, la souplesse, l'autonomie et la capa- Sous l'effet de la libéralisation, les cours régionaux du coton graine cité d'innovation des filières cotonnières nationales. La concurrence ne tarderaient pas à se rapprocher des cours mondiaux, ce qui procu- accrue induite par la libéralisation du marché offre d'énormes possibil- rerait indirectement à l'État des recettes supplémentaires, du fait de ités d'échanges et de coopération à l'échelon régional, notamment dans l'accroissement de la production et des exportations de coton qui en ré- les domaines de la recherche, de l'action phytosanitaire et de la mise au sulterait. Si l'instauration d'un marché libre peut, dans certains cas, suf- point et de la certification de semences. Plus important encore, un fire pour créer un régime de concurrence, il faudra le plus souvent re- secteur plus performant contribuera à faire reculer la pauvreté en por- structurer et privatiser les entreprises publiques existantes si l'État veut tant le revenu des producteurs de coton au niveau de celui des produc- apporter la preuve de sa détermination à créer un système de pleine teurs des autres pays du monde. concurrence. Si l'on ne peut convaincre les pouvoirs publics de passer rapidement La mise en place d'un régime de concurrence mettrait fin aux à un régime de concurrence, une autre solution acceptable est d'adapter problèmes inhérents à un système monopolistique (faible niveau des et de réglementer le monopole en place. Dans ce cas de figure, la prix et des revenus, barrières à l'entrée, entraves à la croissance des ac- Banque contribuera à assurer que i) le monopole réglementé fonc- tivités de commercialisation, de transport et de transformation et des tionne correctement, ii) que l'entreprise parapublique est véritable- exportations, et implications budgétaires de la chute des cours mon- ment soumise à des obligations de résultats, iii) que la société coton- diaux). Des mesures devraient cependant être prises pour s'assurer que nière est une source de recettes publiques qui sont reversées au Trésor, les systèmes de distribution d'intrants et d'offre de crédit fonctionnent et iv) que les prix à la production sont calculés au moyen d'une formule de manière efficace et équitable. moins pénalisante et beaucoup plus favorable aux producteurs que par le passé. En outre, les organisations de producteurs doivent être renfor- LA POSITION DE LA BANQUE MONDIALE cées pour gagner en pouvoir de négociation. Les deux formules, régime de concurrence ou monopole réformé, peu- C'est aux autorités nationales et aux autres acteurs de la filière qu'in- vent donner de bons résultats et exigent, l'une comme l'autre, que combe la responsabilité d'élaborer et de mettre en oeuvre la réforme de certaines conditions soient remplies et que certaines précautions fonds du secteur du coton. La Banque est prête à aider toutes les parties soient prises. Du point de vue de la Banque, le mieux serait de mettre intéressées à faire en sorte que les mesures décidées contribuent au en place un système concurrentiel de production contractuelle. Un bien-être des populations rurales et que la filière cotonnière réalise tel modèle mettrait en concurrence plusieurs entreprises sur la base pleinement son potentiel de développement économique à l'échelle de d'un accord interprofessionnel, ou code de conduite, qui permettrait la région. Perspectives Cotonnières US Postage Développement Rural 2 Paid Région Afrique, Banque mondiale XXXXXXX 1818 H St., N.W., J6-174 Permit No. Washington, D.C. 20433 XXXX